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Le Bois sec refleuri/IX

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Anonyme
Traduction par Hong-Tjyong-Ou.
E. Leroux (Annales du Musée Guimet : Bibliothèque de vulgarisationp. 165-178).
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IX


En quittant la capitale, San-Syeng s’était proposé un triple but : s’assurer de la bonne exécution des ordres du roi ; rechercher ses parents ; rejoindre son épouse. Le jeune homme ne se dissimulait pas les difficultés d’une pareille entreprise. Résolu à tout mettre en œuvre, il avait le plus ferme espoir de voir ses efforts finalement couronnés de succès.

Avant tout, San-Syeng avait hâte de revoir l’adorable Tjyang-So-Tyjei. Au moment de s’approcher de la ville de Tjin-Tjyou, où demeurait la jeune femme, le nouveau général apprit que cette localité était ensanglantée par l’émeute. Immédiatement, San-Syeng requiert des troupes dans les villes voisines, et en peu de temps l’ordre est rétabli. Le mandarin, dont les exactions avaient été la cause première de la rébellion, fut arrêté. On le transféra dans la capitale en compagnie des principaux meneurs.

Son devoir accompli, San-Syeng tout heureux s’apprêtait à aller surprendre joyeusement Tjyang-So-Tyjei. Hélas ! la maison dans laquelle il comptait retrouver son épouse avait été la proie des flammes. Il ne put maîtriser sa douleur et éclata en sanglots. L’intendant qui l’accompagnait chercha à le consoler. San-Syeng, à moitié fou, se laissa emmener. Il apprit que la mère de Tjang-So-Tyjei était morte, et que l’orpheline s’était enfuie au moment de l’incendie, sans qu’on sût de quel côté elle avait dirigé ses pas.

San-Syeng résolut de se mettre immédiatement à la recherche de sa jeune femme ; mais, brisé de fatigue, il dut se résoudre à prendre quelques instants de repos. Pendant son sommeil San-Houni lui apparut pour la troisième fois et lui dit :

— Mon pauvre enfant, vous cherchez vos parents et ne pouvez réussir à les retrouver. Apprenez que c’est moi qui suis votre père. Je jouissais autrefois d’une grande influence à la cour, mais mon ennemi Ja-Jo-Mi, m’a fait exiler en même temps que mon meilleur ami Sùn-Hyen. J’ai été assassiné par Sù-Roung qui devait me transporter à Ko-Koum-To. Quant à votre mère et à votre épouse elles se trouvent actuellement à Saug-Tjyou. Un mandarin scélérat les a condamnées à mort. Hâtez-vous d’aller à leur secours ; le moindre retard serait funeste.

San-Syeng, réveillé, se mit immédiatement en route. Bientôt il atteignit la ville dont San-Houni lui avait parlé en rêve. Il ne tarda pas à apprendre que sa mère et sa femme, injustement accusées de vol, étaient effectivement en prison et devaient le lendemain même être mises à mort.

Le jeune homme courut à la prison. Il lui fut impossible d’y pénétrer. Il eut alors recours à un stratagème. Entrant chez un marchand, il déroba un objet quelconque et feignit de s’enfuir. Arrêté, il fut jeté en prison.

Avant d’employer cette ruse, San-Syeng avait ordonné à son serviteur de venir se poster le lendemain, dans la matinée, devant la prison avec le cheval de son maître.

La salle dans laquelle le jeune homme fut introduit après son arrestation, était fort obscure. Plusieurs personnes y étaient déjà enfermées ; mais il lui fut impossible de les distinguer. Pour avoir de la lumière il se disputa avec un de ses voisins, ce qui devait inévitablement avoir pour résultat l’arrivée du gardien. À peine celui-ci eut-il entendu des cris, qu’il accourut. Il s’interposa entre les deux hommes.

— Je vais vous signaler au mandarin, dit-il au fils de San-Houni. Quel est votre nom ?

— San-Syeng.

En entendant ce nom, Tjyang-So-Tyjei et Tcheng-Si furent au comble de l’étonnement. Elles parlèrent entre elles à voix basse : « C’est bien ainsi que s’appelle mon fils, dit Tcheng-Si ; mais ce n’est pas lui qui se trouve ici, car il n’est pas un voleur. »

La nuit se passa sans que San-Syeng eût pu se faire reconnaître par les deux femmes. Au matin, on entendit tout à coup le hennissement d’un cheval. Aussitôt Tjyang-So-Tyjei, s’approchant de l’ouverture qui laissait pénétrer la lumière dans la prison, s’écria :

— Venez donc voir ma mère ! Le cheval qui vient de hennir est celui-là même que j’ai donné à mon mari, ou en tout cas lui ressemble d’une façon frappante.

Tcheng-Si, répondit en gémissant :

— Hélas, qui sait où est mon pauvre fils.

Alors San-Syeng s’approchant de celle qui était sa mère lui demanda la cause de son chagrin. Tcheng-Si lui raconta ses tristes aventures, depuis son départ pour l’exil avec San-Houni jusqu’à son arrestation et à sa condamnation par le mandarin de Sang-Tjyou.

A son tour, le jeune homme fit le récit de ses malheurs. « Je porte gravé sur mon bras le nom de San-Syeng, dit-il en terminant, mais j’ignore qui m’a fait cette empreinte ineffaçable. »

Tjyang-So-Tyjei qui avait assisté à cette conversation, s’écria :

— Dites-moi, comment s’appelle votre femme, et dans quelle ville elle habite.

— Tjang-So-Tjyei est le nom de mon épouse ; elle habitait la ville de Tjiù-Tjyou ; mais j’ai trouvé sa maison brûlée.

— O mon cher San-Syeng, dit la jeune femme, je te retrouve enfin. Et, s’adressant à Tcheng-Si :

— Ma mère, voici votre fils.

Tous trois s’embrassent en pleurant. Les deux femmes étaient encore plus tristes, en songeant que bientôt elles devraient mourir après avoir touché de si près au bonheur. San-Syeng les rassura. Il jouissait de pouvoirs extraordinaires dont il allait sur-le-champ faire usage.

A ce moment même l’intendant du jeune général entrait dans la prison. Il reçut l’ordre de faire annoncer dans la ville l’arrivée de San-Syeng, représentant spécial du roi. On devait mettre la main sur le mandarin et le mener à son tour en prison.

Quelques instants après l’intendant revenait annoncer à son maître que ses ordres étaient exécutés. En même temps tous les fonctionnaires accouraient à la prison. Ils s’empressaient autour de San-Syeng et lui présentaient respectueusement leurs hommages. Sur leurs instances, le fils de San-Houni quitta la prison avec ses compagnes pour se rendre à l’hôtel-de-ville.

Tjyang-So-Tjyei, ayant aperçu le cheval qu’elle avait donné à son mari, courut vers le brave animal et l’embrassa tendrement sur les naseaux. Le coursier semblait comprendre, car ses yeux, tournés vers la jeune femme, étaient mouillés de larmes.

— Ne pleure pas, mon cher cheval, dit Tjyang-So-Tjyei. N’as-tu pas été plus heureux que moi en accompagnant sans cesse celui que j’aime et dont j’étais séparée ?

San-Syeng, témoin de cette scène, attira doucement sa femme sur son cœur et lui dit, en baisant ses cheveux :

— Désormais nous ne nous quitterons plus.

— San-Syeng, au comble du bonheur d’avoir retrouvé à la fois sa mère et sa femme, désirait aussi être renseigné au sujet de son père. Tcheng-Si, les larmes aux yeux, lui raconta les infortunes de San-Houni.

— Ne te désole pas, ma chère mère, dit San-Syeng. Après tant de souffrances, tu auras le bonheur en partage. Je ferai tout ce qui pourra contribuer à te rendre heureuse. Allons d’abord voir la sœur Out-Poug qui a été si bonne pour toi.

Cette proposition fit un très grand plaisir à Tcheng-Si. On se mit en route pour le temple de Ro-ja. En passant près du lac qui lui rappelait de si tristes souvenirs, Tcheng-Si arrêta son fils. Elle lui fit un touchant récit du dévouement de la vieille femme qui s’était sacrifiée sans aucun espoir de récompense.

— Ma mère, dit San-Syeng, je veux qu’il soit élevé en cet endroit un monument pour perpétuer à jamais le souvenir du sublime dévouement de ta pauvre compagne.

L’intendant reçut l’ordre de faire venir immédiatement des ouvriers pour procéder à l’érection du monument.

Avant d’arriver au temple de Ro-ja, Tcheng-Si, en passant près de la forêt de bambous, rappela à son fils dans quelles tristes circonstances il était venu au monde. Tous ces souvenirs arrachaient des larmes à la mère infortunée, et ses enfants, de leur côté, ne pouvaient s’empêcher de laisser paraître leur profonde émotion.

La sœur Out-Poug ne s’attendait pas à revoir si promptement Tcheng-Si et sa bru.

— Voici mon fils, dit l’ancienne compagne de la religieuse.

San-Syeng adressa à la religieuse de chaleureux remerciements pour toute la bonté qu’elle avait témoignée à Tcheng-Si.

— Ne me remerciez pas, Monsieur, dit la sœur, je n’ai fait que mon devoir en protégeant une femme malheureuse. C’est le Bouddha qui a eu pitié d’elle et qui l’a récompensée de sa piété et de sa longue attente en lui permettant de vous retrouver.

Sous la surveillance de l’intendant une pagode avait été rapidement élevée sur les bords du lac. On pouvait y lire cette inscription : A la bienfaitrice de ma mère, je voue une éternelle reconnaissance.

La religieuse consentit à aller avec ses hôtes voir le monument qui venait d’être élevé. San-Syeng avait donné des ordres pour qu’on dressât la table du sacrifice devant la pagode et qu’on lui amenât Sù-Roung. On devait saisir toutes les richesses du voleur.

A ce moment même, Sù-Roung racontait à son frère Sù-Young le rêve étrange qu’il avait fait la nuit précédente. Il s’était vu entouré de flammes, la tête dans une grande chaudière.

— Cela prouve que ta fin est prochaine et que tu mourras par la volonté d’un homme, dit Sù-Young. Pourquoi aussi te laisses-tu toujours aller à l’emportement ? Il se pourrait bien que ce soit le remords et la crainte que t’inspire la présence dans le pays d’un envoyé du roi qui trouble ainsi ton sommeil.

Sù-Young n’avait pas achevé ces paroles qu’on frappait à la porte. En quelques minutes Sù-Roung était réduit à l’impuissance et solidement garotté. Les objets volés furent saisis, et l’on se dirigea vers la pagode.

Quand le voleur eut été amené en face du jeune général, celui-ci lui demanda :

— Je m’appelle San-Syeng. Me connaissez-vous ?

Sù-Roung, très surpris, mais ne pouvant s’imaginer que son fils adoptif eut été élevé à la haute dignité d’envoyé du roi, répondit :

— Votre nom ne m’est pas inconnu ; mon fils se nomme aussi San-Syeng.

— Vous avez donc un fils ?

— Oui. Il m’a quitté il y a trois ans pour se rendre à la capitale et depuis je n’ai pas eu de ses nouvelles.

— Eh bien, apprenez que je suis celui dont vous vous vantez d’être le père. Je ne suis pas le fils d’un assassin. J’ai retrouvé ma mère qui m’a instruit de ma naissance et de vos crimes. La reconnaissez-vous, ma mère ? ajouta San-Syeng en désignant Tcheng-Si, au brigand.

Tcheng-Si, qui depuis un moment considérait attentivement Sù-Roung, s’écria :

— Comment misérable, tu vis encore ? Je rends grâce au ciel qui m’a permis de te retrouver pour assouvir ma vengeance. Mon fils voici le meurtrier de ton père. Tue-le de ta propre main. Je veux me repaître de son foie.

La mère de San-Syeng était hors d’elle. Son fils chercha à la calmer. Il dut lui représenter qu’il n’avait pas le droit de faire mourir un homme sans un ordre du roi. Tcheng-Si n’insista pas. D’autres pensées l’envahirent quand elle se fut, avec tous les assistants, agenouillée dans la pagode afin de prier pour l’âme de la malheureuse vieille femme à qui elle devait la vie.

Sù-Roung fut dirigé sur la capitale. San-Syeng, s’adressant à Sù-Young, lui dit :

— Vous avez toujours été un homme loyal. Prenez ces objets que votre frère s’est injustement approprié.

— Je vous remercie. Je n’ai plus besoin de rien ; car je vais mourir avec mon frère.

— Je ne comprends pas votre détermination.

— Quand on coupe un arbre, les branches continuent-elles à vivre ?

— Mais si votre frère était un criminel, vous n’avez rien à vous reprocher personnellement.

— C’est vrai ; je n’en persiste pas moins à vouloir quitter la vie en même temps que mon frère.

San-Syeng ne put faire renoncer Sù-Young à son fatal dessein. Avant de retourner dans la capitale, le fils de San-Houni visita encore plusieurs provinces. Quand sa mission fut terminée, il alla rendre compte au roi de tout ce qui lui était arrivé. La reine avait demandé à entendre le récit des aventures du jeune général. Quand San-Syeng, eut cessé de parler, Tcheng-Y s’écria en pleurant :

— Vous êtes plus heureux que moi.

A bout de forces, elle se laissa glisser à terre.

Chacun s’empressa respectueusement autour de la reine, qui ne tarda pas à recouvrir ses sens. Alors San-Syeng lui demanda, en se prosternant devant elle, quelle était la cause de son chagrin subit.

— Hélas ! répondit Tcheng-Y, il y a trois ans que j’ai quitté mon père, et depuis je n’ai jamais eu aucune nouvelle de lui. Voilà ce qui m’attriste si profondément.

Le roi et son général assurèrent qu’ils useraient de tous les moyens possibles pour faire retrouver le père de la souveraine. Celle-ci, après avoir longuement réfléchi, s’écria tout à coup :

— Eh bien, qu’on réunisse tous les aveugles du royaume en un grand banquet. Je veux leur faire à chacun un cadeau.

— Majesté, répondit San-Syeng, il sera fait selon vos ordres.

Immédiatement l’ordre fut expédié à tous les mandarins d’avoir à envoyer à la capitale tous les aveugles de la Corée.