Le Banquet des Muses/Grotesques imaginations de turlupin. sur les amours de son maistre

La bibliothèque libre.


GROTESQUES IMAGINATIONS DE TURLUPIN.

SUR LES AMOURS DE SON MAISTRE.


Mon maistre chauve comme un œuf,
Ridé en caillette de bœuf,
Plus vieux que n’est la Passe-Meze,
Ny que la Diane d’Epheze,
Entrant comme un fourgon à four,
Est si fort constipé d’amour
Qu’il n’en chiera de trois semaines,
Ce feu bondit dedans ses veines,
Comme un balon dans un sabot.

Plus gorgias qu’un escarbot,
Plus frais que sa vieille escarcelle,
Plus affable qu’une pucelle,
Et plus sage qu’un pelerin
Qui revient de Saint-Mathurin ;
La voix accordante et hardie
Comme un rossignol d’Arcadie,
Sobre comme un petit pourceau,
Fameux comme l’huis d’un bordeau,
Honneste comme un pot de chambre,
Plus attrayant qu’un dizain d’ambre
Plus blandissant qu’un reformé,
Plus sain qu’un ladre confirmé,
Plus secret qu’un coup de tonnerre,
Plus accostable qu’un lierre.

Au demeurant, tousjours joly,
Plus reluysant et plus poly

Qu’Itis ny sa pierre de touche,
Les mots luy croissent dans la bouche,
Comme le musc sur un retraict.
Bref, jour et nuict ce vieux pourtraict,
Eveillé comme un chat qu’on fesse,
Ne parle rien que de maistresse,
D’Amours, de feux, de Cupidons,
De traicts, d’attraicts, et de brandons,
D’yeux, de soleils, d’astres, de charmes,
De feux, de martyres, de larmes,
Et autre attirail amoureux :
Jargon ordinaire à tous ceux
Qui suivent l’Enfant de Cyprine.

Poussant de sa froide poitrine
Plus de souspirs et de sanglots
Qu’un espagnol ne fait de rots,
Ny de vesses les accouchées,
Ny qu’un lansquenet aux tranchées
Ne fait de pets quand il est sou.

Bref, je ne croy point que ce fou
N’ait tous les Diables dans le ventre,
Et que du Plutonique centre,
Cerbere ne soit déchaîné
Pour tourmenter cet obstiné,
Tant est grande d’amour la rage.

Pour moy, si ce beau dieu volage
Venait de son poizon charmeur
Embroüiller ma gaillarde humeur,
Le chef coiffé d’une marmitte,
Sur mon ventre une lichefrite,
A grands coups de broche à rostir


Je l’en ferois bien repentir :
Puis, l’ayant demonté de fleches,
D’arc, de carquois, et de flamèches,
Ce bastard, ce mignon, ce nain,
S’en iroit pleurer tout soudain.
En Paphos, en Cypre, en Cythere,
Au sein de sa paillarde mere !
Ou j’envoyrois, en mon courroux
Dans les Enfers ce Dieu des foux,
Avec Pluton et Proserpine.

Fy d’amour vive la cuisine !
Vive les pots, vive les plats,
Andoüilles, gogues, cervelats !
Vive la chair, vive la soupe,
Et vive l’amour quand je souppe !

Car vivre tousjours sans soucy,
Avoir le ventre bien farcy,
De salmigondis, de salades,
De jambons, et de carbonnades,
Et boire sec comme un sapin
Sont les amours de Turlupin.

O que c’est une chose hydeuse
Qu’un portraict d’une ame amoureuse !
Celuy qui veut peindre un amant,
Qu’il s’imagine seulement
Ces spectres qui les nuicts entieres,
Environnans les cimetieres
Font retentir les monumens
D’espouventables hurlemens ;
Ou qu’il se forme une statuë,

Have, longue, maigre, pointuë,
Comme l’idole de la Faim ;
Qu’il prenne encor pour son dessein
Ces squelettes anatomiques
Que l’on voit toujours aux boutiques
Des barbiers les plus ignorans
Pour se faire estimer sçavans ;
Ou les carcasses décharnées
Des haridelles écorchées ;
Ou ces phantosmes de drapeaux
Qui espouvantent les oiseaux.

Bref, je ne croy point qu’en ce monde,
Ny dedans la fosse profonde
Où sont les esprits tenebreux,
Se trouve rien de si affreux,
Si sec, si horrible, et si maigre,
Que ces amoureux de vin-aigre.

Encor mon vaillant franc-archer,
Qui ne sçait pas son nez moucher,
Trenche de l’Amadis de Grece,
Et pour complaire à sa maistresse
Est toujours armé jusqu’aux dents ;
Ses yeux sont deux tisons ardents,
Qui leur jalouses flâmes dardent
A ceux qui seulement regardent
La Circé qui l’a enchanté.

Un vieux registre, un cu gratté,
Bossuë devant et derriere
Comme une double gibeciere,
Le teint flétry et bazanné
Comme un vieux contract suranné,


Une furie, une megere,
Une meduse, une sorciere,
Un vieux havre ouvert à tout vent,
Une lanterne de couvent,
Nez-pourry, cu-plat, fesse-molle,
Sur qui la teigne, et la verolle
Ont exercé leurs cruautez,
Percée a jour de tous costez,
De qui les mamelles molasses
Serviroient bien de deux bezasses,
Le menton fait en chausse-pié,
Le bas du ventre historié
Comme un bast de mulet d’Auvergne ;
De son penil pend une hargne,
Qui rencontrans deux landions
Font en ses brusques tordions
Entre ses fesses applaties
Une musique à trois parties.

Bref, ce vieux fust, ce vieux cabas,
Qui mene le branle aux sabbats,
Qu’un grand bouc parmy cette troupe
A mille fois portée en croupe,
Et qui cent fois a lachement
Baisé le diable au fondement :
Vieille aridelle de bagages,
A qui palefreniers, et pages,
Laquais, soldats, et pionniers,
Ont monté dessus ses paniers.

Enfin cette laide guenuche,
Le cu chaud en poule d’austruche,
Sçait si bien mon maistre piper,
Et dans ses filets attraper

Qu’il est enragé s’il n’embrasse
Toujours cette vieille carcasse.

Voila le suject tant aymé
Qui fait que, jour et nuict armé
En escuyer de Dom Quichotte,
Et jusqu’aux genoux dans la crotte,
Je prens garde qu’en ce bordeau
Ne glisse quelque maquereau
Pour de sa langue babillarde,
Nous emporter cette mignarde
Qui tient lié ce jobelin
Comme un asne à l’huis d’un moulin.

Au diable l’amour et les charmes,
Au diable la guerre, et les armes !
Depuis que ce gentil amant
A coiffé mon entendement
De ce morion effroyable,
J’ay toujours esté miserable,
Poüilleux, crasseux, crotté, lassé,
Plus embrené, plus harassé
Qu’un chien qui a les loups aux fesses ;
Puis après ces belles proüesses
Il faut souvent disner par cœur.

Peut-on mieux montrer sa valeur,
Et sa genereuse origine,
Que de bien frapper en cuisine ?
Tailler en pieces un jambon,
Fendre jusqu’aux dents un chappon,
Rompre d’un pasté les murailles,
Fondre dans un gros de volailles,

Arranger les contre-hastiers,
Flanquer broches, pointer landiers,
Puis soufler a trongnes flambantes,
Comme celles des coribantes,
Dedans un cornet bacchanal,
Tant que le piot septembral,
Par un vineux entouziame
Ravisse et transporte nostre ame
Sur Cytheron, où autrefois
Se solennisoient tous les mois
Du Pere Denis les orgies,
Lors que les Menades rougies
Crioient d’un gozier enroüé :
Io, Iacq, Evan, Evoé !

O la douce et gentille guerre !
Il n’est chamaillis que de verre,
Carrabines que de flacons,
N’y fourniments que de jambons,
Rondaches que lichefrites,
Bourguignottes que de marmites,
Escarmouches que de festins,
Bandolieres que de boudins,
Ny escharpes que de saucisses.
O cuisine ! ô douces delices !
Chez toy toûjours je me suis veu
Potelé, rebondy, fessu ;
Mais depuis que je t’ay perduë,
Toute ma graisse s’est fonduë.

Mon col ressemble un entonnoir,
Ma teste applatie en battoir
Est fichée entre mes espaules,
Comme un chardon entre deux gaules ;


L’œil have, le front de canard,
Le nez en coque de haumard ;
L’oreille en siflet à moustarde,
La trongne tétrique et hagarde,
Le gosier sec en pied d’eslan,
La bouche creuse en four à ban,
Les joües molles et fanées,
Comme vessies surannées,
Le front passé en marroquin,
Les machoires en vilbrequin ;
Les narines en deux gouttieres,
Les dents en longues fourches fieres,
Les doigts crochus comme havets,
Longs en manches de ganivets ;
Les deux mains comme deux estrilles,
Les deux coudes comme deux billes,
Le bras fait comme un larigot,
L’espaule pointuë en argot ;
Mes ongles sont toilles d’araignes,
Mes pieds sont deux estuis de peignes,
Mes cuisses comme deux treteaux,
Mes jambes deux gresles fuseaux ;
Ma voix semble un son de cimbales,
Ma poistrine un jeu de regales,
Mon dos ne ressemble pas mal
A l’eschine d’un vieux cheval ;
Mes spondiles maigres et croches
Sont des landiers à tourner broches ;
J’ay le nombril en bilboquet,
L’entre-fesson comme un claquet,
Le cropion en cu de lampe,
Les fesses plates en estampe,
Et les genitoires pendans
Comme les manches des pedans,

Le trou d’où sort le vent de bize
Comme une glace de Venise.

O grasses cuisines de cour !
Maudit soit la guerre et l’amour,
Qui m’ont transformé en gendarme !
Tu’ tu’ tu’ tuë, alarme, alarme !
Ne vois-je pas des gens de fer ?
Pleût-il à Dieu que Lucifer !
Jusques à leur fureur passée,
M’eût mis dans sa chaire perçée,
Tant je crains que maint horion
Ne pleuve sur mon morion !