Leçons sur le calcul des fonctions/Leçon 02

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LEÇON DEUXIÈME.

Sur le développement d’une fonction d’une variable, lorsqu’on attribue un accroissement à cette variable. Loi générale de ce développement. Origine des fonctions dérivées. Différents ordres de ces fonctions. leur notation.

Considérons une fonction d’une variable quelconque Si à la place de on substitue étant une quantité quelconque indéterminée, elle deviendra et, par la théorie des séries, on pourra la développer en une suite de cette forme

dans laquelle les quantités coefficients des puissances de seront de nouvelles fonctions de dérivées de la fonction primitive et indépendantes de la quantité

Il est clair que la forme des fonctions dépendra uniquement de celle de la fonction donnée et l’on déterminera aisément ces fonctions, dans les cas particuliers, par les règles de l’Algèbre ordinaire, en développant la fonction dans une série ordonnée suivant les puissances de

Cette dérivation des fonctions est une opération plus générale que l’élévation aux puissances et l’extraction des racines, et les principaux problèmes d’Analyse, de Géométrie et de Mécanique en dépendent, comme on l’a montré dans la Théorie des fonctions analytiques.

Mais, pour ne rien avancer gratuitement, nous commencerons par examiner la forme même de la série qui doit résulter du développement de toute fonction lorsqu’on y substitue au lieu de et que nous supposons ne devoir contenir que des puissances entières et positives de Cette supposition se vérifie en effet par le développement des différentes fonctions connues ; mais personne, que je sache, n’avait cherché à le démontrer a priori, ce qui me paraît néanmoins d’autant plus nécessaire qu’il y a des cas particuliers où elle peut ne pas avoir lieu.

Je vais d’abord démontrer que, dans la série qui résulte du développement d’une fonction il ne peut se trouver aucune puissance fractionnaire de à moins qu’on ne donne à des valeurs particulières.

En effet, il est clair que les radicaux de ne pourraient venir que des radicaux renfermés dans la fonction même et il est clair, en même temps, que la substitution de au lieu de ne pourrait ni augmenter ni diminuer le nombre des radicaux, ni en changer la nature, tant que et seront des quantités indéterminées. D’un autre côté, on sait, par la théorie des équations, que tout radical a autant de valeurs différentes, ni plus ni moins, qu’il y a d’unités dans son exposant, et que toute fonction irrationnelle a par conséquent autant de valeurs différentes qu’on peut faire de combinaisons des différentes valeurs des radicaux qu’elle renferme. Donc, si le développement de la fonction pouvait contenir un terme de la forme la fonction serait nécessairement irrationnelle, et aurait par conséquent un certain nombre de valeurs différentes, qui serait le même pour la fonction ainsi que pour son développement. Mais ce développement étant représenté par la série

chaque valeur de se combinerait avec chacune des valeurs du radical de sorte que la fonction développée aurait plus de valeurs différentes que la même fonction non développée, ce qui est absurde.

Cette démonstration est générale et rigoureuse, tant que et demeurent indéterminés. Elle cesserait de l’être, si l’on donnait à des valeurs déterminées ; car il serait possible que ces valeurs détruisissent quelques radicaux dans qui pourraient néanmoins subsister dans Nous examinerons à part ces sortes de cas et les conséquences qui en résultent.

Nous venons de voir que le développement de la fonction ne saurait contenir en général des puissances fractionnaires de il est facile de voir aussi qu’il ne pourra contenir non plus des puissances négatives de

Car, si parmi les termes de ce développement il y en avait un de la forme étant un entier positif, en faisant ce terme deviendrait infini ; donc la fonction devrait devenir infinie lorsque par conséquent, il faudrait que devînt infinie, ce qui ne peut avoir lieu que pour des valeurs particulières de

Nous sommes donc assurés que, exprimant une fonction quelconque de x, la fonction peut, généralement parlant, se développer en une série de cette forme

dans laquelle seront de nouvelles fonctions de dérivées de la fonction primitive

Quoique la forme de ces fonctions dérivées dépende essentiellement de celle de la fonction primitive, il règne néanmoins entre elles une loi générale que nous allons exposer.

Supposons que l’indéterminée soit changée en étant une quantité quelconque indéterminée, et indépendante de il est visible que la fonction deviendra et l’on voit en même temps que l’on aurait le même résultat, si l’on mettait, dans à la place de Donc aussi le résultat sera le même, soit qu’on substitue à la place de ou à la place de dans la série qu’on suppose égale à la fonction

La substitution de au lieu de dans cette série, donnera

savoir, en développant les puissances de et n’écrivant, pour abréger, que les deux premiers termes de chaque puissance, parce que la comparaison de ces termes suffit pour notre objet,

Pour faire maintenant la substitution de au lieu de dans la même série, nous observons que, puisque la fonction devient lorsqu’on change en elle deviendra en y changeant en De même, si sont ce que deviennent les fonctions lorsqu’on y substitue au lieu de et qu’on les développe suivant les puissances de on aura, en changeant en

pour les développements des mêmes fonctions après la substitution de au lieu de

Donc, par cette substitution, la série deviendra, en omettant les termes qui contiendraient le carré et les puissances plus hautes de

Ce résultat doit être identique avec le précédent, indépendamment des valeurs de et de qui peuvent être quelconques ; il faudra donc que les termes affectés des mêmes puissances et produits de et soient identiques en particulier. Ainsi on aura les équations identiques

d’où l’on tire

Dénotons en général par la fonction dérivée de la fonction en mettant un accent à la caractéristique pour indiquer la dérivation de la fonction. Dénotons de même par la fonction dérivée de la fonction en ajoutant un accent à la caractéristique de la fonction d’où elle est dérivée. Dénotons pareillement par la fonction dérivée de x), et ainsi de suite.

Ces fonctions ne seront autre chose que les coefficients de dans les premiers termes des développements des fonctions

On aura ainsi et comme est la fonction dérivée de on aura et, par conséquent, Ensuite, étant la fonction dérivée de on aura et, par conséquent, et ainsi de suite.

Donc, substituant ces expressions dans la série

qui est le développement de on aura cette formule fondamentale

Cette expression du développement de a l’avantage de faire voir comment les termes de la série dépendent les uns des autres, et surtout comment, lorsqu’on sait former la première fonction dérivée d’une fonction primitive quelconque, on peut former toutes les fonctions dérivées que la série renferme.

Nous appellerons la fonction fonction primitive, par rapport aux fonctions qui en dérivent ; et nous appellerons celles-ci fonctions dérivées, par rapport à celle-là. Nous nommerons de plus la fonction dérivée première fonction dérivée, ou fonction dérivée du premier ordre, ou simplement fonction prime ; la fonction dérivée de celle-ci, seconde fonction dérivée, ou fonction dérivée du second ordre, ou simplement fonction seconde ; la fonction dérivée de la précédente, troisième fonction dérivée, ou fonction dérivée du troisième ordre, ou simplement fonction tierce, et ainsi de suite.

Mais nous entendrons toujours par fonction dérivée simplement la première fonction dérivée, et par fonction primitive celle d’où elle est censée dérivée. Nous leur donnerons aussi quelquefois, pour plus de simplicité, le simple nom de dérivées ou de primitives.

Si la fonction primitive n’est pas représentée par la caractéristique mais par une autre variable, comme lorsqu’on suppose fonction de donnée par une équation quelconque entre et alors on pourra dénoter de même ses fonctions dérivées par des accents ou traits appliqués la lettre et les appeler simplement prime, seconde, tierce, etc.

Ainsi, étant regardée comme une fonction quelconque de ses fonctions dérivées seront représentées par de sorte que, étant la fonction primitive, sera sa fonction dérivée du premier ordre, ou fonction prime, sera la fonction dérivée du second ordre ou fonction seconde, etc., et on les nommera prime, seconde, etc.

De cette manière, devenant la valeur de deviendra

En général, si l’on a une expression quelconque en on pourra désigner ses fonctions dérivées par des traits appliqués à la même expression renfermée entre deux parenthèses. Ainsi

représentera la première fonction dérivée de l’expression

et

représentera la seconde fonction dérivée de la même expression, et ainsi de suite.

Et, si l’on a une fonction de plusieurs variables, exprimée en général par on dénotera ses fonctions dérivées relatives à toutes ces variables, en appliquant un, deux, … traits à la caracristique ainsi dénotera sa fonction prime, sa fonction seconde, etc.

Quoique les fonctions dérivées doivent leur origine au développement de la fonction primitive lorsqu’on augmente la variable d’une quantité quelconque on voit qu’elles sont indépendantes de cette même quantité qui ne sert, pour ainsi dire, que comme un outil pour former ces fonctions. Ainsi, dès qu’on aura trouvé, par la considération du premier terme du développement, des règles générales pour passer d’une fonction primitive à la fonction dérivée, on pourra faire abstraction de tout développement, et regarder la dérivation des fonctions comme une nouvelle opération d’Algèbre plus générale et d’une beaucoup plus grande étendue que l’élévation aux puissances.

Ceux qui savent le Calcul différentiel n’auront pas de peine à se convaincre que les fonctions dérivées reviennent aux quantités qu’on désigne dans ce Calcul par

et ainsi des autres expressions semblables.


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