Le Barbier de Séville ajusté sur la musique Rossini

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Le Barbier de Séville
ou la Précaution inutile, opéra-comique en 4 actes, d’après Beaumarchais et le drame italien, paroles ajustées sur la musique de Rossini, par Castil-Blaze. 2e édition. (Lyon, 19 septembre 1821.)
Castil-Blaze.

PRESENTE POUR LA PREMIÈRE FOIS A LYON , LE 19 SEPTEMBRE l82I A PARIS, SUR LE THEATRE DE L'ODEON, LE 6 MAI l824.

OPÉRA - COMIQUE EN QUATRE ACTES,, PAROLES AJUSTÉES SUR LA MUSIQUE DE ROSSINI, PAR CASTIL-BLAZE; RUE DU FAUB MONTMARTRE, N°. 9.

1828


PERSONNAGES.

Le Comte Almaviva,

Bartholo,

Figaro,

Basile,

Pédrille,

Rosine,

Marceline,

Un Notaire,

Un Alcade,

Un Officier,

Musiciens.

Alguasils.

Soldats.

Valets.

Directeur, Chef d'orchestre,


La scène est à Séville


ACTE I


Une rue de Séville; à gauche est la maison de Bartholo avec un balcon, dont la croisée est grillée. Il fait nuit.,


Scène I

.


       Pédrille, Musiciens avec des guitares, des clarinettes, des cors, des bassons., 
                                                                  INTRODUCTION.

PédrillePianissimo, vous voilà tous , de sa fenêtre,approchez-vous.

Musicien Pianissimo, nous voilà tous, de sa fenêtre approchons-nous.

PédrilleIl va se rendre en ce séjour, faisons entendre Nos chants d'amour.



Scène II

Le Comte , Pédrille, Les Musiciens.

Le Comte Pédrille! holà!

Pédrille Je suis à vous.

Le Comte Et tes amis ?

PédrilleLes voilà tous.

Le Comte Fort bien , faisons silence,douce espérance. Je vais la voir.

Musicien Remplissons bien notre devoir.

Ils accordent leurs instruments, et accompagnent le comte, qui chanta sous le balcon de Rosine.

AIR.

Le Comte Des rayons de l'aurore, l'horizon se colore, et celle que j'adore est loin de mes yeux. Viens, ma voix t'appelle , Et d'un amant fidèle Daigne écouter les vœux. Silence... à sa fenêtre Je vais voir paraître, l'objet dont je suis épris, un doux sourire , de mon martyre, sera le prix. Aimable ivresse, Vive allégresse, Moment d'amour et de bonheur '. Quel transport agite mon coeur ! Eh bien, Pédrille?

Pédrille Monseigneur !

Le Comte La vois-tu?

Pédrille Non , vraiment.

Le Comte Il n'est plus d'espérance.

Pédrille Monseigneur, le jour avance.

Le Comte Ah ! pourquoi tant de rigueur?

Aux Musiciens. Mes amis! M. Monseigneur ?

Le Comte Je reconnais ce soin ,de vos talents ici nous n'avons plus besoin. Il donne une bourse à Pédrille, qui les paie.

PédrilleAux Musiciens Bonjour à tous, qu'on se retire , Il ne nous reste rien à dire. Mon maître reconnaît ce soin , de vous ici nous n'avons plus besoin.


OPÉRA-COMIQUE. 5

les Musiciens entourent Le Comte et le remercient. Il nous paie en seigneur, Cela doit nous surprendre ; Que de grâces à vous rendre, Quel profit, quel honneur !

Le Comte, et Pédrille Mes amis , c'est assez, point de bruit, taisez-vous. Race maudite, laissez-nous.

les Musiciens Pour nous quelle aubaine ! La chose est certaine, C'est un homme de qualité. C'est à la générosité Qu'on reconnaît la qualité.

Le Comte et PédrilleQuel tumulte, quel vacarme! Nous faisons un sot métier, Les marauds sèment l'alarme dans tout le quartier. Allez, allez, race maudite, laissez—nous et fuyez vite, Ou bien je vous ferai chasser. Quelle peine ! Comment nous en débarrasser?

Musicien. Pour nous quelle aubaine ! Oh ! la chose est certaine, C'est à la générosité, Qu'on reconnaît la qualité.

les Musiciens redoublent leurs importunite's, le comte et Pédrille, contrariés par le bruit qu'ils font, finissent par les chasser.

Le Comte. Les enragés, suis-les, Pédrille, de peur qu'ils ne reviennent sur leurs pas. Tu m'attendras à l'hôtel.


Scène III

.

Le Comte. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieux de Madrid, donnant des sérénades pendant la nuit, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme, à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle. Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. — Mais quoi ! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles ? — Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité, nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même ; et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement....

Figaro, en dehors. La la la, la la la, la la la:.

Le Comte. Au diable l'importun. Il se retire sous une arcade.


Scène IV


Figaro, Le Comte cachés.

AIR. Figaro. Place au factotum de la ville , La la la la la la la la la la.Vite au travail, on s'éveille à Séville , La la la la la la la la la la. La belle vie En vérité, pour un barbier de qualité! Ah ! mon sort est digne d'envie, La la la la la ]a la la la la , et ma gaieté jamais ne finira. La leran la leran la leran la. Venez , venez à ma boutique, Pauvres malades, venez-là. Prenez, prenez mon spécifique , De tous maux il vous guérira. Faut—il donner un coup de peigne ? Messieurs, on est bientôt servi. Ordonne-t-on que l'on vous saigne? Je peux vous opérer aussi. Et puis, toujours faveurs nouvelles, Avec les galants et les belles.

OPÉRA-COMIQUE

Avec les belles la leran la, Lazzi de donner un billet doux. Avec les galans la leran la. Lazzi de recevoir une bourse. La belle vie ! En vérité, Pour un barbier de qualité I De toutes parts on me demande , En mille lieux il faut que je me rende.

— Cher Figaro, dépêchez-vous, Allez porter ce billet-doux. Vite la barbe et vite un coup de peigne. Ah ! je me meurs ! il faut que l'on me saigne. Cher Figaro , dépêchez-vous, Allez porter ce billet doux. Figaro ?—Figaro ?—Figaro?—Mais de grâce ! Comment voulez-vous que je fasse ? Figaro ? — Me voici. — Figaro ! — Me voilà. Figaro ci, Figaro là, A vous servir voyez que je m'empresse, Je voudrais bien redoubler de vitesse. Messieurs laissez—moi respirer ! Qu'avez-vous donc à désirer? Ah ! bravo, Figaro ! Bravo, bravissimo ! A la fortune en peu d'instants, tu vas voler. (il aperçoit le comte.) J'ai vu cet abbé-là quelque part.

Le Comte , à part.Cet homme ne m'est pas inconnu.

Figaro. Et non, ce n'est pas un abbé. Cet air altier et noble....

Le Comte. Cette tournure grotesque....

Figaro. Je ne me trompe point, c'est le comte Almaviva.

le comte. Je crois que c'est ce coquin de Figaro.

Figaro. C'est lui-même, Monseigneur.

Le Comte. Maraud ! si tu dis un mot....

Figaro. Oui, je vous reconnais ; voilà les bontés familières dont votre excellence m'a toujours honoré.

Le Comte. Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas à mon déguisement que je veux rester inconnu ?

Figaro. Je me retire.

Le Comte. Au contraire, j'attends ici quelque chose et tu peux m'être fort utile.

Figaro. Que regardez-vous de ce côté !

Le Comte. Sauvons-nous.

Figaro Pourquoi ?

Le Comte. Viens donc, malheureux ! tu me perds.Ils se cachent.



Scène V

Bartholo, Rosine sur le balcon ; Le Comte, Figaro, cachés.

Rosine. Comme le grand air fait plaisir à respirer ! cette jalousie s'ouvre si rarement

Bartholo Quel papier tenez-vous là ?

Rosine. Ce sont des couplets de la Précaution inutile, que mon maître de chant m'a donnés hier.

Bartholo. Qu'est-ce que la Précaution inutile ?

Rosine. C'est une comédie nouvelle.

OPÉRA-COMIQUE. 9

Bartholo. Quelque sottise d'un nouveau genre !

Rosine, Le papier lui échappe, et tombe dans la rue. Ah ! ma chanson ! ma chanson est tombée. Courez , courez donc, Monsieur, ma chanson ; elle sera perdue.

Bartholo. Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient. (Il quitte le balcon. )

Rosine Regarde en dedans, et fait signe dans la rue. St, st ; le comte paraît ramassez vite et sauvez-vous. Le comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre.

Bartholo sort de la maison, et cherche.Où donc est-il ? je ne vois rien.

Rosine. Sous le balcon , au pied du mur.

Bartholo.Vous me donnez là une jolie commission ! il est donc passé quelqu'un ?

Rosine. Je n'ai vu personne.

Bartholo à lui-même. Et moi qui ai la bonté de chercher... Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami : ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousie sur la rue il entre.

Rosine. Mon excuse est dans mon malheur ; seule, enfermée , en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage ?

Bartholo paraît au balcon. Rentrez, señora , c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson ; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. Il ferme la jalousie à clef.


Scène VI

Le Comte, Figaro. Ils entrent avec précaution.

Le Comte. A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson.

le barbier de Séville, son, dans laquelle un mystère est sûrement renfermé. C'est un billet !

Figaro. Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile !

Le Comte lit vivement.« Votre empressement excite ma curiosité ; sitôt que « mon tuteur sera sorti, trouvez quelque moyen ingénieux pour m'apprendre enfin, le nom, l'état, et « les intentions de celui qui paraît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine, »

Figaro. Cela me regarde.... contrefaisant la voix de Rosine. Ma

chanson, ma chanson est tombée; courez, courez donc. il rit Ah, ah, ah. O ces femmes! voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue ? enfermez-la.

Le Comte. Ma chère Rosine !

Figaro. Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade ; vous faites ici l'amour en perspective.

Le Comte. Te voilà instruit -, mais si tu jases...

Figaro. Moi jaser! je n'emploierai point, pour vous rassurer, les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée ; je n'ai qu'un mot : mon intérêt vous répond de moi 5 pesez tout à cette balance, et...,

Le Comte. Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado , il y a six mois, une jeune personne d'une beauté.... Tu viens de la voir ! Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline, et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo.

Figaro. Joli oiseau, ma foi ! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était femme du docteur ?

OPERA-COMIQUE

Le Comte. Tout le monde.

Figaro. C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid , pour donner le change aux galans et les écarter ; elle n'est encore que sa pupille; mais bientôt....

Le Comte , vivement. Jamais. Ah! quelle nouvelle! j'étais résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets; et je la trouve libre! il n'y a pas un moment à perdre, il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne envasement qu'on lui destine, de tuteur est

Figaro. Brutal, avare, rusé, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort.

Le Comte. La crainte des galants lui fait fermer sa porte....

Figaro. A tout le monde. S'il pouvait la calfeutrer....

Le Comte. Ah ! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accès chez lui ?

Figaro. Si j'en ai. Je suis son barbier, son chirurgien, son apothicaire, il ne se donne pas dans la maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.

Le Comte, l'embrasse. Ah ! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur , mon dieu tutélaire.

Figaro. Peste ! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances ! parlez-moi des gens passionnés.

Le Comte. La porte s'ouvre.

Figaro. C'est notre homme ; éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti.


Scène VII

.

Le Comte, Figaro cachés, Bartholo.

Bartholo , sort en parlant à la maison. Je reviens à l'instant ; qu'on ne laisse entrer personne.—Quelle sottise à moi d'être descendu! dès qu'elle m'en priait, je devais bien me douter.... Et Basile qui ne vient pas ! il devait tout arranger pour que mon mariage se fît secrètement demain : et point de nouvelles ! allons voir ce qui peut l'arrêter.


Scène VIII


Le Comte Figaro.

Le Comte Qu'ai-je entendu ? Demain il épouse Rosine en secret !

FigaroMonseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre.

Le Comte. Quel est donc ce Basile qui se mêle de son mariage ?

Figaro. Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur... (regardant à la jalousie.) La vlà , la vlà. Derrière sa jalousie, la voilà.

On entend une croisée qui se ferme avec bruit.

Le Comte. Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro ?

Figaro.Elle passera plutôt à travers cette jalousie, que d'y manquer.

OPÉRA-COMIQUE. 13

Le Comte,C'en est fait, je suis à ma Rosine... pour la vie.

Figaro.Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend pas.

Le Comte Monsieur Figaro? je n'ai qu'un mot à vous dire : elle sera ma femme ; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom... tu m'entends, tu méconnais...

FigaroJe me rends.

Le ComteLindor compte sur ton adresse.

Figaro, vivement. Moi, j'entre ici, où, par la force de mon art, je vais, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, et de l'or dans vos poches.

Le Comte.Pour qui de l'or?

Figaro a, vivement. De l'or, mon dieu, de l'or : c'est le nerf de l'intrigue.

Le Comte. Ne te fâche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup.

duo. Figaro D'un métal si précieux je connais la magique puissance ; Et je vous promets d'avance le succès le plus heureux.

Le Comte Ah ! voyons ce qu'à ton génie,ce métal peut inspirer. Songe bien qu'il y va du bonheur de ma vie. fig. Il faut d'abord vous déguiser, par exemple.... en militaire,

Le Comte En militaire? Et pourquoi faire?

Figaro. Le régiment royal vient d'arriver ici.

Le Comte Fort bien , le colonel est mon intime ami ,

Figaro. Voilà notre affaire assurée.Un billet de logement, dans la maison, vous donne entrée. Qu'en dites-vous?

Le Comte. C'est excellent.Ensemble. Oh ! la ruse est bien ourdie,Tout va bien comme cela. Je rends a ton grâce a génie. Défendez mon ce projet réussira. le comte va pour sortir, Figaro le retient.

Figaro. Piano, pour mieux jouer la comédie ,et frapper des coups plus certains, Ayez l'air d'être entre deux vins.

Le Comte Mais à quoi bon ?

Figaro , immitant la démarche d'un homme ivre, avant de dire ce qui suit. Pour qu'il ait moins de

défiance, et se réglant sur l'apparence, Le tuteur vous croira , dans l'erreur affermi, Plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui. Ensemble. Oh ! la ruse est bien ourdie, Tout va bien comme cela. Je rends ton .n igrâce a génie.Défendez mon ce projet réussira.

Le Comte, va pour sortir, et revient. Que de choses! pourtant j'oubliais la meilleure ; Tête folle, étourdi, Où donc est ta demeure?

Figaro. Ma boutique , à quatre pas d'ici, numéro vingt, troisième arcade, Vitrage en plomb, belle façade ; On voit écrit sur un tableau, Le nom brillant de Figaro.

Le Comte Je vais partir.

Figaro. Mais surtout soyez preste.

Le Comte J'aurai de l'or.

Figaro. Je me charge du reste.

Le Comte Je reviendrai.

OPERA-COMIQUE. 15

Figaro. Chez moi je vous attends.

Le Comte Cher Figaro !

Figaro. Fort bien , je vous comprends.

Le Comte Je porterai....

Figaro. La bourse pleine. La bonne aubaine ! Ne craignez rien,tout ira bien.

Le Comte, à part.}

Douce espérance, Je veux d'avance, M'abandonner à tes attraits. Déjà mon ame, Qu'amour enflamme, Jouiss des biens que tu promets.

Figaro à part.}} Douce espérance, Jae veux d'avance, M'abandonner à tes attraits. La fortune vers moi s'avance, L'or et l'argent en abondance, Viennent combler mes souhaits.

Fin du premier acte.


ACTE II


Un salon à quatre portes ; dans le fond est la croisée qui donne sur le balcon , elle est fermée avec une jalousie grillée ; à gauche est un secrétaire ; à droite Une table sur laquelle ily a du papier, des plumes, un bougeoir allumé ; dans le fond un piano avec de la musique dessus.


Scène I


Rosine , une lettre à la main. AIR.

Rien ne peut changer mon ame,

Pour jamais je suis à toi.

Cher objet de ma flamme,

Je veux vivre sous ta loi.

Oui, Lindor a su me plaire ,

Il a mon coeur, il a ma foi.

S'il découvre le mystère ,

Mon tuteur s'emportera.

Mais cette grande colère ,

A la fin s'apaisera.

Oui, Lindor a su me plaire,

Il a mon coeur, il a ma foi. Elle cacheté sa lettre, la met dans son sein, et éteint le bougeoir.

Je suis douce par caractère, Mais j'ai la tête un peu légère. Cher Bartholo, je sais me taire, Et me soumets A vos arrêts.

Dans un triste esclavage , Ne croyez pas me retenir ; L'oiseau s'aura s'échapper de sa cage ,

L'amour viendra l'ouvrir.


Scène II

Rosine, Figaro.

Rosine, surprise. Àh! M. Figaro, que je suis aise de vous voir!

OPÉRA-COMIQUE. 17

Figaro.Votre santé, madame ?

Rosine. Pas trop bonne, M. Figaro. L'ennui me tue.

Figaro. Je le crois ; il n'engraisse que les sots.

Rosine.Avec qui parliez-vous donc là-bas si vivement ? Je n'entendais pas, mais

Figaro. Avec un jeune bachelier de mes parens, de la plus grande espérance ; plein d'esprit, de sentimens, de talens, et d'une figure fort revenante.

Rosine. Oh, tout-à-fait bien, je vous assure ! il se nomme ?...

Figaro.Lindor. Il n'a rien ; mais, s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvait y trouver quelque bonne place.

Rosine. Il en trouvera, m. Figaro, il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez, n'est pas fait pour rester inconnu.

Figaro, à part. Fort bien, haut Mais il a un grand défaut, qui nuira toujours à son avancement.

Rosine. Un défaut, M. Figaro, un défaut, en êtes-vous bien sûr?

Figaro. Il est amoureux.

Rosine. Il est amoureux ! et vous appelez cela un défaut ?

Figaro. A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune.

Rosine. Ah ! que le sort est injuste ! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité....

Figaro. Vous êtes la dernière, madame, à qui je voudrais faire une confidence de cette nature.

Rosine , vivement. Pourquoi, M. Figaro? je suis discrète; ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment.... Dites donc.

Figaro, la regardant finement. figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraîche, agaçant l'appétit, pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rosée, et des mains! des joues! des dents! des yeux!...

Rosine.Qui reste en cette ville?

Figaro.En ce quartier.

Rosine Dans cette rue, peut-être ?

Figaro.A deux pas de moi.

Rosine.Ah ! que c'est charmant.... pour monsieur votre parent ! Et cette personne est?...

Figaro Je ne l'ai pas nommée ?

Rosine vivement. C'est la seule chose que vous ayez oubliée, M. Figaro. Dites donc, dites donc vite; si l'on rentrait, je ne pourrais plus savoir,...

Figaro.Vous le voulez absolument, madame ? Eh bien / cette personne est.... la pupille de votre tuteur.

Rosine.La pupilleo...

Figaro Du docteur Bartholo : oui, madame.

OPERA-COMIQUE. 19

duo.

Rosine Je suis donc celle qu'il aime ? à part. Ah ! de son amour extrême j'ai déjà reçu l'aveu.

Figaro. De ce joli roman vous êtes l'héroïne ; C'est à vous, aimable Rosine,que s'adresse un si beau feu.

 Rosine Mais, hélas ! de Lindor tout me sépare.

Figaro Ah ! gardez un doux espoir, grâce à moi tout se prépare ; Ici, Lindor viendra vous voir.

Rosine Il viendra, mais il faut de la prudence ; Je brûle d'impatience,pourquoi tarder si longtemps?

 Figaro Il voudrait de vos sentimens ,obtenir au moins quelque signe ; Si vous daignez tracer seulement une ligne, Lindor ici dans l'instant se rendra.Qu'en dites—vous ? 

Rosine Il viendra!

Figaro Le temps presse, il faut me remettre un mot.

RosineJe n'oserais.

Figaro Un mot, rien que cela. Allant au secrétaire, et montrant le papier, les plumes, etc. ) Pour lui je réclame une lettre

 Rosine Une lettre?  lui donnant la sienne la voilà.

Figaro Elle était toute prête ! Figaro, tu n'es qu'une bête,et ton maître le voilà.

Rosine à part. Ah! déjà tout me présage qu'il est digne de mon coeur.

 Figaro à-part Oui, vraiment d'un tel message c'est se tirer avec honneur. 

Rosine Vous me dites qu'en ces lieux. ...

Figaro Il viendra vous jurer amour, constance.

Rosine Je brûle d'impatience, L'heureux Lindor la calmera.

Rosine à part. Ah! déjà tout me présage qu'il est digne de mon coeur. T. à part. l Oui, vraiment, d'un tel message , c'est se tirer avec honneur.

Rosine Dieux! j'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici... Passez par le petit cabinet, et descendez le plus doucement possible.

Figaro.Soyez tranquille, (à part) Voici qui vaut mieux que mes observations. ( Il sort par la première porte à droite. )

Rosine Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors— que je l'aime ce bon Figaro ! c'est un bien honnête homme, un bon parent! Ah! voilà mon tyran ; reprenons mon ouvrage. Elle s'assied, et prend une broderie au tambour.



Scène III


Bartholo, Rosine.

Bartholo , en colère. Ah ! malédiction ! l'enragé, le scélérat corsaire de Figaro! là, peut-on sortir un moment de chez soi, sans être sûr en rentrant....

Rosine. Qui vous met donc si fort en colère, Monsieur?

Bartholo. Ce damné barbier , qui vient d'écloper toute ma maison en un tour de main. Il donne un narcotique à l'Éveillé , un sternutatoire à la Jeunesse, il voulait saigner au pied Marceline : il n'y a pas jusqu'à ma mule... sur les yeux d'une pauvre bête aveugle, un cataplasme! Parcequ'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah, qu'il les apporte! et personne à l'antichambre; on arrive à cet appartement comme à la place d'armes.

Rosine. Et qui peut y pénétrer que vous, Monsieur ?

OPÉRA-COMIQUE. 21

Bartholo.J'aime mieux craindre sans sujet, que de m'exposer sans précaution. Ce barbier n'est pas entré chez vous, au moins?

Rosine.Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude ?

Bartholo.Tout comme un autre.

Rosine. Que vos répliques sont honnêtes! eh bien oui, cet homme est entré chez moi; je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas même que je l'ai trouvé fort aimable : et puissiez-vous en mourir de dépit ! Elle sort par la première porte à gauche.

Bartholo.Oh! les juifs! les chiens de valets! la Jeunesse? l'Éveillé? l'Éveillé maudit?... Ils ne viendront pas.



Scène IV

Bartholo, Basile, Figaro caché dans le cabinet, paraît de temps en temps et les écoute

Bartholo. Ah ! don Basile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique.

Basile. C'est ce qui presse le moins.. le comte Almaviva est en cette ville.

Bartholo. Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid.

Basile. Il loge à la Grande-Place, et sort tous les jours déguisé.

Bartholo.Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire?

Basile. Si c'était un particulier, on viendrait à bout de l'écarter.

Bartholo. Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé

Basile. Bone Deus ! se compromettre ! susciter une méchante affaire, à la bonne heure ; et pendant la fermentation, calomnier à dire d'experts ; concéda.

Bartholo. Singulier moyen de se défaire d'un homme.

Basile. La calomnie, Monsieur ? vous ne savez guéres ce que vous dédaignez ; j'ai vu les plus honnêtes gens prêts d'en être accablés.

AIR.

C'est d'abord rumeur légère, Un petit vent rasant la terre. Puis doucement, Vous voyez calomnie, Se dresser et s'enfler en grandissant. Fiez-vous à la maligne envie, Ses traits lancés adroitement, Piano , par un léger murmure , D'absurdes fictions Font plus d'une blessure, Et portent dans les coeurs le feu de leurs poisons. Le mal est fait, il chemine, il s'avance ; De bouche en bouche il est porté, Puis rinforzando il s'élance ; C'est mi prodige , en vérité. Mais enfin rien ne l'arrête, C'est la foudre , la tempête, Un crescendo public , un vacarme infernal. Elle s'élance, tourbillonne, Étend son vol, éclate et tonne, Et de haine aussitôt un chorus général, De la proscription a donné le signal. Et l'on voit le pauvre diable,. Menacé comme un coupable, Sous cette arme redoutable, Tomber, tomber, terrassé.

OPÉRA-COMIQUE. 3

Bartholo. Mais quel radotage me faites-vous donc là, Basile ? Je prétends épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce comte existe.

Basile. En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre.

Bartholo. A qui tient-il, Basile? je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire.

Basile.Oui. Mais vous avez lésiné sur les frais , et dans l'harmonie du bon ordre , un mariage inégal , un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonnances qu'on doit toujours préparer et sauver par l'accord parfait de l'or.

Bartholo, lui donnant de l'argent. l faut en passer par où vous voulez ; mais finissons.

Basile.Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminé; c'est à vous d'empêcher que personne, aujourd'hui , ne puisse instruire la pupille.

Bartholo. Fiez-vous-en moi ; entrons dans ma chambre et occupez-vous de rédiger le contrat de mariage. (Ils entrent dans la seconde chambre à gauche.)



Scène V

Figaro, Rosine.

Figaro , sortant du cabinet. Maintenant qu'ils sont enfermés là-dedans, allons ouvrir au Comte.

Rosine , accourant. Quoi ! vous êtes encore là, M. Figaro ?

Figaro. Très-heureusement pour vous, mademoiselle. Apprenez que votre tuteur se dispose à vous épouser demain.

Rosine. Ah ! grands dieux !

Figaro. Ne craignez rien; nous lui donnerons tant d'ouvrage qu'il n'aura pas le temps de songer à celui-là.

Rosine. Le voici qui revient ; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur. Il s'enfuit par le cabinet.



Scène VI

Bartholo, Rosine.

Rosine.Vous étiez ici avec quelqu'un monsieur?

Bartholo. Don Basile : vous eussiez mieux aimé que c'eût été M. Figaro ?

Rosine. Cela m'est fort égal, je vous assure.

Bartholo. Je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si pressé à vous dire ? Je vais parier qu'il était chargé de vous remettre quelque lettre.

Rosine. Et de qui, s'il vous plaît ?

Bartholo. Oh, de qui ! de quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je moi ? Peut-être la réponse au papier de la fenêtre.

Rosine, à part. Il n'en a pas manqué une seule, haut Vous mériteriez bien que cela fût.

Bartholo , regarde les mains de Rosine. Cela est. Vous avez écrit, votre doigt taché d'encre...

OPERA-COMIQUE.

Rosine. La belle preuve !.... je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie ; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait aussitôt tremper dans l'encre ; c'est ce que j'ai fait.

Bartholo. C'est ce que vous avez fait ? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier où je suis certain qu'il y avait six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore.

Rosine , à part.}}Oh! imbécile ! haut la sixième

Bartholo , comptant. Trois, quatre, cinq je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième.

Rosine , baissant les yeux. La sixième ? je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro.

Bartholo. A la petite Figaro ? et la plume qui était toute neuve ; comment est-elle devenue noire? est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro ?

Rosine , à part. Cet homme a un instinct de jalousie ! haut. Elle.m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour.

Bartholo. Que cela est édifiant! pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudrait ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité ; mais c'est ce que vous ne savez pas encore.

Rosine. Et qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses les plus innocemment faites ?

AIR. BAR. Croyez-vous qu'il soit bien facile , de tromper un docteur tel que moi ?Vous n'êtes point assez habile , Je vous en donne ici ma foi. C'est qu'on a pour la petite , Fait un cornet à bonbons ! Et c'est à moi que l'on débite, De pareilles inventions ! Votre fable est ridicule, Je ne suis pas si crédule. Le moins rusé vous pousse à bout, Le papier manque, et puis la plume est noire ; Cherchez-vous une autre histoire ? On ne saurait penser à tout. J'avais trop de confiance, Une autre fois dans mon absence, Un bon verrou de vous ici me répondra. Mes gens feront sentinelle, Crainte de ruse nouvelle , A cette porte on veillera ; Puisqu'il faut être sévère. Je vous garde seule ici. Cette loi vous désespère , Je prétends qu'il en soit ainsi. Je me moque de vos plaintes, Et pour dissiper mes craintes, Vous ne sortirez pas d'ici. Croyez-vous qu'il soit bien facile, De tromper un docteur tel que moi ? Vous n'êtes point assez habile, Je vous en donne ici ma foi. ( Il sort par la seconde porte à gauche. )

Rosine.Grondez, criez tant que vous voudrez, faites murer portes et fenêtres, cela m'est fort indifférent. Elle entre dans sa chambre, qui est la première à gauche, Marceline «S le comte arrivent par la seconde porte à droite.


Scène VII

Mateline. En vérité, depuis quelques jours cette maison est un enfer ; si cela continue , il sera impossible d'y rester.

OPERA-COMIQUE. 27

Vieux tuteur et jeune pupille, ne peuvent pas s'accorder, Et... mais que nous veut cet homme? Un soldat? Allons avertir monsieur.



Scène VIII

Le Comte , en habit de cavalier, aj'ant l'air d'être entre deux vins, ensuite Bartholo.

FINALE.

Le Comte Holà, quelqu'un ! personne ici qui me réponde?

Basile dans le fond- Mais , où va cet ivrogne, et que veut-il de nous ?

Le Comte Holà , quelqu'un ! que le ciel vous confonde !

Basile Seigneur soldat, que voulez-vous?

Le Comte Ah ! c'est fort bien , et je vous remercie. Monsieur, dites—moi, je vous prie, Seriez-vous par hasard, le docteur Balordo ?

Basile Balordo?

Le Comte Mais non , Barbe à l'eau.

Basile Peut-on se tromper de la sorte ? Que le diable vous emporte ! Docteur Bartholo.

Le Comte. A merveille ! docteur Barbaro.

Basile à part. L'insolent!

Le Comte Et j'y vois bien peu de différence.

Basile à part. Je n'y tiens plus , et je crève d'impatience.

Le Comte à part. Je vais la voir, douce espérance !

Basile à part. Mais , il faut de la prudence,parlons-lui sans humeur.

Le Comte Vous êtes donc docteur ?

Basile Oui, monsieur.

Le Comte Permettez que j'embrasse un confrère.

Basile Retirez-vous.

Le Comte Vraiment

Je suis docteur, la chose est claire, Le maréchal du régiment ; On a cru, sans doute, vous plaire En me logeant chez un confrère. Examinez ce billet-là,

Le voilà , le voilà. Il lui donne le billet.

Le Comte à part. Ah ! le sort me favorise, j'ai trompé le vieux jaloux.

Rosine à part. Ah ! le sort me favorise, bientôt il filera doux. Si je me mets en courroux ; Je vais faire quelque sottise.



Scène IX


les précédens, Rosine dans le fond.

Rosine à part. Un soldat.... mon tuteur.,.. de leur débat je suis surprise.

Le Comte à part, Cher objet de mon ardeur, hâte—toi, viens à mon coeur Rendre la paix et le bonheur. Je ferais quelque sottise , en lui parlant avec humeur.

Le Comte à part. C'est Rosine ! c'est elle !

Rosine à part. il m'a vue, il s'avance.

Le Comte bas à Rosine. Je suis Lindor.

Rosine à part. moment plein d'appas

Le Comte haut. Ah! de grâce, messieurs, ne vous emporez pas.

Basile Madame, quelle imprudence ! Sur-le-champ rentrez chez vous

Rosine Peut-être que ma présence , calmerait votre courroux.

Le Comte A vous seule , en ces lieux , je veux avoir affaire.

Basile La demande est singulière.

Le Comte N'êtes-vous pas tenu

Basile De quoi?

Le Comte De me loger.

Basile De vous loger?

Le Comte Héberger.

Basile _ Héberger?

Le Comte Dans votre maison je m'installe.

Rosine De céans il faut qu'on détale.

Le Comte. Je vais

Basile Non , je ne puis loger dans la maison.

Le Comte La raison?

OPERA-COMIQUE.

alguasil. S'il faut vous la dire....

Le Comte. Parlez?

Basile Je vais vous en instruire , en montrant mon exemption.

Le Comte à part. Juste ciel! Basile Cela vous chagrine; mais décampez.

Il va chercher son brevet dans le secrétaire.

Le Comte. bas à Rosine sans quitter sa place. Belle Rosine !

Rosine Eh quoi! Lindor, c'est vous?

Le Comte Recevez au moins cette lettre.

Rosine Prenez garde, il a les yeux sur nous.

Le Comte Je ne puis vous la remettre, tirez votre mouchoir, elle tombe à vos pieds.

Rosine Par un tuteur jaloux nous sommes épiés.

Basile au Comte. Holà ! je n'aime pas qu'on regarde ma femme.

Le Comte Votre femme ?

Basile Eh quoi donc?

Le Comte Je vous croyais sur mon âme, son aïeul paternel,maternel, sempiternel.

Basile il trouve le brevet. Ah !... il lit.« Sur le bon, sur le fidèle témoignage...

Le Comte donne un coup de main sous le parchemin, et le fait sauter en l'air. Est ce que j'ai besoin de tout ce verbiage?

Basile Osez—vous ainsi m'insulter?

Le Comte Ah ça, docteur, voulez vous bien vous taire? C'est ici qu'on me loge, ici je veux rester.

Basile Savez—vous bien, monsieur le militaire, que si vous me résistez, Je vous ferai traiter comme vous méritez.

Le Comte Eh bien, bataille , c'est mon métier ; Point de quartier, Frappons d'estoc et de taille, Bataille rien n'est si gai, je vous le montrerai. figurez—vous une rivière, poussant le docteur. L'ennemi par-là s'est porté, les amis sont de ce côté. Bas à Rosine en lui montrant la lettre. Sortez le mouchoir. à Bartholo. Laissez faire. Attention ! attention ! Rosine tire son mouchoir, le comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui

Bartholo. se baissantQue vois-je ?

Le Comte la reprend Qu'est-ce donc?

Basile Donnez, donnez.

Le Comte Oui si c'était une ordonnance. Un billet doux n'est pas de votre compétence, et je vais faire mon devoir.


Rosine avance la main, prend la lettre, et la met dans la poche de son tablier. Ah ! je sais ce que c'est.

 Basile Nouvelle impertinence ! Je tromperai son espérance , et ce billet je veux le voir. 

Rosine pendant ce couplet, a glissé le billet dans son sein, et mis un autre papier dans la poche de son tablier. Ce billet, qui tant vous chagrine, De ma poche vient de tomber ; C'est la lettre de ma cousine.

Basile Voyons toujours ; croyez-vous me tromper?


Scène x.

les précédents , Marceline, ensuite Basile.

Basile à part. Que vois-je?

m. entre par la droite et va regarder par la fenêtre. Figaro ?

Basile à part. Ma surprise est extrême !

m. à part. Que de gens assemblés !

Basile à part. C'est la lettre elle-même.

Rosine et Le Comte à part./ Ah! le sort nous favorise,

1 Ti • . ' (mon) .

I J ai trompe j , J vieux tuteur.

I Cher objet de mon ardeur !

J' ai hâte-toi, viens à mon cœur, rendre la paix et le bonheur.

m.à part , Je crains quelque surprise, pour tromper le vieux tuteur.

Basile à part. Je viens de faire une sottise , ce soupçon blesse son cœur.

OPÉRA-COMIQUE.

Bartholo entre par la gauche, un papier de musique à la main, et chantant une leçon de solfège. En arrivant sur l'avant-scène, il cesse de chanter sa musique, et dit à part. Je crains quelque surprise, pour tromper le vieux tuteur.

 Rosine, pleurant. A souffrir suis-je condamnée? Sur un soupçon toujours me maltraiter. Quelle triste destinée! Je ne puis plus la supporter. 

Bartholo. Ah ! ma pauvre Rosine!

Le Comte, menace Bartholo. Aisément je le devine.

Bartholo. Doucement, doucement.

Le Comte, le prend au collet. C'est toi qui causes son tourment.

Bartholo. A l'aide ! à l'aide ! on m'assassine.

Le Comte. Sous mes coups il tombera. 
 Basile, Rosine,Bartholo Préservez-nous de sa colère ! 

Le Comte Laissez—moi faire.

 Basile, Rosine, Bartholo Au secours ! au secours ! 

Le Comte Oui, je vais...



Scène XI

les précédens , Figaro accourt et tire Bartholo des mains du comte.

Figaro Halte là ! Qu'arrive-t-il, et que viens-je d'entendre ? Quelle rumeur ! quels cris affreux ! Déjà la foule des curieux, Vient de se rendre près de ces lieux. De la prudence, Mes bons messieurs.

 Basile Son arrogance...

Le Comte Son insolence...

Basile Mériterait...

Le Comte Punition.

Figaro Seigneur soldat, qu'allez-vous faire ? Calmez, calmez cette colère, Car autrement un bon bâton , Pourrait vous mettre à la raison.

Basile Maudit soldat !

 Figaro, à Bartholo. Faites silence.

Basile Non , je crierai.

Rosine, Musiciens , Basile, Figaro , au Comte. De la prudence.

Le Comte Je le tuerai.

Basile,Musiciens, Bartholo, Figaro Faites silence, messieurs, paix là ! De la prudence.

Le Comte Non , point de grâce, il périra. Il tire le sabre.

On frappe à la porte.

Tous.Mais chiit, on frappe en ce moment.

Basile Qui va là!

Ch. , en dehors. La garde. Ouvrez sur-le-champ.

Figaro, au Comte. Quelle surprise !

Le Comte Point de surprise.

Basile, à Bartholo. Ça le dégrise.

Le Comte Attendons—là.

Tous , à part. Cette aventure est surprenante. Ce débat m'impatiente, Voyons comment tout ceci finira. On ouvre à la garde



Scène X

les précédents, un officier, suivi d'une troupe de soldats.

L'officier De par le Roi qu'on s'arrête , a répondre qu'on s'apprête. Qui donc cause parmi vous, Ce tumulte épouvantable, Cette rumeur effroyable? Expliquez-vous, Répondez—nous.

Bartholoà l'officier. Ce brutal de militaire, M'accablait de sa colère, Il osait me maltraiter.

Figaro, de même. Pour apaiser sa colère , Je me mêlais de l'affaire, Mais c'était pour l'arranger.

Bartholo. {didascalie|de même.}} Ce soldat nous désespère, Mêlez-vous de cette affaire, Il veut aussi me tuer.

OPÉRA-COMIQUE. 33

Le Comte, {{didascalie|de même.} Ici je n'ai point d'affaire, je vous parle sans colère, je venais pour y loger.

Rosine, m. , de même. Je redoute sa colère , mêlez-vous de cette affaire, vous seul pouvez l'arranger.

L'Officier , {{didascalie|au Comte.]] C'est assez, je sais tout. Pour vous apprendre à vivre ,en prison , vous allez nous suivre.

Le Comte En prison , impossible , en voici la raison.

Il remet une lettre à l'officier, qui, après l'avoir lue, la lui rend en le saluant très-respectueusement. ; il fait signe à ses soldats de se retirer dans le fond du héittre, ce qu'ils exécutent au grand étonnement de tous, Figaro excepté .

Rosine , à part. Quelle surprise ! quel mystère !

Je puis à peine respirer.

Le Comte à part. Je m'amuse de leur colère, Une parole a dû les apaiser.

Basile , à part. Quelle surprise! quel mystère! Je puis à peine respirer.

Figaro Voyez don Bartholo... ah ! vraiment quelle scène ! Froid comme un marbre il peut à peine , 11 peut à peine respirer.

tous , à part. Ah ! vraiment quelle scène , Je puis 11 £eut } a Peme espérer

Basile, aux soldats Mais , messieurs...en.

Des Soldats. Point de bruit.

Basile Apprenez...

En. Je sais tout.

Basile Ce soldat...

En.. C'est fort bien.-

Basile Il criait...

Le Comte C'est son goût.

Basile Cependant...

Ch. Taisez-vous.

Basile Il faudrait...

{personnage Croyez-moi.

Basile L'engager...

En. Point du tout.

Basile A sortir.

En. Et pourquoi ? Que tout ce débat finisse, i Que chacun rentre chez soi.

Basile De vous j'obtiendrai justice, mais de grâce écoutez-moi.

Tous.Taisez—vous, croyez—moi.

à part. Quel tumulte ! quel tapage ! Ah ! j'entends gronder l'orage. II enrage, il perd courage,et ne sait plus que devenir. Autour de sa pauvre tête, faisons siffler la tempête ,son fracas va l'étourdir.

 Basile et Bartholo, à part.\Quel tumulte ! quel tapage! Ah/ j'entends gronder l'orage. J'enrage, je perds courage ,et ne sais plus que devenir.Autour de ma pauvre tête.On fait siffler la tempête,son fracas va m'étourdir.(On baisse le rideau).

Fin du second acte.

OPERA-COMIQUE. 35

ACTE III


               Au lever du rideau Bartholo est assis, et paraît plongé dans une rêverie profonde.

Scène I

Bartholo.

QUELLE humeur ! quelle humeur! elle paraissait apaisée... là! qu'on médise qui diable lui a fourré dans la tête de ne plus vouloir prendre leçon de don Basile ! Elle sait qu'il se mêle de mon mariage.... (on frappe à la porte.) Faites tout au monde pour plaire aux femmes, si vous omettezun, seul petit point je dis un seul— (on frappe une seconde fois.) Voyez vous qui c'est. (Il se lève pour aller ouvrir au Comte.)


Scène II


Bartholo , Le Comte en bachelier.

duo,

Le Comte Que le ciel vous tieune en joie !

 Bartholo C'est fort honnête, en vérité. Que voulez-vous ? qui vous envoie ? 

Le Comte Que sa grâce se déploie !

Bartholo Ah ! c'est avoir trop de bonté.À part.Que me veut cet imbécile ? Me tromper n'est pas facile. Serait-ce quelque intrigant?

Le Comte, à part. Le tromper n'est pas facile.Mais ma ruse est plus subtile ,et je serai plus habile ,sous ce nouveau déguisement. haut.Jouissez d'un sort prospère ,heureux si je sais vous plaire.


Bartholo C'en est trop, finirons-nous? Ah de grâce expliquez—vous. .

Le Comte, il part. Quelle heureuse destinée ! Il ne me reconnaît pas. Un moment rempli d'appas.

Bartholo, à part. Quelle triste destinée! Comment toute la journée , j'aurai des sots sur les bras !

Bartholo. Enfin, peut-on savoir ce vous voulez?

Le Comte. Monsieur, je suis Alonzo, bachelier licencié , élève de don Basile.

Bartholo. Fort bien, au fait.

Le Comte.Un mal subit qui le force à garder le lit.

Bartholo. Garder le lit! Basile ! je vais le voir à l'instant.

Le Comte , à part Oh! diable! haut Quand je dis le lit, monsieur, c'est.... là chambre que j'entends.

Bartholo.Ne fût-il qu'incommodé, marchez devant, je vous suis.

Le Comte , embarrassé.Monsieur, j'étais chargé de vous apprendre...

Bartholo. Parlez haut.

Le Comte , élevant la voix. Que le comte Almaviva, qui restait à la Grande Place...

Bartholo , effrayé. Parlez bas.

OPÉRA-COMIQUE. 37

Le Comte , plus haut. En est délogé ce matin: Comme c'est par moi qu'il a su que le comte Almaviva.

Bartholo Bas, parlez bas, je vous prie.

Le Comte , de même. Etait en cette ville , et que j'ai découvert que la signora Rosine lui a écrit.

Bartholo Lui a écrit ? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure! tenez, asseyons-nous, et jasons d'amitié. Vous avez découvert, dites-vous , que Rosine—

Le Comte , fièrement. Assurément. Je me proposais de vous montrer sa lettre, mais la manière dont vous prenez les choses...

Bartholo. Eh, mon dieu ! je les prends bien ; mais je suis tellement entouré d'intrigues et de pièges... Pardon, pardon.

Le Comte. A la bonne heure sur ce ton, monsieur. Mais je crains qu'on ne soit aux écoutes.

Bartholo. Je vais m'en assurer. Il va ouvrir doucement la porte de Rosine.

Le Comte , à part. Je me suis enferré de dépit..., garder la lettre à présent ! il faudra m'enfuir : autant vaudrait n'être pas venu... la lui montrer— Si je puis en prévenir Rosine, la montrer est un coup de maître.

Bartholo revient sur la pointe du pied.Elle est occupée à relire une lettre de sa cousine.... Voyons donc la sienne.

Le Comte.La voici, à part C'est ma lettre qu'elle relit.

Bartholo lit. «  Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état. » Ah ! la perfide ! c'est bien là sa main.

Le Comte , effrayé. Parlez donc bas , à votre tour.

Bartholo. Quelle obligation mon cher !...

Le Comte. Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir , vous serez le maître d'après un travail que fait actuellement Basile avec un homme de loi.,..

Bartholo. Pour mon mariage ?

Le Comte. Sans doute. Tout sera prêt pour demain. Alors si elle résiste....

Bartholo. Elle résistera.

Le Comte veut reprendre la lettre, Bartholo la serre.

Voilà l'instant où je puis vous servir ; nous lui montrerons la lettre ; et s'il le faut, (plus mystérieusement) j'irai jusqu'à lui dire que je la tiens d'une femme à qui le comte l'a sacrifiée; vous sentez que le trouble, la honte , le dépit peuvent la porter sur-le-champ...

Bartholo , riant. De la calomnie! mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Basile!.... Mais Eour que ceci n'eût pas l'air concerté, ne serait-il pas on qu'elle vous connût d'avance ?

Le Comte réprime un grand mouvement de joie.Sans doute , mais comment faire ?... Il est tard... au peu de temps qui reste...

Bartholo. Je dirai que vous venez en la place de don Basile. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon ?

Le Comte. Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire.

OPERA-COMIQUE. 39

Bartholo. Je vais faire l'impossible pour l'amener. Il entre chez Rosine.


Scène III


Le Comte. Me voilà sauvé. Ouf ! que ce diable d'homme est rude à manier ! Figaro le connaît bien. Je me voyais mentir, cela me donnait un air gauche ; et il a des yeux !.... ma foi, sans l'inspiration subite de la lettre, il faut l'avouer, j'étais éconduit comme un sot. O ciel! on dispute là-dedans. Si elle allait s'obstiner à ne pas venir! Ecoutons... Elle refuse de sortir de chez elle, et j'ai perdu le fruit de ma ruse, (il retourne écouter.) La voici, ne nous montrons pas d'abord. (Il se retire un peu dans le fond.)



Scène IV

Le Comte, Rosine, Bartholo.

Rosine.Où donc est-il, ce maître que vous craignez de renvoyer ? Je vais, en deux mots, lui donner son compte , et celui de Basile, (elle aperçoit son amant. ) Ail !....

Bartholo.Qu'avez-vous ?

Rosine , les deux mains sur son cœur, avec un grand trouble. Ah ! mon dieu, monsieur....

Bartholo.Elle se trouve mal ! seigneur Alonzo !

Rosine. Non, je ne me trouve pas mal Mais c'est qu'en me ournant... Ah!....

Le Comte.Le pied vous a tourné, madame !

Rosine. Ah! oui, le pied m'a tourné; je me suis fait un mal horrible.

Le Comte. Je m'en suis bien aperçu.

Rosine , regardant le comte. Le coup m'a porté au coeur.

Bartholo. Il n'y a pas d'apparence , bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir, ce sera pour un autre jour. Adieu.

Rosine , au Comte. Non, attendez ; ma douleur est tout-à-fait apaisée, (à Bartholo.) Je sens que j'ai eu tort avec vous monsieur: je veux vous imiter en réparant sur-le-champ...

Bartholo.O le bon petit caractère de femme !

Le Comte, prenant un papier de musique sur le piano. Est-ce là ce que vous voulez chanter, madame?

Rosine. Oui; c'est un morceau très-agréable de la Précaution inutile.

Bartholo.Toujours la Précaution inutile?

Le Comte. C'est ce qu'il y a de plus nouveau. Si madame veut l'essayer

Rosine.Avec grand plaisir.(le comte se met au piano, Bartholo s'assied.)

récitatif.

Tout se tait, tout est calme en la nature entière , Rien n'a trahi mes pas silencieux. Je te salue , ô terre hospitalière ! Je vais revoir l'objet de tous mes vœux.

OPERA-COMIQUE. 41

Je suis seul... c'est ici que Lise va se rendre ; Je frémis tour à tour de crainte et de désir ; Rassurons-nous, je dois l'attendre, Et pour l'amant heureux, attendre c'est jouir.

AIR.

Charmant bocage , Ton vert feuillage Va refleurir. Nymphe légère, Jeune bergère, A'ient t'embellir. O trouble extrême! Je vais la voir ; El Lise même, Au cœur qui l'aime, Rendra l'espoir. Sensible amante , Nymphe charmante, L'amour t'attend. Mais qui m'agite ? , Mon cœur palpite , Voici l'instant.

Le Comte. Quelle belle voix ! à merveille.

Rosine. Vous me flattez, seigneur.

Bartholo. Oui sans doute, la voix est belle, mais l'air est fort ennuyeux. Je l'ai déjà dit à ce vieux Basile ; est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies ? Là de ces petits airs que l'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement. C'était là la vraie musique ; lorsque Caffariello chantait cet air admirable, la la la rela. Ecoutez, don Alonzo, le voici.

ariette. Près de ma Rosinelle ..Les vers suivants sont de Topera de Bion. Il y a Fanchonnette dans la chanson ; mais j'ai substitue Rosinette. Près de ma Rosinette, Sensible et joliette, Mon âme est guillerette , Mon cœur danse le menuet. ( Pendant la ritournelle, Bartholo danse d'une manière ridicule, en faisant claquer ses pouces; Figaro derrière lui, imite ses mouvements.)



Scène V

Bartholo , apercevant Figaro.Ah ! entrez, monsieur le barbier; avancez, vous êtes charmant !

Figaro salue, monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois ; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là, (bas au Comte.) Bravo, Monseigneur.

Bartholo , en colère. Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison ? Enfin quel sujet vous amène ? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à madame ? Parlez, faut-il que je me retire ?

Figaro. Comme vous rudoyez le pauvre monde ! Eh ! parbleu! monsieur, je viens vous raser , voilà tout : n'estce pas aujourd'hui votre jour ?

Bartholo. Vous reviendrez tantôt.

Figaro. Ah! oui, revenir! toute la garnison prend médecine demain matin ; j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections, jugez donc comme j'ai du temps à perdre! Monsieur, passe-t-il chez lui?

OPÉRA-COMIQUE. 4

Bartholo. Non , monsieur ne passe point chez lui. Et mais.... qui empêche qu'on ne me rase ici ?

Rosine.Vous êtes honnête ! et pourquoi pas dans mon appartement ?

Bartholo.Tu te lâches? pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon ; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre.

Figaro , bas au Comte.On ne le tirera pas d'ici! haut Allons, l'Eveillé, la Jeunesse, le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à monsieur.

Bartholo. Sans doute, appelez-les ! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher ?


Figaro.Eh bien ! j'irai tout chercher : n'est-ce pas dans votre chambre? (bas au Comte.) Je vais l'attirer dehors.

Bartholo détache son trousseau de clefs, et dit par réflexion: Non, non, j'y vais moi-même, (bas au Comte en s'en allant.) Ayez les yeux sur eux, je A'ous prie.

Figaro.Ah! que nous l'avons manqué belle ! Il allait me donner le trousseau. La clef de la jalousie n'y est-elle pas?

Rosine.C'est la plus neuve de toutes.

Bartholo, revenant, à part. Bon ! je ne sais ce que je fais, de laisser ici ce maudit barbier. A Figaro en lui donnant le trousseau. Dans mon cabinet, sous mon bureau ; mais ne touchez à rien.

Figaro. La peste ! il y ferait bon, méfiant comme vous êtes! à part en s'en allant.Voyez comme le ciel protège l'innocence !



Scène VI

Bartholo, le comte, Rosine.

Bartholo , bas au Comte. C'est le drôle qui a porté la lettre au Comte.

Le Comte , bas à Bartholo. Il m'a l'air d'un fripon.

Bartholo. Il ne m'attrapera plus.

Le Comte. Je crois qu'à cet égard le plus fort est fait.

Bartholo. Tout considéré, j'ai pensé qu'il était plus prudent de l'envoyer dans ma chambre, que de le laisser avec elle.

Le Comte. Ils n'auraient pas dit un mot que je n'eusse été en tiers.

Rosine. Il est bien poli, messieurs, de parler bas sans cesse ! et ma leçon ? (On entend un bruit de vaisselle renversée. )

Bartholo, criant. Qu'est-ce que j'entends donc ! le cruel barbier aura tout laissé tomber par l'escalier ; et les plus belles pièces de mon nécessaire (il court dehors.)



Scène VII

Le Comte Rosine.

Le Comte.Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous ménage, accordez-moi, ce soir, je vous en conjure

OPÉRA-COMIQUE. 45

madame, un moment d'entretien indispensable pour vous soustraire à l'esclavage où vous allez tomber.

Rosine.Ah ! Lindor !

Le Comte.Je puis monter à votre jalousie ; et quant à la lettre que j'ai reçue de vous ce matin, je me suis vu forcé....




Scène VIII

Rosine, Bartholo, Figaro, le comte.


Bartholo. Je ne m'étais pas trompé ; tout est brisé, fracassé.

Figaro.Voyez le grand malheur pour tant de train ! on ne voit goutte sur l'escalier. Mais, en montant, j'ai accroché une clef.... (Il la montre au Comte.)

Bartholo.On prend garde à ce qu'on fait. Accrocher une clef! l'habile homme !

Figaro. Ma foi, monsieur, cherchez-en un plus subtil.



Scène IX

les précédents , Basile. quintette.

Rosine, Le Comte , à part. Basile?

Figaro à part. Qu'ai-je vu?

Bartholo. a Basile Quoi! c'est vous?

Basile Serviteur a l'aimable compagnie.

Rosine à part. De frayeur je suis saisie.

Le Comte, Figaro; à part. C'est ici qu'il faut du génie. Messager de malheur !

Rosine, à Bartholo. J'allais chez vous au plus vite , soyez le bien rétabli ; Votre accident n'a donc pas de suite ?

Bartholo , étonné. Mon accident?

Figaro, passant le linge au cou de Bartholo. Mais, aurons-nous bientôt fini ? Oh ! la maudite barbe ! oh ! chienne de pratique !

Basile, à bar. Je ne vous comprends pas, il faut que l'on m'explique...

Bartholo. Enfin , vous avez vu

Basile Qui?

Bartholo. Le notaire.

Basile Le notaire?

Le Comte, à Bartholo. Vous savez que sur cette affaire ,Entre nous tout est convenu.

Basile Mais encore faudra t-il ?....

Le Comte Basile, il faut se taire ,

Et soyez prudent surtout. à Bartholo.Vite , vite, renvoyez-le , s'il s'explique devant elle , Basile gâtera tout,

Rosine à part. Quelle contrainte cruelle !

Figaro, bas à Rosine. Croyez-moi, tout ira bien.

Le Comte, à Bartholo. Du mystère de la lettre Don Basile ne sait rien.

Basile , à part. L'intrigue, je le pénètre. Fait agir plus d'un moyen.

Le Comte, à Basile. Dans votre état de maladie, avec la fièvre, enfin quel est l'homme qui sort ?

Basile, effaré. Avec la fièvre?

Le Comte Ah! c'est folie. Il est pâle comme un mort.

Figaro. , lui tâte le pouls. Mais voyez le frisson, le mal qui l'assassine,

Vient redoubler son effort ;

Ce sera , je le devine ,

Une fièvre scarlatine.

Basile, effrayé. Scarlatine!

OPÉRA-COMIQUE. 47

Le Comte, lui donne une bourse. Il faut prendre médecine, et croyez ce qu'on vous dit.

Figaro. Comme il a mauvaise mine !

tous. C'est la fièvre scarlatine, vite , allez vous mettre au lit.

 Basile, à part. A chercher en vain je m'occupe , qui diable est ici la dupe : Ils sont tous dans le secret.

tous. C'est la fièvre scarlatine, allez prendre médecine, le grand air vous surprendrait.

Basile, à part. Ah ! je devine, cette bourse m'a mis au fait.

Tous. Quel œil terne! quelle figure ! C'est la fièvre, je vous assure.

Basile Je vais donc me mettre au lit.

Tous. Allez vite , cher Basile, vous coucher dans un bon lit.

Basile De vous plaire il est facile, adieu, messieurs , cela suffit, Et je vais me mettre au lit.

Rosine, le comte,Figaro, à part. Pour la peur, c'est heureux d'en être quitte.

tous , à Basile. Le mal n'aura pas de suite , adieu, bon soir, Jusqu'au revoi Rosine

Basile, sort et revient. Adieu; bonsoir, jusqu'au revoir.

Tous. Adieu , bon soir, jusqu'au revoir.


Scène X


Rosine, le comte, Figaro, Bartholo.

Figaro., à Bartholo. Eh bien , y sommes-nous?

Basile s'assied sur le fauteuil, Figaro le rase. Fort bien.

Le Comte, bas à Rosine. Rosine, écoutez-moi.

Rosine. Parlez, je ne perds rien.

Le Comte J'ai la clef de la jalousie , a minuit nous serons chez vous. Chère ame de ma vie, dans ce dessein secondez-nous.

Figaro. Ahi ! ahi !

Bartholo. Qu'avez-vous ?

Figaro. Dans l'oeil il m'est entré quelque chose.

Bartholo. . Ne frottez pas.

Figaro. Pardon , si j'ose...En soufflant cela sortira.

Rosine. bas au Comte. A minuit ton amante, sensible, impatiente, en ces lieux t'attendra.

Figaro. fait des signes au Comte , pour l'avertir que Bartholo va le surprendre. Hem, hem,

Le Comte, bas à Rosine. Et quant à votre lettre , tantôt je me trouvais dans un tel embarras, pour qu'il ne pût me reconnaître, a mon déguisement

Bartholo., qui s'est avancé entre les deux amants. Mais, ne vous gênez pas.

Bartholo., contrefait le comte en répétant ce vers du duo précédent : Que le ciel vous tienne en joie.

Il attaque ensuite avec colère V allegro suivant Quelle insolence! Comment? en ma présence , On ose m'outrager ainsi. Vils suborneurs, émissaires du diable , Je punirai votre ruse coupable, Traîtres, sortez d'ici.

Tous à Bartholo Pourquoi cet accès de démence? Docteur, gardez le silence , Ou l'on se moquera de vous.

Bartholo. Eh quoi ! sans pudeur on m'offense, redoutez mon courroux.

Tous à part. Il faut le laisser exhaler sa colère, l'amour nous promet le destin le plus doux.

OPÉRA-COMIQUE. 49

Et pour cette nuit dans l'ombre du mystère, Il vient marquer l'heure du rendez-vous.

Bartholo. Vil suborneur, détestable émissaire, redoutez mon courroux.

tous. Ah ! quelle colère ! Fuyons ce loup-garou, Il est fou , d'honneur il est fou. Fin du troisième acte, Pendant l'entracte le théâtre s'obscurcit: on entend un bruit d'orage ; on voit les éclairs à travers les fenêtres.

ACTE IV


                                                             Le Théâtre est obscur.

Scène I

Bartholo , Basile , une lanterne de papier à la main.

Bartholo. Comment Basile, vous ne le connaissez-pas ? ce que vous dites est-il possible ?

Basile. Vous m'interrogeriez cent fois , que je vous ferais toujours la même réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires du Comte. Mais, à la magnificence du présent qu'il m'a fait, il se pourrait que ce fût le comte lui-même.

Bartholo. A propos de présent. Eh ! pourquoi l'avez-vous reçu?

Basile. Vous aviez l'air d'accord ; je n'y entendais rien ; et dans les cas difficiles à juger, une bourse d'or me paraît toujours un argument sans réplique. Et puis , comme dit le proverbe , ce qui est bon à prendre....

Bartholo. J'entends est bon....

Basile. A garder.

Bartholo , surpris.Ah!ah!

Basile. Oui, j'ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Adieu donc. Souvenez-

OPÉRA-COMIQUE. 5I

vous, en parlant à la pupille, de les rendre tous plus noirs que l'enfer.

Bartholo.Vous avez raison.

Basile. La calomnie, docteur, la calomnie. Il faut toujours en venir là.

Bartholo.Voici la lettre de Rosine, que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montré , sans le vouloir l'usage que j'en dois faire auprès d'elle.

Basile.Adieu : nous serons ici à quatre heures.

Bartholo. M.Pourquoi pas plus tôt ?

Basile.Impossible ; le notaire est retenu.

Bartholo.Pour un mariage ?

Basile.Oui, chez le barbier Figaro; c'est sa nièce qu'il marie.

Bartholo.Sa nièce? Il n'en a pas, ce drôle est du complot. Tenez , je ne suis pas tranquille.

Retournez chez le notaire , qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous.

Basile.Il pleut, il fait un temps du diable , mais rien ne m'arrête pour vous servir. Que faites-vous donc ?

Bartholo.Je vous reconduis ; n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro ? Je suis seul ici.

Basile.J'ai ma lanterne.

Bartholo.Tenez, Basile , voilà mon passe-partout, je vous attends, je veille ; et vienne qui voudra , hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit.

Basile.Avec ces précautions , vous êtes sûr de votre fait.



Scène II

Rosine, sortant de sa chambre. Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonné ; Lindor ne vient point ! ce mauvais temps même était propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne. .. Ah ! Lindor ! si vous m'aviez trompée !... Quel bruit entends-je ?Dieu ! c'est mon tuteur. Rentrons.



Scène III

Rosine , Bartholo.

Bartholo , rentre avec de la lumière. Ah ! Rosine, puisque vous n'êtes pas encore rentrée dans votre appartement....

Rosine.Je vais me retirer.

Bartholo.J'ai des choses très-pressées à vous dire.

Rosine , à part.S'il allait venir !

Bartholo , lui montrant sa lettre. Connaissez-vous cette lettre ?

Rosine.Ah ! grands dieux !....

Bartholo.Mon intention , Rosine, n'est point de vous faire des

OPÉRA-COMIQUE. 53

reproches : à votre âge on peut s'égarer ; mais je suis votre ami ; écoutez-moi.

Rosine.Je n'en puis plus.

Bartholo.Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva.

Rosine , étonnée.Au comte Almaviva ?

Bartholo. Voyez quel homme affreux est ce comte : aussitôt qu'il l'a reçue, il en a fait trophée ; je la tiens d'une femme à qui il l'a sacrifiée.

Rosine. le comte Almaviva ?

Bartholo. J'en frémis ! le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élève supposé de Basile, qui porte un autre nom , et n'est que le vil agent du Comte, allait vous entraîner dans un abîme dont rien n'eût pu vous tirer.

Rosine. Quelle horreur ! Quoi ! Lindor !.... Quoi ! Ce jeune homme!

Bartholo , à part.Ah! c'est Lindor.

Rosine. C'est pour le comte Almaviva C'est pour un attire....

Bartholo. Voilà ce qu'on m'a dit, en me remettant votre lettre.

Rosine , outrée. Ah! quelle indignité !.... il en sera puni — Monsieur, vous avez désiré de m'épouser?

Bartholo. Tu connais la vivacité rîe mi'ssenlimcn.

Rosine. S'il peut vous en rester encore, je suis à vous.

Bartholo.Eh bien ! le notaire viendra cette nuit même.

Rosine.Ce n'est pas tout ; ô ciel! suis-je assez humiliée ?... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dérober la clef....

Bartholo , regardant au trousseau. Ah ! les scélérats ! mon enfant, je ne le quitte plus.

Rosine , avec effroi. Ah! monsieur! et s'ils sont armés?

Bartholo. Tu as raison ; je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline : enferme toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprès de la maison. Arrêté comme voleur, nous aurons le plaisir d'en être à la fois vengés et délivrés ; et compte que mon amour te dédommagera.

Rosine , au désespoir. Oubliez seulement mon erreur. (à part.Ah ! je m'en punis assez !

Bartholo , s'en allant. Allons nous embusquer. A la fin , je la tiens,



Scène IV

Rosine. Recitatif. Le désespoir est dans mon cœur. 11 va venir.... o ciel! que faire? Je veux rester, déguiser ma colère, Pour mieux le contempler dans toute sa noirceur.

OPERA-COMIQUE.

AIR.

0 douleur ! ô peine extrême ! Il a trahi sa foi ! Hélas , celui que j'aime , Lindor est indigne de moi. O ciel ! aurais-je pu m'attendre , Que Lindor fût un séducteur, Et qu'il unit pour me surprendre , Le plus perfide cœur Au regard le plus tendre. O douleur ! Etc. Ciel! on ouvre la jalousie!



Scène V

Figaro, enveloppé d'un manteau, paraît à la fenêtre, le comte, en dehors. Figaro , saute dans la chambreNous voici enfin arrivés, malgré la pluie , la foudre et les éclairs.

Le Comte , enveloppé d'un long manteau. Donne-moi la main. F saute à son tour. A nous la victoire.

Figaro, jette son manteau. Monseigneur, comment trouvez-vous, cette nuit ?

Le Comte. Superbe pour un amant.

Rosine. Son amour me dédommagera... Malheureuse !... [Elle tire son mouchoir, et s'abandonne aux larmes.) Que faire?... Il va venir. Je veux rester, et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif... Ali! j'en ai grand besoin. figure noble ! air doux ! une voix si tendre !... et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur! Ah! malheureuse! malheureuse !... Ciel ! on ouvre la jalousie !

Elle se sauve. 5

Figaro.Oui, mais pour un confident ?

Le Comte.Silence, la voici.



Scène VI

Le Comte, Rosine, Figaro.

Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table.


Le Comte. Ma belle Rosine !....

Rosine , d'un ton très-composé. Je commençais , monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas.

Le Comte. Charmante inquiétude ! Mademoiselle, il ne me convient point d'abuser des circonstances , pour vous proposer de partager le sort d'un infortuné ; mais quelque asile que vous choisissiez , je jure mon honneur....

Rosine. Monsieur, si le don de ma main n'avait pas dû suivre à l'instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d'irrégulier.

Le Comte. Vous, Rosine ! la compagne d'un malheureux ! sans fortune, sans naissance ! —

Rosine. La naissance, -la fortune ; laissons là les jeux du hasard ; et si vous m'assurez que vos intentions sont pures....

Le Comte , à ses pieds. Ah ! Rosine ! je vous adore !

OPÉRA-COMIQUE. 57

Rosine, indignée.Arrêtez, malheureux vous osez profaner !.... tu m'adores !.... Va ! tu n'es plus dangereux pour moi ; j'attendais ce mot pour te détester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend, en pleurant apprends que je t'aimais , que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor ! j'allais toul quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l'indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais , ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre?

Le Comte , vivement.Que votre tuteur vous a remise ?

Rosine, fièrement.Oui, je lui en ai l'obligation.

Le Comte. Dieux , que je suis heureux ! il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m'en suis servi pour arracher sa confiance ; et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah ! Rosine! il est donc vrai que vous m'aimez véritablement !....

Figaroaro. Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même.

Rosine. Monseigneur ! que dit-il ?

Le Comte , jetant son manteau, paraît en habit magnifique. O la plus aimée des femmes ! il n'est plus temps de vous abuser : l'heureux homme que vous voyez a vos pieds, n'est point Lindor; je suis le .comte Almaviva, qui meurt d'amour, ,et vous ,cherche,en vain depuis six mois.

Rosine, 'tombe dans les bras du Comte. Ah!

Le Comte, effrayé. Figaro ?

Figaro. Point d'inquiétude, Monseigneur, la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fâcheuses; la voilà, la voilà qui reprend ses sens : morbleu qu'elle est belle [.

TRIO.

Rosine Surprise extrême ! Quoi! c'est lui—même? Moment d'ivresse et de bonheur !

Figaro Il faut que je m'applaudisse ; De cet heureux artifice c'est moi qui suis l'auteur.

Le Comte Quel charme ! quel délire ? Non je ne saurais décrire, ce qui se passe dans mon coeur.

Rosine Ah ! je crains tout de sa fureur jalouse ,Mon tuteur...

Le Comte Il peut venir,le beau nom de mon épouse , a vos pieds va le retenir.

Rosine Le Comte Qu'une flamme si belle, dans mon âme soit éternelle.

Figaro Mais partons vite, et vous soupirerez après.

Rosine Le Comte Après toutes nos alarmes ,

Amour, tout cède à tes armes ,

Quel bonheur tu nous promets ! Toute la vie Mon coeur brûlera,

Rosine Partons vite, je vous prie,

Ou ma lanterne s'éteindra.

Il regarde par la fenêtre.

Deux personnes à la porte !

Que le diable les emporte,

C'est notre homme assurément,

tous. Notre échelle est toute prête , par—là nous ferons retraite, Puisque rien ne nous arrête, Délogeons tous à l'instant.

OPÉRA-COMIQUE. 59

Figaroaro, regarde à la fenêtre. Monseigneur, le retour est fermé ; l'échelle est enlevée.

Le Comte.Enlevée !

Rosine , troublée.Oui, c'est moi c'est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m'a trompée. J'ai tout avoué, tout trahi : il sait que vous êtes ici, et va venir avec mainforte.

Figaro , regarde encore.Monseigneur ! on ouvre la porte de la rue.

Rosine , courant dans les bras du Comte, avec frayeur. Ah ! Lindor !...

Le Comte , avec fermeté. Rosine, vous m'aimez! je ne crains personne, et vous serez ma femme. J'aurai donc le plaisir de punir à mon gré l'odieux vieillard !...

Rosine.Non, non, grâce pour lui, cher Lindor! mon coeur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place.


Scène VII

les précédents, le notaire, Basile.

Figaro.Monseigneur, c'est notre notaire.

Le Comte. Et l'ami Basile avec lui ?

Basile.Ah! qu'est-ce que j'aperçois?

Figaro.Eh ! par quel hasard, notre ami ?....

Basile.Par quel accident, messieurs?....

le notaire.Sont-ce là les futurs conjoints ?

Le Comte.Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit, chez le barbier Figaro ; mais nous avons préféré cette maison par des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat?

Le Notaire.J'ai donc l'honneur de parler à son excellence monsieur le comte Almaviva ?

Figaro.Précisément.

Basile, à part.Si c'est pour cela qu'il m'a donné le passe-partout....

Le Notaire.C'est que j'ai deux contrats de mariage. Monseigneur, ne confondons point : voici le vôtre; et c'est ici celui du docteur Bartholo, avec la signora— Rosine aussi. Les demoiselles, apparemment, sont deux soeurs qui portent le même nom.

Le Comte.Signons toujours. Don Basile voudra bien nous servir de second témoin. ils signent.

Basile.Monseigneur Mais si le docteur

Le Comte, lui jetant une bourse. Vous faites l'enfant. Signez donc vite.

Basile. Ah! ah! (il signe.)



Scène VIII et dernière

Les précédents, Marceline, Bartholo, alcade, des algasils, des valets avec des flambeaux.

Bartholo, voit le comte baiser la main de Rosine, et Figaro qui embrasse grotesquement Basile ; il cric en prenant le notaire à la gorge. Rosine avec ces fripons! arrêtez tout le monde. J'en tiens un au collet.

OPÉRA-COMIQUE. 61

Le Notaire.C'est votre notaire.

Basile.C'est votre notaire. Vous moquez-vous ?

Bartholo.Ah ! don Basile ! eh ! comment êtes-vous ici ?

Basile.Comment n'y êtes-vous pas ? (l'alcade, à Figaro.)Qui êtes-vous?

Figaro.Je suis de la compagnie de Monseigneur le comte Almaviva.

Bartholo.Almaviva !

l'alcade.Ce ne sont donc pas des voleurs ?

Bartholo.Laissons cela. Comte ou non, qu'on se retire.

Le Comte.Oui, le rang doit être ici sans force ; mais ce qui en a beaucoup, est la préférence que mademoiselle vient de m'accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement.

Bartholo.Que dit-il, Rosine?

Rosine.Il dit vrai.

Bartholo.Plaisant mariage ! où sont les témoins ?

Le Notaire.Je suis assisté de ces deux messieurs.

Bartholo.Comment, Basile ! vous avez signé ?

Basile.Que voulez-vous ? Ce diable d'hommc-a toujours ses poches pleines d'argumens irrésistibles.

Bartholo.Je me moque de ses arguments. Jamais on ne l'ôlera de mes mains.

Le Comte.Elle n'est plus en votre pouvoir. Elle est ma femme. Je la mets sous l'autorité des lois.

l' alcade.Certainement. Cette inutile résistance au plus honorable mariage, indique assez sa frayeur sur îa mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu'il rende compte.

Le Comte.Ah ! qu'il consente à tout ; et je ne lui demande rien.

Bartholo.Ils étaient tous contre moi.

Basile.Oui, mais l'argent vous reste.

Bartholo.Vous ne songez qu'à l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi! à la bonne heure, je le garde; mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine ?

il signe.

Figaro , riant.Ah, ah, ah , Monseigneur, ils sont de la même famille.

Bartholo.Et moi qui leur ai enlevé l'échelle, pour que le mariage fût plus sûr !

FigaroQuand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empêcher, peut bien s'appeler, à bon droit, la Précaution inutile.

OPERA-COMIQUE. 63

choeur final. Chantons cette journée,

Pour \ us \ si fortunée, [vous)

Et qu'un doux hyménée,

Toujours \ rende heureux.

(vous)

FIN