Le 20e corps à Morhange (20 août 1914)

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Le 20e corps à Morhange (20 août 1914)
Revue des Deux Mondes7e période, tome 65 (p. 76-79).
LE
20e CORPS À MORHANGE
(20 AOÛT 1914)


M. le maréchal Foch nous adresse la lettre suivante, que nous nous empressons d’insérer :


Trofeunteuniou, le 5 août 1921.

Monsieur le directeur et cher confrère,

La Revue des Deux Mondes, dans son numéro du 1er août et sous la signature de M. Victor Giraud, présente le 20e corps d’armée et son chef, à la bataille de Morhange de 1914, sous un jour contraire en certains points à la réalité.

« Le 20 (août) à l’aube, emporté par sa fougue, est-il écrit, le commandant du 20e corps lance la 39e division à l’attaque des hauteurs de Marthil-Baronville, découvrant son flanc gauche. A 4 heures du matin, un formidable orage d’artillerie lourde s’abat sur les troupes françaises, et peu après, tout le IIIe corps bavarois, dévalant des bois, se rue à l’assaut. En une demi-heure, la 39e division, en dépit de tout son héroïsme, est bousculée, et à 8 heures, elle est en pleine retraite, entraînant dans son mouvement la 11e division ; presque tous ses chefs de corps sont hors de combat, et elle a dû laisser aux mains des Bavarois les deux tiers de son artillerie divisionnaire. Découverte par la retraite du 20e corps, vivement pressée par les Allemands, la 68e division de réserve se replie à son tour. Quant aux 15e et 16e corps, leur offensive a été retardée par le brouillard. Attaqués par des forces très importantes, fort éprouvés par l’artillerie lourde allemande, ils rétrogradent eux aussi défendant pied à pied le terrain et se dégageant, surtout le 16° corps, par de vives contre-attaques.

« C’est un grave échec dont les causes stratégiques et tactiques sont multiples et complexes, mais dont il s’agit de limiter les effets, en attendant de le réparer. A 10 heures 30, le général de Castelnau donne à toutes ses troupes l’ordre de se retirer par échelons… »

A lire ces lignes, l’insuccès et la retraite du 20e corps auraient décidé du sort des autres corps d’armée, auxquels la fortune se montre moins sévère dans le récit. Son échec aurait entraîné celui de l’armée, fixé définitivement l’issue de la rencontre et motivé l’ordre de retraite lancé à 10 heures 30 par le commandant de l’armée.

L’histoire documentée fera connaître un jour les causes stratégiques et tactiques comme aussi les erreurs morales qui ont présidé à la conduite des événements. Dès aujourd’hui, certaines erreurs matérielles du récit sont à rectifier :

« La 39e division lancée à l’aube à l’attaque des hauteurs de Marthil-Baronville. » Erreur, disons-nous.

Lorsque à 4 heures, dans la matinée du 20, l’attaque allemande part avec la violence exposée, la 39e division n’a encore engagé aucune entreprise offensive. Elle continue de tenir les positions conquises la veille et qui étaient les objectifs assignés à sa marche de ce jour, notamment le signal de Marthil. Elle commence ses préparatifs pour agir, mais pas avant 6 heures. Franchement devancée, elle se trouve de suite engagée dans une puissante action dont l’ennemi a pris l’initiative. A la guerre, on est toujours deux. C’est l’attaque qu’elle a à recevoir, au lieu de la lancer comme il est écrit. Sa situation est l’inverse de celle que lui fait l’écrivain. Comment s’en retire-t-elle ?

« A 8 heures, elle est en pleine retraite, entraînant dans son mouvement la 11e division, » est-il écrit encore. Erreur, disons-nous de nouveau :

A 8 heures, en réalité, la division a été éprouvée, oui, mais elle est établie à la lisière Nord de la forêt de Château-Salins ; elle y restera jusqu’après midi ; elle tient la ligne de Château-Brehain, Brehain, Achain ; elle est en liaison étroite avec la 11e division toujours à Pévange, un de ses objectifs de la veille. « En pleine retraite ? » Non. Au 20e corps on ne bat en retraite que sur des ordres formels. Pour qui a vu les troupes, ce jour-là notamment, cet esprit y règne de haut en bas. En fait, la 39e division ne quittera la corne Nord de la forêt de Château-Salins qu’à midi 45 ; et de même, la région avoisinante des localités ci-dessus indiquées. Mais à ce moment, les ordres de retraite sont depuis longtemps partis d’en haut, et l’ont touchée.


Quant à la 11e division qui aurait été entraînée dans ce mouvement de retraite, toujours dès 8 heures, l’erreur est aussi complète. Elle tient dans la matinée les positions gagnées la veille et se maintient toute la journée sur les hauteurs qui les dominent : hauteurs Sud d’Habondange et de Conthil-Riche, Lidrequin et Haut de Koking. Bien plus, de ces derniers points elle aspire et se prépare à répondre aux appels de l’armée formulés dès 7 heures, répétés à 8 heures 15, d’attaquer vers Lidrezing pour dégager le 15e corps. Car ce corps d’armée contre-attaqué sur tout son front depuis la région de Bideffstroff jusqu’à la lisière Sud-Est de la forêt de Bride et Koking est dans une situation critique. Il est demandé par l’armée au 20e corps, à 8 heures 15, « d’attaquer immédiatement vers Lidrezing pour enrayer l’offensive ennemie et dégager le 15e corps. »

La 11e division ne quittera cette région que dans la soirée, et avec ses arrière-gardes dans la nuit, après l’exécution du repli ordonné à la 39e division. C’est toujours sur un ordre qu’elle se repliera et dans une tenue parfaite.


« Découverte par la retraite du 20e corps, vivement pressée par les Allemands, la 68e division de réserve se replie à son tour, » est-il encore écrit dans le récit de la matinée du 20 août. Nous avons vu ce qu’était la retraite du 20e corps. Il n’y en avait pas. Jusqu’à midi 45, il tient la forêt de Château-Salins, y compris sa corne Nord ; par-là, il couvre toujours le flanc droit de la 68e division de réserve. Quand il se replie dans l’après-midi, par ordre supérieur, la 68e s’est déjà repliée.


En résumé, le 20 août 1914, à midi, le 20e corps est en état physique et moral de résister à l’ennemi et de l’arrêter, si on le lui demande. De plus rudes épreuves devaient, au cours de la guerre, montrer tout son pouvoir de résistance. Sa retraite, ce jour-là, est donc l’effet et non la cause de l’ordre de l’armée de 10 heures 30. Il ne m’appartient pas de dire de quelles considérations cette décision résultait. Elle ne pouvait, en aucun cas, sortir de la situation ou de l’attitude du 20e corps.


Quant au chef du 20e corps « emporté par sa fougue » et lançant à l’aube la 39e division à la prétendue attaque des hauteurs et devenant ainsi une des causes de tout le désastre, on a vu qu’il n’avait rien lancé.

Pas davantage, on ne trouverait trace de cette fougue inconsidérée dans ses ordres au 20e corps, malgré les invitations formelles du commandement supérieur.

Celui-ci prescrivait en effet, le 18 août, dans une instruction générale :

« L’ennemi cède devant nous : en particulier, il a abandonné Sarrebourg et Château-Salins.

« Dans l’intérêt général, il faut le poursuivre avec toute la vigueur et toute la rapidité possibles.

« Le général commandant la 2e armée compte sur l’énergie, sur l’élan de tous pour atteindre ce résultat.

« Il invite les commandants de corps d’armée à inspirer à leurs troupes cet état d’âme différent de l’esprit de méthode qui s’impose vis-à-vis d’organisations défensives préparées.

« Dans ce même ordre d’idées, les éléments lourds, qui retardent la marche, seront rejetés en queue des colonnes, jusqu’au moment où leur entrée en action deviendra nécessaire. »


Commandant du 20e corps à cette date, je dois aujourd’hui à son honneur, à son splendide passé, à ses glorieux drapeaux, de ne pas en laisser approcher l’ombre d’une tache, sous la forme d’un récit inexact, ni de lui laisser attribuer un renversement dans la direction des opérations que rien ne justifie de sa part.

Recevez, Monsieur le directeur et cher confrère, l’assurance de mon entière considération.

Maréchal Foch.