Le Branle des Capucins/02

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impr. des Clairvoyants (p. 13-21).

ACTE II



Scène PREMIERE

LOUIS, ANTOINETTE, LES DEUX CAPUCINS,
à table.
Louis, à Antoinette.

Je suis, Madame, enchanté de votre pieuse résolution.

La Polignac, parlant du nez, en capucin.

C’est la grâce qui opere.

Louis.

Hum, hum.[Il boit.]

d’Artois, à Antoinette.

Vous ne buvez, pas, Madame…

Il chante gravement et lentement sur le ton du Magnificat.] …

Le jus us us de la treille est délicieux,
C’est le meilleur présent ent des cieux eux.

Antoinette, les deux Capucins, ensemble, sur le même ton, avec variations et faux-bourdon.

Le jus us us de la treille est délicieux,

[Ils se regardent alternativement et rient sous cap].

C’est le meilleur présent ent des cieux eux.

Louis, étourdi du concert.

Eh, eh… Holà, holà. Buvons.[Il boit].

d’Artois.

Boire le petit coup donne du courage. Dans nos monasteres nous buvons aussi de tems en tems la petite goute, pour ranimer notre ferveur…

Louis.

C’est tout simple. Il a raison le bon pere… [Il boit.] Parbleue, vous m’avez l’air de deux bons vivans… Allons, vivent le vin et la gaieté…

Pere capucin,
Confessez ma femme.

d’Artois.

Ah ! Ne craignez rien,
Je le ferai bien…

Louis.

D’abord, il ne faut lui passer rien.

La Polignac.

Soyez tranquille, nous ferons bien…

Louis.

Pere capucin,
Confessez ma femme.

d’Artois.

Ah ! Ne craignez rien,
Je le ferai bien…

Louis.

Le chant altere. [Il boit]. Cela me ravigote.

Aussi-tôt que le soleil
Luit à-travers mes rideaux
Je me soustrais au sommeil,
Pour courir à mes marteaux.

A côté de mon enclume,
J’ai toujours quatre ou cinq tonnes,

Pour humecter mon volume,
A chaque coup que je donne…

[Il boit.] Ventre-bleue, je parierois mon royaume de boire un tonneau dans un jour…

La Polignac, étouffant de rire ; à demi-voix,

Il bat la campagne.

Antoinette.

Il est pris, il est pris, il est pris.

Louis, après avoir bu à coups redoublés, baille, s’étend dans son fauteuil et s’endort.
La Polignac.

Le voilà parti.

Antoinette.

Très-fort. Nous pouvons nous mettre en action.

[Ils se lèvent tous trois.]
La Polignac.

Commençons le branle.

[Alors ils reculent la table, de manière que Louis se trouve étendu dans son fauteuil du milieu de l’appartement. Ensuite, se prenant par la main, ils tournent à l’entour de lui, en chantant, d’une voix modérée :]

Dansons le branle des capucins oin, oin,
Dansons le branle des capucins.

[Ils s’arrêtent].
Antoinette.

Les capucins font com… me ci…

[Tournant tous ensemble.]

Dansons le branle des capucins oin, oin,
Dansons le branle des capucins.

[Ils s’arrêtent].
d’Artois.

Les capucins font com… me ça…

[Une intervalle.]

Exprimer son ardeur
A celle qu’on aime
C’est le bonheur du cœur.

Le cocu sommeille,
Que rien ne réveille,
l’exprime avec ardeur
A celle que j’aime
Tout le bonheur du cœur.

[Une intervalle.]
tous ensemble.

Dansons le branle des capucins oin, oin,
Dansons le…



Scène II

Les précédens, LA FAYETTE.
GRANDE MUSIQUE.
la Fayette, entrant precipitament.

Le tour est risible.

Antoinette.

Que viens-tu faire ici ?
Tu es bien hardi.

La Fayette.

Le tour est risible.

La Polignac.

Quel contre-tems !…

d’Artois.

J’ai tout fini,
J’ai tout fait, je suis content.

Louis, s’éveillant en sursaut.

Qu’est-ce que tout ça veut dire ?…

La Fayette.

Vous êtes trompé, Sire…
Vous êtes trompé.

Louis.

Comment ça, comment ça ?
Qu’est-ce que tout ça veut dire ?
Comment ça ? Je suis trompé.

d’Artois.

La Fayette est un pied plat.

La Polignac, en même tems.

C’est un fat, c’est un fat.

Antoinette.

Ne le croyez pas.

Louis.

Qu’est-ce que tout ça veut dire ?
Je ne comprends pas.

d’Artois, la Polignac, ensemble.

Tout n’est pas perdu,
Ça nous est égal,
Il est encor une fois cocu.
Tout n’est pas perdu,
Ça nous est égal,
Il est encor une fois cocu.

Louis.

Que veulent dire ces capucins ?…
J’y perds mon latin…

la Fayette.

Sire, ne reconnoissez-vous pas…

Louis, prenant sa lorgnette.

Oh ! oh !…Quel tour est-ce là !…

Hen, hen. Le comte d’Artois en capucin, et Madame de Polignac… Hum, hum… Quelle idée… Il y a quelqu’anicroche là-dessous…

d’Artois.

La Fayette est un imposteur, et ne cherche qu’à vous faire tout entrevoir en mal. Si je me suis ainsi déguisé, c’étoit pour jouir du plaisir de revoir en secret un frere chéri…

Louis.

Hum, hum… Lequel croire ?… Lequel m’en impose ?… Allons, allons, il faut que tout cela soit passé sous silence, vous vous retirerez promptement dans votre costume incognito, et que tout finisse par-là…