Lausanne à travers les âges/Aperçu/07

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Collectif
Librairie Rouge (p. 36-38).


VII

Conquête bernoise (1536).

En 1530, les Bernois, joints aux Fribourgeois et aux Soleurois, envahirent le pays de Vaud pour secourir Genève, que menaçait le duc de Savoie, et que harcelaient sans cesse les « Chevaliers de la Cuiller[1] ». Les Suisses brûlèrent sur leur passage un grand nombre de châteaux. Cette campagne se termina par la paix de Saint-Julien : le duc Charles III s’engagea par ce traité à respecter les droits de Genève et à payer une indemnité de guerre, pour la garantie de laquelle il donna en hypothèque le Pays de Vaud (19 octobre 1530). Lorsque le Deux-Cents de Genève eut décidé, le 29 novembre 1535, d’abolir la messe, cette ville se trouva de nouveau menacée par le duc de Savoie. Berne se rendit compte que, si elle n’intervenait pas en sa faveur, le roi François Ier, qui déjà se posait en protecteur de Genève, prendrait sa cause en mains. Après s’être assuré de l’appui de leurs bailliages, Leurs Excellences expédièrent au duc le 16 janvier 1536, un hérault d’armes porteur d’une déclaration de guerre dans toutes les formes, fondée sur l’inexécution des clauses du traité de Saint-Julien, et sur le fait que leurs alliés de Genève continuaient à être molestés, et leurs biens pillés. En même temps, le Conseil de Berne sollicitait du Conseil de Lausanne son appui contre le duc de Savoie.

L’évêque de Lausanne se réfugia à Glérolles, et invoqua le secours des gens de Lavaux. À Lausanne même, l’opinion était divisée : la jeunesse demanda à s’enrôler pour rejoindre l’armée bernoise ; les Conseils, irrésolus, cherchaient à gagner du temps.

Le 22 janvier 1536, six mille hommes, sous le commandement du trésorier Jean-François Nægueli, sortent de Berne. Leur marche à travers le Pays de Vaud se fit sans coup férir : en favorisant la propagation de la Réforme à Aigle, à Payerne, à Avenches, à Orbe, à Grandson, etc., les Bernois avaient préparé la voie à leur conquête. Laissant Lausanne, Morges et Nyon de côté, Nægueli se dirige sur Genève, où il entre le 2 février ; il y reste jusqu’au milieu du mois, puis rentre à Berne. Les Français, les Valaisans et les Fribourgeois avaient, de leur côté, occupé une partie des provinces que la maison de Savoie possédait au nord des Alpes. Après quelque résistance, Yverdon se rendit ; Chillon, où commandait Antoine de Beaufort, demeura seul fidèle à ses maîtres.

Restaient Lausanne et les terres de l’évêché. Confiants dans l’alliance avec Berne, les bourgeois de Lausanne se berçaient de l’espoir de pouvoir, comme les Genevois, se débarrasser de leur évêque et acquérir une indépendance complète ; mais Leurs Excellences ne l’entendaient pas ainsi. Après un séjour de trois semaines à Berne, Nægueli
Abside et clocher de l’église de Saint-François.
se met de nouveau en marche, avec une colonne de 1500 hommes, et met le siège devant Chillon, qui se rendit le 28 mars 1536.

Chillon pris, le général bernois marche sur Lausanne ; le 31 mars, il franchit la Veveyse, qui formait la limite des terres épiscopales. Le prince-évêque, Sébastien de Montfalcon, s’enfuit à Fribourg. Le même jour, l’armée bernoise fit une entrée solennelle dans la ville « impériale » de Lausanne. Les magistrats reçurent « leurs bons alliés » avec de grands honneurs. Le lendemain, 1er  avril, dit l’historien Verdeil, les illusions qui égaraient les Lausannois s’évanouirent a jamais : Nægueli prit possession du château Saint-Maire, fit enlever l’écusson de la maison de Montfalcon et les insignes de la puissance épiscopale, et arbora à leur place le drapeau aux couleurs rouge et noire avec l’effigie de l’ours. Il prononça la déchéance de l’évêque, et proclama la ville de Berne souveraine de tous les droits temporels reconnus aux évêques du diocèse de Lausanne. Cette violation du traité de combourgeoisie de 1525, faite au mépris de leurs prérogatives impériales, plongea le Conseil et les bourgeois dans la consternation. Ceux qu’ils avaient accueillis en amis, à qui ils avaient loyalement fourni du secours lors du siège d’Yverdon, leur parlaient en maîtres. Ils protestèrent, mais en vain.

Lausanne, dit l’historien Verdeil, par ses irrésolutions, par sa faiblesse, avait perdu tout droit d’être écoutée ; elle devait désormais obéir à la bourgeoisie de Berne. Les députés de Zurich, Bâle, Schaffhouse, Saint-Gall et Genève, venus à Lausanne pour s’interposer entre Berne, le duc de Savoie et l’évêque, protestèrent contre les procédés de LL. EE. Nægueli allégua qu’il n’avait pas de pouvoirs pour traiter, que des commissaires arriveraient bientôt de Berne, qu’en attendant il avait reçu l’ordre de se mettre en lieu et place de l’évêque pour tout ce qui concernait le temporel, et que, quant au spirituel, il s’engageait à protéger également les deux cultes.

Les Réformés, — car il y en avait déjà à Lausanne avant l’arrivée des Bernois, — s’empressèrent de demander au Deux-Cents de Lausanne qu’il leur soit permis de faire profession ouverte de leur religion. Le 4 avril, après maintes récriminations sur les excès des Réformés, le Deux-Cents décida de mettre à leur disposition l’église des Dominicains de la Madeleine.

  1. On appelait ainsi une association de gentilshommes vaudois, ligués avec le duc de Savoie contre Genève, parce que, dans une réunion tenue au château de Bursinel, en 1527, l’un des conjurés s’était écrié en levant sa cuillère : « Aussi vrai que je la tiens, nous avalerons Genève. »