Le « Cas » de Lamennais

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Le « Cas » de Lamennais
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 112-149).
LE « CAS » DE LAMENNAIS

On ne cesse d’écrire sur lui, et l’on ne parvient pas à le comprendre. Y parviendra-t-on jamais ? Verra-t-on jamais parfaitement clair au fond de cette âme obscure ? Je voudrais, à la lumière de récentes publications, analyser, avec toute la précision dont je puis être capable, ce que je crois pouvoir appeler le « cas » de Lamennais.


I

Si j’avais à dénombrer et à apprécier ici tous les travaux dont l’auteur des Paroles d’un croyant a été l’objet, depuis qu’en 1893 Brunetière prenait prétexte des ouvrages de Spuller et du P. Roussel pour lui consacrer un vigoureux article, il me faudrait de très longues pages. Un érudit breton dont tous les « mennaisiens » sont tributaires, M. l’abbé Duine, a publié naguère, de 1907 à 1914, dans les Annales de Bretagne, une fort précieuse bibliographie de Lamennais : il y relève cent trente titres de livres, d’opuscules ou d’articles sur son héros, et il n’est certainement pas complet ; les livres proprement dits sont au nombre d’une vingtaine, et il en est bien peu qui soient entièrement négligeables. Il faut avouer qu’ils sont assez rares les grands écrivains qui, plus d’un demi-siècle après leur mort, font encore lever, en un aussi court espace de temps, — sept années seulement, — une aussi abondante « littérature. »

Remontons jusqu’à 1893, et indiquons brièvement, en essayant de les classer, l’intérêt des principaux travaux parus depuis lors sur Lamennais.

Quand un écrivain comme l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence a, durant sa vie, noirci beaucoup de papier, il est inévitable qu’après sa mort son œuvre publique s’enrichisse encore de nombreuses pages inédites. On recueille d’abord sa Correspondance, et si l’écrivain se trouve avoir été, comme Lamennais, un correspondant régulier et infatigable, — il écrivait souvent plus de dix lettres par jour, — c’est là une tâche qui n’est pour ainsi dire jamais terminée. Aux cinq ou six recueils que nous possédions en 1892 sont venues s’ajouter successivement, — je ne parle que des ouvrages, — les lettres à Eugène Boré[1], à Benoit d’Azy[2], à Montalembert[3], à David Richard[4], à la baronne Cottu[5], et à divers correspondants que, tout récemment, le P. Roussel a groupées en un volume[6]. Le P. Roussel, à qui nous devons d’ailleurs plusieurs de ces publications, mérite une place à part parmi les « mennaisiens » d’aujourd’hui. La gloire de Lamennais est pour lui comme un patrimoine de famille, et, dans l’intervalle de ses travaux sur le Bouddhisme, il ne se lasse pas de revenir sur un sujet qui lui tient au cœur, et de publier les lettres ou documents mennaisiens qui Sont venus entre ses mains : c’est ainsi que, non content de nous avoir encore donné, il y a quelques années, un intéressant volume sur Lamennais à La Chênaie[7], il se propose de nous faire prochainement connaître un choix des principales lettres reçues par Lamennais de correspondants ignorés au cours de sa carrière ; et nul doute que ce livre ne nous aide à mieux comprendre, et à saisir en quelque sorte sur le vif la nature et le degré de l’action que la parole de l’ardent écrivain exerçait sur les âmes.

C’est une leçon du même genre que l’on peut tirer du volume où M. Camille Latreille a recueilli les lettres du marquis de Coriolis à Lamennais[8]. Les lettres de Lamennais avaient été publiées par Forgues ; nous sommes bien aises aujourd’hui d’avoir les réponses de Coriolis. Si intéressantes, et même essentielles, que soient les lettres d’un grand écrivain, elles ne s’expliquent bien, et complètement, que si l’on connaît les lettres auxquelles elles répondent. Toute correspondance véritable est un dialogue : elle perd un peu de son vrai sens à être réduite à l’état de monologue perpétuel. et Lamennais l’avait si bien compris qu’il avait fait faire une copie des lettres échangées entre Coriolis et lui-même, et qu’il se proposait de les publier. M. Latreille a réalisé son vœu. Il avait auparavant édité les Souvenirs de Jeunesse de Charles Sainte-Foi (Eloi Jourdain)[9], qui fut quelque temps, à la Chesnaie et à Malestroit, le disciple de Lamennais, et qui a écrit sur son ancien maître et sur l’école qu’il avait fondée des pages très vivantes, très clairvoyantes et d’une extrême importance, il eût été fâcheux que ce témoignage, qu’on avait déjà plus d’une fois invoqué, ne nous parvint pas dans son intégrité.

Les mémoires et correspondances ne sont pas les seuls documents qu’on puisse exhumer sur un écrivain disparu. L’examen de ses papiers, de ses notes, des livres de sa bibliothèque, le dépouillement des archives publiques ou privées peuvent fournir de précieux renseignements sur sa vie, son œuvre ou sa pensée. Sans négliger les autres sources d’information, deux érudits, M. l’abbé Duine et le P. Dudon, ont de leur mieux puisé à celles-ci, et leur étiquète, plus d’une fois, a été des plus fructueuses. Nous retrouverons tout à l’heure le P. Dudon. Dans ses nombreux articles sur tel ou tel point particulier de la biographie ou de l’œuvre de Lamennais, M. Duine a fixé avec la dernière précision des détails souvent importants, toujours instructifs. Il a fait presque mieux encore : dans un volume de Pages choisies de Lamennais[10], qui semblait, par son objet même, ne devoir être qu’un simple ouvrage de vulgarisation, il a trouvé le moyen d’utiliser des imprimes rares, des documents inédits, et de ramasser nombre d’indications positives qu’on ne saurait trouver ailleurs : de telle sorte que les spécialistes les plus avertis ne consulteront pas sans profit ce modeste livre. Si M. Duine voulait reprendre et développer un peu l’étude biographique et bibliographique qu’il a placée en tête de ces Pages choisies, il nous donnerait peut-être la « monographie » la plus précise et la plus complète que nous ayons encore sur l’auteur des Affaires de Rome.

À ces travaux d’ordre un peu fragmentaire il en faut joindre d’autres d’un caractère plus général où l’on s’est efforcé d’embrasser d’un regard d’ensemble tel aspect particulier de son œuvre ou de sa personne morale. Tel est, par exemple, le volume où M. Anatole Fougère a étudié avec infiniment de conscience, de scrupule et de méthode Lamennais avant l’ « Essai sur l’indifférence »[11] : sur ces longues années de formation et d’apprentissage, toujours si importantes pour le développement ultérieur, M. Fougère nous a apporté quelques documents inédits : surtout il a essayé, en utilisant et en interprétant tous les documents, tous les textes alors connus, de projeter sur l’évolution morale et religieuse de son héros toute la lumière possible ; on a, depuis, repris et complété son enquête ; on ne l’a pas fait oublier. Enfin, — et tous ceux qui ont étudié d’un peu près Lamennais savent quelle est l’importance d’un pareil service, — M. Fougère a dressé un inventaire extrêmement complet de la Correspondance générale recueillie ou dispersée de son auteur ; il ne s’est d’ailleurs pas contenté de grouper et de disposer dans l’ordre chronologique une série d’indications bibliographiques ; quand les lettres par lui signalées sont difficilement accessibles au commun des lecteurs, il en donne de rapides analyses, et en cite les passages essentiels : de tulle sorte qu’il nous fournit tout à la fois un excellent instrument de travail et comme un inappréciable supplément à la Correspondance générale du grand écrivain. On ne remerciera jamais trop l’ingénieux érudit de la peine qu’il a prise pour épargner la nôtre.

C’est un autre côté de Lamennais qu’après diverses études fragmentaires le P. Dudon s’est efforcé de préciser et d’éclaircir. Le titre même de son livre, Lamennais et le Saint-Siège[12], dit assez nettement la question, du reste capitale, qui l’a préoccupé. Il a contrôlé et complété les documents connus à l’aide des documents inédits empruntés notamment aux archives du ministère des Affaires étrangères, et surtout à celles du Vatican, qu’il a été le premier à consulter. Son enquête a fait surgir bien des faits nouveaux, versé aux débats bien des pièces essentielles : si le sujet n’est peut-être pas définitivement traité, il est du moins en grande partie renouvelé. On voudrait seulement pouvoir rassurer pleinement le P. Dudon sur les inquiétudes qu’il éprouve, et que trahit sa Préface, touchant l’impartialité dont il essaie de ne se point départir. Or, il n’est pas tendre pour Lamennais, et il prodigue un peu bien aisément à ce grand vaincu les traits d’une ironie aussi facile qu’inutile. De plus, il ne saurait admettre que jamais aucun membre de la Compagnie de Jésus ait pu avoir le moindre tort envers l’auteur de l’Indifférence, ni qu’aucun agent du Saint-Siège ail jamais pu commettre à son égard la moindre maladresse. Sur tous ces points, le P. Dudon a des certitudes, — des certitudes a priori, — qu’il ne fera pas, j’en ai peur, partager à tout le monde. Mais il suffit qu’on soit prévenu pour retirer de ses consciencieux travaux tout le sérieux profit qu’ils promettent.

Bien qu’il reste assurément du nouveau à trouver et à dire sur Lamennais, le détail de sa vie et de son œuvre est assez connu pour que l’on puisse déjà tenter une étude d’ensemble. Déjà, en 1895, le P. Mercier avait élégamment résumé dans un bon livre de vulgarisation[13] les principaux résultats alors acquis. Depuis lors, deux ouvrages plus considérables de synthèse ont été entrepris, et l’un d’eux même, celui de M. l’abbé Boutard, est aujourd’hui achevé[14]. Les trois volumes de l’abbé Boutard sont intéressants, généralement bien informés, écrits avec une certaine chaleur oratoire qui n’est pas sans agrément. L’auteur a le désir, louable et presque toujours heureux, d’être impartial. « Ici, point de thèse, écrit-il, ni de conclusions arrêtées d’avance ; mais un récit exact des faits, et un exposé aussi consciencieux que possible des doctrines. » Peut-être lui manque-t-il une certaine curiosité d’érudition et de psychologie que nous exigeons d’avance, pour ainsi dire, en un admirable sujet auquel a louché Sainte-Beuve. Et l’on pourrait aussi relever, surtout dans son premier volume, des inexactitudes, des inadvertances ou des méprises. Mais ils sont assez rares, avouons-le, les ouvrages de très longue haleine dont on ne puisse en dire autant.

Il faut rendre cette justice au dernier et au plus considérable des historiens de Lamennais, à M. Christian Maréchal, qu’il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour échapper aux reproches que l’on était parfois en droit d’adresser à ses prédécesseurs. Il a eu un sentiment très vif de l’intérêt et de la complexité de son sujet, des difficultés qu’il comporte, de la diversité des qualités ou des dons qu’il exige. Il a compris que pour le traiter idéalement, si l’on peut ainsi dire, il fallait être tout ensemble érudit et critique, psychologue, philosophe, — et écrivain ; et il a été, il s’est efforcé d’être du moins tout cela à la fois. Tout d’abord, avant d’aborder son sujet en face, il a, par une série de travaux d’approche, essayé de l’investir ; et, sans parler de diverses publications de textes ou de correspondances, il nous a donné une suite de curieuses et savantes études sur les rapports de Lamennais avec Sainte-Beuve, Victor Hugo et Lamartine[15]. Il s’est laissé, chemin faisant, séduire par la grande figure du poète des Méditations, et il a réédité le Voyage en Orient et Jocelyn[16], d’après les manuscrits originaux. Entre temps, il avait retrouvé et reconstitué, d’après les cahiers de notes des disciples de Lamennais à Juilly, la première version de l’Esquisse d’une philosophie, version qui, datant de 1830, s’intitulait alors Exposé d’un système de philosophie catholique[17]. Et voici enfin qu’à la veille de la guerre, en même temps qu’un copieux et très érudit ouvrage sur la Famille de Lamennais sous l’ancien régime et la Révolution[18], il a commencé à livrer au public la grande œuvre de synthèse historique à laquelle il travaillait depuis quinze ans. Par l’abondance des documents nouveaux qu’il met en œuvre, et des idées générales qu’il soulève, par le talent d’écrivain qu’il dénote, ce premier volume sur la Jeunesse de Lamennais[19] s’imposera longtemps à l’attention des « mennaisiens, » de ceux-là même qui seraient le plus tentés de le discuter, ou de le refaire.

Car le livre, avec certaines parties probablement définitives, En a d’autres plus discutables. Œuvre d’un philosophe de profession, plus peut-être que d’un critique ou d’un historien, on lui souhaiterait une allure moins systématique, plus souple, plus conforme au libre mouvement de la vie. La forme même en a quelque chose d’un peu tendu qui ne laisse pas assez transparaître les remarquables qualités littéraires du biographe. Si, dans ces développements trop compacts, l’air et la lumière circulaient plus librement, comme les ingénieuses et vives formules, comme les jolis coins de description, comme les pages de chaude émotion ou de fine analyse auraient plus de relief ou d’agrément ! D’autre part, M. Maréchal a trop souvent cédé au désir, bien naturel, mais fort dangereux, d’utiliser dans le dernier détail les inédits qu’il avait en mains : de là bien des longueurs, et des inutilités qu’on aurait gagné à nous épargner. Ajoutez à cela que tous ces documents nouveaux, dont nous sommes très loin de faire fi, ne sont pas toujours peut-être interprétés avec toute la rigueur souhaitable. À chaque instant, nous rencontrons des textes intéressants, mais non datés, et l’auteur néglige de nous dire les raisons qu’il a de les dater d’une époque plutôt que d’une autre. Nous l’en croirions bien volontiers sur parole, si quelquefois, quand nous pouvons vérifier, nous ne constations quelque arbitraire dans l’interprétation des faits ou des textes allégués[20]. Et enfin, il arrive parfois à M. Maréchal d’exagérer, de pousser jusqu’à l’extrême et au paradoxe ses idées les plus justes. Son sous-titre : Contribution à l’étude des origines du Romantisme religieux en France au XIXe siècle, nous révèle la conception particulière qu’il se forme de la personne de Lamennais et de son rôle historique. Pour lui, Lamennais est un romantique, — terme un peu vogue, et dont je voudrais bien une définition nette, — un disciple invétéré de Rousseau. Or, il y a du vrai, beaucoup de vrai, dans cette conception ; mais encore faut-il ne pas la convertir en idée fixe. À bien des égards, Lamennais dépasse et déborde le romantisme, et l’influence de Rousseau sur lui n’est pas aussi prépondérante et tyrannique que M. Maréchal voudrait nous le faire croire. « C’est la faute à Rousseau » est un mot que M. Maréchal, s’il ne le prononce pas, a toujours dans l’esprit et sous la plume pour la moindre des démarches de son héros. Est-il donc bien certain que, si Lamennais n’avait jamais connu Rousseau, il eût été très différent de ce qu’il a été ? J’en suis, pour ma part, moins sûr que lui… Mais je n’ai garde d’insister, et ces quelques observations critiques ne doivent pas donner le change sur l’estime singulière où il faut tenir cette vaste, savante et originale enquête, dont nous attendons la suite avec confiance et impatience, et sur laquelle nous aurons sans doute plus d’une fois à revenir.

De tous ces divers travaux, j’en voudrais retenir trois principalement : la grande étude de M. Maréchal sur la Jeunesse de Lamennais, le livre du P. Dudon sur Lamennais et le Saint-Siège, et la Correspondance avec Mme Cottu, publiée par M. d’Haussonville. Ces trois ouvrages vont nous permettre, si je ne me trompe, de saisir et de fixer en quelque sorte l’auteur des Paroles d’un Croyant dans trois attitudes différentes, mais essentielles, de sa biographie morale.


II

Le livre de M. Maréchal pose une double question qui intéresse au plus haut degré la psychologie du grand écrivain : celle de sa conversion et celle de sa vocation. Essayons de serrer l’une et l’autre d’aussi près que nous le pourrons.

Un fait d’abord est sûr : le futur auteur de l’Essai sur l’indifférence a débuté par l’incrédulité, et il s’est converti, il a fait sa première communion à vingt-deux ans.

On a essayé d’atténuer, et même de nier le fait, sans succès selon moi. On oublie le témoignage formel, — et du plus en plus formel[21], — de Sainte-Beuve, qui écrivait du vivant, presque sous les yeux de Lamennais, et qui n’a pas été démenti par lui, le témoignage non moins formel de son neveu Ange Blaize. Je ne vois aucune raison valable pour ne pas accepter purement et simplement une tradition aussi solidement établie. Déjà nourri des philosophes du XVIIIe siècle, surtout de Jean-Jacques, l’enfant fit tant d’objections au prêtre chargé de le préparer à sa première communion qu’on ajourna la réception du sacrement, et ce n’est qu’au bout de dix ans qu’il en vint, — qu’il revint plutôt, — à la croyance et à la pratique religieuses.

Car sa première enfance avait été pieuse, très pieuse même ; ses camarades le surnommaient « le petit bigot, » et il n’est pas douteux, pour lui comme pour Chateaubriand, que ce sont ces souvenirs de piété enfantine qui lui sont remontés au cœur quand, en 1804, il revint à la foi. Mais entre dix et onze ans, son père, qui ne paraît pas avoir attaché à ces questions-là beaucoup d’importance, l’ayant confié à son beau-frère, le naïf et imprudent oncle des Saudrais, celui-ci, — candeur ou manie pédagogique à la Rousseau, — laissa vagabonder l’enfant dans une bibliothèque où abondaient les écrits philosophiques du XVIIIe siècle. Félicité dévora tout ce qui lui tombait sous la main, et quoique Sainte-Beuve nous déclare qu’il n’en ait alors « rien conclu contre la religion » et que « sa dévotion continuât d’être pure, » on est bien obligé de constater, de l’aveu même de Sainte-Beuve, que ce sont ces lectures et les raisonnements qu’il y avait puisés qui firent écarter le précoce disputeur de la première communion.

Jusqu’où l’entraina cette première crise d’incroyance ? C’est ce qu’il est assez difficile de dire en l’absence de tout témoignage direct et personnel. « En 1796 ou 1797, écrit Sainte-Beuve, — il avait donc quatorze ou quinze ans, — il envoyait au concours de je ne sais quelle Académie de province un discours dans lequel il combattait avec beaucoup de chaleur la moderne philosophie, et qu’il terminait par un tableau animé de la Terreur. » On n’a pas retrouvé ce discours. Mais M. Maréchal a retrouvé un petit écrit de Robert des Saudrais, intitulé : les Philosophes, que Blaize. date de 1802, et auquel les deux frères Jean-Marie et surtout Félicité, — dans quelle mesure exacte, on l’ignore, — semblent bien avoir collaboré : c’est un manifeste contre les « philosophes, » un essai, inspiré de Rousseau et de Pascal, pour démontrer l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. « L’âge des emportements et des passions survint, — écrit encore Sainte-Beuve ; — il (Félicité) le passa, à ce qu’il paraît, dans un état non pas d’irréligion (ceci est essentiel à remarquer), mais de conviction rationnelle sans pratique. Le christianisme était devenu pour le bouillant jeune homme une opinion très probable qu’il défendait dans le monde, qu’il produisait en conversation, mais qui ne gouvernail plus son cœur ni sa vie. Ce retour imparfait n’eut lieu toutefois qu’après un premier chaos et au sortir des doutes tumultueux qui avaient pour un temps prévalu. » Ces indications ne laissent pas d’être un peu vagues et obscures, et l’on voudrait bien pouvoir préciser davantage. Si l’on rapproche et si l’on essaie d’interpréter ces diverses données, voici, sur ce point délicat, ce qui paraît le plus probable. Entre 1792 et 1802. sous l’influence des « philosophes, » notamment de Rousseau, — et de l’oncle des Saudrais, — Lamennais s’est détaché du christianisme, d’abord progressivement, doucement, et comme à son insu, puis plus violemment, mais sans jamais, si je ne me trompe, dépasser, dans ses négations, celles qui constituent le fonds doctrinal du déisme. Beaucoup d’inconséquences, j’imagine, dans tout cela, et, sous la pression des événements publics, à la vue de certaines scènes de la Terreur, quelques prises d’armes contre les « philosophes, » et même certains retours chrétiens passagers, bref, quelque chose comme l’état d’esprit troublé et contradictoire que Chateaubriand, vers la même époque, traduisait dans son curieux Essai sur les Révolutions. Et peu à peu, sous l’action sans doute croissante du futur abbé Juan, cette âme orageuse s’apaise : elle entrevoit et, au besoin même, elle défend la probabilité théorique du christianisme : cet état de « conviction rationnelle sans pratique, » c’est, probablement, l’indifférence religieuse qu’elle condamnera si éloquemment plus tard.

Les choses en étaient là quand parut le Génie du Christianisme. Nous sommes bien aises d’apprendre par M. Maréchal que Félicité le lut avec passion et l’annota dès le moment de son apparition ; mais le contraire nous eût bien surpris ; comment un livre de cette valeur, sur un pareil sujet, écrit par un compatriote, aurait-il pu passer inaperçu d’un esprit curieux, et qu’on devine très préoccupé alors de la question religieuse ? Est-ce Chateaubriand qui, par ses belles pages sur Pascal, inspira à son jeune lecteur le désir de lire, ou plutôt de relire le grand écrivain ? M. Maréchal n’en doute guère, et il est possible qu’il ait raison. En tout cas, c’est en 1802, — M. Duine nous l’affirme, pièces en mains, — que Lamennais se nourrit des Pensées et en fait des extraits. Et, — conséquence naturelle de ces lectures, ou simple développement logique d’une tendance particulière d’esprit, — M. Maréchal a retrouvé des articles inédits signés de lui, et datant de 1803 et de 1804, sur les Indulgences, sur la Réception de Parny, et où déjà l’impatient journaliste se transforme en apologiste

Et cependant, il n’est pas converti, il n’a pas la foi. Évidemment, il est ébranlé, mais il hésite sur le seuil du temple. D’où lui viendra l’impulsion définitive, la volonté ferme de mettre sa vie d’accord avec ses idées, et presque ses croyances, de suivre, en un mot, sur l’ « abêtissement » nécessaire, les mystiques conseils du pari de Pascal ? Selon toutes les vraisemblances, de son propre frère, l’abbé Jean, qui, ordonné prêtre au mois de mars 1804, ne pouvait avoir de cesse qu’il ne l’eût « regagné à Dieu : » au reste, le témoignage de l’abbé Brulé est formel sur ce point. Quelques mois après, « Feli » faisait sa première communion.

Nous connaissons encore une fois trop mal tout le détail de ces démarches intimes pour avoir le droit de les juger avec quelque rigueur. et c’est dommage, car on pressent que ce premier Lamennais nous éclairerait singulièrement le second. Est-il pourtant bien téméraire de présenter, à propos de cette évolution religieuse, les observai ions suivantes ? Et d’abord, parmi les troubles, les incertitudes et les incohérences de cette longue période d’incroyance, il ne semble pas, comme pour Pascal ou Chateaubriand, par exemple, qu’il y ait eu de « crise » à proprement parler, — une de ces crises douloureuses et fécondes d’où l’âme sort totalement transformée. D’autre part, ce mouvement qui, après avoir détaché Lamennais du catholicisme, l’y ramène progressivement, c’est le mouvement même de la pensée contemporaine, et l’on sait qu’à cet égard son cas est alors légion. Bien mieux, c’est dans sa propre famille qu’il trouve des exemples, des exemples contagieux de ces retours : son père, surtout son oncle des Saudrais, qui avaient jadis trempe dans le schisme constitutionnel, reviennent aux « préjugés » d’autrefois. Lamennais a subi toutes ces influences, générales et familiales, comme il a subi celle des livres qu’il a lus ; son histoire morale n’est que l’écho de celle d’alentour. On dirait même, — faut-il aller jusque-là ? — que ses convictions religieuses ne sont pas le prolongement nécessaire de sa vie intérieure, qu’elles ne répondent pas à un besoin profond, impérieux de son âme, qu’elles lui sont comme imposées ou dictées, ou suggérées du dehors, et qu’il les accepte, sur la foi d’autrui, comme un système d’idées plus satisfaisant pour l’esprit que pour le cœur. Ce violent, comme beaucoup de violents, était un faible ; il était peut-être incapable de trouver en lui-même le principe de discipline spirituelle dont sa haute nature lui faisait éprouver la nécessité. Lin dépit des apparences, peu d’hommes ont été plus soumis aux influences, aux circonstances extérieures, et ce dur logicien a peut-être été, plus que le commun des poètes et des artistes, livré aux surprises de sa sensibilité.

C’est pour cette raison sans doute qu’il hésita si longtemps à se ranger au parti qui devait décider de sa vie. Converti à vingt-deux ans, en 1804, ce n’est qu’à trente-quatre ans, en 1816, qu’il fut définitivement ordonné prêtre. Faut-il voir dans cette décision tardive une preuve qu’il obéissait à une vocation factice ? On l’a souvent prétendu. Encore qu’une pareille question, qui touche aux mystères les plus impénétrables de la conscience individuelle, soit dans son fond peut-être insoluble, — elle l’eût été d’abord, et peut-être surtout, pour Lamennais lui-même, — il n’est pas impossible aujourd’hui d’en préciser les données et de fournir à nos intuitions, à nos conjectures, à nos impressions personnelles, une base d’opérations plus solide et plus large que celle sur laquelle, jusqu’à ces dernières années, les critiques fondaient leurs opinions respectives.

Et d’abord, à quelle époque l’idée de la prêtrise a-t-elle surgi dans l’esprit de Lamennais ? Une lettre de l’oncle des Saudrais retrouvée par le P. Roussel et citée par lui dans son livre sur Lamennais et ses correspondants inconnus fait une allusion très claire à ce projet dès le mois de juillet 1806. Je ne serais point étonné qu’il datât du jour ou du lendemain de la conversion. Ce devait être là, — on peut, je crois, le conjecturer sans témérité, — le vœu secret de l’abbé Jean, et, formulé ou non, une âme ardente et généreuse comme celle de Félicité, une âme d’apologiste avant la foi, ne pouvait guère manquer de l’accueillir avec transport. À peine converti, notons-le, Félicité s’associe aux travaux, aux préoccupations, aux études de son frère ; visiblement il se prépare à son œuvre apologétique, en ramassant des matériaux contre les « philosophes : » la première lettre que nous ayons de lui (11 janvier 1806), au baron de Sainte-Croix, est pour reprocher à cet historien son scepticisme en matière de miracles ; son premier écrit public est cet opuscule anonyme des Réflexions sur l’état de l’Église de France au XVIIIe siècle et sur sa situation actuelle (1808), qui fut promptement saisi par la police impériale ; l’année suivante, il publiait une traduction du Guide spirituel du bienheureux Louis de Blois ; et la même année (1809) il recevait les ordres mineurs.

Nous étonnerons-nous qu’il ait mis trois, et peut-être cinq ans à se résoudre à une démarche de cette nature ? M. Maréchal, qui a une double thèse à démontrer, triomphe un peu bien vite là-dessus. Pour lui, Lamennais est un « romantique, » un disciple effréné de Rousseau, et qui, comme tel, ne peut consentir à aliéner, à sacrifier son « moi, » à ensevelir son impérieuse personnalité dans l’ombre et l’humilité du sanctuaire ; il est, de plus, — et je crois bien qu’ici on reprend en l’exagérant une fine et spécieuse observation de M. Henri Bremond, — une âme à la fois assoiffée et privée par nature des joies sensibles du mysticisme, et puisant, dans ses multiples déceptions intérieures, des raisons sans cesse renaissantes de se décourager, d’ajourner les décisions suprêmes. et il faut voir avec quelle terrible ingéniosité M. Maréchal interprète dans ce double sens les moindres déclarations de son héros, et jusqu’à ses plus innocentes traductions. Je vois les choses, pour l’instant, je l’avoue, plus simplement, sous un aspect moins littéraire et moins dramatique. À la veille de sa tonsure, Féli écrit à Brute (17 février 1809) :


Quand je réfléchis sur ma vie passée, sur cette vie toute de crimes que les austérités les plus rigoureuses, la pénitence la plus sévère et la plus longue ne seraient pas suffisantes pour expier, et qu’après cela je viens à considérer mon étal présent, cette tiédeur, cette mollesse, ce poids des sens qui me lasse et qui m’abat, cet amour-propre qui ne se sacrifie jamais qu’à demi et qui renaît sous le couteau même, j’entre dans une frayeur qui n’a que trop de fondement, et je me demande si c’est donc à un malheureux tel que moi de pénétrer dans le sanctuaire, et si je ne devrais pas bien plutôt me tenir prosterné au bas du temple, comme ce pécheur de l’ancienne loi, moins pécheur que moi…


Je m’apitoierais bien volontiers sur cette sainte détresse, si je ne me rappelais des aveux analogues sous la plume de tous les mystiques, de tous les excellents prêtres, — voyez, par exemple, les lettres de Bossuet au maréchal de Bellefonds, — bien mieux, si je n’en retrouvais de semblables sous la plume de l’abbé Jean, lequel pourtant n’a été atteint à aucun degré du « mal de Rousseau. » Lui aussi, écrivant au même abbé Brûlé, parlera de sa « pauvreté, » de sa « faiblesse, » de ses « crimes, » de « toutes les passions encore vivantes au fond de son cœur. » « Lorsqu’il en faut venir, dira-t-il encore, à porter le dernier coup à l’amour-propre, le fond de l’âme se déchire, et le courage manque. » Qu’en conclure, sinon qu’il n’en faut rien conclure pour ou contre le « romantisme » de Lamennais ? Jusqu’ici, son cas est « classique, » parfaitement classique, et les scrupules mêmes qu’il éprouve, le sentiment qu’il a de son indignité personnelle et qu’il exprime d’ailleurs si éloquemment nous seraient, au besoin, une preuve assez forte de la réalité de sa vocation sacerdotale.

Car jusqu’à quel point ces scrupules ne l’ont-ils point, quelque temps, écarté de l’autel ? Ajoutez à cela que, né avec une Imagination mobile, une humeur changeante et un caractère très indécis, étant d’ailleurs venu tard à la foi, et n’ayant pas subi l’entraînement de l’éducation en commun dans un séminaire, on s’explique assez bien qu’il ait, plus qu’un autre, soumis à l’épreuve de la réflexion, de la prière et du temps l’idée de se vouer au sacerdoce. À cette épreuve même il se croyait d’autant plus tenu qu’il prévoyait une opposition sérieuse de la part de son père, lequel fut mis très tard au courant des projets de Félicité et y donna son consentement avec plus de « résignation » que de plaisir. Bref, on s’explique assez bien que, même si l’idée de se faire prêtre lui est venue de bonne heure, Lamennais ait mis cinq ans d’intervalle entre la moment de sa conversion et celui où il se fit conférer les ordres mineurs.

On s’explique moins bien, il faut l’avouer, que sept années se soient encore écoulées avant les engagements suprêmes. Mais qu’on ouvre la Correspondance. À chaque instant, on y trouve des déclarations comme celles-ci : « Sécheresse, amertume, et paix crucifiante, voilà ce que j’éprouve, et je ne veux rien de plus ; la souffrance est mon lit de repos. » Et encore : « Toute liaison et même toute communication avec les hommes m’est à charge ; je voudrais pouvoir rompre avec moi-même… Rien ne me remue, rien ne m’intéresse, tout me dégoûte… Je ne sais sur quoi porter un reste de sensibilité qui s’éteint ; des désirs, je n’en ai plus. J’ai usé la vie ; c’est de tous les états le plus pénible, et de toutes les maladies la plus douloureuse comme la plus irrémédiable. » Et enfin :


La cause première de tous mes maux n’est pas, à beaucoup près, récente ; je portais depuis plusieurs mois le germe de cette mélancolie aride et sombre, dans ce noir dégoût de la vie qui, s’emparant de mon âme peu à peu, finit par la remplir tout entière. Abandonné alors à une accablante apathie, totalement dépourvu d’idées, de sentiments et de ressorts, tout me devient à charge, la prière, l’oraison, tous les exercices de piété, et la lecture, et l’étude, et la retraite, et la société ; je ne tenais plus à la vie que par le désir de la quitter, et mon cœur éteint ne trouvait une sorte de repos léthargique que dans la pensée du tombeau.


Ces crises de sombre tristesse physique et morale sont fréquentes chez lui, et l’on conçoit sans peine qu’elles l’aient, pour un temps, écarté de l’autel. Ce « noir dégoût de la vie » n’est évidemment pas très chrétien. Il a beau chercher à se faire « une âme vraiment résignée, » « s’efforcer d’acquérir cette résignation paisible et amoureuse dans son amertume même, » il n’y parvient guère.

Le plus grave est que « ces défaillances intérieures, ces angoisses, cette agonie de l’âme » obscurcissent pour lui le problème de sa destinée. « Cette pauvre âme, écrit-il, languit et s’épuise entre deux vocations incertaines qui l’attirent tour à tour. Il n’y a point de martyre comme celui-là. » N’allons point pourtant conclure à la légère, comme on l’a si souvent fait, que ces douloureuses hésitations, ces langueurs, ces alternatives d’abattement et d’espoir sont un signe de non vocation sacerdotale. « Epreuves » ou « tentations, » il semble bien tout d’abord que Lamennais ne soit pas le seul prêtre qui, dans ses années de noviciat, ait connu des troubles de ce genre[22]. D’autre part, si le propre d’une âme vraiment sacerdotale est d’être comme obsédée par le problème religieux, par le désir de travailler pour l’Eglise et de lui conquérir de nouvelles âmes, peu d’hommes ont, dès cette époque, mieux répondu à ce signalement que le futur auteur des Paroles d’un croyant. Il s’intéresse passionnément à toutes les œuvres de son frère, il poursuit activement ses études historiques ou théologiques, et souvent, dans les lettres mêmes où il se plaint le plus de ses misères morales, il réclame des livres destinés à compléter son éducation cléricale ; il commence enfin, en collaboration avec l’abbé Jean, un gros ouvrage sur la Tradition de l’Eglise sur l’institution des évêques. Et l’on est bien obligé de lui donner raison quand il écrit en 1811 à l’abbé Jean : « Un désir constant, qui semble résister à tous les obstacles et triompher des répugnances naturelles les plus vives, n’offre-t-il pas un caractère de vocation digne au moins d’être examiné ? »

Aux Cent-Jours, se croyant, à tort ou à raison, menacé par la police impériale pour le livre sur la Tradition, il s’enfuit en Angleterre, où il reste sept mois. C’est là qu’il rencontra l’abbé Carron, cet admirable prêtre qui prit tout de suite sur lui un très grand ascendant et qui triompha de ses dernières hésitations. Car il en éprouva jusqu’au bout, et il parle dans ses lettres de ses « irrésolutions, » de ses « incertitudes, » de « l’extrême répugnance où il se sent à prendre le parti auquel on veut qu’il se résolve. » « Ce n’est assurément pas mon goût que j’ai écouté, dit-il encore, en me décidant à reprendre l’état ecclésiastique. » Et une autre fois : « Mon âme est usée, je le sens tous les jours. Je me cherche et ne me trouve plus. Mais encore une fois, qu’importe ? Je ne m’oppose à rien, je consens à tout : qu’on fasse du cadavre ce qu’on voudra. » Rentré en France, il reçoit le sous-diaconat le 21 décembre 1815 : « Cette démarche m’a prodigieusement coûté, déclare-t-il. Dieu veuille en retirer sa gloire ! » Quelques mois après, vers la fin de février 1816, il recevait le diaconat, et, le 9 mars, la prêtrise : « Il lui a singulièrement coûté, — écrivait à ce propos l’abbé Jean, pour prendre sa dernière résolution. — M. Carron d’un côté, moi de l’autre, l’avons entraîné ; mais sa pauvre âme est encore ébranlée du coup. » Et le 25 juin, Félicité écrivait à son frère la lettre célèbre qu’il faut bien citer ici presque tout entière :


Quoique M. Carron m’ait plusieurs fois recommandé de me taire sur mes sentiments, je crois pouvoir et devoir m’expliquer avec toi une fois pour toutes. Je suis et ne puis qu’être désormais extraordinairement malheureux. Qu’on raisonne là-dessus tant qu’on voudra, qu’on s’alambique l’esprit pour me prouver qu’il n’en est rien, ou qu’il ne tient qu’à moi qu’il en soit autrement, il n’est pas fort difficile de croire qu’on ne réussira pas sans peine à me persuader un fait personnel contre l’évidence de ce que je sens. Toutes les considérations que je puis recevoir se bornent donc au conseil banal de faire de nécessité vertu. Or, sans fatiguer inutilement l’esprit d’autrui, il me semble que chacun peut aisément trouver dans le sien des choses si neuves ; quant aux avis qu’on y pourrait ajouter, l’expérience que j’en ai a tellement rétréci ma confiance, qu’à moins d’être contraint d’en demander, je suis bien résolu à ne jamais procurera personne l’embarras de m’en donner ; et j’en dis autant des exhortations. Ainsi, par exemple, rien au monde qu’un ordre formel ne me décidera jamais à aller demeurer chez M. de Janson. Où que je sois à l’avenir, je serai chez moi, ce chez moi fût-il un grenier. Je n’aspire qu’à l’oubli, dans tous les sens, et plût à Dieu que je pusse m’oublier moi-même ! La seule manière de me servir véritablement est de ne s’occuper de moi en aucune façon. Je ne tracasse personne ; qu’on me laisse en repos de mon côté ; ce n’est pas trop exiger, je pense. Il suit de tout cela qu’il n’y a point de correspondance qui ne me soit à charge. Écrire m’ennuie mortellement, et de tout ce qu’on peut me marquer, rien ne m’intéresse. Le mieux est donc, de part et d’autre, de s’en tenir au strict nécessaire en fait de lettres. J’ai trente-quatre ans écoulés ; j’ai vu la vie sous tous ses aspects, et ne saurais dorénavant être la dupe des illusions dont on essaierait de me bercer encore. Je n’entends faire de reproches à qui que ce soit ; il y a des destins inévitables ; mais si j’avais été moins confiant ou moins faible, ma position serait bien différente. Enfin elle est ce qu’elle est, et, tout ce qui me reste à faire est de m’arranger de mon mieux, et, s’il se peut, de m’endormir au pied du poteau où l’on a rivé ma chaîne ; heureux si je puis obtenir qu’on ne vienne point, sous mille prétextes fatigants, troubler mon sommeil.


Quand on rapproche, comme nous venons de le faire, — à dessein, mais à tort, — tous ces textes les uns des autres, il est bien difficile de se dérober à l’impression que presque tous les critiques ont exprimée, à savoir que Lamennais n’était pas né pour être prêtre, qu’il a eu la main forcée, que ses directeurs se sont lourdement trompés sur son compte, et qu’ils ont assumé une terrible responsabilité devant l’Eglise et devant l’histoire… J’ose ne point partager cet avis, et bien loin d’incriminer la prudence ou la clairvoyance de l’abbé Carron et de l’abbé Jean, de l’abbé Brute et de l’abbé Teyssère, je suis bien plutôt tenté, — avec quelques bons juges, — de leur donner raison. Pourquoi, profanes et incompétents que nous sommes, en des matières si délicates et si complexes, avec les pauvres éléments d’information dont nous disposons, verrions-nous plus clair que de saints et intelligents prêtres ? La « défection » de Lamennais, à laquelle on songe toujours en pareil cas, n’est ici qu’un trompe-l’œil. La défection de Lamennais s’explique par des circonstances et par des raisons toutes particulières, et elle ne l’a pas empêché d’être, quinze ou seize ans durant, un très bon, un excellent prêtre. Trompe-l’œil aussi, j’ai failli dire surtout, ces extraits ingénieusement choisis et artificieusement groupés de lettres du grand écrivain, et qui, — c’est le mieux qu’on en puisse dire, — ne représentent que des moments de sa pensée, et non pas l’état permanent de son âme. Car nous ne connaissons pas toute la correspondance de Lamennais durant cette longue période de douze années : si nous la connaissions tout entière, sommes-nous bien assurés que les quelques lignes qui nous ont frappés par leur caractère d’âpre amertume, et presque de désespérance, ne nous apparaîtraient pas singulièrement plus clairsemées, et comme fondues ou presque noyées dans le cours de beaucoup d’autres préoccupations ? Relisons même à la suite et sans parti pris les quelque cent quatre-vingts lettres qui nous ont été conservées de cette époque de tâtonnements et d’incertitudes ; et avouons que le « noir dégoût de la vie » n’en est pas la note dominante. Il serait facile d’en extraire, parmi bien des détails familiers, des observations piquantes ou moqueuses, de beaux élans d’ardeur mystique et de spiritualité confiante. Plus on étudie Lamennais, et plus on se convainc qu’il était la mobilité même, et qu’on lui ferait le plus grand tort en le fixant ou en le figeant dans une seule attitude morale. Extraordinairement impressionnable, vibrant à tous les souffles du dedans ou du dehors, souvent malade d’ailleurs, doué d’une imagination et d’une sensibilité excessives, c’était avant tout peut-être une âme de poète et d’artiste, — une pauvre âme chantante et flottante de poète et d’artiste dont les sentiments et les paroles ne doivent pas être évalués à la mesure commune.

Je reprends ici une très pénétrante observation d’un fin connaisseur en matière de psychologie religieuse, M. Henri Bremond, dans une fort suggestive étude sur Lamennais[23]. Je suis peut-être moins convaincu que M. Bremond, que l’auteur des Réflexions sur l’Imitation ne fût pas né pour le mysticisme, mais je crois comme lui qu’il était trop écrivain né pour ne pas, à son insu, donner le change à ses lecteurs sur la vraie nature des sentiments qu’il éprouvait. Qu’il ait eu, à de certains moments, pour le sacerdoce, des répugnances, des dégoûts réels, — chose, paraît-il, plus fréquente qu’on ne le pense, dans les vocations même les plus assurées, — c’est ce que je n’ai garde de nier. Mais ces impressions, comme il les déforme peut-être, comme il les exagère en tout cas, et comme il les dramatise en les exprimant ! Comme il se laisse entraîner par sa plume, et attirer et séduire par la forte, brillante et émouvante image qu’il sent venir, et qu’il entrevoit au bout de son développement ! Relisez à cet égard les lettres les plus sombrement désolées de cette période. La lettre même du 25 juin 1816, quand elle ne s’expliquerait pas par les circonstances particulières qu’a si bien analysées M. Maréchal, s’expliquerait encore par le mot qui la termine ; elle a été écrite, n’en doutez pas, — au moins en partie, — pour ce mot même, pour cette saisissante image du « poteau où l’on a rive sa chaîne. » Réduite à ses justes proportions, elle se ramène, ou peu s’en faut, à un violent accès de mauvaise humeur. Mais Lamennais avait, si je puis dire, la mauvaise humeur volontiers tragique, — très romantique en tout cas, et très littéraire.

Dans ces conditions, faut-il blâmer, comme on l’a trop souvent fait, les très bons prêtres qui l’entouraient, qui le voyaient tel qu’il était dans la réalité de la vie quotidienne, qui savaient de lui et sur lui mille choses que nous ne saurons jamais, d’avoir agi sur sa volonté débile, et, convaincus qu’ils étaient de la réalité de sa vocation ecclésiastique, de l’avoir aidé à triompher de ses irrésolutions éternelles ? Je ne le pense pas. Oui, je le sais, l’abbé Jean a écrit : « Je prie le bon Dieu de tout cœur de les éclairer l’un et l’autre ; mais je suis enchanté de n’être pour rien dans cette décision-là. » C’est qu’il était loin de Félicité alors, et qu’il a, comme nous sommes tous tentés de le faire, pris au pied de la lettre telle déclaration farouchement éplorée du pauvre exilé. Mais plus tard, au moment décisif, il a su prendre sa large part des responsabilités communes. Et peut-être tous ensemble, Brulé, Teyssère, Carron et l’abbé Jean, ont-ils vu plus clair qu’on ne veut bien le dire dans le cas de Lamennais, si, après tout, la seule période sa vie où il ait été, je n’ose dire vraiment heureux, — il ne pouvait pas l’être, — mais en tout cas le moins malheureux est sans contredit celle où il a été prêtre.

Seulement, — et peut-être parce qu’ils n’avaient pas l’expérience d’un vrai tempérament de poète, — les amis et les conseillers de Lamennais semblent ne pas s’être assez rendu compte qu’il n’était pas un prêtre « comme tous les autres. » Ils en ont fait un « prêtre libre. » Sous prétexte de le « divertir » de ses humeurs noires, et de faire servir son talent à une sainte cause, ils l’ont plongé dans la controverse, dans la polémique, toutes choses auxquelles il n’avait déjà que trop de pente, et où il risquait de s’exalter et de s’aigrir. Il aurait fallu l’encadrer, l’assujettir à une discipline extérieure, puisqu’il n’en trouvait pas une en lui-même, assagir cette sensibilité exaspérée et régler cette volonté défaillante par la contrainte salutaire d’une vie active et non pas uniquement livresque. À plusieurs reprises, dans sa Correspondance, il manifeste le désir d’entrer dans la Compagnie de Jésus, et l’on s’est, naturellement, beaucoup égayé de cette velléité restée d’ailleurs platonique. Je crains qu’ici encore la raillerie ne soit une forme de l’inintelligence. Je ne suis pas sûr du tout que la règle d’un ordre religieux n’eût pas convenu à cette nature inquiète et maladive. En tout cas, ce que l’on peut bien affirmer, c’est que, fait plutôt peut-être pour obéir que pour commander, la destinée de ce malheureux Lamennais eût été tout autre, s’il avait toujours eu à ses côtés l’abbé Jean ou l’abbé Carron.


III

Franchissons une quinzaine d’années. C’est le moment, décisif et douloureux, de sa rupture avec Rome. Je crois qu’il est trop tôt pour écrire avec toute la précision souhaitable ce douloureux chapitre de l’histoire morale du fougueux écrivain. D’importantes correspondances nous font sans doute encore défaut, et certains côtés de la question ne sont pas suffisamment éclairées pour qu’on puisse, en pleine connaissance de cause, décrire et juger la longue crise d’âme d’où sont sorties les Paroles d’un croyant et les Affaires de Rome. Par exemple, nous aurions besoin de savoir presque par le menu les principales polémiques qui se sont engagées notamment autour de l’Avenir et des décisions pontificales, pour bien comprendre l’exaspération croissante où elles plongèrent Lamennais. J’espère que tous ces éléments d’information seront à notre portée quand M. Maréchal en viendra à cet épisode essentiel de la vaste biographie qu’il a entreprise. En attendant, et quitte à ne pas toujours interpréter comme lui les documents nouveaux qu’il met en œuvre, on ne saurait trop remercier le P. Dudon d’avoir refait à sa manière les Affaires de Rome, et d’avoir projeté une très vive lumière sur un côté capital de la question, en étudiant ! comme il l’a fait les rapports authentiques de Lamennais avec le Saint-Siège.

Lamennais a été en relations personnelles avec deux papes, Léon XII et Grégoire XVI. C’est en 1824 qu’il fit son premier voyage de Rome. Très attaqué, très discuté, il eût été heureux de recevoir quelque marqué d’encouragement et de sympathie de la part de cette autorité suprême qu’il avait défendue avec tant d’ardeur. Léon XII, qu’il vit trois fois, le reçut avec infiniment de bonne grâce et, de l’aveu même de Féli, le « combla de bontés. » Nous ne savons pas quels propos furent échangés dans ces trois audiences ; mais le P. Dudon qui, trop visiblement, voudrait réduire à l’insignifiance les rapports du pontife et du prêtre, conjecture bien gratuitement qu’ils furent « peu importants. » Le pape aurait-il dit de l’auteur de l’Indifférence : « C’est un exalté ; » et encore : « Ce Français est un homme distingué ; il a du talent, de l’instruction, je lui crois de la bonne foi ; mais c’est un de ces amants de la perfection qui, si on les laissait faire, bouleverseraient le monde ! » Ces témoignages de deux cardinaux italiens nous inspireraient plus de confiance, si nous ne les trouvions pas dans les dépêches du chargé d’affaires de France à Rome, le chevalier Artaud, qui n’aimait guère Lamennais. Ce qui est sûr, c’est que Léon XII garda un excellent souvenir de Lamennais ; c’est qu’à plusieurs reprises il se fît donner des nouvelles de l’écrivain français par Ventura, Coriolis, et qu’il chargeait ce dernier avec insistance de « l’assurer de toute son affection ; » c’est qu’il accepta son portrait avec le plus grand plaisir, et le fit mettre à une place d’honneur dans son propre cabinet. Ce qui est sûr encore, c’est que Lamennais, et jusque dans les Affaires de Rome, a toujours parlé de Léon XII avec gratitude, avec respect et avec tendresse ; c’est qu’en 1827, probablement, il adressa au pape un Mémoire confidentiel où il lui exposait ses vues sur l’état présent de l’Eglise et de la société[24]. Est-il exact que Léon XII ait eu l’intention de créer Lamennais cardinal, et qu’il l’ait réservé in petto ? Le P. Dudon n’en croit rien ; mais sa conviction paraît surtout fondée sur le désir qu’il a que la conviction contraire soit erronée ; il discute bien rapidement, et sans apporter de preuves péremptoires, les témoignages formels de Lamennais, de Wiseman, et des Senfft. La comtesse de Senfft avait écrit à Lamennais, en 1830, qu’on avait retrouvé, parmi les papiers du défunt pape, la désignation de leur ami au cardinalat : parlait-elle à la légère, ou en connaissance de cause ? Le fait doit pouvoir être vérifié. Et, en attendant, on peut suspendre son jugement ; mais on peut croire aussi que l’opinion courante n’est pas aussi dénuée de vraisemblance que veut bien le dire le P. Dudon.

Deux choses ressortent avec une pleine évidence du livre de ce dernier. La première est qu’entre l’encyclique Mirari vos et l’encyclique Singulari nos l’attitude de Rome à l’égard de Lamennais a été parfaite ; et la seconde, — le P. Dudon aurait pu insister bien davantage sur ce point, — que le clergé français, par ses dénonciations, ses exigences, ses suspicions, ses plaintes, ses appels constants à l’autorité pontificale et la pression qu’il a exercée sur le Saint-Siège, a tout, ou presque tout fait pour exaspérer Lamennais et le rejeter hors de l’Eglise. Mais, pour bien comprendre la suite des événements, il faut reprendre les choses d’un peu plus haut.

Poursuivant son rêve de théocratie populaire, Lamennais, avec générosité, avec hardiesse, mais avec violence et avec une témérité singulière, avait déclaré la guerre aux rois et dressé, dans l’Avenir, la charte du droit nouveau. Il fallait toute sa naïveté, toute son inexpérience théologique et diplomatique, tout son dédain et son ignorance des contingences historiques, — tout son orgueil aussi de prophète plébéien, — pour s’imaginer que Rome, en 1830, pouvait et devait le suivre dans cette voie. Entre l’idéal révolutionnaire dont, à son insu, relevait Lamennais, et la tradition constante d’une Eglise fortement hiérarchisée, fondée sur l’autorité, et dont l’action, toute religieuse et morale, s’exerce dans les cadres respectés d’une société régulièrement constituée, il y avait une opposition secrète qui ne pouvait manquer d’éclater bientôt au grand jour. On le fit bien voir au fougueux tribun ! Traqué, honni, dénoncé sans relâche par toute une partie du clergé français, persécuté, comme il était naturel, par le gouvernement de Juillet, il se décida à suspendre l’Avenir, et à en appeler directement à Rome. On a souvent dit que c’était là une imprudence, et une imprudence bien française ; que Rome, dans les questions délicates et controversées, n’aime pas à intervenir ; qu’elle hésite à décourager les initiatives individuelles ; et qu’elle ne se prononce enfin qu’à son corps défendant, quand elle y est pour ainsi dire contrainte par les circonstances ou par les hommes. Je crois, au contraire, pour ma part, que Lamennais n’a fait tout au plus que hâter la décision pontificale ; que les questions qu’il avait soulevées étaient trop graves pour que le Saint-Siège put longtemps s’abstenir de prendre parti ; et qu’enfin les multiples dénonciations ecclésiastiques dont le directeur de l’Avenir était l’objet auraient largement suffi à faire instruire son procès.

Arrivés à Rome le 30 décembre 1831, « les pèlerins de Dieu et de la liberté, » — suivant l’expression dont s’égaie peut-être avec trop d’insistance le P. Dudon, — firent remettre au pape, par l’intermédiaire du cardinal Pacca, le doyen du Sacré-Collège, un mémoire justificatif qui avait été rédigé par Lacordaire. Grégoire XVI fit écrire par Pacca à Lamennais « une lettre de remontrances et de conseils paternels : » on louait leurs bonnes intentions et leur docilité ; mais on se plaignait de leur témérité, des divisions entre catholiques qu’ils avaient provoquées ; au demeurant, on leur laissait espérer qu’on examinerait à fond leurs doctrines, et on les engageait, en attendant, à rentrer en France. Lacordaire seul comprit, et tandis qu’il se décidait à repasser les Alpes, que Montalembert poursuivait son voyage d’Italie, Lamennais s’obstina à rester à Rome ou à la porte de Rome, « afin de fournir les explications indispensables et de répondre aux questions que l’on jugerait à propos de lui faire. » Le pape consentit à les recevoir avant leur séparation ; l’audience fut aimable, mais assez banale : « il ne fut en aucune façon question d’affaires. » De plus en plus convaincu qu’il ne pourrait être condamné et qu’il n’avait qu’à poursuivre son œuvre, Lamennais se retira à Frascati et y écrivit son livre Des Maux de l’Eglise. Mais le séjour en Italie lui pesait. Impatient de reprendre sa vie d’action, ignorant, à ce qu’il semble, qu’en ce moment même la congrégation des affaires ecclésiastiques extraordinaires examinait ses doctrines, et croyant que, parmi toutes les préoccupations présentes du Saint-Siège, on avait oublié la réponse qu’on lui avait presque promise, le fondateur de l’Avenir, accompagné de Montalembert, se remit en route dans les premiers jours de juillet 1832. Le soir du 30 août, à Munich, à la fin d’un banquet, auquel assistait aussi Lacordaire, on lui remit, par les soins de la nonciature, le texte de l’encyclique Mirari vos, qu’accompagnait une lettre de Pacca. « Il y a une encyclique du pape contre nous, dit-il à Lacordaire ; nous n’avons qu’à nous soumettre. »

Cette sage résolution, on le sait, ne devait pas durer. Aurait-on pu, en procédant différemment, même avant l’encyclique, éviter l’éclat final ?


Je me suis souvent étonné, — a écrit Lamennais dans les Affaires de Rome, — que le pape, au lieu de déployer envers nous cette sévérité silencieuse dont il ne résultait qu’une vague et pénible incertitude, ne nous ail pas dit simplement : « Vous avez cru bien faire, mais vous vous êtes trompés. Placé à la tête de l’Église, j’en connais mieux que vous les besoins, les intérêts, et seul j’en suis juge. En désapprouvant la direction que vous avez donnée à vos efforts, je rends justice à vos intentions. Allez, et désormais, avant d’intervenir dans des affaires aussi délicates, prenez conseil de ceux dont l’autorité doit être votre guide. » Ce peu de paroles aurait tout fini. Jamais aucun de nous n’aurait songé à continuer l’action déjà suspendue.


C’est là ce que le P. Dudon, à aucun prix, ne saurait admettre. L’obstination orgueilleuse de Lamennais est pour lui un dogme, une de ces évidences psychologiques qui doivent s’imposer aux esprits les plus prévenus. Cette idée « d’une scène évangélique se déroulant dans un salon du Vatican, à la première rencontre de Grégoire XVI et de Lamennais » lui inspire une douce et peut-être peu « évangélique » gaîté. Car enfin, si cette scène avait eu lieu, — et peut-être sous Léon XII ou sous Léon XIII aurait-elle eu lieu, — ni le P. Dudon, ni moi, nous ne savons ce qui aurait pu en résulter. En tout cas, Lamennais n’aurait pas eu le droit d’écrire la page un peu inquiétante que nous venons de rappeler ; et peut-être eût-il été habile et charitable tout ensemble de ne pas lui laisser ce droit. Lamennais, — c’est un mot de Léon XII que le P. Dudon n’a pas cru devoir citer, — était « un homme qu’il fallait conduire avec la main dans le cœur. » De plus, ce n’était pas, si j’ose le dire, une âme « protocolaire. »


Ayant la nuque dure aux saluts inutiles,
Et se dérangeant peu pour des rois inconnus,


resté très plébéien d’allures et d’idées, comme il l’était de tempérament et d’hérédité, peu diplomate, assez peu théologien. aussi peu « Romain » ou Italien que possible, les conventions, les formules, les habitudes de la cour de Rome étaient faites pour le surprendre et le choquer. Il n’était pas l’homme des sous-entendus, et il ne comprenait pas les choses à demi-mot : il ne vit pas dans la lettre de Pacca le blâme discret qu’elle contenait. A-t-on tenu suffisamment compte au Vatican de ces dispositions particulières, et n’aurait-on pu, en raison même des services que Lamennais avait rendus au Saint-Siège, faire fléchir en sa faveur les règles, ou plutôt les usages d’une administration demeurée, comme toutes les administrations, un peu formaliste ? L’archevêque de Paris, Quélen, qui n’était point un révolutionnaire, et qui n’est point suspect d’une partialité excessive à l’égard de l’auteur de l’Indifférence, eût souhaité, — et il le fit savoir au pape, — une démarche personnelle, à la fois très ferme et très paternelle, de Grégoire XVI auprès de Lamennais. Si cette démarche avait été faite, est-il bien sûr qu’elle n’eut abouti à rien ?

Elle eût abouti, en tout cas, à adoucir un peu, — et plus peut-être qu’on ne pense, — l’amertume que Lamennais n’a pu manquer de concevoir de l’encyclique Mirari vos. Car, pour être entièrement juste envers cette pauvre âme ulcérée et maladive, il faut se la représenter telle qu’elle était, au retour de Rome. Il convient de se rappeler que Lamennais avait conçu un vaste système sur lequel il comptait pour régénérer la société par l’Eglise elle-même renouvelée et devenue une grande force démocratique. En butte à de multiples contradictions et à d’innombrables adversaires, il était venu prendre l’Eglise à témoin de la justice de sa cause. Et voici que Rome, au lieu de l’accueillir comme un libérateur, ou même comme un généreux et loyal serviteur, se dérobe et, finalement, le désapprouve et le condamne. Bien mieux, lui, l’homme du rêve et de l’absolu, il retrouve à Rome, tout au moins dans l’entourage du Saint-Père, toutes les menues intrigues, toutes les compromissions, toutes les misères qu’il avait constatées dans les autres gouvernements temporels, et qui l’en avaient détaché. Son inexpérience des hommes et de la vie, sa touchante naïveté, sa sensibilité ardente et généreuse en furent profondément troublées et scandalisées. On a comparé l’impression que lui fit Rome à celle que, trois siècles plus tôt, Luther avait emportée de la Ville Eternelle : la comparaison est excessive ; mais elle comporte une petite part de vérité. Pour l’amener aux concessions nécessaires, à l’intelligence des exactes conditions historiques où devait évoluer la papauté, il aurait fallu qu’on le traitât avec infiniment de tact et de bonté ; on vit en lui non pas un homme, une âme inquiète et candide, mais une doctrine abstraite ; et l’on agit en conséquence.

On a beau jeu là-dessus à crier à la susceptibilité et à. l’orgueil. Orgueilleux, assurément Lamennais l’était ; il l’était d’ailleurs beaucoup plus pour ses idées que pour sa personne : et plus encore qu’orgueilleux, il était ombrageux et d’un maniement difficile. Genus irritabile vatum. Surtout, il était poète, et comme tous les poètes, depuis Rousseau, ce perpétuel « écorché moral, » il avait ce manque d’équilibre, cette imagination ardente et sombre, cette sensibilité exacerbée qui ont été le douloureux apanage de tant d’écrivains modernes. Et non seulement il était poète, il était prophète. Plus clairvoyant que beaucoup d’autres, qu’un Guizot par exemple, il prévoyait, il pressentait l’avènement de la démocratie, et le rôle grandiose et bienfaisant que les conditions nouvelles de la vie politique et sociale allaient réserver à la papauté, l’unique pouvoir spirituel resté debout sur les ruines du passé. La condamnation dont il était l’objet lui fit l’effet, de la part du Saint-Siège, d’une sorte d’abdication, volontaire et définitive ; et cette désillusion, d’ordre intellectuel et religieux, venant s’ajouter aux déceptions d’ordre sentimental que son séjour à Rome lui avait values, il fut dès lors très fortement tenté de s’affranchir d’une autorité qui lui paraissait aveugle et arbitraire, et de suivre tout seul les voies où l’entraînait son instinct.

Ce qui contribua sans contredit à précipiter le dénouement, ce fut l’attitude du clergé français à son égard. J’ai déjà dit que Rome, comme si elle avait senti que peut-être aurait-elle pu le ménager davantage, fut, après la promulgation de l’encyclique, et jusqu’à la rupture, pour le grand écrivain condamné, d’une douceur et d’une longanimité qu’on ne saurait trop louer. Mais en France, notamment, on se garda bien de suivre un exemple qui venait pourtant de si haut. On laissa de tous côtés, à la nouvelle de la condamnation, éclater une joie totalement dénuée d’élégance. Lettres, articles, brochures, mandements, plurent sur le malheureux prêtre. Ses moindres paroles étaient suspectées ; ses rétractations les plus solennelles étaient jugées insuffisantes, dénoncées comme renfermant les pires réticences. On aurait voulu pousser Lamennais hors de l’Eglise qu’on n’eût pas agi autrement. Qu’il ait été aigri, exaspéré par toutes ces fâcheuses manifestations d’un zèle intempestif, c’est ce qui n’est que trop aisé à comprendre. Hélas ! ce n’était pas un saint, et .l’intégrité de sa foi avait d’ailleurs subi plus d’une atteinte. Mais parmi ceux qui ont le plus sévèrement flétri son « apostasie, » est-il bien sûr que personne n’ait eu dans sa défection une petite part de responsabilité morale ?


IV

« Mes derniers jours sont fort amers, amers de toutes les façons. J’ai eu confiance dans la probité des hommes, et ils m’ont trompé. Je n’ai pas voulu croire à leur fausseté, à leur malice, et je suis victime de leur malice et de leur fausseté. J’élevais ma frêle tige vers le ciel, sur la foi de quelques rayons qui l’attiraient par leur éclat et leur douce chaleur : et l’orage est venu ; et les vents ont soufflé, et la pauvre tige est là, gisante, sur la terre froide et nue. » C’est à une admirable femme, à une amie, la baronne Cottu, que Lamennais, vers la fin de 1832, tenait ces propos découragés et pessimistes. La correspondance qu’il a échangée avec elle pendant trente-cinq ans, et que M. d’Haussonville nous a fait connaître, est peut-être celle qui éclaire le mieux la question, obscure et complexe, de sa sensibilité. S’il est vrai, comme l’a dit Pascal, que « tout notre raisonnement se réduit au sentiment, » cela est encore plus vrai de Lamennais que de la généralité des hommes. Qui connaîtrait à fond la nature et l’espèce et les réactions habituelles de sa sensibilité serait bien près de l’avoir expliqué tout entier.

La vie sentimentale de Lamennais, jusqu’à sa prêtrise tout au moins, nous est fort mal connue. Je laisse, bien entendu, de côté, de fâcheuses insinuations que je n’aime guère à rencontrer sous certaines plumes, et qui, ne reposant d’ailleurs sur rien de sérieux, se sont pourtant imposées à quelques biographes Faut-il admettre d’autre part, avec tous les historiens, que le grand écrivain eut, vers dix-huit ans, un amour malheureux, que cette déception le plongea dans une mélancolie profonde et ne fut pas étrangère à sa vocation sacerdotale ? Et Lamennais faisait-il allusion à cette aventure de jeunesse quand, bien longtemps après, en 1840, il répondait en balbutiant à Mme Cottu qui lui reprochait de calomnier une profession où il était jadis librement entré : « J’avais eu de grands chagrins auxquels je cherchais une consolation ?[25] » Il est possible, encore que, sur ce point, nous en soyons réduits à un témoignage unique, assez indirect, très postérieur aux événements, et peut-être sujet à caution[26]. Je sais qu’on peut alléguer, et qu’on allègue généralement, le témoignage, infiniment plus autorisé, de Sainte-Beuve : « Quant à ce qui touche, écrivait ce dernier en 1832, le genre d’émotion auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie[27]. » Mais on oublie que Sainte-Beuve, en réimprimant plus tard son article, se rétractait dans la note que voici : « Il serait même possible que notre soupçon sur une passion unique et profonde qu’il aurait ressentie fut excessif et au delà du vrai. On s’expliquerait peut-être encore mieux par cette absence d’emploi en son temps la jeunesse perpétuellement recrudescente de son âme, ses naïves et fougueuses échappées dans les choses, n’ayant pas été attendri ni réduit dans l’âge par l’humaine passion[28]. » On voit combien tout cela est obscur, difficile à préciser, et combien il serait imprudent d’être, en pareille matière, trop affirmatif.

Quelle qu’ait été d’ailleurs la première jeunesse de Lamennais, — et j’inclinerais, sur cette question, à partager le dernier avis de Sainte-Beuve, — quand, en 1818, il fit la connaissance de la baronne Cottu, — alors Mme de Lacan, — il était l’auteur, déjà célèbre, de l’Essai sur l’Indifférence, et sa vie, retirée, laborieuse, austère, était bien celle qui convenait à l’auteur d’un pareil livre. Il s’intéressa à cette âme généreuse et ardente que sa parole avait touchée et ramenée à l’exacte pratique religieuse ; et une vive amitié se noua entre eux. Que Lamennais n’ait pas été insensible au charme qui se dégageait de cette jeune femme aimable, intelligente et belle, c’est ce qui est tout naturel et trop évident. À en juger même par le ton et le texte de certaines des lettres de Lamennais, on pourrait croire, avec un pénétrant critique, savant et ingénieux amateur d’âmes religieuses, M. Alfred Rebelliau[29], qu’un sentiment plus tendre que la simple amitié est entré dans son âme. Il est difficile, avouons-le, en lisant cette fort belle correspondance de l’auteur de l’Essai, de ne pas se dire quelquefois qu’un véritable amoureux ne parlerait pas autrement. Ils ne se connaissent pas depuis deux mois que déjà Lamennais écrit : « J’aurai l’honneur de me rendre chez vous. Ma santé, fût-elle plus mauvaise, ne souffrira pas de ce voyage, puisque je vous verrai. » Et voilà qui est, n’est-il pas vrai ? du dernier galant. Quelques jours après : « Recevez l’assurance de mes tendres et respectueux sentiments. » Et encore : « Ne craignez pas pour moi la fatigue ; il m’est utile de marcher un peu. Et puis, je penserai à vous en allant, j’y penserai en revenant ; le chemin me paraîtra bien court. » Quelques jours après : « Il me serait, madame, bien agréable d’apprendre que notre promenade d’hier ne vous a point incommodée… Un mot de vous, en me rassurant, exciterait toute ma reconnaissance. J’aurais trop à souffrir, si les moments heureux que vous m’avez procurés en avaient amené de pénibles pour vous. » Huit jours après : « Je n’ai, madame, presque ressenti aucune fatigue de ma promenade d’hier ; je revenais si content d’esprit et de cœur !… Pourquoi ne m’avez-vous point parlé de votre santé ? Vous n’oubliez rien, excepté vous-même, excepté ce qui m’intéresse le plus. » Cette lettre est du 16 octobre 1818, et la première lettre de Lamennais à Mme de Lacan est tout au plus du début d’août.

Et à mesure que l’on avance dans la lecture de cette correspondance, les expressions chaudement, tendrement affectueuses se pressent sous la plume de l’écrivain. Du 5 février 1820 : « Adieu, vous savez combien je vous aime ; jamais qui que ce soit n’aura pour vous une plus sure et plus tendre affection. — Du 16 avril : « Adieu, vous savez si je vous aime. Je n’ai pas besoin de vous le redire, n’est-ce pas ? » — Du 3 août : « Deux esprits peuvent se toucher, mais il n’y a que le cœur qui se pénètre. Le mien est à vous pour jamais. » — Du 29 novembre 1822 : « Aimez-le votre fils, pour Dieu, pour lui, pour vous : voilà l’ordre. Aimez-moi aussi un peu, car je n’ose dire : comme je vous aime. » — Du 9 janvier 1824 : « Salies ou non, je réclame les feuilles du manuscrit (le manuscrit d’un petit roman de Mme Cottu). Elles sont à moi, vous me les avez données. Donnez-moi aussi quelques souvenirs ; les souvenirs, c’est mon bien. Pourquoi me dites-vous de vous aimer ? Est-ce que je puis faire autre chose ? » — Du 26 octobre 1853, après un silence et une séparation de neuf ans : « Le silence n’est pas l’oubli, mais, je l’avoue, je craignais le vôtre. Vous retrouver, retrouver votre cœur m’a fait plus de bien que je ne saurais vous l’exprimer… À vous, comme il y a trente-cinq ans. » Quelques semaines plus tard : « Je suis d’avis que vous m’aimiez un peu, attendu que je vous aime beaucoup, et ce n’est pas d’hier. » Et le dernier billet qu’il adresse, moins de deux mois avant de mourir, à Mme Cottu, se termine par ces mots : « Mille tendresses. »

Qu’est-ce à dire ? Et ne faut-il pas admettre que c’est là le langage « d’un cœur vraiment épris ? » Ce qui pourrait le faire croire, c’est qu’à un moment donné, le confesseur et directeur de Lamennais, l’abbé Carron, crut devoir intervenir et prêcher la prudence. C’était au mois de mai 1819. Lamennais revenait « le cœur content » de Cernay où il était allé passer quelques jours auprès de Mme de Lacan. Peu après il lui écrivait : « Ce soir, après ma confession, M. Carron m’a dit que plusieurs personnes l’avaient averti qu’on s’étonnait dans le monde que je demeurasse à la campagne avec une jeune femme, et que cela produisait un mauvais effet ; qu’il croyait, d’après cela, devoir m’engager à ne plus retourner à Cernay. Que vous dirai-je de plus ? Si j’étais le seul à souffrir, je souffrirais beaucoup moins… Je voudrais qu’il me restât un peu de bonheur pour vous le donner. » Peut-être dans son for intérieur, et tout on en souffrant un peu, Lamennais trouva-t-il que la décision de l’abbé Carron n’était pas entièrement injustifiée, car, quelques semaines auparavant, voici ce qu’il écrivait lui-même à Mme de Lacan : « Quoi que vous pensiez, oui, je crains que votre affection ne soit trop humaine… Et ici-bas, voyez combien de différences les devoirs, l’état, les bienséances doivent mettre dans l’expression du même sentiment. Je ne dois pas même m’abandonne à tous ceux que vous m’inspirez ; j’en dois être le maître ; je dois les contenir dans certaines limites, sous peine de manquer à l’esprit comme aux devoirs de ma vocation. Le trouble même ne doit pas arriver jusqu’au cœur d’un prêtre. Vous m’accusez, et Dieu peut-être me fait des reproches bien différents. Vous le dirai-je ? même d’homme à homme, où la réserve est moins nécessaire, il y a une mesure chrétienne d’affections que je crains quelquefois de passer[30]… »

Ces scrupules, cette docilité faut le plus grand honneur à la gravité sacerdotale de Lamennais. Ceux-là mêmes qui, pour caractériser la nature de l’affection qu’il portait à Mme Cottu, seraient tentés de parler d’ « amitié amoureuse, » doivent convenir que jamais cette amitié ne dépassa certaines limites, et qu’elle a toujours été modifiée par « ce respect délicat qui interdit presque tout ce qui ressemblerait à l’abandon[31]. » Est-il même bien sûr que cette interprétation n’aille pas au delà de l’exacte réalité ? Car enfin, si l’abbé Carron avait eu des craintes sérieuses pour l’âme de son pénitent, on ne s’expliquerait guère qu’il n’eût pas interdit les échanges de lettres et les longues visites : or, il n’en a rien fait. D’autre part, si Lamennais a certainement regretté ses allées et venues à Cernay, il ne semble pas qu’il en ait souffert outre mesure. N’écrivait-il pas quelques jours après l’intervention de l’abbé Carron, à son ami Benoit d’Azy : « Je passe mes jours dans ma chambre, je ne sors point et ne vois personne que le dimanche. Cette vie me convient mieux que celle de Cernay. Je n’y allais réellement que par complaisance, parce qu’il me semblait que je devais ?[32] » Et enfin, en isolant, comme nous l’avons fait, certains passages un peu plus chauds, des lettres de Lamennais à Mme Cottu, nous avons sûrement donné le change sur cette correspondance. Les déclarations affectueuses n’y tiennent, au total, qu’une place fort restreinte, et les détails familiers, les impressions de nature, les considérations générales, les exhortations et les conseils de spiritualité s’y rencontrent avec une bien plus large abondance. Même les choses de l’amitié y sont à chaque instant interprétées et comme épurées dans un sens religieux. « Oui, écrivait-il un jour, je sais que vous avez pour moi une véritable affection, et cette affection m’est chère, parce qu’elle vient de Dieu et se rapporte à Dieu. Ce n’est point une amitié du temps, je n’en voudrais pas ; tout ce qui finit m’est importun ; c’est un attachement plus élevé et dès lors plus durable ; c’est comme un commencement de cette douce et immense charité qui doit unir à jamais les enfants de Dieu dans le ciel[33]. » À lire dans son ensemble la correspondance de Lamennais à Mme Cottu, on n’y rencontre rien qui inflige à cette haute conception de l’amitié chrétienne un démenti formel[34].

D’autres faits conduisent à la même conclusion. On observera tout d’abord, que Lamennais ne s’est pas constitué, — comme il eût été pourtant trop naturel, s’il s’était mêlé à son amitié un sentiment plus tendre, — le confesseur et le directeur de Mme de Lacan ; il a délégué à cette fonction un excellent prêtre, l’abbé Desjardins. En second lieu, quand Mme de Lacan se remaria, on ne voit pas qu’il ait éprouvé à l’égard du baron Cottu ces classiques sentiments de jalousie qui sont l’accompagnement obligatoire des passions ombrageuses et exclusives. Pour prétendre le contraire, il faut, si je ne me trompe, lire les textes avec une idée préconçue, et les « solliciter » assez fortement. Par exemple, nous avons quelques lettres de Lamennais se rapportant aux difficultés qui faillirent compromettre ce second mariage. La famille de M. Cottu s’y montra d’abord opposée, et comme Mme de Lacan n’avait qu’une modeste fortune, on lui prêta des vues intéressées. Indignée de pareilles calomnies, la pauvre femme revint sur sa parole. Lamennais l’en approuve et lui prodigue les consolations religieuses : « Votre conduite a été belle et noble ; elle a été tout ce qu’elle devait être ; ne regrettez rien, le jour de la justice viendra, et aussi celui du bonheur… Ayez confiance, Dieu vous protège, il veille sur vous. » Peu après, elle rêve de conserver pour ami le très galant homme qu’elle n’a pu épouser. Lamennais l’en dissuade, et avec une sévérité tempérée d’affection, la rappelle à une notion plus haute, plus vraiment chrétienne de son devoir : « Il faut que vous vous vainquiez, il le faut absolument, Dieu le veut. Je vous le demande en son nom, je vous en conjure à genoux. Soyez vous, c’est-à-dire résolue à tout ce qu’il y a de bon, de noble, d’honorable et de saint, quoi qu’il vous en doive coûter. N’altérez pas votre image au fond de mon cœur. » On n’aurait le droit de suspecter ce langage, d’y voir comme un retour offensif d’égoïsme masculin que s’il n’était pas de tous points conforme à celui… de l’abbé Desjardins.

Dira-t-on que l’abbé Desjardins devait .s’exprimer sur un ton moins lyrique et moins chaleureux ? Cela est, en effet, assez vraisemblable. Mais le style, on le sait, n’est pas toujours l’homme, et le ton d’une lettre n’est pas toujours exactement révélateur des sentiments qu’elle paraît exprimer. Des cœurs secs ont le style aisément passionné, et des âmes tendres se dissimulent parfois sous une forme verbale incolore et impersonnelle. Nous étions tentés de trouver tout à l’heure qu’il y avait autre chose que de la simple amitié dans tels ou tels passages des lettres de Lamennais à Mme Cottu ? — « Il est l’heure où je te voyais ordinairement, et ce bonheur n’est plus qu’un souvenir, et bien des jours se passeront encore avant que mon pauvre cœur repose sur le tien. » — « Les lieux où lu nés pas me paraissent un désert. Je te dis ceci, parce qu’il me serait impossible de ne pas te dire tout ce qui se passe en moi. » Quel est l’amoureux qui parle ainsi ? C’est Lamennais encore ; et, cette fois, ce n’est pas à une femme qu’il s’adresse ; c’est à un ami qu’il ne connaît que depuis deux ou trois mois par l’intermédiaire de Mme de Lacan, Denys Benoit, plus connu sous le nom de Benoit d’Azy. Et à cet ami tout récent, qui a quinze ans de moins que lui, Lamennais écrit presque tous les jours, sur un ton d’exaltation extraordinaire : « Par où avais-je mérité de te connaître, d’être aimé de toi ? Ton amitié est un don tout gratuit de la Providence. Quand elle me refuserait la consolation de te revoir en ce monde, ne devrais-je pas encore admirer sa boute, en pensant que tu m’aimes, que je n’avais aucun titre à ton amitié, que ce bien si doux, je le tiens d’elle ?… Adieu, mon frère, mon bien-aimé. Je t’embrasse de toute la tendresse de mon cœur. » Et encore : « Tu m’es si présent, que je ne crois pas, hors le temps du sommeil, avoir passé une demi-heure sans penser à toi. Qu’il est doux de s’aimer, de s’aimer en Dieu ! Mais il ne faudrait pas se séparer, cela fait trop de mal. Quelquefois il me semble que je ne t’ai point assez dit combien tu m’es cher, mais tu n’en doutes point, n’est-ce pas ? Dis-moi, mon Denis, que tu n’en doutes pas. » Et encore : « Mon frère, mon tendre frère, si tu savais combien ton petit billet de Tours m’a fait du bien ! Le voilà, je l’ai déjà relu dix fois. Il ne me quittera jamais. O mon Dieu, que vous êtes bon de m’avoir donné un frère ; je méritais si peu un pareil bonheur ! Mon Dieu, je vous rends grâces ! Mon Dieu, conservez-le-moi, unissez-nous en vous, à jamais[35] ! » Nous voilà maintenant, je pense, suffisamment fixés et édifiés. Nous comprenons ce que voulait dire Lamennais quand il écrivait : « Vous le dirais-je ? Même d’homme à homme, où la réserve est moins nécessaire, il y a une mesure chrétienne d’affections que je crains quelquefois de passer. » Ne nous étonnons donc plus de rencontrer dans les lettres à la baronne Cottu certaines expressions un peu vives ou un peu trop tendres qui, sous une autre plume, — et à une autre époque, — pourraient paraître ne pas relever de la pure et simple amitié. Ce sont là façons de parler romantiques qui ne tirent point à conséquence. La rhétorique du temps veut que le lyrisme règne partout, et elle n’admet pour sentiments sincères que ceux qui s’expriment sans aucune simplicité. Tous ces gens-là ont lu la Nouvelle Héloïse et René ; ils vont lire Lamartine[36] ; le calme et la mesure, ces vertus bourgeoises, leur sont inconnus ; il leur faut, ou du moins ils se l’imaginent, les orages de la passion. Et ils agissent, ou plutôt ils écrivent en conséquence. Lamennais, lui, n’avait déjà que trop de pente à suivre la mode régnante. Il avait la sensibilité très vive et très mobile, mais il ne me semble pas qu’il l’ait eue démesurée et exceptionnelle, et, — volonté ou nature, il est difficile de le dire, — elle paraît avoir été tournée vers l’amitié plutôt que vers l’amour. Sans nier le moins du monde qu’il ait beaucoup vécu par le cœur, je crois pourtant qu’il a vécu plus encore par l’imagination. Son imagination ardente et sombre, excessive et un peu maladive lui amplifiait toutes choses, sentiments et idées, et le rendait éminemment propre au travail de la plume. Il se rendait assez bien compte lui-même de tout ceci : « Qu’est-ce que le cœur ? disait-il un jour à Benoit d’Azy. Est-ce autre chose que l’imagination ?… Il faut que mon âme souffre pour produire ; je ne saurais rien faire quand j’ai le cœur content : ingemuit et parturit. C’est ce qui me console dans mes travaux ; naturellement ils m’inspirent une profonde répugnance ; aucun goût ne me porte à écrire, mais il y a quelque chose d’étranger à moi qui m’y force. » On ne saurait faire plus clairement entendre qu’on a pour le métier d’écrivain une vocation irrésistible. Et en effet, tel est bien là, ce semble, le fonds même de Lamennais. Cet apôtre, ce conducteur d’âmes est né écrivain et même poète ; il ne se « réalise » pleinement, il n’exprime toute sa personnalité que la plume à la main ; il a besoin que les idées, les sentiments qui s’agitent en lui prennent corps sur le papier, et que sa propre parole lui en renvoie l’écho sonore et agrandi. Sainte-Beuve, qui l’a bien connu et bien curieusement étudié, a noté ce trait essentiel avec sa perspicacité coutumière : « Il est beaucoup plus du siècle, beaucoup moins prêtre, et beaucoup plus écrivain et poète que nous n’avions cru le voir, » écrivait-il, dans une note rectificatrice de 1836. Et dès 1832, il recueillait et consignait de très suggestifs aveux : « L’imagination de l’abbé de Lamennais, observait-il, est restée ardente jusqu’à quarante ans : il eut aimé s’en laisser conduire dans le choix et la forme de ses écrits. Le genre du roman s’est offert à lui maintes fois avec un inconcevable attrait. Son vœu à l’origine, son faible secret ne fut autre, assure-t-il, que celui des poètes, une solitude profonde, un loisir semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs. »

Habemus confitentem… Quand on apporte en naissant une disposition de cette nature, elle vous suit partout, elle se mêle à tout, elle transforme et, parfois, dénature, tous les gestes de la vie. À leur insu, et de la meilleure foi du monde, ceux qui sont nés écrivains mettent un peu de « littérature » dans leurs sentiments les plus naturels, dans leurs démarches les plus spontanées. À Dieu ne plaise que je prétende que Lamennais n’ait point aimé, réellement aimé d’amitié, Benoit d’Azy ou Mme Cottu ! Mais quand il leur écrivait à l’un ou à l’autre, le poète, — ou le romancier, — qu’il avait failli être reprenait ses droits et lui dictait de fort belles pages, un peu montées de ton, et qu’on aurait peut-être tort de prendre pour l’expression tout à fait adéquate de ses sentiments intérieurs. Le don littéraire a ceci de dangereux, qu’il peut aisément conduire, si l’on n’y prend garde, à une demi-insincérité morale. Nos sentiments, quand nous voulons les exprimer, ne nous apparaissent plus à l’état pur en quelque sorte, mais à travers l’écran d’une imagination qui les déforme. Les écrivains classiques, toujours en défiance contre les « puissances trompeuses, » veillaient jalousement à ce que leurs paroles ne trahissent pas leur pensée, n’en fussent que le clair et fidèle miroir, et, parfois même, — voyez leurs correspondances, — ils ne disent pas tout ce qu’ils ont dans l’âme, et la pudeur de leur sensibilité se communique à leur style. Les romantiques ont changé tout cela. Loin d’en réprimer les écarts, ils obéissent docilement aux suggestions de leur sensibilité, de leur imagination surtout, et le style, au lieu de leur être un moyen de traduire scrupuleusement leurs impressions naturelles, ou même de les atténuer, leur en est un, au contraire, de les amplifier, de les dramatiser sans mesure. Il faut toujours en rabattre de leurs propos, même les plus intimes. À cet égard, Lamennais était bien de son époque. Four le juger avec clairvoyance et avec équité, il faut toujours songer que l’homme en lui était double d’un poète.

C’est sans doute pour ne l’avoir pas fait qu’on s’est formé de Lamennais, — surtout depuis la publication de sa Correspondance, — une idée quelque peu romantique, et qui est assez loin de correspondre à l’exacte réalité. Une âme très tendre, et passionnée, faite non seulement pour l’amitié, mais pour l’amour, et qui, après une jeunesse orageuse, souffrira toujours de n’avoir pas vécu de la vie commune, et, plus d’une fois, dans ses lettres, laissera échapper son secret ; une vocation sacerdotale tardive et factice qui lui aurait été littéralement imposée par des prêtres candides et imprudents ; au bout d’un certain nombre d’années d’une vie contrainte, active et douloureuse tout ensemble, un brusque éclat ; la révolte longtemps contenue d’une âme impatiente qui rompt sa chaîne et ne veut enfin relever que d’elle-même : voilà le Lamennais de la légende qui a défrayé tant d’articles, et même de livres.

Lu vérité de l’histoire ne laisse pas d’être un peu différente. Quelle qu’ait pu être avant la prêtrise la vie « sentimentale » de Lamennais, elle n’a jamais été pour lui l’obstacle ou le secret écueil qu’on a si souvent imaginé. Rien, dans l’ordre du « cœur, » n’aurait jamais empêché Lamennais d’être, jusqu’à la fin de ses jours, un excellent prêtre, et même les déceptions dont j’ai parlé n’auraient pas suffi à le détacher de l’Eglise. C’est entre sa vocation littéraire ou poétique et sa vocation sacerdotale que le conflit, longtemps latent, a fini par éclater. Durant bien des années son rôle d’apologiste lui fit illusion, et, en mettant sa plume au service de la cause catholique, il put s’imaginer concilier toutes les tendances de sa nature. Mais un prêtre n’est pas un libre écrivain ; il doit discipliner sa pensée, la contenir dans les limites d’une tradition doctrinale. Un prêtre ne peut pas suivre sa fantaisie et s’abandonner aux rêveries qui sollicitent son imagination. Il n’a pas le droit d’écrire, ni même de penser les Paroles d’un croyant. Condamné par Rome, suspect à ses coreligionnaires, sentant bien que son indépendance de poète et d’écrivain n’allait plus être entière, allait subir de dures atteintes, Lamennais ne put ou ne voulut pas consentir aux retranchements nécessaires. À de fidèles amitiés, à d’enthousiastes admirations, au bien des âmes et des consciences qui s’étaient attachées à lui, il a préféré la liberté solitaire de son rêve.


VICTOR GIRAUD.

  1. Lamennais intime, d’après une correspondance inédite, par Alfred Roussel, 1 vol. in-16 ; Paris, Lethielleux, 1897.
  2. Un Lamennais inconnu, Lettres inédites à Benoît d’Azy, publiées avec une introduction et des notes, par Auguste Laveille, 1 vol. in-16 ; Paris, Perrin, 1898.
  3. Lettres inédites de Lamennais à Montalembert, avec un avant-propos et des notes, par Eugène Forgues, 1 vol. in-8o ; Perrin, 1898.
  4. Lammenais et David Richard, documents inédits publiés par A. Roussel et A.-M.-P. Ingold. 1 vol. in-16 ; Paris, Téqui, 1909.
  5. Le Prêtre et l’Ami : Lettres inédites de Lamennais à la baronne Cottu (1818-1854), publiées avec une introduction et des notes, par le comte d’Haussonville, 1 vol. in-8o ; Perrin, 1910.
  6. A Roussel, Lamennais et ses correspondants inconnus (Des Saudrais, Querrel, Caron, Guéranger, Vuarin, Macé de la Villéon), 1 vol. in-16 ; Paris, Téqui, 1912.
  7. A. Roussel, Lamennais à la Chénaie, 1 vol. in-16 ; Téqui, 1909.
  8. Un témoin de la Restauration et de la monarchie de Juillet : le marquis de Coriolis, Lettres à Lamennais (1825-1837), avec introduction et notes, par Camille Latreille, 1 vol. gr. in-8o ; Paris, Champion, 1912.
  9. Chares Sainte-Foi. Souvenirs de jeunesse (1828-1835), publiés avec une introduction et des notes, par Camille Latreille, 1 vol. in-8o écu ; Paris, Perrin, 1911.
  10. F. Duine, Lamennais : l’homme et l’écrivain. Pages choisies, 1 vol. in-8o, Lyon et Paris, Emmanuel Ville, 1912.
  11. Anatole Feugère, Lamennais avant l’ « Essai sur l’Indifférence », d’après des documents inédits (1782-1817), Etude sur sa vie et sur ses ouvrages, suivie de la liste chronologique de sa correspondance et des extraits de ses lettres dispersées ou inédites, 1 vol. gr. in-8o ; Paris, Bloud, 1906.
  12. Paul Dudon, Lamennais et le Saint-Siège (1820-1834), d’après des documents inédits et les archives du Vatican, 1 vol. in-8o écu ; Paris, Perrin, 1911.
  13. P. Mercier, Lamennais, d’après sa correspondance et les travaux les plus récents. Paris, Lecoffre, 1895, in-16.
  14. Abbé Charles Boutard, Lamennais, sa vie tt ses doctrines, 3 vol. in-8o, Paris, Perrin, 1905-1913.
  15. Christian Maréchal, la Clef de Volupté (Lamennais et Sainte-Beuve), 1 vol. in-8o. Paris, Savaéte, 1905 ; — Lamennais et Victor Hugo, 1 vol. in-8o, Savaéte, 1906 ; — Lamennais et Lamartine, 1 vol. in-16, Bloud, 1907.
  16. Christian Maréchal, le Véritable voyage en Orient de Lamartine, d’après les manuscrits originaux de la bibliothèque nationale (documents inédits). 1 vol. in-8o, Bloud, 1908 ; — Josselin inédit, de Lamartine, d’après les manuscrits originaux, 1 vol. in-8o, Bloud, 1909.
  17. F. de Lamennais, Essai d’un système de philosophie catholique, ouvrage inédit recueilli et publié avec une introduction, des notes et un appendice, par Christian Maréchal, 1 vol. in-16 ; Bloud, 1906.
  18. Christian Maréchal, la Famille de Lamennais sous l’Ancien Régime et la Révolution, d’après des documents nouveaux et inédits, 1 vol. in-8o ; Perrin, 1913.
  19. Christian Maréchal, la Jeunesse de Lamennais, contribution à l’étude des origines du Romantisme religieux en France au XIXe siècle, d’après des documents nouveaux et inédits, 1 vol. in-8o ; Perrin, 1913.
  20. Par exemple, p. 97, M. Maréchal voudrait attribuer à Félicité un opuscule inédit intitulé Réponse aux objections des athées, bien qu’il soit « de la main de Jean-Marie, » sous prétexte qu’il croit y « reconnaître la touche de Félicité. » Mais dans les Lettres inédites de J.-M. et F. de Lamennais adressées à Mgr Beulé (Paris, Bray, 1862, p. 48), l’abbé Jean revendique la paternité de cet opuscule : « Ma réponse… mes fautes… je l’ai composé, » écrit-il— Ailleurs, à propos d’un manuscrit inédit de Lamennais, intitulé : Témoignages des philosophes modernes en faveur de la religion chrétienne, M. Maréchal écrit : « Ces 70 pages si soigneusement rédigées sont probablement destinées à l’impression : elles commenceront sans doute une collection d’apologétique chrétienne. » (p. 98 ; . J’ai eu ce registre entre les mains ; j’y ai vu tout simplement un cahier de notes de lectures, un recueil de matériaux tout personnel ; et Lamennais devait d’autant moins songer à l’imprimer qu’il existait déjà des ouvrages de cette nature, un entre autres qui s’intitule, si j’ai bonne mémoire, les Apologistes involontaires.
  21. Le portrait de Lamennais que Sainte-Beuve a publié ici même, dans la Revue du 1er  février 1832, d’après des notes fournies par l’abbé Jean (Nouveaux Lundis, t. XI, p. 372), a subi, dans les diverses éditions des Critiques et Portraits contemporains, une série de retouches et d’additions successives qu’il serait fort curieux d’étudier de près.
  22. Voyez à ce sujet les deux intéressants articles du P.. Dudon sur la Vocation ecclésiastique dans le Recrutement sacerdoral de janvier et mars 1912. J’aboutis, on le verra, à peu près aux mêmes conclusions que le P. Dudon.
  23. Henri Bremond, ’Inquiétude religieuse, 2e série, 1 vol. in-16 ; Paris, Perrin, 1909 la Détresse de Lamennais.
  24. Ce mémoire, publié partiellement par Blaize, a été retrouvé dans les archives du Vatican par le P. Dudon, qui en a publié les parties inédites dans les Recherches de science religieuse de septembre-octobre 1910.
  25. Lettres à la baronne Cottu, p. XLIV.
  26. J.-Marie Peigné, Lamennais, sa vie intime à la Chênaie, Paris, 1864, p. 28.
  27. Sainte-Beuve, l’Abbé de Lamennais (Revue des Deux Mondes du 1er  février 1832, p. 368), et Critiques et Portraits littéraires, 1re édition, Paris, Renduel, in-8o, 1836, p. 349-350.
  28. Sainte-Beuve, Portraits contemporains (éditions actuelles, t. I, p. 211-212.
  29. Alfred Rebelliau, Une Amitié féminine de Lamennais, Mercure de France du 1er  février 1911.
  30. Id., p. 39, 32.
  31. Lettres inédites de Lamennais à Benoit d’Azy, publiées avec une introduction et des notes par Auguste Laveille, Perrin, 1898, p. 19. — C’est justement à propos de Mme de Lacan que Lamennais s’exprime ainsi.
  32. Lettres à Benoît d’Azy, p. 75.
  33. Lettres à la baronne. Cottu, p. 77.
  34. Pour être tout à fait exact et scrupuleux, il faut noter qu’un certain nombre de passages des lettres de Lamennais ont été biffés. Pour quelle raison ? Nous l’ignorons. Mais il va sans dire que nos interprétations et conjectures ne s’appliquent qu’aux textes qui nous ont été livrés.
  35. Auguste Laveille, Un Lamennais inconnu : Lettres inédites de Lamennais, à Benoit d’Azy, pp. 1, 4, 5 ; 2, 3, 7. — Les onze premières lettres sont mal datées de 1818 ; elles doivent l’être évidemment de 1819, les premières relations de Lamennais et de Denys Benoit datant de la fin de l’année 1818.
  36. On a noté tout à l’heure au passage, dans un fragment de lettre à Benoît d’Azy, le thème et presque la formule d’un vers de Lamartine :
    Un seul être me manque, et tout est dépeuplé.
    Et voici du René dans une lettre à Mme Cottu (Lettres, p. 31) : « Il faut donc que tous ceux qui m’aiment et que j’aime souffrent de moi et par moi. Cela ne me rattache pas à la terre. Peut-être que, quand je ne serai plus, ils seront moins malheureux. Qui sait cependant si mon souvenir ne les tourmentera pas encore ! Il y aura dans le souvenir quelque chose de moi, et je porte l’affliction partout… »