Le Baron d'Albikrac

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PERSONNAGES

Angélique, amante d'Oronte.

La tante d'Angélique.

Oronte, amant d'Angélique.

Léandre, ami d'Oronte.

Lisette, suivante de La tante.

La montagne , valet de Léandre.

Philipin, valet d'Oronte. Cascaret, laquais de La tante.

La scène est à Paris,



ACTE PREMIER



Scène I


Angélique, Philipin.

Angélique tenant une lettre

Si j’en crois ce billet, Oronte est fort sincère,

Il met tout son bonheur à me voir, à me plaire,

Mais ce fut là toujours le style des Amans.

Philipin

Madame, il meurt pour vous. Vous savez si je mens,

Je fuis valet d’honneur; quoi qu’il pût écrire,

S’il n’étoit fou d’amour, voudrois-je vous le dire?


Il pense à vous sans cesse , s’il avoit cent cœurs....

Angélique


Quand il peut me parler il me dit des douceurs,

Mais son sexe partout doit ce tribut au nôtre.

Philipin

Mon maître,croyez-moi,n'est point fait comme un autre.

A moins qu'on ne lui plaise et plaise tout de bon

Jamais sur la fleurette il ne règle son ton.

Angélique


Jamais? et quelquefois il en conte à ma tante.

Philipin


C'est là de son amour la preuve convaincante.

Il n'est pas de ces gens si fort abandonnés

Qu'il doive être réduit aux attraits surannés ;

Et si par votre tante, aussi vieille que folle,

Il se laisse arracher quelque douce parole,

S'y pourroit-il résoudre à moins que de savoir

Qu'on n'obtient que par là le plaisir de vous voir?

Mais que doit-il attendre enfin, que lui dirai-je?

Angélique


Que j'ai lu son billet.

Philipin

Le rare privilège !

N'aurons-nous rien de plus?

Angélique

Quoi! tu n'es pas content?

Philipin

La plus indifférente en feroit bien autant ;

Ce n'est que savoir lire.

Angélique

Un jour viendra peut-être...

Philipin

Un peut-être n'est point ce que cherche mon maître.


Scène II


Angélique, lisette, Philipin.

Lisette

Et vite!

Angélique

Qu'est-ce?

Lisette

Et tôt !

Angélique

Ma tante ?

Lisette

Détalons ;

La voilà qui descend, elle est à mes talons.

Par le pelit degré gagnez le haut.

Philipin

Lisette, Fais-lui dire...

Lisette

LIS Est temps qu'elle fasse relraite, Autrement...

Philipin

Mais au moins en trois ou quatre mots Qu'elle déclare...

Angélique

Adieu.
{

{scène|III}}

Philipin, Lisette.

Philipin

C'est bien dit. Ah ! lés sots,

Qui sans rien attraper, avec un soin extrême.

Sont un an à poursuivre un chétif Je vous aime !

Prétend-elle toujours ainsi se défier?

Lisette

Faute d'expérience elle se fait prier ;

Elle est novice encor; mais enfin laisse faire,

Mes soins en si bon train ont déjà mis l'affaire

Qu'en la pressant un peu, si ton maître est discret,

Je lui répondrois bien d'un rendez-vous secret.

Lui peignant bien sa flamme, il l'obtiendra sans doute.

Philipin

Mais on ne lui dit rien que la tante n'écoute,

Et montrer pour la nièce un cœur d'amour blessé

Ce seroit le secret d'être bientôt chassé.

Oh ! le fâcheux dragon qu'une tante éternelle !

Lisette

Ajoute, qui prétend être encor jeune et belle,

Et qui, laissant au coffre un peu plus de trente ans,

Veut jusque dans l'hiver ramener le printemps.

A chaque occasion parlant de son peu d'âge,

Son radoucissement tire un piteux hommage,

Qui, lent à s'avancer...

Philipin

Pour de si vieux appas,

Dis-moi quelle douceur pourroit doubler le pas?

A soixante et dix ans ! l'agréable mignonne !

Lisette

Dis, soixante.

Philipin

Eh bien, soit, la différence est bonne.

Comment diable à cet âge ose-t-on vivre encor ?

Lisette

Sais-tu pas qu'une femme en tout temps prend l'essor?

Philipin

Je le sais, mais du moins on n'a point la figure

D'une Ostrogothe faite en dépit de nature,

Et l'on doit s'habiller sans tant de sots atours

A l'usage des gens que l'on voit tous les jours.

De son deuil mitigé la mode est fort nouvelle.

Lisette

Elle croit du commun se distinguer par elle, En être plus galante et plus propre à charmer.

Philipin

Elle a le diable au corps ; croire se faire aimer !

Ne voir pas quand quelqu' un près d'elle s'humanise...

Lisette

Qu'on lui dise un mot tendre, elle est soudain éprise,

Croit tout, prend feu sur tout, et c'est là son destin:

Aussi sans le doux style on n'est pas son cousin.

On n'a chez elle accès qu'en lui contant fleurettes,

Qu'en feignant de l'amour...

Philipin

Un amour à lunettes,

Si bien que sans douceurs et le tendre soupir

Ce dragon surveillant ne se peut assoupir?

Lisette

C'en est la seule voie.

Philipin

Ah ! beauté bisaïeule !

Si j'osois pour douceur te bien paumer la gueule !

Que je prendrois plaisir...

Lisette

Tu te mets en courroux?

Philipin

Mais quand avec la nièce avoir ce rendez-vous?

Où l'en presser?

Lisette


Léandre est ami de ton maître,

On l'aime ici déjà plus qu'on ne fait paroilre ;

Qu'il amuse la tante et l'endorme si bien

Qu'Oronte avec la nièce ait un libre entretien.

Philipin

Oui, mais tune dis pas que ce Léandre enrage

D'avoir déjà dix fois joué ce personnage ;

Il est soûl de la tante, et n'en veut plus tâter.

Lisette

Voyez que c'est bien là de quoi se rebuter.

La pauvre nièce et moi nous en souffrons bien d'autres,

Et peut-être il n'est point d'ennuis pareils aux nôtres;

Ma foi, c'est charité que de nous secourir.

Philipin

Mais avant qu'attraper il faut long-temps courir,

Et de l'air dont elle est par la tante gardée.

Lisette

Le désir d'un mari l'a si fort possédée

Que, comme elle en veut un quoi qu'il puisse coûter,

La nièce n'est jamais en pouvoir d'écouter.

Depuis neuf à dix mois que dure le veuvage

La vieille requinquée a l'amoureuse rage,

Dans le premier venu croit voir un protestant,

S'en fait conter par force, et s'offre au même instant.

Ainsi point de quartier tant qu'elle ait eu son compte.

Mais, dis-moi, cet époux que promettait Oronte,

Ce baron d'Albikrac est long-temps à venir?

Philipin

Quelque obstacle maudit l'aura pu retenir :

Nous le saurons bientôt ; un certain La Montagne

Chez nous, quand j'en sortois, arrivoit de Bretagne;

Il en rapportera ce que tu veux savoir.

Lisette

A vanter ce baron j'ai bien fait mon devoir.

Sur ce que j'en ai dit notre tante charmée Par lettres aussitôt de lui s'est informée.

Philipin


Tant pis ; qu'a-t-elle su ? car enfin il n'a rien.

Lisette

Qu'il étoit de naissance avec fort peu de bien,

Mais enjoué, folâtre, et toujours prêt à rire.

Philipin

Plus encor mille fois qu'on ne le sauroit dire.

Mais d'où diable as-tu feint que tu savois son nom ?

Lisette

J'ai dit que j'avois vu ce monsieur le baron,

Qui, plein d'amour pour elle et pressé d'un voyage,

Devoit à son retour parler de mariage ;

Qu'il n'avoit point voulu la voir pour un moment...

On croit ce qu'on souhaite assez facilement.

Philipin

Ah, baron ! qu'à présent tu serais nécessaire !

Lisette

Qu'il d'elle ou non, ce n'est point notre affaire

Pourvu qu'en temps et lieu, l'entretenant d'amour,

A celui de ton maître il donne quelque jour.

Philipin

Mais, à propos d'amour, m'aimes-tu ?

Lisette

Le beau doute !

Philipin

Tu m'en as assuré bien des fois ; mais écoute,

Il me le faut jurer plus authentiquement.

Lisette

Philipin se défie ?

Philipin

A parler franchement,

Je te trouve égrillarde autant qu'on le peut être ;

Et notre La Montagne est un dangereux traître,

Qui, toujours goguenard, prend en goguenardant

Ce qu'on dit qu'on n'obtient jamais en demandant.

Comme nouveau venu tu voudras qu'il t'en conte ?

Lisette


Badin !

Philipin

J'ai de l'honneur, et l'autre a bu sa honte.

Plus.effronté qu'un page en vain on le retient.

Lisette

Tais-toi, ne vois-tu pas que notre tante vient.


Scène IV


La tante, Lisette, Philipin.

La tante

Que te dit Philipin ?

Lisette

Que son maître l'envoie

S'informer s'il se peut que bientôt il vous voie.

La tante

Dis-lui que je l'attends.

Lisette

Retourne, Philipin.

Philipin

Il en faisoit scrupule à cause du malin...

Léandre est avec lui.

La tante

Qu'ils viennent l'un et l'autre.


Scène V


La tante, Lisette.

Lisette

Madame, vous voyez quel pouvoir est le vôtre :

Tous deux ne sauroient vivre un seul moment sans vous.

La tante

Que n'est-il vrai ! Mais non, ils ont besoin de nous,

Et, venus à Paris pour quelque grande affaire,

Je les dois regarder comme amis de mon frère.

Tu sais ce que pour eux d'Angleterre il m'écrit,

Qu'en leur faveur je tâche à trouver du crédit,

Et que les obliger c'est l'obliger lui-même.

Lisette

Mais ne croyez-vous pas que l'un des deux vous aime?

La tante

J'aurois lieu de le croire, et Léandre du moins

Semble pour me gagner ne manquer point de soins;

Mais enfin je crains tant qu'il ne soit pas honnête,

Qu'à me remarier je me montre si prête...

Lisette

Le veuvage est un don qu'on m'a toujours appris

Que le ciel ne départ qu'à ses plus favoris ;

Et si dans ce qu'on sait par mainte et mainte épreuve

Vous pouviez transporter votre office de veuve,

Au lieu de le garder toujours en enrageant,

Il vous seroit aisé d'en trouver de l'argent.

Malgré des blonds cheveux la mode avantageuse,

Un bandeau sied au front mieux qu'une paresseuse.

Mais, madame, chacun sait ses nécessités.

La tante

II est vrai, le veuvage a ses commodités.



Mais, s'il en est à qui le mariage coûte,

D'autres n'y trouvent pas...

Lisette

Vous le savez sans doute ;

Pendant plus de trente ans vous avez eu loisir

D'apprendre ce qu'il a qui louche le désir;

Le défunt vous aimoit, et chacun sait bien comme...

La tante

Au mal de jaloux prés, je le trouvois bon homme ;

Mais il étoit si vieux,..

Lisette

J'entends, pour réconfort

Vous en voulez un jeune ?

La tante

Eh! Lisette,ai-je torl?

Lisette

Non pas, et la jeunesse est d'un si grand usage

Qu'ayant à prendre maître il le faut du bel âge ;

Mais la difficulté c'est que votre barbon,

A bien usé la vôtre.

La tante

Eh ! mon Dieu, le voit-on ?

Mes ans aux yeux de tous, sont-ils si manifestes?

Lisette

Avec un peu d'emprunt vous avez de beaux restes;

Et certain charme en vous saute encor tant aux yeux

Qu'il en est à vingt ans qui ne valent pas mieux.

Mais, entre vous et moi, qui connois. vos affaires,

Vous en avez du moins trente surnuméraires :

C'est quelque chose.

La tante

Ainsi tu me tiens hors d'état

De plus faire divorce avec le célibat ?

Lisette

Non, un mari.pour vous est un point nécessaire.

La tante

Les gens ont sans cela tant de peine à se taire

Que pour ôter tout lieu de médire de nous...

Lisette

Eh ! si l'une s'en plaint l'autre.le trouve doux.

Dans la fleur de nos ans, où tout aime à nous rire,

C'est gloire que de nous on s'attache à médire ;

Et j'en sais qu'on verroit pester au dernier point

Si de leurs soupirans on ne médisoit point.

Les belles à l'envi tirent de ce murmure

Du côté du mérite un favorable augure :

C'en est aussi la marque, et, sans expliquer rien,

Si l'on a leurs faveurs on les achète bien ;

Mais dans l’âge où pour nous manque la complaisance

Malheur à qui ne fait taire la médisance.

Grand opprobre, madame.

La tante

Il est rude en tout temps.

Lisette

Et beaucoup' plus encor quand on a nombre d'ans.

Croyez-moi, sur ce point la médisance est vraie :

Etant vieille l'on n'a que les amans qu'on paie ;

Et je laisse à juger la belle passion

Qui s'allume ou s'éteint selon la pension !

La tante

Ah ! Lisette !

Lisette

Excusez, je parle avec franchise.

La tante

En cst-il ?...

Lisette

Non, témoin notre vieille marquise,

Qui, ne pouvant trouver de galant tout entier,

Se contente, dit-on, qu'on serve par quartier.

Pour quatre pensions il faut bonne finance.

La tante

Et puis n'ai-je pas lieu de fuir la médisance ?

Lisette

Oui, sans doute, et de vous on en diroit aillant.

Mais en fait d'un mari ne barguignez point tant.

Le vouloir jeune et riche...

La tante

Eh, pour le bien, lisette. Tu sais que ce n'est pas...

Lisette

L'affaire vaut donc faite?

Le baron d'Albikrac sera votre vrai fait.

La tante

S'il a si bonne mine...

Lisette

Ah ! madame !

La tante

En effet

J'y puis songer.

Lisette

Surtout suivez ma tablature.

Gardez toujours la bourse, et donnez à mesure.

Quand on a comme vous force écus bien comptés

On peut faire à propos ses libéralités ;

Il est d'heureux momens où l'on trouve son compte.

La tante

Si j'osois m'assurer de Léandre ou d'Oronte,

J'aurois bientôt choisi.

Lisette

Le respect les relient :

Peut-être ils parleront si notre baron vient.

Souvent la jalousie est ce qui nous enflamme.

La tante

Mais il semble qu'Oronte et ma nièce...

Lisette

Madame ?

La tante

Tout de bon, à l'oreille il aime à lui parler.

Lisette

Croyez qu'il ne lui dit que des contes en l'air.

Elle est si jeune encor...

La tante

Défions-nous de l'âge:

Il en est dés douze ans que la fleurett

e engage,

Et le cœur...

Lisette

Il est vrai, c'est un oiseau si fin

Qu'il faut pour l'attraper venir de bon matin.

Mais, quant à votre nièce, à moins d'en vouloir rire,

On ne peut...

La tante

La voici : voyez ce qui l'attire !

Il faut que je l'éloigné.

Lisette

Ah ! gardez-vous-en bien.

Vous savez que Léandre aime votre entretien ;

Et s'il peut avec elle embarrasser Oronte

Je crois qu'auprès de vous il trouvera son compte.

La tante

Cela se pourroit bien ; mais s'il falloit aussi

Que ma nièce...

Lisette

N'ayez pour elle aucun souci.


Scène VI


La tante, Angélique, Lisette.

Angélique

Vous plaît-il que quelqu'un aille pour ces tablettes, Ma tante ?

La tante

Non, tantôt.

Angélique

Je crois qu'elles sont faites.

La tante

N'importe, ce matin vos yeux sont mal ouverts.

Angélique

Comment ?
{{Personnage|La

tante|c}}
Votre coiffure est toute de travers.

Mon Dieu! cela fait peur.

Angélique

Je me coiffe à ma mode, Ma tante.

La tante

En attendant qu'on vous la raccommode

Cachez-la tout au moins d'une coiffe.

Angélique

Et pourquoi?

Ai-je à plaire à quelqu'un ?

La tante

Lisette allant prendre une coiffe sur la table.

Avec vos cheveux blonds en coquette fieffée

Vous vous imaginez être fort bien coiffée.

Rien n'est plus ridicule, et madame a raison ;

Mettez...

Angélique

Mettre une coiffe en gardant la maison !

La tante

Que de raisonnemens ! Approchez.

Angélique bas

Je déteste...

Lisette

Voilà proprement l'air d'une fille modeste.

Mais Léandre...



Scène VII


la tante, angélique, léandre, oronte, lisette.

Léandre

Voyez si l'on se plaît chez vous,

Madame.

Oronte

C'est un bien dont chacun est jaloux.

La tante

Vous le dites; je sais ce qu'il faut que j'en croie.

Léandre à Angélique.

Vous cacher de la sorte! Ah! souffrez qu'on vous voie.

Est-ce pour inspirer des désirs plus ardens?

La tante

Laissez : elle se plaint d'un si grand mal aux dents

Qu'elle souffriroit trop…

Angélique

Il se passe, ma tante.

Léandre

Otez donc.

Angélique à La tante

L'ôterai-je ?

La tante

Otez. L'impertinente!

Vous prenez donc plaisir à montrer votre nez?

J'en suis fort aise.

Lisette à La tante

Ainsi les esprits sont tournés.

Plus on défend.,.
{{didascalie|Oronte à La t

ante|c}}
Madame, on poursuit mon affaire ;

Votre crédit bientôt me sera nécessaire :

J'ose en espérer tout.

La tante

Il me sera bien doux

D'avoir occasion de m'employer pour vous.

Mon frère m'en écrit d'une assez bonne sorte

Pour n'y rien négliger; et d'ailleurs, mais n'importe,

L'effet vous montrera si je sers mes amis.

Léandre à La tante

Ce titre est glorieux, vous me l'avez promis.

La tante

Vous y prétendez donc?

(Pendant que la tante parle tout haut à Léandre Oronte entretient la nièce tout bas, et Lisette est au milieu qui tâche d'empêcher la
tante de les observer. )

Léandre


Beaucoup plus que personne.

La tante

Si je ne suis pas belle au moins suis-je assez bonne,

Et c'est toujours de quoi réparer ce défaut.

Léandre

Défaut, madame !

La tante

On sait un peu ce que l'on vaut ;

Et sans ce grand éclat d'une beauté brillante

Quelquefois une femme a l'heur d'être touchante.

Il est mille agrémens...

Léandre

C'est ce qu'on voit en vous,

Et l'assemblage en est si charmant et si doux

Que j'admire souvent en vous voyant paroître...

La tante

Vous avez assez l'air de vous y bien connoitre.

Léandre

Par ce que je vous dis du moins vous l'éprouvez.
{{didascalie|la tante

faisant signe de l'oeil à angélique.|c}}
Angélique ?

Angélique

Ma tante?

oronte à angélique, feignant de continuer haut la conversation.

Enfin donc vous trouvez

Ma garniture belle ?

Angélique

Oui, belle et des plus belles.

lisette bas à la tante.

J'écoute: il ne lui dit que pures bagatelles,

Et vous laisse par là Léandre à gouverner.

la tante à Léandre.

Quel âge croyez-vous qu'on me puisse donner?

Léandre

Vous n'êtes qu'une fille, et sans votre veuvage

Je vous croirois trop jeune encor pour le ménage:

Vingt et un ans au plus.

Lisette bas.

Où les va-t-il chercher?

La tante

Non, j'en puis avoir trente,et n'en veux point cacher.

Léandre

Quoi, trente! Et dans cet âge un brillant dejeunesse....

La tante

J'ai pourtant eu souvent grand sujet de tristesse:

Dn vivant du bonhomme, ah ! grands dieux, quels

C'étoient de tristes jours. [ennuis ! ]

Lisette bas.

Et de plus tristes nuits.

Léandre

Qu'un vieillard ait eu l'heur d'obtenir... J'en soupire-.

La tante

Que j'ai versé de pleurs !

Léandre


Au moins dans ce martyre.

Grâce à sa prompte mort, peu de temps s'écoula?

La tante

Quinze ans s'y sont passés.

Lisette bas.

Et quinze par-delà.

Léandre

Quel supplice! Et vos yeux après quinze ans de larmes

Ont trouvé le secret de conserver leurs charmes?

Que de jaloux débats vont causer vos attraits !

La tante

L'hymen n'a pas grand lieu de toucher mes souhaits ;

Et, quitte des ennuis dont j'ai trop fait l'épreuve,

J'aime assez le repos qui suit l'état de veuve.

Je vis tranquille, heureuse.

Léandre

Et vous faites fort bien.

C'est en cela...

La tante

Pourtant je n'ai juré de rien,

Et selon...

Léandre l'interrompant d'un air chagrin.

D'ordinaire où sont vos promenades?

La tante

Où l'on veut.

Léandre

A Saint-Cloud ? Les charmantes cascades !

Vous allez fort souvent dans ces aimables lieux ?

La tante

Pas trop.

Léandre

Dites le vrai, Vincennes vous plaît mieux.

La tante

On ne se divertit dans toutes ces parties

Que selon qu'elles sont bien ou mal assorties ;


Le goût dépend des lieux beaucoup moins que des gens;

Quand ils sont bien choisis...

Léandre

C'est comme je l'entends.

La tante

Si bien que vous croiriez qu'une haine si forte

Contre le mariage en aveugle m'emporte

Que, sûre qu'on m'aimât, j'eusse assez de rigueur

Pour voir un vrai mérite et défendre mon cœur ?

Léandre

Qu'il en faudroit, madame, et qu'il est difficile

Que vous ne rendiez pas ce mérite inutile !

En est-il qui ne cède en voyant éclater...

La tante

Mon Dieu, ne perdez point de temps à me flatter !

Je n'aime point l'encens.

Léandre

Puisque c'est vous déplaire

Je le quitte, madame, et change de matière.

Croyez-vous qu'à la cour Ariste ait du crédit?

La tante

Vous n'expliquez pas bien ce que je vous ai dit.

Si j'ai quelque mérite il n'est pas raisonnable

De prétendre qu'à peine il s'en trouve un semblable;

Et quelqu'un que je sais vaut tout ce que je vaux.

lisette bas.

Bon, cela.

Léandre

Ce quelqu'un n'a donc point de défauts ?

La tante

Vous le connoissez bien.

Léandre

Moi,madame?

La tante

Vous-même.
{{scène|

VIII}}

la tante, angélique, léandre oronte, lisette, cascaret.

Cascaret

Madame ?

La tante

Que veut-on?

Cascaret

La marquise d'Amblême.'..

La tante

Eh bien, qu'est-ce?

Cascaret

Elle vient.

La tante

Qu'a-t-elle àme conter.

Lisette

C'est peut-être un galant qu'elle veut emprunter.

La tante

Qu'on la reçoive ailleurs. L'incommode personne !

Ah!

leandre bas en regardant la tante.

Si tu m'y- retiens, va, je te le pardonne.

Peste soit de la vieille !

la tante à angélique.

Allez l'entretenir.

Je vous suis.

(A Oronte et Léandre.)

Demeurez, je m'en vais revenir.

Oronte

Quelle est cette marquise ?
{{Personnage|La tante

|c}}
Une sempiternelle,

Qui passe soixante ans, et fait encor la belle ;

Elle aime la fleurette, et la moindre douceur

Lui fait ouvrir l'oreille et chatouille son cœur.

C'est un original.

lisette bas.

L'impertinence extrême

De faire son portrait et se railler soi-même !

Oronte

Elle vous fournit bien de quoi vous divertir?

La tante

Et qui ne riroit pas de l'entendre mentir,

Que pour elle en secret plus d'un chevalier brûle,

Que monsieur le marquis s'en meurt?

Léandre

La ridicule !

La tante

Je l'aurois avec nous mise de l'entretien,

Mais vous n'en auriez pas été quitte pour rien,

Et nous n'eussions point vu la fin de sa visite.

Adieu, pour un moment souffrez que je vous quitte:

Je saurai m'en défaire, et perdrai peu de temps.


Scène IX


Léandre, Oronte, Lisette.

Léandre à Oronte.

Faites ici le sot : pour moi, si je l'attends...

Oronte

Ami, songez, de grâce...

Léandre

Il n'est ami qui tienne ;

Pour couvrir votre jeu cherchez qui l'entretienne.



J'ai paré de mon mieux les plus dangereux coups,

Mais tirer à la rame est un métier plus doux.

Au moindre jour offert d'union conjugale

Elle en fait seul à seul un fort joli régale;

J'en ai tremblé deux fois, et j'ai cru que tout net

J'allois pour l'épouser être pris au collet.

Lisette

C'est l'unique moyen de l'éblouir.

Léandre

N'importe.

Oronte

M'abandonneriez-vous au besoin de la sorte?

Il y va de ma vie, et si vous faites cas...

Léandre

Vivez: mais, s'il vous platt, que je ne meure pas.

Encore un tête-à-tête, et le moins qui m'arrive

C'est de perdre l'esprit.

Lisette

La défaite est naïve !

Mais notre nièce enfin ?

Oronte

Qu'elle est aimable ! ah! dieux !

Lisette

Son entretien est-il aussi doux que ses yeux?

Oronte

Qu'il est rempli d'appas? J'en suis charmé, lisette.

Lisette

Vous a-t-elle promis audience secrète?

Oronte

Oui; si sa tante ailleurs se laissant engager

T'assure les moyens de me la ménager,

Tout dépend de tes soins.

Lisette

Ou plutôt de Léandre.

Qu'il prenne un rendez-vous...

Léandre

Bonsoir.
{{Personnage|O

ronte|c}}
Vous en défendre,

Ami, quand il y va de tout l'heur de mes jours !

Léandre

Faut-il combattre ici des lions et des ours,

Forcer quelque château, m'opposer seul à trente?

A cela je suis prêt; mais, ma foi, pour la tante...

Lisette

Ah ! si votre Breton étoit prés d'arriver !

Oronte

L'argent comptant le charme, il viendra nous trouver,

Et, craignant qu'on ne songe à presser les affaires,

Il m'envoie un pouvoir passé devant notaires ;

Mais de plus de dix jours il ne sauroit partir,

Lisette

Et Léandre pour rien ne voudra consentir...

Léandre

Non, mais à mon défaut employez La Montagne;

Qu'il fasse quelques jours le baron de Bretagne:

On ne le connoit point.

Lisette

A-t-il un peu d'esprit?

Que trop : quoiqu'il bouffonne, il sait bien ce qu'il dit.

Le voici qu'à propos Philipin nous amène.


Scène X


Léandre, Oronte, La montagne, Lisette, Philipin.

Léandre à La montagne.

As-tu vu le marquis ?

La montagne

J'ai bien eu de la peine.

Léandre


Viendra-t-il?

La montagne

Oui, monsieur, où vous lui marquez.

Léandre

Bon!

Mais ici cependant il nous manque un baron :

Peux-tu le devenir?

La montagne

Moi baron? et de reste!

Oronte

Tu connois Albikrac ?

La montagne

C'est un gaillard, la peste !

Oronte

Il faut passer pour lui.

La montagne

Je suis votre homme, allez:

Vous me verrez baron, et des plus signalés.

Lisette

Donc, sans plus balancer, dés cette aprés-dînée

Qu'il s'en vienne nous faire un début d'hyménée.

La tante l'attendra dans son appartement,

Et nous nous servirons de cet heureux moment.

Oronte

Mais pour voir en secret ton aimable maîtresse ?

Lisette

Vous avez belle peur que je manque d'adresse.

Que Philipin au guet ait soin de se montrer ;

Je viendrai l'avertir quand vous pourrez entrer.

Oronte

Adieu donc; nous allons en baron de campagne

Travestir décemment monsieur de la montagne.

Si la tante se plaint de ne nous trouver plus,

Dis que...

Lisette

Vous me donnez des avis supe

rflus,

Suffit que du baron j'aurai reçu message.

Au moins faites-lui bien jouer son personnage.

La montagne

Va, je sais mon métier, n'en sois point en souci.

As-tu plus de quinze ans ?

Lisette

Environ, Dieu merci !

oronte à la montagne.

Sors vite ; s'il falloit qu'on te vit avec elle
Tu perdrois tout.

La montagne

Adieu, tendre et jeune pucelle!

Jusqu'au revoir.

Philipin

Lisette, ah !

Lisette

Quel diantre de ton !

Tu gémis?

Philipin

Que jecrain- La Montagne baron !

                                                                        

                        

ACTE SECOND




Scène I


Angélique, Lisette.

Lisette

Philipin m'attendoit par ordre de son maître ;

Ici dans un moment vous l'allez voir paraître,

L'avis lui sera doux.

Angélique

Lisette, en vérité,

Ce que tu me fais faire est bien précipité.

Permettre qu'en secret un galant m'entretienne !

Lisette

Voulez-vous que je coure empêcher qu'il ne vienne?

Angélique

Non, mais n'est-ce point trop...

Lisette

Voilà bien des façons!

Eh, mon Dieu,hardiment prenez de mes leçons;

Vous m'en remercierez quelque jour.

Angélique

Mais, Lisette,

J'accorde une faveur peut-être en indiscrète;

Et si de moi par elle Oronte veut juger...

Lisette

Quoi ! la tante aurait droit de nous faire enrager.

Et vous craindrez...

Angélique

Je crains d'affaiblir son estime.

Lisette

Un entretien secret n'est pas un si grand crime ;

Et d'un joug trop pressant pour fuir les durs apprêts

Il n'y faut pas toujours regarder de si prés.



Pour moi, de tous les maux où l'on s'impatiente

Je n'en crois point d'affreux comme le mal de tante;

Il suffoque, et jamais un moment de repos.

Angélique

Toutes n'agissent pas du même air.

Lisette

En deux mots,

La vôtre est une Turque, une Arabe, et le diable

N'en fournirait qu'à peine encore une semblable.

Elle ne peut souffrir que vous leviez les yeux;

II faut qu'on soit pour elle obligeant, gracieux,

Qu'on loue à tout moment les beautés qu'elle achète.

Angélique

Mais si, nous soupçonnant d'une intrigue secrète,

Elle nous découvroit, tout seroit lors perdu.

Lisette

Elle attend ce baron si long-temps attendu.

De miroir en miroir se façonnant la bouche.

Elle ôte et puis remet dix fois la même mouche ;

Dans ce soin d'agréuiens songera- t-elle à vous ?

Angélique

Ainsi c'est tout de bon qu'il lui vient un époux.

Est-il assez bien fait pour lui plaire?

Lisette

Peut-être

En ai-je un peu plus dit qu'on n'en verra paraître;

Mais sur sa bonne mine il faut nous récrier.

Dans la démangeaison de se remarier

Elle nous en croira.

Angélique

Mais, l'affaire étant faite,

Comme alors elle aura tout ce qu'elle souhaite,

Ce rendez-vous secret à quoi bon l'accorder?

Oronte ouvertement pourra me demander.

Lisette

Oui; mais d'où pouvez-vous tirer un sûr indice

Que pour ses dur* appas le baron s'attendrisse?



Qu'il veuille d'elle après qu'il en aura goûté?

Servons-nous de ce temps pour plus de sûreté:

Par quelques entretiens éprouvez-vous l'un l'autre;

Voyez si son humeur se rapporte à la vôtre,

Si toujours elle aura pour vous mêmes appas.

La, l'aimez-vous un peu ?

Angélique

Je ne m'y connoîs pas ;

Mais tantôt, prés d'entrer le voyant dans la rue,

De ma chambre ici-bas je suis vite accourue ;

Et j'eusse eu grand dépit qu'on m'eût voulu chasser.

Lisette

Continuez, ceci n'est point mal commencer.

Angélique

D'ailleurs quand on le nommeou qu'il nous rend visite

Certain je ne sais quoi fait que mon cœur palpite,

J'aime à le regarder; et, soupirant tout bas,

J'ai des troubles d'esprit que je comprends pas.

Sitôt qu'il est parti je rêve. Quand on aime

Est-ce là comme on est, Lisette?

Lisette

Tout de même.

L'amour en peu de temps vous en a bien appris ;

Mais Oronte...

Angélique

Il vient.Dieux?

Lisette

Reprenez vos esprits.

Angélique

Que lui pourrai-je dire, et...

Lisette

S'il ne faut rien taire,

Vous faites l'innocente, et vous ne l'êtes guère.
{{scène|

II}}

Oronte, Angélique, Lisette.

Oronte

Madame.

Lisette

En liberté je vous laisse jaser ;

Notre tante est à craindre, et je cours l'amuser.


Scène III


Angélique, Oronte.

 
Oronte

Enfin mon heureux sort, après tant de contraintes,

De mes tristes langueurs soulage les atteintes ;

Et, sans être gêné par des regards jaloux,

Je puis vous dire ici ce que je sens pour vous.

Mais que sert que ma bouche à l'expliquer s'emploie?

Pour vous marquer ma flamme il suffit de ma joie ;

Et quand l'occasion rend le temps .précieux

Il faut dans ce moment laisser parler les yeux.

C'est là que sans réserve, en voyant ce qu'on aime,

Tout le secret du cœur se produit de lui-même ;

Et qui prend part au feu qui le fait éclater

N'a besoin que de voir et non pas d'écouter.

Angélique

J'ai trop peu de clartés pour pouvoir bien comprendre

Ce que de vos secrets je dois vouloir app

rendre ;

Mais je sais qu'un motif que je crois généreux

M'oblige à souhaiter que vous soyez heureux.

Qu'à vous combler de gloire à l'envi tout conspire.

Oronte

Ce souhait est beaucoup ; mais, si j'ose le dire,

Dans ce que vos appas ont pour moi d'engageant,

S'il n'est que généreux il n'est point obligeant.

A moins qu'il soit l'effet d'une estime empressée,

D'un tendre mouvement où vous soyez forcée,

D'une inquiète ardeur...

 
Angélique

Ah! que vous me gênez !

J'ai bien peur de savoir ce que vous m'apprenez.

Ne l'examinons point; et, quoi qu'il en puisse être...

Oronte

Craignez-vous de m'aimer?

 
Angélique

Je le fais mal paraître;

Mais au moins je devrois, malgré vos vœux soumis,

Craindre de vous aimer plus qu'il ne m'est permis.

Oronte

Hélas ! le pouvez-vous quand ma flamme est extrême,

Et que l'amour n'a point d'autre prix que lui-même?

Non, quoi que vous fassiez pour vaincre le souci...

 
Angélique

N'est-ce point déjà trop que vous souffrir ici?

J'en rougis ; et s'il faut que ma tante soupçonne...

Oronte

A ce scrupule en vain votre esprit s'abandonne,

Lisette y met bon ordre, et seconde mon feu;

Il s'agit seulement d'obtenir votre aveu,

Me l'accorderez-vous?

 
Angélique

Ce qu'ici je hasarde

Ne vous répond que trop de ce qui me regarde ;

Mais songez que les lois d'un rigoureux devoir

Me forcent d'une tante à craindre le pouvoir,



Que mon père en mourant me mit sous sa conduite,

Que par quelque intérêt elle m'aime à sa suite;

Et qu'avant que pour moi vous puissiez rien oser

Il faut qu'elle ait trouvé qui la veuille épouser.

Il s'offre, m'a-t-on dit, un baron d'importance.

Si l'affaire se fait...

Oronte

Vivons en espérance.

Quelque obstacle qui tienne un esprit alarmé,

Pour vaincre tout, madame, il suffit d'être aimé.

Angélique

J'aurois peut-être dû m'en tenir à l'estime ;

Mais, puisque vous brûlez d'un feu si légitime,

Que depuis si long-temps que vous le contraignez

L'amour est tel en vous que vous me le peignez,

Je ne m'en défends plus.


Scène IV


La tante, Angélique, Oronte.

la tante après avoir écoulé les trois derniers vers.

La peinture e-t jolie.

Le rouge vous sied bien, vous êtes embellie;

L'appétit au besoin vous viendroit en parlant.

Vraiment, j'en suis d'avis, il vous faut un galant.

Angélique

Moi, ma tante?

La tante

Voyez la petite effrontée.

Je ne vous ai donc pas tout à l'heure écoutée

Quand sur ce bel amour qui le faisoit agir...

Oronte

Madame...
{{Personnage|La

tante|c}}
Allez, monsieur, vous devriez rougir;

Et du moins ce n'est pas à d'honnêtes familles

Qu'on se doit adresser pour corrompre des filles.

Oronte

L'hymen étant le but qui m'a fait la prier

D'entendre...

La tante

II n'est ici personne à marier.

Parler d'amour chez moi ! Vous êtes fort mignonne.

Angélique

Ne croyez pas...

La tante

Comptez, je vous la garde bonne ;

Et si...

Angélique à Oronte.

Venez encore emprunter mon secours ;

J'ai bien affaire, moi, de vos sottes amours.

La tante

Quoi ! que veut-elle dire ?

Angélique

Eh bien! il me faut taire,

Cela ne servirait qu'à vous mettre en colère ;

Mais si jamais il vient me demander appui...

La tante

Comment? Est-ce qu'il veut que YOUS parliez pour lui?

Oronte à Angélique.

Qu'allez-vous dire ?

Angélique haut.

Tout, et devant tout le monde;

Voyez, il faut pour vous, monsieur,que l'on me gronde.

Je vous l'avois bien dit, renvoyant vos amours,

Que ma tante vouloit rester veuve toujours,

Elle en a fait bon vœu.

La tante

C'est mon dessein sans doute;

Et qui parle d'amour, Dieu sait si je l'écoute ;

Je n'en veux point.

Oronte

Madame, il n'y faut plus penser.

Et puisque je connoisque c'est vous offenser....

La tante

Laissez, par le récit que je veux qu'elle fasse

J'aurai lieu de juger s'il faut vous faire grâce.

Ce doit être sa peine après ce qu'elle a fait.

Oronte à La tante.

Vous haïssez la cause, épargnez-vous l'effet.

Angélique

Oyez donc.

Oronte bas à Angélique.

L'embarras où vous nous allez mettre...

 
Angélique

Mais quand vous aurez su ce qu'il m'a fait promettre

Contre moi tout d'un coup je crains bien de vous voir.

Oronte à La tante.

Ah! ne l'apprenez point.

La tante

Non, je veux tout savoir. Pourquoi seule avec lui ?

 
Angélique

C'est qu'il m'a rencontrée,

Et qu'il entrait ici comme j'y suis entrée.

Il venoit...

Oronte bas a Angélique.

Sans donner de plus forte raison,

Dites que je venois pour voler la maison ;

Je l'avouerais plutôt que....

 
La tante

Qu'est-ce qu'il vous conte?

Angélique

Qu'à vous expliquer tout il va mourir de honte,

Mais en vain il prétend que j'ose rien cacher.

Oronte bas.

Je suis pris.

Angélique

Enfin donc il venoit vous chercher,

Et, m'ayant aperçue, il m'a fait la peinture

De je ne sais quels maux que pour vous il endure,

Que depuis qu'il vous voit il languit nuit et jour,

Et que si je n'avois pitié de son amour...

A ce nom j'ai crié furieuse, en colère,

Ainsi que vous m'avez appris qu'il falloit faire.

II m'a toujours pressée, et moi j'ai toujours dit

Que sans doute il falloit qu'il eût perdu l'esprit.

Que vous oser parler pour lui ni pour personne

C'étoit... Il vous dira si pour vous je raisonne.

Il m'a dit que, sachant votre tempérament,

Il ne vous falloit pas presser ouvertement,

Mais qu'au moins on pouvoit de loin vous faire entendre

Que vous étiez encor dans un âge assez tendre,

Qu'aussi fraîches que vous peu se feroient prier

Pour choisir un brave homme et se remarier,

Et que, selon l'humeur où je vous verrois être,

Je servirois sa flamme et la ferais connottre.

Alors, je l'avouerai, c'est à quoi j'ai manqué.

Sensible à l'air touchant dont il s'est expliqué,

J'ai promis sans penser pourtant faire un grand crime

Que, puisque son amour étoit si légitime,

Qu'il m'en peignoit le feu si plein d'ardeur...

La tante

Rentrez.


Scène V


La tante, Oronte.

Oronte

Ma présence vous choque, et je vais...

La tante

Demeurez,

Oronte

Madame, le regret d'avoir pu vous déplaire..,

La tante

J'aurais quelque sujet d'être assez en colère.

Oronte

Vous l'avez, je l'avoue ; aussi je vous promets

Que de moi sur ce point vous n'en aurez jamais.

Je sais trop pour l'amour jusqu'où va votre haine.

La tante

Pour le moins jusqu'ici je l'ai vaincu sans peine.

Oronte

Tout le monde en convient; et c'est être indiscret

D'avoir à votre nièce expliqué mon secret.

Mais que ne fait-on point quand un mal est extrême?

La tante

Et pourquoi ne vous pas adresser à moi-même?

Oronte

A vous-même, madame? Hélas ! et de quel air?

Non, je mourrois plutôt que de vous en parler.

Mais, si vous faites grâce à l'ardeur de mon zélé,

Souffrez que quelquefois j'en soupire avec elle.

C'est tout ce que je veux pour prix d'un si beau feu.

La tante

Il me paraît trop beau pour obtenir si peu ;

Pour prix de votre amour, si sa flamme est constante,

Il vaut mieux que j'en sois la seule confidente.


A ma nièce surtout n'en témoignez plus rien ;

Dans un si jeune esprit un secret n'est pas bien.

Oronte

Quoi! pour me soulager vous pourriez vous contraindre

A souffrir ce qu'ailleurs on vous voit le plus craindre,

Vous que l'amour offense, et dont l'aversion

Vient de paraître encor pour cette passion,

Vous qui loin d'excuser l'innocente peinture

Dont...

La tante

II faut quelquefois garder quelque mesure,

Et devant une fille il est bon de blâmer

Ce qui lui peut apprendre à se laisser aimer.

Ce sont tendres esprits qui, sans leçon ni maître,

Ne savent que trop tôt d'où ce penchant peut naître;

Et pour rendre l'amour à leur goût moins charmant

On leur en fait un monstre, et l'on pense autrement.

Ce n'est pas qu'il ne soit des douceurs au veuvage

Qui valent quelquefois celles du mariage.

Vivre comme on l'entend, ne répondre qu'à soi...

Oronte

Ah! n'appréhendez point de les perdre pour moi.

Vous me donnez l'exemple, et je dois sans m'en plaindre

Quand vous vous contraignez,apprendre à me contraindre,

Sur moi-même à mon tour prendre assez de pouvoir...

La tante

Je ne dis pas cela pour me faire valoir; Au contraire, je veux...


Scène VI


La tante, Angélique, Oronte.

Angélique

Voici qu'on vous apporte

Des petits tableaux.

Oronte bas.

Bon !

Angélique

L'homme est à cette porte ;

Le ferai-je entrer?

La tante

Non, qu'il revienne. Est-ce fait?

L'étourdie ! Est-il temps...

Oronte

C'est pour un cabinet?

Voyons-les,

Angélique

II en a des plus jolis du monde.

La tante


( A Oronte. )

L'espoir où je me fonde

C'est que me connoissant...

Angélique


S'il les vouloit laisser? Il peut les vendre ailleurs.

La tante

Il s'en faudra passer;

Qu'il les vende, ce soin vous rend officieuse ?

Si...

Oronte bas.

Le friand ragoût qu'une vieille amoureuse !


Scène VII


La tante, Oronte.

La tante

Sans trop de vanité je pourrais me flatter

Qu'il n'a tenu qu'à moi jusqu'ici d'écouter.

Cent fois, le défunt mort, on m'a persécutée,

Officiers, gens de cour, mais rien ne m'a tentée.

J'ai même depuis peu reçu de tous côtés

Pour un certain baron mille importunités.

Oh m'en veut malgré moi donner la connoissance..

Oronte

Quel est-il ?

La tante

Un baron de fort haute naissance,

Albikrac: c'est un nom assez connu de tous.

II vous donne à rêver, en êtes-vous jaloux?

Oronte

Pour m'oublier ainsi je sais trop me connoitre.

La tante

Du moins vous n'aurez pas long-temps sujet de l'être.

Une visite ou deux puisque je l'ai promis ;

Après, né craignez riqn, nous vivrons bons amis.

Oronte

Vous priver de sa vue, et que rien m'autorise...
{{scène|

VIII}}

La tante, Angélique, Oronte.

Angélique

Ah! matante, voici ce beau point de Venise.

La tante à Angélique.

A-t-on jamais...

Angélique

Vos yeux en vont être éblouis.

Oronte faisant semblant d'admirer le mouchoir.

Ah ! madame !

Angélique

On l'aura peut-être à vingt louis.

Voyez ce grand branchage et ces (leurs qui se jettent.

Oronte

On surfait de moitié quand les hommes achètent.

On m'en fit un quarante encor hier matin,

Qui n'est pas...

Angélique

Le tissu n'en peut être plus fin.

La tante

Il est assez passable ; allez, qu'on me le garde;

Nous le verrons tantôt.

Oronte d'un ton chagrin.

Dieux !

Angélique

Plus je le regarde,

Plus je l'aime. Voyez de l'un à l'autre bout,

L'ouvrage saute aux yeux, il est égal partout.

La tante

Ne finirez-vous point? Que veut encor Lisette ?


Scène IX


La tante , Angélique, Oronte, Lisette.

Lisette

Le baron d'Àlbikrac...

Oronte bas.

Enfin ma tâche est faite,

Respirons.

Lisette

Ah ! madame, il n'est rien plus galant !

Oronte

Ces messieurs les barons font valoir le talent;

Ce sont gens du bel air.

La tante

Vous avez de l'ombrage.

Oronte

Madame.

La tante

II ne faut pas m'en dire davantage,

J'y pourvoirai. Qu'il entre, il faut le recevoir.

(A Angélique.)

Demeurez. Vous, Lisette, ayez soin du mouchoir.

(Bas à Oronte.)

Nous laisser seul à seul surprendre en confidence

Serait sans aucun fruit choquer la bienséance.

Oronte

Madame.

La tante

Sans celaj'aurois su prendre soin

De n'avoir pas ma nièce avec nous pour témoin;

Du moins tenez-vous sûr, quand je le pourrai faire,

Que vous n'aurez jamais ce chagrin.
{{Personnage|Or

onte|c}}
Pour vous plaire

Je l'essuierai sans peine, et consens que par là...


Scène X


La tante, Angélique, Oronte, La montagne, Lisette.

la montagne s'adressant il angélique, et fcignant de la prendre pour la tante.

Qui des deux est la tante? A l'âge, la voilà.

Pardonnez, je sais bien que ce vilain mot d'âge

Aux belles comme vous tient toujours lieu d'outrage;

Mais il ne vous en fait aucun, et, tout de bon,

Vous chercher à deux fois auprès d'une poupon,

Auprès de cette nièce à peine encore au monde,

C'est une gloire en vous qui n'a point de seconde.

On m'en avoit bien dit, et j'en trouve encor plus.

Angélique

Que dirai-je, ma tante?

La montagne

A d'autres ces abus.

Ma tante!

La tante

Je la suis.

La montagne

Et celle-ci la nièce?

La tante

Elle s'est déclarée.

La montagne

Oui, pour me faire pièce,

Comme provincial vous voulez me sonder ;

Mais ce n'est pas à moi qu'on en baille à garder.

La tante

On ne vous trompe point.

La montagne

Quoi! vous seriez la tante?

La tante

Moi-même.

La montagne

Je ne sais si le diable me tente,

Mais je sais qu'il méfait vouloir que cela fût.

Ah ! quel plaisir alors de s'aimer but à but !

Car ne pouvant causer un mal de cœur extrême,

Tel qu'on l'auroit pour vous, vous l'auriez tout de même»

Mal de cœur en amour est un drôle de mal.

Mais qui de notre tante est donc l'original?

Sans railler est-ce vous?

La tante

Je ne suis point surprise

De vous voir affecter exprès cette méprise ;

Vous êtes obligeant, et me voulez flatter.

La montagne

Non, ma foi, j'enrageois d'avoir lieu de douter ;

Et déjà je songeois à trouver quelque adresse

Pour planter là la tante et donner sur la nièce.

La tante

Ma nièce est-elle si...

La montagne

Chacune vaut son prix, Mais enfin,,.

Angélique bas à Lisette.

Est-il fou de s'être ainsi mépris ?

Lisette

Le beau jeune seigneur ! qu'il est bien fait !

La montagne

Ma mère

A pris aussi, dit-on, grand plaisir à me faire,

Et je m'en suis senti, car certain air gaillard

Que j'ai d'elle hérité me rend tout égrillard.

Je vous divertirai, belle tante. Ah! ma nièce!

Il faut céder, la tante est la même jeunesse,


Certains traits enfantins, doux, mignons, délicats...

La tante

Ne me louez point tant.

La montagne

Je ne vous louerais pas,

Vous que je vois briller comme fleur printanière!

Dieu me sauve, il n'est point... Montrez-vous par derrière, Vous êtes encor mieux, et si propre à charmer Qu'il ne faut point vous voir

afin de vous aimer, Le port beau; l'air poupin ! J'en tiens ! Et sans reméde. Quelle taille !

La tante

Il en est qui l'ont un peu plus laide.

La montagne

Comment diable! et de plus de cinquante karats.

Lisette

Qu'il a d'esprit, madame !

La montagne

Ah ! l'on n'en doute pas.

La tante à Oronte.

Vous êtes tout rêveur.

La montagne

J'eusse eu peine à m'en taire

Si vous ne l'eussiez dit. Rêve-t-il d'ordinaire?

C'est un mal de chagrin dont je crains les accès.

La tante

Il est à pardonner quand on a des procès.

La montagne

Monsieur en a? tant pis...Monsieur est de province?

Oronte

Auvergnat.

La montagne

On prétend votre noblesse mince,

Et vous venez ici la réhabiliter ?

Oronte

Je crains peu que l'on songe à m'en inquiéter.
{{Personnage|La m

ontagne|c}}
J'en connois soi-disant issus de haute race,

Nobles comme le roi, qu'on remet dans la crasse.

Parmi de vieux papiers abandonnés aux rats

Ils ont beau la plupart dénicher des contrats,

Leur gentilhommerie, étant toute en paroles,

Ne se trouve de poids qu'à celui des pistoles.

A nous autres barons, qu'on voit hors du commun,

On n'a pas dit un mot ; moins à moi qu'à pas un.

Aussi partout le bruit de ma noblesse craque :

Mon père étoitKerling, et ma mère Albîkraque;

Deux familles, pensez, d'éclat et de renom.

Qu'on s'informe, on verra si quelqu'un dira non.

La tante bas à Oronte.

Vous n'avez pas sujet...

La montagne

Je vous trouve inquiète.

Est-ce que vous craignez de me sembler mal faite?

Ma foi, quand tout ex prés pour me rôtir d'amour

L'ouvrier qui vous fit vous aurait faite au tour,

Qu'il aurait compassé, pour me rendre tout vôtre,

Chaque connexité d'un membre avec que l'autre,

Vous ne me plairiez pas davantage, et déjà

J'enrage d'être au point dont mon père enragea;

Car on tient que deux jours après son mariage

Il s'en mordit les doigts.

Angélique

Lisette, il n'est pas sage.

Lisette

C'est un homme enjoué... Qu'il est divertissant !

La tante à La montagne, qui lui avait parlé bas.

Rien ne nous presse encor.

La montagne

Je suis un peu pressant ;

Mais à voir tant d'appas qui ferait moins la presse?

Et puis quand on va droit sans entendre finesse,

Et que l'un à peu prés est de l'autre le fait, On dit que le plus tôt vaut le mieux.

Lisette

En effet.

La tante

On y doit un peu plus songer que vous ne faites.

La montagne

Gai comme je le suis, vous dans l'âge où vous êtes,

Selon que je me sens fortement dans vos lacs,

Nous aurons quantité de petits Albikracs, Ma tante.

La tante

Pour le moins épargnez une fille:

Vous la faites rougir.

La montagne

Elle en est plus gentille.

Quant à moi, j'aime à voir ce vermillon subit

Dont en baissant les yeux la friponne sourit.

I1 faut les faire à tout. Mais, mon aimable tante,

Voyons votre maison : sa propreté m'enchante,

Et si j'en puis juger par cet appartement.,.

La tante

Vous n'y trouverez pas ce que...

La montagne

Sans compliment,

Agréez que je sois votre écuyer.

Lisette

Madame

A dans son cabinet ce qui peut ravir l'ame.

Il vous faut tout au moins deux heures pour le voir.

La tante

Quelque autre jour...

La montagne

Ah ! non.

La tante bas à Oronte.

Je suis au désespoir.

Ne vous chagrinez point, mon cher, je vous en prie,

Si je donne la main...

Lisette ouvrant une porte.

Par cette galerie.
{{Personnage|La t

ante|c}}
Suivez-nous.

Oronte à Angélique.

En suivant éloignons-nous un peu.

Lisette à Oronte.

Profitez du moment, on vous donne beau jeu.
 

                        

ACTE TROISIÈME




Scène I


léandre, lisette.

Léandre

Nos amans à leurs feux vont trouver peu d'obstacles.

Notre nouveau baron fait pour eux des miracles,

Et de ce cabinet, qu'il appelle enchanté,

Je suis exprès sorti pour rire en liberté.

la tante a beau vouloir faire un pas vers Oronte.

Il a pour l'arrêter toujours un nouveau conte,

Et, sur chaque tableau la faisant haranguer,

Il la force à l'ouïr, ensuite extravaguer.

Ainsi pour nos amans point de tante importune.

Lisette

Ce n'est pas là pour elle une grande infortune.

S'il la prive d'Oronte, au moins d'une douceur

De moment en moment il lui flatte le cœur;

Mais quand elle vous tient à l'écart l'un ou l'autre

II n'est point de plaisir qui soit égal au vôtre.

Vous passez votre temps à ravir?

Léandre

Justement, Oronte en a tâté.

Lisette

Très copieusement.

Jamais on ne souffrit de si longue torture.

Léandre

Il m'a dit en deux mots toute son aventure.

Lisette

Quand dans le cabinet il vous a parlé bas

J'ai bien cru qu'avec vous il ne s'en taisoit pas.

Léandre

Tu fais le guet pour eux, et les laisse surprendre?

Lisette

Quand le malheur en veut on a beau s'en défendre.

Oronte. étant entré, j'ai couru promptement

Pour rejoindre la tante à son appartement;

Mais par sa défiance elle a trompé la nôtre ;

J'ai pris un escalier, elle venoit par l'autre.

Léandre

Oronte cependant tombe en de bonnes mains?

Lisette

Qu'il s'en tire s'il peut.

Léandre

C'est comme tu le plains?

Lisette

Si tant de charité pour lui vous inquiète,

Faites le tour d'ami, son affaire vaut faite ;

La tante vous adore et vous préférera.

Léandre

Elle m'aime?

Lisette

Hier encor son coeur en soupira;

Et dans ce que de vous sans cesse elle me conte

Vous l'emportez en tout de bien loin sur Oronte ;

Jamais homme à ses yeux ne parut plus parfait.

Vous rêvez ?

Léandre

Je cherchois quel grand crime j'ai fait.

Pour se trouver aimé d'une vieille et lui plaire

Il faut avoir du moins assassiné son père.

Si la tante avec mois expliquoit sur ce Ion Je la divertirais de la bonne façon.
{{scène|

II}}

Angélique, Léandre, Oronte, Lisette.

Léandre

Vous vous êtes enfin échappés !

Oronte

La peinture

Nous prête ce bonheur, fort grand, pourvu qu'il dure.

Mais monsieur le baron nous le fait espérer;

Il paraît n'être pas encor las d'admirer :

Dix ou douze portraits qu'il voit l'un après l'autre,

Faisant son entretien, ont assuré le nôtre.

Ils sont tous de la tante, et vous pouvez juger

Si le bien qu'il en dit a de quoi l'engager !

Les louant trait pour trait, il lui chatouille l'ame.

Elle peut à son gré favoriser sa flamme;

Nous l'en avons laissée en pleine liberté.

Angélique

J'en serai querellée.

Lisette

Et moi de mon côté;

Mais n'importe.

Léandre

Il est vrai qu'il lui doit être rude

Qu'on lui donne sitôt sujet d'inquiétude.

Puisque Oronte est pour elle un amant déclaré,

C'est mal faire sa cour que s'être retiré:

Elle en murmurera.

Angélique

Je le vois fort à craindre.

Oronte

Mon malheur est fort grand,mais je n'ose m'en plaindre.


Il me vient d'une part qui m'est trop à chérir

Pour craindre d'essuyer ce qu'il faudra souffrir.

Angélique

Que faire où la rencontre étoit si surprenante?

Léandre

Soutenir qu'il vouloit cajoler la servante,

Et qu'a courue au bruit vous lui faisiez leçon...

Angélique

Mais je ne querellois en aucune façon,

Et même elle m'avoit en entrant écoutée.

Léandre

Qu'il soit donc chevalier de la dame enchantée.

Car c'est enchantement qu'aimer à soixante ans.

Oronte

Vous me raillez ; chacun peut-être aura son temps.

Que sait-on ?

Lisette à Oronte.

Pour le moins il a cet avantage

Que si pour notre tante il sucroit le breuvage,

Ma foi, vous tireriez votre poudre aux moineaux ;

II vous supplanteroit.

Léandre

Voyez ce que je vaux.

Mon étoile est heureuse, et c'en est une marque.

Oronte

C'est une rude mer que celle où je m'embarque!

Mais je ne compte à rien tout ce que je prévoi,

Pourvu que cette belle ait du penchant pour moi;
Qu'elle daigne à mon feu permettre l'espérance.

Angélique

J y vois beaucoup d'ardeur ; s'il a de la constance,

D'une ame généreuse il peut tout espérer.

Oronte

C'est de quoi cet ami pourrait vous assurer;

C'est un autre moi-même ; il voit toute mon ame.

Pour plus de sûreté d'une éternelle flamme Souffrez que devant lui je vous donne ma foi ;

Qu'il en soit le garant.

Lisette à Angélique.

Donnez.

Angélique donnant la main à Oronte.

Je la reçoi ;

Et pourvu que toujours, et sincère et constante,

Elle soutienne en vous...

Léandre

Prenez garde ! la tante...

Angélique

Ah ! dieux !

Oronte

Ne craignez rien, et me laissez parler.


Scène III


La tante dans le fond du théâtre, Angélique, Léandre, Oronte, Lisette.

Oronte

Avant qu'un an ou deux se puissent écouler

Vous aurez une grande et longue maladie.

Angélique

Quel présage!

Oronte

S'il faut encor que je le die,

Cet angle qui se ferme à traits presque tirés

Est la mort d'un parent dont vous hériterez.

Angélique

Bon cela.

Oronte

De ce bien vous ne jouirez guère,

Car cette ligne jointe à ce triangulaire

Est pour vous, tôt après, la marque d'un couvent.

Angélique

Ma tante pour le moins m'en parle fort

souvent:

Je le croirais, selon que j'aime peu le monde.

Léandre

Pensez-vous qu'au couvent cette ligne réponde?

Oronte

Celle-ci qui s'étend le dénote encor mieux.

La tante

Que lui prédisiez-vous ici de curieux?

Du destin qui l'attend veut-elle être éclaircie?

Oronte

J'ai pris jadis leçon sur la chiromancie,

Et je la débitois sans doute en écolier.

La tante

Mais que lui trouvez-vous de plus particulier ?

Oronte

Qu'elle court grand hasard d'être religieuse. Je vois de certains traits...

La tante

Qu'elle seroit heureuse !

Si j'étois à son âge il est sûr...

Lisette

Ecoutez.

La tante

On a dans le couvent la paix de tous côtés,

Au lieu que dans le monde, inquiète, jalouse,

Souvent prendre un époux c'est la mort qu'on épouse.

Angélique

Il en est donc beaucoup qui cherchent à mourir ?

La tante

Depuis quand sur l'hymen savez-vous discourir ?

Vous m'apprendrez bientôt comme il faut qu'on le nomme,

Léandre

Ce monsieur le baron paraît bien honnête homme.

La tante

Toujours quelque enjouement à son discours est joint.

Léandre

Son humeur me plaît fort.
{{Personnage|La

tante|c}}
Il ne se contraint point,

Il dit tout ce qu'il pense.

Oronte

II vous a tôt quittée.

La tante

Je crois que de tableaux il a l'ame enchantée,

Il ne s'en peut soûler.

Léandre

II est encor là-haut ?

La tante

Je vais l'y retrouver.

Léandre

Ah ! sans doute il le faut.

La tante

Seulement un quart d'heure allez tenir ma place.

(Ras à Oronte.)

Pour causer avec vous voyez que je les chasse,

(Haut à Léandre.)

Je vous irai rejoindre.

Oronte

Ah ! madame, songez.,.

Léandre

Mais le baron dira que vous le négligez?

La tante

La franchise n'aura jamais rien qui le blesse.

(Bas à Oronte.)

Dites à votre ami qu'il emmène ma nièce.

Léandre bas à Oronte.

Vous avez de l'esprit, tirez-vous d'embarras. Pour moi...

Oronte

De grâce, ami, ne m'abandonnez pas.
{Personnage|Léandre|c}}
Je me rendrais suspect à m'en vouloir défendre. Il faut...

La tante à Angélique.

Faites pour moi compagnie à Léandre.

Angélique

Si l'on peut le savoir qu'est-ce qu'on en dira ?

Aller seule avec lui!

La tante

Lisette vous suivra.

Vous êtes scrupuleuse.

Oronte

Ah! détestable tante!


Scène IV


LA TANTE, Oronte.

La tante

Je crois que vous devez avoir l'ame contente ;

Du moins pour vous marquer une tendre amitié

Je fais assez pour vous.

Oronte

C'est trop de la moitié.

Que dira le baron, que croira votre nièce?

La tante

La bonne créature est simple et sans finesse ;

Pour l'autre, le ménage offre assez d'embarras

Pour m'avoir donné lieu de faire ce faux pas.

J'ai supposé quelque ordre oublié par mégarde,

Et prié le baron de n'y prendre point garde,

Que je ne le quitlois que pour un seul moment :

Il est libre, et veut bien voir agir librement.

Et puis, quand cette faute iroit jusqu'à l'extrême,

On se pardonne tout, manquant pour ce qu'on aime.

Oronte

Madame.

La tante

Tout de bon, s'il faut ouvrir mon cœur,

Dans votre procédé je vois tant de

candeur,

Tant d'honnêteté jointe à l'ardeur la plus sage

Que, pour quelque repos que m'offre le veuvage,

Je ne me croirois pas être digne du jour

Si je désespérais plus longtemps votre amour.

Perdez donc ce chagrin que votre front déploie.

Vous voulez m'épouser ; j'y consens avec joie ;

Votre peine par là trouve une heureuse fin.

Oronte

Madame, à tant de gloire élever mon destin!

Mais que dis-je! insensé, c'est bien mal me connoître;

Vous êtes généreuse, et je dois aussi l'être.

Le baron d'Albikrac, charmé de vos appas,

Vous mettra dans un rang où je ne vous mets pas ;

Vous en puis-je sans crime envier l'avantage ?

La tante

Je vous l'ai déjà dit, vous avez de l'ombrage ;

Mais pour vous en guérir il nous faut sans façon

Faire épouser ma nièce à monsieur le baron.

De quoi se plaindra-t-il? elle est jeune, assez belle.

Oronte

Ce n'est point mal pensé; mais répondez-vous d'elle?

Vous lui faites sans cesse un monstre de l'amour ;

Et je crains...

La tante

Agissons chacun à notre tour.

Tirez-la quelquefois'à l'écart, et lui dites

Que le baron me choque avecque ses visites,

Et que s'il lui plaisoit vous pourriez m'obliger ,

A souffrir que pour elle il voulût s'engager.

Je favoriserai toutes vos confidences.

Oronte

C'est agréablement flatter mes espérances.

Je n'épargnerai rien afin de la toucher ;

Mais il ne faudra pas d'abord l'effaroucher.

Comme sans intérêt je lui ferai connoitre

Qu'une fille se perd à vouloir toujours l'être,

Le temps fera le reste ; et prenant toujours soin...

La tante

Donnez-vous tout le temps dont vous aurez besoin;

Prenez la plus.commode, et la plus sûre voie,

Vous ne m'en verrez point retarder votre joie ;

Je vous aime, et pour prix d'un zèle si discret

Je vous puis aisément épouser en secret.

Oronte bas.

M'épouser en secret ! Me voilà bien ; courage !

La tante

Ce soir nous signerons, demain le mariage ;

Chez moi je suis maîtresse, et l'hymen contracté,

Lisette étant pour nous, tout est en sûreté.

Quoi ! vous en soupirez?

Oronte

Ah ! douceurs imparfaites !

Que ne me parliez-vous tantôt comme vous faites?

Mon amour n'eût alors fait scrupule, de rien,

Et Léandre jamais ne m'eût parlé du sien.

La tante

Léandre m'aimeroit?

Oronte

D'une amour éperdue.

La tante

Cet aveu me surprend.

Oronte

Ah! madame, il me tue.

La tante

Depuis quand savez-vous que j'ai touché son cœur?

Oronte

Trop tard pour mon repos, trop tôt pour mon malheur!

Tantôt à l'imprévu vous savez que Léandre

Dans votre cabinet nous est venu surprendre.

Là voyant le baron, plein d'un secret dépit,

« Est-ce là quelque amant pour madame ?»a-t-il dit.

Ayant appris la chose, « Ah ! malheureux ! je l'aime,

A-t-il continué, cent fois plus que moi-même;


Et si mon triste espoir n'est par vous affermi,

Oronte, c'en est fait, vous n'avez plus d'ami.

Je vous cachois toujours cette ardeur violente ;

Mais plus j'approche d'elle, et plus elle s'augmente.

Où je ne la vois point je ne fais que languir. »

A ces mots je n'ai pu retenir un soupir

Ni m'empêcher de dire en faveur de ma flamme

Que vous saviez déjà le secret de mon ame.

« Vous m'avez prévenu? Soyez amant heureux,

M'a-t-il dit, c'est à moi de céder à vos feux.

Quels qu'en soient les ennuis,vous n'avez rien à craindrs

Je mourrais mille fois plutôt que de m'en plaindre,

Plutôt que d'avouer ce que je souffre. » Alors,

Faisant sur sa douleur de violens efforts,

Il a couru vers vous et parlé de peinture.

La tante


Vous craignez plus pour lui peut-être qu'il n'endure.

Je saurai son secret.

Oronte

II voudra le cacher;

Je le connois, en vain vous croirez l'arracher.

Tandis qu'il languira d'ennui, d'inquiétude,

A démentir sa peine il mettra son étude;

Feignant d'être content..,

La tante

Nous croirons qu'il le soit.

Oronte

Le puis-je avec honneur? Madame, il en mourroit.

Comme on ne m'a jamais imputé de bassesse...

La tante

Soit pour vous,soit pour lui, voyez toujours ma nièce.

A l'hymen du baron... Mais le voici,

Oronte bas.

J'en tiens.

Si Léandre...


Scène V


La montagne, La tante, Angélique, Léandre, Oronte, Lisette.

{{didascalie|La montagne

bas à Léandre.|c}}
Suffit, je vais rompre les chiens.

(Haut à la Tante et à Oronte.)

Quoi ! tous deux tête à tête !

La tante

Est-ce un sujet de blâme?

Oronte

Dans ce lieu par hasard j'ai rencontré madame,

Qui parloit pour affaire à quelqu'un de ses gens.

La montagne

Diable ! que vous savez prendre bien votre temps !

Ces tristes songe-creux valent pis que les autres.

N'importe, vous avez vos desseins, nous les nôtres ;

Et chacun a les siens en son particulier.

Courage, rira bien qui rira le dernier.

La tante à la montagne.

En désespérez-vous?

(Bas à Lisette.)

Si tu savois, Lisette...

La montagne

J'ai toujours bon espoir, et connois ma planète.

Sans rien dire pourtant je vois ce que je voi ;

Mais patience!

La tante

Enfin vous vous plaignez de moi?

La montagne

Eh ! non pas tout à fuit ; mais il faut laisser faire ;

Tout vient avec le temps.

La tante bas à Lisette.

Vois Léandre se taire ;

Qu'il est chagrin!

La montagne

Toujours quelque mot en passant

A votre confidente.

La tante

Il est fort innocent.

La montagne

Au diable qui s'y fie. Entre vous autres belles

Mille cœurs friponnes passent pour bagatelles ;

Et de vos yeux malins si j'en crois le fracas,

La multiplicité ne vous en déplaît pas.

Sur monsieur l'Auvergnat vous faites fond; mais baste

La tante

C'est à tort que...

La montagne

Vos yeux ont je ne sais quel faste,

Un certain aigre-doux si savoureux pour moi

Que je pâme d'amour sitôt que je vous voi.

Quand nous marierons-nous,ma reine? Sur mon ame,

Je n'en puis plus.

La tante

Il faut modérer votre flamme.

La montagne

Sans cesse auprès de vous le cœur me fait tic tac.

Talez.

La tante

Ah!

La montagne

Vous craignez ce diable d'Auvergnac?

La tante

Mais s'il vous entendoit ?

La montagne

Eh bien, ai-je à lui plaire ?

Je m'en ris.
{{didascalie|Angél

ique à Oronte, qui l'avait entretenue tout bas.|c}}
Non, monsieur, il n'est pas nécessaire.

La tante à Angélique.

Qu'est-ce qu'il vous propose ?

Oronte

Un seul tour de jardin,

Mais elle en fait scrupule.

La montagne

Ah! c'est jouer au fin.

La tante à Angélique.

Vous y pouvez aller.

La montagne

Je découvre la pièce.

Ce qu'il sent pour la tante il le dit à la nièce ;

Et, ne pouvant ici parler comme il l'entend,

La confidence marche.

La tante

II est persécutant. Quoi ! toujours soupçonner?

La montagne

Bon pied, bon œil, ma tante.

Je ne saurois avoir l'ame trop surveillante ;

Et, comme sans dessein il ne peut s'éloigner,

Au jardin tout exprés je vais l'accompagner;

S'il raisonne, du moins je saurai qu'il raisonne.

Oronte

Je ne l'entretiendrai que de votre personne,

De ce que vous valez.

La montagne

Sans vanité, je croi

Qu'il est quelques barons plus mal taillés que moi.

Ce port, cette action?... Ah! ma tante très chère,

Si vous connoissiez bien tout ce que je sais,faire,...

Mais ils sortent, ma foi; je veux suivre leurs pas.

La tante à Lisette.

Allez avec ma nièce, et ne la quittez pas.
{{scène|

VI}}

La tante, Léandre.

La tante-voyant que Léandre veut sortir.

Léandre, me laisser pour une promenade?

Léandre

J'admirais du baron la plaisante boutade,

Et voulois voir la fin de tout ce différend.

La tante

Vous êtes bien secret.

Léandre

Moi?

La tante

Cela vous surprend.

Léandre

J'écoute le reproche, et n'en sais point la cause.

La tante

Eh ! j'en avois déjà soupçonné quelque chose,

Mais mon sexe...

Léandre

De quoi me voulez-vous parler?

La tante

Un homme quand il veut sait bien dissimuler !

Vous ne m'aimez donc pas?

Léandre

Moi, madame?

La tante

Vous-même.

Léandre

Si sans en rien savoir il se peut que l'on aime...

La tante

Que vous êtes injuste ! On me l'avoit bien dit

Qu'à feindre on n'eut jamais tant d'adresse et d'esprit.
{{Personnage|Léandr

e|c}}
Mais qui donc vous a fait ce rapport de ma flamme?

La tante

Celui qui comme vous voit au fond de votre ame,

Votre ami.

Léandre

Quoi ! ces feux, ces amours prétendus,

Vous les savez d'Oronte?

La tante

Oui, de lui ; mais bien plus,

Il m'a dit qu'ayant su combien je lui suis chère

Vous prétendiez pour lui renoncer à me plaire,

Mourir plutôt cent fois d'un désespoir jaloux.,.

Léandre

Madame, Dieu me damne! il se moque de vous; Je n'y pensai jamais.

La tante

Vous le voulez bien dire,

Mais...

Léandre

Où donc en pourroit être le mot pour rire ?

Je dis ce qu'il faut croire.

La tante

A quoi bon affecter

De nier un amour dont je ne puis douter ?

Léandre

Vous le devez pourtant.

La tante

C'est vous trahir vous-même.

Ne vous obstinez point...

Léandre

Enfin donc je vous aime?

La tante

Quand d'Oronte aujourd'hui je n'aurais pas appris

Combien d'amour pour moi vous vous sentez épris,

Vous m'en avez tant dit ce malin même encore,

J'ai tant vu dans vos yeux que votre coeur m'adore

Que le mien de vos feux jamais ne doutera.
{{Personnage|Léa

ndre|c}}
J'ai dit, vous avez vu tout ce qu'il vous plaira;

Mais je ne vous aimai cependant de ma vie.

La tante

Vous ne m'aimez pas?

Léandre

Non, et n'en ai point d'envie.

La tante

Le terme est un peu fier et même injurieux;

Mais j'en sais le motif, et vous en aime mieux.

Qui peut à son ami sacrifier sa flamme

S'il étoit marié chérirait bien sa femme.

Peut-on assez louer cet effort de vertu?

Léandre

Mais je vous parle net.

La tante

Vous vous êtes trop tu;

C'est d'où vient tout le mal; mais j'y vois du remède.

Sans trop en murmurer ce cher ami vous cède;

Et même, s'il vous faut dire tout aujourd'hui,

J'ai du penchant pour vous beaucoup plus que pour lui

Léandre

Est-ce en dépit des gens que selon sou envie..,

La tante

Non, mais en dépit d'eux on prend soin de leur vie ;

Et souffrir votre mort pouvant vous secourir...

Léandre

Eh ! faites-moi l'honneur de me laisser mourir.

La tante

Si quelques jours encor votre amour se veut taire,

Différons, j'y consens ; mais vous aurez beau faire,

Il faudra malgré vous enfin le déclarer.

Léandre bas.

Si quelque adroit détour ne m'aide à m'en tirer,

Elle m'accablera. Madame, quand Oronte

De mon amour pour vous vous a fait le beau conte

Ne lui parliez-vous point d'épouser ?

La tante

Dés demain

S'il l'eût pu souhaiter.

Léandre

Vous l'offriez en vain :

Je ne m'étonne plus s'il a joué d'adresse.

La tante

Seroit-il marié ?

Léandre

Non pas, mais...

La tante

Eh bien! qu'est-ce?

Léandre

Ce seroit le trahir que vous en dire plus.

La tante

De grâcel

Léandre

Je ne puis m'expliquer là-dessus; Il romproit avec moi s'il avoit pu l'apprendre.

La tante

Je n'en parlerai point.

Léandre

Je crains trop...

La tante

Non, Léandre ;

Croyez-moi.

Léandre

Vous vouliez récompenser son feu;

La chose est impossible, il est votre neveu.

La tante

Mon...

Léandre

Il m'a fait cent fois jurer de vous le taire.

La tante

Quoi ! vous dites?..

Léandre

Qu' Oronte est fils de votre

frère,

Qui, laissant ce pays pour l'Angleterre, aima La comtesse d'Uspeck, qu'à son tour il charma.

De leurs amours secrets ce fruit serra la chaîne ;

Mais au moins songez bien...

La tante

N'en soyez point en peine.

Allons les retrouver. Mais si vous m'aimiez ?

Léandre

Non,

Madame ; vous savez que j'agis sans façon.

                        
                                              

                       

ACTE QUATRIÈME




Scène I


Oronte, Lisette.

{{Personnage|Oron

te|c}}
Puisqu'il faut essuyer encor cette corvée.

Sois témoin de quel air ma flamme est éprouvée.

Ne quitte point, Lisette, et demeure avec nous.

Lisette

Vous ne vous sentez pas d'un si cher rendez-vous !

Vos yeux brillent de joie;

Oronte

Elle est élincelante.

Mais n'as-tu point appris ce que me veut la tante ?

Lisette

Non ; je sais seulement qu'elle m'a dit tout bas

Qu'à vous prendre à quartier je ne manquasse pas,

Qu'avec vous du jardin ici je me rendisse.

Oronte

De ses jaloux soupçons il faut fuir la malice ;

Le refus d'y venir pourroit les éveiller.

Lisette

Ma foi, nous n'avons pas trop sujet de railler.

Dans la rage d'amour où son penchant l'engage,

Quoi que pour l'éblouir vous mettiez en usage,

Elle vous va serrer le bouton de bien prés.

Oronte

Mais ayant fait Léandre épris de ses attraits,

Cette amorce jetée au moins saura suspendre...

Lisette

C'est vous être fort mal adressé qu'à Léandre ;



Ce jeu déjà lui semble un ennuyeux parti.

Oronte

Je ne sais pas encor comme il en est sorti;

Seulement tout riant, sans marques de querelle,

Il est venu nous joindre au jardin avec elle,

Et m'a dit en passant que je l'avois joué.

Lisette

Croyez qu'il vous aura tout franc désavoué.

Oronte

Qu'importe ! j'aurai droit de soutenir sans cesse

Qu'il immole à mon feu la douleur qui le presse ;

Et qu'ainsi je serois et sans coeur et sans foi

Si je faisois pour lui moins qu'il ue fait pour moi.

Mais la voici.


Scène II


 
La tante, Oronte, Lisette.

La tante

Jugez si ma joie est la vôtre

Quand je fausse pour vous compagnie à tout autre.

Du jardin tout exprés j'ai su me dérober.

Oronte

Aussi Lisette sait...

La tante

Que vous savez fourber.

Oronte

Moi?

La tante

 Ne craignez rien d'elle, elle est ma confidente.

Oronte

Léandre aura nié l'ennui qui le tourmente?

La tante

A quoi bon avec moi faire trop le discret ?

De tout votre artifice il m'a dit le secret.

Un obstacle importun dont votre amour s'étonne

Vous faisoit m'abuser, et je vous le pardonne

Pourvu que l'amitié dont le noeud vous unit

Ne s'aigrisse de rien de tout ce qu'il m'a dit.

Oronte

Madame, je ne sais ce qu'il vous a pu dire ;

Mais je sais sûrement que pour vous il soupire,

Et qu'il mourroit plutôt que vous l'avoir appris.

La tante

On fait l'amour à Londre aussi bien qu'à Paris.

Oronte

Qu'il s'y fasse, qu'aura cet amour qui me touche?

La tante

Je ne veux qu'un seul mot pour vous fermer labouche.

La comtesse d'Uspeck... Vous êtes interdit ?

Oronte bas.

Léandre m'a joué. Qu'est-ce qu'il aura dit?

N'étant instruit de rien, je ne sais que répondre.

La tante

Eh bien! sais-je la carte et ce qu'on fait à Londre?

Oronte

Madame...

La tante

Elle étoit belle ?

Oronte

Il ne m'est pas permis...

LA TANTE.

Parlez, cela sied bien dans la bouche d'un fils.

Oronte bas à Lisette.

D'un fils !

Lisette haut.

Quoi! jusqu'ici nous avoir fait finesse,

Monsieur, que vous étiez le fils d'une

comtesse!

Madame, il est donc vrai ?

La tante

Tu vois qu'il en rougit,

Mon frère en fut épris aussitôt qu'il la vit,

Juge du reste.

Lisette

Oronte est fils de votre frère ?

La tante

A l'air dont il m'avoit écrit pour son affaire

Je pouvois deviner qu'il lui touchoit de prés.

Mais ce qui le fait taire et cause ses regrets

C'est qu'étant mon neveu, quelque amour quif engage,

L'impossibilité se trouve au mariage.

Oronte bas.

Le tour est d'habile homme, il le faut appuyer.

( Haut. )

Puisque vous savez tout, je n'ai rien à nier,

Pour vous cacher mon sort j'avois feint que Léandre..

La tante

Je le sais, mais d'aimer doit-on pas se défendre

Quand on voit que le sang nous en fait une loi ?

Oronte

Hélas ! combien de fois aime-t-on malgré soi ?

Quand je m'en aperçus si vous saviez, madame,

Les efforts que je fis pour éteindre ma flamme;

Mais toujours mon penchant plus fort que ma raison

De mes sens contre moi soutint la trahison.

Jugez de mon malheur par l'expresse défense

De vous oser jamais découvrir ma naissance ;

Mon père par serment en avoit pris ma foi.

La tante

Ce m'est quelque chagrin qu'il se cache de moi ;

Mais, comme jusqu'à vous il ne faut pas qu'il passe,

Devant aimer son fils, venez que je l'embrasse ;

La tendresse du sang eut toujours droit d'agir.
{{scène|

III}}

La tante, Angélique , Oronte, Lisette.

Angélique

Quoi, ma tante ! embrasser un homme sans rougir,

Vous qui condamniez tant toute ardeur indécente!

Lisette

Voyez le bel oison qui remontre à sa tante.

Vous nous épiez donc?

Angélique

J'entrois sans y penser.

Lisette

Quand on a des neveux on peut les embrasser.

Angélique

Oronte est le neveu de ma tante ?

Lisette

Oui, sans doute.

La tante

La seule ardeur du sang est celle que j'écoute,

C'est le fils de mon frère, il m'en a fait l'aveu.

Angélique

Il est donc mon cousin s'il est votre neveu.

Et je dois comme vous l'embrasser.

Oronte l'embrassant.

Ma cousine !

La tante

Vous l'embrassez bien fort

Angélique

C'est que je m'imagine

Qu'il faut, quand on le voit, régaler un cousin.

La tante

Vous vous êtes bientôt ennuyée au jardin.

Angélique


Comme on médit de tout dans le siècle où nous sommes

J'ai craint qu'on ne m'y vit moiseule avec deux hommes.

Pratiquer vos leçons est mon plus grand souci.

La tante

Allez dans votre chambre, et nous laissez ici.

Mon neveu m'entretient d'une affaire importante.

Angélique

Adieu donc, mon cousin.

 
Oronte

Adieu, belle parente.

Lisette bas à Angélique.

Le cousinage n'est...

Angélique

Léandre m'a tout dit.


Scène IV


La tante, Oronte, Lisette.

La tante

Sans mentir, vous jouez à lui gâter l'esprit;

C'est pour le~renverser. La flatter d'être belle!

Oronte

Est-ce qu'elle s'émeut pour une bagatelle ?

La tante

Elle a déjà pour soi des soins si complaisans...

Oronte

Ah ! qu'une fille est sotte à l'âge de quinze ans !

La tante

Elle en a prés de vingt, et si, quoi que je fasse,

Vous voyez ce que c'est.

Oronte

Vingt ?

Lisette bas.

Qu'elle a bonne grâce

D'en donner à sa nièce et de s'en dérober !

La tante

Otez-moi d'un scrupule où je viens de tomber.

D'où vient qu'en lui parlant tantôt de votre flamme

Vous vouliez qu'elle sût le secret de mon ame,

Puisque vous étiez sûr que, quoi qu'on fît pour vous,

Le sang rendoit l'hymen impossible entre nous.

Oronte

Lorsque l'amour est fort, hélas ! peut-il se taire ?

Ah! pourquoi suis-je né le fils de votre frère ?

Qu'il m'en coûte à la fois de gloire et de bonheur...

La tante

Vous vous en faites donc un sensible malheur ?

Oronte

Tel qu'il passe du ciel tout ce que peut la haine.

La tante

C'est trop; jene vous puis plus long-temps voir en peine; Consolez-vous.

Oronte

De quoi ?

La tante

Ce frère prétendu...

Oronte bas.

Je tremble.

La tante

Il ne m'est rien.

Oronte à Lisette.

Ah ! me voici perdu.

Lisette la tante.

Votre frère l'Anglois n'est pas votre vrai frère?

La tante

Non. Quand l'hymen joignit et son père et

ma.mère

Nous étions déjà nés chacun d'un premier lit :

Dés l'enfance.par là l'amitié nous unit;

Les noms de frère et soeur l'ont depuis confirmée.

Oronte

Lisette !

Lisette bas à Oronte.

M'en voilà pour vous tout alarmée.

Vous l'échapperez belle en parant celui-ci.

La tante

Donc pour la parenté n'ayez aucun souci.

Lisette ira ce soir nous chercher un notaire.

Et demain en secret... Mais quoi! c'est vous déplaire?

Le chagrin qui vous prend me le fait assez voir.

Oronte

Que ne vous montre-t-il où va mon désespoir ?

Vous y seriez sensible et forcée à me plaindre.

La tante

Sachons donc le motif qui m'y pourrait contraindre;

Pour le fils de mon frère il n'est point d'embarras...

Oronte

Ne parlons plus d'un nom qui ne m'appartient pas.

Pour me faire son fils c'est trop user d'adresse ;

Jamais il n'eut d'intrigue avec une comtesse ;

Léandre ne l'a feint que pour vous déguiser

Qu' Oronte, quoique amant, ne vous peut épouser.

La tante

Qui l'en empêcherait ?

Oronte

Le malheur qui m'accable.

La tante

C'est ne rien dire,

Oronte

Hélas ! que je suis misérable !

La tante

Mais...

Oronte

Contre un téméraire armez votre courroux.


Scène V


 
La tante, Oronte, Philipin, Lisette.

Philipin

Monsieur, votre avocat vient d'envoyer chez vous,

Il dit qu'on se prépare à vider votre affaire.

Oronte

Laisse-moi, son succès ne m'inquiète guère; J'ai bien d'autres soucis.

La tante

Dites donc ce que c'est.

Oronte

Je sais qu'à mon destin vous prenez intérêt;

Mais, de grâce, épargnez à l'ennui qui me presse

Ce qu'à taire toujours ma gloire s'intéresse ;

Il suffit que le ciel, de mon bonheur jaloux,

Ne veut pas consentir que je sois votre époux,

La tante

Non, non, c'est trop vouloir m'éblouir de vos ruses;

Sur les ordres du ciel ne cherchez point d'excuses ;

Et, sans tant de détours pour fuir ce mauvais pas,

Avouez franchement que vous ne m'aimez pas.

Oronte

Je ne vous aime pas ! que dites-vous, madame?

Philipin vous dira ce qu'il sait de ma flamme ;

Combien m'a-t-il ouï, tant 'de nuit que de jour,

Me plaindre en vous nommant et soupirer d'amour!

Il a voulu cent fois en avertir lisette.

Philipin

Votre nom prononcé, notre nuit étoit faite.

Mille doux souvenirs, pour le mieux embraser,

Lui peignoient...

La tante

Pourquoi donc ne me pas épouser?

Oronte

Par un sort si cruel qu'à peine j'en respire.

La tante

Mais enfin quel est-il ?

Oronte

Je ne puis vous le dire.

La tante

Vous ne le pouvez ?

Oronte

Non.

La tante

Ce sont là ces beaux feux !

De grâce...

Oronte bas à Philipin.

Ah ! Philipin, secours-moi si tu peux;

Suppose, invente, mens.

Philipin à Oronte.

Moi, monsieur, que dirai-je?

La tante

Si bien que le silence est votre privilège!

Il vous faut bonnement croire sur votre Si.

Oronte

Madame.

La tante

Adieu, monsieur, vous vous moquez de moi.

Vos secrets sont à vous, et je vous en tiens quitte ;

Mais, je vous prie aussi, plus aucune visite.

Oronte

Ah! dieux!

La tante

Jamais de vous je n'en veux recevoir.

Oronte

Quoi ! vous me priveriez pour toujours de vous voir?

Il faut donc que je meure, est-ce là votre envie ?

La tante

Non, je veux seulement...
{{Personnage|Or

onte|c}}
Il y va de ma vie.

La tante

Vous ouvrant avec moi vous ne hasardez rien.

Je vous aime.

Oronte

Il est vrai, je le connais trop bien;

Mais il m'est si honteux que vous sachiez l'affaire.

La tante

Honteux ou non, enfin ce choix seul est à faire,

II faut me dire tout ou ne me voir jamais.

Oronte

Parlez donc à Léandre, il sait tous mes secrets.

S'il se tait, s'il craint trop pour un ami qu'il aime,

Je pourrai m'enhardir à m'expliquer moi-même,

J'en chercherai la voie, et sors pour y rêver.

Philipin bas.

La fourbe est commencée, il la faut achever.


Scène VI


La tante, Philipin, Lisette.

La tante

A-t-on rien vu d'égal au procédé d'Oronte?

Philipin

Quelquefois on a peine à surmonter la honte.

La tante

Ah! Philipin, dis-nous...

Philipin

Léandre sait le tout.

Lisette

Penses-tu qu'aisément nous en venions à bout ?

Ils s'entendent l'un l'autre.

Philipin


Et si je vais trop dire,

Quand mon dos pâtira vous n'en ferez que rire.

La tante

Va, je prends tout sur moi.

Lisette

Mais enfin tu sais bien

Que ton maître consent qu'on ne nous cache rien.

Philipin

Il est vrai.

Vous saurez en tout cas me défendre?

La tante

Ne crains rien.

Philipin

Oyez donc ce qu'il vousplalt d'apprendre.

Un voyage breton, fait très mal à propos,

Aujourd'hui de mon maître est le trouble-repos;

Pour joindre un ennemi qui tirait en arriére

Il se fit appeler monsieur de La Rapière,

Et sous ce nom d'emprunt sut si bien se cacher

Qu'en six jours il trouva, ce qu'il venoit chercher.

Il vit son ennemi, le força de se battre,

Reçut un coup d'épée, et le perça de quatre ;

Et, craignant les prevots, il fuit, et sans façon

Alla chercher asile au château d'un baron.

Le baron, et ce fut le malheur de .mon maître...

La tante

On l'appelle?

Philipin

Et par où le pourriez-vous connoître ?

Au fond de la Bretagne avez-vous des agens?

La tante

La naissance en tous lieux fait connoître les gens.

Philipin

D'Albikrac. On le tient un des plus gatans hommes...

La tante

lisette.

Lisette à Philipin.

Parle bas; ce baron que tu nommes....

Philipin

Eh bien !

Lisette

Avec Léandre il est dans le jardin.

Philipin

Ah ! c'est fait démon maître, et j'en crains bien la fin.

La tante

Tu connois à quel point son intérêt m'engage;
Achève.

Philipin

Le baron fàisbit alors voyage ;

Une soeur qu'il avoit le reçut au château,

Fit panser sa blessure, et puis, c'est là le beau,

En se communiquant tous deux ils s'enflammèrent,

Se virent en secret, en secret se parlèrent;

L'occasion rioit, le diable s'en mêla;

Mon maître fit le fou, la dame pullula,

La voilà grosse enfin de qui que ce pût être.

La tante

Quoi ! ne nous dis-tu pas que ce fut de ton maître ?

Philipin

Je crois qu'à sa grossesse il peut n'avoir pas nui ;

Mais la belle étoit douce à bien d'autres qu'à lui ;

Et, sur quelques soupçons ayant fait sentinelle,

Il entrevit de nuit un galant avec elle :

Alors, ne voulant plus en entendre parler,

Jusques en Angleterre il alla prendre l'air.

D'autre part le baron, dont l'ame est assez fière

Jura d'exterminer le pauvre La Rapière ;

Et sachant au retour ce qui s'étoit passé,

Voilà contre son nom un procès commencé.

Ainsi qu'un vagabond sans feu, ni lieu, ni race,

La Rapière est pendu soudain par contumace.

Jugez si quand de tout il faut nous défier

Mon maître en cet état s'oseroit marier.

La tante

Je le blâmois d'abord d'abuser une fille

Dont la gloire intéresse une illustre famille,



Mais qui peut écouter deux galans tour à tour

Mérite la disgrâce où la plonge l'amour.

L'honneur sur un seul choix fixe les feux pudiques.

Philipin

On se moque aujourd'hui de ces honneurs uniques;

Et chacun, comme il peut, vivant sur le commun,

C'est n'avoir point d'amant que de n'en avoir qu'un.

Mais, madame, cela ne fait point notre affaire.

La tante

II faudrait par amis...

Philipin

L'a-t-on pas voulu faire?

Autant de temps perdu. Ce diable de baron,

Quoi qu'on puisse alléguer, ne change point de ton,

Toujours parle de pendre, et rien à l'amiable.

La tante

Le voici : je veux voir s'il est si peu traitable.

Philipin

Ah ! madame, gardez de lui rien déclarer
Que mon maître avec vous n'en ait pu conférer.

La tante

Va, n'appréhende point que je lui puisse nuire.

Philipin bas.

Il s'en va tout gâter ; comment l'oser instruire ?


Scène VII


La tante, La montagne, Lisette, Philipin.

La tante

Qu'est devenu Léandre ? il n'est point avec vous.

La montagne

Il entretient tout bas votre futur époux,

D'intention, s'entend ; car, quoi qu'il se figure,

La consommation n'est pas encor trop sûre ;



Jamais onn'a tenu contre les Albikracs.

La tante

Je le crois.

La montagne

Pas trop fou qui suit mes almanachs.

La tante

Ils doivent être bons ; mais avant que d'en prendre,

Baron, quand vous aimez, avez-vous le coeur tendre?

La montagne

Comment, tendre!

La tante

Il m'en faut une preuve aujourd'hui.

Philipin bas à La montagne sans faire semblant de lui parler.

La Rapière pendu, ta sœur grosse de lui.

La tante

Eh quoi! vous hésitez ?

La montagne

Non, ma poupine veuve :

Ordonnez, j'ai pour vous un cœur à toute épreuve-.

La tante

Un certain La Rapière...

La montagne

Il fut un peu pendu

Pour avoir...

Lisette l'interrompant.

C'est le moins qui lui pût être dû.

Affronter un baron !

La tante

Sans doute, il est coupable.

La montagne

Aussi je vous le fis brancher comme un beau diable ;

Vous l'eussiez vu...

Lisette

Ce fut devant votre château

Que vous files dresser sa figure en tableau ?

Si jamais il est pris, vous lui ferez grand chère.

Philipin bas.

Pour peu qu'il parle encore, adieu tout le mystère.

La montagne bas.

Que diable a-t-il fait croire, et que dit celle-ci?

Philipin il La tante.

Voir que vous sachiez tout lui donne du souci.

La tante à La montagne.

D'un affront si cruel le souvenir vous fâche ;

Mais les fautes d'autrui ne sont pas...

La montagne

Ah ! le lâche !

La douleur dont m'accable un si dur souvenir...

Ami, pour un moment, daigne me soutenir,

Je n'en puis plus.

(Il fait semblant de se trouver mal, cl s'appuie sur Philipin, qui lut conte lotit à l'oreille.)

La tante

Lisette, il faudrait...

La montagne

Non, madame;

Ce n'est rien.

Lisette à La tante.

Ces malheurs abattent bien une ame ;

Plus la naissance est haute, et plus on les ressent.

La tante

Qu'une fille est partout un meuble embarrassant !

Lisette

Si j'étois que de vous, et que j'eusse une nièce,

Je saurais m'en défaire aussitôt.

La tante

Rien ne presse ;

Voyons auparavant quel sera mon destin.

Lisette

Oronte a su toucher votre cœur ; mais enfin

Le baron, sans réserve, aspirant à vous plaire,

Je prendrais le plus sûr.

La montagne bas à Philipin.

J'entends, laisse-moi faire.

Philipin bas à La montagne.

Dis qu'il sera pendu tout au moins.

La montagne à La tante.

Pardonnez

Le désordre où mes sens se sont abandonnés.

La douleur m'a d'abord suffoqué la parole.

La tante

L'accident est de ceux dont rien ne nous console;

Et j'avoue...

La montagne

II est vrai, je sais qu'il seroit mieux

Que de honte et d'ennui j'en mourusse à vos yeux ;

Mais ma soeur, dont le sexe est moins fort quele nôtre,

A fait une folie, et j'en ferois une autre.

Vivons donc, s'il vous plaît, nonobstant son délit;

C'est son affaire.

La tante

Il faut vous en guérir l'esprit,

Et pour faire finir les ennuis qu'il vous cause

Avec que La Rapière accommoder la chose.

La montagne

Moi j'accommoderais ! Vous ne songez donc pas

Que de tous cas vilains c'est le plus vilain cas !

Comment! dans un château dont l'antiquité brille

Venir de guet-apens déhonter une fille,

Duper sa prud'homie à force de douceurs,

De ma sœur qu'elle étoit la faire de nos sœurs,

 Et quand il en est soûl lui tourner le derrière !

Ah! vous serez pendu, monsieur de La Rapière.

La tante

Je sais qu'il est coupable, et je l'ai dit d'abord ;

Mais il est des momens où l'amour est bien fort,

Et pour un peu d'empire usurpé sur son ame

Le malheureux qu'il est sera...

La montagne

Pendu, madame.

A la sœur d'un baron apprendre à provigner !
{{Personnage|L

a tante|c}}
Quoi ! ne pouvoir souffrir qu'on tâche à vous gagner;

Et contre un gentilhomme avoir l'ame si fiére !

La montagne

Oui, pendu, lui, vous dis-je, et sa gentilhommière.

Ne tient-il qu'à venir affronter des barons?

Par son cou, sans ressource...

La tante

Eh bien ! nous le verrons.

M'aimez-vous?

La montagne

Les transports dont mon ame est suivie

Ne vous font que trop voir...

La tante

Donnez-moi donc sa vie ;

Sans cela point de foi.

La montagne

Qui diable en demi-jour

Vous est déjà pour lui venu faire la cour ?

Vous en a-t-on appris le pays, la naissance ?

La tante

Signons sa grâce ; après entière confidence.

La montagne

Signons puisqu'il le faut, mais à condition

Que vous ne ferez point languir ma passion,

Et que dés aujourd'hui, par bon contrat en forme,

J'aurai droit de vous dire, Attendez-moi sous l'orme.

Sans cela point d'accord.

La tante

Vous prendre pour époux

Ne seroit pas sans idoute assez faire pour vous.

Ma nièce est jeune et riche; allez, je vous la donne.

La montagne

Et moi je vous la rends, vous me la baillez bonne.

Je hais ces yeux fripons dont la malignité

Est, dit-on, fort sujette à la fragilité.

Par la moindre douceur leur friandise émue

Laisse égarer soudain leurs regards vers la nue;



Et pour peu qu'un galant prenne la balle au bond...

La tante

Ma nièce ne vit pas comme les autres font ;

J'ai pris soin de l'instruire, et je répondrai d'elle.

La montagne

D'accord, mais...

La tante

Elle est riche, et de plus.. .

La montagne

Bagatelle!

C'est à vous que j'en veux.

La tante

Mes beaux ans sont passés.

J'enlaidis tous les jours.

La montagne

Plaisez-moi, c'est assez.

La tante

Vous ne voulez pas voir que j'avance dans l'âge,

Que je n'ai plus.,.

La montagne

Tant mieux, vous en serez plus sage.

La tante

On m'a parlé de vous, je ne le puis nier ;

Mais sitôt que je songe à me remarier

Les soins que le défunt prit toujours de me plaire,

Ce que pour m'attendrir il s'efforçoit de faire,

Tout cela me ramène un souvenir si doux

Qu'à faire choix d'un autre en vain je me résous.

Je ne suis plus moi-même aussitôt qu'il me frappe.

La montagne

Vous l'avez bien trouvé, c'est par là qu'on m'attrape

La tante

Que Lisette...

La montagne

Employez et le vert et le sec

Pour me faire passer la plume par le bec;

Nous verrons qui de nous y trouvera son compte.
{{Personnage|

La tante|c}}
Quoi donc...

La montagne

Vous mitonnez le taciturne Oronte ;

Et si jamais l'hymen le met entre vos bras

Vous prendrez patience, et n'en pleurerez pas.

La tante

Mais si je ne sens point pour vous grande tendresse?

La montagne

Si je n'en sens non plus pour votre sotte nièce?

La tante

Qu'a-t-elle de si sot pour vous en dégoûter?

La montagne

Et qu'ai-je de si laid pour me tant rebuter?

La tante

Vingt mille écus pour elle ont entré dans Je masse.

La montagne

Mille barons et plus sont sortis de ma race.

La tante

Mon bien en l'épousant vous est sûr quelque jour.

La montagne

Vous devenez baronne en payant mon amour.

La tante

Mais quand ce ne seroit que cet hymen m'importe.

La montagne

Serviteur.

La tante

A la fin la colère m'emporte.

Ah ! le vilain magot qui refuse les gens !

La montagne

Ah ! la laide guenon qui jase à soixante ans !

La tante

Quoi ! joindre impudemment le mensonge à l'injure !

Soixante ans !

La montagne

Oui, soixante à fort bonne mesure,

Et je le maintiendrai devant votre mignon ;

Je le connois.
{{Personnage|

Lisette|c}}
Voyez le joli compagnon

Qui nous donne des ans .'...Elle n'en a pas trente.

La montagne

Le blondinage a l'art de m'escroquer la tante ;

Et chacun pour soi-même agissant comme il peut,

Je laisse heureux Oronte, à qui seul on en veut.

Pour vous garder à lui vous m'avez fait la pièce

De vouloir sottement m'endosser de la nièce.

L'affront pour un baron est un outrage indu,

Mais la Rapière aussi, net, il sera pendu,

Adieu, tante.


Scène VIII


La tante, Lisette.

Lisette

I! s'en va bien outré.

La tante

Mais,. Lisette,

Par où sortir du trouble où son refus me jette?

Lisette

Moi je ne vous dis rien.

La tante

Qu'Oronte est malheureux!

Lisette

Vous courez grand hasard de les perdre tous deux.

Craignant d'être surpris, et que quelque lumière

Ne découvre au baron qu'Oronte est La Rapière, Il Ya gagner pays.

La tante

Pour fuir ce dur ennui,

Lisette, allons de tout conférer avec lui.


                        

ACTE CINQUIÈME




Scène I


Angélique, oronte, Philipin.

Angélique

Quoi ! par un faux baron avoir dupé ma tante ?

La pièce est un peu forte.

Oronte

Elle étoit important;

Et sans son entremis il s'offrait peu de jour

A vous pouvoir montrer l'excès de mon amour.

C'est lui qui m'a tiré de l'embarras extrême

Où vous m'aviez réduit en feignant que je l'aime :

Et Philipin eût vu sa fourbe sans effet

S'il n'eût pas confirmé le conte qu'il a fait.

La Montagne est adroit, et jouera bien son rôle.

Angélique

Le bon est que de tout Lisette la console,

Et ne lui laisse voir rien d'égal au dessein

De vous sauver la vie en lui dormant la main.

Elle a si bien tourné son ame irrésolue

Que par elle ou par moi votre affaire est conclue:

On a fait revenir le baron tout exprès.

Philipin

Ils sont à disputer encor sur nouveaux frais.

J'écoutois tout à l'heure, et d'une ardeur semblable

L'un nommoit La Rapière, et jurait commeuu diable,

Et l'autre soutenoit que, quoiqu'il fût baron,

Sa nièce valoit bien qu'il signât le pardon.

Léandre feint entre eux d'avoir l'ame incertaine.

Oronte

Il travaille pour nous, n'en soyons point en peine.

Angélique

Mais pouvez-vous penser, quand ma tante apprendra

Qu'un baron supposé...

Oronte

Le vrai baron viendra. Je vousjai déjà dit qu'arrêté pour affaire

Il n'avoit su partir comme il le croyoit faire,

Et que par un pouvoir que j'avois d'aujourd'hui

Il me donne plein droit de tout signer pour lui.

Le voici, dans vos mains il sera l'assurance

De l'hymen dont on a flatté son espérance ;

Le baron d'Albikrac, se trouvant des mieux faits,

N'aura pas grande peine à faire notre paix.

Il lui faut jusque là cacher le stratagème.

Angélique

Mais quand il l'aura vue êtes-vous sûr qu'il l'aime ?

Oronte

Qu'importe ! elle est fort riche, et lui fort endetté;

C'est son bien qu'il épouse, et non pas sa beauté ;

Pourvu qu'il trouve l'un, il l'acquitte de l'autre.

Philipin

Que j'aie aussi mon compté en vous donnant le vôtre.

J'aime lisette.

Angélique

Va, nous songerons à toi.

Philipin

Après tout votre amour ne tenoit rien sans moi,

Avouez que pour vous La Rapière a fait rage,

Angélique

J'entends, tu n'en es pas à ton apprentissage.

Oronte

Le nom de La Rapière et la soeur du baron,

Grâce à son bel esprit, sont traits d'invention.

Le reste est effectif, et regarde l'affaire

Où de tous vos amis l'appui m'est nécessaire.

D'un Breton laissé mort redoutant les parens,

Au château du baron aussitôt je me rends ;


La nuit par son conseil je quitte la Bretagne,

Jusqu'à Londre en secretlui-mème il m'accompagne;

Et, lui devant beaucoup, il m'est doux aujourd'hui

De trouver quelque voie à m'acquitter vers lui.

Par son grand bien la tante est pour lui des plus belles,

Et sur ce qu'il m'écrit...


Scène II


Angélique, Oronte, Lisette, Philipin.

Lisette

Voici bien des nouvelles :

Armez-vous de constance et faites l'esprit fort;

On va vous prononcer la sentence de mort.

Le baron pour cela se fait tenir à quatre,

De ses emportemens il ne veut rien rabattre ;

Et la tante ne peut y mettre le holà

Qu'en mettant dans vos bras la belle que voilà.

Voyez si vous pourrez souffrir ce coup de foudre.

Philipin

Va quérir un docteur afin de l'y résoudre ;

Tu vois comme il en a l'esprit tout consterné,

Lisette

Pour en amener un l'ordre est déjà donné;

Cascaret est couru d'abord chez le notaire.

Oronte à Angélique.

En croirai-je vos yeux?

Angélique

Ils ne peuvent se faire,

Et vous marquent assez ce que mon cœur ressent.

Lisette

Au lieu d'une douceur vous vous en direz cent ;



Mais bouche close ici, renfermez votre joie :

J'ai peur que notre tante avec lui ne nous voie ;

Elle est prête à venir, et le moindre soupçon

Nous feroit avorter la fourbe du baron. Rentrez.


Scène III


Oronte, Lisette.

Oronte à Lisette.

Je te dois tout si son cœur est sensible, C'est par toi.,..

Lisette

Vous qu'il pût être flexible?

Oronte

De quoi ne doute point un cœur bien amoureux?

Plus l'objet...

Lisette

Faites bien le plaintif, le piteux;

La tante vient.


Scène IV


La tante, Oronte, Lisette, Philipin.

Oronte

La perdre! ah ! douleur qui me tue!

Lisette

Tâchez d'en avoir l'ame un peu moins abattue;



Si l'on trompe vos feux c'est pour vous secourir.

Oronte

Ah ! qu'il vaudroit bien mieux qu'on me laissatpérir!

Tu dis que cet hymen lui tient lieu de supplice,

Qu'elle fait en tremblant ce triste sacrifice;

Qu'au baron à regret elle donne la main?

La tante

Plaignez-moi; mon malheur, Oronte, est trop certain;

Vous le savez, pour moi l'hymen est une peine,

Par pitié de vos feux j'étouffois cette haine ;

Et pour vous garantir d'un infâme trépas

Il me faut épouser ce que je n'aime pas;

Me livrer au baron.

Oronte

Au baron! Ah, madame!

La tante

Que de douceurs, hélas ! va perdre votre flamme !

La mienne chaque jour, si l'hymen nous eût joints

Eût charmé votre cœur par mille tendres soins,

Je vous aurais chéri, témoigné...

Oronte

Quelle rage!

Philipin bas.

La tante

Ah ! Pourquoi n'étiez-vous pas plus sage?

Pour la sœur du baron, quoiqu'elle eût de charmant?

Falloit-il de vos feux croire, l'emportement?

S'y trop abandonner, n'en prévoir pas la suite ?

Oronte

Personne ne veilloit dessus notre conduite:

Hors une vieille tante à tous momens au lit,

Rien ne meltoit obstacle au feu qui nous surprit ;

La belle d'un coup d.'œil forçoit tout à se rendre ;

Je n'étois pas de marbre, elle avoit le cœur tendre ;

Cent faveurs m'assuraient d'un amour mutuel.

Madame, était-ce. à moi de faire le cruel ?



Sans ce gilant urpris elle m'étoit si chère

Qu'afin de l'épouser j'eusse attendu son frère;

Mais plutôt...

La tante

Par argent si nous tâchions...

Oronte

Abus ;

J'ai fait offrir six fois jusqu'à dix mille écus ;

Mais à moins d'épouser...

La tante

Il faut donc me résoudre

A devenir sa femme afin de vous absoudre ;

Un veuvage éternel me serait bien plus doux.

Oronte

Eh bien ! demeurez veuve.

La tante

Et que deviendrez-vous?

Le baron a juré votre ruine entière.

Ah ! que si vous pouviez n'être point La Rapière!

Philipin

Sa rapière a fait sa rage, il en a pris le nom.
Voilà que c'est d'occire !

Oronte

Evitant le baron,

Que oraindrai-je? Candie est un poste honorable,

J'irai contre le Turc...

Philipin

J'irai contre le diable ?

Le Turc, madame !

La tante

Non, si le ciel ne veut pas

Qu'un doux et chaste nœud me mette entre vos bras.

Du moins, pour m'empêcher de vivre infortunée,

Attachez-vous à moi par un autre hyménée.

Ma nièce...

Lisette

Elle est pour lui toujours à dédaigner;

C'est pis qu'un hérétique, on n'y peut rien

gagner.

Hors vous rien ne lui plaît.

La tante

Mais on la trouve aimable.

Oronte

Madame, si l'on veut, elle est incomparable ;

Mais je mourrais d'ennui si j'étois son époux.

Chacun voit par ses yeux.

Philipin à Lisette.

Comme il le baille doux !

L'entend-il?

La tante

Cependant, quoi que nous puissions faire,

Le baron sans cela refuse votre affaire;

Point d'accommodement.

Oronte

Et par quel intérêt ?

La tante

Il croit que votre hymen est tout ce qui me plaît;

Que je me garde à vous, et pour son assurance

Il vous veut voir tous deux mariés par avance.

Oronte

Et ne vous peut-il pas épouser dés demain?

La tante

Non, une grande affaire en suspend le dessein ;

Il faut qu'auparavant il retourne en Bretagne.

Oronte

Et moi je me dispose à faire une campagne ;

Ce que je souffrirais par l'hymen chaque jour

Rend la guerre pour moi préférable à l'amour.

J'y vais prendre parti.

Philipin

C'est afin qu'on nous tue ;

Il a la rage au cœur de vous avoir perdue,

Madame, ayez pitié du maître et du valet.
{{scène|

V}}

La tante, Oronte , Léandre ; La montagne; Philipin, Lisette.

La montagne

Nous nous sommes lassés de garder le mulet.

Pour pouvoir si long-temps nous laisser en attente

Il faut que vous ayez l'ame bien contestante.

Est-ce fait? Quanta moi, dire et faire n'est qu'un.

Oronte

Vous avez grande hâte.

La montagne

Oui, j'en suis importun ;

Mais c'est mon naturel d'être prompt à tout faire.

Signerons-nous ? c'est là ma plus pressante affaire.

La tante

Vous aurez le bonheur que votre amour attend.

La montagne

Nous n'avons point parlé combien d'argent comptant;

Il m'en faut quelque peu, né fût-ce que pour faire

Un train digne du rang de défunte ma mère.

Je suis dans nos quartiers le premier des barons.

Léandre

Le notaire venu, nous le stipulerons ;

Madame est raisonnable.

La montagne


Il le faudra superbe.

(A Oronte.)

Vous pensiez sous le pied me pouvoir couper l'herbe;

Blondin; mais, s'il vous plaît, rengainez vos amours.

La tante...

Oronte

Oui, je l'aimois et J'aimerai toujours.


Et quand vous me l'ôtez, plein d'une fière audace,

Ce trait de raillerie est de méchante grâce.

Si pour vous contre moi ses propres intérêts...

La montagne

Quoi, diable ! en un besoin il feroit le mauvais !

Allez, je vous accepte avec joie infinie

Pour très digne neveu de notre baronie. .

Je vous donne la nièce, et vous fais son époux.

Oronte

Non pas, quand il faudrait...

La montagne

Comment l'entendez-vous,

Ma tante ?

Oronte

Mais comment l'entendez-vous vous-même?

Ne vous suffit-il pas de m'ôter ce que j'aime?

Faut-il...

La montagne

Criez, pestez autant qu'il vous plaira,

Savez-vous de ceci ce qui résultera ?

La Rapière... Autant vaut.

La tante à Oronte.

Mon cher monsieur...

Oronte

Madame...

La montagne

On me le doit livrer.

La tante

Que je touche votre ame.

Sauvez un malheureux dont je prends l'intérêt.

Oronte

Autant que je le puis, je veux ce qui vous plaît;

Mais vous perdre, et penser qu'une autre me fût chère!

Léandre

Madame vous en prie, il faut la satisfaire.

Oronte

Mais sa nièce jamais ne voudra...
{{Personnage|La

tante|c}}
Veuille ou non,

J'en réponds.

Oronte

Elle espère épouser le baron.

Le rang qu'il lient la charme, elle en est entêtée;

Et l'en ayant tantôt par votre ordre flattée...

La montagne

Lorsque par les parens un hymen est réglé

Je voudrais devant moi qu'une fille eût soufflé,

Comme je vous... Holà! qu'on appelle Angélique.

Pour nièce de par vous me sera-t-elle unique?

Pour moi, j'ai quantité déjeunes baranneaux

Que je vous vais dminer pour neveux tout nouveaux,

Sans le petit Rapière, il n'entre point en compte.

La tante

Epousez-la de grâce, et me laissez Oronte.

Epargnez-lui l'ennui de me voir dans vos bras, Il m'aime tant!

La montagne

Et moi ne vous aimé-je pas ?

La tante

Je ne sais.

La montagne

Quoi ! dix fois on m'a pour La Rapière

Avec dix mille écus fait très humble prière ;

Je le dépens gratis dés que vous m'en priez,

Et malgré tout cela vous vous en défiez ?

La tante

Mais vous dites que j'ai...

La montagne

C'est que je goguenarde.

La tante

Vous me trouvez si laide !

La montagne

Y faut-il prendre garde ?

La tante

L'affront me tient au cœur.

La montagne

Et moi fort à l'esprit.

Avez-vous oublié ce que vous m'avez dit ?

La tante

Il faut qu'un galant homme endure tout des femmes,

Et se venger du sexe est des petites âmes.

La montagne

Quoi ! vous aurez le droit Se m'appeler magot,

Il sera des guenons, et je ne dirai mot?

Je suis pis qu'un démon contre qui m'injurie ;

Je ris quand on veut rire* et j'entends raillerie ;

Et pour vous faire voir qu'on ne me peut payer,

Sitôt qu'il vous plaira nous entre tutoyer,

Sans rancune et sans fiel, volontiers, va, mignonne,

Je serai ton magot, tu seras ma guenonne

Nous choisirons ainsi cent jolis petits noms.


Scène VI


La tante, Angélique, Oronte, Léandre; La montagne, Lisette, Philipin.

La montagne

La belle, il faut vouloir ce que nous ordonnons,

C'est sans aucun appel; en fille obéissante

Oyez ce qu'avec nous a résolu la tante.

La tante

On vous donne un époux, monsieur prend ce souci.

La montagne

Faites la révérence, et dites grand merci,

Bouchonne: dés demain vous aurez l'avantage

De savoir quelle joie on trouve au mariage.

Pour réveiller les sens rien n'est plus souverain.

Angélique

Oronte dés tantôt m'a dit votre dessein ;



J'avois pour le couvent l'intention fort bonne,

Mais pour m'ouïr nommer madame la baronne,

Me voir grand équipage.,.

La montagne

Ah! friand petit nez,

De votre chef ainsi vous vous embaronnez !

En fait de ce qui flatte et doit donner à rire,

La chatte a le goût bon et ne prend pas le pire.

Angélique

Ne m'aviez-vous pas dit que vous vouliez...

La montagne

Tout doux!

Un baron tel que. moi n'est pas viande pour vous;

Un mets si délicat n'est que pour une tante.

Angélique

Ma tante sans mari vit heureuse et contente;

Et plutôt qu'à l'hymen on la pût disposer

Elle ferait...

La tante

II faut vous entendre jaser.

Où va-t-elle?

Angélique

Je sors de peur de vous déplaire,

La montagne

Vous ne vous sauriez donc marier et vous taire ?

Venez, voilà le beau qu'on vous a destiné.

Angélique

Oronte !

La montagne

Il est dispos, alégre, bien tourné. ;

Angélique

N'importe.

La tante

Vous voulez, je pense, être priée ?

Angélique

Je suis trop jeune encor pour être mariée,

Lisette

Voyez, elle en mourrait.
{{Personnage|La mon

tagne|c}}
Que d'importuns débats!

Finissons en deux mots. Veut-on? ne veut-on pas?

Oronte

Mais en quoi mon hymen importe-t-il au vôtre,

Pour vouloir que...

La montagne

C'est là me prendre pour un autre.

Il me faut faire un tour en Bretagne, et tandis

Vous auriez tout loisir de vous être ébaudis.

Moi parti, La Rapière absous, la chère tante

Vous prenant pour mari croirait vivre contente ;

Il n'est contrat signé qui m'en pût garantir.

Oronte

Eh bien, mariez-vous avant que de partir.

Un jour plus.un jour moins ne vous importe guères.

Et...

La montagne

Mon futur neveu, chacun sait ses affaires.

Donnez la main.

Angélique

Moi ?

La montagne

Vite, et sans plus raisonner.

La tante

La sotte !

Lisette

Donnez-la puisqu'il la faut donner.
Vous fâchez votre tante.

Angélique

Elle en parle à son aise.

Quand on a des barons...

La montagne

Vous plalt-il qu'il vous plaise?

Angélique

Il faut bien obéir, mais je ne réponds pas

Qu'à vaincre mon dégoût jamais Oronte...
{{Personnage|La montag

ne|c}}
Hélas !

On s'accoutume à tout. Demain donc sans remise

Dans les bras de l'époux l'épouse sera mise.

Cela fait, je déloge et pars en sûreté.

Oronte

Mais madame en a-t-elle autant de son côté ?

Si pour vous de sa foi mon hymen est le gage,

Il lui faut contre vous un pareil avantage,

Qu'après votre intérêt vous assuriez le sien.

La montagne

Dépendre La Rapière est donc compté pour rien ?

Sans l'honneur de ma sœur, qui ne vaut pas grand chose,

Ce sont dix mille écus dont ma tante dispose ;

Et pour vous faire voir que j'agis franchement

J'y veux bien ajouter encor ce diamant :

Il n'est pas des plus laids.

Lisette

Madame, comme il brille !

Léandre

II est de prix.

La montagne

C'est presque un titre de famille;

Des seigneurs Albikracs il vient de père en fils;

L'an est gravé dessous, mil deux cent trente-six.

Si l'on ne m'en croit pas, en rompant...

La tante

Non, de grâce,

On ne peut mieux prouver une ancienne race.

La montagne

Nous la montrerons telle, et vous ramènerons

Pour nous voir marier quinze ou trente barons.

Si la noblesse a droit' de chatouiller votre ame,

Je vous en garantis satisfaite.


Scène VII


La tante, Léandre, Oronte, Angélique, La montagne, Lisette, Cascaret, Philipin.

Cascaret


Madame,
Le notaire est venu.

La montagne

Bon, allons tous signer.

Ma soeur en l'apprenant voudra se mutiner ;

Mais elle a fait la faute, il faut qu'elle la boive.

Léandre

A son propre repos il n'est rien qu'on ne doive ;

Goûtez-le sans chagrin.

Philipin

Par la permission

De très haut, très puissant monseigneur lé baron,

Que j'épouse lisette.

La montagne

Elle n'est pas novice.

Tu choisis bien.

Philipin

Monsieur, je la crois de service;

C'est bien mon fait par là,

La montagne

T'aîme-t-elle?

Philipin

A peu prés.

La montagne

Viens signer avec nous, tu danseras après.