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Le Beau Voyage (1916)/Petites filles

La bibliothèque libre.
Bibliothèque-Charpentier (p. 25-26).

PETITES FILLES

Les infantes madrilènes, goûtant de miel,
Attendent le réveil tardif de leurs poupées,
En silence et en rang, graves, préoccupées
De leur soin puéril et confidentiel.

Elles ont la diligence des caméristes ;
Et, tandis qu’au jardin président les cyprès
Et les jets d’eau baissés qui s’éteignent auprès,
Elles cachent leur rêve en leurs paupières tristes.

Comme à notre semblant de soucieux humains
Qui vivons, dans nos anxiétés, à la garde
D’on ne sait quel éveil mystérieux qui tarde
Et qui rend lourd le poids de l’heure entre les mains,

Pendant que loin du cœur, pour nous comme pour elles,
Continuent sur leur ombre à fleurir les jasmins.
Et que flotte au-dessus de l’asile des pins
La présence protectrice des tourterelles.

Mais soudain, leur tartine achevée, et toujours
Répondant à leur joie imperceptible et coite,
Les infantes du roi se lèvent toutes droites,
Et s’acheminent à pas lents, aux pieds des tours.

Car, avec un grand bruit chimérique d’épées,
L’heure a sonné, et ces infantes, sagement,
Savent bien que c’est l’heure et que c’est le moment
Où s’ouvre au fond des lits l’œil tendre des poupées.