Le Banquet des Muses/Le bailleur d’excuses en payement

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Mertens et fils (p. 81-85).


LE BAILLEUR D’EXCUSE

EN PAYEMENT


La mer n’a point tant de balaines
La terre n’a tant de fontaines
Ny tant d’astres le firmament,
Qu’il est de faiseurs de fusées,
De bailleurs de bille-vezées,
Et d’Excuses en payement.

Esperois-tu que ton affaire
Par ce grand qui la devoit faire
D’eust reüssir heureusement :
Toute frelore, ce sont bayes
Il suffit amy que tu ayes
Des Excuses en payement.

Si quelqu’un te fait la promesse
De t’eslargir de sa richesse
Prens-lé au mot presentement,
Car si sa volonté repose
Il baillera pour toute chose
Des Excuses en payement.

Quelqu’un te doit-il une somme,
Si quelque sergeant ne le somme
Et le chicane chaudement :
Tousjours ce bailleur d’esperances
Te repaistra de reverences
Et d’Excuses en payement.


Si un vieillard prend une fille,
Se cognoissant estre inhabile
A fournir à l’appointement
Et mettre dedans la belouse :
Il donne à sa nouvelle espouse
Des Excuses en payement.

Mon petit cœur que je te serre,
Si je ne craignois mon catherre
Je te le ferois rudement,
À cela je ne crains personne :
Ainsi ce vieux penard luy donne
Des Excuses en payement.

Il ne faut pas ma petite ame
Croire à nostre amoureuse flame,
C’est assez d’un coup seulement,
C’est la tasche du plus habille.
Ainsi fait-il croire à la fille
Des Excuses en payement.

Vieux bouquin aux tetasses molles,
Penses-tu par belles paroles
Appaiser son feu véhément ?
Non, sa flame est trop violente,
La pauvrette ne se contente
D’Excuses pour son payement.

Puis que tu luy faits ces escornes
Elle te plantera des cornes
Si elle a de l’entendement :
Si tu trouves cela estrange
Elle te rendra par eschange
Des Excuses en payement.


Monsieur, vostre mal, dira-elle
Deffend qu’a ma flame cruelle
Vous donniez rafraichissement :
Et le mien qui d’amour procede
Ne sçauroit prendre pour remede
Des Excuses en payement.

Je ne vous estois pas commode
Puis que ce catharre incommode
Vous deffend mon attouchement,
Il vous falloit hermite rendre,
En mariage on ne peut prendre
Des Excuses en payement.

Ainsi disoit une pucelle
À son vieillard, dont l’allumelle
N’avoit point de soustenement,
Et l’un et l’autre sans malice
S’entre-donnoient par exercice
Des Excuses en payement.

Un autre en semblable posture
Prenant les plaisirs de nature
Un peu trop excessivement
Voyant son encre estre finie,
Donne à sa nouvelle fourbie
Des Excuses en payement.

Il fit une lettre ployée,
Faint qu’elle luy est envoyée
Du grand Conseil expressement
Pour quelque affaire d’importance ;
La sotte alors print sans doutance
Ses Excuses en payement.


Mais tost apres ceste friande
Songeant à si douce viande
Ressentoit un chatoüillement,
Et d’une abscence si soudaine
Ne voulut prendre qu’à grand peine
Des Excuses en payement.

Un jour donc ce tendron vollage
Laisse entrer le chat au formage,
Mais non pas si secrettement
Que la chose ne fut cognuë,
Mais le jean prit à sa venuë
Des Excuses en payement.

Or il faut qu’en passant je touche
Un dont la femme fut en couche
Au bout des huict mois seulement.
D’un enfant vivant et viable,
Mais le sot print pour un semblable
Des Excuses en payement.

Puis il disoit, non, c’est folie,
Huict mois sont un terme sans vie,
Pour le sçavoir plus seurement
J’en veux le medecin entendre.
C’est à faire aux cocus à prendre
Des Excuses en payement.

Le medecin de Happelourde
Qui fut adverty de la bourde,
À ce bon Jean dit gayement :
Mon amy, sçache que ta femme
Ne t’a point baillé par diffame
Des Excuses en payement.


Les lunes, non les mois, l’on conte,
Or au temps que tu me raconte
Neuf lunes sont entierement
Certain terme où l’enfant a vie ;
Prend donc de ta fidelle amie
Les Excuses en payement.

Alors ce cocu à l’espreuve
Content et allegre se treuve,
Et retourné gaillardement,
Supplia sa femme et sa mère
De vouloir prendre sans colère,
Ses Excuses en payement.

Mignonnes, dont les belles ames
Suivent les amoureuses flames,
Tirez vos coups plus finement,
Et si l’on descouvre vos braizes,
Donnez aux jaloux de vos aises
Des Excuses en payement.