Le Bâton de Saint-Guénolé

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Le Bâton de

Saint-Guénolé

Saynète-Féerie en 1 Acte




PERSONNAGES


Saint GUÉNOLÉ,

ALANIK,

LE LOUP-GAROU,

LE GRAND SORCIER,

KRISTOL, son domestique,

LES KORRIGANS,

LE CHŒUR.


Dans les bois de Bieuzy, en Pluvigner, — À droite et à gauche, la forêt ; au fond, une lande hérissée de quelques menhirs ; une fontaine parmi les arbres.



Scène 1

Alanik, dort, couché au pied d’un vieux chêne ; saint Guénolé lui apparaît, lui remet une baguette mystérieuse et dit :
Saint Guénolé

Alanik, je t’ai vu souvent dans ma chapelle,
Durant que ton troupeau, là-bas, mugit et bêle
Venir t’agenouiller et prier un instant ;
Et c’est pourquoi je mime et je veux, mon enfant,
En retour de l’amour profond que tu me portes,
Et pour que, triomphant et sain et sauf, tu sortes
Des dangers dont ce bois ténébreux est peuplé,
Te donner ce bâton merveilleux et sacré
Qui peut fendre d’un coup la plus énorme pierre
En produisant l’éclat effrayant du tonnerre.
Au revoir, Alanik, aime toujours beaucoup
Saint Guénolé qui te défend du Loup-Garou.

(Saint Guénolé disparaît.)
Alanik, s’éveillant

Tiens !… Où suis-je ? Ah ! je me souviens : voici le bois ; là-bas, la lande… et ces menhirs si noirs dans les ténèbres. Il fait nuit, nuit sombre ! La lune n’a pas encore jeté sur la terre un seul de ses rayons… J’ai dormi trop longtemps. Ah ! quel beau rêve je faisais ! La vie semblerait si courte, si belle, si on rêvait ainsi toujours. Je traversais un champ de blé-noir fleuri ; un moine m’apparut, tout blanc de la tête aux pieds, qui me donna un bâton, celui que j’ai là, dans la main, en me disant : « Prends ce bâton ; il te garantira de tout danger : en lui tu trouveras ta force et ta joie ! » Ainsi parlait le moine blanc. Il a disparu, hélas, mais le bâton me reste. Quelque méchant qu’il soit, je ne crains plus le Loup-Garou. Aussi bien, existe-il un Loup-Garou dans la forêt de Saint Bieuzy ?

Il chante.

Ohé, Garou, ohé !
Si tu tiens à ne pas mourir,
Mieux vaut pour toi rester dormir
Car de ma main tu vas périr
Ohé, Garou, ohé !



Scène II

Le Garou de loin.
,

Ah ! Ah ! Ah ! Voilà mon souper, voilà mon souper !

Alanik

Ô mon Dieu, qui vient là ? Quelle voix ! C’est le diable, à coup sûr ! Fuyons vite ! Où me cacher ? Mon Dieu, mon Dieu ! Ah ! voici ! Derrière ce grand menhir…

Le menhir qu’il touche de son bâton s’ouvre instantanément pour le cacher.

Le Garou

Ah ! Mille malédictions !… Tiens ! Personne ! C’est étrange ! Mes oreilles ne se sont pourtant pas trompées !…Personne, pas un chat ! Je dormais, j’ai entendu chanter. une belle voix, ma fine, une voix douce et claire comme la rosée qui, chaque matin, tombe goutte à goutte sur mon lit de fougères ! Elle chante encore dans ma tête ! Le bois, la lande, tout s’est tû pour l’écouter… Pourtant je suis en colère. Personne n’a le droit de réveiller, quand je dors, les échos de cette forêt.

Il chante.

Tant qu’un peu de jour luit encor
Ce bois est à quiconque y vient.
Tant qu’en peu de jour luit encor,
Quiconque y pleure, y rit, y dort,
Qu’il soit turc, tailleur ou chrétien.
Mais la nuit, ah ! la nuit,
Quand vient de sonner « la minuit »,
Ici, je suis le roi.
Fou qui serais assez hardi
Pour m’éveiller, tant pis pour toi.
Quand vient de sonner « la minuit »
Le maître ici, c’est moi.

Il parle

Quel que soit celui qui a chanté et qui, en chantant, m’a réveillé, gare à lui ! Je l’écraserais sous l’une ou l’autre de ces grosses pierres, s’il s’avisait, avant le jour, de troubler encore mon sommeil. J’ai faim de chair et soif de sang humains !

Il se retire, en chantant comme plus haut.



Scène III

Alanik sortant du menhir.

Eh bien, en voilà un ogre ! Sûrement, il m’avalerait tout cru, sans s’étrangler ! Dieu merci, j’avais mon bâton, mon bâton enchanté ; il m’a suffi d’en toucher ce menhir, aussitôt il s’est entr’ouvert pour m’offrir un asile.

Le Sorcier de loin.

Nous approchons ! Nous approchons !

Alanik

Encore !… Qui vient là ? Je vais avoir une seconde fois besoin de mon bâton ! Voici le grand sorcier du pays et son imbécile de valet. Menhir, ouvre-toi, quand même tu serais plus dur que l’acier.

Il se cache dans le menhir comme précédemment.
Le Sorcier

C’est ici !… Tu ne vois personne aux alentours ?

Kristol un sac sur l’épaule gauche, une pioche sur l’épaule droite.

Personne !… La forêt est un vrai désert à cette heure de la nuit.

Le Sorcier

Quelle heure est-il ? Dix heures ?

Kristol

Oui, onze heures si même il n’est pas minuit. Si ce n’est pas folie.

Le Sorcier

Tais-toi, bavard ! Ne te souviens-tu pas que je t’ai promis, si tu m’obéis sans murmures, trois écus de plus par mois ?

Kristol

Et des bottes !

Le Sorcier

Et des bottes !

Kristol

Une bourse en cuir pour garder ma monnaie.

Le Sorcier

Une bourse aussi.

Kristol

Et un chapeau richement garni de velours.

Le Sorcier

Un chapeau !… Mais écoute, Kristol, pour les mériter, il faut que tu me suives, sans te plaindre et sans murmurer, jusqu’au bout.

Kristol

Jusqu’à la mort si c’est nécessaire.

Le Sorcier

Bien, Kristol.

Kristol à part.

Ma culotte est tellement humide de sueur que j’en grelotte, ma parole !

Le Sorcier

Tu trembles ?

Kristol

C’est de froid.

Le Sorcier

Nous ne sommes pas au bout. Nous voici cependant dans la clairière que je cherchais.

Regardant autour de lui.

Les menhirs, la fontaine, les deux chênes de chaque côté… En cet endroit, Kristol, un grand trésor est enfoui. Un homme, il y a de cela environ trois cents ans a voulu, avant de mourir, enterrer ici sa fortune.

Kristol à part

Il aurait mieux fait de la passer à ses enfants.

Le Sorcier

Voilà ce que j’ai découvert dans mes vieux livres.

Kristol

Sur mon âme, vous êtes le plus savant homme que la terre ait jamais porté.

Le Sorcier

Je ne suis pas le dernier à le croire, Kristol.

Kristol

Vous êtes plus habile que le Pape !

Le Sorcier

Oui, sans avoir eu autant d’école !… Eh bien, mon ami, quand un homme est si versé dans les sciences humaines et divines, quand il sait, sans avoir eu de maître, écrire, lire et compter, écrire en français et en latin, lire de bas en haut et de haut en bas, de gauche à droite et de droite à gauche ; quand un homme comprend le langage des oiseaux, qu’il sait nuire sans pitié et faire le mal sans remords ; lorsqu’il peut guérir et les gens et les bêtes, avec les herbes qu’il recueille, le soir, à la clarté des étoiles ; quand un homme connaît tant de choses et peut accomplir tant de merveilles, ne penses-tu pas, Kristol, en vérité, que cet homme n’a au-dessus de lui que Dieu seul ?

Kristol

Dieu seul sans doute, notr’ maître… le diable aussi peut-être !

Le Sorcier

Dieu seul, te dis-je : le diable lui obéit comme les autres. Eh bien. Kristol cet homme dont je te parle… c’est moi !

Kristol

Vous !… C’est trop fort ! Je ne m’en doutais pas !… Première nouvelle !

Le Sorcier à part

Quel idiot ! [Haut].

Pourtant, depuis trois ans, tu es témoin de tous les prodiges que j’accomplis, de mes miracles, plus étonnants que ceux du saint le plus fameux ! Ne vois-tu pas, chaque jour, la foule des pauvres gens qui se pressent vers ma demeure, me suppliant de les guérir du mal de dents, de la migraine, des rhumatismes, des panaris, des maladies de peau, de la colique, de la coqueluche, de la fièvre, de tous les maux dont un homme peut souffrir ? Un temps fut où nuit et jour, ils assiégeaient ma maison, me conjurant de leur rendre la santé !

Kristol

Oui, sûrement, notr’ maître ; il faut avouer pourtant qu’ils ne sont plus aussi nombreux.

Le Sorcier

C’est vrai, Kristol… à cause du saint !

Kristol

Quel saint ?

Le Sorcier

Quel saint ?… Saint Guénolé !

Kristol à part

Patron de ma mère, priez pour nous ! [Haut]. C’est un grand saint et qui me trouverait une femme, s’il le voulait.

Le Sorcier

Grand ou petit, Kristol, un saint ne doit jamais faire concurrence aux pauvres gens.

Kristol

Je suis de votre avis, notr’ maître.

Le Sorcier

Il me fait une rude concurrence pourtant, saint Guénolé. Du jour où il s’est mis à faire des miracles, il m’a fait tort dans mon métier, grand tort. Bien rares sont maintenant ceux qui viennent encore me consulter… Et cependant, il me faut vivre, moi aussi !

Kristol

Tout ça, c’est bien vrai, notr’ maître

Le Sorcier

Tous les malades, tous les infirmes vont le « trouver », lui ; ils prient un instant devant ses reliques, les baisent dévotement une fois ou deux, et sans remèdes, sans drogue aucune, crac, les voilà tout à coup guéris ! Maudites reliques !… Que n’es-tu allé, Kristol, me les prendre là-bas, quand la porte de la chapelle était encore ouverte ?

Kristol

Eh quoi !… Porter la main sur une chose aussi sainte !…

Le Sorcier

Si tu veux bien le faire encore, — vois, Kristol, vois comme je suis bon pour toi ! — le quart du trésor qui gît là, sous cette pierre, le quart de ce trésor… est à toi. Tu pourras ainsi te marier, selon tes goûts.

Kristol

Ce ne sont pas les filles qui manquent, notr’ maître, c’est l’argent.

Le Sorcier

Je te le propose.

Kristol

Oui… mais…

Le Sorcier

Mais quoi ?

Kristol

Le saint !

Le Sorcier

Nous lui réserverons l’autre quart du trésor : plus qu’il n’aura d’offrandes, à son pardon, demain.

Kristol

Tiens, c’est vrai ! C’est demain le grand pardon

Le Sorcier

Eh bien, que réponds-tu, Kristol, oui ou non ?

Kristol

C’est oui.

Le Sorcier

Bien ! — Cours jusqu’à la chapelle ; si la porte est fermée, tu grimperas le long du mur ; tu briseras un des vitraux…

Kristol

C’est bon, c’est bon : je vois ce qu’il faut faire. Les fenêtres ne sont pas très hautes et je grimpe comme un écureuil.

Le Sorcier

Va donc ! Je t’attends ici, au milieu de la forêt.

Kristol

Vous n’attendrez pas longtemps.

Le Sorcier

Les reliques sont à droite, dans un petit reliquaire.

Kristol

Je sais bien.

Le Sorcier

Pas de bruit !

Kristol

N’ayez crainte ! Celui qui m’attrapera n’est pas encore en ce monde !

(Il s’en va en courant).



Scène IV

Le Sorcier, seul

Va, Kristol, et reviens dès que tu pourras ! En attendant, je saurai bien, tout seul, découvrir le trésor que je cherche. [Tirant de son gousset un vieux parchemin.] Ô parchemin béni, plus précieux que les reliques du saint le plus puissant, venez là, sous mes yeux, que je vous regarde encore, que je vous porte jusqu’à mes lèvres. Que je déchiffre encore une fois les signes magiques qu’un inconnu vous a confiés. [Lisant]. « Quiconque possédera un jour cet écrit, s’il est dévotieux et s’il aime les saints, se rendra, la veille du grand pardon, dans le bois qui ombrage la vieille chapelle de saint Guénolé. Il y trouvera une fontaine, entre deux chênes qui, en ce temps-là, auront peut-être disparu. En cet endroit, j’ai enterré toute ma fortune, au pied du plus grand des menhirs. Qu’il ait l’obligeance d’offrir ce trésor au Patron de la chapelle, s’il désire vivre en paix avec les saints et Dieu. »

[En repliant le parchemin pour le remettre en son gousset]

Qu’il soit fait, mon digne homme, selon vos volontés !… Cherchons d’abord le trésor ; ensuite… nous verrons. Il est encore écrit que, pour le trouver, il faut trois choses : faire un signe de croix à rebours sur la fontaine, prendre de l’eau dans le creux de la main et s’en aller, à genoux, jeter cette eau, par trois fois, contre la plus haute des pierres, en disant :

 « Va-t’en à droite ou bien à gauche,
« Sans ça, d’un seul coup, je te fauche. »

[Il exécute tout ce qu’il dit].

Faisons le signe de la croix, à rebours, sur la fontaine. Bien ! Prenons de l’eau !… Ah ! Ah ! Par ma foi, c’est bien profond ! Voilà !… Au menhir maintenant ! Préparons-nous à jeter l’eau, en disant, selon les rubriques :

 « Va-t’en à droite ou bien à gauche
« Sans ça, d’un seul coup… »

[Un coup de tonnerre le fait tomber à la renverse
et s’enfuir en criant
 : Ah ! malheur ! ]



Scène V

Alanik, riant aux éclats.

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Il m’a suffi de demander
Au bâton de saint Guénolé,
Un éclair, un coup de tonnerre.
Et voilà le sorcier par terre !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
C’est amusant, très amusant !
Brav’ Kristol, à toi maintenant !

Je n’ai qu’à toucher le menhir de mon bâton, il va s’ouvrir instantanément.

[Il se cache dans le menhir comme précédemment.]



Scène VI

Kristol, de loin.

J’ai brisé la porte, notr’ maître, les voilà, les voilà !

Alanik dans le menhir, imitant la voix du sorcier.

Bien, Kristol, bien, très bien.

Kristol un sac énorme sur le dos.

Il ne reste plus que le trésor à chercher.

Alanik

Hélas ! Hélas !

Kristol ahuri.

Tiens !…

Alanik soupirant bruyamment

Ah !

Kristol

Eh quoi !… La pierre !… Les pierres parlent à présent !… J’ai entendu une pierre me causer ! Je rêve !… Et le maître ?

Alanik

C’est moi, Kristol, c’est moi.

Kristol

Vous ! Où donc ?

Alanik

Ici.

Kristol

Sous cette grosse pierre ?

Alanik

Hélas oui !

Kristol

Quelle idée d’aller vous loger là-dedans, notr’ maître.

Alanik

Je tiens le trésor, Kristol, il est ici, dans mes mains mais…

Kristol

Mais quoi ! Il n’y a qu’à le sortir.

Alanik

Pour que je puisse te le passer, il faut auparavant que cette grosse pierre s’en aille.

Kristol

Je ne pourrai jamais la bouger, notr’ maître.

Alanik

Elle s’en ira toute seule. Prends seulement une goulée d’eau dans la fontaine.

Kristol

Tout de suite, notr’ maître.

Alanik

Assieds-toi là maintenant et ne bouge plus.

Kristol assis sur un rocher, la bouche pleine d’eau

Hum. hum !

Alanik

Ne bouge plus quoi qu’il advienne et que tu voies !


Scène VII


[On entend chanter].
Le Chœur

Comme il est doux, le vent du soir — le vent du soir.
Éveillez-vous, lutins jolis, — lutins jolis.
Comme il est doux, le vent du soir — le vent du soir.
Venez danser sous le ciel noir,
Lutins jolis !… Voici minuit ! Voici minuit !

[Minuit sonne dans le lointain].

À droite, on entend : Tihou, tihou, tihou !… Hip !

[Un korrigan saute d’un arbre sur la scène].

À gauche doucement : Tihou, tihou, tihou !… Hop !

[Un deuxième korrigan saute et s’accroupit].

Ils se regardent et en même temps : Ah !

Tous deux : Venez, venez, venez, venez !

Le premier : Les bois sont déserts à minuit.

Le deuxième : Venez donc et dansons sans bruit.

Tous deux : Venez, venez, venez, venez !

[Les korrigans accourent de tous les côtés et, sans chanter, accompagnés seulement par l’orchestre, ils exécutent une danse fantastique qu’ils interrompent subitement pour se grouper autour de Kristol. Tout ce qui suit est chanté, sauf les passages indiqués.]

Les Korrigans

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Que fait-il là
Ce gros bêta ?
Est-ce un tailleur, est-ce un pacha ?

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Que fait-il là
Ce gros bêta
Qui de la lune a chu si bas ?
Qui es-tu ? Qui es-tu ?

Un Korrigan

Parle ou sans ça
Nous allons appeler le Saint
Qui déliera
Ta langue encor lourde de vin.

Kristol parlant

Appeler le saint ! Ah ! non, de grâce, n’allez pas le chercher. Je suis prêt à lui rendre tout ce que j’ai volé.

Les Korrigans

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
C’est un voleur !
Il te faudra,
Si tu veux éviter le plus grand des malheurs
Rendre à qui l’a perdu ce que tu dérobas.

Kristol

J’ai dérobé…

Les Korrigans

Quoi donc ?

Kristol

Quoi ? Des reliques !

Les Korrigans

Ah ! des reliques !

Kristol

Oui. j’ai… j’ai pris… ayez pitié !
Les reliqu’s de saint Guénolé.

Les Korrigans

Quel crime horrible il a commis ! Ah ! sois maudit, oui, sois maudit !

Kristol

Je veux les rendre… ayez pitié !

Les Korrigans

Ô terre, entr’ouvre-toi,
Engloutis cet homme sans foi,
Pour punir son infâme exploit !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
C’est un voleur !
Il te faudra,
Pour regagner ta part de paradis,
Rendre à saint Guénolé ses ossements bénis.

Kristol parlant

Les voici, mes gentilshommes, les voici, prenez-les, je vous en conjure, et rapportez-les vous-mêmes au saint, dans sa chapelle, car moi, savez-vous, j’ai trop peur, oui, j’ai peur de le voir descendre, blanc comme la neige, sur le pavé de la chapelle et, courroucé, brandir son grand bâton pour me fendre la tête !… J’aimerais mieux, voyez, mourir ici tout de suite.

Les Korrigans

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Alléluia !
Attends nous là
Que nous soyons allés là-bas
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Alléluia !
Attends-nous là
Que nous ayons rendu tout ça.

Frrr…t ! Ils s’en vont avec les reliques.




Scène VIII

Kristol

Ah ! me voilà débarrassé de mon sac de reliques ! Mâtin ! Ça pesait comme du plomb sur mes épaules !… Mais… notr’ maître ? Il est temps de penser à lui… de le délivrer !

Criant vers le menhir.

Notr’ maître ! Notr’ maître ! Hein ?… Rien !… Il faudra piocher.

Il va pour donner un coup de pioche ; un éclair le renverse suivi d’un violent coup de tonnerre. Il s’enfuit en hurlant.



Scène IX

Alanik sortant du menhir, en riant

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Il m’a suffi de demander
Au bâton de saint Guénolé
Un éclair, un coup de tonnerre.
Voilà le brav’ Kristol par terre.
Pour être tout à fait vainqueur
Une chose me reste à faire :
Terrasser le Loup ravageur.

Il chante :

Garou, Ohé ! Ohé !
Venez, venez !
Je n’ai nullement peur de vous,
Et je vous défie, ô Garou !



Scène X

Le Loup-Garou chantant

Qui donc ainsi
M’appelle ici
Et si hardiment me défie,
Faisant si peu cas de la vie ?

Alanik

C’est moi.

Le Garou

Toi, pauvret !

Alanik

Pauvret ! Qu’en sais-tu ? Je suis plus fort que toi quand j’ai en main ce bâton merveilleux et que j’invoque saint Guénolé.

Le Garou ironique.

Ah ! Ah ! Quelle chance ! Sûrement je n’ai plus qu’une chose à faire : m’enfuir et mettre entre nous deux… la mer !

Alanik

C’est ça !… Désormais, c’est moi qui suis le maître dans ces bois.

Le Garou

Nous allons le voir à l’instant, mon petit. En attendant, prie Dieu, pour la dernière fois.

Alanik à genoux, chante.

Saint Guénolé, saint Guénolé,
Me voici dans un grand danger
Par la vertu de ce bâton
Qui fit peur au sorcier larron,
Venez encore à mon secours.
J’ai confiance en vous toujours

La forêt s’illumine, saint Guénolé apparaît, tout blanc, dans un nuage, pendant que le Garou tombe à la renverse et que chante :

Le Chœur

Voici le saint !

Le Saint

Oui, me voici.

Le Chœur

Voici le saint, saint Guénolé.
Loups et sorciers
Quitteront les bois de Bieuzy.

Le Garou

Voici le jour, le jour qui luit.
Il faut hélas, fuir devant lui.

Il s’enfuit.
Le Chœur

Voici le saint !

Le Saint

Voici le saint ! Oui, me voici.

Le Chœur

Voici le saint, saint Guénolé.


Le Saint parlant

Sous ce menhir il n’y a plus
Depuis longtemps argent ni or.
Si toutefois il y en eût.
Mais il est un autre trésor
Que moi je garde et je défends,
C’est l’âme des petits enfants.


Le Chœur

Grâce à vous, ô Saint Guénolé,
Que ce trésor soit bien gardé.


RIDEAU
Bignan, le 15 février 1912
J. Le Bayon.




On remarquera que les vers de cette saynète sont assonancés plutôt que rigoureusement rimés. C’est à dessein. Ils s’adaptent d’ailleurs parfaitement à la musique composée par M. Decker sur le texte breton.