Le Barde (tr. Nerval)

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Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 338).


LE BARDE


« Q’entends-je là-bas, à la porte ? qui chante sur le pont-levis ? Il faut que ces chants se rapprochent de nous et résonnent dans cette salle. » Le roi dit, un page court ; le page revient et le roi crie : « Que l’on fasse entrer le vieillard !

— Salut, nobles seigneurs, salut aussi, belles dames : je vois ici le ciel ouvert, étoiles sur étoiles ! Qui pourrait en dire les noms ? Mais, dans cette salle, toute pleine de richesses et de grandeur, fermez-vous, mes yeux, ce n’est pas le moment d’admirer. »

Le barde ferme les yeux, et sa puissante voix résonne… Les chevaliers lèvent des yeux en feu ; les dames baissent leurs doux regards. Le roi, charmé, envoie chercher une chaîne d’or pour récompenser un si beau talent.

« Une chaîne à moi ! donnez-en à vos chevaliers, dont la valeur brise les lances ennemies ; donnez à votre chancelier ce fardeau précieux pour qu’il l’ajoute aux autres qu’il porte.

« Je chante, moi, comme l’oiseau chante dans le feuillage ; que des sons mélodieux s’échappent de mes lèvres, voilà ma récompense ; cependant, j’oserai vous faire une prière, une seule : qu’on me verse du vin dans la plus belle coupe, une coupe d’or pur. »

Il approche la coupe de ses lèvres, il boit : « liqueur douce et rafraîchissante ! heureuse la maison où un tel don est peu de chose ! Mais, dans le bonheur, songez à moi !… Vous remercierez Dieu d’aussi bon cœur que je vous remercie pour cette coupe de vin. »