Le Banquet des Muses/Tombeau de marion

La bibliothèque libre.
Mertens et fils (p. 33-37).


TOMBEAU DE MARION


Cy gist pleine d’infection
La maquerelle Marion,
Qui fut jadis tant chevauchée
Qu’elle en eut la fesse écorchée,
Et qui dans ce lieu de repos
Fait chevaucher encor ses os
Par les fantomes et les ombres,
Tandis que sur les rives sombres
Des quatre grands fleuves d’enfer


Ceste amante de Lucifer
Aux cacodemons, et lemures
Apprend ses lubriques postures,
Attendant que son nez morveux,
Son front ridé, ses gras cheveux,
Ses brusques branslemens de fesses,
Ses tordions, et ses souplesses
Ayent charmé quelque lutin,
Qui l’a face avec L’Aretin
Tenir malgré les Destinées,
Bordel dans les Champs Elisées.

Marion devoit donc mourir ?
Marion devoit donc pourrir ?
N’estoient ses os et sa peau molle
Assez pourris de la verolle ?
Elle a tant foncé de deniers
Aux commissaires des quartiers,
Tant r’habillé de pucelages,
Tant appointé de mariages,
Tant porté d’amoureux poulets,
Et tant uzé de chapelets !

D’une femme elle en faisoit mille,
Tantost en pucelle gentille,
Tantost en femme de façon,
Tantost en fille de maison,
Le matin en jeune bourgeoise,
Le soir suivant en villageoise,
Aujourd’huy prise en l’hostel Dieu
Et demain dame de bon lieu.

Hier cette fille de joye
Fut femme d’un marchand de soye,

Aujourd’huy haussant son estat
C’est la femme d’un advocat,
Et demain plus rogue et plus fiere
Ce sera une doüairiere,
Veuve de quelque president
Et puis après, retrogradant
De doüairiere en advocate,
Puis en marchande delicatte,
En fin sortant de ce bordeau,
C’estoit une porteuse d’eau
Ou quelque fruictiere maussade
Et revendresse de sallade.

Quel Prothée ! Quel Gerion !
Quel inconstant cameleon !
Quel polipe ! Quelle chimere !
Quel sphinx ! Quel hydre ! Quel cerbere !
Et quels merveilleux changements !

Tout ce que les vieux monuments
De l’antiquité aveuglée
Nous racontent d’une Medée,
Qui rajeunissoit les vieillards
Par l’effort des magiques arts,
Ny de ces Thessalles sorcieres
Qui par murmurantes prieres
Villains cris et remaschemens
Changeoient les hommes en jumens,
Puis ayant fait porter leurs sommes,
Les changeoient derechef en hommes ;
Ny toutes ces mutations
Dont les plaisantes fictions
D’Ovide, flattent nos oreilles,
Ne sont rien près de ces merveilles.


Ny les dents du serpent python
Faites en geants ce dit-on,
Ny ceste enchanteresse Circe
Qui tous les compagnons d’Ulisse
Changeoit en infames pourceaux,
Ce sont glissades de cerveaux,
De toute verité forcloses,
Aupres de ces metamorphoses.

Car ce vieux remede d’amour,
Ceste courratiere de cour,
Ce vieux et decharné squelette,
Qui l’a tant fait à la ranglette,
Ce batteau enfondré dans l’eau,
Ceste lanterne de bordeau,
Ceste haridelle equenée,
Ceste levrette mastinée,
Ceste carcasse à dos de lut,
Ceste laye tousjours en rût,
Ce vieux plancher pour les araignes,
Semblable a ces juments brehaignes
Qui ne servent en leurs vieux ans
Qu’a porter le fumier aux champs.

Bref ceste effroyable Meduse
Pour mieux attraper par sa ruse
Les novices au jeu d’aymer,
Ne fit seulement transformer
En cent façons les jeunes filles,
Mais pour tromper les plus habilles
Et pocher les yeux d’un amant
Soy-mesme s’alloit transformant.
Quelques fois elle faisoit mine
De s’entendre à la medecine,

De manier le hastelet
De faire resoudre le laict,
De faire des bouts aux mamelles,
Guarir poulains et escrouelles,
Faisoit les eaux d’ange et d’alum,
Des cassolettes de parfum,
Des pastes à faire peau nette,
Sçavoit appliquer l’orcanette,
La ceruse, le vermeillon,
Elle coupoit le landion,
Puis redressoit la penilliere,
L’entre-fesson et la croupiere,
Le bilboquet, le trou d’amy
Avec la dame du parmy ;
Mais à la fin toute pourrie
Mourut au pays de Surie.