Le Berger extravagant/Livre 11

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Tandis que les uns jouoyent et que les autres devisoient en la salle d’Oronte, Anselme qui avoit esté plusieurs jours sans parler à Angelique que de choses indifferentes, prit resolution de l’entretenir à l’écart, pour ne plus languir dans un martyre secret. Elle ne se monstra pas si rigoureuse que beaucoup d’autres fois, quand il sembloit qu’elle voulust eviter sa rencontre. Elle se tint aussi librement au lieu où il la vouloit aborder, que si elle luy eust donné assignation. Jusques à quand sera-ce, luy dit-il, que je seray affligé sans sçavoir si mes fautes en sont cause, où si c’est ma mauvaise fortune seulement ? Si j’ay commis quelque crime qui vous offence, il faut que vous m’en avertissiez, afin que je n’y retourne plus, et que l’horreur de mon peché me serve de punition. à la premiere fois que je commençay d’avoir de l’accez pres de vous, je ne trouvois rien dans vos actions, ny dans vos paroles qui ne me donnast des presages d’une parfaite prosperité, mais maintenant tout est changé pour moy, et quand mes services meritent le plus, c’est lors qu’ils sont le moins recompensez. Je pensois m’estre assez justifié envers vous il y a quelque temps, mais il faut qu’il y ayt encore quelque chose qui s’oppose à mon bon-heur. Considerez quel tourment me donne vostre mespris, puisque vous estes encore plus parfaite et plus aymable que Philiris ne nous a tantost voulu faire croire. Anselme ayant tenu de semblables discours avec assez peu d’ordre, pource qu’il faloit qu’il tesmoignast que la passion luy commandoit, Angelique luy respondit de cette sorte. Je voy bien que ce que j’ay predit est arrivé. La belle harangue que Philiris m’a tantost faite, vous a donné de la jalousie ; c’est pour cela que vous estes en si mauvaise humeur : vous estes bien aysé à piquer. Je ne tire point de consequence, de ce que Philiris vous a dit tantost, reprit Anselme, je pren en jeu les choses qui n’ont esté faittes que par jeu, et je vous asseure que ce n’est pas d’aujourd’huy que ma mauvaise humeur commence, c’est depuis l’instant que vous avez mesprisé les temoignages de mon amour. Vous me poursuivez avec tant d’opiniastreté, dit Angelique, que pour vous satisfaire, je vous apren qu’encore que je sois asseuree que vous n’aymez plus Genevre, il y a une chose qui m’oblige à vous tenir pour une personne indifferente, c’est qu’au lieu de cette premiere maistresse, vous en avez une autre qui vaut trois fois pis. L’on m’a parlé d’une clarice, pour qui vous avez tant d’amour que quand vous estes à Paris, vous ne bougez de chez elle, et la menez souvent au cours. Ha, dieu ! Qui vous a dit cela ? Reprit Anselme, n’est-ce point Alican ? Il est vray que c’est luy, dit Angeloque, il m’est venu voir à Sainct Clou sans que vous en ayez rien sceu, et c’est alors qu’il m’a apris de vos nouvelles. Voyla le plus grand imposteur du monde, repliqua Anselme, maintenant que je sçay le crime dont je suis accusé, je vous monstreray facilement mon innocence, pourveu que vous vouliez prendre la peine de m’écouter. Je ne suis pas si injuste, que je ne vous donne la liberté de dire tout ce qu’il vous plaira, repartit Angelique. Anselme ayant donc la permission de parler sur l’affaire qui se presentoit, commença son discours de cette sorte. Je croy que vous sçavez bien que cette Clarice est une perduë, qui est à qui plus luy donne. Il y a six mois que m’ayant veu quelque part, elle prit resolution de m’avoir pour serviteur. Je ne dy pas cecy par vanité, et pour quelque estime que je fasse des qualitez que j’ay en l’esprit ou au corps, car je n’ignore pas qu’elle ne cognoist point d’autre merite que les richesses. Elle faisoit tout ce qu’elle pouvoit pour se rencontrer aux eglises où j’allois, afin qu’il me prit quelque envie de l’aymer, mais je ne songeois non plus à elle que si elle n’y eust point esté, tellement qu’elle se proposa de

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m’attraper par quelque invention. Comme je me pourmenois un soir tout seul sur le mail de l’Arsenac, un soldat me venant aborder me dit ces paroles, monsieur, j’ay apris que vous estes homme qui faites cas des choses rares, c’est pourquoy je me donne la hardiesse de vous acoster, pour vous aprendre que j’ay un amy qui a les plus beaux secrets du monde. Ma curiosité fit que je prestay librement l’oreille à ce discours, et quoy que je sceusse qu’il y a beaucoup d’imposteurs dans Paris, je voulus encore esprouver si cettuy-cy en estoit un. Je demanday au soldat dequoy se mesloit principalement l’homme dont il parloit ; il me respondit qu’il m’apprendroit par une certaine science, quelle fille je devrois espouser, et apres il me parla si pertinemment de beaucoup de choses, que je le pris pour quelque honeste personnage, et luy permis de me reconduire jusques chez moy. Je luy dy à son depart, que j’avois grand desir de voir son amy, et qu’il me vinst trouver le lendemain au matin pour m’y mener. Il ne manqua pas à l’assignation, de sorte que j’allay avec luy jusqu’a une petite maison des marais du temple, où estans entrez, il me dit que son amy n’y estoit pas, et qu’il falloit attendre dans la chambre de l’hoste. Cette chambre estoit aussi basse que la cour, et me sembloit si mal propre, que j’eusse mieux aymé me tenir dans la ruë. Les espees et les hallebardes estoient dessus la cheminee en mesme ratelier que les broches. Deux ou trois sabots estoient attachez au jambage, l’un pour servir de saliere, et l’autre pour mettre le noir, les allumettes et les espices. Il y avoit au dessous des boisseaux renversez pour servir de tabourets, et tout alentour de la chambre je ne voyois point d’autres sieges. Au bout il y avoit un retranchement de natte pour faire un petit lieu qui servoit de garderobbe et de garde-manger tout ensemble, et ce fut de là que l’on me tira une mechante escabelle boiteuse sous l’un des pieds de laquelle il falut mettre le bout d’un baston de cotret pour le rendre egal aux autres. Je m’assis là dessus comme un president dans sa chaire, et cependant le soldat s’amusoit à repeter les cinq pas qu’il avoit apris depuis peu. Celuy que nous attendons viendra bien tost ( mé disoit-il quelquefois) il m’a promis de se trouver icy à onze heures. Je l’eusse fait venir chez vous sans vous donner la peine de venir ceans, mais la pluspart des choses dont il se sert en ses operations ne sont pas portatives. Je luy respondy qu’il faloit avoir patience, puis qu’il tarderoit si peu à venir, et que je ne voulois pas que ma peine fust perdue. Une heure s’estant passee en ces beaux discours, le soldat me dit en fin qu’il estoit d’avis d’aller chercher son amy, et là dessus il me quitta. Il me venoit quelquefois en l’esprit, que c’estoit icy un afronteur, qui alloit querir ses camarades pour me voler, et toutesfois je ne voulus pas m’en aller encore, pource que j’avois l’esprit trop resolu, bien que je n’eusse

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point amené de laquais à ma s uite, afin que personne ne sceust où j’allois. Rien ne me faschoit tant que la faim qui commençoit à me gaigner, n’ayant pas mangé de tout le jour ; sans cela je me fusse bien disposé à attendre là jusqu’au soir, tant j’avois envie de voir un magicien. Je demanday donc au maistre du logis s’il avoit disné, et m’ayant respondu qu’il avoit si bien desjeuné qu’il ne mangeroit point jusqu’au soir, je luy dy franchement que je n’en estois pas de mesme, et que j’eusse bien voulu qu’il m’eust fait apporter quelque chose. Je n’avois point d’autre monnoye qu’une pistole que je luy donnay pour aller à la provision : mais il y demeura si long temps, que je croyois qu’il eust pris la fuite avec mon argent, me laissant maistre de ses meubles, car tout ce qui estoit en sa maison ne valoit pas ma pistole. En fin il revint avec du pain seulement, et s’en retourna apres pour avoir autre chose encore. Ne pouvant manger tant de pain sans boire, j’en donnay beaucoup à un chien qui abayoit apres moy, comme si j’eusse esté un voleur. Apres l’avoir appaisé, il arriva qu’un gueux m’importuna tellement en demandant l’aumosne à la porte, que je luy donnay toute ma provision pour le faire taire. Il sembloit que le chien en fust envieux, et depuis il voulut encore me quereller. Voyant que son maistre ne venoit point, je me fusse bien mis sur la porte pour voir si je ne l’apercevrois point à quelque bout de la ruë, mais j’avois peur qu’il ne passast quelqu’un de ma cognoissance, et qu’il ne s’estonnast de me voir en ce lieu. L’hoste revint une demie heure apres son depart, portant une bouteille de vin et un alloyau à moitié cuit. Apres qu’il m’eust rendu mon reste je luy donnay dequoy avoir d’autre pain, et me contentay d’en manger et de boire un coup. Il me dit qu’il ne sçavoit à quoy il avoit songé jusqu’alors de me laisser dans sa chambre basse qui estoit fort mal accommodee, veu qu’il avoit la clef de sa chambre haute qui l’estoit mieux, dans laquelle couchoit la personne que je demandois. Il me fit monter à l’instant jusqu’à cette chambre où il y avoit une tapisserie de Bergame et un petit lict assez bien aproprié : mais je m’estonnois sur tout de ne voir là, ny livres, ny instrumens de mathematique, ny autre chose necessaire à un homme sçavant. Vous me pardonnerez bien, belle Angelique, si je vous dy tant de particularitez. Il ne faut pas s’estonner si je vous rapporte des choses plaisantes, encore que j’aye tant de sujet d’estre triste, car c’est que je force mon humeur pour le faire, sçachant que cela vous agree. Vous sçaurez donc que l’hoste m’ayant laissé seul dans sa chambre haute une jeune damoiselle y monta peu de temps apres, et me demanda ce que j’y faisois, et si je desirois parler à elle. Je fus fort estonné de la voir au lieu du magicien que j’attendois, et je dy en moy-mesme ; celuy à qui je veux parler sçait il des-ja mon dessein ? N’a t’il point

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apris que j e luy voulois demander quelle femme j’aurois, et pour me satisfaire sans me voir, ne m’envoye t’il point celle-cy, qui est possible de ses amies, afin de me faire accroire que c’est d’elle que je doy devenir amoureux ? Quoy que j’eusse cette pensee je ne laissay pas de respondre à la damoiselle, que l’on m’avoit mené en ce lieu pour parler à un homme à qui j’avois affaire, mais que l’on m’avoit abusé. Elle me repartit qu’elle estoit fort redevable à une telle tromperie qui luy donnoit le moyen de me connoistre, et là dessus elle se mit sur beaucoup de petits discours assez libres, ausquels je respondy avec la courtoisie que les hommes doivent garder. à la fin estant las de ces discours, et voyant que le soldat ne venoit point, je pris congé d’elle. En me reconduisant elle me dit, que toutes les fois que je me voudrois venir reposer en sa chambre je luy ferois beaucoup de faveur. Sans ces paroles je n’en eusse possible rien soupçonné de mauvais, pource que je trouvois en elle une certaine gravité qui n’est pas commune aux filles abandonnees : mais d’ailleurs le lieu où elle demeuroit, et sa servante et son laquais d’assez mauvaise mine, me la rendoient suspecte. Je m’en retournay donc chez moy tout pensif pour mon avanture, et deux jours apres il arriva que je rencontray Alican dans une academie de jeu. Luy ayant fait connoissance je luy parlay de la damoiselle que j’avois veuë, et comme il connoit beaucoup de monde, il me dit aussi tost que c’estoit Clarice, et qu’elle estoit d’assez bon lieu, mais que les procez l’avoient renduë si pauvre, qu’il n’y avoit personne qui ne s’imaginast que pour s’entretenir brave, elle vendoit ses faveurs aux uns et aux autres ; toutefois qu’il ne le croyoit pas, d’autant qu’il n’avoit pû encore rien obtenir d’elle. Il ne falloit pas qu’il manquast de donner icy ce traict de vanité. Je le fy mettre apres dans mon carosse, et malgré moy il me mena chez ceste Clarice, me disant qu’il gouvernoit bien cét esprit là, et qu’il la mettroit sur des entretiens qui me donneroient du plaisir. Je ne vous nie point qu’ayant trouvé Clarice j’eus plus de satisfaction de ses discours que de ceux d’Alican, car c’est bien le plus impertinent homme que l’on puisse trouver. Il la pria luy mesme de venir au cours avec nous, et je fus ainsi engagé à luy mener. Voyla ce qu’il vous a voulu dire. Depuis je n’ay eu aucune frequentation avec Clarice. Il vous a faict accroire que je l’aymois, afin que vous m’eussiez en hayne, et qu’il n’y eust rien qui empeschast que vous luy portassiez de l’affection, car je ne doute point que ce ne soit un de ses principaux desseins. S’il n’avoit point d’autre vice que la trahison et l’infidelité, encore croyroy-je qu’il y auroit moyen de faire quelque chose de bon de luy, mais tant de mauvaises qualitez se trouvent en sa personne que je n’oserois en parler, de peur que vous ne croyez que je me vueille loüer en le blasmant. Voyla Montenor qui vous dira mieux

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que moy une partie des actions de cet homme illustre de ce siecle. Angelique a qui veritablement cét Alican avoit parlé d’amour sans qu’elle l’eust agreable, eut beaucoup de desir de sçavoir sa vie, tellement qu’elle appella Montenor qui venoit de quiter le jeu. Je vous prie, luy dit elle, contez nous un peu quel homme c’est qu’Alican, nous avons fort envie de le sçavoir. Celuy dont vous me parlez, ce dit Montenor, est fils d’un gentil’homme fort riche, mais le plus avaritieux qui fut jamais. Durant sa derniere maladie l’on luy conseilla de changer d’air ; il respondit qu’il vouloit bien aller à sa maison des champs, mais qu’il faloit que ses deux bons amis y allassent avec luy. L’on ne manquera pas de les y faire tro uver, luy dit on ; l’on croyoit veritablement qu’estant sur le poinct de mourir comme il estoit, les deux bons amys ausquels il songeoit, ne pouvoient estre autres que son medecin et son confesseur, qui estoient les personnes dont il avoit le plus affaire ; mais quand l’on fut sur le depart, il fit connoistre que par ces deux bons amis, il entendoit parler de deux coffres forts où il mettoit tout son argent. Comme l’on luy disoit qu’il avoit tort de songer à cela avec tant d’affection il respondit que c’estoient de vray ses meilleurs amys, puisqu’ils l’assistoient en tout temps luy faisant obtenir la meilleure partie de ce qu’il desiroit, et qu’il y avoit mesme fort peu d’hommes au monde qui l’aimassent autrement que par leur moyen. Aucun de ses parens n’estant d’avis que l’on transportast tant d’argent de chez luy, à cause des mauvaises rencontres que l’on pouvoit avoir, le malade demeura dans la ville ; et l’on remarque de luy une admirable chose. Quoy qu’il fust reduit à l’extremité, il vouloit encore faire toute sa despense, de peur que son fils et ses valets ne le trompassent : de sorte qu’il avoit dans son lict un gros sac plein de quarts d’escu, sur lequel il appuyoyt tousjours un bras, comme si c’eust esté un oreiller, et quand il faloit quelque chose pour le mesnage, il donnoit luy-mesme dequoy l’acheter. Un jour il luy prit fantaisie d’aller en son cabinet, pour voir si ses deux coffres forts estoient en tel estat qu’ils souloient, et bien qu’il fust fort malade alors, il le falut porter au lieu où il desiroit. Ayant ouvert un de ses coffres à peine, et s’estant mis à genoux sur un oreiller pour contempler son tresor à son ayse, il mourut là subitement. Il ne faut pas juger des morts, mais je ne me sçaurois tenir de dire qu’il trespassa en une tres abominable posture : car il estoit au mesme estat que s’il eust voulu adorer son argent. Dieu permit ceste malheureuse fin pour donner exemple aux autres, et je croy fermement, qu’il n’y a point de peché à raporter les vices de ces gens là, pour exhorter tout le monde à vivre mieux. Alican ayant esté laissé seul heritier, fait bien paroistre que la justice divine ne veut pas que tant de richesses demeurent en cette famille, car il est

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aussi prodigue que son pere estoit avare, et celuy-là est son grand amy, qui luy enseigne le plus d’inventions pour faire de la despence. Neantmoins m’ayant presté une fois une pistole dans une eglise pour donner à une questeuse, à laquelle je ne voulois pas refuser, il ne me void pas une fois qu’il ne me l’a redemande par caprice, me disant qu’il n’entend pas que je fasse des aumosnes à ses despens. Je luy respons presque tousjours que j’atten à le payer lors qu’il aura tout dissipé, et qu’il n’aura plus rien du tout, pource qu’alors une pistolle luy vaudra plus que mille, et qu’il me remercira de la luy avoir tant gardee. Il prend tout cela en risee, mais je le dy tout à bon, car je croy qu’il trouvera bien tost la fin de ses moyens à faire la vie qu’il mene. S’il a perdu quelque argent au jeu il jettera tout le reste par la fenestre ; et il n’y a que les laquais qui sont en bas qui l’en loüent. Jamais il ne marchande ce qu’il achete, à cause qu’il s’estime tant, qu’il croiroit s’estre abaissé, s’il estoit demeuré en une longue contestation avec des hommes de la populace. Au reste il a des sottises nompareilles, lesquelles sont si visibles, que tous ceux qui le rencontrent jugent sans le connoistre qu’il a de l’extravagance dans l’esprit. Ses habits ont tousjours quelque chose d’extraordinaire, soit pour la façon, soit pour les couleurs, et outre cela il a une infinité d’ornemens affectez. Il faict souvent accroire qu’il a esté saigné ou qu’il a receu quelque coup d’espee dans le bras en une rencontre, afin d’avoir occasion de faire voir une belle escharpe qu’il a gaignee a la foire. Il porte des pendans d’oreilles de toute sorte ; il attache de petites croix d’or ou quelques autres affiquets au bout des cordons de sa moustache. Il a tousjours quelque bracelet qu’il tasche de faire paroistre, et quelque nœu à son chapeau pour faire croire qu’il a receu des faveurs de quelque dame. Il porte aussi ordinairement de petits nœus aux coustures de ses souliers lors qu’il est en bas de soye ; enfin si l’on le considere de tous costez l’on trouvera qu’il n’y a partie en luy où il n’y ait ainsi quelque chose qui n’est pas du commun. Avec tout cela s’il arrive qu’un matin quelque maistresse ne luy ayt pas fait bon visage, il en donne le tort à son habit qui a quelque chose qui ne la sçauroit charmer, et il ne manque point d’en prendre un autre l’apresdisnee pour luy plaire d’avantage. Cela le rend si soigneux d’estre bien vestu, que quand il veut quelquesfois s’habiller de nouveau il fait venir quatre maistres tailleurs en consultation, de mesme que l’on assembleroit quatre fameux advocats pour donner leur conseil sur quelque affaire, et il leur donne de l’argent pour leur faire aviser ensemble de quelle sorte il se fera vestir pour son hiver ou pour son esté, et quelles sont les modes les plus somptueuses. Il faut que les laquais se sentent de l’extravagance de celuy qu’ils servent, et que l’on connoisse aussi tost que l’on les

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void qu’Alican n’est guere sage. Quelquefois ils ont des basques en pointe, et quelquefois par escaille. S’ils ont porté une année des manteaux à manche, ils auront apres des capes à l’espagnolle. Leurs habits sont souvent de pieces raportees comme ceux des harlequins, ou bien ils sont chamarrez de galon avecque des chiffres et des lacs d’amour, de sorte que l’on dit par tout qu’ils portent plustost les livrees de la follie que celles de la maistresse de leur maistre. Je ne blasme pas cecy pour estre ennemy de la proprieté et de la gentillesse des courtisans ; j’ayme bien à voir des gentils hommes bien vestus et leur train aussi, pourveu que ce soit selon l’usage ordinaire : mais Alican comme je vous dy, ne se contente pas d’habiller ses gens à la fantasque, ainsi que font plusieurs, il le veut estre pareillement, afin que tout soit d’une parure, et que l’on ne croye point qu’il ayt des valets empruntez. Outre cela il a des impertinences fort grandes. Il vouloit un jour porter un miroir au fonds de son chapeau, afin d’y voir continuellement s’il auroit bonne mine lors qu’il parleroit à des dames. à peine peut on croire combien, il donne de peine à son manteau, et a son chapeau en les retroussant si souvent comme il fait, et je m’imagine que c’est pour monstrer qu’il n’a rien maintenant que de tout neuf, au lieu que du vivant de son pere, il n’avoit rien qui ne vinst de la friperie, de sorte que tout estoit si meur qu’il n’y osoit toucher. Un jour mesme estant à la porte d’une eglise, comme il vouloit saluer une damoiselle qui entroit encore qu’il ne la connust pas, car sa galanterie estoit desja fort grande, en remettant son chapeau de colere, pource qu’elle ne luy avoit pas rendu son salut, il tira le bord si ferme sans y penser, qu’il le fit tout rompre et l’amena jusques pardessous son nez comme la visiere d’un casque. Cela se passa devant beaucoup de gens à son infamie, et son recours fut de jurer qu’il tueroit le chapelier qui luy avoit vendu un si mauvais castor. Il se recompense donc maintenant du temps qu’il a passé en si mauvais equipage, et je croy qu’il y a long temps qu’il souhaite de se voir en l’estat ou il est, et qu’il ne voudroit pas avoir racheté la vie de son pere. Son principal desduit est d’aller aux eglises et à la pourmenade pour se monstrer. Quelquefois il prend beaucoup de plaisir a mener un carrosse dans Paris, et c’est en cela qu’il croit avoir fait un bon tour, encore que la gentillesse en soit fort vieille. Que s’il se tient à la maison il est si fayneant qu’il ne sçait ce que c’est de lecture ny de chose semblable, et n’a point d’autre occupation que de se tenir à la fenestre pour jetter des poix aux passans avec une sarbatanne, ou que de s’amuser à d’autres divertissemens dont il est redevable à ses laquais qui les luy ont apris. Encore luy pardonneroy-je, s’il assortissoit bien toutes ses friponneries, mais apres avoir attaqué des hommes de ville qui luy rendent de bonnes reparties, il n’a point de meilleur mot que

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de les appeller bourgeois. Quant à son entretien ordinaire il est aussi fad e que l’on puisse dire ; il ne vous parlera jamais que des pistoles qu’il a gagnees ou perduës, et des beaux desseins d’habits qu’il a, lesquels il vous monstrera tracez sur du papier comme quelques desseins d’architecture. Je pense vous en avoir assez dit pour vous le faire connoistre, et vous pouvez juger facilement à cette heure cy, que dans toutes les actions d’un tel homme il y a de la sottise meslee. Je suis desja las de vous avoir entretenus si long temps sur un suject si mesprisable. Angelique estoit fort resveuse en escoutant le discours de Montenor ; elle songeoit en elle mesme qu’il eust beaucoup valu pour elle que sa mere l’eust ouy aussi, afin qu’elle sçeust quel homme estoit Alican, car elle s’imaginoit que Leonor eust de la bienveillance pour luy, et qu’elle eust bien voulu l’avoir pour gendre. Anselme voyant qu’elle ne disoit mot la voulut exciter à parler par cette demande ; hé bien, que dites vous maintenant de ce courtisan illustre ? Croirez vous desormais un homme qui se desguise tous les jours aussi bien par ses paroles que par les habits ? Vrayement, respondit Angelique, je ne vous puis dire autre chose, sinon que Clarice seroit bien son faict, et qu’il la devroit espouser. Je suis de vostre opinion, repliqua Anselme, et croyez qu’il ne doit point avoir de jalousie pour moy de ce costé là. En suite de ce discours Montenor s’estant retiré pour aller reprendre les cartes, Anselme pressa encore Angelique de si pres, qu’elle luy confessa ouvertement qu’elle ne croyoit plus qu’il eust l’ame si basse que d’avoir jamais aymé Clarice, qui bien qu’elle fust extremement belle, avoit la reputation de n’estre guere honeste, et pour Alican elle fit assez voir le peu d’estime qu’elle faisoit de luy. Ce fut alors qu’Anselme commença d’avoir une bonne esperance, et Angelique qui l’aymoit veritablement, ne put user d’avantage de ses dissimulations ordinaires. Elle luy fut si favorable que lors qu’il luy eust demandé le moyen de la voir en particulier pour l’entretenir sur son affection, elle luy dit qu’il la pourroit voir le lendemain sur le tard, mais qu’elle ne le pouvoit encore asseurer du lieu. Cette promesse le contenta extremement ; il la remercia le mieux qu’il put avec des discours fort courts, d’autant qu’il luy sembloit qu’ils estoient espiez de tout le monde, et qu’il venoit tousjours quelqu’un vers eux pour sçavoir ce qu’ils disoient. Pour luy il avoit cet artifice de parler tout haut alors, et de tenir quelques paroles indifferentes, afin que l’on crûst que le reste du discours estoit de mesme. Quand les joüeurs furent d’avis de se retirer, il s’en retourna avec Montenor, quoy qu’Oronte les eust tous deux priez de coucher chez luy. Hircan, Lysis, et ceux de leur bande s’en retournerent aussi en leur demeure. Lysis fut fort estonné de n’y trouver

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point Carmelin, et ce qui estoit de pis, personne ne luy en disoit de nouvelles. L’on l’avoit bien veu sortir du chasteau, mais l’on pensoit qu’il s’allast pourmener aux avenues, et cependant il n’estoit pas revenu souper à la table des gens d’Hircan. Lysis fut merveilleusement affligé de cette perte. Il ne sçavoit que faire pour trouver le fidelle compagnon de ses travaux. D’aller dans les jardins cela n’estoit point à propos, il n’y avoit point d’aparence qu’il y fust ; d’aller aussi parmy les champs, qu’y eust on gagné pendant l’obscurité ? Son recours fut donc aux regrets, qu’il fit quasi de cette sorte. Helas ! Mon fidelle Carmelin, ne sçaurois-je sçavoir pour quel sujet tu m’as quité ? Je ne t’ay pas menacé de te battre, je ne t’ay pas traicté rudement, où si je l’ay fait, ce n’a esté que par feinte. Quand tu as desiré de participer à la gloire de mes proüesses je l’ay accordé, et j’ay souffert que l’on t’ayt couronné de laurier aussi bien que moy. En quoy t’ay-je donc offencé, toy qui estois la seconde personne que j’estimois apres ma maistresse ? Si tu fusses demeuré avec moy, je t’eusse bien tost fait berger illustre de pastre que tu estois, car il n’est pas decent qu’un guerrier qui à acquis une victoire soit mis au rang des rustiques. Lysis ayant fait cette plainte fut contraint de se coucher aussi bien que les autres, et cependant qu’il dormira, je vous raconteray si vous voulez ce qu’estoit devenu Carmelon. Son maistre estant party pour aller à la chasse avec sa compagnie ordinaire, il se mit à songer à Lisette qu’il ne pouvoit oublier, quoy que son maistre luy commandast de n’aymer jamais que Parthenice. Ayant demandé à un valet où elle estoit, il luy respondit librement qu’elle s’en estoit allee avec sa maistresse, qui estoit cette belle dame qu’il pouvoit avoir veüe dans le chasteau il y avoit quelque temps. Il connut bien que l’on luy parloit de la bergere Amarylle, et pource qu’il croyoit estre en ses bonnes graces, il se delibera de l’aller visiter pour avoir le moyen de voir ses amours. Le mesme valet luy aprit qu’elle demeuroit à une lieuë et demye du chasteau où ils estoient, et il luy donna d’assez bonnes enseignes pour trouver sa maison. Carmelin le quita avec beaucoup d’allegresse, et estant sorty de chez Hircan sans faire semblant de rien, il s’eloigna petit à petit, puis il commença à courir aussi fort que si son maistre l’eust desja poursuivy, jusques à tant qu’il fust hors de la veuë de son giste ordinaire. Il rencontra des hommes des champs, qui luy donnerent de si bonnes adresses, qu’il arriva chez Amarylle, comme elle estoit dans sa salle avec cinq ou six damoiselles de son village. Quel bon-heur vous amene icy ? Gentil Carmelin, luy dit elle, je ne pensois pas devoir estre aujourd’huy si heureuse que de vous voir ; quelle bonne priere ay-je faite à ce matin pour me procurer ce bien là ? Si je m’en souvenois je la continuerois tous les jours, afin que ma felicité ne changeast jamais.

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Aprenez moy un peu comment se porte le prince des bergers françois ? Qu’a t’il fait depuis que je suis loin de luy ? Venez vous icy tout exprez de sa part pour m’en dire des nouvelles ? Je ne vien point icy d’autre part que de la mienne, respondit Carmelin, c’est ce qui vous doit obliger d’avantage. Pour le berger Lysis, je l’ay laissé en bon point, et je vous asseure que nous avons fait de si belles choses depuis vostre depart, qu’a peine vous les pourroy-je raconter entierement. Il faut bien que vous faciez un ample recit de tout, repartit Amarylle, quand ce ne seroit qu’a cause de mes belles voysines qui seront fort ravies de vostre entretien. Elle avoit desja raconté une partie des avantures de Lysis aux damoiselles qui estoient là, de sorte que connoissant incontinent que c’estoit là le valet de ce berger, elles se mirent toutes autour de luy pour le conjurer de dire ce qu’il pourroit, afin qu’elles sçeussent tout ce qui estoit arrivé à son maistre dont elles faisoient tant d’estime. Carmelin qui n’estoit de fer ny de bois, se voyant prié par de si belles bouches, crût qu’il ne pouvoit moins faire que de leur complaire, si bien qu’ayant pris un siege par le commandement d’Amarylle il commença à parler de cette sorte. Mesdames, mesdamoiselles, mes nymphes, mes hamadriades, mes nayades, où mes belles bergeres (je ne sçay comment je doy dire ; le maistre que j’ay maintenant à fait une confusion de ma premiere science, m’en voulant donner une nouvelle) comme ainsi soit que vous desiriez sçavoir quelques avantures nompareilles du berger Lysis ; et ce n’est pas sans raison que j’use de cette façon de parler, car l’on m’a dit qu’un autheur celebre commençoit ainsi tous ses chapitres. Comme ainsi soit donc que vous les desiriez sçavoir ces belles et agreables avantures, je vous parleray premierement de Meliante qui est un berger qui se dit estre d’un pais assez proche comme je croy de celuy où les hommes ont une grosse boule de linge sur leur teste. C’est la Perse, vrayment, je l’ay trouvé. Pour m’en souvenir, il m’a falu songer à un muid de vin que l’on a mis tantost en perse tout devant moy, car j’ay la memoire artificielle. Or encore que ce Meliante se dise de ce pays là, il parle aussi bien françois que vous et moy, à le nez et les yeux faits tout de mesme, et est d’une-mesme couleur que nous. Il disoit donc que sa maistresse du nom de laquelle je ne me sçaurois souvenir si l’on ne me le dit, avoit esté ravit par deux geans, et enfermee dans un chasteau, hors duquel il estoit besoin que mon maistre l’allast tirer. Quant à moy Hircan me mit aussi de la partie, et d’autant que sans nous vanter ny mon maistre ny moy, nous n’estions pas grads soldats, et qu’en faict de guerre nous eussions plustost reculé qu’avancé, il nous promit de nous rendre le corps si dur, que les espees ne nous pourroient blesser. Cét Hircan se dit magicien, et je croy

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bien qu’il le peut estre, car ma foy c’est un galand homme, quant à cela, il ne fait que dire chez luy, laquais, que l’on aporte le couvert, et tout aussi tost vous voyez la table chargee. Il nous pouvoit donc bien rendre aussi forts qu’il disoit. Mon maistre vestit apres un habit qu’il appelle un habit d’heros, et pour moy je fus armé de toutes pieces, et me trouvay si empestré que si j’eusse eu la roupie au nez j’eusse prié mon maistre de me moucher. Apres beaucoup de ceremonies l’on nous mit dans un carrosse qui alloit par terre, et puis qui alloit par l’air ; à ce que disoit Lysis, pour moy je n’y pouvois rien connoistre. Je m’endormis en ma place, et mon maistre ayant faict la mesme chose, il songea qu’un magicien nous tiroit du carrosse, qu’il nous faisoit manger sur une table de marbre, pensez que c’estoit pour rafra ichir la soupe ; qu’il nous menoit voir des oyseaux jardiniers, des hommes clairs comme du verre, et un fourneau où nous nous bruslasmes, et puis qu’ayant fait naistre une salle dans un desert, il faisoit sortir des valets de la tapisserie, pour nous apporter dequoy faire collation, et que je bû et mangeay autant que six. Je luy ay soustenu qu’il n’estoit rien de tout cela, et que mes boyaux crioient vengeance contre ce songe. C’est de cela qu’il s’est un peu fasché, mais l’on l’a apaisé. Pour retourner donc à nostre avanture, il est vray qu’un sage vieillard m’ayant resveillé me fit sortir du carrosse avecque Lysis, et que par des chemins obscurs, nous allasmes jusques en une grande cave ou nous nous battismes contre des monstres. De vous dire combien de coups nous donnasmes, et combien nous en receusmes, c’est une chose que je ne puis faire, car je ne m’amusois pas à les compter, tant j’estois estonné. Il est vray que je ne l’estois pas tant, que si j’eusse veu le sang sortir de mon corps, car si cela me fust arrivé, je pense que je ne serois plus au monde, et que je fusse mort de peur, quand mes playes n’eussent pas esté plus dangereuses que des esgratigneures. Il en fust arrivé de mesme, si nos ennemys eussent eu des armes à feu, et s’ils eussent eu des mousquets ou des canons dont le bruit m’eust estourdy l’esprit : mais nous eusmes tant de bon heur que nous vainquismes nos adversaires, et que nous tuasmes encore un dragon. Je vous avoüray bien qu’il n’estoit guere effroyable, car il ne bougeoit d’une place, et le feu ne luy sortoit point de la gueule : toutesfois mon maistre en eut peur, et se sentit fort glorieux de l’avoir terrassé. Apres cette victoire nous tirasmes la maistresse de Meliante de sa prison, et nous nous en retournasmes avec elle dans le carrosse. Lysis a conté tout cecy ce matin a Hircan estant dans son chasteau, et ç’a esté alors qu’il a disputé contre moy touchant ses resveries : mais ma foy apres avoir eu tant de peine, au lieu que j’esperois que l’on nous feroit riches, l’on ne nous a donné qu’une couronne de laurier à chacun. Voyla encore la mienne que je porte en guise de

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cordon. L’on vouloit mesmes qu’il m’en coûtast un chapeau, et l’on ne me rendoit point le mien. La loüange que l’on me donnoit m’eust esté bien chere. Je suis en fin demeuré tel que vous me voyez, et tel que je suis ayant apris la maison d’Amarille, j’y suis venu tandis que mon maistre est allé à la chasse avec tous les autres de sa compagnie. Carmelin ayant ainsi finy son discours auquel toutes les damoiselles avoient pris beaucoup de plaisir, Amarylle, luy dit, que veritablement s’il estoit ainsi qu’il fust venu en sa maison tout exprez pour la voir, elle luy avoit une obligation extreme, mais qu’elle s’imaginoit qu’il estoit venu plustost pour voir la nymphe Lisette, qu’elle avoit prise pour sa servante. Il ne respondit à cela que par un sousris d’assez mauvaise grace, et Amarylle continuant de parler, luy demanda si de verité il ne croyoit pas que Lisette eust esté autrefois hamadryade. Il faut bien que je le croye, puisque tout le monde le dit, respondit-il, l’on me fait accroire que je n’ay pas tant de jugement que les autres, et que je ne voy pas les choses comme elles sont, si bien qu’encore que ma raison me persuade tout ce qu’elle peut comprendre, l’on ne me permet pas de luy adjouster foy. J’ay bien veu un espouvantail de bois, mais je ne sçay ce que c’est que tout cela, si je ne ly auparavant les livres de mon maistre. Ses imaginations sont fascheuses à n’en point mentir, et n’estoit qu’il est d’un doux naturel, je l’aurois desja quité. Il est vray qu’il y à quelque douceur en sa compagnie, car si j’ay esté quelque temps à faire maigre chere, maintenant qu’il est chez Hircan, je vy comme un petit prince. Quelle merveille fut ce du festin que nous fit l’autre jour Oronte ? J’y tenois des mieux ma partie, et me souvenant d’avoir leu dans un livre, que le rouge est la couleur de la vertu, je beuvois le plus de vin que je pouvois pour me peindre le nez et les joües. Je voy donc bien, dit Amarylle, que de tous les dieux dont vous a parlé vostre maistre, il n’y en a pas un que vous aymiez tant que Bacchus. Si vous voulez, encore que nous ne beuvions guere de vin, vous celebrerez sa feste avec nous. Je fay demain vandanger une petite vigne que j’ay dans mon clos. Carmelin se mit alors sur les considerations, disant que s’il ne s’en retournoit, son maistre se mettroit fort en peine de luy : mais Amarylle luy promit qu’elle luy feroit ses excuses, de sorte qu’il fut incontinent tout resolu à demeurer. Il n’y eut que deux damoiselles qui se tinrent là pour y souper, les autres s’en retournerent à leur maison : mais elles revindrent le soir pour passer le temps avec leur voysine. L’on dansa aux chansons, et Carmelin fut de la partie avecque sa Lisette. La nuict venuë l’on luy donna un lict pour se coucher, et tous les autres se retirerent. Le lendemin du matin Amarylle fit travailler ses vandangeuses, et prit plaisir à leur dire de bons

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mots estant en la compagnie du gentil Carmelin qui prit avec elle un dessein tres-heroyque. Cependant Lysis, vers lequel il est temps de retourner, se leva avec beaucoup d’inquietudes, s’imaginant qu’il ne devoit pas encore quiter l’habit d’heros, encore qu’il eust dit le jour precedent qu’il ne le porteroit pas d’avantage que ce jour-là. Il songeoit que Charite ne l’avoit point veu en cet estat, et qu’elle ne s’estoit point monstree chez Oronte. Il fit donc vœu de ne point laisser sa casaque guerriere, qu’il n’eust fait rencontre de sa belle maistresse. Il le dit à tous ceux qu’il trouva, afin qu’ils ne s’estonnassent pas de ne le voir point encore vestu en berger. Chacun ayant aprouvé sa resolution, il disna assez paisiblement, quoy qu’il eust tousjours quelque chose à dire, soit sur l’humeur estrange de Charite qui se cachoit des qu’elle le voyoit, soit sur la perte de Carmelin. Pour sa maistresse, l’on luy promettoit qu’il la verroit bien tost, et pour Carmelin l’on luy asseuroit que l’on l’avoit envoyé chercher. Sur les deux ou trois heures apresdisné, Hircan estant sorty de son chasteau avec tous ceux de sa suite pour aller à l’esbat, Lysis aperçeut beaucoup de poussiere dedans un chemin et ayant regardé long-temps de ce costé là il crût qu’il y avoit un grand attirail de chevaux et de chariots. Ne sont ce point les bergers parisiens qui arrivent ? S’escria-t’il, que voyla de bagage qui vient ! Chacun tourna les yeux vers cet endroit, et l’on vid qu’il y avoit un chariot et un carrosse apres avec beaucoup de gens de pied. Comme petit à petit cet equipage s’aprocha l’on vid que dans le chariot il y avoit un homme assis à chevauchon sur un baril, et l’on connut que cettuy-cy estoit le bon Carmelin. Il avoit un caleçon blanc, et une chemisette blanche, une escharpe de fueille de vigne, une couronne de lierre, et une tasse en main, si bien qu’il estoit fort aysé à voir qu’il representoit le pere Denys. Il y avoit force ramée allentour de son char et deux gros paysans qui le conduisoient estoient aussi couronnez de pampre. Huict vandangeuses alloient devant avec le panier et la serpe, et les deux hotteurs les suivoient. Un vieillard qui avoit encore la face gaye alloit apres le char monté sur un asne pour representer Silene. Carmelin disoit une chanson à boire à laquelle toute cette troupe respondoit. Estant arrivé devant la bande des bergers il fit arrester son char pour en recommencer une autre toutes des meilleures qu’il eust jamais aprises, et il but apres du vin que l’on luy versa. En mesme temps Amarille et ses voysines qui estoient en jupe sortirent du carrosse ayant chacun un panier de fin osier sous le bras, et une petite serpe doree en main, et puis Amarille allant la premiere, s’avança vers Hircan auquel elle fit une profonde reverence, luy disant, sçavant magicien, je viens icy de la part de Bacchus, pour vous faire ce petit present que vous aurez pour agreable, si vous considerez

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qu’il vient de ce dieu qu i est plus puissant que tous les autres. C’est luy qui fait naistre et qui conserve nostre joye, c’est luy qui fait parler hardiment les serviteurs à leurs maistresses, et c’est luy en fin qui rend les soldats hardis, quand ils seroient craintifs de nature. Si vous l’adorez d’un ferme cœur, il gardera tousjours vos vignes de la gelee, et vous fera recueillir tant de vin en ce pays qu’il sera à aussi bon marché que l’eau de Morin. Amarille ayant dit ces paroles, Hircan prit de ses mains un panier plain de raisin muscat qu’elle luy presenta, et voicy comme il la remercia ; belle nymphe, luy dit il, je reçoy de bon cœur ce present, tant à cause du dieu Bacchus, qu’à cause de celle qui me l’aporte de sa part. Que si vous m’asseurez que celuy que vous adorez est si puissant qu’il fait parler les amans sans crainte, je vous jure que j’ay beaucoup de besoin d’estre de sa bande, afin de pouvoir dire librement à ma maistresse les peines que je souffre pour elle. Amarille entendit bien à quoy il vouloit venir, toutesfois elle ne luy repliqua point, parce qu’il fallut laisser parler une autre nymphe qui aborda Lysis avec ce discours. Incomparable berger, la gloire et l’ornement de la France, Bacchus ayant ouy parler de ton merite, n’a pas voulu estre des derniers à te visiter. Il sçayt que les dieux aquatiques, les hamadryades, et les nayades ont eu communication avecque toy, c’est pourquoy il se fust estimé miserable, s’il n’eust eu le bien de te voir. Pour tesmoignage de l’honneur qu’il desire te faire, il t’envoye par moy ce panier de raisin, avecque promesse de t’envoyer de son vin nouveau lors qu’il sera cuvé. Reçoy ce present en attendant. Il faut que tu sçaches que j’ay brigué contre mes sœurs, l’ambassade que je te fay, car ayans toutes quitté nostre pays pour te venir voir, c’estoit à qui auroit l’honneur de parler à toy la premiere. Belle nymphe, repartit Lysis, je ne sçay avec quelles paroles remercier vostre Bacchus de tant de courtoysie qu’il me tesmoigne, car comment pourrois-je satisfaire à un dieu, veu que je ne me croy pas mesme assez capable pour vous recompenser, vous qui n’estes que de ses suivantes ou de ses prestresses ? Toutefois il faut que vous receviez ma bonne volonté pour de veritables effects. Ce discours estant cessé un des paysans qui menoient le char vint aporter une bouteille de vin doux pour toute la compagnie sans faire autre compliment que de dire, voyla ce que Bacchus vous envoye. Il avoit fort peu de chose à dire, et neantmoins il le prononça de si mauvaise grace que toute la compagnie en fit des risees. Cela n’empescha pas que les damoiselles ne retournassent en leur carrosse pour suivre le chariot de Bacchus qui commençoit d’aller son train avec toute la brigade. Lysis fut extremement aise de voir tout cecy, et s’il n’eust entendu que tout le monde disoit que c’estoit Carmelin qui estoit

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dans le chariot, il eust creu que c’estoit veritablement Bacchus, afin de suivre cette premiere fantaisie qui luy estoit tousjours venuë en l’esprit, de prendre les choses feintes pour des choses veritables. Carmelin estoit de vray fort bien fait pour un Bacchus excepté qu’il avoit trop de barbe, car son nez estoit vermeil comme une rose, et ses joües ne l’estoient pas moins. Aussi son maistre le trouva fort bien accommodé, et dit, vrayment, voyla une galanterie fort belle. Voyez que Carmelin est devenu capable ; j’ay crainte qu’il ne me surpasse. Considerez qu’il est sçavant en faict de metamorphoses et de divinitez. Je croy presque qu’il se soit changé reellement en ce dieu qui fait fleurir la vigne. Si c’est pour un si beau sujet qu’il a esté cette nuict absent de nous, j’avoüe qu’il a eu raison. Tandis que Lysis disoit cela tout l’equipage de Bacchus alla en la maison d’Oronte dont l’on fit ouvrir la grand’porte à fin que le chariot y pûst entrer. Le bruict que faisoient les vandangeuses avecque leur chant invita Angelique à mettre la teste à la fenestre. Si tost qu’elle aperçeut ce pompeux apareil, elle en avertit sa mere et sa tante qui descendirent en bas avec Oronte, et ce fut alors qu’Amarylle et ses compagnes leur vinrent presenter des raisins de la part du dieu. Ils eurent aussi du vin doux, tellement qu’ils en firent beaucoup de remerciemens, et dirent une infinité de chose à la loüange d’Amarylle qui avoit inventé une telle gentillesse. Amarylle ayant connu que Leonor et Angelique estoient d’une fort agreable humeur, ne faisoit plus la retiree devant elles, et respondoit comme les autres vandangeuses aux belles chansons de Carmelin. Un peu apres leur arrivee quatre gentils-hommes qui estoient les marys où les peres des damoiselles de la compagnie d’Amarylle, estans venus à cheval par un autre endroit arriverent aussi pour prendre leur part de l’esbatement des vandanges. Au mesme temps Hircan, Lysis et les autres qui estoient venus au petit pas entrerent pareillement, de sorte qu’il y avoit une fort belle assemblee chez Oronte. N’avons nous pas eu un beau dessein ? Disoit Amarylle, j’ay à ce matin fait vandange dans mon clos, car il y a fort peu de vigne, et cette apresdisnee je vous amene mes vandangeuses en triomphe. Vous monstrez que vous avez bien leu les dyonisiaques, dit Oronte, vous estes la plus sçavante bergere qui fut jamais. Je trouve neantmoins qu’il y a eu quelque chose de manque en ce triomphe de Bacchus, dit Lysis, vous n’aviez point de faunes ny de satyres, et cependant il y en a tousjours à la suite de ce dieu. Toutes ces femmes aussi que vous avez amenees estoient trop modestes pour des bacchantes ; elles devoient avoir le thyrse, le tambour de biscaye, ou les cymballes en main, et il faloit qu’elles dançassent avec une action furieuse et vehemente. Contentez vous de ce qui a esté faict sans nous

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reformer, rep artit Amarylle, toutes les personnes que j’ay amenees sont de mon village où jamais l’on n’a celebré les bacchanalles, une autrefois nous ferons mieux. Apres ces discours l’on fit descendre Carmelin de son chariot et toute la compagnie entra dans la salle d’Oronte où l’on presenta la collation. Anselme et Montenor arriverent alors. L’on ne manqua pas de leur dire qu’ils estoient venus trop tard pour voir l’une des plus grandes resjouissances du monde, et l’on leur conta quel avoit esté l’apareil des bacchanales. Montenor fut marry d’avoir tant tardé, mais pour Anselme il croyoit estre venu assez tost, puisqu’il voyoit Angelique. Estant un peu eloigné d’elle, il luy parloit par ses oeillades, et faisoit bien connoistre que c’est avec impertinence que les poëtes font l’amour sans yeux, car comment un aveugle nous pourroit il aprendre l’usage des regards ? Tandis que cet amant se contentoit ainsi, Hircan qui sçavoit qu’Amarylle n’avoit entrepris la gentillesse qu’elle venoit de faire qu’a cause de luy, trouvoit en cela un tesmoignage de son affection qui luy plaisoit infiniment, de sorte qu’il s’enflammoit pour elle de plus en plus, et luy tenoit les plus agreables discours qu’il luy estoit possible. Pour Lysis qui ne songeoit pas tant alors a ses amours qu’il ne s’occupast aussi aux choses qui se presentoient, il dit à Carmelin qu’il ne s’estonnoit plus s’il l’avoit quité, et qu’il venoit de songer que l’amour qu’il avoit pour Lisette l’avoit porté à faire une escapade. Je suis homme de bonne foy, repartit Carmelin, il est vray que j’ayme cette fille, mais je n’avois pas dessein pourtant de coucher chez Amarylle, si l’on ne m’y eust retenu. L’on verra ce que les dieux ordonneront sur ton inconstance, dit Lysis, si tu aymois tousjours le rocher de Parthenice, tu serois possible cause qu’elle reprendroit sa premiere forme, et puis se sentant ton obligee elle se donneroit à toy. Mais changeons de discours ; cettuy-cy ne t’est guere plaisant. Dy un peu à tous ceux qui sont icy, qu’ils m’ecoutent. Messieurs les gentils hommes et bergers, s’escria Carmelin, et vous damoiselles et bergeres, escoutez mon maistre s’il vous plaist. Agreable assistance, dit alors Lysis, le triomphe de Bacchus m’a fait souvenir qu’il feroit à propos que l’on ordonnast que je fusse aussi porté en triomphe. J’ay vaincu des geans et des monstres ; j’ay achevé une avanture nompareille : c’est pour ce suject que je desire triompher estant porté dedans un chariot de guerre avecque mon habit d’heros, et ma couronne de laurier sur la teste, comme je l’ay encore maintenant. Ce chariot sera traisné par quatre chevaux blancs ; il y aura des soldats qui marcheront devant moy en bel ordre, portant des tableaux où diverses choses seront representees. Dans l’un sera le carrosse volant ; dans l’autre le chasteau enchanté, et ainsi d’autres choses qui appartiennent à l’histoire : mais pour ce que je ne

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puis avoir ny morts ny vifs ceux que j’ay surmontez, l’on aura de gros rustiques qui les representeront, et qui seront attachez avec des chaisnes de fer derriere mon chariot comme estant mes esclaves. L’on verra l’enchanteur Anaximandre, ses deux geans, ses soldats bossus, et apres marchera l’effigie de son dragon. Pense t’on que les romains qui estoient si grands capitaines ne se soient jamais servis de ces feintes, et qu’ils ne donnassent pas de l’argent à de pauvres gueux, pour faire les esclaves un jour seulement, et rendre leur triomphe plus magnifique ? Que cela soit differé, dit Philiris, jusqu’a tant que les bergers parisiens soient icy. C’est fort bien avisé, repartit Lysis, car il y aura plus de monde qui me verra, et ma gloire en sera plus grande. Je me donneray tant de patience que l’on voudra. Ceux qui n’avoient point encore veu Lysis, et qui en avoient ouy parler seulement, le trouverent plus fou qu’ils ne pensoient, et s’estonnerent sur toutes choses de son habit extravagant. De fortune il le consideroit alors luy mesme, de sorte qu’il tint encore ses paroles. Maintenant, dit il que je me voy vestu à la grecque, je me souvien de tous les passe-temps des grecs. C’estoit une belle chose que leurs jeux olympiques. Je voudrois bien qu’il y eust aussi en ce pays de toute sorte de jeux. Il nous faudroit avoir le jeu de la course, la lutte, le sault, et plusieurs autres ; lors que je seray bien estably j’y songeray. Au reste puis que je me veux du tout gouverner à l’antique, il faudra non seulement que l’on couronne les vainqueurs, mais aussi que l’on chante des odes à leur loüange, et des hymnes à l’honneur des dieux. Or pour ce faire il faudra avoir des poëtes tres excellens, ce qui ne se peut, si nous n’avons icy des muses qui les inspirent : car les poëtes tesmoignent bien par les invocations qu’ils font à ces belles deesses au commencement de leurs ouvrages, que leur esprit languit sans leur secours. Nous tascherons donc d’avoir cette neufvaine troupe, ce qui ne sera point hors de raison, veu que les bons poëtes les amenent tousjours en leur pays. Il me semble que j’ay ouy dire que Ronsard les alla querir au mont Parnasse, pour les faire habiter au pais vandosmois, mais qu’elles s’en sont retournees en leur premiere demeure aussi tost qu’il a esté mort. Ne seray-je pas bien capable de les faire revenir ? Il n’y faut que Philiris seulement assisté de Carmelin afin qu’ils se consolent en leur voyage. Ils sont bien propres à ce dessein, car Philiris fait des-ja aussi bien en vers qu’en prose, et pour Carmelin il est aussi homme de lettres ; il ne parle quelques fois que par sentences. Il faudra que vous partiez l’un de ces jours, mes chers amys, l’entreprise vous sera honorable. Vous ferez apres des merveilles en poësie, et aux sept arts liberaux, car les deesses que vous amenerez vous aprendront toutes ces choses. Ce sera à Marseille

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que vous vous embarquerez. Je ne pense pas que les muses veuillent venir icy par mer, dit alors Philiris, elles craindroient que toute leur science ne fist naufrage. Hircan vous prestera donc son carrosse et ses chevaux volans, reprit Lysis, nous serions bien là entassez avec ces neuf belles dames, repartit Philiris, entre cy et quelque temps je tascheray à trouver quelque meilleure invention. Ce sera une fort belle chose de voir les muses en ce pays, dit Meliante, mais si elles nous veulent obliger, certes il faudra qu’elles s’efforcent de nous donner une source d’hypocras, au lieu de celle d’hypocrene. Je croy qu’il y aura beaucoup de monde qui les visitera, et que l’on ira boire à leur fontaine au lieu d’aller à celle de Pougues ou de Forges. Puisque leur maistre Apollon est dieu de la medecine, il leur permettra de guerir les corps malades, aussi bien que de resjouyr les esprits melancoliques. Les uns les iront donc voir pour aprendre leur art, les autres pour chercher du remede à leurs maux, et la pluspart quasi par curiosité, mais c’est ce qui me faict imaginer que l’on aura bien de la peine à les accoustumer à se tenir en France, car elles veulent estre sur une montagne, où elles ayent chacun leur grotte pour y estudier continuellement, comme des moines dans leurs cellules, et cependant elles seront icy diverties par des visites perpetuelles, et quand il n’yroit personne chez elles que ceux qui desirent estre poëtes, il y en auroit assez pour les destourner de leurs meditations. Je croy mesme que si elles leur veulent permettre à tous de boire en leur fontaine, ils l’auront tarie en un jour. Il y aura encore un grand inconvenient pour elles, si l’on n’y prend garde, c’est que la France est pleine de gens qui ne taschent qu’a suborner les filles ; il est à craindre qu’ils ne corrompent celles cy, et cependant l’on verra perir ceste belle chasteté dont elles faisoient autrefois tant d’estime, et comme vous sçavez que dés qu’il y a une fille abandonnee dedans Paris, il faut qu’elle soit principalement possedee par les filous, et les autres piliers de cabaret et de bordel, les muses auront ce malheur qu’elles seront sous la puissance de telles personnes infames, de sorte que par un scandale extreme, elles leur feront present de leur sçavoir, et au lieu des honestes gens qui composoient des vers à l’ombre d’un laurier au bord d’une fontaine, ou bien dans le silence d’un cabinet, l’on ne verra que de tels maraux, qui composeront tenant un verre en main où une pipe de tabac, et qui feront plus de rots que de vers. Ils seront bien aussi vilains et aussi lascifs que des satyres ; voyla pourquoy ils feront porter ce nom à tous leurs ouvrages. Je ne vous sçay pas mauvais gré d’avoir toutes ces considerations, dit Lysis, vous temoignez le soin que vous avez de l’honneur des muses, mais auriez vous si peu de jugement que de croire que je n’eusse pas l’esprit de remedier à

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tant de desordres ? Quand elles auront choisy pour leur sejour quelque petite montagne de ce païs, j’empescheray bien que les desbauchez de Paris ne les aillent voir. Leurs demeures seront fermees de murailles, et l’on mettra de bonnes gardes à leur porte. Comme Lysis finissoit ce discours, il arriva que Charite eut affaire à parler à Angelique, si bien qu’elle entra dans la salle pour luy dire un mot, mais elle en ressortit incontinent voyant tant de monde et principalement Lysis, car elle estoit honteuse de paroistre, et avoit peur que l’on ne luy donnast quelque traict en passant. Le berger heros quita si promptement son discours lors qu’il l’aperçeut, que l’on s’estonna de son silence. Ha dieu, dit-il en soy mesme, elle m’a veu et je l’ay veuë, voyla mes desirs arrivez ; elle s’est en fin monstree malgré son humeur solitaire. Apres cela voyant que Charite s’en alloit il demeura tout pensif, de sorte qu’il ne se mit plus en discours avecque personne. Cependant Hircan ayant parlé à Amarylle plus clairement que jamais de l’affection qu’il luy portoit, elle luy dit qu’elle se sentiroit fort honoree s’il ne l’aymoit que pour un bon sujet ; et là dessus un vieil gentilhomme des parens d’Amarylle, leur vint dire en s’aprochant d’eux, que l’assemblee estoit si belle et si grande, qu’il s’imaginoit estre à quelque fiançaille. Il ne tiendra pas à moy que nous n’y soyons, dit Hircan, je voudrois que les choses dont je vien de parler à vostre belle niepce pussent arriver dés maintenant, et s’il vous plaist je vous les communiqueray. Il luy dit alors la recherche qu’il faisoit d’Amarylle, et les avantages qu’elle auroit si elle l’espousoit, tellement que le vieillard trouva cecy tres à propos, et ayant apris que sa niepce laquelle y avoit le plus grand interest, estoit de mesme avis, il alla proposer l’affaire à Oronte et aux autres gentils-hommes. L’on en vint si avant que l’on envoya querir un notaire pour passer le contract, et un prestre pour faire les fiançailles. L’on disoit qu’il faloit bien que cette compagnie se fust assemblee par permission divine, veu que quand l’on eust voulu faire des fiançailles premeditees, l’on n’y eust pas prié d’autres personnes que celles qui estoient là, car les principaux parens d’Hircan et d’Amarylle y estoient. Lysis fut tout estonné de voir cette affaire si tost faicte, et pource qu’il y consentoit, il ne fit point de reffus de signer la minutte du contract comme les autres. Anselme eut le moyen de parler à Angelique pendant tout cecy, et leur passion fut si vehemente, qu’encore qu’ils se fussent declaré ce qu’ils avoient sur le cœur, ils se delibererent de se voir encore la nuict comme ils avoient premedité dés le soir precedent. Angelique dit que leur entreveuë pourroit estre sur les dix heures sous un berceau du jardin où elle se rendroit, et qu’elle feroit si bien que la petite porte par où l’on alloit aux champs demeureroit ouverte afin qu’Anselme pûst entrer.

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Ce complot e stant fait ils se separerent pour ne point donner de soupçon à personne, et au mesme temps Lysis qui avoit de fort beaux desseins en l’esprit, sortit de la salle pour aller aborder Jacqueline servante de cuisine. Belle compagne de ma maistresse, luy dit-il, ne recevray-je point de vous le secours que vous me pouvez accorder sans vous nuire ? Dictes moy quelque heure en laquelle je puisse entretenir Charite librement. Il y a si long-temps que je n’ay parlé à elle, que j’en meurs de regret. Venez au soir entre neuf et dix dans le jardin, repartit la servante, ce sera là que vous la trouverez. Elle se couche ordinairement les soirs sur ce tapis d’herbe qui est dans l’une des allees, tant elle ayme la fraischeur ; quand nous la voulons faire mettre au lict, il la faut tousjours aller querir là. Lysis remercia la servante de cét avertissement, et luy promit qu’il ne manqueroit pas à l’assignation. Comme le soleil estoit desja fort bas Anselme et Montenor se retirerent, aussi firent les gentils hommes du village d’Amarille, et pour elle, elle se mit dans son carrosse avec les belles damoiselles vandangeuses. Hircan ne voulant pas abandonner sa maistresse s’y mit aussi. Pour les villageois et les villageoises que Bacchus avoit amenez ils avoient desja pris leur congé. Fontenay et les autres bergers voyant que leur hoste les quitoit ne laisserent pas de s’en retourner en son chasteau et d’y remener Lysis et Carmelin. Maintenant qu’il s’est levé un vent frais, disoit Philiris au berger heros, n’est il pas vray que vous voudriez bien avoir la teste mieux couverte que vous n’avez ? Ce simple laurier ne vous sçauroit deffendre de l’incommodité du temps. Je ne souffre aucun mal je te jure, respondit Lysis, et je ne voudrois pas n’avoir esté couronné en une assemblee si celebre, que celle d’où nous venons, et puis Charite mesme m’a veu en cét estat, ce qui me console merveilleusement ; aussi quand la nopce d’Hircan se fera, je veux estre encore habillé comme je suis. Il est vray que quand il est nuict, je ne serois pas fasché d’avoir mon chapeau. Avec de semblables discours la compagnie pastorale arriva en sa demeure ordinaire, et cependant que l’on aprestoit le soupé, Lysis tint ce discours à Carmelin, tu as veu une bonne partie de mes plus belles avantures, gentil Carmelin, et je m’imagine, qu’il n’y en a pas une que tu n’admires et que tu n’esleves jusqu’au ciel, aussi fait bien l’eloquent Philiris qui m’a promis d’en dresser un roman qui surpassera tous ceux que l’on a jamais veus au monde. Neantmoins il ne faut pas que je t’en mente, je ne suis pas encore satisfaict de moy-mesme quoy que l’on me puisse dire. Je songe que je puis accomplir encore beaucoup de choses pour rendre mon histoire plus remarquable. Je n’ay jamais parlé à ma maistresse en des lieux desrobez, et je n’ay point tasché de l’enlever. Cependant l’on void dans les livres que beaucoup

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d’amans qui ne me valent pas, ont faict toutes ces choses. Il est vray que pour tout cela ils ne sont pas plus estimables que moy, car ils n’ont eu que ces seules avantures au lieu que j’en ay eu dix mille : mais pourtant il ne faut pas que cecy me demeure a faire ; je veux cette nuict parler à Charite, et mettre tous mes efforts pour la tirer de la maison d’Oronte, aussi bien n’y est elle pas dignement à son gré. Elle m’a dit autrefois que l’on s’y mocquoit d’elle, et qu’elle y estoit en grande subjection. Si tu me sers en cette occasion, je t’ayderay en beaucoup d’autres. Il n’est pas de refus, dit Carmelin, mais si j’ayme le rocher que vous desirez, voudriez vous aussi entreprendre d’enlever une si grosse pieçe. Nous verrons, reprit Lysis, l’amour nous fournira de forces et d’artifices. Songeons seulement à cette heure à ce que je te propose ; or apren que j’ay parole de Jacqueline pour entrer tantost dans le jardin d’Oronte, et y voir ma belle maistresse. Mais dites moy un peu, repartit Carmelin, que ferons nous d’elle quand nous l’aurons ? Nous la menerons en quelque pays estranger jusqu’à tant que nos parens soient d’accord de nostre mariage, respondit Lysis. Et cependant, dit Carmelin, n’emprunterez vous rien d’elle par avance ? Quelle proposition me fais tu, dit Lysis, c’est ce que Panphile ne voulut jamais faire à Nise, Persiles à Sigismonde, Lisandre à Caliste, Polexandre à Ericlee, et pour monter encore plus haut dans la chronologie, ce que Clitophon n’eut point de Leucippe, ny Theagene de Chariclee. Tous ces amans ont eu une modestie qui les a gardez de demander d’autres faveurs à leurs maistresses que celles du baiser. Ils vivoient ensemble comme le frere avec la sœur, mais je n’enten pas comme vivoit Jupiter avec sa sœur Junon. Au reste apren, Carmelin, que les deux cuisses de Charite sont deux colomnes de marbre blanc, que je compare à celles que le grand Alcide dressa au bout de ses voyages. L’on y trouverra escrit qu’il ne faut pas passer plus outre, et c’est une chose deffenduë à nos mains, et mesme à nostre desir. Il n’est pas encore temps que le printemps de cette belle soit privé de sa rose. Vous estes si homme de bien, dit Carmelin, que vous n’avez que faire de jurer pour me faire croire que vous voulez que Charite demeure chaste, mais ce qui me met en peine, est de sçavoir de quelle sorte nous nous transporterons en ces pays lointains où vous desireriez aller. Nostre equipage nous coustera beaucoup à mener. Je ne sçay si presentement vous avez la bourse assez bien garnie. Ne faudra t’il pas aller querir nos moutons chez Bertrand pour les mener avec nous. Cet attirail seroit trop grand, respondit Lysis, tu as eu cette fois cy une pensee bien rustique. Des gens qui fuyent peuvent ils mener un troupeau ? Il est vray neantmoins que je te suis obligé de ce que tu as dit, car tu m’as fait souvenir de mes pauvres moutons, ausquels je n’ay guere songé

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depuis que nous sommes icy, pource que nos comedies et nos autres recreations diverses, m’ont fait passer le temps delicieusement. Je connoy que j’ay tort de ne les avoir point fait venir icy pour les envoyer paistre avec ceux d’Hircan. Mais pour te rendre raison du reste, apren qu’il n’est pas de besoin d’estre si riche pour entreprendre le dessein que j’ay. Nous nous mettrons avec Charite dans le carrosse d’Hircan, et nous serons ainsi portez en des regions esloignees. Rien ne nous manquera en chemin : nous rencontrerons encore des enchanteurs qui nous recevront, et pourveu qu’il y ayt de la tapisserie dans leur chambre, nous ne mourrons pas de faim. Mais si nous n’y trouvons que de la natte, dit Carmelin, mangerons nous de la paille comme des asnes ? Tu es trop deffiant, repartit Lysis, apren que si nous voulons nous n’aurons que faire de demeurer en des hostelleries sur les chemins, car presque en un instant nous serons en Italie ou en Espagne, et ce sera là que nous prendrons des habits de pelerin, et que nous serons logez superbement dans le palais de quelque seigneur : car l’on void dans tous les romans, que les amans ont je ne sçay quoy de ravissant qui les fait cherir et rechercher de tous ceux qu’ils rencontrent, si bien qu’ils ne vont en aucun lieu que l’on ne leur fasse bonne chere, sans qu’ils ayent la peine de deslier leur bourse. Arrive donc ce qui pourra, dit Carmelin, voyons les effets de vostre entreprise. Comme ces bergers estoient sur ce discours, Fontenay qui commandoit en la maison de son cousin en son absence, fit aporter à souper, et chacun se mit à table. Apres le repas Lysis osta librement sa couronne, et prit son chapeau, croyant estre mieux pour aller de nuict. Il sortit sans dire mot avec Carmelin, et laissa coucher les autres qui croyoient qu’il se couchast aussi. Apres avoir esté long-temps à discourir dans les champs, Carmelin avertit son maistre qu’il pouvoit bien estre l’heure que l’on luy avoit donnee. Lysis le pensa aussi, tellement qu’il prit le chemin de la maison d’Oronte avec son fidelle compagnon d’armes et d’amour, qui avoit tant de desir de voir ce qu’il feroit, que la curiosité plustost que l’obeyssance l’incitoit à le suivre. Ils trouverent la porte du jardin toute ouverte, pource qu’Angelique avoit mis ordre qu’elle demeurast ainsi à fin de tenir promesse à Anselme. Cela fut fort favorable pour Lysis qui n’avoit pas besoin d’escallader la muraille. Il espera que son dessein auroit un heureux accomplissement. Comme il alloit par tout le jardin cherchant le chemin tapissé où Charite devoit estre couchee, Anselme qui n’avoit garde de manquer a venir à son heure, entra par la mesme porte que luy, et alla tout droict au berceau où Angelique se devoit trouver. Elle y estoit desja venuë, et l’attendoit avec impatience. Anselme luy fit tous les complimens d’amour que meritoit

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la faveur qu’elle luy faisoit, et comme elle luy eut dit qu’elle luy en promettoit beaucoup d’avantage s’il perseveroit à l’aymer fidellement, il luy fit mille protestations d’une constance eternelle. Il fut aussi tost payé en semblable monnoye, et ce fut ce qui luy donna la hardiesse de baiser sa maistresse à la bouche, comme s’il eust voulu que leurs levres se pressans l’un l’autre, eussent scellé d’un cachet amoureux la promesse qu’ils se venoient de faire. Cependant Carmelin qui avoit meilleure veuë que son maistre, avertit Lysis qu’il avoit trouvé une allee où il y avoit un tapis de sainfoin, et qu’il aperçevoit quelqu’un couché dessus. Lysis y ayant regardé crût que c’estoit Charite, mais ce n’estoit qu’une busche coiffee et emmaillottee que Jacqueline y avoit mise pour le tromper. Il s’aprocha tout doucement, et comme il pensoit desja tenir Charite par la robbe, le fantosme s’esloigna un peu. Qu’est-ce que cecy ? Dit Carmelin, vostre maistresse se glisse sur l’herbe comme une couleuvre. Parle encore plus bas que tu ne fais, repartit Lysis, ou tay-toy tout à fait, de peur de l’espouvanter. Ayant dit cecy il s’aprocha encore petit a petit, et prit une manche pleine de chiffons qui estoit attachee à la busche croyant tenir sa maistresse. Que faites vous là si solitaire ? Ma belle, dit il alors, ne craignez vous point le serein ? Si vous sortez ainsi de la maison d’Oronte, n’est ce point que vous vous y desplaisez plus que jamais ? Dites le moy sans dissimulation, car je suis venu icy pour vous tirer de misere. Vous serez desormais avec celuy qui songe plus à vous qu’a soy-mesme. Comme il achevoit ces paroles, sa belle Charite fit un grand effort contre luy pour se tirer de ses mains, car la servante de cuisine et quelques valets d’Oronte estant au bout de l’allee tenoient une corde où ils avoient attaché la busche, si bien qu’ils la tiroient à eux fermement. Vien moy ayder, Carmelin, disoit Lysis, il y à quelque rival qui tire Charite à soy par un autre bras. Je le croy tout de bon, encore que je ne le voye point, c’est la nuict qui m’enpesche de l’apercevoir : mais non ne vien pas, nous tirerions si fort que ce beau corps se pourroit mettre en pieces. C’est ainsi que la belle Aristoclee fut desmembree par ses amans qui la vouloient chacun avoir. Il fit là un peu de pause, et puis les valets luy ayant donné une bonne secousse attirerent entierement la buche coiffee. Il luy demeura seulement un méchant gand plein de papier qui avoit esté cousu à la manche pour faire une main. Helas ! Dit ce pauvre amant, qu’ay-je faict ? ô miserable ! N’est-ce pas icy la main de Charite ? Je l’ay renduë manchotte la voulant ravir avec trop de violence. Il parla alors un peu haut, et les valets firent quelque esclat de risee, tellement que Leonor qui ne dormoit pas encore, appella sa fille pour sçavoir ce que l’on faisoit en bas. Elle vid quelle ne

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luy respondoit point, bien qu’elle fust tousjours fort aysee à resveiller. Cela luy fit croire qu’elle n’estoit pas en son lict qui estoit dans une chambre proche de la sienne. Elle mit sa jupe et s’y en alla par curiosité, et ne la trouvant point, elle voulut sçavoir ce qu’elle faisoit. Elle descendit jusqu’au jardin, à l’entree duquel elle trouva sa servante avec les valets d’Oronte. Que faites vous icy, que vous menez tant de bruit ? Leur dit elle. C’est que nous venons de tromper Lysis, respondit la servante, il vient de prendre une busche pour sa maistresse. Que vous estes folle, dit Leonor, aprenez moy un peu où est ma fille. Mon frere et ma sœur ne sont ils point couchez ? N’est elle point avec eux ? Ils sont couchez, madame, respondit un valet, il faut bien que mademoiselle soit couchee a ussi. Nullement, repartit Leonor toute esperduë, il faut que je la cherche par tout. Ayant dit cela elle alla droit au berceau où estoit sa fille avec Anselme, et ces deux amans la reconnoissans aussi tost furent infiniment surpris. Pour elle, elle reconnut bien Angelique et Anselme aussi. Le trouvant là à heure indeuë elle ne se peut tenir de luy dire ces paroles ; comment, monsieur, est-ce ainsi que vous abusez de ma bonté ? Ne vous contentez vous pas des honestes libertez que je vous ay permises ? Ne vous suffit il pas de parler tous les jours devant moy à ma fille, sans que vous la fassiez venir icy. Quant a elle je la puniray bien de son effronterie. Elle est bien impudente de me quitter pour venir icy lors que je croy qu’elle soit couchee. Où a t’on veu des filles de bon lieu qui ayent jamais pris tant de licence ? Leonor faisoit ainsi plusieurs reprimandes à l’un et à l’autre, et Angelique luy respondoit desja par ses larmes, lors que Lysis qui alloit par tout chercher Charite avec une affliction extreme, pensant luy avoir arraché la main, arriva en ce lieu où d’un costé il y avoit tant de colere, et de l’autre tant d’estonnement. La premiere qu’il aperçeut fut Leonor, que son extravagance luy fit prendre pour sa maistresse, de sorte qu’il courut à elle à bras ouvers, et l’ayant embrassee luy dit tristement pardonnez moy l’outrage que je vien de vous faire, ô ma belle, il y aura moyen de le reparer. Mon amy Hircan sçait faire toutes choses. Qui nous a encore amené ce fou là, dit Leonor en le repoussant, est ce vous Anselme ? Je croy que vous l’avez fait venir tout exprez de Paris pour m’amuser par ses resveries, afin que je ne prisse pas garde cependant à vos mauvais desseins. Vous avez tort en cela, vous faictes des actions indignes de la reputation que vous vous estes acquise. Anselme voulut alors apaiser cette mere courroucee, et ce fut par de semblables paroles. Je ne sçay pas, madame, luy dit il en quoy vous croyez que j’aye commis une si grande faute, car je vous jureray bien que je n’ay rien fait avec Angelique que je ne fisse bien sans crainte tout devant vous. Tout ce que

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vous avez à dire, c’est q ue j’ay parlé à elle à une heure que vous me croyez fort loin d’icy, mais ne pouvez vous trouver d’excuse là dessus, et ne recevrez vous pas pour veritable celle que je vous veux donner ? J’ayme tant les pourmenades solitaires que j’estois venu jusqu’icy parmy quelques pensees melancoliques, et je suis entré dans ce jardin ayant trouvé la porte ouverte. Comme mademoiselle se pourmenoit à la fraischeur, je n’ay pû moins que de l’aborder, et nos premiers complimens finissoient quand vous estes venuë. Cela est bon à dire à des personnes niaises, dit Leonor, je ne croy pas ainsi de leger. Lysis écoutant ces discours avec estonnement connut que Charite n’estoit point là, et sans s’informer de ce debat, il parla de cette sorte. Aprenez moy vistement où est ma maistresse sans me faire tant languir. Helas ! J’ay esté si malheureux que je luy ay arraché une main que je tien. Il la faut recoudre au bras, et frotter la playe de baulme tandis qu’elle est recente, afin que la chair se reprenne. Faites taire ce fou si vous voulez Anselme, dit Leonor, je ne trouve plus son impertinence agreable. Il ne s’en sert que pour se mocquer de moy. Je sçavois aussi peu que vous, que Lysis estoit icy, madame, repartit Anselme, il vient du chasteau d’Hircan et non pas de la maison de Montenor. Au mesme temps qu’Anselme tenoit ce discours Carmelin vint dire à son maistre qu’il n’avoit que faire de se fascher, et qu’il luy sembloit qu’il avoit entendu rire Charite, tellement que l’on devoit croire qu’elle n’avoit point de mal. Mais ne tien-je pas icy sa main ? Repartit Lysis. Monstrez la moy s’il vous plaist, dit Carmelin. Lysis la luy donna à tenir alors, et aussi tost Carmelin connoissant que ce n’estoit qu’un gand en avertit son maistre, qui sortant un peu de son transport se rendit capable de voir la verité. Il reprit le gand avec admiration et tirant à part son valet luy dit, voy-tu bien que voila Anselme sous ce berceau ; il est avec Angelique, et sans doute il à eu dessein de l’enlever. Tu peus connoistre par là que je ne suis pas le seul de tous les amans qui a de semblables intentions : mais apren que Leonor est là aussi. Je la prenois tantost pour Charite parmy l’obscurité. Elle est infiniment en colere contre Anselme. Je n’ay pas laissé de reconnoistre tout cecy encore que mon esprit fust en une agitation extraordinaire : c’est pourquoy je suis d’avis que nous nous en allions, car l’on nous prendroit à partie comme estans aussi de ces ravisseurs de fille. Il est vray qu’a le bien prendre je ne suis pas si coulpable que ma maistresse, car au lieu que j’ay eu seulement le dessein de la ravir sans en rien executer, elle m’a ravy tout à fait, et si je voulois ravir son beau corps, elle à ravy ma pauvre ame. Toutefois l’on ne comprend pas possible ces subtiles raisons, c’est pourquoy il fait bon prendre garde à nostre seureté. J’ay desja esté querellé assez rudement. Allons nous

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en donc mon maistre, repartit Carmelin, vous ne me le direz pas deux fois. J’ay tousjours craint les dangers. Ils s’en allerent alors vistement par le mesme chemin qu’ils estoient venus sans parler à personne, et quand ils furent au chasteau d’Hircan ils se coucherent tous deux avec assez de satisfaction, car bien que Lysis n’eust point ravy Charite comme il avoit desir, il estoit assez ayse de connoistre qu’il ne luy avoit pas arraché la main ainsi qu’il pensoit, et il prenoit resolution de garder toute sa vie ce gand qui luy estoit demeuré au lieu d’elle. Pour Carmelin il estoit assez content de n’avoir point esté battu, d’autant qu’il s’imaginoit que de telles entreprises que celle dont il s’estoit meslé avec son maistre, ne se passoient guere sans le detriment des espa ules. Tandis qu’ils s’en alloient Oronte ayant ouy beaucoup de bruit dans son jardin demanda à un laquais ce que l’on y faisoit. Il ne lui voulut pas dire que c’estoit que l’on avoit trompé Lysis ; il luy dit plustost que c’estoit que Leonor estoit en colere contre sa fille. La nouveauté de cet accident le fit relever aussi tost, et ayant mis une robbe sur ses espaules il alla vistement au jardin. Il demanda d’abord à sa belle sœur ce qu’elle avoit à crier ; elle luy dit en peu de mots le sujet de sa fascherie. Je croy bien que vos plaintes sont justes, luy dit-il apres, mais il y a bon moyen d’y remedier ; et prenant alors Anselme par la main il le tira à part pour luy dire que s’il aymoit Angelique, il faloit proceder ouvertement en sa recherche, et non pas la voir comme par des larcins amoureux, pource que cela est fort prejudiciable à l’honneur des filles. Anselme respondit que s’il croyoit que Leonor ne le mesprisast point, ce luy seroit beaucoup d’honneur de servir sa fille en presence de tout le monde, et qu’il ne pourroit jamais choisir une plus belle alliance. Oronte estant apaisé par ce discours, alla aussi apaiser Leonor, luy remonstrant que les intentions d’Anselme estoient fort honestes, et qu’il n’avoit point d’autre desir que d’espouser sa fille. Elle presta l’oreille à cecy, sçachant qu’Anselme estoit fort riche, et que l’on ne pourroit jamais trouver un meilleur party. Elle luy demanda pardon de l’avoir si rudement traicté, et luy asseura que le lendemain ils parleroient plus amplement de cette affaire. Or pource qu’il estoit trop tard pour permettre qu’Anselme s’en retournast chez Montenor, Oronte le retint à coucher chez luy, et envoya querir un de ses laquais qui l’attendoit dans les champs avec son cheval. Montenor fut un peu en peine de son amy qui ne revenoit point, mais dés le grand matin, le laquais alla l’asseurer de sa santé, et le prier de sa part de se trouver le plustost qu’il pourroit chez Oronte. Il ne manqua pas à y venir et Anselme luy proposa l’affaire qui se presentoit. Cet amant avoit une passion si vehemente qu’il ne vouloit point que l’on usast de

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remise, et Oronte et Leonor ayans d ressé les conditions du contract qu’ils vouloient faire, il accorda tout ce qu’ils voulurent, afin que pour une petite clause, il n’y eust point de refroidissement au dessein. Leonor faisoit quelque difficulté de passer plus avant, disant qu’il s’en faloit retourner à Paris, mais Floride luy conseilla de ne se point donner tant de peine, tellement qu’Anselme et Angelique furent fiancez des le matin. Cependant Lysis s’estant resveillé, la premiere chose qu’il fit, fut de regarder le gand de Charite. Il vuida tous les boulets de papier qui estoient dedans, et apres les avoir despaquetez, s’imaginant que ce fussent des lettres d’amour que quelque rival eust envoyees à sa maistresse, il eut occasion de passer sa jalousie, car il trouva que ce n’estoit rien que des parties de despence de cuisine. Il n’en fit pas grand conte, croyant que cela se fust mis là par hazard, mais pour le gand il le serra dans du papier tout blanc pour le monstrer quelque jour à Philiris, et luy donner un tesmoignage du dessein qu’il avoit eu de ravir Charite, ce qui devoit autant embellir son histoire, que s’il l’eust ravie en effect. Comme il estoit avec Carmelin qui luy parloit de diverses choses, Fontenay et les autres bergers arriverent dans sa chambre. Il fut tout estonné de les voir habillez en gentils-hommes des plus braves. Quoy leur dit il, me voulez vous quitter ? Mes chers amis. Ne voulez vous plus estre de l’heureuse condition que vous aviez prise avec moy ? Helas ! Qui est celuy qui est cause de ce desordre ? Encore s’il m’en laissoit quelqu’un. Que Philiris ne me demeure t’il, luy qui est cét esprit nompareil avec qui je me promettois d’achever de si grandes choses ? Ne vous imaginez pas que nous ayons envie de commettre cette infidelité de vous quitter, repartit Philiris, si nous nous sommes vestus autrement qu’en bergers et en personnes champestres, c’est à cause qu’Hircan se marie aujourd’huy, et qu’il faut que nous soyons braves pour paroistre à la solemnité de sa nopce. Vous avez donc eu bonne raison, dit Lysis, et pour moy voicy mon habit d’heros, que j’ay mis encore avec mes brodequins me doutant bien de l’affaire. Je m’en vay prendre aussi le baudrier et l’espee, et je m’en vay mettre ma couronne de laurier sur ma teste afin d’honorer l’incomparable Hircan. Lysis ayant dit cecy prit tout son equipage, et pource que l’on l’avoit prié de la nopce avec les autres et Carmelin aussi, ils monterent tous au carrosse d’Hircan pour aller chez Amarille où se faisoit le festin. Ils y trouverent Clarimond et sa mere que l’on avoit conviez pareillement. Le mariage avoit esté faict fort matin, et peu de monde s’y estoit rencontré : mais il y avoit une fort belle compagnie au disné. L’on n’attendoit plus qu’Oronte et ceux de sa maison avec Anselme et Montenor, mais en fin ils vinrent à bonne heure, et s’excuserent d’avoir tant faict attendre pource qu’ils avoient

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faict des fiançai lles. Vous mocquez vous ? Dit Clarimond, n’est-ce point que l’on marie le valet de chambre d’Oronte, avec une paysane dont il est amoureux ? C’est bien rencontré, repartit Oronte, l’accord est intervenu entre des personnes bien plus qualifiees. Demandez à Anselme et à Angelique ce qui en est. Montenor prit alors la parole, et conta la verité à la compagnie, dequoy chacun fut extremement resjoüy, et toutesfois Lysis se mit à parler de cette sorte. Au moins puisque tout le monde se veut icy marier sans attendre que je me marie pour faire une belle conclusion d’avantures amoureuses, que ne vous mariez vous, tous ensemble ? Pourquoy est ce qu’Anselme n’a pas esté fiancé dés hier, afin de se marier aujourd’huy avec Hircan ? Cela eust esté à la mode des plus celebres romans, où tous les mariages se font en un mesme jour et en une mesme salle. Ne voudriez vous point aussi que ce fust dans un mesme lict ? Interrompit Clarimond, vous nous donnez de beaux exemples en nous parlant de vos fables. Ne voyez vous pas que ce sont des absurditez faictes à plaisir ? Toutes les affaires de sept ou huict diverses familles peuvent elles estre si à poinct desmeslees, qu’en un mesme jour chacun tombe d’accord des mariages que l’on veut faire : n’y a il pas tousjours du retardement d’un costé ou d’autre ? Et pource qui est des nopces de plusieurs personnes qui se font toutes en un mesme lieu, où est-ce que l’on a jamais veu cette rencontre ? Comment est-ce que dans cette confusion chaque marié pourroit rendre ce qu’il doit à ses parens, et les faire placer suivant leur qualité. Lysis vouloit faire là dessus quelque mauvaise replique, mais l’on luy osta son dessein en le faisant mettre à table avec les autres en un lieu fort honorable, où il avoit beaucoup affaire à respondre à tous ceux qui l’interrogeoient sur divers poincts de ses amours. Lors qu’il put mettre son esprit en liberté, il entra sur une consideration fort grande. Il se souvenoit qu’estant habillé en fille, il avoit porté le nom d’Amarylle, et voyant alors qu’une autre Amarille avoit espousé Hircan qui estoit la personne qu’elle aymoit le mieux, il ne scavoit s’il en devoit tirer un presage qui fust à son profit, et si cela vouloit signifier qu’il seroit quelque jour joint par le nœu d’hymenee à celle qu’il adoroit sur toutes choses. Dailleurs cette Amarille ressembloit à la nymphe Lucide de laquelle il croyoit avoir esté aymé de mesme qu’il avoit eu une petite estincelle d’amour pour elle, et parce que cette Lucide luy avoit representé Charite, et qu’Amarylle luy avoit representé cette Lucide, et qu’il voyoit alors cette Amarylle entre les bras d’Hircan, il changeoit à tous coups de conceptions et estoit entre l’esperance et la crainte. Ainsi pour avoir une superstition trop grande il s’arrestoit à des particularitez de fort peu de consequence pensant y remarquer

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le futur. Comme l’on dançoit apres le disner le Sire Adrian arriva dans la salle avec sa femme Pernelle. Tous ceux qui le connoissoient furent fort ayses de le voir excepté Lysis qui oubliant toute autre pensee, s’alla mettre au coin de la cheminee pour se cacher. Vous soyez le bien venu, dit Hircan, pleust à dieu que vous n’eussiez pas tant demeuré, vous eussiez disné avec nous. Ma foy monsieur, respondit Adrian, je vous remercie de vostre honesteté, je vien icy seulement querir mon cousin ; j’ay esté à un chasteau qui je croy vous apartient, là où je l’ay demandé, mais l’on m’a dit qu’il estoit en ce lieu, tellement que j’ay fait tourner nostre charette vers ce costé-cy. J’avois bien dit que je serois plus de temps en ce pays, qu’il n’en faloit pour mon pelerinage, car j’ay esté trouver le gentil-homme qui me devoit de l’argent ; il m’a fort bien payé graces à dieu, et au bout delà il m’a fait bonne chere jusqu’a cette heure, ce qui n’arrive guerre à de telles gens, ne vous en desplaise : mais c’est possible qu’il m’a voulu convier à luy prester une autrefois d’avantage. Cela pourroit bien estre, dit Hircan, mais reposez vous un peu s’il vous plaist, et madame vostre femme aussi, l’on vous va aprester à disner. Adrian dit là dessus qu’ils avoient desja disné, et que tout son desir estoit de parler à son cousin. Meliante le prit alors et le poussa au milieu de la salle, de sorte qu’Adrian l’ayant veu habillé comme il estoit, se mit fort en colere. Quoy, luy dit-il, tu ne cesseras donc jamais tes follies ? Tu changes tous les jours de nouveaux habits. à Sainct Clou tu estois vestu en berger, l’autre jour tu estois vestu en sorciere, et maintenant tu es habillé en masque. Ha messieurs, poursuivit-il en se tournant vers les assistans, vous avez tort de prendre icy vostre plaisir de ce pauvre garçon. Il est vray que vostre cousin nous donne du plaisir, dit Anselme, mais c’est pource qu’il à plus d’esprit que nous pour inventer tous les jours de nouveaux jeux. S’il est vestu comme vous le voyez, ce n’est que par galanterie. Comment mon cousin (disoit Lysis sans prendre garde aux excuses que l’on faisoit pour luy) estes vous estonné de me voir vestu de la sorte ? Sçachez que je ne suis pas simplement berger, mais que je suis un berger heros. L’on me peindra quelque jour dedans les livres tout tel que vous me voyez. Adrian ne se payoit point de toutes ces raisons, et juroit qu’il vouloit ramener son pupille à Paris. Vous ne partirez pas de deux ou trois jours, luy dit Anselme, ce ne sont icy que nopces. Vous en verrez les resjouyssances, et vous considererez si nos actions sont si blasmables qu’il y ayt eu du danger à laisser vostre pupille parmy nous. Ce discours apaisa un peu Adrian, et bien qu’il eust de grandes bottes de pescheur, une damoiselle l’alla prier de danser une gaillarde continuë. Il n’osa refuser de la mener, et encore ne fut il pas

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marry de monstrer quelques restes de la disposition qu’il avoit euë en sa jeun esse. L’on dansa apres un branle où il fut, et sa femme aussi, et Lysis et Carmelin pareillement, si bien que l’on prit beaucoup de contentement à voir leurs diverses contenances. La compagnie se retira petit à petit pource que tous ceux qui avoient esté priez pour le disner ne l’estoient pas pour le souper. Il n’y eut quasi que ceux de la maison d’Hircan qui demeurerent. Adrian et Pernelle ayans soupé à cette nopce bien qu’ils fussent avec des gens qu’ils ne connoissoient point, l’on les mena coucher de fort bonne heure en maison empruntee, car ils avoient grand besoin de se reposer, apres avoir dançé tous harassez qu’ils estoient. Les espousez se coucherent un peu apres, et Philiris ayant esté chanter un epithalame à leur porte avec ses compagnons, comme ils pensoient descendre les montees, ils trouverent tant de noix sous leurs pieds qu’ils se laisserent tomber l’un sur l’autre et roulerent jusqu’au bas. Outre ce qu’on leur en jetta encore grande quantité sur la teste, ce qui fit un bruit estrange. Toutefois ils n’eurent point de mal, et tournerent tout en risee, mais ils furent bien plus resjouys, lors qu’ils s’aviserent que c’estoit là des faicts du berger illustre, qui n’avoit point esté chanter avec eux, et qui se mocquoit d’eux au haut de la montee. Vous avez fait une belle affaire, luy dit Meliante, je croy que vous avez vuidé tous les greniers de ce village ; à quoy est bon cela de perdre tant de noix ? Ha ! Dit Lysis en souriant comme s’il eust mesprisé les autres, que vous estes peu sçavans en ce qui est des choses grecques et heroïques ! L’on aprend dans tous les bons autheurs que la nuict des nopces l’on jettoit jadis des noix par toute la maison, afin que le bruit que l’on feroit en marchant dessus où en les ramassant, empeschast d’entendre les cris de la mariee. J’ay voulu imiter cette bonne coustume. Ayant trouvé tantost force noix au grenier de ceans, je les ay mises dans des sacs et vous les ay jettees quand vous avez passé. C’est ainsi qu’il faut observer les belles choses que l’on trouve dans les poëtes, et dans tous les autheurs anciens. Vous n’y prenez pas garde vous autres ; voyla pourquoy j’ay bien peur que pendant que je m’amusois à cecy, vous n’ayez mis en oubly toutes les coustumes nuptiales. Avez vous chanté io hymen, hymenee ! A-t’on invoqué Junon ? A-t’on allumé le flambeau sacré ? L’on n’a pas manqué à tout cela, dit Fontenay, mais ma foy vous estes bien trompé pour le reste. Vous avez bien perdu des noix en vain, car Amarylle ne crie point, il n’y à point icy de pucellage à perdre. Ne sçavez vous pas qu’elle est veufve, et que son deffunct mary à eu la premiere victoire ? Il faloit garder vos noix pour demain qu’Angelique doit estre mariee. C’eust esté là que vous eussiez mieux employé vostre ancienne coustume. Quelque chose que ce soit, dit Polidor, il faut admirer l’esprit de Lysis

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d’avoir eu un avis si prompt pour pratiquer une chose qui est si vieille que personne ne s’en souvenoit, à cause qu’elle n’est plus guere necessaire au temps ou nous vivons, et que les veufves et les filles sont si traitables qu’elles ne crient plus la nuict de leurs nopces. Pour moy, dit Meliante, je ne voudrois pas n’estre point tombé, et n’avoir point apris la coustume que Lysis nous vient d’aprendre. Alors Philiris qui trouvoit cecy plus agreable que pas un, alla heurter à la porte des mariez, et sans la faire ouvrir, dit à Amarille qu’elle criast tant qu’elle voudroit, et que l’on ne l’entendroit pas, pource que Lysis y avoit mis bon ordre, ayant semé des noix par toute la maison selon l’antienne coustume qu’il avoit treuvé dans ses li vres. Hircan qui avoit ouy tant de bruit dont il eust bien voulu sçavoir la cause, fut fort aise d’avoir apris cette plaisante nouvelle qui le fit rire de bon courage, et pour Amarylle elle n’eut pas moins de contentement, puisqu’elle commençoit à partager avec luy tous les plaisirs de la vie. Mais cependant sa fermiere oyant le bruit des noix qui se cassoient sous les pieds, vint remonstrer le dommage que l’on luy faisoit, pource que tout cela luy apartenoit. Lysis qui estoit liberal, luy eust volontiers donné de l’argent pour la faire taire, et pour empescher qu’elle ne le querellast d’avantage, mais il n’avoit ny argent ny pochette en sa casaque d’heros, de sorte que Fontenay ne se put tenir de luy dire, que les heros estoient de pauvres gens s’ ils alloient ainsi sans denier ny sans maille, et sans pochette ny besasse pour mettre leurs petites commoditez, comme vous pourriez dire un cousteau, des dragees, ou quelques memoires. Au temps que l’on portoit ordinairement de ces habits cy, dit Lysis, l’on n’avoit pas besoin de porter quelque chose sur soy ; tous ceux que l’on rencontroit estoient si gracieux, qu’ils vous donnoient toutes les choses qui vous estoient necessaires. Et pour un mouchoir n’en portoit on pas, dit Meliante, je croy que non, car les histoires ny les fables n’en parlent point. Il faisoit bon voir un heros se moucher avec ses doigts en pleine assemblee, et jetter les ordures de son cerveau sur les carreaux de marbre d’un temple, pour les rendre encore plus glissans. Cela se faisoit alors neantmoins, repartit Lysis ; et l’on ne le trouvoit point estrange, pource que c’estoit la mode. Nous faisons maintenant des choses bien plus ridicules sans que personne s’en estonne, à cause que chacun les faict, et que nous les avons veu faire dés que nous sommes entrez au monde. Pour ce qui est de la proprieté du mouchoir, je ne vous respon autre chose que ce que dit Montagne d’un gentil-homme qui trouvoit extremement mauvais que l’on portast sur soy les ordures de son nez empacquetees dans du linge, et qui trouvoit bien plus à propos de les jetter vistement à terre. Pendant ce discours la fermiere

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faisoit ramasser les noix par ses enfans, et v oyant qu’il y en avoit fort peu de gastees elle se consola. Comme il y en avoit encore par la place cela fit tomber Lysis qui n’avoit point d’arrest, et vouloit que ses pieds allassent aussi viste que son esprit. Sa cheute fut si violente que sa casaque s’ouvrit, et sa chemise qui estoit attachee entre ses jambes se destacha. L’on en fit des risees nompareilles, pource que l’on avoit veu des choses que l’honesteté luy commandoit de cacher. L’on se mocqua encore de son habit d’heros qui estoit si peu commode. Cela luy donna sujet de dire que pour avoir monstré ses secrettes parties par hazard, l’on ne se devoit point scandaliser, et qu’il avoüoit bien mesme que la pluspart des hommes du siecle d’or ne sçavoient ce que c’estoit que de se couvrir d’habits. Je croy, dit Philiris, que vous estes de l’humeur du docteur Charron qui dans sa sagesse nous voudroit persuader d’aller tous nuds, faisant tout ce qu’il peut pour prouver que la nudité n’est point honteuse. Philiris se contenta de dire cecy, et puis apres il fit cesser les risees des autres, de peur que Lysis ne reconnust que l’on se mocquoit de luy tout à faict. Ils monterent alors en carrosse, et bien qu’il fust fort tard ils s’en retournerent coucher au chasteau d’Hircan. Le lendemain Anselme espousa Angelique selon la resolution qui en avoit esté prise, et comme ils avoient esté à la nopce d’Hircan et d’Amarylle, Hircan et Amarylle vinrent à la leur. Ils amenerent aussi Adrian et sa femme, qui encore qu’ils fissent fort les respectueux ne trouvoient jamais de meilleurs repas que ceux qui ne leur coustoient rien. Leur cousin Lysis vint aussi avecque Fontenay et sa bande, mais il n’avoit pas mis son habit d’heros. Il estoit si triste de la venuë de son curateur qu’il ne se vouloit pas habiller magnifiquement ; il ayma mieux ne mettre que son habit de berger. Adrian ne le trouva pas d’une façon si extraordinaire, et ne luy fit aucune reprimende. Clarimond assista aussi à ce banquet, mais il ne fit point la guerre au berger, d’autant que l’on eut d’autres entretiens. L’on ne dansa guere apres disné, tellement qu’Hircan s’en retourna dans son chasteau avec sa femme, et tous ses compagnons y menerent aussi Adrian et Pernelle et leur cousin Lysis. Le pauvre berger avoit tous les regrets du monde de voir qu’Adrian le revenoit querir en une saison où il esperoit de se resjoüyr infiniment avec les nouveaux mariez. Il eust cherché sans luy mille belles inventions pour passer gayement la journee, et il ne fust pas sorty de chez Oronte comme il avoit fait sans parler à Charite ny la voir seulement. Ses compagnons firent une infinité de contes pour le resjouyr à soupé, mais il témoigna qu’il n’y avoit rien qui luy sceust plaire. Chacun se coucha bien tost dans les licts qui estoient preparez :

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Hircan estoit en un temps qu’il aymoit mieux la nuit que le jour. Le lendemain s’estant levé il pria tous ses amys qu’il avoit chez luy de s’habiller encore en bergers, et de faire plus les fous que jamais pour tirer du plaisir d’Adrian. Quand ce bon bourgeois fut levé, il fut d’avis de s’en retourner à Paris dés l’heure mesme, sans aller chez Oronte prendre congé d’Anselme pource qu’il avoit peur de troubler les resjouyssances de son mariage. Il alla seulement trouver Hircan, et luy dit qu’il le remercioit de tant d’honneur qu’il luy avoit fait et à son cousin aussi, et qu’il n’estoit plus d’avis de l’importuner d’avantage, mais de s’en retourner à Paris où s’il venoit jamais il luy feroit le meilleur accueil qui luy seroit possible. Comme il faisoit son petit compliment, Fontenay, Philitis, Polidor, et Meliante entrerent, et ce fut Fon tenay qui parla le premier. Quoy à ce que j’enten, Seigneur Adrian, vous nous voulez oster le plus cher tresor que nous puissions jamais posseder. Vous nous voulez ravir Lysis qui est le prince des bergers de la France ; vous le voulez mener dans une ville pleine de boüe qui n’est point son element. C’est icy qu’il se plaist ; vous luy faites autant de tort qu’à nous. S’il s’en va d’icy toutes les divinitez de ces lieux pleureront son depart et tascheront de vous punir. Je n’enten rien à toutes vos bergeries, dit Adrian, et mon cousin n’y devroit rien entendre non plus. Son pere n’estoit pas berger ; il estoit bon et loyal marchand comme moy. Qu’il suive le chemin que nous luy avons monstré. Lysis oyant cette contestation d’une autre chambre s’en alla vistement en bas où il trouva Carmelin, et luy ayant fait prendre sa houlette comme il avoit aussi la sienne, il luy dit qu’il vouloit aller aux champs pour se cacher de son cousin qui le vouloit emmener. Carmelin crût qu’il avoit raison ; il commençoit à se plaire en un païs où il y avoit desja long-temps que l’on luy faisoit fort bonne chere. Il ne s’imaginoit pas de trouver une meilleure fortune à Paris. Il suivit donc son maistre fort librement, et Lysis ayant rencontré en son chemin un laquais d’Hircan, il le pria de dire à Philiris qu’il s’en retournoit garder son troupeau, et qu’il le vinst chercher secrettement au lieu où estoient ses pasturages ordinaires, s’il avoit affaire de luy. Cependant Adrian estant resolu de l’emmener, quoy que l’on luy voulust dire, le cherchoit par tout, mais ne le trouvant point, il se mit fort en colere, disant que l’on avoit tort de luy celer un garçon qui estoit sous sa charge. Vous ne sçavez pas où vous estes, luy vint dire Fontenay, si vous aviez parlé de ce chasteau à vostre pupille, il vous diroit qu’il apartient à un magicien qui à une puissance extreme. Si vous n’écoutez nos remonstrances, sçavez vous ce qu’il fera pour vous punir avec justice ? C’est qu’il ordonnera que vous ne pourrez plus jamais rien entendre. Je me mocque bien de toutes vos follies,

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dit Adrian, je vous deffie tous tant que vous estes de me nuire. Alors les bergers ayans resolu avec Hircan ce qu’ils devoient faire, commencerent à ouvrir la bouche les uns devant les autres, comme s’ils eussent parlé. Quelquefois ils s’aprochoient d’Adrian, et luy parlant le plus bas qu’ils pouvoient, luy disoient, hé bien, nous entendez vous à cette heure, meschant qui avez mesprisé le pouvoir du sage Hircan ? Nous avons peur de nous rompre quelque veine tant nous nous efforçons de crier. Amarille ayant esté avertie de ce plaisant tour, se trouva aussi au lieu où estoit la compagnie, et remua long temps les levres devant son mary. Aussi firent quelques laquais qui entrerent. Adrian voyant cela sans pouvoir rien entendre, estoit en une peine incroyable. Il descendit dans la cuisine pour voir s’il n’entendroit pas bien parler quelqu’un, mais l’on avoit desja donné le mot du guet à tous ceux qui y estoient. Ils s’aprochoient de luy et luy venoient baailler contre les oreilles, et remuoient quelquefois les levres bien viste. Cela le mettoit si fort en colere qu’il frappoit des pieds la terre, et disoit a ces gens là qu’ils estoient fort malitieux de parler si bas. Pour eux, ils faisoient semblant d’estre aussi en colere qu’un muet que l’on n’entend point avec tous ses signes. Adrian crioit quelquefois tant qu’il pouvoit, qu’est-ce que vous dites, afin de les inviter à parler haut comme luy. Il eust bien voulu trouver sa femme pour voir s’il l’entendroit bien parler, mais elle estoit sortie pour aller chercher Lysis avec son chartier. En fin il ne s’en faloit guere qu’il ne crust estre devenu sourd pour toute sa vie, mais Hircan s’approchant de luy, luy parla tout bas à l’oreille avec une semblable action que s’il luy eust parlé fort haut. Mon bon amy, luy dit il, vous voyez que vous estes sourd, demandez moy pardon de m’avoir mesprisé si vous voulez estre guery. Je vous crie mercy de toute mon affection, dit Adrian, obligez moy tant que de me rendre l’ouye, et le reste de mes jours je seray vostre tres humble serviteur. Hircan luy aporta alors un peu d’huile sur une assiete avec un bout de plume, et luy en frotta les oreilles pour faire la feinte, puis il luy dit en voix ordinaire, n’est il pas vray que vous m’entendez maintenant ? Helas ouy, respondit il, que vous estes un brave homme ! J’enten aussi le son du fleau d’un batteur en grange, et le cry de quelques poulets d’inde qui sont dans vostre cour. Ha ! Qu’il m’estoit fascheux d’estre sourd tout à faict. Je n’eusse plus ouy la musique de nostre paroisse ; je n’eusse plus entendu la nuict toutes les horloges de la ville, et j’eusse esté un pauvre homme pour mon traffic, car il n’eust pas esté possible de me faire comprendre quelque chose autrement que par signes. Vous eussiez eu cette commodité en recompense, dit Philiris, que si vostre femme eust faict

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la mauvaise, vous n’eussiez point entendu ses cris, et s’il eust pris envie à nostre magicien de luy oster la veuë comme il vous avoit osté l’oüye, de vous deux eust esté composé ce bon mariage que les philosophes souhaittent, à sçavoir d’un mary sourd afin qu’il n’entende point le caquet de sa femme, et d’une femme aveugle afin qu’elle ne voye point les mauvais deportemens de son mary. Nous vivons si bien en nostre mesnage qu’il n’est pas besoin de ces expediens, repartit Adrian, je suis fort ayse de n’estre point sourd pour n’estre pas reduit à ce mal’heur d’estre en un lieu où l’on diroit pis que pendre de moy sans que je le pusse ouyr ? Recognoissez donc icy le pouvoir du maistre de ceans, dit Fontenay, aprenez aussi que sans luy, au lieu de trouver icy un cousin que vous y cherchiez, vous n’eussiez trouvé qu’un arbre qui portoit son nom. Cét illustre berger avoit esté metamorphosé par les dieux ; il vivoit sous une escorce comme font les hamadryades, mais Hircan luy a faict reprendre sa premiere forme, et il a faict la mesme chose pour une servante de sa femme appellee Lisette, laquelle avoit esté changee en serisier. Je ne parle point de la forme de fille qu’il avoit donnee une fois à Lysis, cela n’est pas si merveilleux : mais qui est-ce qui n’admirera son pouvoir en ce que voyant le berger Lysis et Carmelin son valet preparez à d’estranges accidens, il les rendit invulnerables, comme je croy qu’ils sont encore, de sorte qu’ils se battirent contre des geans et des monstres sans recevoir de blesseures. Voila Mediante mon compagnon qui le sçait bien ; ce fut par ce moyen qu’il eut sa maistresse, qui estoit dans une forteresse enchantee. Mais remarquez ce qu’il y a encore d’estrange en cecy : ce ne fut pas en ce pays que s’accomplirent les desseins guerriers de vostre cousin, ce fut dans une isle esloignee de deux ou trois mille lieuës en laquelle il fut porté dans un carrosse par des chevaux volans. Il n’y a que quatre jours qu’il en est revenu, je parle d’une chose recente. L’habit qu’il avoit avant-hier quand vous arrivastes, estoit encore son habit guerrier. Si vous croyez que je sois imposteur en tout cecy, je vous permets de vous en informer de luy mesme, vous verrez qu’il vous en dira beaucoup d’avantage. Adrian fut tout estonné d’oüir ce discours auquel il ne pouvoit comprendre guere de chose, pource qu’il n’estoit pas expert en matiere de romans. Un peu auparavant le laquais qui avoit rencontré Lysis avoit dit à Philiris ce qu’il luy avoit enchargé de luy dire, mais Philiris n’estant pas d’avis de l’aller trouver tout seul, dit à ses compagnons qu’il faloit faire un desjeuné qui valust un bon disné, et aller apres en un lieu où il sçavoit qu’estoit leur berger incomparable, et y mener aussi Adrian afin de le contenter. Au mesme temps sa femme revint, laquelle dit qu’elle n’avoit pû sçavoir de nouvelles de son cousin. L’on luy asseura qu’elle ne s’en devoit

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point mettre en peine, pource qu’elle le verroit bien tost. Apres le repas les bergers prirent chacun leur houlette, et laissant Hircan avec son Amarylle qui estoit la meilleure compagnie qu’il voulust choisir, ils menerent avec eux Adrian et Pernelle.