Le Baron d'Albikrac
Angélique, amante d'Oronte.
La tante d'Angélique.
Oronte, amant d'Angélique.
Léandre, ami d'Oronte.
Lisette, suivante de La tante.
La montagne , valet de Léandre.
Philipin, valet d'Oronte. Cascaret, laquais de La tante.
La scène est à Paris,
ACTE PREMIER
Scène I
Si j’en crois ce billet, Oronte est fort sincère,
Il met tout son bonheur à me voir, à me plaire,
Mais ce fut là toujours le style des Amans.
Madame, il meurt pour vous. Vous savez si je mens,
Je fuis valet d’honneur; quoi qu’il pût écrire,
S’il n’étoit fou d’amour, voudrois-je vous le dire?
Il pense à vous sans cesse , s’il avoit cent cœurs....
Quand il peut me parler il me dit des douceurs,
Mais son sexe partout doit ce tribut au nôtre.
Mon maître,croyez-moi,n'est point fait comme un autre.
A moins qu'on ne lui plaise et plaise tout de bon
Jamais sur la fleurette il ne règle son ton.
Jamais? et quelquefois il en conte à ma tante.
C'est là de son amour la preuve convaincante.
Il n'est pas de ces gens si fort abandonnés
Qu'il doive être réduit aux attraits surannés ;
Et si par votre tante, aussi vieille que folle,
Il se laisse arracher quelque douce parole,
S'y pourroit-il résoudre à moins que de savoir
Qu'on n'obtient que par là le plaisir de vous voir?
Mais que doit-il attendre enfin, que lui dirai-je?
Que j'ai lu son billet.
Le rare privilège !
N'aurons-nous rien de plus?
Quoi! tu n'es pas content?
La plus indifférente en feroit bien autant ;
Ce n'est que savoir lire.
Un jour viendra peut-être...
Un peut-être n'est point ce que cherche mon maître.
Scène II
Et vite!
Qu'est-ce?
Et tôt !
Ma tante ?
Détalons ;
La voilà qui descend, elle est à mes talons.
Par le pelit degré gagnez le haut.
Lisette, Fais-lui dire...
LIS Est temps qu'elle fasse relraite, Autrement...
Mais au moins en trois ou quatre mots Qu'elle déclare...
Adieu.
{
{scène|III}}
C'est bien dit. Ah ! lés sots,
Qui sans rien attraper, avec un soin extrême.
Sont un an à poursuivre un chétif Je vous aime !
Prétend-elle toujours ainsi se défier?
Faute d'expérience elle se fait prier ;
Elle est novice encor; mais enfin laisse faire,
Mes soins en si bon train ont déjà mis l'affaire
Qu'en la pressant un peu, si ton maître est discret,
Je lui répondrois bien d'un rendez-vous secret.
Lui peignant bien sa flamme, il l'obtiendra sans doute.
Mais on ne lui dit rien que la tante n'écoute,
Et montrer pour la nièce un cœur d'amour blessé
Ce seroit le secret d'être bientôt chassé.
Oh ! le fâcheux dragon qu'une tante éternelle !
Ajoute, qui prétend être encor jeune et belle,
Et qui, laissant au coffre un peu plus de trente ans,
Veut jusque dans l'hiver ramener le printemps.
A chaque occasion parlant de son peu d'âge,
Son radoucissement tire un piteux hommage,
Qui, lent à s'avancer...
Pour de si vieux appas,
Dis-moi quelle douceur pourroit doubler le pas?
A soixante et dix ans ! l'agréable mignonne !
Dis, soixante.
Eh bien, soit, la différence est bonne.
Comment diable à cet âge ose-t-on vivre encor ?
Sais-tu pas qu'une femme en tout temps prend l'essor?
Je le sais, mais du moins on n'a point la figure
D'une Ostrogothe faite en dépit de nature,
Et l'on doit s'habiller sans tant de sots atours
A l'usage des gens que l'on voit tous les jours.
De son deuil mitigé la mode est fort nouvelle.
Elle croit du commun se distinguer par elle, En être plus galante et plus propre à charmer.
Elle a le diable au corps ; croire se faire aimer !
Ne voir pas quand quelqu' un près d'elle s'humanise...
Qu'on lui dise un mot tendre, elle est soudain éprise,
Croit tout, prend feu sur tout, et c'est là son destin:
Aussi sans le doux style on n'est pas son cousin.
On n'a chez elle accès qu'en lui contant fleurettes,
Qu'en feignant de l'amour...
Un amour à lunettes,
Si bien que sans douceurs et le tendre soupir
Ce dragon surveillant ne se peut assoupir?
C'en est la seule voie.
Ah ! beauté bisaïeule !
Si j'osois pour douceur te bien paumer la gueule !
Que je prendrois plaisir...
Tu te mets en courroux?
Mais quand avec la nièce avoir ce rendez-vous?
Où l'en presser?
Léandre est ami de ton maître,
On l'aime ici déjà plus qu'on ne fait paroilre ;
Qu'il amuse la tante et l'endorme si bien
Qu'Oronte avec la nièce ait un libre entretien.
Oui, mais tune dis pas que ce Léandre enrage
D'avoir déjà dix fois joué ce personnage ;
Il est soûl de la tante, et n'en veut plus tâter.
Voyez que c'est bien là de quoi se rebuter.
La pauvre nièce et moi nous en souffrons bien d'autres,
Et peut-être il n'est point d'ennuis pareils aux nôtres;
Ma foi, c'est charité que de nous secourir.
Mais avant qu'attraper il faut long-temps courir,
Et de l'air dont elle est par la tante gardée.
Le désir d'un mari l'a si fort possédée
Que, comme elle en veut un quoi qu'il puisse coûter,
La nièce n'est jamais en pouvoir d'écouter.
Depuis neuf à dix mois que dure le veuvage
La vieille requinquée a l'amoureuse rage,
Dans le premier venu croit voir un protestant,
S'en fait conter par force, et s'offre au même instant.
Ainsi point de quartier tant qu'elle ait eu son compte.
Mais, dis-moi, cet époux que promettait Oronte,
Ce baron d'Albikrac est long-temps à venir?
Quelque obstacle maudit l'aura pu retenir :
Nous le saurons bientôt ; un certain La Montagne
Chez nous, quand j'en sortois, arrivoit de Bretagne;
Il en rapportera ce que tu veux savoir.
A vanter ce baron j'ai bien fait mon devoir.
Sur ce que j'en ai dit notre tante charmée Par lettres aussitôt de lui s'est informée.
Tant pis ; qu'a-t-elle su ? car enfin il n'a rien.
Qu'il étoit de naissance avec fort peu de bien,
Mais enjoué, folâtre, et toujours prêt à rire.
Plus encor mille fois qu'on ne le sauroit dire.
Mais d'où diable as-tu feint que tu savois son nom ?
J'ai dit que j'avois vu ce monsieur le baron,
Qui, plein d'amour pour elle et pressé d'un voyage,
Devoit à son retour parler de mariage ;
Qu'il n'avoit point voulu la voir pour un moment...
On croit ce qu'on souhaite assez facilement.
Ah, baron ! qu'à présent tu serais nécessaire !
Qu'il d'elle ou non, ce n'est point notre affaire
Pourvu qu'en temps et lieu, l'entretenant d'amour,
A celui de ton maître il donne quelque jour.
Mais, à propos d'amour, m'aimes-tu ?
Le beau doute !
Tu m'en as assuré bien des fois ; mais écoute,
Il me le faut jurer plus authentiquement.
Philipin se défie ?
A parler franchement,
Je te trouve égrillarde autant qu'on le peut être ;
Et notre La Montagne est un dangereux traître,
Qui, toujours goguenard, prend en goguenardant
Ce qu'on dit qu'on n'obtient jamais en demandant.
Comme nouveau venu tu voudras qu'il t'en conte ?
Badin !
J'ai de l'honneur, et l'autre a bu sa honte.
Plus.effronté qu'un page en vain on le retient.
Tais-toi, ne vois-tu pas que notre tante vient.
Scène IV
Que te dit Philipin ?
Que son maître l'envoie
S'informer s'il se peut que bientôt il vous voie.
Dis-lui que je l'attends.
Retourne, Philipin.
Il en faisoit scrupule à cause du malin...
Léandre est avec lui.
Qu'ils viennent l'un et l'autre.
Scène V
Madame, vous voyez quel pouvoir est le vôtre :
Tous deux ne sauroient vivre un seul moment sans vous.
Que n'est-il vrai ! Mais non, ils ont besoin de nous,
Et, venus à Paris pour quelque grande affaire,
Je les dois regarder comme amis de mon frère.
Tu sais ce que pour eux d'Angleterre il m'écrit,
Qu'en leur faveur je tâche à trouver du crédit,
Et que les obliger c'est l'obliger lui-même.
Mais ne croyez-vous pas que l'un des deux vous aime?
J'aurois lieu de le croire, et Léandre du moins
Semble pour me gagner ne manquer point de soins;
Mais enfin je crains tant qu'il ne soit pas honnête,
Qu'à me remarier je me montre si prête...
Le veuvage est un don qu'on m'a toujours appris
Que le ciel ne départ qu'à ses plus favoris ;
Et si dans ce qu'on sait par mainte et mainte épreuve
Vous pouviez transporter votre office de veuve,
Au lieu de le garder toujours en enrageant,
Il vous seroit aisé d'en trouver de l'argent.
Malgré des blonds cheveux la mode avantageuse,
Un bandeau sied au front mieux qu'une paresseuse.
Mais, madame, chacun sait ses nécessités.
II est vrai, le veuvage a ses commodités.
Mais, s'il en est à qui le mariage coûte,
D'autres n'y trouvent pas...
Vous le savez sans doute ;
Pendant plus de trente ans vous avez eu loisir
D'apprendre ce qu'il a qui louche le désir;
Le défunt vous aimoit, et chacun sait bien comme...
Au mal de jaloux prés, je le trouvois bon homme ;
Mais il étoit si vieux,..
J'entends, pour réconfort
Vous en voulez un jeune ?
Eh! Lisette,ai-je torl?
Non pas, et la jeunesse est d'un si grand usage
Qu'ayant à prendre maître il le faut du bel âge ;
Mais la difficulté c'est que votre barbon,
A bien usé la vôtre.
Eh ! mon Dieu, le voit-on ?
Mes ans aux yeux de tous, sont-ils si manifestes?
Avec un peu d'emprunt vous avez de beaux restes;
Et certain charme en vous saute encor tant aux yeux
Qu'il en est à vingt ans qui ne valent pas mieux.
Mais, entre vous et moi, qui connois. vos affaires,
Vous en avez du moins trente surnuméraires :
C'est quelque chose.
Ainsi tu me tiens hors d'état
De plus faire divorce avec le célibat ?
Non, un mari.pour vous est un point nécessaire.
Les gens ont sans cela tant de peine à se taire
Que pour ôter tout lieu de médire de nous...
Eh ! si l'une s'en plaint l'autre.le trouve doux.
Dans la fleur de nos ans, où tout aime à nous rire,
C'est gloire que de nous on s'attache à médire ;
Et j'en sais qu'on verroit pester au dernier point
Si de leurs soupirans on ne médisoit point.
Les belles à l'envi tirent de ce murmure
Du côté du mérite un favorable augure :
C'en est aussi la marque, et, sans expliquer rien,
Si l'on a leurs faveurs on les achète bien ;
Mais dans l’âge où pour nous manque la complaisance
Malheur à qui ne fait taire la médisance.
Grand opprobre, madame.
Il est rude en tout temps.
Et beaucoup' plus encor quand on a nombre d'ans.
Croyez-moi, sur ce point la médisance est vraie :
Etant vieille l'on n'a que les amans qu'on paie ;
Et je laisse à juger la belle passion
Qui s'allume ou s'éteint selon la pension !
Ah ! Lisette !
Excusez, je parle avec franchise.
En cst-il ?...
Non, témoin notre vieille marquise,
Qui, ne pouvant trouver de galant tout entier,
Se contente, dit-on, qu'on serve par quartier.
Pour quatre pensions il faut bonne finance.
Et puis n'ai-je pas lieu de fuir la médisance ?
Oui, sans doute, et de vous on en diroit aillant.
Mais en fait d'un mari ne barguignez point tant.
Le vouloir jeune et riche...
Eh, pour le bien, lisette. Tu sais que ce n'est pas...
L'affaire vaut donc faite?
Le baron d'Albikrac sera votre vrai fait.
S'il a si bonne mine...
Ah ! madame !
En effet
J'y puis songer.
Surtout suivez ma tablature.
Gardez toujours la bourse, et donnez à mesure.
Quand on a comme vous force écus bien comptés
On peut faire à propos ses libéralités ;
Il est d'heureux momens où l'on trouve son compte.
Si j'osois m'assurer de Léandre ou d'Oronte,
J'aurois bientôt choisi.
Le respect les relient :
Peut-être ils parleront si notre baron vient.
Souvent la jalousie est ce qui nous enflamme.
Mais il semble qu'Oronte et ma nièce...
Madame ?
Tout de bon, à l'oreille il aime à lui parler.
Croyez qu'il ne lui dit que des contes en l'air.
Elle est si jeune encor...
Défions-nous de l'âge:
Il en est dés douze ans que la fleurett
e engage,
Et le cœur...
Il est vrai, c'est un oiseau si fin
Qu'il faut pour l'attraper venir de bon matin.
Mais, quant à votre nièce, à moins d'en vouloir rire,
On ne peut...
La voici : voyez ce qui l'attire !
Il faut que je l'éloigné.
Ah ! gardez-vous-en bien.
Vous savez que Léandre aime votre entretien ;
Et s'il peut avec elle embarrasser Oronte
Je crois qu'auprès de vous il trouvera son compte.
Cela se pourroit bien ; mais s'il falloit aussi
Que ma nièce...
N'ayez pour elle aucun souci.
Scène VI
Vous plaît-il que quelqu'un aille pour ces tablettes, Ma tante ?
Non, tantôt.
Je crois qu'elles sont faites.
N'importe, ce matin vos yeux sont mal ouverts.
Comment ?
{{Personnage|La
tante|c}}
Votre coiffure est toute de travers.
Mon Dieu! cela fait peur.
Je me coiffe à ma mode, Ma tante.
En attendant qu'on vous la raccommode
Cachez-la tout au moins d'une coiffe.
Et pourquoi?
Ai-je à plaire à quelqu'un ?
Avec vos cheveux blonds en coquette fieffée
Vous vous imaginez être fort bien coiffée.
Rien n'est plus ridicule, et madame a raison ;
Mettez...
Mettre une coiffe en gardant la maison !
Que de raisonnemens ! Approchez.
Je déteste...
Voilà proprement l'air d'une fille modeste.
Mais Léandre...
Scène VII
Voyez si l'on se plaît chez vous,
Madame.
C'est un bien dont chacun est jaloux.
Vous le dites; je sais ce qu'il faut que j'en croie.
Vous cacher de la sorte! Ah! souffrez qu'on vous voie.
Est-ce pour inspirer des désirs plus ardens?
Laissez : elle se plaint d'un si grand mal aux dents
Qu'elle souffriroit trop…
Il se passe, ma tante.
Otez donc.
L'ôterai-je ?
Otez. L'impertinente!
Vous prenez donc plaisir à montrer votre nez?
J'en suis fort aise.
Ainsi les esprits sont tournés.
Plus on défend.,.
{{didascalie|Oronte à La t
ante|c}}
Madame, on poursuit mon affaire ;
Votre crédit bientôt me sera nécessaire :
J'ose en espérer tout.
Il me sera bien doux
D'avoir occasion de m'employer pour vous.
Mon frère m'en écrit d'une assez bonne sorte
Pour n'y rien négliger; et d'ailleurs, mais n'importe,
L'effet vous montrera si je sers mes amis.
Ce titre est glorieux, vous me l'avez promis.
Vous y prétendez donc?
(Pendant que la tante parle tout haut à Léandre Oronte entretient la nièce tout bas, et Lisette est au milieu qui tâche d'empêcher la
tante de les observer. )
Beaucoup plus que personne.
Si je ne suis pas belle au moins suis-je assez bonne,
Et c'est toujours de quoi réparer ce défaut.
Défaut, madame !
On sait un peu ce que l'on vaut ;
Et sans ce grand éclat d'une beauté brillante
Quelquefois une femme a l'heur d'être touchante.
Il est mille agrémens...
C'est ce qu'on voit en vous,
Et l'assemblage en est si charmant et si doux
Que j'admire souvent en vous voyant paroître...
Vous avez assez l'air de vous y bien connoitre.
Par ce que je vous dis du moins vous l'éprouvez.
{{didascalie|la tante
faisant signe de l'oeil à angélique.|c}}
Angélique ?
Ma tante?
Enfin donc vous trouvez
Ma garniture belle ?
Oui, belle et des plus belles.
J'écoute: il ne lui dit que pures bagatelles,
Et vous laisse par là Léandre à gouverner.
Quel âge croyez-vous qu'on me puisse donner?
Vous n'êtes qu'une fille, et sans votre veuvage
Je vous croirois trop jeune encor pour le ménage:
Vingt et un ans au plus.
Où les va-t-il chercher?
Non, j'en puis avoir trente,et n'en veux point cacher.
Quoi, trente! Et dans cet âge un brillant dejeunesse....
J'ai pourtant eu souvent grand sujet de tristesse:
Dn vivant du bonhomme, ah ! grands dieux, quels
C'étoient de tristes jours. [ennuis ! ]
Et de plus tristes nuits.
Qu'un vieillard ait eu l'heur d'obtenir... J'en soupire-.
Que j'ai versé de pleurs !
Au moins dans ce martyre.
Grâce à sa prompte mort, peu de temps s'écoula?
Quinze ans s'y sont passés.
Et quinze par-delà.
Quel supplice! Et vos yeux après quinze ans de larmes
Ont trouvé le secret de conserver leurs charmes?
Que de jaloux débats vont causer vos attraits !
L'hymen n'a pas grand lieu de toucher mes souhaits ;
Et, quitte des ennuis dont j'ai trop fait l'épreuve,
J'aime assez le repos qui suit l'état de veuve.
Je vis tranquille, heureuse.
Et vous faites fort bien.
C'est en cela...
Pourtant je n'ai juré de rien,
Et selon...
D'ordinaire où sont vos promenades?
Où l'on veut.
A Saint-Cloud ? Les charmantes cascades !
Vous allez fort souvent dans ces aimables lieux ?
Pas trop.
Dites le vrai, Vincennes vous plaît mieux.
On ne se divertit dans toutes ces parties
Que selon qu'elles sont bien ou mal assorties ;
Le goût dépend des lieux beaucoup moins que des gens;
Quand ils sont bien choisis...
C'est comme je l'entends.
Si bien que vous croiriez qu'une haine si forte
Contre le mariage en aveugle m'emporte
Que, sûre qu'on m'aimât, j'eusse assez de rigueur
Pour voir un vrai mérite et défendre mon cœur ?
Qu'il en faudroit, madame, et qu'il est difficile
Que vous ne rendiez pas ce mérite inutile !
En est-il qui ne cède en voyant éclater...
Mon Dieu, ne perdez point de temps à me flatter !
Je n'aime point l'encens.
Puisque c'est vous déplaire
Je le quitte, madame, et change de matière.
Croyez-vous qu'à la cour Ariste ait du crédit?
Vous n'expliquez pas bien ce que je vous ai dit.
Si j'ai quelque mérite il n'est pas raisonnable
De prétendre qu'à peine il s'en trouve un semblable;
Et quelqu'un que je sais vaut tout ce que je vaux.
Bon, cela.
Ce quelqu'un n'a donc point de défauts ?
Vous le connoissez bien.
Moi,madame?
Vous-même.
{{scène|
VIII}}
Madame ?
Que veut-on?
La marquise d'Amblême.'..
Eh bien, qu'est-ce?
Elle vient.
Qu'a-t-elle àme conter.
C'est peut-être un galant qu'elle veut emprunter.
Qu'on la reçoive ailleurs. L'incommode personne !
Ah!
Si tu m'y- retiens, va, je te le pardonne.
Peste soit de la vieille !
Allez l'entretenir.
Je vous suis.
(A Oronte et Léandre.)
Demeurez, je m'en vais revenir.
Quelle est cette marquise ?
{{Personnage|La tante
|c}}
Une sempiternelle,
Qui passe soixante ans, et fait encor la belle ;
Elle aime la fleurette, et la moindre douceur
Lui fait ouvrir l'oreille et chatouille son cœur.
C'est un original.
L'impertinence extrême
De faire son portrait et se railler soi-même !
Elle vous fournit bien de quoi vous divertir?
Et qui ne riroit pas de l'entendre mentir,
Que pour elle en secret plus d'un chevalier brûle,
Que monsieur le marquis s'en meurt?
La ridicule !
Je l'aurois avec nous mise de l'entretien,
Mais vous n'en auriez pas été quitte pour rien,
Et nous n'eussions point vu la fin de sa visite.
Adieu, pour un moment souffrez que je vous quitte:
Je saurai m'en défaire, et perdrai peu de temps.
Scène IX
Faites ici le sot : pour moi, si je l'attends...
Ami, songez, de grâce...
Il n'est ami qui tienne ;
Pour couvrir votre jeu cherchez qui l'entretienne.
J'ai paré de mon mieux les plus dangereux coups,
Mais tirer à la rame est un métier plus doux.
Au moindre jour offert d'union conjugale
Elle en fait seul à seul un fort joli régale;
J'en ai tremblé deux fois, et j'ai cru que tout net
J'allois pour l'épouser être pris au collet.
C'est l'unique moyen de l'éblouir.
N'importe.
M'abandonneriez-vous au besoin de la sorte?
Il y va de ma vie, et si vous faites cas...
Vivez: mais, s'il vous platt, que je ne meure pas.
Encore un tête-à-tête, et le moins qui m'arrive
C'est de perdre l'esprit.
La défaite est naïve !
Mais notre nièce enfin ?
Qu'elle est aimable ! ah! dieux !
Son entretien est-il aussi doux que ses yeux?
Qu'il est rempli d'appas? J'en suis charmé, lisette.
Vous a-t-elle promis audience secrète?
Oui; si sa tante ailleurs se laissant engager
T'assure les moyens de me la ménager,
Tout dépend de tes soins.
Ou plutôt de Léandre.
Qu'il prenne un rendez-vous...
Bonsoir.
{{Personnage|O
ronte|c}}
Vous en défendre,
Ami, quand il y va de tout l'heur de mes jours !
Faut-il combattre ici des lions et des ours,
Forcer quelque château, m'opposer seul à trente?
A cela je suis prêt; mais, ma foi, pour la tante...
Ah ! si votre Breton étoit prés d'arriver !
L'argent comptant le charme, il viendra nous trouver,
Et, craignant qu'on ne songe à presser les affaires,
Il m'envoie un pouvoir passé devant notaires ;
Mais de plus de dix jours il ne sauroit partir,
Et Léandre pour rien ne voudra consentir...
Non, mais à mon défaut employez La Montagne;
Qu'il fasse quelques jours le baron de Bretagne:
On ne le connoit point.
A-t-il un peu d'esprit?
Que trop : quoiqu'il bouffonne, il sait bien ce qu'il dit.
Le voici qu'à propos Philipin nous amène.
Scène X
As-tu vu le marquis ?
J'ai bien eu de la peine.
Viendra-t-il?
Oui, monsieur, où vous lui marquez.
Bon!
Mais ici cependant il nous manque un baron :
Peux-tu le devenir?
Moi baron? et de reste!
Tu connois Albikrac ?
C'est un gaillard, la peste !
Il faut passer pour lui.
Je suis votre homme, allez:
Vous me verrez baron, et des plus signalés.
Donc, sans plus balancer, dés cette aprés-dînée
Qu'il s'en vienne nous faire un début d'hyménée.
La tante l'attendra dans son appartement,
Et nous nous servirons de cet heureux moment.
Mais pour voir en secret ton aimable maîtresse ?
Vous avez belle peur que je manque d'adresse.
Que Philipin au guet ait soin de se montrer ;
Je viendrai l'avertir quand vous pourrez entrer.
Adieu donc; nous allons en baron de campagne
Travestir décemment monsieur de la montagne.
Si la tante se plaint de ne nous trouver plus,
Dis que...
Vous me donnez des avis supe
rflus,
Suffit que du baron j'aurai reçu message.
Au moins faites-lui bien jouer son personnage.
Va, je sais mon métier, n'en sois point en souci.
As-tu plus de quinze ans ?
Environ, Dieu merci !
Sors vite ; s'il falloit qu'on te vit avec elle
Tu perdrois tout.
Adieu, tendre et jeune pucelle!
Jusqu'au revoir.
Lisette, ah !
Quel diantre de ton !
Tu gémis?
Que jecrain- La Montagne baron !
ACTE SECOND
Scène I
Philipin m'attendoit par ordre de son maître ;
Ici dans un moment vous l'allez voir paraître,
L'avis lui sera doux.
Lisette, en vérité,
Ce que tu me fais faire est bien précipité.
Permettre qu'en secret un galant m'entretienne !
Voulez-vous que je coure empêcher qu'il ne vienne?
Non, mais n'est-ce point trop...
Voilà bien des façons!
Eh, mon Dieu,hardiment prenez de mes leçons;
Vous m'en remercierez quelque jour.
Mais, Lisette,
J'accorde une faveur peut-être en indiscrète;
Et si de moi par elle Oronte veut juger...
Quoi ! la tante aurait droit de nous faire enrager.
Et vous craindrez...
Je crains d'affaiblir son estime.
Un entretien secret n'est pas un si grand crime ;
Et d'un joug trop pressant pour fuir les durs apprêts
Il n'y faut pas toujours regarder de si prés.
Pour moi, de tous les maux où l'on s'impatiente
Je n'en crois point d'affreux comme le mal de tante;
Il suffoque, et jamais un moment de repos.
Toutes n'agissent pas du même air.
En deux mots,
La vôtre est une Turque, une Arabe, et le diable
N'en fournirait qu'à peine encore une semblable.
Elle ne peut souffrir que vous leviez les yeux;
II faut qu'on soit pour elle obligeant, gracieux,
Qu'on loue à tout moment les beautés qu'elle achète.
Mais si, nous soupçonnant d'une intrigue secrète,
Elle nous découvroit, tout seroit lors perdu.
Elle attend ce baron si long-temps attendu.
De miroir en miroir se façonnant la bouche.
Elle ôte et puis remet dix fois la même mouche ;
Dans ce soin d'agréuiens songera- t-elle à vous ?
Ainsi c'est tout de bon qu'il lui vient un époux.
Est-il assez bien fait pour lui plaire?
Peut-être
En ai-je un peu plus dit qu'on n'en verra paraître;
Mais sur sa bonne mine il faut nous récrier.
Dans la démangeaison de se remarier
Elle nous en croira.
Mais, l'affaire étant faite,
Comme alors elle aura tout ce qu'elle souhaite,
Ce rendez-vous secret à quoi bon l'accorder?
Oronte ouvertement pourra me demander.
Oui; mais d'où pouvez-vous tirer un sûr indice
Que pour ses dur* appas le baron s'attendrisse?
Qu'il veuille d'elle après qu'il en aura goûté?
Servons-nous de ce temps pour plus de sûreté:
Par quelques entretiens éprouvez-vous l'un l'autre;
Voyez si son humeur se rapporte à la vôtre,
Si toujours elle aura pour vous mêmes appas.
La, l'aimez-vous un peu ?
Je ne m'y connoîs pas ;
Mais tantôt, prés d'entrer le voyant dans la rue,
De ma chambre ici-bas je suis vite accourue ;
Et j'eusse eu grand dépit qu'on m'eût voulu chasser.
Continuez, ceci n'est point mal commencer.
D'ailleurs quand on le nommeou qu'il nous rend visite
Certain je ne sais quoi fait que mon cœur palpite,
J'aime à le regarder; et, soupirant tout bas,
J'ai des troubles d'esprit que je comprends pas.
Sitôt qu'il est parti je rêve. Quand on aime
Est-ce là comme on est, Lisette?
Tout de même.
L'amour en peu de temps vous en a bien appris ;
Mais Oronte...
Il vient.Dieux?
Reprenez vos esprits.
Que lui pourrai-je dire, et...
S'il ne faut rien taire,
Vous faites l'innocente, et vous ne l'êtes guère.
{{scène|
II}}
Madame.
En liberté je vous laisse jaser ;
Notre tante est à craindre, et je cours l'amuser.
Scène III
Enfin mon heureux sort, après tant de contraintes,
De mes tristes langueurs soulage les atteintes ;
Et, sans être gêné par des regards jaloux,
Je puis vous dire ici ce que je sens pour vous.
Mais que sert que ma bouche à l'expliquer s'emploie?
Pour vous marquer ma flamme il suffit de ma joie ;
Et quand l'occasion rend le temps .précieux
Il faut dans ce moment laisser parler les yeux.
C'est là que sans réserve, en voyant ce qu'on aime,
Tout le secret du cœur se produit de lui-même ;
Et qui prend part au feu qui le fait éclater
N'a besoin que de voir et non pas d'écouter.
J'ai trop peu de clartés pour pouvoir bien comprendre
Ce que de vos secrets je dois vouloir app
rendre ;
Mais je sais qu'un motif que je crois généreux
M'oblige à souhaiter que vous soyez heureux.
Qu'à vous combler de gloire à l'envi tout conspire.
Ce souhait est beaucoup ; mais, si j'ose le dire,
Dans ce que vos appas ont pour moi d'engageant,
S'il n'est que généreux il n'est point obligeant.
A moins qu'il soit l'effet d'une estime empressée,
D'un tendre mouvement où vous soyez forcée,
D'une inquiète ardeur...
Ah! que vous me gênez !
J'ai bien peur de savoir ce que vous m'apprenez.
Ne l'examinons point; et, quoi qu'il en puisse être...
Craignez-vous de m'aimer?
Je le fais mal paraître;
Mais au moins je devrois, malgré vos vœux soumis,
Craindre de vous aimer plus qu'il ne m'est permis.
Hélas ! le pouvez-vous quand ma flamme est extrême,
Et que l'amour n'a point d'autre prix que lui-même?
Non, quoi que vous fassiez pour vaincre le souci...
N'est-ce point déjà trop que vous souffrir ici?
J'en rougis ; et s'il faut que ma tante soupçonne...
A ce scrupule en vain votre esprit s'abandonne,
Lisette y met bon ordre, et seconde mon feu;
Il s'agit seulement d'obtenir votre aveu,
Me l'accorderez-vous?
Ce qu'ici je hasarde
Ne vous répond que trop de ce qui me regarde ;
Mais songez que les lois d'un rigoureux devoir
Me forcent d'une tante à craindre le pouvoir,
Que mon père en mourant me mit sous sa conduite,
Que par quelque intérêt elle m'aime à sa suite;
Et qu'avant que pour moi vous puissiez rien oser
Il faut qu'elle ait trouvé qui la veuille épouser.
Il s'offre, m'a-t-on dit, un baron d'importance.
Si l'affaire se fait...
Vivons en espérance.
Quelque obstacle qui tienne un esprit alarmé,
Pour vaincre tout, madame, il suffit d'être aimé.
J'aurois peut-être dû m'en tenir à l'estime ;
Mais, puisque vous brûlez d'un feu si légitime,
Que depuis si long-temps que vous le contraignez
L'amour est tel en vous que vous me le peignez,
Je ne m'en défends plus.
Scène IV
La peinture e-t jolie.
Le rouge vous sied bien, vous êtes embellie;
L'appétit au besoin vous viendroit en parlant.
Vraiment, j'en suis d'avis, il vous faut un galant.
Moi, ma tante?
Voyez la petite effrontée.
Je ne vous ai donc pas tout à l'heure écoutée
Quand sur ce bel amour qui le faisoit agir...
Madame...
{{Personnage|La
tante|c}}
Allez, monsieur, vous devriez rougir;
Et du moins ce n'est pas à d'honnêtes familles
Qu'on se doit adresser pour corrompre des filles.
L'hymen étant le but qui m'a fait la prier
D'entendre...
II n'est ici personne à marier.
Parler d'amour chez moi ! Vous êtes fort mignonne.
Ne croyez pas...
Comptez, je vous la garde bonne ;
Et si...
Venez encore emprunter mon secours ;
J'ai bien affaire, moi, de vos sottes amours.
Quoi ! que veut-elle dire ?
Eh bien! il me faut taire,
Cela ne servirait qu'à vous mettre en colère ;
Mais si jamais il vient me demander appui...
Comment? Est-ce qu'il veut que YOUS parliez pour lui?
Qu'allez-vous dire ?
Tout, et devant tout le monde;
Voyez, il faut pour vous, monsieur,que l'on me gronde.
Je vous l'avois bien dit, renvoyant vos amours,
Que ma tante vouloit rester veuve toujours,
Elle en a fait bon vœu.
C'est mon dessein sans doute;
Et qui parle d'amour, Dieu sait si je l'écoute ;
Je n'en veux point.
Madame, il n'y faut plus penser.
Et puisque je connoisque c'est vous offenser....
Laissez, par le récit que je veux qu'elle fasse
J'aurai lieu de juger s'il faut vous faire grâce.
Ce doit être sa peine après ce qu'elle a fait.
Vous haïssez la cause, épargnez-vous l'effet.
Oyez donc.
L'embarras où vous nous allez mettre...
Mais quand vous aurez su ce qu'il m'a fait promettre
Contre moi tout d'un coup je crains bien de vous voir.
Ah! ne l'apprenez point.
Non, je veux tout savoir. Pourquoi seule avec lui ?
C'est qu'il m'a rencontrée,
Et qu'il entrait ici comme j'y suis entrée.
Il venoit...
Sans donner de plus forte raison,
Dites que je venois pour voler la maison ;
Je l'avouerais plutôt que....
Qu'est-ce qu'il vous conte?
Qu'à vous expliquer tout il va mourir de honte,
Mais en vain il prétend que j'ose rien cacher.
Je suis pris.
Enfin donc il venoit vous chercher,
Et, m'ayant aperçue, il m'a fait la peinture
De je ne sais quels maux que pour vous il endure,
Que depuis qu'il vous voit il languit nuit et jour,
Et que si je n'avois pitié de son amour...
A ce nom j'ai crié furieuse, en colère,
Ainsi que vous m'avez appris qu'il falloit faire.
II m'a toujours pressée, et moi j'ai toujours dit
Que sans doute il falloit qu'il eût perdu l'esprit.
Que vous oser parler pour lui ni pour personne
C'étoit... Il vous dira si pour vous je raisonne.
Il m'a dit que, sachant votre tempérament,
Il ne vous falloit pas presser ouvertement,
Mais qu'au moins on pouvoit de loin vous faire entendre
Que vous étiez encor dans un âge assez tendre,
Qu'aussi fraîches que vous peu se feroient prier
Pour choisir un brave homme et se remarier,
Et que, selon l'humeur où je vous verrois être,
Je servirois sa flamme et la ferais connottre.
Alors, je l'avouerai, c'est à quoi j'ai manqué.
Sensible à l'air touchant dont il s'est expliqué,
J'ai promis sans penser pourtant faire un grand crime
Que, puisque son amour étoit si légitime,
Qu'il m'en peignoit le feu si plein d'ardeur...
Rentrez.
Scène V
Ma présence vous choque, et je vais...
Demeurez,
Madame, le regret d'avoir pu vous déplaire..,
J'aurais quelque sujet d'être assez en colère.
Vous l'avez, je l'avoue ; aussi je vous promets
Que de moi sur ce point vous n'en aurez jamais.
Je sais trop pour l'amour jusqu'où va votre haine.
Pour le moins jusqu'ici je l'ai vaincu sans peine.
Tout le monde en convient; et c'est être indiscret
D'avoir à votre nièce expliqué mon secret.
Mais que ne fait-on point quand un mal est extrême?
Et pourquoi ne vous pas adresser à moi-même?
A vous-même, madame? Hélas ! et de quel air?
Non, je mourrois plutôt que de vous en parler.
Mais, si vous faites grâce à l'ardeur de mon zélé,
Souffrez que quelquefois j'en soupire avec elle.
C'est tout ce que je veux pour prix d'un si beau feu.
Il me paraît trop beau pour obtenir si peu ;
Pour prix de votre amour, si sa flamme est constante,
Il vaut mieux que j'en sois la seule confidente.
A ma nièce surtout n'en témoignez plus rien ;
Dans un si jeune esprit un secret n'est pas bien.
Quoi! pour me soulager vous pourriez vous contraindre
A souffrir ce qu'ailleurs on vous voit le plus craindre,
Vous que l'amour offense, et dont l'aversion
Vient de paraître encor pour cette passion,
Vous qui loin d'excuser l'innocente peinture
Dont...
II faut quelquefois garder quelque mesure,
Et devant une fille il est bon de blâmer
Ce qui lui peut apprendre à se laisser aimer.
Ce sont tendres esprits qui, sans leçon ni maître,
Ne savent que trop tôt d'où ce penchant peut naître;
Et pour rendre l'amour à leur goût moins charmant
On leur en fait un monstre, et l'on pense autrement.
Ce n'est pas qu'il ne soit des douceurs au veuvage
Qui valent quelquefois celles du mariage.
Vivre comme on l'entend, ne répondre qu'à soi...
Ah! n'appréhendez point de les perdre pour moi.
Vous me donnez l'exemple, et je dois sans m'en plaindre
Quand vous vous contraignez,apprendre à me contraindre,
Sur moi-même à mon tour prendre assez de pouvoir...
Je ne dis pas cela pour me faire valoir; Au contraire, je veux...
Scène VI
Voici qu'on vous apporte
Des petits tableaux.
Bon !
L'homme est à cette porte ;
Le ferai-je entrer?
Non, qu'il revienne. Est-ce fait?
L'étourdie ! Est-il temps...
C'est pour un cabinet?
Voyons-les,
II en a des plus jolis du monde.
( A Oronte. )
L'espoir où je me fonde
C'est que me connoissant...
S'il les vouloit laisser? Il peut les vendre ailleurs.
Il s'en faudra passer;
Qu'il les vende, ce soin vous rend officieuse ?
Si...
Le friand ragoût qu'une vieille amoureuse !
Scène VII
Sans trop de vanité je pourrais me flatter
Qu'il n'a tenu qu'à moi jusqu'ici d'écouter.
Cent fois, le défunt mort, on m'a persécutée,
Officiers, gens de cour, mais rien ne m'a tentée.
J'ai même depuis peu reçu de tous côtés
Pour un certain baron mille importunités.
Oh m'en veut malgré moi donner la connoissance..
Quel est-il ?
Un baron de fort haute naissance,
Albikrac: c'est un nom assez connu de tous.
II vous donne à rêver, en êtes-vous jaloux?
Pour m'oublier ainsi je sais trop me connoitre.
Du moins vous n'aurez pas long-temps sujet de l'être.
Une visite ou deux puisque je l'ai promis ;
Après, né craignez riqn, nous vivrons bons amis.
Vous priver de sa vue, et que rien m'autorise...
{{scène|
VIII}}
Ah! matante, voici ce beau point de Venise.
A-t-on jamais...
Vos yeux en vont être éblouis.
Ah ! madame !
On l'aura peut-être à vingt louis.
Voyez ce grand branchage et ces (leurs qui se jettent.
On surfait de moitié quand les hommes achètent.
On m'en fit un quarante encor hier matin,
Qui n'est pas...
Le tissu n'en peut être plus fin.
Il est assez passable ; allez, qu'on me le garde;
Nous le verrons tantôt.
Dieux !
Plus je le regarde,
Plus je l'aime. Voyez de l'un à l'autre bout,
L'ouvrage saute aux yeux, il est égal partout.
Ne finirez-vous point? Que veut encor Lisette ?
Scène IX
Le baron d'Àlbikrac...
Enfin ma tâche est faite,
Respirons.
Ah ! madame, il n'est rien plus galant !
Ces messieurs les barons font valoir le talent;
Ce sont gens du bel air.
Vous avez de l'ombrage.
Madame.
II ne faut pas m'en dire davantage,
J'y pourvoirai. Qu'il entre, il faut le recevoir.
(A Angélique.)
Demeurez. Vous, Lisette, ayez soin du mouchoir.
(Bas à Oronte.)
Nous laisser seul à seul surprendre en confidence
Serait sans aucun fruit choquer la bienséance.
Madame.
Sans celaj'aurois su prendre soin
De n'avoir pas ma nièce avec nous pour témoin;
Du moins tenez-vous sûr, quand je le pourrai faire,
Que vous n'aurez jamais ce chagrin.
{{Personnage|Or
onte|c}}
Pour vous plaire
Je l'essuierai sans peine, et consens que par là...
Scène X
Qui des deux est la tante? A l'âge, la voilà.
Pardonnez, je sais bien que ce vilain mot d'âge
Aux belles comme vous tient toujours lieu d'outrage;
Mais il ne vous en fait aucun, et, tout de bon,
Vous chercher à deux fois auprès d'une poupon,
Auprès de cette nièce à peine encore au monde,
C'est une gloire en vous qui n'a point de seconde.
On m'en avoit bien dit, et j'en trouve encor plus.
Que dirai-je, ma tante?
A d'autres ces abus.
Ma tante!
Je la suis.
Et celle-ci la nièce?
Elle s'est déclarée.
Oui, pour me faire pièce,
Comme provincial vous voulez me sonder ;
Mais ce n'est pas à moi qu'on en baille à garder.
On ne vous trompe point.
Quoi! vous seriez la tante?
Moi-même.
Je ne sais si le diable me tente,
Mais je sais qu'il méfait vouloir que cela fût.
Ah ! quel plaisir alors de s'aimer but à but !
Car ne pouvant causer un mal de cœur extrême,
Tel qu'on l'auroit pour vous, vous l'auriez tout de même»
Mal de cœur en amour est un drôle de mal.
Mais qui de notre tante est donc l'original?
Sans railler est-ce vous?
Je ne suis point surprise
De vous voir affecter exprès cette méprise ;
Vous êtes obligeant, et me voulez flatter.
Non, ma foi, j'enrageois d'avoir lieu de douter ;
Et déjà je songeois à trouver quelque adresse
Pour planter là la tante et donner sur la nièce.
Ma nièce est-elle si...
Chacune vaut son prix, Mais enfin,,.
Est-il fou de s'être ainsi mépris ?
Le beau jeune seigneur ! qu'il est bien fait !
Ma mère
A pris aussi, dit-on, grand plaisir à me faire,
Et je m'en suis senti, car certain air gaillard
Que j'ai d'elle hérité me rend tout égrillard.
Je vous divertirai, belle tante. Ah! ma nièce!
Il faut céder, la tante est la même jeunesse,
Certains traits enfantins, doux, mignons, délicats...
Ne me louez point tant.
Je ne vous louerais pas,
Vous que je vois briller comme fleur printanière!
Dieu me sauve, il n'est point... Montrez-vous par derrière, Vous êtes encor mieux, et si propre à charmer Qu'il ne faut point vous voir
afin de vous aimer, Le port beau; l'air poupin ! J'en tiens ! Et sans reméde. Quelle taille !
Il en est qui l'ont un peu plus laide.
Comment diable! et de plus de cinquante karats.
Qu'il a d'esprit, madame !
Ah ! l'on n'en doute pas.
Vous êtes tout rêveur.
J'eusse eu peine à m'en taire
Si vous ne l'eussiez dit. Rêve-t-il d'ordinaire?
C'est un mal de chagrin dont je crains les accès.
Il est à pardonner quand on a des procès.
Monsieur en a? tant pis...Monsieur est de province?
Auvergnat.
On prétend votre noblesse mince,
Et vous venez ici la réhabiliter ?
Je crains peu que l'on songe à m'en inquiéter.
{{Personnage|La m
ontagne|c}}
J'en connois soi-disant issus de haute race,
Nobles comme le roi, qu'on remet dans la crasse.
Parmi de vieux papiers abandonnés aux rats
Ils ont beau la plupart dénicher des contrats,
Leur gentilhommerie, étant toute en paroles,
Ne se trouve de poids qu'à celui des pistoles.
A nous autres barons, qu'on voit hors du commun,
On n'a pas dit un mot ; moins à moi qu'à pas un.
Aussi partout le bruit de ma noblesse craque :
Mon père étoitKerling, et ma mère Albîkraque;
Deux familles, pensez, d'éclat et de renom.
Qu'on s'informe, on verra si quelqu'un dira non.
Vous n'avez pas sujet...
Je vous trouve inquiète.
Est-ce que vous craignez de me sembler mal faite?
Ma foi, quand tout ex prés pour me rôtir d'amour
L'ouvrier qui vous fit vous aurait faite au tour,
Qu'il aurait compassé, pour me rendre tout vôtre,
Chaque connexité d'un membre avec que l'autre,
Vous ne me plairiez pas davantage, et déjà
J'enrage d'être au point dont mon père enragea;
Car on tient que deux jours après son mariage
Il s'en mordit les doigts.
Lisette, il n'est pas sage.
C'est un homme enjoué... Qu'il est divertissant !
Rien ne nous presse encor.
Je suis un peu pressant ;
Mais à voir tant d'appas qui ferait moins la presse?
Et puis quand on va droit sans entendre finesse,
Et que l'un à peu prés est de l'autre le fait, On dit que le plus tôt vaut le mieux.
En effet.
On y doit un peu plus songer que vous ne faites.
Gai comme je le suis, vous dans l'âge où vous êtes,
Selon que je me sens fortement dans vos lacs,
Nous aurons quantité de petits Albikracs, Ma tante.
Pour le moins épargnez une fille:
Vous la faites rougir.
Elle en est plus gentille.
Quant à moi, j'aime à voir ce vermillon subit
Dont en baissant les yeux la friponne sourit.
I1 faut les faire à tout. Mais, mon aimable tante,
Voyons votre maison : sa propreté m'enchante,
Et si j'en puis juger par cet appartement.,.
Vous n'y trouverez pas ce que...
Sans compliment,
Agréez que je sois votre écuyer.
Madame
A dans son cabinet ce qui peut ravir l'ame.
Il vous faut tout au moins deux heures pour le voir.
Quelque autre jour...
Ah ! non.
Je suis au désespoir.
Ne vous chagrinez point, mon cher, je vous en prie,
Si je donne la main...
Par cette galerie.
{{Personnage|La t
ante|c}}
Suivez-nous.
En suivant éloignons-nous un peu.
Profitez du moment, on vous donne beau jeu.
ACTE TROISIÈME
Scène I
Nos amans à leurs feux vont trouver peu d'obstacles.
Notre nouveau baron fait pour eux des miracles,
Et de ce cabinet, qu'il appelle enchanté,
Je suis exprès sorti pour rire en liberté.
la tante a beau vouloir faire un pas vers Oronte.
Il a pour l'arrêter toujours un nouveau conte,
Et, sur chaque tableau la faisant haranguer,
Il la force à l'ouïr, ensuite extravaguer.
Ainsi pour nos amans point de tante importune.
Ce n'est pas là pour elle une grande infortune.
S'il la prive d'Oronte, au moins d'une douceur
De moment en moment il lui flatte le cœur;
Mais quand elle vous tient à l'écart l'un ou l'autre
II n'est point de plaisir qui soit égal au vôtre.
Vous passez votre temps à ravir?
Justement, Oronte en a tâté.
Très copieusement.
Jamais on ne souffrit de si longue torture.
Il m'a dit en deux mots toute son aventure.
Quand dans le cabinet il vous a parlé bas
J'ai bien cru qu'avec vous il ne s'en taisoit pas.
Tu fais le guet pour eux, et les laisse surprendre?
Quand le malheur en veut on a beau s'en défendre.
Oronte. étant entré, j'ai couru promptement
Pour rejoindre la tante à son appartement;
Mais par sa défiance elle a trompé la nôtre ;
J'ai pris un escalier, elle venoit par l'autre.
Oronte cependant tombe en de bonnes mains?
Qu'il s'en tire s'il peut.
C'est comme tu le plains?
Si tant de charité pour lui vous inquiète,
Faites le tour d'ami, son affaire vaut faite ;
La tante vous adore et vous préférera.
Elle m'aime?
Hier encor son coeur en soupira;
Et dans ce que de vous sans cesse elle me conte
Vous l'emportez en tout de bien loin sur Oronte ;
Jamais homme à ses yeux ne parut plus parfait.
Vous rêvez ?
Je cherchois quel grand crime j'ai fait.
Pour se trouver aimé d'une vieille et lui plaire
Il faut avoir du moins assassiné son père.
Si la tante avec mois expliquoit sur ce Ion Je la divertirais de la bonne façon.
{{scène|
II}}
Vous vous êtes enfin échappés !
La peinture
Nous prête ce bonheur, fort grand, pourvu qu'il dure.
Mais monsieur le baron nous le fait espérer;
Il paraît n'être pas encor las d'admirer :
Dix ou douze portraits qu'il voit l'un après l'autre,
Faisant son entretien, ont assuré le nôtre.
Ils sont tous de la tante, et vous pouvez juger
Si le bien qu'il en dit a de quoi l'engager !
Les louant trait pour trait, il lui chatouille l'ame.
Elle peut à son gré favoriser sa flamme;
Nous l'en avons laissée en pleine liberté.
J'en serai querellée.
Et moi de mon côté;
Mais n'importe.
Il est vrai qu'il lui doit être rude
Qu'on lui donne sitôt sujet d'inquiétude.
Puisque Oronte est pour elle un amant déclaré,
C'est mal faire sa cour que s'être retiré:
Elle en murmurera.
Je le vois fort à craindre.
Mon malheur est fort grand,mais je n'ose m'en plaindre.
Il me vient d'une part qui m'est trop à chérir
Pour craindre d'essuyer ce qu'il faudra souffrir.
Que faire où la rencontre étoit si surprenante?
Soutenir qu'il vouloit cajoler la servante,
Et qu'a courue au bruit vous lui faisiez leçon...
Mais je ne querellois en aucune façon,
Et même elle m'avoit en entrant écoutée.
Qu'il soit donc chevalier de la dame enchantée.
Car c'est enchantement qu'aimer à soixante ans.
Vous me raillez ; chacun peut-être aura son temps.
Que sait-on ?
Pour le moins il a cet avantage
Que si pour notre tante il sucroit le breuvage,
Ma foi, vous tireriez votre poudre aux moineaux ;
II vous supplanteroit.
Voyez ce que je vaux.
Mon étoile est heureuse, et c'en est une marque.
C'est une rude mer que celle où je m'embarque!
Mais je ne compte à rien tout ce que je prévoi,
Pourvu que cette belle ait du penchant pour moi;
Qu'elle daigne à mon feu permettre l'espérance.
J y vois beaucoup d'ardeur ; s'il a de la constance,
D'une ame généreuse il peut tout espérer.
C'est de quoi cet ami pourrait vous assurer;
C'est un autre moi-même ; il voit toute mon ame.
Pour plus de sûreté d'une éternelle flamme Souffrez que devant lui je vous donne ma foi ;
Qu'il en soit le garant.
Donnez.
Je la reçoi ;
Et pourvu que toujours, et sincère et constante,
Elle soutienne en vous...
Prenez garde ! la tante...
Ah ! dieux !
Ne craignez rien, et me laissez parler.
Scène III
Avant qu'un an ou deux se puissent écouler
Vous aurez une grande et longue maladie.
Quel présage!
S'il faut encor que je le die,
Cet angle qui se ferme à traits presque tirés
Est la mort d'un parent dont vous hériterez.
Bon cela.
De ce bien vous ne jouirez guère,
Car cette ligne jointe à ce triangulaire
Est pour vous, tôt après, la marque d'un couvent.
Ma tante pour le moins m'en parle fort
souvent:
Je le croirais, selon que j'aime peu le monde.
Pensez-vous qu'au couvent cette ligne réponde?
Celle-ci qui s'étend le dénote encor mieux.
Que lui prédisiez-vous ici de curieux?
Du destin qui l'attend veut-elle être éclaircie?
J'ai pris jadis leçon sur la chiromancie,
Et je la débitois sans doute en écolier.
Mais que lui trouvez-vous de plus particulier ?
Qu'elle court grand hasard d'être religieuse. Je vois de certains traits...
Qu'elle seroit heureuse !
Si j'étois à son âge il est sûr...
Ecoutez.
On a dans le couvent la paix de tous côtés,
Au lieu que dans le monde, inquiète, jalouse,
Souvent prendre un époux c'est la mort qu'on épouse.
Il en est donc beaucoup qui cherchent à mourir ?
Depuis quand sur l'hymen savez-vous discourir ?
Vous m'apprendrez bientôt comme il faut qu'on le nomme,
Ce monsieur le baron paraît bien honnête homme.
Toujours quelque enjouement à son discours est joint.
Son humeur me plaît fort.
{{Personnage|La
tante|c}}
Il ne se contraint point,
Il dit tout ce qu'il pense.
II vous a tôt quittée.
Je crois que de tableaux il a l'ame enchantée,
Il ne s'en peut soûler.
II est encor là-haut ?
Je vais l'y retrouver.
Ah ! sans doute il le faut.
Seulement un quart d'heure allez tenir ma place.
(Ras à Oronte.)
Pour causer avec vous voyez que je les chasse,
(Haut à Léandre.)
Je vous irai rejoindre.
Ah ! madame, songez.,.
Mais le baron dira que vous le négligez?
La franchise n'aura jamais rien qui le blesse.
(Bas à Oronte.)
Dites à votre ami qu'il emmène ma nièce.
Vous avez de l'esprit, tirez-vous d'embarras. Pour moi...
De grâce, ami, ne m'abandonnez pas.
{Personnage|Léandre|c}}
Je me rendrais suspect à m'en vouloir défendre. Il faut...
Faites pour moi compagnie à Léandre.
Si l'on peut le savoir qu'est-ce qu'on en dira ?
Aller seule avec lui!
Lisette vous suivra.
Vous êtes scrupuleuse.
Ah! détestable tante!
Scène IV
Je crois que vous devez avoir l'ame contente ;
Du moins pour vous marquer une tendre amitié
Je fais assez pour vous.
C'est trop de la moitié.
Que dira le baron, que croira votre nièce?
La bonne créature est simple et sans finesse ;
Pour l'autre, le ménage offre assez d'embarras
Pour m'avoir donné lieu de faire ce faux pas.
J'ai supposé quelque ordre oublié par mégarde,
Et prié le baron de n'y prendre point garde,
Que je ne le quitlois que pour un seul moment :
Il est libre, et veut bien voir agir librement.
Et puis, quand cette faute iroit jusqu'à l'extrême,
On se pardonne tout, manquant pour ce qu'on aime.
Madame.
Tout de bon, s'il faut ouvrir mon cœur,
Dans votre procédé je vois tant de
candeur,
Tant d'honnêteté jointe à l'ardeur la plus sage
Que, pour quelque repos que m'offre le veuvage,
Je ne me croirois pas être digne du jour
Si je désespérais plus longtemps votre amour.
Perdez donc ce chagrin que votre front déploie.
Vous voulez m'épouser ; j'y consens avec joie ;
Votre peine par là trouve une heureuse fin.
Madame, à tant de gloire élever mon destin!
Mais que dis-je! insensé, c'est bien mal me connoître;
Vous êtes généreuse, et je dois aussi l'être.
Le baron d'Albikrac, charmé de vos appas,
Vous mettra dans un rang où je ne vous mets pas ;
Vous en puis-je sans crime envier l'avantage ?
Je vous l'ai déjà dit, vous avez de l'ombrage ;
Mais pour vous en guérir il nous faut sans façon
Faire épouser ma nièce à monsieur le baron.
De quoi se plaindra-t-il? elle est jeune, assez belle.
Ce n'est point mal pensé; mais répondez-vous d'elle?
Vous lui faites sans cesse un monstre de l'amour ;
Et je crains...
Agissons chacun à notre tour.
Tirez-la quelquefois'à l'écart, et lui dites
Que le baron me choque avecque ses visites,
Et que s'il lui plaisoit vous pourriez m'obliger ,
A souffrir que pour elle il voulût s'engager.
Je favoriserai toutes vos confidences.
C'est agréablement flatter mes espérances.
Je n'épargnerai rien afin de la toucher ;
Mais il ne faudra pas d'abord l'effaroucher.
Comme sans intérêt je lui ferai connoitre
Qu'une fille se perd à vouloir toujours l'être,
Le temps fera le reste ; et prenant toujours soin...
Donnez-vous tout le temps dont vous aurez besoin;
Prenez la plus.commode, et la plus sûre voie,
Vous ne m'en verrez point retarder votre joie ;
Je vous aime, et pour prix d'un zèle si discret
Je vous puis aisément épouser en secret.
M'épouser en secret ! Me voilà bien ; courage !
Ce soir nous signerons, demain le mariage ;
Chez moi je suis maîtresse, et l'hymen contracté,
Lisette étant pour nous, tout est en sûreté.
Quoi ! vous en soupirez?
Ah ! douceurs imparfaites !
Que ne me parliez-vous tantôt comme vous faites?
Mon amour n'eût alors fait scrupule, de rien,
Et Léandre jamais ne m'eût parlé du sien.
Léandre m'aimeroit?
D'une amour éperdue.
Cet aveu me surprend.
Ah! madame, il me tue.
Depuis quand savez-vous que j'ai touché son cœur?
Trop tard pour mon repos, trop tôt pour mon malheur!
Tantôt à l'imprévu vous savez que Léandre
Dans votre cabinet nous est venu surprendre.
Là voyant le baron, plein d'un secret dépit,
« Est-ce là quelque amant pour madame ?»a-t-il dit.
Ayant appris la chose, « Ah ! malheureux ! je l'aime,
A-t-il continué, cent fois plus que moi-même;
Et si mon triste espoir n'est par vous affermi,
Oronte, c'en est fait, vous n'avez plus d'ami.
Je vous cachois toujours cette ardeur violente ;
Mais plus j'approche d'elle, et plus elle s'augmente.
Où je ne la vois point je ne fais que languir. »
A ces mots je n'ai pu retenir un soupir
Ni m'empêcher de dire en faveur de ma flamme
Que vous saviez déjà le secret de mon ame.
« Vous m'avez prévenu? Soyez amant heureux,
M'a-t-il dit, c'est à moi de céder à vos feux.
Quels qu'en soient les ennuis,vous n'avez rien à craindrs
Je mourrais mille fois plutôt que de m'en plaindre,
Plutôt que d'avouer ce que je souffre. » Alors,
Faisant sur sa douleur de violens efforts,
Il a couru vers vous et parlé de peinture.
Vous craignez plus pour lui peut-être qu'il n'endure.
Je saurai son secret.
II voudra le cacher;
Je le connois, en vain vous croirez l'arracher.
Tandis qu'il languira d'ennui, d'inquiétude,
A démentir sa peine il mettra son étude;
Feignant d'être content..,
Nous croirons qu'il le soit.
Le puis-je avec honneur? Madame, il en mourroit.
Comme on ne m'a jamais imputé de bassesse...
Soit pour vous,soit pour lui, voyez toujours ma nièce.
A l'hymen du baron... Mais le voici,
J'en tiens.
Si Léandre...
Scène V
{{didascalie|La montagne
bas à Léandre.|c}}
Suffit, je vais rompre les chiens.
(Haut à la Tante et à Oronte.)
Quoi ! tous deux tête à tête !
Est-ce un sujet de blâme?
Dans ce lieu par hasard j'ai rencontré madame,
Qui parloit pour affaire à quelqu'un de ses gens.
Diable ! que vous savez prendre bien votre temps !
Ces tristes songe-creux valent pis que les autres.
N'importe, vous avez vos desseins, nous les nôtres ;
Et chacun a les siens en son particulier.
Courage, rira bien qui rira le dernier.
En désespérez-vous?
(Bas à Lisette.)
Si tu savois, Lisette...
J'ai toujours bon espoir, et connois ma planète.
Sans rien dire pourtant je vois ce que je voi ;
Mais patience!
Enfin vous vous plaignez de moi?
Eh ! non pas tout à fuit ; mais il faut laisser faire ;
Tout vient avec le temps.
Vois Léandre se taire ;
Qu'il est chagrin!
Toujours quelque mot en passant
A votre confidente.
Il est fort innocent.
Au diable qui s'y fie. Entre vous autres belles
Mille cœurs friponnes passent pour bagatelles ;
Et de vos yeux malins si j'en crois le fracas,
La multiplicité ne vous en déplaît pas.
Sur monsieur l'Auvergnat vous faites fond; mais baste
C'est à tort que...
Vos yeux ont je ne sais quel faste,
Un certain aigre-doux si savoureux pour moi
Que je pâme d'amour sitôt que je vous voi.
Quand nous marierons-nous,ma reine? Sur mon ame,
Je n'en puis plus.
Il faut modérer votre flamme.
Sans cesse auprès de vous le cœur me fait tic tac.
Talez.
Ah!
Vous craignez ce diable d'Auvergnac?
Mais s'il vous entendoit ?
Eh bien, ai-je à lui plaire ?
Je m'en ris.
{{didascalie|Angél
ique à Oronte, qui l'avait entretenue tout bas.|c}}
Non, monsieur, il n'est pas nécessaire.
Qu'est-ce qu'il vous propose ?
Un seul tour de jardin,
Mais elle en fait scrupule.
Ah! c'est jouer au fin.
Vous y pouvez aller.
Je découvre la pièce.
Ce qu'il sent pour la tante il le dit à la nièce ;
Et, ne pouvant ici parler comme il l'entend,
La confidence marche.
II est persécutant. Quoi ! toujours soupçonner?
Bon pied, bon œil, ma tante.
Je ne saurois avoir l'ame trop surveillante ;
Et, comme sans dessein il ne peut s'éloigner,
Au jardin tout exprés je vais l'accompagner;
S'il raisonne, du moins je saurai qu'il raisonne.
Je ne l'entretiendrai que de votre personne,
De ce que vous valez.
Sans vanité, je croi
Qu'il est quelques barons plus mal taillés que moi.
Ce port, cette action?... Ah! ma tante très chère,
Si vous connoissiez bien tout ce que je sais,faire,...
Mais ils sortent, ma foi; je veux suivre leurs pas.
Allez avec ma nièce, et ne la quittez pas.
{{scène|
VI}}
Léandre, me laisser pour une promenade?
J'admirais du baron la plaisante boutade,
Et voulois voir la fin de tout ce différend.
Vous êtes bien secret.
Moi?
Cela vous surprend.
J'écoute le reproche, et n'en sais point la cause.
Eh ! j'en avois déjà soupçonné quelque chose,
Mais mon sexe...
De quoi me voulez-vous parler?
Un homme quand il veut sait bien dissimuler !
Vous ne m'aimez donc pas?
Moi, madame?
Vous-même.
Si sans en rien savoir il se peut que l'on aime...
Que vous êtes injuste ! On me l'avoit bien dit
Qu'à feindre on n'eut jamais tant d'adresse et d'esprit.
{{Personnage|Léandr
e|c}}
Mais qui donc vous a fait ce rapport de ma flamme?
Celui qui comme vous voit au fond de votre ame,
Votre ami.
Quoi ! ces feux, ces amours prétendus,
Vous les savez d'Oronte?
Oui, de lui ; mais bien plus,
Il m'a dit qu'ayant su combien je lui suis chère
Vous prétendiez pour lui renoncer à me plaire,
Mourir plutôt cent fois d'un désespoir jaloux.,.
Madame, Dieu me damne! il se moque de vous; Je n'y pensai jamais.
Vous le voulez bien dire,
Mais...
Où donc en pourroit être le mot pour rire ?
Je dis ce qu'il faut croire.
A quoi bon affecter
De nier un amour dont je ne puis douter ?
Vous le devez pourtant.
C'est vous trahir vous-même.
Ne vous obstinez point...
Enfin donc je vous aime?
Quand d'Oronte aujourd'hui je n'aurais pas appris
Combien d'amour pour moi vous vous sentez épris,
Vous m'en avez tant dit ce malin même encore,
J'ai tant vu dans vos yeux que votre coeur m'adore
Que le mien de vos feux jamais ne doutera.
{{Personnage|Léa
ndre|c}}
J'ai dit, vous avez vu tout ce qu'il vous plaira;
Mais je ne vous aimai cependant de ma vie.
Vous ne m'aimez pas?
Non, et n'en ai point d'envie.
Le terme est un peu fier et même injurieux;
Mais j'en sais le motif, et vous en aime mieux.
Qui peut à son ami sacrifier sa flamme
S'il étoit marié chérirait bien sa femme.
Peut-on assez louer cet effort de vertu?
Mais je vous parle net.
Vous vous êtes trop tu;
C'est d'où vient tout le mal; mais j'y vois du remède.
Sans trop en murmurer ce cher ami vous cède;
Et même, s'il vous faut dire tout aujourd'hui,
J'ai du penchant pour vous beaucoup plus que pour lui
Est-ce en dépit des gens que selon sou envie..,
Non, mais en dépit d'eux on prend soin de leur vie ;
Et souffrir votre mort pouvant vous secourir...
Eh ! faites-moi l'honneur de me laisser mourir.
Si quelques jours encor votre amour se veut taire,
Différons, j'y consens ; mais vous aurez beau faire,
Il faudra malgré vous enfin le déclarer.
Si quelque adroit détour ne m'aide à m'en tirer,
Elle m'accablera. Madame, quand Oronte
De mon amour pour vous vous a fait le beau conte
Ne lui parliez-vous point d'épouser ?
Dés demain
S'il l'eût pu souhaiter.
Vous l'offriez en vain :
Je ne m'étonne plus s'il a joué d'adresse.
Seroit-il marié ?
Non pas, mais...
Eh bien! qu'est-ce?
Ce seroit le trahir que vous en dire plus.
De grâcel
Je ne puis m'expliquer là-dessus; Il romproit avec moi s'il avoit pu l'apprendre.
Je n'en parlerai point.
Je crains trop...
Non, Léandre ;
Croyez-moi.
Vous vouliez récompenser son feu;
La chose est impossible, il est votre neveu.
Mon...
Il m'a fait cent fois jurer de vous le taire.
Quoi ! vous dites?..
Qu' Oronte est fils de votre
frère,
Qui, laissant ce pays pour l'Angleterre, aima La comtesse d'Uspeck, qu'à son tour il charma.
De leurs amours secrets ce fruit serra la chaîne ;
Mais au moins songez bien...
N'en soyez point en peine.
Allons les retrouver. Mais si vous m'aimiez ?
Non,
Madame ; vous savez que j'agis sans façon.
ACTE QUATRIÈME
Scène I
{{Personnage|Oron
te|c}}
Puisqu'il faut essuyer encor cette corvée.
Sois témoin de quel air ma flamme est éprouvée.
Ne quitte point, Lisette, et demeure avec nous.
Vous ne vous sentez pas d'un si cher rendez-vous !
Vos yeux brillent de joie;
Elle est élincelante.
Mais n'as-tu point appris ce que me veut la tante ?
Non ; je sais seulement qu'elle m'a dit tout bas
Qu'à vous prendre à quartier je ne manquasse pas,
Qu'avec vous du jardin ici je me rendisse.
De ses jaloux soupçons il faut fuir la malice ;
Le refus d'y venir pourroit les éveiller.
Ma foi, nous n'avons pas trop sujet de railler.
Dans la rage d'amour où son penchant l'engage,
Quoi que pour l'éblouir vous mettiez en usage,
Elle vous va serrer le bouton de bien prés.
Mais ayant fait Léandre épris de ses attraits,
Cette amorce jetée au moins saura suspendre...
C'est vous être fort mal adressé qu'à Léandre ;
Ce jeu déjà lui semble un ennuyeux parti.
Je ne sais pas encor comme il en est sorti;
Seulement tout riant, sans marques de querelle,
Il est venu nous joindre au jardin avec elle,
Et m'a dit en passant que je l'avois joué.
Croyez qu'il vous aura tout franc désavoué.
Qu'importe ! j'aurai droit de soutenir sans cesse
Qu'il immole à mon feu la douleur qui le presse ;
Et qu'ainsi je serois et sans coeur et sans foi
Si je faisois pour lui moins qu'il ue fait pour moi.
Mais la voici.
Scène II
Jugez si ma joie est la vôtre
Quand je fausse pour vous compagnie à tout autre.
Du jardin tout exprés j'ai su me dérober.
Aussi Lisette sait...
Que vous savez fourber.
Moi?
Ne craignez rien d'elle, elle est ma confidente.
Léandre aura nié l'ennui qui le tourmente?
A quoi bon avec moi faire trop le discret ?
De tout votre artifice il m'a dit le secret.
Un obstacle importun dont votre amour s'étonne
Vous faisoit m'abuser, et je vous le pardonne
Pourvu que l'amitié dont le noeud vous unit
Ne s'aigrisse de rien de tout ce qu'il m'a dit.
Madame, je ne sais ce qu'il vous a pu dire ;
Mais je sais sûrement que pour vous il soupire,
Et qu'il mourroit plutôt que vous l'avoir appris.
On fait l'amour à Londre aussi bien qu'à Paris.
Qu'il s'y fasse, qu'aura cet amour qui me touche?
Je ne veux qu'un seul mot pour vous fermer labouche.
La comtesse d'Uspeck... Vous êtes interdit ?
Léandre m'a joué. Qu'est-ce qu'il aura dit?
N'étant instruit de rien, je ne sais que répondre.
Eh bien! sais-je la carte et ce qu'on fait à Londre?
Madame...
Elle étoit belle ?
Il ne m'est pas permis...
LA TANTE.
Parlez, cela sied bien dans la bouche d'un fils.
D'un fils !
Quoi! jusqu'ici nous avoir fait finesse,
Monsieur, que vous étiez le fils d'une
comtesse!
Madame, il est donc vrai ?
Tu vois qu'il en rougit,
Mon frère en fut épris aussitôt qu'il la vit,
Juge du reste.
Oronte est fils de votre frère ?
A l'air dont il m'avoit écrit pour son affaire
Je pouvois deviner qu'il lui touchoit de prés.
Mais ce qui le fait taire et cause ses regrets
C'est qu'étant mon neveu, quelque amour quif engage,
L'impossibilité se trouve au mariage.
Le tour est d'habile homme, il le faut appuyer.
( Haut. )
Puisque vous savez tout, je n'ai rien à nier,
Pour vous cacher mon sort j'avois feint que Léandre..
Je le sais, mais d'aimer doit-on pas se défendre
Quand on voit que le sang nous en fait une loi ?
Hélas ! combien de fois aime-t-on malgré soi ?
Quand je m'en aperçus si vous saviez, madame,
Les efforts que je fis pour éteindre ma flamme;
Mais toujours mon penchant plus fort que ma raison
De mes sens contre moi soutint la trahison.
Jugez de mon malheur par l'expresse défense
De vous oser jamais découvrir ma naissance ;
Mon père par serment en avoit pris ma foi.
Ce m'est quelque chagrin qu'il se cache de moi ;
Mais, comme jusqu'à vous il ne faut pas qu'il passe,
Devant aimer son fils, venez que je l'embrasse ;
La tendresse du sang eut toujours droit d'agir.
{{scène|
III}}
Quoi, ma tante ! embrasser un homme sans rougir,
Vous qui condamniez tant toute ardeur indécente!
Voyez le bel oison qui remontre à sa tante.
Vous nous épiez donc?
J'entrois sans y penser.
Quand on a des neveux on peut les embrasser.
Oronte est le neveu de ma tante ?
Oui, sans doute.
La seule ardeur du sang est celle que j'écoute,
C'est le fils de mon frère, il m'en a fait l'aveu.
Il est donc mon cousin s'il est votre neveu.
Et je dois comme vous l'embrasser.
Ma cousine !
Vous l'embrassez bien fort
C'est que je m'imagine
Qu'il faut, quand on le voit, régaler un cousin.
Vous vous êtes bientôt ennuyée au jardin.
Comme on médit de tout dans le siècle où nous sommes
J'ai craint qu'on ne m'y vit moiseule avec deux hommes.
Pratiquer vos leçons est mon plus grand souci.
Allez dans votre chambre, et nous laissez ici.
Mon neveu m'entretient d'une affaire importante.
Adieu donc, mon cousin.
Adieu, belle parente.
Le cousinage n'est...
Léandre m'a tout dit.
Scène IV
Sans mentir, vous jouez à lui gâter l'esprit;
C'est pour le~renverser. La flatter d'être belle!
Est-ce qu'elle s'émeut pour une bagatelle ?
Elle a déjà pour soi des soins si complaisans...
Ah ! qu'une fille est sotte à l'âge de quinze ans !
Elle en a prés de vingt, et si, quoi que je fasse,
Vous voyez ce que c'est.
Vingt ?
Qu'elle a bonne grâce
D'en donner à sa nièce et de s'en dérober !
Otez-moi d'un scrupule où je viens de tomber.
D'où vient qu'en lui parlant tantôt de votre flamme
Vous vouliez qu'elle sût le secret de mon ame,
Puisque vous étiez sûr que, quoi qu'on fît pour vous,
Le sang rendoit l'hymen impossible entre nous.
Lorsque l'amour est fort, hélas ! peut-il se taire ?
Ah! pourquoi suis-je né le fils de votre frère ?
Qu'il m'en coûte à la fois de gloire et de bonheur...
Vous vous en faites donc un sensible malheur ?
Tel qu'il passe du ciel tout ce que peut la haine.
C'est trop; jene vous puis plus long-temps voir en peine; Consolez-vous.
De quoi ?
Ce frère prétendu...
Je tremble.
Il ne m'est rien.
Ah ! me voici perdu.
Votre frère l'Anglois n'est pas votre vrai frère?
Non. Quand l'hymen joignit et son père et
ma.mère
Nous étions déjà nés chacun d'un premier lit :
Dés l'enfance.par là l'amitié nous unit;
Les noms de frère et soeur l'ont depuis confirmée.
Lisette !
M'en voilà pour vous tout alarmée.
Vous l'échapperez belle en parant celui-ci.
Donc pour la parenté n'ayez aucun souci.
Lisette ira ce soir nous chercher un notaire.
Et demain en secret... Mais quoi! c'est vous déplaire?
Le chagrin qui vous prend me le fait assez voir.
Que ne vous montre-t-il où va mon désespoir ?
Vous y seriez sensible et forcée à me plaindre.
Sachons donc le motif qui m'y pourrait contraindre;
Pour le fils de mon frère il n'est point d'embarras...
Ne parlons plus d'un nom qui ne m'appartient pas.
Pour me faire son fils c'est trop user d'adresse ;
Jamais il n'eut d'intrigue avec une comtesse ;
Léandre ne l'a feint que pour vous déguiser
Qu' Oronte, quoique amant, ne vous peut épouser.
Qui l'en empêcherait ?
Le malheur qui m'accable.
C'est ne rien dire,
Hélas ! que je suis misérable !
Mais...
Contre un téméraire armez votre courroux.
Scène V
Monsieur, votre avocat vient d'envoyer chez vous,
Il dit qu'on se prépare à vider votre affaire.
Laisse-moi, son succès ne m'inquiète guère; J'ai bien d'autres soucis.
Dites donc ce que c'est.
Je sais qu'à mon destin vous prenez intérêt;
Mais, de grâce, épargnez à l'ennui qui me presse
Ce qu'à taire toujours ma gloire s'intéresse ;
Il suffit que le ciel, de mon bonheur jaloux,
Ne veut pas consentir que je sois votre époux,
Non, non, c'est trop vouloir m'éblouir de vos ruses;
Sur les ordres du ciel ne cherchez point d'excuses ;
Et, sans tant de détours pour fuir ce mauvais pas,
Avouez franchement que vous ne m'aimez pas.
Je ne vous aime pas ! que dites-vous, madame?
Philipin vous dira ce qu'il sait de ma flamme ;
Combien m'a-t-il ouï, tant 'de nuit que de jour,
Me plaindre en vous nommant et soupirer d'amour!
Il a voulu cent fois en avertir lisette.
Votre nom prononcé, notre nuit étoit faite.
Mille doux souvenirs, pour le mieux embraser,
Lui peignoient...
Pourquoi donc ne me pas épouser?
Par un sort si cruel qu'à peine j'en respire.
Mais enfin quel est-il ?
Je ne puis vous le dire.
Vous ne le pouvez ?
Non.
Ce sont là ces beaux feux !
De grâce...
Ah ! Philipin, secours-moi si tu peux;
Suppose, invente, mens.
Moi, monsieur, que dirai-je?
Si bien que le silence est votre privilège!
Il vous faut bonnement croire sur votre Si.
Madame.
Adieu, monsieur, vous vous moquez de moi.
Vos secrets sont à vous, et je vous en tiens quitte ;
Mais, je vous prie aussi, plus aucune visite.
Ah! dieux!
Jamais de vous je n'en veux recevoir.
Quoi ! vous me priveriez pour toujours de vous voir?
Il faut donc que je meure, est-ce là votre envie ?
Non, je veux seulement...
{{Personnage|Or
onte|c}}
Il y va de ma vie.
Vous ouvrant avec moi vous ne hasardez rien.
Je vous aime.
Il est vrai, je le connais trop bien;
Mais il m'est si honteux que vous sachiez l'affaire.
Honteux ou non, enfin ce choix seul est à faire,
II faut me dire tout ou ne me voir jamais.
Parlez donc à Léandre, il sait tous mes secrets.
S'il se tait, s'il craint trop pour un ami qu'il aime,
Je pourrai m'enhardir à m'expliquer moi-même,
J'en chercherai la voie, et sors pour y rêver.
La fourbe est commencée, il la faut achever.
Scène VI
A-t-on rien vu d'égal au procédé d'Oronte?
Quelquefois on a peine à surmonter la honte.
Ah! Philipin, dis-nous...
Léandre sait le tout.
Penses-tu qu'aisément nous en venions à bout ?
Ils s'entendent l'un l'autre.
Et si je vais trop dire,
Quand mon dos pâtira vous n'en ferez que rire.
Va, je prends tout sur moi.
Mais enfin tu sais bien
Que ton maître consent qu'on ne nous cache rien.
Il est vrai.
Vous saurez en tout cas me défendre?
Ne crains rien.
Oyez donc ce qu'il vousplalt d'apprendre.
Un voyage breton, fait très mal à propos,
Aujourd'hui de mon maître est le trouble-repos;
Pour joindre un ennemi qui tirait en arriére
Il se fit appeler monsieur de La Rapière,
Et sous ce nom d'emprunt sut si bien se cacher
Qu'en six jours il trouva, ce qu'il venoit chercher.
Il vit son ennemi, le força de se battre,
Reçut un coup d'épée, et le perça de quatre ;
Et, craignant les prevots, il fuit, et sans façon
Alla chercher asile au château d'un baron.
Le baron, et ce fut le malheur de .mon maître...
On l'appelle?
Et par où le pourriez-vous connoître ?
Au fond de la Bretagne avez-vous des agens?
La naissance en tous lieux fait connoître les gens.
D'Albikrac. On le tient un des plus gatans hommes...
lisette.
Parle bas; ce baron que tu nommes....
Eh bien !
Avec Léandre il est dans le jardin.
Ah ! c'est fait démon maître, et j'en crains bien la fin.
Tu connois à quel point son intérêt m'engage;
Achève.
Le baron fàisbit alors voyage ;
Une soeur qu'il avoit le reçut au château,
Fit panser sa blessure, et puis, c'est là le beau,
En se communiquant tous deux ils s'enflammèrent,
Se virent en secret, en secret se parlèrent;
L'occasion rioit, le diable s'en mêla;
Mon maître fit le fou, la dame pullula,
La voilà grosse enfin de qui que ce pût être.
Quoi ! ne nous dis-tu pas que ce fut de ton maître ?
Je crois qu'à sa grossesse il peut n'avoir pas nui ;
Mais la belle étoit douce à bien d'autres qu'à lui ;
Et, sur quelques soupçons ayant fait sentinelle,
Il entrevit de nuit un galant avec elle :
Alors, ne voulant plus en entendre parler,
Jusques en Angleterre il alla prendre l'air.
D'autre part le baron, dont l'ame est assez fière
Jura d'exterminer le pauvre La Rapière ;
Et sachant au retour ce qui s'étoit passé,
Voilà contre son nom un procès commencé.
Ainsi qu'un vagabond sans feu, ni lieu, ni race,
La Rapière est pendu soudain par contumace.
Jugez si quand de tout il faut nous défier
Mon maître en cet état s'oseroit marier.
Je le blâmois d'abord d'abuser une fille
Dont la gloire intéresse une illustre famille,
Mais qui peut écouter deux galans tour à tour
Mérite la disgrâce où la plonge l'amour.
L'honneur sur un seul choix fixe les feux pudiques.
On se moque aujourd'hui de ces honneurs uniques;
Et chacun, comme il peut, vivant sur le commun,
C'est n'avoir point d'amant que de n'en avoir qu'un.
Mais, madame, cela ne fait point notre affaire.
II faudrait par amis...
L'a-t-on pas voulu faire?
Autant de temps perdu. Ce diable de baron,
Quoi qu'on puisse alléguer, ne change point de ton,
Toujours parle de pendre, et rien à l'amiable.
Le voici : je veux voir s'il est si peu traitable.
Ah ! madame, gardez de lui rien déclarer
Que mon maître avec vous n'en ait pu conférer.
Va, n'appréhende point que je lui puisse nuire.
Il s'en va tout gâter ; comment l'oser instruire ?
Scène VII
Qu'est devenu Léandre ? il n'est point avec vous.
Il entretient tout bas votre futur époux,
D'intention, s'entend ; car, quoi qu'il se figure,
La consommation n'est pas encor trop sûre ;
Jamais onn'a tenu contre les Albikracs.
Je le crois.
Pas trop fou qui suit mes almanachs.
Ils doivent être bons ; mais avant que d'en prendre,
Baron, quand vous aimez, avez-vous le coeur tendre?
Comment, tendre!
Il m'en faut une preuve aujourd'hui.
La Rapière pendu, ta sœur grosse de lui.
Eh quoi! vous hésitez ?
Non, ma poupine veuve :
Ordonnez, j'ai pour vous un cœur à toute épreuve-.
Un certain La Rapière...
Il fut un peu pendu
Pour avoir...
C'est le moins qui lui pût être dû.
Affronter un baron !
Sans doute, il est coupable.
Aussi je vous le fis brancher comme un beau diable ;
Vous l'eussiez vu...
Ce fut devant votre château
Que vous files dresser sa figure en tableau ?
Si jamais il est pris, vous lui ferez grand chère.
Pour peu qu'il parle encore, adieu tout le mystère.
Que diable a-t-il fait croire, et que dit celle-ci?
Voir que vous sachiez tout lui donne du souci.
D'un affront si cruel le souvenir vous fâche ;
Mais les fautes d'autrui ne sont pas...
Ah ! le lâche !
La douleur dont m'accable un si dur souvenir...
Ami, pour un moment, daigne me soutenir,
Je n'en puis plus.
(Il fait semblant de se trouver mal, cl s'appuie sur Philipin, qui lut conte lotit à l'oreille.)
Lisette, il faudrait...
Non, madame;
Ce n'est rien.
Ces malheurs abattent bien une ame ;
Plus la naissance est haute, et plus on les ressent.
Qu'une fille est partout un meuble embarrassant !
Si j'étois que de vous, et que j'eusse une nièce,
Je saurais m'en défaire aussitôt.
Rien ne presse ;
Voyons auparavant quel sera mon destin.
Oronte a su toucher votre cœur ; mais enfin
Le baron, sans réserve, aspirant à vous plaire,
Je prendrais le plus sûr.
J'entends, laisse-moi faire.
Dis qu'il sera pendu tout au moins.
Pardonnez
Le désordre où mes sens se sont abandonnés.
La douleur m'a d'abord suffoqué la parole.
L'accident est de ceux dont rien ne nous console;
Et j'avoue...
II est vrai, je sais qu'il seroit mieux
Que de honte et d'ennui j'en mourusse à vos yeux ;
Mais ma soeur, dont le sexe est moins fort quele nôtre,
A fait une folie, et j'en ferois une autre.
Vivons donc, s'il vous plaît, nonobstant son délit;
C'est son affaire.
Il faut vous en guérir l'esprit,
Et pour faire finir les ennuis qu'il vous cause
Avec que La Rapière accommoder la chose.
Moi j'accommoderais ! Vous ne songez donc pas
Que de tous cas vilains c'est le plus vilain cas !
Comment! dans un château dont l'antiquité brille
Venir de guet-apens déhonter une fille,
Duper sa prud'homie à force de douceurs,
De ma sœur qu'elle étoit la faire de nos sœurs,
Et quand il en est soûl lui tourner le derrière !
Ah! vous serez pendu, monsieur de La Rapière.
Je sais qu'il est coupable, et je l'ai dit d'abord ;
Mais il est des momens où l'amour est bien fort,
Et pour un peu d'empire usurpé sur son ame
Le malheureux qu'il est sera...
Pendu, madame.
A la sœur d'un baron apprendre à provigner !
{{Personnage|L
a tante|c}}
Quoi ! ne pouvoir souffrir qu'on tâche à vous gagner;
Et contre un gentilhomme avoir l'ame si fiére !
Oui, pendu, lui, vous dis-je, et sa gentilhommière.
Ne tient-il qu'à venir affronter des barons?
Par son cou, sans ressource...
Eh bien ! nous le verrons.
M'aimez-vous?
Les transports dont mon ame est suivie
Ne vous font que trop voir...
Donnez-moi donc sa vie ;
Sans cela point de foi.
Qui diable en demi-jour
Vous est déjà pour lui venu faire la cour ?
Vous en a-t-on appris le pays, la naissance ?
Signons sa grâce ; après entière confidence.
Signons puisqu'il le faut, mais à condition
Que vous ne ferez point languir ma passion,
Et que dés aujourd'hui, par bon contrat en forme,
J'aurai droit de vous dire, Attendez-moi sous l'orme.
Sans cela point d'accord.
Vous prendre pour époux
Ne seroit pas sans idoute assez faire pour vous.
Ma nièce est jeune et riche; allez, je vous la donne.
Et moi je vous la rends, vous me la baillez bonne.
Je hais ces yeux fripons dont la malignité
Est, dit-on, fort sujette à la fragilité.
Par la moindre douceur leur friandise émue
Laisse égarer soudain leurs regards vers la nue;
Et pour peu qu'un galant prenne la balle au bond...
Ma nièce ne vit pas comme les autres font ;
J'ai pris soin de l'instruire, et je répondrai d'elle.
D'accord, mais...
Elle est riche, et de plus.. .
Bagatelle!
C'est à vous que j'en veux.
Mes beaux ans sont passés.
J'enlaidis tous les jours.
Plaisez-moi, c'est assez.
Vous ne voulez pas voir que j'avance dans l'âge,
Que je n'ai plus.,.
Tant mieux, vous en serez plus sage.
On m'a parlé de vous, je ne le puis nier ;
Mais sitôt que je songe à me remarier
Les soins que le défunt prit toujours de me plaire,
Ce que pour m'attendrir il s'efforçoit de faire,
Tout cela me ramène un souvenir si doux
Qu'à faire choix d'un autre en vain je me résous.
Je ne suis plus moi-même aussitôt qu'il me frappe.
Vous l'avez bien trouvé, c'est par là qu'on m'attrape
Que Lisette...
Employez et le vert et le sec
Pour me faire passer la plume par le bec;
Nous verrons qui de nous y trouvera son compte.
{{Personnage|
La tante|c}}
Quoi donc...
Vous mitonnez le taciturne Oronte ;
Et si jamais l'hymen le met entre vos bras
Vous prendrez patience, et n'en pleurerez pas.
Mais si je ne sens point pour vous grande tendresse?
Si je n'en sens non plus pour votre sotte nièce?
Qu'a-t-elle de si sot pour vous en dégoûter?
Et qu'ai-je de si laid pour me tant rebuter?
Vingt mille écus pour elle ont entré dans Je masse.
Mille barons et plus sont sortis de ma race.
Mon bien en l'épousant vous est sûr quelque jour.
Vous devenez baronne en payant mon amour.
Mais quand ce ne seroit que cet hymen m'importe.
Serviteur.
A la fin la colère m'emporte.
Ah ! le vilain magot qui refuse les gens !
Ah ! la laide guenon qui jase à soixante ans !
Quoi ! joindre impudemment le mensonge à l'injure !
Soixante ans !
Oui, soixante à fort bonne mesure,
Et je le maintiendrai devant votre mignon ;
Je le connois.
{{Personnage|
Lisette|c}}
Voyez le joli compagnon
Qui nous donne des ans .'...Elle n'en a pas trente.
Le blondinage a l'art de m'escroquer la tante ;
Et chacun pour soi-même agissant comme il peut,
Je laisse heureux Oronte, à qui seul on en veut.
Pour vous garder à lui vous m'avez fait la pièce
De vouloir sottement m'endosser de la nièce.
L'affront pour un baron est un outrage indu,
Mais la Rapière aussi, net, il sera pendu,
Adieu, tante.
Scène VIII
I! s'en va bien outré.
Mais,. Lisette,
Par où sortir du trouble où son refus me jette?
Moi je ne vous dis rien.
Qu'Oronte est malheureux!
Vous courez grand hasard de les perdre tous deux.
Craignant d'être surpris, et que quelque lumière
Ne découvre au baron qu'Oronte est La Rapière, Il Ya gagner pays.
Pour fuir ce dur ennui,
Lisette, allons de tout conférer avec lui.
ACTE CINQUIÈME
Scène I
Quoi ! par un faux baron avoir dupé ma tante ?
La pièce est un peu forte.
Elle étoit important;
Et sans son entremis il s'offrait peu de jour
A vous pouvoir montrer l'excès de mon amour.
C'est lui qui m'a tiré de l'embarras extrême
Où vous m'aviez réduit en feignant que je l'aime :
Et Philipin eût vu sa fourbe sans effet
S'il n'eût pas confirmé le conte qu'il a fait.
La Montagne est adroit, et jouera bien son rôle.
Le bon est que de tout Lisette la console,
Et ne lui laisse voir rien d'égal au dessein
De vous sauver la vie en lui dormant la main.
Elle a si bien tourné son ame irrésolue
Que par elle ou par moi votre affaire est conclue:
On a fait revenir le baron tout exprès.
Ils sont à disputer encor sur nouveaux frais.
J'écoutois tout à l'heure, et d'une ardeur semblable
L'un nommoit La Rapière, et jurait commeuu diable,
Et l'autre soutenoit que, quoiqu'il fût baron,
Sa nièce valoit bien qu'il signât le pardon.
Léandre feint entre eux d'avoir l'ame incertaine.
Il travaille pour nous, n'en soyons point en peine.
Mais pouvez-vous penser, quand ma tante apprendra
Qu'un baron supposé...
Le vrai baron viendra. Je vousjai déjà dit qu'arrêté pour affaire
Il n'avoit su partir comme il le croyoit faire,
Et que par un pouvoir que j'avois d'aujourd'hui
Il me donne plein droit de tout signer pour lui.
Le voici, dans vos mains il sera l'assurance
De l'hymen dont on a flatté son espérance ;
Le baron d'Albikrac, se trouvant des mieux faits,
N'aura pas grande peine à faire notre paix.
Il lui faut jusque là cacher le stratagème.
Mais quand il l'aura vue êtes-vous sûr qu'il l'aime ?
Qu'importe ! elle est fort riche, et lui fort endetté;
C'est son bien qu'il épouse, et non pas sa beauté ;
Pourvu qu'il trouve l'un, il l'acquitte de l'autre.
Que j'aie aussi mon compté en vous donnant le vôtre.
J'aime lisette.
Va, nous songerons à toi.
Après tout votre amour ne tenoit rien sans moi,
Avouez que pour vous La Rapière a fait rage,
J'entends, tu n'en es pas à ton apprentissage.
Le nom de La Rapière et la soeur du baron,
Grâce à son bel esprit, sont traits d'invention.
Le reste est effectif, et regarde l'affaire
Où de tous vos amis l'appui m'est nécessaire.
D'un Breton laissé mort redoutant les parens,
Au château du baron aussitôt je me rends ;
La nuit par son conseil je quitte la Bretagne,
Jusqu'à Londre en secretlui-mème il m'accompagne;
Et, lui devant beaucoup, il m'est doux aujourd'hui
De trouver quelque voie à m'acquitter vers lui.
Par son grand bien la tante est pour lui des plus belles,
Et sur ce qu'il m'écrit...
Scène II
Voici bien des nouvelles :
Armez-vous de constance et faites l'esprit fort;
On va vous prononcer la sentence de mort.
Le baron pour cela se fait tenir à quatre,
De ses emportemens il ne veut rien rabattre ;
Et la tante ne peut y mettre le holà
Qu'en mettant dans vos bras la belle que voilà.
Voyez si vous pourrez souffrir ce coup de foudre.
Va quérir un docteur afin de l'y résoudre ;
Tu vois comme il en a l'esprit tout consterné,
Pour en amener un l'ordre est déjà donné;
Cascaret est couru d'abord chez le notaire.
En croirai-je vos yeux?
Ils ne peuvent se faire,
Et vous marquent assez ce que mon cœur ressent.
Au lieu d'une douceur vous vous en direz cent ;
Mais bouche close ici, renfermez votre joie :
J'ai peur que notre tante avec lui ne nous voie ;
Elle est prête à venir, et le moindre soupçon
Nous feroit avorter la fourbe du baron. Rentrez.
Scène III
Je te dois tout si son cœur est sensible, C'est par toi.,..
Vous qu'il pût être flexible?
De quoi ne doute point un cœur bien amoureux?
Plus l'objet...
Faites bien le plaintif, le piteux;
La tante vient.
Scène IV
La perdre! ah ! douleur qui me tue!
Tâchez d'en avoir l'ame un peu moins abattue;
Si l'on trompe vos feux c'est pour vous secourir.
Ah ! qu'il vaudroit bien mieux qu'on me laissatpérir!
Tu dis que cet hymen lui tient lieu de supplice,
Qu'elle fait en tremblant ce triste sacrifice;
Qu'au baron à regret elle donne la main?
Plaignez-moi; mon malheur, Oronte, est trop certain;
Vous le savez, pour moi l'hymen est une peine,
Par pitié de vos feux j'étouffois cette haine ;
Et pour vous garantir d'un infâme trépas
Il me faut épouser ce que je n'aime pas;
Me livrer au baron.
Au baron! Ah, madame!
Que de douceurs, hélas ! va perdre votre flamme !
La mienne chaque jour, si l'hymen nous eût joints
Eût charmé votre cœur par mille tendres soins,
Je vous aurais chéri, témoigné...
Quelle rage!
Ah ! Pourquoi n'étiez-vous pas plus sage?
Pour la sœur du baron, quoiqu'elle eût de charmant?
Falloit-il de vos feux croire, l'emportement?
S'y trop abandonner, n'en prévoir pas la suite ?
Personne ne veilloit dessus notre conduite:
Hors une vieille tante à tous momens au lit,
Rien ne meltoit obstacle au feu qui nous surprit ;
La belle d'un coup d.'œil forçoit tout à se rendre ;
Je n'étois pas de marbre, elle avoit le cœur tendre ;
Cent faveurs m'assuraient d'un amour mutuel.
Madame, était-ce. à moi de faire le cruel ?
Sans ce gilant urpris elle m'étoit si chère
Qu'afin de l'épouser j'eusse attendu son frère;
Mais plutôt...
Par argent si nous tâchions...
Abus ;
J'ai fait offrir six fois jusqu'à dix mille écus ;
Mais à moins d'épouser...
Il faut donc me résoudre
A devenir sa femme afin de vous absoudre ;
Un veuvage éternel me serait bien plus doux.
Eh bien ! demeurez veuve.
Et que deviendrez-vous?
Le baron a juré votre ruine entière.
Ah ! que si vous pouviez n'être point La Rapière!
Sa rapière a fait sa rage, il en a pris le nom.
Voilà que c'est d'occire !
Evitant le baron,
Que oraindrai-je? Candie est un poste honorable,
J'irai contre le Turc...
J'irai contre le diable ?
Le Turc, madame !
Non, si le ciel ne veut pas
Qu'un doux et chaste nœud me mette entre vos bras.
Du moins, pour m'empêcher de vivre infortunée,
Attachez-vous à moi par un autre hyménée.
Ma nièce...
Elle est pour lui toujours à dédaigner;
C'est pis qu'un hérétique, on n'y peut rien
gagner.
Hors vous rien ne lui plaît.
Mais on la trouve aimable.
Madame, si l'on veut, elle est incomparable ;
Mais je mourrais d'ennui si j'étois son époux.
Chacun voit par ses yeux.
Comme il le baille doux !
L'entend-il?
Cependant, quoi que nous puissions faire,
Le baron sans cela refuse votre affaire;
Point d'accommodement.
Et par quel intérêt ?
Il croit que votre hymen est tout ce qui me plaît;
Que je me garde à vous, et pour son assurance
Il vous veut voir tous deux mariés par avance.
Et ne vous peut-il pas épouser dés demain?
Non, une grande affaire en suspend le dessein ;
Il faut qu'auparavant il retourne en Bretagne.
Et moi je me dispose à faire une campagne ;
Ce que je souffrirais par l'hymen chaque jour
Rend la guerre pour moi préférable à l'amour.
J'y vais prendre parti.
C'est afin qu'on nous tue ;
Il a la rage au cœur de vous avoir perdue,
Madame, ayez pitié du maître et du valet.
{{scène|
V}}
Nous nous sommes lassés de garder le mulet.
Pour pouvoir si long-temps nous laisser en attente
Il faut que vous ayez l'ame bien contestante.
Est-ce fait? Quanta moi, dire et faire n'est qu'un.
Vous avez grande hâte.
Oui, j'en suis importun ;
Mais c'est mon naturel d'être prompt à tout faire.
Signerons-nous ? c'est là ma plus pressante affaire.
Vous aurez le bonheur que votre amour attend.
Nous n'avons point parlé combien d'argent comptant;
Il m'en faut quelque peu, né fût-ce que pour faire
Un train digne du rang de défunte ma mère.
Je suis dans nos quartiers le premier des barons.
Le notaire venu, nous le stipulerons ;
Madame est raisonnable.
Il le faudra superbe.
(A Oronte.)
Vous pensiez sous le pied me pouvoir couper l'herbe;
Blondin; mais, s'il vous plaît, rengainez vos amours.
La tante...
Oui, je l'aimois et J'aimerai toujours.
Et quand vous me l'ôtez, plein d'une fière audace,
Ce trait de raillerie est de méchante grâce.
Si pour vous contre moi ses propres intérêts...
Quoi, diable ! en un besoin il feroit le mauvais !
Allez, je vous accepte avec joie infinie
Pour très digne neveu de notre baronie. .
Je vous donne la nièce, et vous fais son époux.
Non pas, quand il faudrait...
Comment l'entendez-vous,
Ma tante ?
Mais comment l'entendez-vous vous-même?
Ne vous suffit-il pas de m'ôter ce que j'aime?
Faut-il...
Criez, pestez autant qu'il vous plaira,
Savez-vous de ceci ce qui résultera ?
La Rapière... Autant vaut.
Mon cher monsieur...
Madame...
On me le doit livrer.
Que je touche votre ame.
Sauvez un malheureux dont je prends l'intérêt.
Autant que je le puis, je veux ce qui vous plaît;
Mais vous perdre, et penser qu'une autre me fût chère!
Madame vous en prie, il faut la satisfaire.
Mais sa nièce jamais ne voudra...
{{Personnage|La
tante|c}}
Veuille ou non,
J'en réponds.
Elle espère épouser le baron.
Le rang qu'il lient la charme, elle en est entêtée;
Et l'en ayant tantôt par votre ordre flattée...
Lorsque par les parens un hymen est réglé
Je voudrais devant moi qu'une fille eût soufflé,
Comme je vous... Holà! qu'on appelle Angélique.
Pour nièce de par vous me sera-t-elle unique?
Pour moi, j'ai quantité déjeunes baranneaux
Que je vous vais dminer pour neveux tout nouveaux,
Sans le petit Rapière, il n'entre point en compte.
Epousez-la de grâce, et me laissez Oronte.
Epargnez-lui l'ennui de me voir dans vos bras, Il m'aime tant!
Et moi ne vous aimé-je pas ?
Je ne sais.
Quoi ! dix fois on m'a pour La Rapière
Avec dix mille écus fait très humble prière ;
Je le dépens gratis dés que vous m'en priez,
Et malgré tout cela vous vous en défiez ?
Mais vous dites que j'ai...
C'est que je goguenarde.
Vous me trouvez si laide !
Y faut-il prendre garde ?
L'affront me tient au cœur.
Et moi fort à l'esprit.
Avez-vous oublié ce que vous m'avez dit ?
Il faut qu'un galant homme endure tout des femmes,
Et se venger du sexe est des petites âmes.
Quoi ! vous aurez le droit Se m'appeler magot,
Il sera des guenons, et je ne dirai mot?
Je suis pis qu'un démon contre qui m'injurie ;
Je ris quand on veut rire* et j'entends raillerie ;
Et pour vous faire voir qu'on ne me peut payer,
Sitôt qu'il vous plaira nous entre tutoyer,
Sans rancune et sans fiel, volontiers, va, mignonne,
Je serai ton magot, tu seras ma guenonne
Nous choisirons ainsi cent jolis petits noms.
Scène VI
La belle, il faut vouloir ce que nous ordonnons,
C'est sans aucun appel; en fille obéissante
Oyez ce qu'avec nous a résolu la tante.
On vous donne un époux, monsieur prend ce souci.
Faites la révérence, et dites grand merci,
Bouchonne: dés demain vous aurez l'avantage
De savoir quelle joie on trouve au mariage.
Pour réveiller les sens rien n'est plus souverain.
Oronte dés tantôt m'a dit votre dessein ;
J'avois pour le couvent l'intention fort bonne,
Mais pour m'ouïr nommer madame la baronne,
Me voir grand équipage.,.
Ah! friand petit nez,
De votre chef ainsi vous vous embaronnez !
En fait de ce qui flatte et doit donner à rire,
La chatte a le goût bon et ne prend pas le pire.
Ne m'aviez-vous pas dit que vous vouliez...
Tout doux!
Un baron tel que. moi n'est pas viande pour vous;
Un mets si délicat n'est que pour une tante.
Ma tante sans mari vit heureuse et contente;
Et plutôt qu'à l'hymen on la pût disposer
Elle ferait...
II faut vous entendre jaser.
Où va-t-elle?
Je sors de peur de vous déplaire,
Vous ne vous sauriez donc marier et vous taire ?
Venez, voilà le beau qu'on vous a destiné.
Oronte !
Il est dispos, alégre, bien tourné. ;
N'importe.
Vous voulez, je pense, être priée ?
Je suis trop jeune encor pour être mariée,
Voyez, elle en mourrait.
{{Personnage|La mon
tagne|c}}
Que d'importuns débats!
Finissons en deux mots. Veut-on? ne veut-on pas?
Mais en quoi mon hymen importe-t-il au vôtre,
Pour vouloir que...
C'est là me prendre pour un autre.
Il me faut faire un tour en Bretagne, et tandis
Vous auriez tout loisir de vous être ébaudis.
Moi parti, La Rapière absous, la chère tante
Vous prenant pour mari croirait vivre contente ;
Il n'est contrat signé qui m'en pût garantir.
Eh bien, mariez-vous avant que de partir.
Un jour plus.un jour moins ne vous importe guères.
Et...
Mon futur neveu, chacun sait ses affaires.
Donnez la main.
Moi ?
Vite, et sans plus raisonner.
La sotte !
Donnez-la puisqu'il la faut donner.
Vous fâchez votre tante.
Elle en parle à son aise.
Quand on a des barons...
Vous plalt-il qu'il vous plaise?
Il faut bien obéir, mais je ne réponds pas
Qu'à vaincre mon dégoût jamais Oronte...
{{Personnage|La montag
ne|c}}
Hélas !
On s'accoutume à tout. Demain donc sans remise
Dans les bras de l'époux l'épouse sera mise.
Cela fait, je déloge et pars en sûreté.
Mais madame en a-t-elle autant de son côté ?
Si pour vous de sa foi mon hymen est le gage,
Il lui faut contre vous un pareil avantage,
Qu'après votre intérêt vous assuriez le sien.
Dépendre La Rapière est donc compté pour rien ?
Sans l'honneur de ma sœur, qui ne vaut pas grand chose,
Ce sont dix mille écus dont ma tante dispose ;
Et pour vous faire voir que j'agis franchement
J'y veux bien ajouter encor ce diamant :
Il n'est pas des plus laids.
Madame, comme il brille !
II est de prix.
C'est presque un titre de famille;
Des seigneurs Albikracs il vient de père en fils;
L'an est gravé dessous, mil deux cent trente-six.
Si l'on ne m'en croit pas, en rompant...
Non, de grâce,
On ne peut mieux prouver une ancienne race.
Nous la montrerons telle, et vous ramènerons
Pour nous voir marier quinze ou trente barons.
Si la noblesse a droit' de chatouiller votre ame,
Je vous en garantis satisfaite.
Scène VII
Madame,
Le notaire est venu.
Bon, allons tous signer.
Ma soeur en l'apprenant voudra se mutiner ;
Mais elle a fait la faute, il faut qu'elle la boive.
A son propre repos il n'est rien qu'on ne doive ;
Goûtez-le sans chagrin.
Par la permission
De très haut, très puissant monseigneur lé baron,
Que j'épouse lisette.
Elle n'est pas novice.
Tu choisis bien.
Monsieur, je la crois de service;
C'est bien mon fait par là,
T'aîme-t-elle?
A peu prés.
Viens signer avec nous, tu danseras après.