Le Bonheur (Sully Prudhomme)/Formes et couleurs

La bibliothèque libre.
Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 177-193).


III

FORMES ET COULEURS



faustus

Stella, restons encore à la place où nous sommes,
Dans l’immobilité. La malice des hommes,
Leur misère, leur guerre inextinguible entre eux,
Leur vie ardente en proie aux besoins douloureux,
Tout le passé m’a tant fatigué que cette heure
M’est dans la paix oisive à savourer meilleure ;
Ne nous arrachons point à ce loisir calmant :
Je le goûte à tes pieds voluptueusement.

stella

Ainsi, quand j’eus moi-même, après beaucoup d’épreuves,
Atteint ce monde où l’âme et la chair se font neuves,
Où la sérénité céleste nous remplit,
Comme un voyageur las se jette sur le lit,
Laissant pendre ses pieds ensanglantés qu’on lave,
J’ai, comme toi, connu cet abandon suave

Où toute volonté se fond et se dissout.
Où dormir seulement est préférable à tout.
 

faustus

______Non, le bien-être qui m’inonde,
______Cette quiétude profonde.
______N’est pas le sommeil oublieux !
______Ah ! si j’oubliais la souffrance,
______Sentirais-je ma délivrance
______Et l’aménité de ces lieux ?
 
______Plus j’éprouve combien la sphère
______Où je renais heureux diffère
______Du sombre globe où je naquis,
______Plus la haute béatitude
______Qui suit ma vie infime et rude
______Me rend cher cet Éden conquis.

______Que je mesure avec délice
______L’immensité libératrice
______Qui me sépare de mes maux !
______Que je me sens l’âme allégée
______Quand des chaînes qui l’ont chargée
______Je pèse d’ici les anneaux !

______L’oiseau pris auquel on fait grâce
______Un moment plane dans l’espace,

______Comme étonné du ciel rendu :
______Tel mon cœur, assurant son aile.
______Devant sa carrière éternelle
______Demeure un moment suspendu.

______De cette plage enchanteresse
______Où j’aborde sauvé, j’adresse
______Un dernier regard à la mer ;
______Le souvenir de la tourmente
______Rend la sécurité charmante
______D’autant plus qu’il est plus amer !

______Adieu ! monde impur, traître monde,
______Où la fleur cache un ver immonde,
______Où point l’orage à l’horizon
______Dès qu’en haut l’azur se déploie.
______Où l’espoir dans les pleurs se noie,
______Où nul plaisir n’est sans poison !

______Adieu ! roule dans ton orbite.
______Avec l’engeance qui t’habite
______Roule tes vices, tes forfaits,
______Tes misères et tes supplices !
______Moi, j’ai vidé tous tes calices.
______Maintenant tranquille à jamais !

stella

Vois-tu poindre là-bas cette tache mouvante
Qui semble une nuée à l’horizon vivante ?…


faustus

Dans la pâleur de l’aube elle tressaille et croit.

stella

C’est qu’elle vient à nous de l’orient tout droit.
J’y reconnais un gros de cavaliers nomades
Qui, poussant au hasard leurs libres promenades,
A travers la campagne, ivres d’espace et d’air,
Volent, capricieux et prompts comme l’éclair !
Ils seront là bientôt.

faustus

_______________Déjà la terre tremble
Au rythme des sabots qui la frappent ensemble.

stella

Ils accourent penchés sur des coursiers sans freins,
Et le vent qui les suit mêle aux cheveux les crins.

faustus

On croit voir galoper un troupeau de centaures.
Ils approchent. J’entends leurs battements sonores.
Les voilà ! Comme ils sont gracieux et hardis !


stella

Leurs couples par la race et l’amour assortis
Heurtent d’un pas égal l’étincelante arène ;
La même fougue errante en avant les entraîne
Dans la même aventure éperdument lancés.
Ils aiment la vitesse et les bonds cadencés
Des chevaux généreux qu’anime un sang vivace,
Et, comme eux, fous et pleins de vigueur et d’audace,
Par-dessus les buissons, les rochers, les ruisseaux,
Du geste et de la voix précipitent leurs sauts.
Ils aiment, tout le jour, à voir sur leur passage
Apparaître, onduler et fuir le paysage,
A troubler des forêts le ténébreux sommeil
Pour replonger soudain de l’ombre en plein soleil,
A changer d’air, de sol et de ciel, à chaque heure,
Où les surprend la nuit élisant leur demeure.
Leurs courses me les ont déjà fait rencontrer :
Ils sont grands et bien faits ; je te les veux montrer. —

Elle lève le bras et l’agite ; à ce signe
Les premiers, devant elle arrêtés tous en ligne.
Se dressent pour la voir, poussent un joyeux cri.
Et Stella reconnue a doucement souri.

______ « Béni soit le hasard, dit-elle,
______Qui vous a dirigés vers nous !
______Vous savez mon nom d’immortelle,

 
______Voici, vêtu de chair nouvelle,
______Faustus, mon immortel époux.

______« Il salue en vous les esclaves
______Mis par la tombe en liberté,
______Tremblants jadis, aujourd’hui braves,
______Qui, soulagés de leurs entraves,
______Promènent ici leur fierté.

______« Vous tous que ce paradis venge.
______Vous, nés en servitude au bord
______Du Nil, de l’Euphrate et du Gange,
______Pour qui le joug pesant se change
______En aile ouverte après la mort !

______« Fils de l’Afrique et de l’Asie,
______Que des rois au cœur dur et vain
______Enchaînaient à leur fantaisie
______Et que maintenant rassasie
______D’indépendance un vol sans fin !

______« Vous aussi, chasseurs pacifiques.
______Vous que l’Espagnol autrefois
______Brûla vifs avec vos caciques,
______Peuple heureux de plus sûrs Mexiques,
______Courant la savane et les bois !

______« Et vous, dont mon cœur à ma bouche
______Ne saurait dicter tous les noms,

______Qui, troupeau souffrant et farouche,
______Du genre humain fûtes la souche,
______Voyez vos derniers rejetons !

______« Souffrez que notre couple embrasse
______En vous les plus anciens aïeux,
______Dont le sang a laissé sa trace
______Dans la beauté de chaque race,
______Dans son cri d’appel à ses dieux ! »

A peine elle a parlé qu’on l’acclame et qu’en foule,
Comme au pied d’un rocher la mer s’élève et croule,
Les coureurs autour d’elle à sa voix suspendus,
De leurs chevaux, d’un bond, sont déjà descendus ;
Et Faustus, avec elle environné, contemple
L’appariment parfait, sur terre sans exemple,
Des puissances de l’âme et des forces du corps,
L’expressive beauté qui naît de leurs accords,
Et de ces affranchis les sereins hyménées,
Où par un libre nœud l’une à l’autre enchaînées
Dans deux êtres divers joints éternellement
Se complètent la force et la grâce en s’aimant.
Il admire ces chairs fines ou vigoureuses
Qu’animent des sangs purs, des volontés heureuses.
Ces chairs que de vils coups l’ancien bâton rouait,
Que meurtrissait le sceptre ou déchirait le fouet.
A la contorsion qu’infligeait le martyre
Le geste aisé succède et le noble sourire :
Les larmes qui brûlaient, en jaillissant, les yeux

Font place à d’autres pleurs lents et délicieux,
Aux pleurs qu’à l’œil ravi les horizons arrachent
Et que ni la terreur ni la haine ne cachent.

Stella dit à Faustus : « Vois, admire à ton gré
Leur bonheur libre et pur de la terre ignoré.
Les corps peuvent ici, dans leur pleine croissance,
Ne sentant pas la mort liée à la naissance,
Jouir d’une jeunesse aux jours illimités,
Exempts de toute usure et des infirmités
Qui, par une imparfaite et dure économie,
Font de la volupté, là-bas, une ennemie.
Cet astre généreux donne à ses habitants
Une tranquille foi dans ses bienfaits constants ;
Il leur prodigue à tous ses trésors sans mesure
Et rend ainsi la paix facile entre eux et sûre.
Un infaillible chois y rend perpétuel
Dans les cœurs des amants leur attrait mutuel.
Des visages, des goûts, l’accord et le contraste,
Enfin persévérants ! fixent leur amour chaste ;
La main qui les forma les a sacrés époux :
Fidèles par nature, ils ne sont point jaloux. »

faustus

Il peut donc exister une humanité bonne,
Paisible, et qui sans honte à l’instinct s’abandonne,
Pouvant vivre sans meurtre, exempte de la faim,

Sans lutte avec le sol et l’air, heureuse enfin !
Quoi ! ce n’est plus ici la peur de la misère,
L’àpre souci de l’or stérile et nécessaire,
La terreur de mourir, l’effroi du lendemain
Qui font dans tous ses vœux battre le cœur humain !
Ainsi donc, s’enrichir, dominer, ces deux choses,
Qui de toute action sont les fins et les causes,
Perdent pour l’homme ici leur féroce intérêt ?
Maître sans crime, il peut savourer sans regret
La douceur de ses biens, qu’il ne vend ni n’achète.
Quel délice, ô Stella, quelle indicible fête,
De respirer un air pur, absolument pur,
Et d’en voir resplendir l’inaltérable azur,
Sachant que nul sanglot, nul soupir, nul blasphème,
Nul cri n’en peut venir troubler la paix suprême !
A mes frères, là-bas, combien avaient coûté
De sueurs et de pleurs les biens dont j’ai goûté !
Je vais donc aujourd’hui vivre libre, à mon aise,
Savourer le repos, sans qu’un remords me pèse,
Sans que d’autres pour moi se privent de plaisirs
Qu’aient à se reprocher mes injustes loisirs !
Il n’est donc pas besoin de maçons qui bâtissent,
Mal abrités, mon toit, ni d’ouvriers qui tissent,
Courbés sur des métiers dans un obscur taudis,
Mes vêtements du pauvre enviés et maudits !
Qu’un peuple au sol rivé le retourne et le fouille
Pour m’en fournir le blé, les métaux et la houille !
Qu’un innombrable essaim d’obstinés travailleurs
S’épuise à me forger des jours un peu meilleurs !

Ah ! la douleur de tous, ici, comme sur terre,
De ma félicité n’est donc pas tributaire !

stella

Non, mon ami ; chacun, dans ce monde excellent,
Use, avec un fertile et naturel talent,
Pour les œuvres qu’il aime et peut aimer sans blâme,
Des forces de son corps et des dons de son âme ;
Le travail lui paraît plus un jeu qu’une loi,
Des puissances de l’homme utile et doux emploi !
Volontaire, sa tache à sa vaillance agrée ;
Serein quand il travaille, il semble un dieu qui crée ;
Dans l’effort même, auquel on ne le contraint pas,
Il jouit de vouloir et n’en est jamais las ;
Sa victoire n’est pas le prix de la fatigue.
Des fruits de son labeur satisfait et prodigue,
Il aime à les offrir à son propre rival ;
Et tandis que sur terre, où l’échange est vénal,
Tout service, tout bien se mesure et se troque,
L’échange n’est ici qu’un bienfait réciproque.

faustus

Ah ! quel soulagement pour la compassion.
______Pour la justice, ô mes ancêtres,
De vous voir tous debout, hors du sombre sillon
______Où vous courbait le joug des maîtres !


Qu’il m’est doux de venir, après des milliers d’ans,
______Vous rendre un filial hommage,
Vous reconnaître, au nom de tous vos descendants
______Qui se libèrent d’âge en âge.

Et vous dire qu’enfin les derniers nés d’entre eux
______Possèdent la glèbe et les villes
Que fondèrent, au prix d’efforts si douloureux,
______Pour vos tyrans vos mains serviles !

Et pourtant plaignez-les, car, des chaînes sauvés,
______Ils attendent la paix encore,
Se disputant partout les champs et les pavés
______Qu’un sang fraternel déshonore ;

Moins ignorants que vous, moins crédules aussi,
______Las des dieux immortels qui meurent,
Ils ont, veufs d’espérance, uniquement souci
______Des atomes, qui seuls demeurent ;

Sans gagner le bonheur, ils ont conquis le droit.
______Plus tristes, s’ils sont moins barbares,
Et dans leurs champs égaux ils rampent à l’étroit,
______Trop nombreux pour les blés trop rares ! —

Ainsi du monde ingrat d’où l’arracha la mort
Faustus à ses aînés dit l’incurable sort.

Pendant qu’il parle, tous se pressent pour l'ententre
Et cherchent à l’envi ses mains pour les lui prendre.
Il croit voir, ébloui par le mouvant amas
De ces beaux corps trempés aux plus divers climats,
Luire, sous leur peau blanche ou jaune, ou brune ou noire,
Et respirer des dieux d’or, de bronze et d’ivoire.
Ils lui charment les yeux, chacun par sa couleur
Dont l’éclat vif ou sombre ou la tendre pâleur
Enchaînant le regard le flatte ou l’émerveille.
Et quelle joie exquise et plus intime éveille
Dans son âme la forme, où par le seul contour
L’esprit parle à l’esprit et l’amour à l’amour.
Où chaque race écrit qu’elle a reçu son moule
Du sol âpre ou clément, triste ou gai, qu’elle foule,
Et dans sa beauté propre enseigne par ses traits
De la terre et du sang les échanges secrets !

faustus

Tous ces corps, tes chefs-d’œuvre et ton honneur, 6 Terre !
______Comme tes plantes ont germé.
Et de chacun le germe a crû, dépositaire
D’un souffle originel, d’un type héréditaire
______Après mille ébauches formé.

Tes climats sur la vie, éternelle aspirante.
______Ont tous épuisé leur vertu ;
Mais elle, force noble au poids vil inhérente.
Obstinément elle a, quoique frêle et souffrante.
______Contre eux sans cesse combattu.


La torride chaleur et la rude froidure
______Ont sévi, mais sans l’étouffer ;
L’air énervant qui berce une molle verdure
A pu, trop embaumé, l’assoupir : elle dure,
______Elle a su partout triompher !

O Terre ! elle a bravé sur toute ta surface
______Tes délices et tes rigueurs ;
Rebelle à ta caresse et sourde à ta menace,
Elle a rampé, lutté, grandi, souple et tenace,
______Dans les corps humains, tes vainqueurs !

Les voilà ! combattants que la victoire apaise.
______Tels que tes saisons les ont faits,
Mais sous un ciel exempt d’influence mauvaise,
Plus beaux, plus sains, guéris de tous les maux, pleins d’aise,
______Inaltérables et parfaits !

Ceux dont ton avarice avait plié le buste
______Sur le soc, la pioche et la faux.
Enrichis d’un bras fort, d’une épaule robuste,
Conservent, redressés, leur énergie auguste,
______Vrai salaire de leurs travaux.

Ceux qu’avaient alanguis les traits ardents que lance
______Un soleil fauve, et les senteurs
Des lourdes floraisons dormant dans le silence,
Gardent, ressuscites, leur ancienne indolence
______Sous des contours plus enchanteurs.


Ceux qu’animait la faim d’un sanguinaire zèle
______A chasser le cerf et l’oiseau,
Longtemps rivaux adroits du pied leste et de l’aile,
Ont les membres plus fins et le torse plus grêle,
______Ils ont la grâce du roseau.

Sacrés par le triomphe, et par l’épreuve même
______Brutale ou perfide ennoblis,
Tous, hôtes désormais d’un astre qui les aime,
Réalisent ici, dans le bonheur suprême,
______Leurs derniers types accomplis !

stella

Tu vois du genre humain les premières espèces
Que voilait le passé de ses ombres épaisses.
Ces hommes, les premiers au paradis reçus,
Laissèrent de leurs corps les terrestres tissus
Enfouis et bientôt dissous au fond des tombes ;
Mais leurs formes, fuyant comme un vol de colombes
Qui par un sûr instinct retournent à leurs nids,
Vinrent vêtir la chair et l’esprit rajeunis
Sur cet astre où, fixés dans le sang et la sève,
Le printemps persévère et la beauté s’achève !
Regarde-les bien tous, car leurs traits et leurs teints
Avaient péri pour nous, et leurs types éteints
Dans la succession des races mélangées
Avaient suivi les mœurs avec les temps changées.


faustus

Que n’êtes-vous réunis dans ces lieux.
______Grands artistes de tous les âges,
______Vous dont la splendeur des visages
Et leur sourire ont enchaîné les yeux,

Vous que charmaient une fière encolure,
______Par un souple torse assemblés
______Des membres pleins, bien accouplés,
Une héroïque ou langoureuse allure,

La fleur humaine au tendre coloris,
______A la forme pure, élégante,
______Sœur de la rose et de l’acanthe.
Comme elles noble, éphémère et sans prix !

Ah ! vos pinceaux et vos ciseaux fidèles,
______Peintres ardents, sereins sculpteurs,
______Entre vos doigts révélateurs
Frémiraient d’aise imitant ces modèles !

stella

Rassure-toi, Faustus, aucun d’eux n’est privé
De contempler vivant son idéal rêvé :
Des beautés que la terre aux yeux mortels dénie,
Chacun, dans la lumière avant nous arrivé,
Satisfait son regard, son cœur et son génie.


Ils possèdent leur songe incarné sans effort :
C’est aux bras d’Athéné que Phidias s’endort ;
Souriante, Aphrodite enlace Praxitèle ;
Michel-Ange ose enfin du songe qui la tord
Réveiller sa Nuit triste et sinistrement belle ;

Ici le grand Apelle, heureux dès avant nous,
De sa vision même est devenu l’époux ;
L’Aube est d’Angelico la sœur chaste et divine ;
Raphaël est baisé par la Grâce à genoux,
Léonard la contemple et pensif la devine ;

Le Corrège ici nage en un matin nacré,
Rubens en un midi qui flamboie à son gré ;
Ravi, le Titien parle au soleil qui sombre
Dans un lit somptueux d’or brûlant et pourpré,
Que Rembrandt ébloui voit lutter avec l’ombre ;

Le Poussin et Ruisdaël se repaissent les yeux
De nobles frondaisons, de ciels délicieux,
De cascades d’eau vive aux diamants pareilles ;
Et tous goûtent le Beau, seulement soucieux.
Le possédant fixé, d’en sentir les merveilles !

Il leur suffit que l’âme en soit le pur miroir ;
Créateurs au repos, il leur suffit de voir
Leur idéal exempt de sa terrestre gaze.
En bas la renommée a comblé leur espoir.
En haut leur récompense est l’éternelle extase ! —


Cependant à l’appel des horizons nouveaux
Vers leurs maîtres épars hennissent les chevaux.
Bientôt les cavaliers avec des cris de joie
Replongent dans l’espace, et chacun d’eux envoie
A ses hôtes d’une heure, en quittant ce beau lieu,
Un gai salut fuyant qui n’est pas un adieu.


VOIX DE LA TERRE


Tu montes vainement, ô vivante marée
De tous les cris humains par la terre poussés !
Contre les fiers soleils, vagabonde égarée,
Tes flots aigus se sont vainement émoussés !

Tu n’es par aucun d’eux au passage accueillie ;
Tu peux longtemps encor dans l’infini courir :
Chaque étoile à son tour par ta houle assaillie
La sent glisser à peine et dans la nuit mourir.

Quand pour l’une tu fuis, au loin diminuée.
Pour une autre déjà tu grandis ; mais toujours
Ton douloureux concert de plainte et de huée
Dans son ascension trouve les astres sourds !

Pourtant reste fidèle à ta recherche errante :
Peut-être existe-t-il, plus haut encore aux cieux,
Une sphère moins sourde et moins indifférente
Qui t’est moins étrangère et te comprendra mieux.