Leçons élémentaires de chimie agricole/Chapitre X

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CHAPITRE X.

CULTURE CONTINUE. — ÉPUISEMENT DU SOL PAR LA CULTURE. — ASSOLEMENTS.


Culture continue sans engrais. — Les terres de fertilité moyenne contiennent par kilogramme au moins :

0gr5 d’azote,
0gr5 d’acide phosphorique,
1 gramme de potasse,
5 grammes de chaux.

Pour nous placer dans des conditions défavorables à la fertilité, supposons que la couche végétale se borne à une épaisseur de 30 centimètres présentant la richesse minima indiquée ci-dessus. La couche répartie sur 1 hectare pèsera environ 6,000,000 de kilogrammes et renfermera au total :

3,000 kilogrammes d’azote,
3,000 d’acide phosphorique,
6,000 de potasse,
30,000 de chaux.

Culture continue de betteraves. — Sur ce champ, cultivons des betteraves fourragères, nous obtiendrons, par exemple, une récolte de 20,000 kilogrammes de racines, qui, feuilles comprises, enlève à la terre :

66 kilogrammes d’azote,
24 d’acide phosphorique,
129 de potasse,
25 de chaux.

Ces quantités sont bien faibles si on les compare au stock des principes fertilisants contenus dans la couche de terre végétale. En supposant négligeable toute autre cause de déperdition de ces principes, ce stock devrait suffire à assurer l’alimentation d’une récolte identique pendant une longue série d’années :

45 ans pour l’azote,
125 pour l’acide phosphorique,
47 pour la potasse,
1200 pour la chaux.

En réalité, dans la pratique, il n’en est rien. Si on poursuit sur ce champ, sans addition d’engrais, la culture annuelle de la betterave, on verra les récoltes décroître rapidement et s’abaisser promptement jusqu’à un taux dérisoire. Il en serait de même pour toutes les racines fourragères. MM. Lawes et Gilbert, à Rothamsted, l’ont constaté d’une manière frappante par la culture continue des raves.

Le champ donna successivement :

1re année …… 10,516 kilogrammes.
2e …… 5,555
3e …… 1,722
4e …… à peu près rien.

Cette stérilité pratique semble incompatible avec les indications de l’analyse chimique. La dose totale de principes fertilisants emportés par les quatre récoltes ne dépassait pas :

68 kilogrammes d’azote,
34 d’acide phosphorique,
80 de potasse,
50 de chaux.

Ce prélèvement, qui semble avoir épuisé la fertilité de la terre, est cependant bien faible relativement aux quantités de matières nutritives qui s’y trouvaient contenues.

Causes de l’inaptitude dit sol à une culture continue. — C’est que d’ordinaire les substances fertilisantes que renferme le sol ne sont pas immédiatement assimilables par les racines ; elles ne le deviennent que progressivement. En réalité, dans le champ de raves de Rothamsted, ce n’était pas une provision de 3,000 kilogrammes d’azote, de 3,000 kilogrammes d’acide phosphorique, etc., qui était à la disposition des plantes, mais une dose bien plus petite, telle, par exemple, que 50 kilogrammes d’azote, 30 d’acide phosphorique. Grâce à cette réserve immédiatement disponible, qui se trouve surtout fixée sur les particules terreuses, on obtient une première récolte avantageuse qui en emporte la majeure partie. Pour la récolte de l’année suivante, la nutrition deviendra beaucoup plus difficile ; elle devra, à peu de chose près, se contenter du revenu annuel du capital de fertilité enfoui dans le sol : elle sera médiocre. Aussi, les surfaces absorbantes (les racines y seront beaucoup moins nombreuses, et, par suite, le travail de transformation des substances nutritives en matières assimilables deviendra bien plus lent. Après une période de décroissance rapide, le rendement, devenu insignifiant, cessera d’être rémunérateur : la culture des raves sans engrais ne redeviendra possible que lorsque la terre aura reformé la provision de matières nutritives qu’elle possédait tout d’abord.

Il n’en serait plus de même dans un sol très fertile, où les récoltes pourraient, sans diminution apparente, se succéder pendant une longue série d’années.

Du reste, pour la terre de fertilité moyenne que nous considérions, toutes les cultures ne déclineraient pas de la même manière : quelques-unes se maintiendraient sans affaiblissement notable. La raison de ces différences est bien facile à comprendre. La terre cultivable contient toujours une dose plus ou moins importante de matières nutritives : azote, potasse, phosphore, chaux. Le sol des champs peut être comparé à une mine de principes fertilisants, mine plus ou moins riche selon sa nature, plus ou moins puissante suivant l’épaisseur de la couche perméable qui peut nourrir les racines. Une faible portion de cette réserve est assimilable, c’est-à-dire utilisable pour la nutrition végétale : la récolte fournie par le sol est en quelque manière proportionnelle à cette quantité d’aliments disponibles ; elle sera abondante s’il y en a beaucoup, faible s’il y en a peu.

La première récolte étant enlevée, une nouvelle quantité de matières assimilables est fournie à la récolte nouvelle. Si cette dose ainsi devenue disponible chaque année dans la couche totale occupée par les racines ne surpasse pas les besoins de la récolte, il y aura insuffisance d’alimentation et, par suite, abaissement de la récolte. Ceci se produira d’autant plus que la terre sera moins fertile et que la culture sera plus exigeante, et aussi plus inhabile à exploiter pour son compte les richesses nutritives du sol. Tout dépendra donc de deux facteurs bien distincts : la fertilité du sol et les besoins spéciaux de chaque culture.

On a vu précédemment qu’à Rothamsted la récolte des raves n’avait pu être poursuivie pendant plus de trois années ; c’est que les exigences de cette culture sont relativement grandes et ont promptement épuisé les doses d’acide phosphorique, de potasse, d’azote, disponibles dans une terre végétale de qualité moyenne. Dans un sol très fertile, il en serait autrement, et la culture pourrait être maintenue, sinon pendant une période indéfinie, du moins pendant une assez longue série d’années.

Culture continue du blé. — Les récoltes de céréales étant moins exigeantes que celles de racines, on peut prévoir qu’elles se prêteront plus aisément à une culture continue. MM. Lawes et Gilbert ont pu, à Rothamsted, cultiver le blé sans engrais sur un même champ pendant plus de quarante années. Il est évident, d’après ce qui a été dit plus haut, que le rendement doit aller en diminuant, mais la décroissance n’est pas bien rapide ; la récolte moyenne qui, au début des observations, était voisine de 15 hectolitres par hectare, a diminué chaque année de 12 à 9 litres en moyenne. Il a donc fallu une période de dix ans pour abaisser la production de 1 hectolitre. Après cinquante années, elle serait encore de 10 hectolitres. Ces résultats nous montrent bien avec quelle prudence il faut accueillir les prévisions de certains économistes au sujet de l’épuisement prochain des terres vierges d’Amérique, où la culture des céréales est pratiquée sans aucun engrais dans des conditions très avantageuses d’exploitation. En adoptant pour la production actuelle de ces terres la moyenne de 11 hectolitres de blé par hectare (indiquée par M. Grandeau), on voit qu’il faudrait plus de trente années pour abaisser le rendement à 8 hectolitres, ce qui serait encore rémunérateur pour des cultures aussi étendues.

Cas de sols très fertiles. — Sur des champs très fertiles, comme les terres noires de Russie, les récoltes de blé peuvent se succéder très longtemps sans décroissance sensible. Boussingault a observé, sur les plateaux des Andes, certains sols où depuis plus de deux siècles se succèdent sans interruption de bonnes récoltes de céréales.

Sur une grande partie de la côte du Pérou, le maïs, culture plus épuisante que le froment, est obtenu chaque année avec avantage depuis une époque certainement antérieure à la découverte de l’Amérique ; il y a donc plus de quatre cents ans. Mais ce sont là des sols exceptionnellement fertiles, d’ordinaire très profonds, qui offrent aux récoltes beaucoup plus d’éléments nutritifs qu’elles n’en exigent.

Cultures permanentes. — Les cultures arbustives, vignes, arbres fruitiers, forêts, demandent à la terre moins encore que les céréales, et leurs exigences réelles sont d’autant plus faibles que leurs racines, plus longues et plus développées, sont plus capables d’utiliser les matières fertilisantes contenues dans les profondeurs du sol. On n’ignore pas que les bois, même soumis à une exploitation régulière, se maintiennent indéfiniment sans le secours d’aucune fumure. Quant à la vigne, il ne manque pas d’exemples de cultures pratiquées sans engrais pendant de longues années sur des terres peu fertiles ; le rendement, d’ailleurs assez médiocre, se maintient à peu près constant.

Légumineuses fourragères. — Les récoltes fourragères demandent au sol des quantités importantes de principes nutritifs ; les légumineuses fourragères, trèfle, sainfoin, luzerne, sont, excepté pour l’azote qu’elles contribuent à fixer sur la terre, des cultures extrêmement exigeantes. Aussi n’est-il pas possible de les maintenir d’une manière continue sur un même sol, même fertile. La luzerne, qui occupe parfois la terre pendant une dizaine d’années, refuserait d’y végéter de nouveau pendant une assez longue période. De même, le trèfle ne peut vivre sur le sol qu’il a occupé, et ce n’est que dans une terre de jardin, de qualités tout à fait exceptionnelles, que MM. Lawes et Gilbert ont pu cultiver du trèfle pendant une longue suite d’années.

Prairies naturelles. — Il semble que certaines cultures fourragères, bien que fort exigeantes en principes nutritifs (même en azote), soient peu épuisantes pour le sol : ce sont les prairies naturelles, caractérisées par une végétation multiple, où abondent les graminées, mais où figurent aussi quelques légumineuses. Très souvent des prairies, qui ne reçoivent aucun engrais, fournissent néanmoins des récoltes abondantes, exportant annuellement par hectare :

80 kilogrammes d’azote,
21 d’acide phosphorique,
96 de potasse,
46 de chaux.

Ces récoltes se maintiennent pour ainsi dire indéfiniment. C’est que ces prairies durables reçoivent en réalité un engrais naturel abondant, soit par les eaux d’irrigation, soit par les eaux souterraines qui occupent le sous-sol. L’eau fournie à la prairie en grande quantité, lui apporte de la chaux, de l’azote, et même de petites doses de potasse et d’acide phosphorique. Si, pour l’irrigation, on se servait d’eau de source profonde, la prairie serait plus promptement en voie d’épuisement.

Il faut noter en outre quelques conditions particulièrement favorables à la nutrition des prairies artificielles : les plantes y sont très serrées, et leurs racines constituent un réseau épais qui occupe toute la couche terreuse, et agit sur ses particules avec une activité extrême, en utilisant bien leurs substances minérales, et le plus souvent en favorisant la fixation de l’azote atmosphérique. En outre, la végétation dure toute l’année, qui est entièrement mise à profit pour le travail d’assimilation.

Culture continue avec l’aide des engrais. — Ainsi, dans les terres ordinaires, on ne pourra habituellement sans engrais, obtenir consécutivement des récoltes toujours identiques : généralement, la quantité récoltée baissera plus ou moins vite, signe de l’épuisement temporaire du sol. Pour le trèfle, pour les raves, la décroissance va très vite. Pour le blé, elle est beaucoup moins rapide. Pour la vigne, elle ne se manifeste qu’à la longue.

Le secours des engrais permet-il de réaliser dans tous les cas ces cultures consécutives ? Est-il toujours possible, par des additions convenables de matières nutritives, d’empêcher l’épuisement, et de conserver le sol dans un état capable de reproduire chaque année avec la même vigueur, la même récolte ?

En réalité, la chose est possible, mais seulement à condition que les principes nutritifs que l’on fournit à la terre lui soient distribués d’une manière convenable pour la culture dont il s’agit : ce sera réalisable pour les récoltes où les racines sont peu éloignées de la surface du sol ; ce sera, au contraire, difficile, sinon impraticable pour les cultures à racines profondes.

Les plantes présentent à cet égard de grandes différences ; nous avons déjà fait observer que les racines s’enfoncent à des profondeurs très variables ; en outre, certains végétaux développent le chevelu de leurs radicelles, principalement dans les couches superficielles du sol, et par suite c’est surtout à ces couches qu’elles demandent leur nourriture ; telles sont les céréales et aussi l’herbe des prairies.

Pour les autres, au contraire, le chevelu des radicelles est plus abondant dans les profondeurs de la terre qu’au voisinage de sa surface ; telles sont les plantes à racines pivotantes, telles que les légumineuses fourragères, trèfle, esparcette, luzerne ; l’alimentation, se fait plutôt par les couches profondes que par la surface.

Des recherches directes ont permis d’évaluer le poids des radicelles, et aussi leur surface active pour diverses cultures. Le tableau suivant, emprunté à MM. Müntz et Girard, réunit un certain nombre de résultats très importants : ils s’appliquent non pas à la totalité des racines, mais seulement aux radicelles du chevelu :

Poids et surfaces des radicelles par hectare.
RANG
de
la couche
Épaisseur
de
la couche
BLÉ AVOINE FOIN
de prairie
LUZERNE TRÈFLE
Poids Surface Poids Surface Poids Surface Poids Surface Poids Surface
m. k. mq. k. mq. k. mq. k. mq. k. mq.
Première (sol actif) 0,25 921 078,700 1,120 077,220 2,705 10,210 222 1,952 149 03,360
Deuxième 0,25 202 015,000 0,178 006,400 0,120 18,018 056 0,496 425 26,080
Troisième 0,25 248 014,700 0,230 013,380 0,070 10,576 093 0,816 230 14,144
Quatrième 0,25 101 004,650 0,113 007,840 0,046 06,976 075 0,656 109 08,176
Cinquième 0,25 110 005,050 0,011 000,770 0,003 00,400 213 1,872 035 2,200
Sixième 0,25 » » » » » » 114 1,008 » »











Total 1,50 » 118,100 » 107,790 » 76,240 » » » 53,960


Comparons l’avoine au trèfle. Pour l’avoine, sur 107,800 mètres carrés de surface totale des radicelles, le sol actif en renferme 77,220, c’est-à-dire environ les trois quarts.

Pour le trèfle, au contraire, la couche de surface en contient seulement 3,360 mètres carrés sur 54,000, soit seulement un seizième.

L’avoine vit donc principalement de la couche superficielle. Le trèfle vit surtout des couches profondes.

Ces circonstances étant connues, imaginons que sur un sol de fertilité moyenne, on institue une culture continue d’avoine ; l’épuisement de la première couche ne tardera pas à se manifester par une décroissance de la récolte, mais nous pourrons le combattre efficacement en restituant à cette couche des matières nutritives. Si elles sont solides, le labour lui permettra la dissémination parfaite dans tout le sol actif : s’il s’agit d’engrais liquides ou solubles, comme les nitrates ou les sels ammoniacaux, un épandage de surface suffira pour en pénétrer la couchée superficielle de terre. Ainsi, par l’emploi d’engrais convenables, nous pourrons reproduire indéfiniment de bonnes récoltes d’avoine, de blé, d’orge, de foin de prairie.

Supposons le même champ cultivé en trèfle : celui-ci se nourrit surtout aux dépens des deuxième, troisième, quatrième couches, presque pas aux dépens de la première ; c’est donc à ces couches profondes qu’il faudrait restituer des éléments fertilisants pour empêcher l’épuisement de la terres. Mais ce n’est pas possible dans la pratique habituelle ; car si l’engrais est solide et insoluble, le labour ne l’enfouit que dans la première couche. Les engrais solubles phosphoriques ou potassiques seront arrêtés par les particules terreuses du sol actif. Il en serait de même des sels ammoniacaux ; quant aux nitrates, ils pourraient, grâce à la pluie, pénétrer dans les profondeurs de la terre. Mais on sait que les engrais azotés sont ici d’un secours fort médiocre, puisque le trèfle peut aisément fixer l’azote atmosphérique par l’intermédiaire du sol. L’engrais minéral, seul utile, fera défaut aux couches nourricières. Aussi la culture du trèfle ne pourra être maintenue sur un même champ, malgré l’addition de fumures abondantes : c’est ce que l’expérience agricole a vérifié souvent.

À Rothamsted, l’usage d’engrais renforcés n’a pas permis, en général, de poursuivre la production continue du trèfle. Au contraire, pour le blé, l’addition d’engrais a maintenu une fertilité parfaite.

Pour le trèfle, ce résultat ne pourrait être atteint que par un défoncement énergique du sol, réalisant la pénétration des principes fertilisants jusqu’à une profondeur suffisante.

Pratique de la jachère. — Ces faits sont connus depuis longtemps. Les anciens avaient observé qu’un champ, soumis sans interruption à une même culture de céréales, fournit des rendements qui vont en diminuant, malgré l’emploi des fumures. C’est que le fumier de ferme, qu’ils employaient seul en quantité insuffisante, ne pouvait empêcher cet affaiblissement. Ils pensèrent que la diminution des récoltes était due à une fatigue de la terre, et, pour lui rendre ses forces, ils lui donnèrent le repos ; c’est ainsi que prit naissance la jachère alternante. Après une récolte de froment, on laissait le champ inactif et, durant une année entière, on le labourait et on lui distribuait du fumier.

Pendant cette période, où le sol est vide et soigneusement nettoyé de toutes les herbes inutiles, des principes nutritifs deviennent assimilables, mais n’étant pas consommés, ils s’accumulent en majeure partie sur les particules terreuses ; la fertilité réelle pour la récolte de l’année suivante en est accrue, sinon doublée.

Des assolements. — Cette pratique put être avantageuse quand le sol était sans valeur, c’est-à-dire dans les régions peu habitées. Mais quand le sol devint cher, on ne tarda pas à trouver insuffisantes ces récoltes biennales qui d’ailleurs n’étaient pas doubles de la récolte annuelle. On parvint à reconnaître qu’on peut sans inconvénient supprimer le repos de la terre, à condition de changer chaque année la culture qu’on lui confie. Ainsi Pline recommanda comme excellente la succession suivante : froment, orge, navets.

La jachère fut délaissée, mais on y revint en quelque manière. Charlemagne prescrit d’appliquer aux terres royales l’ordre qui suit : froment, avoine, jachère.

Au seizième siècle, les légumineuses fourragères furent introduites dans ces rotations de culture, et les agronomes appliquèrent leurs efforts à rechercher par l’expérience quel ordre était le plus avantageux, quelle longueur de période était la meilleure. Cette succession, qu’on nomme l’assolement, fut dans chaque région établie par l’usage ; aussi la variété des assolements est-elle pour ainsi dire indéfinie.

Nous trouvons dans les divers pays des assolements très différents, depuis les assolements biennaux, encore très usités pour des terrains très fertiles, jusqu’aux assolements qui comprennent dix-huit années, et même davantage, et où figurent les cultures forestières. Nous donnons ci-dessous plusieurs exemples de ces assolements, que nous ne pouvons nous arrêter à commenter un à un.

Exemples d’assolements usités.
DURÉE
de la
rotation
ASSOLEMENTS
à
jachères
ASSOLEMENTS
à plantes sarclées
[1]
ASSOLEMENTS
à plantes
améliorantes
[1]
ASSOLEMENTS
mixtes
[1]
2 ans Jachère (fumée).
Froment.
Betteraves (fumées).
Froment.
» »
Id. » Tabac.
Froment.
» »
Id. » Maïs.
Froment.
» »
3 ans. Jachères (fumée).
Froment.
Avoine.
Betteraves (fumées).
Froment.
Colza.
Trèfle.
Froment.
Avoine.
Jachère.
Maïs.
Froment.
Id. Jachère (fumée).
Seigle.
Sarrazin.
Betteraves ou
Pommes de terre (fumées).
Céréales en vert.
Céréales d’hiver.
» Jachère.
Froment.
Maïs.
Id. » » » Trèfle.
Froment.
Maïs.
4 ans. Jachère.
Froment.
Jachère.
Avoine.
Maïs.
Froment.
Chanvre.
Froment.
» Betteraves.
Froment.
Trèfle.
Froment.
5 ans. » » Froment.
Trèfle.
id.
Froment.
Avoine.
Betteraves ou
Pommes de terre.
Froment.
Trèfle.
Froment.
Avoine.
Id. » » » Jachère (fumée).
Froment.Trèfle.
Froment.
Maïs.
6 ans. » » Avoine (fumée).
Froment.
Sainfoin.
id.
Froment.
Avoine.
Jachère.
Seigle.
Genêts.
Id.
Id.
Id.
8 ans. » » » Jachère.
Blé.
Sainfoin.
id.
Id.
Froment.
Id.
Maïs.
Id. » » » Betteraves.
Froment.
Luzerne.
Id.
Id.
Id.
Avoine.
Froment.

Les assolements peuvent être divisés en deux groupes : assolements à jachères, assolements sans jachères.

I. Assolements à jachères. — Ce sont ceux où pendant la durée d’une rotation, la terre demeure sans culture une ou plusieurs années.

La jachère, pratique ancienne connue il a été dit plus haut, a un double but :

1° Elle permet, pendant l’inculture du sol, d’éliminer les plantes parasites qui s’y sont fixées ;

2° Elle laisse aux particules terreuses le temps de former des principes nutritifs assimilables, dont la majeure partie demeure en réserve pour les récoltes futures.

Il est aisé de se rendre compte que ces deux effets peuvent être réalisés avec plus d’avantages par des assolements culturaux bien choisis.

Pour le nettoyage de la terre, il suffit d’introduire dans la rotation une ou plusieurs cultures de plantes sarclées, c’est-à-dire dont les pieds sont assez espacés pour qu’on puisse plusieurs fois pendant l’année extirper les mauvaises herbes. Le choix de la plante sarclée est dicté par les conditions économiques locales : on peut cultiver des plantes destinées à l’alimentation de l’homme, comme le maïs, les pommes de terre, ou bien des racines fourragères, betteraves, carottes, raves, ou des plantes industrielles, comme le tabac ou la betterave sucrière.

Quant au deuxième but, la jachère ne l’atteint le plus souvent que d’une manière très imparfaite. Les principes azotés du sol se nitrifient plus ou moins vite dans la terre nue, et les eaux pluviales entraînent vers le sous-sol des proportions notables de nitrates : la perte d’azote qui en résulte, n’est certainement pas compensée par la fixation intervenue spontanément sous l’influence microbique. Cet effet aura lieu énergiquement dans les sols calcaires où la nitrification est très active. Il sera beaucoup moins à craindre dans les terres fortes, pauvres en calcaire : mais dans ce cas, c’est le calcaire lui-même qui pourra être entraîné sans profit pendant l’année de repos. Ces déperditions d’azote ou de calcaire atténueront dans la plupart des cas, les avantages de l’enrichissement survenu en acide phosphorique et potasse assimilables.

En pratiquant sur un même champ pendant dix années consécutives des cultures de blé, alternant sans engrais avec la jachère nue, MM. Lawes et Gilbert ont obtenu comme produit total des cinq récoltes, 97 hectolitres par hectare, alors que les dix récoltes se succédant sans engrais en ont fourni 103, soit 6 de plus. L’emploi de la jachère a donc été nuisible.

Le résultat sera bien mieux atteint par l’emploi des engrais, s’il s’agit des cultures de surface (céréales) : cette pratique suppléera avantageusement à la nutrition naturelle, parce que le plus souvent l’achat des engrais, y compris l’accroissement des frais de culture, coûte moins cher que ne vaudra la récolte qu’il détermine. Le même but sera réalisé plus économiquement par l’introduction dans l’assolement des cultures améliorantes.

II. Assolements sans jachères ou assolements rationnels. — D’après ce que nous venons de dire, les assolements rationnels comprennent dans un ordre qui peut être variable :

1° Les cultures principales qui sont en général des cultures de surface (blé, avoine, etc.). ;

2° Des cultures sarclées ;

3° Des cultures améliorantes, qui sont d’ordinaire profondes, légumineuses fourragères, forêts.

Les cultures sarclées permettent de nettoyer plus aisément le sol des plantes parasites qui l’encombrent : on les supprime quelquefois, quand les mauvaises herbes sont peu abondantes, la période de travail comprise entre la moisson et la semence des céréales pouvant suffire pour les éliminer. Plusieurs cultures sarclées peuvent figurer avec avantage dans la même rotation ; les unes à racines profondes comme le colza exploitant plus spécialement les principes nutritifs du sous-sol, d’autres, au contraire, vivant plus particulièrement de la couche arable, comme le maïs.

Aux cultures sarclées proprement dites, on peut substituer des cultures de courte durée, qui n’occupant le sol que pendant un petit nombre de mois, permettent de soumettre la terre à des travaux réitérés dans l’intervalle des cultures : telles sont les céréales de printemps, le chanvre, etc.

Les cultures améliorantes constituent pour la terre arable un véritable engrais : ce sont principalement les légumineuses fourragères et les bois.

Nous avons déjà dit la cause de cet enrichissement très réel du sol par les légumineuses fourragères, luzerne, trèfle, sainfoin, vesces, fèves, etc. Ce résultat semble paradoxal puisque ces cultures sont très exigeantes et paraissent devoir épuiser le sol au lieu de l’améliorer. En réalité, les racines des légumineuses favorisent au plus haut degré la fixation de l’azote atmosphérique sur la terre végétale (voir pages 107 à 111), et la dose d’azote ainsi fixée surpasse de beaucoup les besoins de la récolte. Quant aux autres principes nutritifs que celle-ci réclame, elle les prend non pas à la couche arable, mais aux couches profondes : là les radicelles se développent abondamment, absorbant l’acide phosphorique, la potasse, la chaux, les produits sulfurés, nécessaires au développement de la plante. Des racines très riches en matières minérales remplissent le sol et y demeurent avec les bases des tiges et les débris de feuilles, quand on enlève la récolte. La couche arable se trouvera donc enrichie de tous ces débris et par suite sera non seulement très bien pourvue d’azote, mais encore assez bien munie d’acide phosphorique, de potasse, de chaux, en proportions qui équivalent à une fumure abondante. Cette couche sera très apte à nourrir une culture de céréales et celle-ci sera bien plus prospère que si le sol avait porté des céréales ; elle le sera même plus que si la terre était demeurée inoccupée.

Ces faits, consacrés depuis longtemps par la pratique agricole, ont été établis d’une manière irréfutable par un grand nombre d’observations rigoureuses : une culture de trèfle ou de luzerne équivaut à une véritable fumure, surtout riche en principes azotés.

Les cultures de luzerne, poursuivies pendant plusieurs années, laissent la terre pour ainsi dire saturée d’azote[2] ; sur les défrichements, les froments sont souvent, par excès de nutrition azotée, exposés à verser : aussi commence-t-on d’ordinaire par y semer de l’avoine.

Pendant que le sol arable ainsi enrichi nourrit des récoltes successives de céréales, les couches inférieures accumulent peu à peu des principes nutritifs assimilables ; quelques racines profondes des graminées nourries par la surface, y pénètrent et y constituent une vraie fumure. Le sous-sol bénéficiera de la culture du sol en céréales, comme le sol profite de celle du sous-sol, pendant le développement des légumineuses fourragères.

La pratique ne saurait négliger cette ressource précieuse, et le plus grand nombre des assolements rationnels comprennent des légumineuses, l’ordre et le choix des cultures variant beaucoup, selon les climats et aussi selon les conditions économiques de chaque exploitation.

Malheureusement, à cause même de leurs aptitudes spéciales, les légumineuses ne peuvent s’adapter à toutes les terres ; celles-ci doivent non seulement être bien pourvues de chaux, de potasse, et d’acide phosphorique, mais aussi être perméables et profondes.

En résumé, un assolement bien combiné a pour résultat principal l’exploitation simultanée des richesses nutritives du sol arable et des couches profondes de la terre. Néanmoins si on enlève constamment les récoltes, sans jamais restituer aucun engrais, il adviendra nécessairement un appauvrissement du champ ainsi cultivé sans relâche, et quoique bien plus lent que dans la culture continue toujours identique, cet appauvrissement finira par entraîner une diminution notable du rendement des récoltes. Il faudra donc, en général, s’opposer à cet affaiblissement en restituant au sol en tout ou en partie, ce qu’on lui a enlevé par la culture. C’est ce que l’emploi des engrais permet de réaliser.



  1. a, b et c Les plantes sarclées figurent dans ce tableau en caractères italiques. Les plantes améliorantes sont inscrites en lettres capitales.
  2. Voir page 104 (note).