Le Bourreau de Berne/Chapitre 9

La bibliothèque libre.
Le Bourreau de Berne ou l’Abbaye des vignerons
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 13p. 116-132).

CHAPITRE IX.


Où sont mes Suisses ? Qu’ils gardent la porte. Quel est ce bruit ?
Shakespeare, Hamlet.



L’automne d’Amérique, ou la chute des feuilles, c’est ainsi que nous l’appelons poétiquement parmi nous, cette saison si douce et si généreuse ne peut être surpassée dans sa chaleur, son air pur et son admirable constance, par aucun automne des autres parties du monde. Néanmoins, malgré notre attachement pour notre belle patrie, qui nous porte à relever tous ses avantages, et quelque brillants que soient nos jours d’automne, nous sommes obligés de convenir que jamais matinée plus belle ne se leva sur les Alléghanies, que celle qui éclaira les Alpes lorsque le soleil reparut après la tempête de la soirée précédente. À mesure que le jour avança, la scène devint plus charmante, et la belle et chaude Italie elle-même ne pouvait présenter un paysage plus séduisant, et possédant à la fois plus de grandeur et d’agrément que celui qui frappait Adelheid de Willading, lorsque, en s’appuyant sur le bras de son père, elle sortit du château de Blonay pour aller se promener sur la terrasse élevée.

Nous avons déjà dit que ce bâtiment ancien et historique était appuyé contre les montagnes, à une petite lieue derrière la ville de Vevey. Toutes les montagnes de cette région appartiennent à la même chaîne, et celle sur laquelle Blonay a été construit dès le moyen-âge appartient à cette ligne particulière de rochers qui sépare le Valais du centre des cantons de la Confédération suisse, et qui est connue communément sous le nom d’Alpes d’Oberland. Ce rempart, couronne de neige, se termine en précipices perpendiculaires sur les bords du Léman, et forme de l’autre rive du lac une partie de cette vue magnifique qui rend le côté sud-est d’une si surprenante beauté. La muraille naturelle qui s’avance au-dessus de Villeneuve et de Chillon continue au bord de l’eau, laissant à peine la place d’une voiture, pendant environ deux lieues, et montrant de temps en temps une chaumière à ses pieds ; elle quitte enfin les bords du lac, entre dans les terres, et disparaît parmi les montagnes des environs de Fribourg. Chacun a observé ces pentes rapides, composées de débris, de torrents et de précipices que l’on pourrait comparer à l’écoulement d’éminences perpendiculaires formant leur pied des arcs-boutants et une sorte de fondation ou de soubassement pour leur énorme masse. Parmi les Alpes où la nature se développe sur une échelle immense, et où toutes les proportions sont strictement observées, ces débris de hautes montagnes contiennent fréquemment des villes et des villages, ou de vastes champs de vignes et des pâturages, suivant leur élévation ou leur exposition au soleil. Les géologistes peuvent demander si le plateau qui entoure Vevey, riche en villages, en vignes, en hameaux, en châteaux, a été formé ainsi, ou si la convulsion première, qui expulsa les rocs les plus élevés du sein de la terre, laissa leurs bases sous la forme irrégulière et belle qu’elle a aujourd’hui ; mais cette solution n’est pas nécessaire à l’effet qu’elles produisent et qui donne à ces masses de rochers des bases secondaires et fertiles, qui, dans d’autres pays, pourraient être appelées des montagnes.

Le château de Blonay existe encore, et la famille du même nom peut être comptée comme une des plus anciennes du pays de Vaud. Une tour grossière et carrée, basée sur un fondement de rocher, une de ces masses battues par la tempête et qui montrent leur tête nue sur une de ces pentes dont nous venons de parler, fut le commencement de cette forteresse. Divers bâtiments furent construits en différents siècles autour de ce noyau, et présentèrent enfin l’ensemble de ces édifices remarquables et pittoresques qui ornent si souvent les plus doux comme les plus sauvages paysages de la Suisse.

La terrasse vers laquelle Adelheid et son père s’avançaient était une promenade irrégulière, ombragée d’arbres vénérables qui avaient été plantés près de la porte principale du château, sur un rebord de ces rocs qui forment la fondation des bâtiments eux-mêmes. Ce jardin était entouré d’un mur à hauteur d’appui ; son sol était artificiel ; on y voyait des allées sablées, des sièges et tous les ornements particuliers à ces antiques demeures ; mais il avait aussi, ce qui vaut mieux encore, une des plus imposantes, des plus belles vues qu’on puisse imaginer au-dessous des champs onduleux, des riches vignobles, des prairies parsemées de hameaux, un parc immense et naturel, composé de forêts d’arbres, à travers lesquels on apercevait de tout côté le toit d’un château ou le clocher d’une église. Il y a peu de magnificence dans l’architecture en Suisse, qui ne surpasse jamais de beaucoup la nôtre et souvent lui est inférieure ; mais la beauté, la tranquillité des paysages, la grande variété du terrain, les montagnes, la pureté de l’atmosphère, ajoutent aux charmes particuliers à ce pays. Vevey est situé sur le bord de l’eau, plusieurs centaines de pieds plus bas de la terrasse du château cette ville ne semblait couvrir qu’un faible espace, bien que cet espace fût en réalité fort grand, tandis que les maisons de Saint-Symphorien, Corsier, Montreux, ainsi qu’une douzaine d’autres villages, étaient réunies entre elles, comme des ruches d’abeilles appuyées contre les montagnes ; mais le charme principal était le lac de Genève. Celui qui n’a jamais contemplé le Léman dans sa furie ne pourrait concevoir la possibilité du danger dans la nappe d’eau tranquille qui s’étend, pendant l’espace de plusieurs lieues, comme un miroir liquide. Plusieurs barques étaient en vue, leurs voiles pendaient avec négligence, comme si elles avaient voulu servir de modèles à l’artiste, leurs vergues s’inclinant comme le hasard les avait posées. À ces objets plus rapprochés il faut ajouter la vue plus éloignée du Jura dans une direction, et dans une autre les frontières d’Italie, dont les limites aériennes étaient placées dans cette région qui n’appartient ni au ciel ni à la terre, et qui est le séjour de neiges éternelles. Le Rhône brillait par intervalle parmi les prairies du Valais que l’élévation du château permettait de voir ; et Adelheid essayait de découvrir, parmi ces masses de montagnes, les vallées qui conduisent à ces pays chauds, vers lesquels ils dirigeaient leurs pas.

Le baron et sa fille, en arrivant sur la terrasse ombragée, éprouvèrent une admiration muette et délicieuse. Il était évident, à leur contenance, qu’ils étaient l’un et l’autre dans une humeur favorable pour recevoir d’agréables impressions, car leur visage était rempli de ce bonheur tranquille qui succède à un plaisir subit. Adelheid avait pleuré ; mais, à en juger par l’éclat de ses yeux, la fraîcheur de ses joues, et le sourire qui effleurait ses lèvres purpurines, ses larmes avaient été plus douces que pénibles. Bien que sa santé fût encore assez faible pour éveiller l’attention de ceux qui l’aimaient, il y avait dans sa personne un changement assez sensible pour frapper ceux qui avaient l’habitude de vivre avec la jeune malade.

— Si ceux qui traversent les Alpes cherchent un air pur et doux, un soleil chaud, des paysages ravissants, dit Adelheid après avoir contemplé pendant quelque temps ce magnifique panorama, pourquoi les Suisses quitteraient-ils leur patrie, mon bon père ? y a-t-il en Italie quelque chose de plus doux, de plus délicieux, de plus sain que ceci ?

— Ce lieu a souvent été appelé l’Italie de nos montagnes. La figue mûrit près du village de Montreux ; et ce pays, ouvert au soleil du matin, tandis qu’il est abrité par les précipices au-dessus de notre tête, mérite bien son heureuse réputation. Cependant ceux qui ont besoin de distraction, et dont la santé requiert des soins, préfèrent généralement aller dans des pays où l’esprit est plus occupé, et dans lesquels une plus grande variété d’amusements aide la nature à compléter la guérison.

— Mais tu oublies, mon père, qu’il est convenu entre nous que je vais devenir forte, active, riante, comme je l’étais à Willading il y a quelque temps.

— Si je pouvais revoir de nouveau ce temps, mes derniers jours seraient aussi calmes que ceux d’un saint, quoique, Dieu le sait, sous aucun autre rapport, je n’aie de prétention au caractère d’un saint.

— Ne comptez-vous pour rien une conscience paisible et l’espérance, mon père ?

— Comme tu voudras, ma fille ; fais de moi un saint, un évêque ou un ermite, comme il te plaira ; la seule récompense que je demande est de te voir riante et heureuse, comme tu l’as toujours été pendant les dix-huit premières années de ta vie. Si j’avais pu prévoir que tu serais revenue de chez ma sœur si différente de toi-même, je me serais opposé à cette visite, bien que je l’aime, ainsi que tout ce qui lui appartient ; mais les plus sages d’entre nous sont de faibles mortels, et nous connaissons à peine nos besoins d’une heure à une autre. Tu m’as dit, je crois, que ce brave Sigismond avait honnêtement déclaré qu’il ne pensait pas que je pusse donner mon consentement pour une personne qui avait si peu de naissance et de fortune ? Il y avait de l’honneur, du bon sens, de la modestie, dans cet aveu ; mais il aurait dû mieux penser de mon cœur.

— Il l’a dit, répondit Adetheid d’une voix timide et légèrement tremblante, quoiqu’il fût facile de voir, par l’expression confiante de ses yeux, qu’elle n’avait plus de secret pour son père. Il a trop d’honneur pour désirer obtenir la fille d’un noble seigneur sans l’approbation de ses parents.

— Il est tout naturel que ce jeune homme t’aime, Adelheid ; c’est une nouvelle preuve de son mérite : mais qu’il puisse douter de mon affection et de ma justice, c’est une offense que je ne puis pardonner. Que sont des ancêtres et de la fortune pour le bonheur ?

— Tu oublies, mon bon père, qu’il ignore encore que mon bonheur, sous quelques rapports, dépend du sien.

Adelheid parlait vivement et avec chaleur.

— Il sait que je suis père, et que tu es mon unique enfant. Un homme de bon sens, comme lui, aurait dû mieux comprendre mes sentiments, et ne pas douter de mon affection.

— Comme il n’a jamais été le père d’une fille unique, répondit Adelheid en souriant (car dans l’état présent de son esprit les sourires étaient faciles) il ne peut pas sentir ou prévoir tout ce que tu sens ou prévois. Il connaît les préjugés du monde, et, dans notre rang, peu de personnes ont assez de force d’âme pour les mépriser, et pour accorder une fille riche à celui qui n’a rien.

— Cet amoureux raisonne plutôt comme un vieil avare que comme un jeune soldat, et j’ai bonne envie de le punir pour lui apprendre à si mal penser de moi. N’avons-nous pas Willading et ses belles terres et nos propriétés en ville, et avons-nous besoin d’emprunter à quelqu’un comme des mendiants ? Tu as été de la conspiration, jeune fille, ou une semblable crainte n’aurait pu vous rendre malheureux un seul moment.

— Je n’ai jamais pensé, mon père, que tu le rejetterais à cause de sa pauvreté, car je sais que ce que nous avons peut suffire à tous nos besoins ; mais je craignais que celui qui ne pourrait pas faire preuve de noblesse ne fût refusé par toi.

— Ne vivons-nous pas dans une république ? Le droit de bourgeoisie n’est-il pas le seul essentiel à Berne ? Pourquoi élèverais-je des obstacles relativement à des préjugés sur lesquels les lois gardent le silence ?

Adelheid écoutait comme une jeune fille écoute des paroles qui lui font du bien ; son oreille était charmée, et cependant elle secouait la tête comme pour exprimer une incrédulité qui n’était pas dénuée de crainte.

— Je te remercie sincèrement, mon bon père, de ton généreux oubli des préjugés du monde en faveur de mon bonheur, dit la jeune fille dont les yeux bleus et pensifs laissaient échapper involontairement des larmes. Il est vrai que nous habitons une république, mais nous n’en sommes pas moins nobles.

— Tu tournes tes armes contre toi-même, ma fille ; mais peux-tu croire que rien puisse me porter à refuser une chose que tu as jugée toi-même si nécessaire pour t’empêcher d’aller rejoindre tes frères et tes sœurs dans la tombe ?

Les joues d’Adelheid se couvrirent d’une rapide rougeur ; car, quoique tout en pleurs et se livrant à une tendre confidence, dans le moment qui succéda aux remerciements dont elle accabla le sauveur de son père, elle se jeta sur le sein de ce dernier, et confessa que le peu d’espoir avec lequel elle répondait à l’amour avoué de Sigismond était la véritable cause de la maladie qui avait effrayé ses amis : les mots qui étaient alors sortis de son cœur, dans une scène aussi tendre, ne lui avaient jamais paru exprimer un sentiment si fort et si blessant pour la fierté d’une vierge, que ceux dont son père s’était servi avec sa franchise habituelle.

— Par la bonté de Dieu, je vivrai, mon père, dit-elle, que je sois unie ou non à Sigismond, afin de consoler ta vieillesse. Une fille pieuse ne sera point arrachée si cruellement à son père, dont elle est le dernier et le seul enfant. Je puis me chagriner, et peut-être regretter que les choses n’aient pas été autrement ; mais les filles de notre maison ne meurent pas d’une faiblesse, quel que soit le mérite de ceux qui la causent.

— Et qu’ils soient nobles ou roturiers, ajouta le baron en riant, car il vit que sa fille consultait un peu son dépit plutôt que son excellent cœur.

Adelheid avait assez de bon sens pour sentir promptement qu’elle venait de montrer trop à découvert ses petites faiblesses de femme. Elle rit aussi à son tour, bien qu’elle répétât les mots de son père pour donner encore plus de poids aux siens.

— Cela ne s’arrangera pas ainsi, ma fille. Ceux qui professent les doctrines républicaines ne doivent pas être trop sévères sur les préjugés. Si Sigismond n’est pas noble, il n’est pas difficile d’obtenir pour lui cette distinction ; et, lorsque la ligne mâle s’éteindra dans notre famille, il pourra hériter de son nom et de ses honneurs. Dans tous les cas, il aura le droit de bourgeoisie, et cela seul suffit à Berne.

— À Berne, mon père ! répondit Adelheid, qui avait oublié son récent mouvement de fierté, et qui, comme les heureux, continuait de jouer avec ses propres sentiments. À Berne, il est vrai, la bourgeoisie suffit pour toutes les places ou priviléges politiques ; mais suffira-t-elle dans l’opinion de nos égaux, suivant les préjugés du monde, ou pour votre parfaite satisfaction, lorsque la ferveur de votre reconnaissance sera passée ?

— On dirait, ma fille, que tu veux combattre ta propre cause ; n’aimerais-tu donc pas ce jeune homme, après tout ?

— Je t’ai parlé franchement à ce sujet, comme il convenait à ta fille ; il a sauvé ma vie, ainsi qu’il a sauvé la tienne ; et, bien que ma tante, craignant ton mécontentement, me défendît de te raconter cette histoire, sa défense ne put arrêter ma gratitude. Je t’ai raconté que Sigismond avait déclaré ses sentiments quoiqu’il se soit noblement abstenu de demander du retour, et je n’aurais pas été la fille de ma mère si j’étais restée entièrement indifférente à tant de mérite et à un aussi grand service. Ce que j’ai dit de nos préjugés est plus pour aider tes réflexions, mon père, que pour moi-même. J’ai beaucoup pensé à tout cela, et je suis prête à sacrifier mon orgueil, et à supporter les réflexions malignes du monde, afin de payer une dette sacrée. Mais, s’il est naturel que je pense ainsi, il est naturel aussi que tu n’oublies pas non plus d’autres devoirs. Il est vrai que, sous un rapport, nous sommes tout l’un pour l’autre ; mais il existe un tyran qui ne veut pas que personne échappe à sa puissance ; je veux dire l’opinion. Ne nous trompons donc pas nous-mêmes : bien que, nous autres habitants de Berne, nous affections d’être républicains et que nous parlions beaucoup de liberté, nous ne sommes qu’un petit État, et ce sont les États plus grands et plus puissants de notre voisinage qui règlent chez nous tout ce qui a rapport à l’opinion. Un noble est aussi noble à Berne, excepté en tout ce qu’ordonnent les lois, que dans le reste de l’Empire. Vous savez que nous sommes d’une race allemande, bien enracinée dans les préjugés.

Le baron de Willading avait été habitué à une grande déférence pour l’esprit supérieur et cultivé de sa fille, qui, dans la solitude du château de ses pères, avait lu et réfléchi beaucoup plus que si elle eût vécu dans le grand monde. Il sentit la justesse de ses remarques, et ils parcoururent toute la longueur de la terrasse dans un profond silence, avant qu’il pût rassembler toutes ses idées pour lui faire une réponse convenable.

— On ne peut nier la vérité de ce que tu dis, répondit-il enfin ; mais on peut remédier au mal. J’ai bien des amis dans les cours d’Allemagne ; on peut obtenir des faveurs, des lettres de noblesse enfin pour le jeune homme, après quoi il pourra demander ta main sans craindre les remarques des habitants de Berne ou des villes voisines.

— Je doute que Sigismond veuille nous seconder dans ce plan. Notre noblesse est d’ancienne origine ; elle date d’une époque antérieure à l’existence de Berne comme ville, et elle est beaucoup plus vieille que nos institutions. Je me rappelle lui avoir entendu dire que, lorsqu’une ville refuse ses distinctions, ses citoyens ne peuvent les recevoir d’autres États sans perdre la dignité de leur caractère, et un homme dont la morale est si sévère peut hésiter à faire ce qui lui semble une bassesse, pour obtenir une aussi faible récompense que celle que nous lui offrons.

— Par l’âme de Guillaume Tell ! est-ce que ce paysan inconnu oserait ?… Mais c’est un brave garçon, et il a rendu deux fois le service le plus important à ma famille. Je l’aime, Adelheid, presque autant que toi, et nous lui ferons peu à peu goûter nos projets. Une fille de ton âge et aussi belle que tu l’es, pour ne rien dire de tes autres qualités, de ton nom, de ta fortune, ne peut pas être légèrement refusée par un soldat inconnu qui n’a rien.

— Mais son courage, ses vertus, sa modestie, son excellent esprit, mon père !

— Tu ne veux pas me laisser la satisfaction de vanter ma propre marchandise ! Je vois Gaëtano qui me fait des signes à la fenêtre, comme s’il allait venir à nous. Retourne dans ton appartement, afin que je puisse causer de cette affaire difficile avec mon excellent ami ; je te ferai connaître le résultat de notre conversation.

Adelheid baisa la main qu’elle tenait dans la sienne, et quitta son père d’un air pensif ; elle ne descendit pas la terrasse avec la gaieté qui l’animait une heure auparavant.

Privée de sa mère dès son enfance, cette jeune fille délicate de corps, mais forte d’esprit, s’était habituée depuis longtemps à faire de son père le confident de ses pensées, de ses espérances, de ses projets pour l’avenir. Grâce à ces circonstances particulières, elle eût éprouvé moins d’hésitation qu’une autre à avouer son attachement pour Sigismond, si la crainte que cette déclaration n’eût rendu son père malheureux sans avancer en aucune manière sa propre cause, ne l’eût engagée à garder le silence. Sa liaison avec Sigismond avait été longue et intime. Une estime méritée, un respect profond, étaient la base de ses sentiments, qui étaient néanmoins assez vifs pour avoir chassé les roses de son teint, et pour avoir fait craindre à son père qu’elle ne fût atteinte de la même maladie qui lui avait déjà ravi ses autres enfants. Il n’y avait aucun fondement pour cette crainte bien naturelle chez son père ; car, bien que de tristes réflexions et des inquiétudes eussent altéré sa santé, il n’y avait pas, dans toutes les montagnes de la Suisse, une jeune fille qui réunît plus de fraîcheur à des proportions plus délicates. Elle avait consenti au voyage d’Italie, dans l’espérance que cela pourrait servir à guérir son esprit d’une inclination qu’elle avait souvent regardée comme sans espérance, et par le désir naturel de voir un pays aussi célèbre, mais non parce qu’elle supposait que sa santé en eût besoin.

La présence de Sigismond était purement fortuite, bien qu’Adelheid ne pût s’empêcher de penser (c’était une idée si satisfaisante pour ses affections de femme et sa fierté de jeune fille) que le jeune soldat, qui était au service de l’Autriche, et qu’elle avait connu dans une de ces fréquentes visites dans son pays natal, avait saisi cette occasion favorable de retourner à son régiment. Des circonstances, qu’il n’est pas nécessaire de détailler, avaient mis Adelheid à même de présenter Sigismond à son père, quoique les défenses de sa tante, dont l’imprudence avait causé l’accident qui avait mis les jours d’Adelheid en danger, l’eussent empêchée de raconter au baron les causes de son respect et de son estime pour le caractère du jeune homme. Peut-être que le silence que garda cette jeune fille, dont l’imagination était aussi vive que son cœur était sensible, donna de l’intensité à ses sentiments, et hâta la transition de la reconnaissance à l’affection, qui, dans d’autres circonstances, n’aurait pas été aussi rapide. Enfin, elle savait à peine comment il s’était fait que son bonheur se trouvât lié à celui de Sigismond, bien qu’elle eût depuis longtemps admis son image dans ses rêves, et qu’elle mêlât le souvenir du jeune soldat à tous ses projets pour l’avenir.

Le signor Grimaldi parut à une extrémité de la terrasse, tandis qu’Adelheid de Willading descendait par l’autre. Les deux vieux seigneurs s’étaient séparés tard la nuit d’auparavant, après une conversation confidentielle qui avait ébranlé l’âme de l’Italien, et profondément attendri celle de son ami. Quoique sujet à la mélancolie, il y avait en même temps, chez le Génois, un fonds de gaieté qui venait si promptement soulager le poids de ses pensées pénibles, qu’elle le rendait heureux en apparence, tandis que, si l’on avait pu lire au fond de son cœur, on aurait vu tout son chagrin. Il avait fait ses dévotions avec un cœur reconnaissant, et il venait respirer l’air sain des montagnes comme un homme qui a déchargé sa conscience d’un grand fardeau. Ainsi que la plupart des catholiques, il ne croyait pas nécessaire de conserver un extérieur grave et mortifié lorsque la pénitence avait été accomplie, et il rejoignit son ami avec cet air joyeux qu’un ascétique ou un puritain aurait attribué à la légèreté.

— Que la sainte Vierge et saint François protègent mon vieil ami ! dit le signor Grimaldi, déposant un baiser cordial sur les deux joues du baron de Willading ; nous avons tous deux raison de nous recommander à leurs soins, quoique tu sois un hérétique. Je ne doute pas que tu aies trouvé aussi quelqu’un à remercier de ce que nous sommes maintenant sur cette solide terrasse du seigneur de Blonay, au lieu d’être au fond de ce lac perfide.

— Je remercie Dieu de sa miséricorde, aussi bien pour ton salut, Gaëtano, que pour le mien.

— Tu as raison, bon Melchior, tu as raison ; cela ne regarde que celui qui tient l’univers dans le creux de sa main. De bonne foi, une minute de plus, et nous allions rejoindre nos pères ! Cependant tu me permettras, puisque je suis catholique, de me rappeler les intercesseurs auxquels je me suis adressé dans cette extrémité.

— C’est un sujet sur lequel nous n’avons jamais été d’accord, et sur lequel nous ne le serons probablement jamais, répondit le baron avec la réserve d’un dissident plus prononcé qu’il ne voulait le paraître aux yeux de son ami, quoique je croie que ce soit le seul point de controverse entre nous deux.

— N’est-il pas extraordinaire, répondit le Génois, que deux hommes aient les mêmes principes d’honneur, soient disposés à donner leur sang l’un pour l’autre, et, dans des moments de danger, que chacun soit moins inquiet pour lui que pour son ami, comme nous avons fait l’un et l’autre, Melchior, et cependant qu’il y ait dans leurs opinions religieuses tant de différence, que chacun d’eux s’imagine que l’âme de son ami est dans les griffes du diable, et pense que cette âme qui, sous tout autre rapport, lui semble si noble, si excellente, est pour jamais damnée faute de croire à de certaines opinions et formalités qu’il juge essentielles ?

— Pour te dire la vérité, répondit le baron en se frottant le front comme un homme qui désire donner plus de lucidité à ses idées, ainsi qu’on donne plus de brillant à de vieux métal par le frottement, ce sujet, comme tu le sais fort bien, n’a jamais été mon côté fort. Luther et Calvin, ainsi que d’autres sages, découvrirent que c’était faiblesse que de se soumettre à des dogmes sans les examiner, et ils séparèrent le blé de la paille : c’est ce que nous appelons la réforme. C’est assez pour moi que des hommes aussi sages aient été satisfaits de leurs recherches et de leurs changements, et j’éprouve peu d’inclination à troubler une décision qui a maintenant reçu la sanction de près de deux siècles de pratique. Pour te parler franchement, je crois qu’il est de mon devoir de conserver les croyances de mes pères.

— Mais non pas de tes grands-pères, à ce qu’il paraît, dit l’Italien un peu sèchement, quoique avec gaieté. Par saint François tu aurais fait un digne cardinal si la Providence t’avait fait naître cinquante lieues plus au sud, à l’ouest ou à l’est. Mais il en est ainsi dans le monde entier, qu’on soit Turc, Hindou, Luthérien, et même, je le crains, enfant de saint Pierre. Chacun a ses arguments sur sa foi ou sa politique, ou sur tout autre intérêt, dont il use comme d’un marteau pour renverser les obstacles que lui opposent ses adversaires ; et lorsqu’il se trouve dans les retranchements de l’ennemi, il réunit ensemble les matériaux éparpillés, afin de se bâtir une muraille pour se protéger. Alors ce qui était oppression hier devient une juste défense aujourd’hui ; le fanatisme prend le nom de logique ; la crédulité, la soumission, sont appelées, au bout de deux siècles, déférence aux opinions vénérables de nos pères ! Mais n’importe ! tu parlais de remercier Dieu ; et en cela, quoique catholique romain, je me joins dévotement à toi, avec ou sans l’intercession des saints.

L’honnête baron n’aimait pas les allusions de son ami, bien qu’elles fussent trop subtiles pour son intelligence ; car l’esprit du bon Suisse était un peu refroidi par une résidence constante parmi les neiges et en vue des glaciers, tandis que l’imagination volatile du Génois ressemblait à l’air raréfié par la chaleur du soleil. Néanmoins cette différence de tempérament, loin d’affaiblir leur mutuelle affection, était probablement la cause réelle de son existence, puisqu’il est connu que l’amitié, comme l’amour, nous est bien plus souvent inspirée par des qualités qui diffèrent des nôtres, que par une parfaite homogénéité de caractère et de disposition. Des qualités semblables donnent souvent naissance à des rivalités dangereuses pour l’affection, au lieu que lorsque chaque partie apporte son capital distinct, celui qui a plus aide naturellement celui qui a le moins. Tout ce qui est absolument nécessaire pour une liaison solide c’est un respect commun pour certaines règles de morale sans lesquelles aucune estime ne peut exister. L’union des fripons dépend de motifs si vils et si bien connus, que nous nous abstiendrons d’en détailler les principes. Le signor Grimaldi et Melchior de Willading étaient deux hommes d’un esprit noble et juste, et l’opposition de leur caractère, qui avait servi pendant la chaleur de leur jeunesse à donner plus de piquant à leurs rapports, ne pouvait pas, maintenant que le temps avait radouci leurs opinions, et que les souvenirs donnaient plus de force encore à leur liaison, détruire ce que dans le principe elle avait créé.

— Je n’ai jamais douté de ta promptitude à remercier Dieu, répondit le baron ; mais nous savons que ses faveurs nous sont ordinairement montrées ici bas par le moyen d’instruments humains. Ne devrions-nous donc pas manifester une autre sorte de gratitude envers celui qui nous a rendu un si grand service la nuit dernière ?

— Tu veux parler de mon inexplicable compatriote ? J’ai souvent pensé, depuis hier, à son singulier refus, et j’espère encore trouver les moyens de vaincre son obstination.

— J’espère que tu réussiras, et tu sais que je veux être compté comme auxiliaire. Mais ce n’est pas à lui que je pensais dans cet instant : il existe un autre homme qui fit plus encore pour nous que le marin inconnu, puisqu’il hasarda sa vie.

— Sans aucun doute, et j’ai déjà réfléchi à ce que nous pourrions faire pour lui. J’ai appris qu’il était soldat de fortune ; et, s’il veut prendre du service à Gènes, je me chargerai du soin de son avancement. Ne t’inquiète donc pas du sort du jeune Sigismond ; tu connais mes moyens, et tu ne doutes pas de ma bonne volonté.

Le baron toussa comme un homme embarrassé, car il avait une certaine répugnance à révéler ses intentions envers Sigismond ; c’était un dernier tribut payé à l’orgueil du rang, une conséquence de préjugés qui étaient alors universels, et qui ne sont pas encore éteints. Mais une vivante image des périls de la nuit passée se présenta à son esprit, et le bon génie de son jeune sauveur l’emporta.

— Tu sais que ce jeune homme est Suisse ; et, en vertu de ce rapprochement entre nous, je demande au moins un droit égal pour lui faire du bien.

— Nous ne disputerons pas sur la préséance à ce sujet ; mais tu te rappelleras que j’ai tous les moyens possibles de veiller à ses intérêts, des moyens qu’incontestablement tu n’as pas.

— Cela n’est pas prouvé, interrompit le baron de Willading ; je ne suis pas dans une position aussi brillante certainement, signor Gaëtano, je n’ai point ton pouvoir politique ni ta fortune de prince. Mais, pauvre comme je suis, j’ai en ma puissance une récompense qui vaut tout ce que tu possèdes, et qui sera plus agréable pour le jeune homme que tout ce que tu pourrais lui accorder.

Le signor Grimaldi poursuivait sa promenade les yeux fixés sur la terre d’un air pensif ; mais il les leva avec surprise sur son ami, comme s’il lui demandait une explication. Le baron sentait le besoin de montrer du caractère, car les meilleures gens font souvent d’excellentes choses, poussés par une influence beaucoup moins noble que leurs actions.

— Tu sais que j’ai une fille, reprit le Suisse avec fermeté, déterminé à rompre la glace d’un seul coup, et à exposer une décision qu’il craignait que son ami ne taxât de faiblesse.

— En effet, et parmi les femmes les plus excellentes de son sexe, on ne pourrait en trouver une plus belle, plus modeste, plus tendre, et, si je ne me trompe, d’un caractère plus ferme. Mais tu ne penserais pas à donner Adelheid en récompense du service que-nous a rendu un inconnu, sans consulter les goûts de ta fille ?

— Les filles du rang d’Adelheid sont toujours prêtes à faire ce qui convient à l’honneur de leur famille. Je crois que la reconnaissance est une dette qu’un Willading ne peut trop se hâter d’acquitter.

Le seigneur génois prit son air grave, et il était évident qu’il n’écoutait pas son ami avec plaisir.

— Nous avons traversé la plus grande partie de notre vie, bon Melchior, dit-il, et nous devrions mieux que personne en connaître les difficultés et les hasards. La route est fatigante, et l’on a besoin de toutes les consolations que l’affection et la sympathie peuvent accorder pour en alléger le fardeau. Je n’ai jamais aimé cette manière de trafiquer des plus doux liens pour relever une famille qui s’éteint, ou une fortune qui s’écroule. Il vaudrait mieux qu’Adelheid passât sa vie dans le célibat de ton vieux château, que de donner sa main sous une impulsion irréfléchie, non moins que par un froid calcul d’intérêt. Une telle femme, mon ami, ne doit pas être donnée sans réflexion.

— Par la messe ! pour me servir d’un de tes serments favoris, je m’étonne de t’entendre parler ainsi, toi, Italien au sang brûlant, que j’ai connu jaloux comme un Turc, et soutenant à la pointe de l’épée que les femmes étaient comme l’acier de ton sabre, aussi facilement ternies par la rouille, le mauvais air ou la négligence ; qu’aucun père ou frère ne pouvait être à son aise sur le point d’honneur que lorsque la dernière femme de son nom était bien mariée, et à des hommes que la sagesse de ses parents aurait choisis ! Je me rappelle t’avoir entendu dire une fois que tu ne pourrais dormir tranquille jusqu’à ce que ta sœur fût femme ou religieuse.

— C’était le langage de la jeunesse, mon ami, et j’en ai été cruellement puni. J’épousai une femme belle et noble ; mais, si ma conduite envers elle gagna son estime et son respect, j’étais venu trop tard, je le crains, pour gagner son amour. C’est une terrible chose que d’entrer dans la carrière solennelle et grave du mariage, et d’avoir aussitôt la conviction qu’on n’y sera point heureux ! Chaque jour apporte de nouveaux mécomptes. Si les espérances d’un cœur ardent et généreux, qui se livre sans arrière-pensée aux chances incertaines du mariage, sont souvent trompées, quelle lutte affreuse la victime doit soutenir pour conserver le plus longtemps possible l’illusion qui l’avait d’abord séduite ! Mais, lorsque d’égoïstes calculs sont la cause du mal, un entraînement naturel, qui nous est, je crois, soufflé par le diable, nous porte à aggraver nous-mêmes nos peines, au lieu d’essayer de les adoucir.

— Tu ne parles pas du mariage comme quelqu’un qui a lieu d’en être satisfait, pauvre Gaëtano.

— Je t’ai dit que ce que j’avais craint n’était que trop vrai, répondit le Génois avec un profond soupir. Ma naissance, ma fortune, un beau nom, engagèrent les parents de ma femme à la presser de consentir à une union que ses sentiments ne la portaient pas à former. Elle connut l’indignité de celui qui avait captivé sa jeune imagination ; sa raison condamnait son cœur, et cette découverte fut un puissant allié en ma faveur. Je fus accepté comme un remède pour une blessure, et mon rôle, difficile pour un homme bon, était intolérable pour un homme fier. La malheureuse Angiolina mourut en donnant naissance à son premier enfant, le fils dont je t’ai tant parlé. Elle trouva au moins le repos au fond de la tombe.

— Elle n’eut pas le temps de connaître tes nobles qualités, Gaëtano ; sans cela, je parie, sur mon existence ! qu’elle t’eût chéri comme tous ceux qui te connaissent, répondit le baron avec chaleur.

— Je te remercie de ta bonne opinion en ma faveur, mon ami ; mais fais attention aux mariages de simple convenance ; il peut y avoir de la folie à donner à une inclination légère le nom de ce sentiment profond, de cette secrète sympathie, qui unissent si intimement les cœurs, et, sans aucun doute, une égale fortune peut être un motif d’union parmi les gens du monde ; mais ce n’est pas là l’union sainte qui entretient de nobles qualités dans les familles, et qui fortifie contre les séductions du monde, qui sont déjà trop fortes pour les honnêtes gens. Je me rappelle avoir entendu dire à une personne qui avait une grande connaissance du cœur humain, que les mariages d’argent avaient du moins l’inconvénient d’enlever à une femme son plus grand charme, celui de sa supériorité sur les sentiments vulgaires et les calculs mondains, et que toutes les unions dans lesquelles ces calculs l’emportent deviennent nécessairement égoïstes au-delà des bornes naturelles, et essentiellement corrompues.

— Tout cela peut être vrai mais Adelheid aime le jeune homme.

— Ah ! cela change tout à fait l’affaire. Comment le sais-tu ?

— Des lèvres de ma fille elle-même. Son secret lui échappa dans l’accès de sensibilité que les derniers événements devaient naturellement exciter.

— Et Sigismond ? il a ton approbation ? Car je suppose qu’une fille comme la tienne n’a point cédé à une affection qui n’était point partagée.

— Il a mon consentement, — c’est-à-dire, — il existe un obstacle selon le monde, mais qui ne peut pas en être un pour moi : ce jeune homme n’est pas noble.

— Cet obstacle est sérieux, mon brave ami. Il n’est pas sage de trop dédaigner les infirmités humaines ; les préjugés sont une plaie qu’on ne peut guérir. Ceux qui s’y soumettent s’épargnent quelquefois bien des souffrances. Le mariage est une condition précaire dans laquelle il faut éviter tout motif de dégoût. Je voudrais qu’il fût noble !

— Ce désir peut être réalisé par la faveur de l’empereur. Tu as même des princes en Italie qui pourraient nous rendre ce service, au besoin.

— Quelle est l’origine et l’histoire de ce jeune homme ? et par quel hasard une fille du rang d’Adelheid a-t-elle pu aimer un homme d’une condition inférieure ?

— Sigismond est Suisse ; je crois qu’il appartient à une famille de bourgeois de Berne, quoique, pour t’avouer la vérité, je sache seulement qu’il a passé plusieurs années au service étranger, et qu’il a sauvé la vie de ma fille dans nos montagnes, il y a environ deux ans, comme hier il a sauvé la nôtre. C’est près du château de ma sœur que cette inclination commença, et il est maintenant trop tard pour la défendre. Par un sentiment d’honneur que je crois juste, je commence à me réjouir que ce jeune homme ne soit pas noble, afin que la récompense que je lui accorde soit plus grande. S’il avait été l’égal d’Adelheid par sa naissance et son rang, comme il l’est par ses avantages personnels et son caractère, il aurait eu trop de choses en sa faveur. Non, par la foi de Calvin ! celui que tu appelles un hérétique, je crois que je me réjouis de ce que ce jeune homme ne soit pas noble !

— Comme tu voudras, répondit le Génois, qui conservait un air mécontent et pensif, car l’expérience lui avait appris à apprécier les unions mal assorties. Quelle que soit son origine, il n’aura pas besoin d’or. Je me charge d’examiner les terres de Willading, et d’établir un contre-poids en faveur du jeune homme. Voilà notre hôte qui vient pour être témoin de ma promesse.

Roger de Blonay s’avançait dans ce moment sur la terrasse pour souhaiter le bonjour aux deux amis. Les trois vieillards continuèrent leur promenade pendant une heure, discutant sur la fortune du jeune couple car Melchior de Willading n’était pas plus disposé à faire un secret de ses intentions à un de ses amis qu’à l’autre.