Le Brigandage dans les États romains

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LE BRIGANDAGE
DANS
LES ÉTATS ROMAINS.

Le 27 avril 1557, Desiderio Guidone de Ascoli, commissaire du pape Paul IV, promulguait en ces termes un arrêt de mise hors la loi contre la ville de Monte-Fortino : « Il est manifeste que depuis nombre d’années les habitans de Monte-Fortino ont mené une vie criminelle et irrégulière, s’unissant aux ennemis de sa sainteté, faisant prisonniers ses sujets fidèles, tuant ses soldats, et commettant toute sorte de vols et d’assassinats, pour lesquels crimes ils ont mérité les plus terribles châtimens ; et, pour que ces châtimens servent d’exemple à tous, notre seigneur Paul IV, pape par la grace de Dieu, désireux d’assurer la paix de ses provinces en les soumettant à l’autorité du saint-siége, et voulant surtout que la ville de Monte-Fortino ne soit plus un réceptacle de voleurs et de brigands, a déclaré que cette ville serait démolie et ruinée de fond en comble, que son territoire aussi bien que les propriétés particulières seraient dévolus à la chambre apostolique, et que tous ses habitans seraient bannis pour la vie. »

Conformément à cet édit, la ville de Monte-Fortino fut détruite ; une charrue traînée par des bœufs fut conduite sur l’emplacement de ses murailles par Pietro Zalaretto de Valmontone, tandis que Menico Franasci suivait en répandant du sel dans les sillons de la ville abandonnée.

Le 18 juillet 1819, le cardinal Hercule Gonsalvi promulguait un décret conçu dans des termes à peu près semblables : « Sa sainteté le pape étant convaincu, par les témoignages les plus dignes de foi, que depuis nombre d’années, et même depuis plusieurs siècles, les bandits qui infestent les provinces du saint-siége sont nés à Sonnino, que récemment les habitans de cette ville ont invité les brigands du royaume de Naples à faire invasion dans les états de l’église, que les bandes de Lenola et de Fondi sont commandées par un habitant de Sonnino ; sachant enfin que ces bandits trouvent un refuge à Sonnino, qu’ils en tirent des alimens, qu’ils s’y rassemblent pour délibérer sur ce qu’ils ont à faire ; considérant que l’expérience du passé, jointe à celle du moment actuel, prouve qu’aussi long-temps que ce nid de voleurs existera, il sera impossible de mettre fin à leurs déprédations, etc. ; sa sainteté ordonne que les habitans de Sonnino soient pourvus d’habitations autre part, que leur ville soit rasée et son territoire partagé entre celles des villes voisines qui n’ont pas secondé les brigands, permettant aux propriétaires qui émigreraient et qui ne pourraient se fixer près de leurs possessions, de céder leur terrain à la chambre apostolique, qui leur paiera une annuité perpétuelle suivant l’évaluation faite par des juges compétens. »

Toute l’histoire du brigandage est comprise en quelque sorte dans ces deux édits. De 1557 à 1819, c’est-à-dire pendant l’espace de près de trois siècles, le brigandage s’est continué presque sans interruption dans les montagnes qui s’étendent d’Aquila à Terracine, entre le Tibre et le Garagliano. La civilisation dans ces provinces, couvertes de bois épais, coupées de vallées profondes, et qui, de temps immémorial, ont servi de refuge aux bandits, est restée la même. C’est là que Spartacus et ses esclaves s’étaient retranchés ; c’est là que Marco Sciarra et ses bandes, qui mirent plus d’une fois Rome en danger, avaient leur quartier-général. Les mœurs des habitans de ces montagnes sont encore aujourd’hui ce qu’elles étaient vers 1550, et les mêmes crimes ont amené la même répression. Mais y a-t-il au monde quelque chose de plus étrange que cette nécessité où se trouve un pape, le chef de la religion, de faire raser une ville de ses états pour en corriger les habitans ? Le châtiment, comme le crime, appartient à une époque de barbarie.

A l’illustrissimo signore Marc Antonio ai bagni di Civita-Vecchia, telle était la suscription des lettres de Maria Grazzia, fille, sœur et femme de brigands, à Marc-Antoine, son époux, galérien au bagne de Civita-Vecchia. Marc-Antoine le brigand n’était pas illustrissime seulement pour Maria Grazzia, sa femme, mais encore pour ses amis, et, de proche en proche, pour toute une classe de la population.

Cette sorte de renom et de popularité attachés au titre de brigand contribue peut-être plus à perpétuer le brigandage en Italie que les profits du métier. La perpétuité de ce fléau tient à beaucoup d’autres causes encore ; nous nous contenterons d’indiquer ici les principales, à savoir le peu d’horreur du peuple pour le meurtre, la mauvaise interprétation de certaines doctrines religieuses, enfin l’absence de répression raisonnable et efficace de la part du gouvernement.

Ce peu d’horreur des gens du peuple pour le meurtre est à la fois un vice originel et un vice acquis. Il tient d’abord à cette aveugle violence du sang qui les pousse à satisfaire leurs passions plutôt que d’employer leur énergie à les contenir : ils aiment mieux tuer un homme que réprimer un accès de colère ; ce vice tient ensuite à un travers d’esprit du peuple qui fait qu’auprès de lui l’homme tué a toujours tort. Pourquoi a-t-il provoqué, pourquoi a-t-il injurié ? Il savait ce qu’il faisait, et n’avait qu’à se bien tenir. Le tueur, en revanche, est toujours considéré comme un homme de cœur, ou tout au moins comme un homme que le gouvernement va persécuter et qu’il faut plaindre. Poverino ha amazzato un uomo ! disent les Trasteverins en pareille occasion. Cette approbation donnée au meurtre et cette pitié qui s’attache à l’assassin, proviennent enfin d’une sorte de point d’honneur mal entendu. En exagérant la doctrine du point d’honneur, en substituant au duel une sorte de guerre d’individu à individu, de famille à famille, guerre qui ne devait se terminer que par l’extermination d’une des deux races en présence, et devant laquelle tous les moyens de nuire à l’ennemi étaient permis, le poison comme le poignard, les Espagnols firent considérer l’assassinat comme une chose toute naturelle. Cette doctrine, qui ne prévalut d’abord que dans les hautes classes de la société italienne, se répandit bientôt dans tous les rangs. Le peuple, que d’ailleurs le tempérament y portait, se fit le copiste des grands seigneurs, et assassina sans plus de façon qu’eux. Ceux-ci, avec le temps, sont revenus à des mœurs plus douces ; le peuple a gardé ces féroces habitudes.

On a dit que l’assassinat était le duel des pauvres gens ; l’expression n’est pas tout-à-fait exacte. L’homme qui dans une querelle tue son adversaire, est presque toujours poussé à bout par un mot ou par un geste, et il frappe avant que l’adversaire ait eu le temps de se mettre sur la défensive, sans aucune espèce de danger pour lui-même. Il y a là surprise violente, il n’y a pas chances égales ; il y a donc peu de courage réel à être assassin. Quoi qu’il en soit, en Italie, le peuple prend inévitablement le tueur sous sa protection. Un premier meurtre en fait un personnage intéressant ; un second meurtre en fait un brave, un troisième un héros. Les femmes, que l’énergie séduit toujours, exaltent l’assassin et sont prêtes à baiser ses mains rouges de sang. — Bacon a écrit : La vengeance est une sorte de justice sauvage. — La vengeance qui suit un premier meurtre amène presque inévitablement une série d’assassinats, car les parens du mort ont à cœur d’accomplir ce qu’ils regardent comme un acte de justice et de tuer celui qui a tué un des leurs ; le gouvernement les ferait attendre et peut-être oublierait. La justice sommaire du poignard leur plaît davantage, et l’opinion est encore pour eux.

Il y a cent ans, on comptait à Rome cinq à six meurtres par jour, et quelquefois le lendemain des grandes fêtes l’hôpital de la Consolazione a recueilli jusqu’à cent cinquante blessés, ce qui laisse à supposer une vingtaine de tués. La veille de ces fêtes, on déménageait les salles de l’hôpital pour faire de la place aux blessés du lendemain ; c’était une habitude prise. Dans les premiers temps de l’invasion française, les meurtres étaient devenus encore plus fréquens ; les Romains trouvaient un double plaisir à tuer un ennemi et un étranger. Cent vingt Français ayant disparu en un seul jour, le général Miollis prit des mesures de police telles, que pendant les dix-huit mois de cette première occupation, de février 1798 à juillet 1799, il ne se commit pas dix meurtres. Sous la domination française jusqu’en 1814, les meurtres étaient toujours fort rares ; mais, lors de la restauration du gouvernement pontifical, ils recommencèrent de plus belle. Il y a vingt-cinq ans, on comptait encore un meurtre par jour. Aujourd’hui, grace à la vigilance de la police, on tue peut-être moins ; mais les préjugés populaires sont toujours les mêmes. Cela tient sans doute à ce que la justice n’instruit guère qu’à l’occasion de meurtres de gens comme il faut, ou d’assassinats commis sur la grande route ; les coups de couteaux entre gens de la canaille ne comptent pas.

C’est dans la foule de ces meurtriers par colère ou par vengeance, par tempérament ou par prétendu devoir, que de tous temps les brigands se sont recrutés. Obligés de se cacher et de vivre comme ils pouvaient, ces gens-là se faisaient peu de scrupule de prendre le bien d’autrui. Le gouvernement les mettait hors la loi et la société ; ils déclaraient la guerre à la société et à la loi. On a fait beaucoup d’honneur aux brigands en les représentant comme une sorte d’opposition permanente et avancée. Dans le principe, à la suite des longues guerres des républiques italiennes et lors de l’établissement d’un despotisme régulier, quelques grands chefs ont pu se poser ainsi et préférer à la soumission de l’esclavage l’indépendance et la vie aventureuse du bandit. La faiblesse du pouvoir et la configuration du pays favorisaient merveilleusement leurs projets ; ils trouvaient au centre de l’Apennin des forteresses naturelles. De nos jours, les mêmes localités ont donné asile à de nouvelles bandes ; mais les Mastrilli, les Fra Diavolo, les De’Césaris, les Barbone, les Dieci-Nove et les Gasparone ne peuvent en aucune façon être comparés aux grands chefs d’autrefois ; les élémens de leurs bandes ne sont pas non plus les mêmes. L’héroïsme et les passions généreuses sont en général étrangers à la détermination qui les pousse à s’armer contre la société. Les bandits d’aujourd’hui sont des assassins en fuite, des échappés de bagne, ou des gens très misérables, esclaves de leur paresse et de leurs passions ; c’est, en un mot, l’écume de la population des bourgades du centre de l’Italie, à laquelle se joignent quelques pâtres féroces que la solitude et la vie sauvage ont dépravés. Les actions de ces nobles personnages sont tout-à-fait dignes d’eux. Quelques chefs, il est vrai, se sont montrés résolus ; mais leurs troupes font plutôt preuve de constance et de souplesse que d’intrépidité, bloquant les bourgades sans oser y pénétrer de vive force, spéculant sur la peur, et ne s’attaquant guère qu’à des femmes et à des individus isolés. Trente habits de carabiniers ont toujours suffi, sinon pour détruire, du moins pour mettre en fuite les bandes les plus nombreuses.

Cette indulgence qu’en Italie l’homme du peuple a pour le meurtre semble partagée par le gouvernement, qui pardonne avec la même facilité que l’assassin met à frapper. Si le meurtrier vient à bout de faire sa paix avec la famille de sa victime, et paie quelques écus d’amende à la police, il peut reparaître sans courir le risque d’être arrêté, et ne tarde pas à être gracié. Sous le gouvernement romain, c’est là une conséquence naturelle de la doctrine de l’absolution. Ce que Dieu a pardonné, l’homme doit-il le punir ? Or un assassin ne manque jamais de se confesser : le prêtre lui dit bien qu’il a commis un grand crime ; mais comme le coupable se repent, le prêtre ne peut lui refuser l’absolution. Un meurtrier absous rentre aux yeux du peuple dans la catégorie des amnistiés ; le gouvernement qui le poursuivrait lui paraîtrait tyrannique et implacable.

L’exagération et la fausse interprétation de certains points du dogme peuvent donc être également considérées comme une des causes de la perpétuité du brigandage, je dirai plus, comme un véritable encouragement au meurtre. Le catholicisme, mal compris par le peuple, a perverti la morale en se faisant le garant trop facile de l’indulgence divine. L’Italien n’a vu qu’une seule chose dans la confession, l’absolution qui suit l’aveu et le pardon qui accompagne le repentir ; il a compris qu’un seul acte de contrition suffisait pour assurer la rémission des crimes les plus monstrueux. Certain du pardon, il a donc été criminel sans scrupules, et c’est en se promettant de se repentir qu’il a commis le meurtre.

Ces croyances superstitieuses ont eu d’étranges résultats. Ainsi le supplice des grands coupables, destiné à prévenir le crime par l’exemple, a été au contraire une excitation au crime. En Italie, un coupable meurt toujours en se repentant. L’assassin, avant de monter sur l’échafaud, se confesse en public, communie, et, en présentant sa tête au bourreau, baise la croix avec componction. — Cet homme fut bien coupable, mais il est mort comme un saint, — s’écrie le prêtre au moment où le bourreau vient d’achever son office. Voilà donc le brigand tout à l’heure transformé en martyr ; on se dispute comme de précieuses reliques les lambeaux de ses vêtemens ; les assistans vraiment religieux envient même son sort, et il n’est pas sans exemple que de misérables fanatiques aient commis un meurtre pour s’assurer de cette façon la béatitude éternelle. Si la foule ne pousse pas si loin la ferveur, bon nombre de ceux qui la composent commettront du moins le crime avec plus de sécurité, se promettant de faire à leur tour une bonne mort. Une fois criminels, ils s’efforcent d’échapper à la justice humaine, tout en se confiant en la justice divine, et ils se font brigands en attendant l’occasion de devenir saints.

C’est à des causes analogues qu’il faut attribuer ce mélange de superstition et de férocité propre aux brigands. — Il est à peu près certain que nous mourrons de mort violente, disent-ils ; mais quand le danger viendra, nous avons ceci pour nous défendre (et ils montrent leurs fusils), et cela pour adoucir notre mort (et ils baisent l’image de la Vierge). — Outre cette image, les brigands portent encore sur la poitrine, comme un scapulaire, la sainte croix et ses légendes ; c’est pour eux un signe de rémission, et parce que le Christ a pardonné au larron, ils le regardent presque comme un patron. En veut-on la preuve ? écoutons la comparaison qu’ils établissent entre eux et le rédempteur des hommes : c’est là une de ces traditions populaires communes aux brigands de tous les pays. — Jésus dans ce monde eut beaucoup à endurer, et nous aussi nous avons beaucoup à souffrir : Il était fugitif, nous le sommes ; il marchait accompagné de disciples, nous marchons entourés de bons compagnons ; il allait pieds nus, nous ne sommes guère mieux chaussés ; il n’avait qu’une tunique et qu’une robe, nous n’avons qu’une veste et qu’un manteau ; il eut faim et soif, nous pouvons en dire autant ; il jeûna quarante jours dans le désert, nous jeûnons presque tous les jours ; il fut tenté par le diable, qui le transporta sur une haute montagne, le diable nous tente à chaque heure, et nous porte sur les cimes élevées pour épier les passans ; Jésus fut haï et repoussé du monde, le monde nous hait et nous repousse ; les Juifs le guettaient pour le prendre, les sbires nous guettent aussi ; Judas le vendit, il en est plus d’un parmi nous qui vendra ses frères ; il fut pris, on nous prendra ; il fut conduit devant Anne et Caïphe, on nous conduira devant le barighel[1] et le juge ; on le battit de verges, on nous donnera la bastonnade ; on le pendit entre deux larrons, on nous pendra en pareille compagnie ; il descendit aux enfers, nous y descendrons aussi ; fasse le ciel qu’au lieu d’y demeurer de toute éternité avec les diables, nous puissions, comme lui, aller retrouver le Père et le Saint-Esprit !

Que faire pour déraciner de pareils préjugés et pour changer ce cours d’idées ? On a proposé plusieurs remèdes, les uns ordinaires, les autres héroïques. Au nombre des remèdes ordinaires, il faut ranger en première ligne l’éducation et l’instruction, qui ne corrigent pas les brigands, mais qui empêchent de le devenir. Malheureusement ces remèdes, qui n’engagent que l’avenir, ne sont du goût ni des gouvernans, ni des gouvernés. Les remèdes héroïques sont peu nombreux : la peine de mort avec exécution à huis-clos pour tout meurtre prémédité, la peine de mort avec refus d’aboslution pour tout brigand et assassin de métier, tels sont ceux que l’on a jugés les plus efficaces. Le dernier de ces moyens de répression a été repoussé comme abominable et contraire au dogme, l’absolution ne pouvant être refusée au coupable repentant. Quand à la peine de mort, le gouvernement romain, qui ne se pique cependant pas de philanthropie, ne l’applique que très rarement et comme à contre-cœur ; il faut que l’opinion publique lui force la main, et cette opinion publique diffère rarement de l’opinion du peuple, qui ne voit jamais pendre ou assommer (macellare) un assassin sans éprouver un sentiment d’horreur pour les juges et de commisération pour le patient.

Chose singulière ! le gouvernement romain, qui montre une sorte de pitié pour des assassins, et qui traite d’égal à égal avec des bandits, envoyant un premier ministre s’aboucher diplomatiquement avec eux, n’hésite pas une autre fois à faire raser une ville. Cette démolition des villes est cependant fort impolitique ; au lieu d’un seul et grand foyer facile à observer, on en crée nombre de petits, qui tendent à grandir ; on n’étouffe pas la contagion, on la répand.

Autre inconséquence du gouvernement pontifical : il prohibe soigneusement les ouvrages de Voltaire, Montesquieu, et même de M. de Châteaubriant, et il laisse vendre dans les montagnes, par des colporteurs, une foule de petits livres à deux sous, qui racontent tous, soit en vers, soit en prose, l’histoire de bandits fameux. Les jeunes gens dévorent ces livres, dont ils prennent les héros pour modèles. Et quels sont ces héros ? c’est un Giuseppe Mastrilli, qui débute par tuer son rival, se fait brigand, sauve une princesse, est gracié, et meurt dans son lit ; c’est un Pietro Mancino, qui un jour s’empare d’un demi-million en or et va vivre en Dalmatie comme un prince, puis, comme Mastrilli, meurt de maladie et rend son ame à Dieu ayant le prêtre auprès de lui. Rese l’anima a Dio col sacerdote. C’est un Gobertinco, qui tue neuf cent soixante-quatre personnes et six enfans, et qui, en mourant, n’a qu’un regret, c’est de n’en avoir pu tuer mille, comme il en avait fait le vœu. C’est un Oronzo Albegna, qui égorge son père, sa mère, étrangle ses deux frères et coupe la tête à sa petite sœur encore au berceau ; celui-là du moins meurt sur l’échafaud. La vie de ces héros, comme celle des Stefano Spadolini, des Bartolomeo, Angelo del Duca, Veneranda Porta et Stefano Fantini, est écrite en vers et souvent en pur toscan ; nombre d’autres petits livrets distribués au peuple avec profusion racontent prosaïquement, mais avec un égal intérêt, la vie de brigands plus modernes, que souvent même leurs lecteurs ont connus, les Maïno, les Perella, les Rondino, les Francatripa, les Calabrese, les Barbone, les Corampono, les Fra Diavolo, les Mezza Pinta, etc., tous brigands plus ou moins fameux, et qui la plupart ont aussi fini d’une façon édifiante, baisant la croix, et le prêtre à leurs côtés.

Nourris de ces lectures, les jeunes montagnards se trouvent tout naturellement du parti des brigands avant de le devenir eux-mêmes. Ils correspondent avec eux, leur donnent asile, s’exaltent en écoutant, de leur propre bouche, le récit de leurs exploits, et, à la première occasion venue, jouent du couteau et gagnent la montagne, où ils sont sûrs de rencontrer des amis. Ces hommes intelligens, au-dessus de la condition de leurs compagnons de rapines, ont souvent fini par devenir lieutenans ou chefs de bandes. À cette sympathie des populations résultant d’un vice d’éducation venaient se joindre la mollesse et l’indécision du gouvernement pontifical, la maladresse et l’imbécillité de ses agens, de sorte que tout semblait d’accord pour perpétuer le mal. On traitait en brebis égarées qu’il fallait ramener au bercail des misérables couverts de sang ; on s’abouchait et on négociait par ambassadeurs avec des bandits qui s’étaient mis en dehors du droit des gens ; on acceptait leurs armistices ; un cardinal, ministre d’état, leur accordait des saufs-conduits, avait des entrevues et débattait avec eux comme avec des généraux d’armée les conditions de la paix. Enfin on faisait plus, on amnistiait des bandits encore insoumis, on donnait à ceux qui déposaient les armes des emplois lucratifs, et on traitait en sujets fidèles des meurtriers avérés qu’au lieu du pardon une justice inexorable eût dû atteindre. — Nous ne sommes pas des forteresses que l’on puisse démolir avec le canon ; mais, comme des oiseaux de proie, nous planons autour des rocs élevés, disaient les brigands aux envoyés du pape. Ceux-ci répétaient ces paroles, et, pour s’excuser des avantages qu’ils leur faisaient, ajoutaient que pour en venir à bout il valait mieux employer la glu que la poudre, qui les effarouchait. Mais qu’arrivait-il à la suite de soumissions de ce genre ? C’est que ces hommes, qui souvent n’avaient traité que parce qu’ils étaient aux abois, rompaient leur ban et reparaissaient plus redoutables que jamais. Rienzi, Sixte-Quint et les Français n’employèrent, pour extirper le brigandage, que des mesures de rigueur, et Rienzi, Sixte-Quint et les Français réussirent temporairement. Enfin, lorsque de 1820 à 1827 les bandes les plus importantes ont été détruites, c’est moins au pardon accordé à ceux qui se soumettaient qu’à deux ou trois exemples de répression terrible qu’il faut attribuer cet heureux résultat.

Nous ne voulons pas faire ici l’histoire du brigandage, nous nous proposons seulement de rapporter quelques faits qui sont comme les pièces justificatives des considérations précédentes et qui feront connaître en même temps l’audace de ces aventuriers, leur manière d’être et d’exister, la mollesse du gouvernement quand il s’est agi de les combattre, et les divers sentimens qu’ils inspirent aux populations des montagnes. Ce sont en quelque sorte les derniers chapitres de leur histoire ; cette fois le scandale avait été trop grand et trop prolongé il dut cesser.

De 1816 à 1819, le brigandage avait pris, en effet, un formidable accroissement dans les états du saint-siége ; des bandes parcouraient l’Apennin dans tous les sens. Le gouvernement, après avoir temporisé et parlementé, se décida à sévir. Voulant faire un exemple terrible, il décréta la démolition de la ville de Sonnino et la dispersion de sa population. Chassés de ce côté, les brigands se retranchèrent dans les montagnes de Core, et traversant le Sacco, se rapprochèrent de Frosinone et d’Alatri.

On était arrivé aux premiers jours du mois d’août 1819, lorsque tout à coup le bruit de l’arrivée des brigands se répandit dans les environs de Palestrine et de Tivoli. On disait que leurs bandes nombreuses, chassées de Sonnino que le canon venait de détruire, se repliaient vers le centre des montagnes des états romains, faisant captifs tous ceux dont elles espéraient tirer rançon, et mettant à contribution les villages des montagnes. Ces bandits, échappés aux exécutions de Sonnino, ne respiraient que la vengeance. Beaucoup d’entre eux avaient fait partie de la troupe de De’Césaris, tué l’année précédente aux environs de Terracine. Obligés de se retirer devant la petite armée de deux mille hommes qui occupait les districts du sud, ils s’étaient divisés en plusieurs compagnies, et s’étaient donné rendez-vous aux environs de Subiaco et de Tivoli. Leur projet, disait-on, était de s’emparer des petites villes de la montagne ; peut-être même, lorsqu’ils seraient en force, hasarderaient-ils quelque coup de main audacieux contre Rome ; ils ne rêvaient rien moins que le pillage et l’incendie de ses faubourgs, parce qu’enfin, s’il fallait périr, ils voulaient du moins que ce fut avec éclat.

Le 9 août, deux jeunes campagnards qui portaient les chaînes d’un arpenteur employé au cadastre, et qui travaillaient sur la lisière d’un bois à peu de distance du chemin de Guadagnola, virent des hommes armés qui venaient de leur côté ; ils voulurent prendre la fuite, mais ceux-ci, les couchant en joue, les sommèrent de s’arrêter. Ces jeunes gens, à demi morts de frayeur, se gardèrent bien de faire résistance ; alors les brigands, les poussant devant eux dans le taillis, les conduisirent dans une clairière de la forêt, où dix à douze de leurs compagnons étaient couchés sur le gazon. Là, un de ces hommes, qui paraissait le chef de la bande, leur fit subir un long interrogatoire. — Qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Y avait-il des soldats à Tivoli et à Poli ? Les habitans de Poli, la bourgade la plus voisine, étaient-ils riches ? Quelles étaient leurs habitudes ? À quelles heures sortaient-ils de la bourgade ? — Ils tâchaient, comme on voit, de tirer de leurs prisonniers tous les renseignemens qui pouvaient leur être profitables, leur but étant de se rendre maîtres de la personne de ces riches habitans et d’en obtenir rançon. Les deux jeunes campagnards, ne sachant rien, n’eurent pas de peine à rester discrets ; les brigands, mécontens, les traitèrent de chiens, les firent coucher sur le gazon, et comme, vers le milieu du jour, ils se plaignaient de la faim, ils leur jetèrent des pagnottes (petits pains) et du fromage ; à la chute du jour, ils les renvoyèrent à Poli.

À peine rentrés chez eux, ces jeunes gens racontèrent ce qui venait de leur arriver à la population de la bourgade rassemblée tout entière autour d’eux. Le village était dans l’alarme ; on se livrait à de longs commentaires sur les projets des brigands, lorsque deux bergers qui arrivaient des districts du sud, rapportèrent qu’ils les avaient vus passer dans la direction de Capranica. Cette bande était-elle la même que celle de Guadagnola ? Ils l’ignoraient. Ces bandits s’étaient emparés de leurs provisions de pagnottes, de fromage et de lait, et avaient soupé avec deux de leurs moutons qu’ils avaient tués. Ces renseignemens étaient précis, les bergers rapportaient à leurs maîtres les peaux des moutons tués par les brigands. La terreur des Polésans, qui se voyaient entourés de tous côtés par des bandes armées, s’accrut encore à ce récit. Quelques jeunes gens faisaient partie de la milice civique ; plus courageux que les autres, ils parlaient de s’armer, mais ils ne pouvaient le faire sans l’autorisation du maréchal du district, commandant de la force publique. Il fallut donc que le magistrat de Poli députât un exprès à Palestrine, pour l’avertir du danger que courait la bourgade, et lui demander cette autorisation ; en attendant sa réponse, les habitans devaient rester désarmés. Grace à l’ombrageuse imprévoyance du gouvernement, qui redoutait plus encore les carbonari que les brigands, ces derniers avaient beau jeu.

Les bergers qui venaient de rentrer à Poli étaient chargés, de la part des bandits, d’une double commission auprès de l’un des riches propriétaires du pays. Un de leurs camarades que cet homme avait maltraité quelques mois auparavant, avait gagné la forêt et s’était fait brigand. — Vous préviendrez mon maître que je viens lui rendre la visite que je lui avais promise, et que j’ai le projet de le récompenser de ses bontés, — avait-il dit à ses anciens compagnons. Le chef de la bande, qui, lui, songeait plutôt au profit qu’à la vengeance, avait ajouté une sorte de correctif à la commission de son subordonné, et cela de son consentement ; il promettait au coupable oubli du passé et sûreté, si dans tel délai il déposait un certain nombre d’habits, de manteaux et de chemises à une place qu’il indiquait. S’il refusait, toute la troupe épouserait la vengeance du berger, ses troupeaux seraient égorgés, et si on s’emparait de sa personne, il périrait dans les plus terribles supplices. Ces menaces consternèrent le riche Polésan ; mais, comme cet homme ne manquait pas d’énergie, il fit, dès le lendemain, demander au gouvernement romain si, dans le cas où il refuserait d’obéir à la sommation des brigands, il pouvait compter sur la protection spéciale de la police, et sur quelque indemnité pour la perte de ses troupeaux. La réponse du gouvernement fut telle qu’il se hâta de déposer les habits, les chemises et les manteaux à l’endroit désigné.

Le lendemain 10 août, de grand matin, le maréchal du district était arrivé à Poli, et convoquait la garde civique. Laissons parler ici le voyageur auquel nous empruntons une partie de ces détails[2] ; le tableau qu’il présente a été fait d’après nature ; nous craindrions, en y ajoutant quelque chose, d’en altérer la franchise et la naïveté.

« Le maréchal ayant convoqué la garde civique, nous fûmes témoins de nos fenêtres d’un spectacle des plus singuliers ; le maréchal, portant pour toute arme un grand pistolet d’arçon à la ceinture, parcourait la rue dans tous les sens, se consultant avec les notables du pays, car on s’attendait à quelque tentative des brigands sur Poli pour la nuit même. À la suite d’une délibération tumultueuse, on se décida à rassembler une quinzaine de jeunes gens qu’on arma de canardières et de fusils de munition en mauvais état. C’était là ce qu’on appelait la garde civique ; les armes étaient la propriété du gouvernement, qui les distribuait dans les grandes occasions.

« Sur les dix heures, on conduisit cette petite troupe au-delà de la porte principale, sur une plate-forme où les enfans allaient jouer d’ordinaire. Là, ces volontaires essayèrent la poudre et tirèrent à la cible sous les yeux des brigands, qui occupaient les hauteurs voisines ; puis, leur nombre s’étant accru de quelques nouveaux venus, ils se mirent en campagne plutôt pour effrayer les brigands et les débusquer que pour les attaquer sérieusement : la plupart en effet n’avaient ni poudre ni balles, les mieux approvisionnés n’avaient guère que deux charges. À peine ce détachement venait-il de partir, que deux cents paysans entrèrent dans la ville, poussant de tels cris de joie et de triomphe, que nous crûmes d’abord que les brigands venaient d’être joints et détruits par la garde civique ; il n’en était rien : ces hommes venaient seulement de réunir le bétail dispersé sur les collines du voisinage, et poussaient devant eux de grands troupeaux de bœufs, de vaches et de génisses, que toutes les femmes et les enfans de la ville accompagnaient. À la nuit, un lieutenant de l’armée papale, suivi de quelques soldats, arriva à Tivoli ; ces soldats venaient concourir à la défense de Poli. En entrant dans la bourgade, ils y causèrent une sensation extraordinaire ; les habitans étaient enchantés de leur arrivée, mais ils n’auraient voulu ni les loger ni les nourrir ; leurs brillans uniformes, leur pas mesuré, contrastaient avec les grossiers vêtemens et l’air rustique de nos amis, auxquels leur ton d’autorité ne plaisait guère ; enfin, peu à peu les lanternes disparurent, on ne pensa plus à l’attaque des bandits, et la nuit se passa fort tranquillement. »

Tandis que l’approche des brigands causait une si grande agitation dans la bourgade de Poli, l’épouvante n’était pas moindre à Tivoli et à Palestrine, de sorte que plusieurs villes et bourgades, distantes de Rome de quelques lieues seulement, étaient mises en état de siége en pleine paix par une poignée de misérables. La banlieue de Rome elle-même était menacée ; les habitans de ses faubourgs n’étaient pas sans crainte, et cependant le gouvernement romain pouvait disposer d’une armée de douze mille hommes. Ne se croirait-on pas reporté au temps de Piccolomini et de Marco Sciarra[3] ?

Ces paysans, qu’on avait mis aux trousses des brigands, n’avaient nulle envie de les rencontrer. Les soldats qui les accompagnaient avaient beaucoup de peine à les faire marcher en avant ; leur frayeur se trahissait par de fréquentes exclamations et par une hésitation continuelle. Si quelques hommes fatigués restaient en arrière : — Ah mon Dieu ! ils nous abandonnent, s’écriaient les plus avancés. — Voilà les brigands ! répétaient-ils à haute voix d’instans en instans ; comme s’ils eussent été bien aises de leur donner l’éveil. Lorsqu’enfin on eut acquis la certitude que la bande était délogée, les volontaires reprirent leur belle humeur ; les uns grimpaient sur les arbres et dénichaient des nids d’écureuils, d’autres racontaient joyeusement comment ils s’étaient échappés de prison ; un paysan qui, grace à son extrême agilité, avait un jour dépisté les sbires qui le poursuivaient et qui depuis n’avait plus été inquiété, montait sur les châtaigniers, et, pour prouver qu’il n’avait rien perdu de son adresse, se laissait retomber à terre en se pendant à l’extrémité des branches avec la légèreté d’un singe. On voit que les poursuivans ne valaient guère mieux que les poursuivis. Les Français, en pareille circonstance, s’y prenaient d’une autre manière : ils encadraient ces milices entre des soldats qui avaient ordre de tirer sur les récalcitrans, les traînards et les flâneurs.

Ce fut au retour de cette expédition que l’on apprit que le chirurgien de Castel-Madama, petit bourg des environs de Tivoli, Eustachio Cherubini, et Bartolomeo Marasca, homme d’affaires du chevalier Bischi, venaient d’être enlevés par les brigands, qui, se proposant de tirer rançon de leurs captifs, les avaient conduits dans la montagne. Cette nouvelle jeta la consternation dans chacune des bourgades menacées et paralysa l’énergie fort douteuse de leurs habitans. Charmés de trouver un prétexte pour ne pas s’exposer à de nouveaux dangers, ils se disaient entre eux que tant que l’on n’aurait pas payé la rançon du chirurgien, et que les brigands ne l’auraient pas relâché, il fallait se tenir tranquille et sur la défensive ; qu’autrement ces misérables, poussés à bout, mettraient à mort leurs prisonniers. On se contenta donc d’observer les bandes, qui paraissaient s’être concentrées aux environs de San-Gregorio et de Mentorella. On occupa quelques-uns des passages par lesquels on supposait qu’ils chercheraient à s’échapper. À peine achevait-on de prendre ces dernières mesures, que l’on apprit que l’un des deux captifs, Bartolomeo Marasca, venait d’être mis à mort, et que ses assassins se retiraient dans la direction de Guadagnola. Ce passage seul n’était pas gardé ; le maréchal, qui se trouvait à Tivoli, dépêcha donc sur-le-champ un exprès pour recommander aux Polésans de s’y porter sans retard, afin que les brigands ne pussent échapper.

« Cet ordre arriva dans la soirée ; presque tous les hommes de Poli étaient à Palestrine, où ils s’étaient rendus en armes pour vendre leurs bestiaux et se divertir. On fit donc un choix parmi les vieillards et les enfans qu’on réunit dans la rue ; les femmes, portant des lanternes à la main, s’étaient rassemblées autour d’eux ; elles couraient de côté et d’autre, demandant à grands cris que leurs enfans ou leurs maris ne fissent point partie de cette expédition, les brigands pouvant profiter de leur absence pour attaquer la ville. Les familles qui avaient des armes refusaient de les livrer. Les magistrats et l’officier, pour mettre fin à de pareils débats, forcèrent les portes de quelques maisons pour y prendre les armes qui s’y trouvaient ; mais ces armes étaient si bien cachées, que cette mesure énergique fut sans résultat. Voyant qu’il était impossible d’armer le petit nombre d’hommes qu’on avait réunis, on décida qu’on attendrait jusqu’au lendemain, c’est-à-dire jusqu’au retour de ceux qui étaient allés à Palestrine. Le spectacle qu’offrait la rue où ces discussions avaient lieu était aussi nouveau pour les habitans de Poli que pour nous autres étrangers. Les gens armés et ceux qui n’avaient pas d’armes, les volontaires et les récalcitrans, criaient tous ensemble ; les femmes, tenant d’une main leurs enfans, de l’autre leurs lanternes, couraient comme des insensées, tantôt calmant, tantôt excitant les disputes. Ceux qui avaient été à Palestrine revenaient par petits groupes, les poches pleines de noisettes, chargés de marchandises de toute espèce, et la plupart tout-à-fait ivres. Enfin, un seul cri dominait au milieu de ce terrible pêle-mêle : les brigands approchaient ! la nuit même la ville serait attaquée ! et il ne venait à l’idée de personne que pendant ce temps les bandits avaient tout le loisir de s’en aller par le chemin qui leur conviendrait le mieux. Ainsi se passa la nuit du 18 août dans la bourgade de Poli[4]. »

Conçoit-on une pareille confusion, et cela six jours après l’arrivée des brigands, quand à la place de ces milices peureuses et mal armées le gouvernement aurait déjà pu rassembler plusieurs milliers de soldats dans ces districts voisins de Rome, cerner ces bandes, et ne pas laisser échapper un seul des individus qui les composaient ? Qu’on s’étonne, après cela, de la perpétuité du brigandage dans les états romains !

Tandis que ce désordre et ces hésitations continuelles rendaient inefficaces les mesures prises par les magistrats et les officiers qui commandaient dans ces petites villes, que faisaient les brigands, retranchés sur la cime des montagnes qui les dominaient ? Le récit de l’un de leurs captifs, Eustachio Cherubini, le chirurgien de Castel-Madama, va nous l’apprendre.

— Le 17 du mois d’août, nous dit-il dans le récit qu’il a laissé de sa captivité, Bartolomeo Marasca, intendant du chevalier Bischi, m’apporta une lettre de son maître, qui réclamait mes secours pour des étrangers de ses amis qui se trouvaient alors à Tivoli. Je me hâtai de visiter mes malades de Castel-Madama, et je me mis en route pour Tivoli dans la compagnie de l’intendant. Nous n’étions plus qu’à deux milles de cette ville, et nous venions de traverser la seconde arcade de l’aqueduc antique, quand tout à coup deux hommes, sortant des broussailles, nous couchèrent en joue, ordonnèrent à Marasca de jeter le fusil dont il était armé, et le sommèrent de mettre pied à terre. Ces brigands nous barraient le chemin ; dans le même moment, deux autres parurent derrière nous, de sorte qu’il n’y avait possibilité ni de passer outre ni de fuir. Nous descendîmes de cheval, Marasca remit son fusil, et, quittant bientôt tout chemin fréquenté, nous gravîmes au milieu des broussailles les pentes escarpées de la montagne la plus proche. Quand nous fûmes arrivés au sommet, le chef fit faire halte pour rallier ses gens, qui ramenaient plusieurs habitans de San-Gregorio qu’ils avaient rencontrés en chemin, et l’on nous permit de nous coucher sur le gazon.

Je remarquai alors que Marasca était fort à son aise avec les brigands. Il causait et riait avec eux ; je soupçonnais presque une trahison.

Au moment où nous nous arrêtions, Masocco, le chef de la bande sans doute, s’approcha de moi. — N’es-tu pas le gouverneur de Castel-Madama ? me demanda-t-il avec humeur. — Non ; je ne suis qu’un pauvre chirurgien de cette bourgade. — Ne t’avise pas de mentir, me dit-il, car nous te traiterions comme le maître de poste de Terracine[5]. — Je ne mens pas, répartis-je aussitôt ; voyez plutôt : voici mon étui à lancettes et mon sac d’instrumens. Le chef ne parut pas satisfait de ma réponse, et me jetant mon étui à lancettes qu’il avait pris : — Puisqu’il en est ainsi, nous verrons à nous arranger pour ta rançon, me dit-il. — Hélas ! lui répondis-je les larmes aux yeux, ma pauvreté est extrême ; je me rendais à Tivoli pour soigner un étranger qui m’aurait fait peut-être gagner un peu d’argent. — Eh bien ! reprit-il, je vais te donner de l’encre et du papier, et tu écriras à cet étranger de t’envoyer sur-le-champ deux mille écus d’or ; dis-lui que, s’il refuse, nous sommes bien décidés à te mettre à mort. — Quelque faible que fût mon espoir, je me hâtai d’écrire de la manière la plus pressante au signore Celestini, le priant de m’envoyer tout l’argent dont il pourrait disposer, l’assurant qu’aussitôt que je serais rendu à la liberté, je m’empresserais de lui rendre la somme en vendant tout ce qui m’appartenait. Ma lettre achevée, le chef envoya deux de ses gens chercher dans la plaine un homme de Castel-Madama qu’il avait aperçu le matin. Quand cet homme fut venu, je le priai de porter sur-le-champ ma lettre au signore Celestini, et je le chargeai en même temps de lui remettre ma trousse de chirurgien pour qu’il vît qu’on ne le trompait pas. Ce paysan, qui était un brave homme, consentit de grand cœur à me rendre ce service. Il prit la lettre, et me donna un morceau de pain qu’il avait sur lui. Le chef le fit monter sur un de nos chevaux qui paissaient au pied de la montagne, et il prit aussitôt le chemin de Castel-Madama, me recommandant d’avoir bon courage. »

Dans l’intervalle de temps qui s’écoula depuis le départ jusqu’au retour du messager, le malheureux Cherubini fut témoin d’une scène affreuse bien propre à accroître encore sa terreur.

Marasca, son compagnon, dont il avait soupçonné la fidélité, paraissait toujours au mieux avec les brigands ; il riait avec eux, examinait leurs armes, et par momens les menaçait du geste quand ils avaient le dos tourné. — Mes soupçons, dit le chirurgien, s’étaient donc presque changés en certitude, mais j’eus bientôt occasion de voir combien ils étaient injustes et peu fondés. Les brigands accueillaient ces avances avec dédain, et observaient ses gestes en silence. Marasca, craignant de les ennuyer, vint s’asseoir auprès de moi ; il y était à peine depuis quelques instans, lorsque le chef, s’approchant d’un air calme, lui asséna tout à coup sur la nuque un vigoureux coup de bâton, et cela sans proférer une seule parole. On eût dit un boucher assommant un bœuf. Marasca, étourdi du coup, eut cependant la force de se lever et de s’écrier d’une voix suppliante : Au nom de Dieu, épargnez ma vie, j’ai une femme et des enfans ! Mais comme Masocco redoublait, il essaya de se défendre et de le saisir à la gorge ; les autres brigands ne lui en laissèrent pas le temps, ils se jetèrent sur lui et l’entraînèrent vers le bord d’un ravin profond. Marasca était vigoureux, mais la lutte était trop inégale pour être de longue durée ; il y eut un moment de confusion horrible durant lequel je vis tous ces hommes, les assaillans et l’assailli, tomber et se relever à la fois, retomber encore, puis rouler ensemble au fond du ravin sur le bord duquel nous étions assis. Glacé d’horreur, je penchai ma tête sur ma poitrine et je fermai les yeux ; j’entendis des imprécations, un grand cri, des plaintes étouffées, puis je n’entendis plus rien, et je restai quelques momens comme privé de sentiment. Quand je rouvris les yeux, j’étais entouré des brigands ; Masocco, haletant, essuyait son poignard marbré de sang et le remettait dans le fourreau ; il vit ma pâleur, et se tournant vers moi : — Ne crains rien, Cherubini, me dit-il ; nous avons tué ton compagnon parce que nous savions qu’il était sbire, mais toi tu ne fais pas un pareil métier. Le misérable murmurait, examinait nos armes et semblait nous railler ; nous ne pouvions d’ailleurs tirer un sequin de lui, et si les soldats fussent venus, il se serait tourné de leur côté.

Ces paroles du chef m’avaient rendu quelque confiance, et mon ame se rouvrait encore une fois à l’espérance, quand je vis les brigands se rapprocher et se consulter entre eux. — L’argent de Tivoli ne vient pas, disaient les uns. — C’est vrai, et à la place d’écus ce sont des soldats qu’on va sans doute nous envoyer, s’écriaient les autres. — Que ferons-nous de nos prisonniers ? reprenait un des chefs ; il faut ou les tuer ou les renvoyer chez eux. — Les avis étaient partagés. Masocco, laissant ses compagnons disputer entre eux, vint s’asseoir près de moi sur le gazon ; je me rappelai, dans ce moment, que j’avais quelques écus dans mes poches ; je les lui donnai, espérant de cette façon me le rendre favorable. Il prit l’argent et se mettant à rire : — Ce sera pour payer le messager, me dit-il.

Vers les quatre heures de l’après-midi, de gros nuages, qui nous menaçaient depuis long-temps, crevèrent sur nos têtes ; il plut à torrens, et, comme je n’avais pas de manteau, je fus trempé jusqu’aux os. Tout à coup, au milieu de l’orage, on entendit des voix de divers côtés. Les plus rapprochées partaient d’une colline à notre gauche. — C’est le messager, dis-je au chef. — Nous allons voir, — et il appela. Mais personne ne vint et on n’entendit plus rien. Cependant, au bout de quelques instans, on crut distinguer de nouvelles voix vers la gauche. Les brigands nous firent monter sur une colline qui dominait le point d’où partaient ces voix. Quand nous fûmes arrivés sur une petite plate-forme entourée de broussailles, les bandits nous placèrent derrière eux, et, tenant leurs armes prêtes, crièrent aux nouveaux venus d’approcher et de se coucher la face contre terre. Le messager de Tivoli, car c’était lui, leur répondit brusquement — À quoi bon me coucher ? c’est assez de m’être tué de fatigue pour grimper jusqu’ici avec la charge de 500 écus. Tenez, voilà votre argent, ajouta-t-il en présentant le sac à Masocco ; c’est là tout ce qu’on a pu se procurer dans la ville. — C’est bien, répartit celui-ci ; il prit ensuite le sac, compta l’argent, trouva la somme exacte, loua le paysan de sa probité et lui donna les trois écus que je lui avais remis. Cela fait, il renvoya quelques paysans qu’il avait ramassés sur la route peu après mon arrestation, et qui embarrassaient notre marche ; puis il donna le signal du départ.

— Maintenant que vous avez reçu tant d’argent pour moi, pourquoi ne me renvoyez-vous pas comme les autres ? dis-je au chef avec impatience. — Nous voulons attendre le retour du messager de Castel-Madama, peut-être nous rapportera-t-il un sac d’écus comme celui de Tivoli. — Vous vous trompez, Castel-Madama est une misérable bourgade, et on ne pourrait s’y procurer quatre écus. — Nous verrons. — Alors il valait mieux me tuer tout de suite, car s’il faut que je passe la nuit dans ces montagnes, mouillé comme je suis, ma santé sera détruite pour jamais. — Ta santé et ta vie nous importent fort peu, et je te conseille de te taire, reprit le chef avec humeur, car mes compagnons pourraient bien s’offenser de ton langage.

J’aurais voulu répliquer, que cette réponse m’eût fermé la bouche. Je me tus, et un brigand, qui me donnait le bras pour m’aider à gravir la colline, me dit que j’avais bien raison de ne pas raisonner davantage, car ni lui ni ses amis ne tenaient pas plus à ma vie qu’à celle d’un chien.

Nous marchâmes ainsi toute la soirée ; vers le tiers de la nuit, nous fîmes halte à quelque distance de masures auprès desquelles nous trouvâmes un âne qui appartenait à des bergers du voisinage. J’étais épuisé de fatigue ; le chef eut pitié de moi ; il fit étendre sur le dos de l’âne un manteau de peau de mouton, et me fit monter dessus ; puis il pressa la marche de la troupe, qui ne tarda pas d’arriver aux environs de huttes abandonnées près du sommet de la montagne. Là on alluma un grand feu dans une aire à battre le blé. Le chef me dit de me déshabiller pour faire sécher mes vêtemens, et comme mes membres étaient raidis par le froid, il m’aida lui-même à m’en débarrasser ; pendant que mes habits séchaient, il me fit coucher près du feu. Mes vêtemens étant secs, je me rhabillai, et je restai étendu près du foyer, tandis que les brigands faisaient griller un mouton qu’ils venaient de tuer. Ma fatigue était si grande, que je tombai dans un profond sommeil. À mon réveil, je trouvai toute la bande endormie, à l’exception des sentinelles et du chef. Celui-ci tenait au bout de la baguette de son fusil quelques tranches de mouton qu’il avait fait griller et qu’il m’offrit ; j’essayai d’en manger une ou deux bouchées, mais je ne pus ; je donnai le reste au messager de Tivoli, qui s’était couché près de moi.

Le lendemain les brigands, ennuyés d’attendre le retour du paysan envoyé à Castel-Madama pour apporter l’autre moitié de la rançon du docteur, dépêchèrent un nouveau messager chargé d’une lettre de leur prisonnier. Au moment de partir, un des brigands proposa de couper une des oreilles du docteur, et de la joindre à la lettre comme apostille pressante. Le chef fit en sorte que cette aimable proposition n’eût pas de suite ; mais au moment où le messager allait se mettre en chemin : — Rappelle-toi bien, lui dit-il, que si tu n’es pas de retour demain avant la nuit, tu peux te dispenser de nous chercher, car nous aurons jeté ce Cherubini dans quelque puits. — Cette nuit et la journée du lendemain se passèrent en marches et en contremarches sur la cime des montagnes du voisinage. Le prisonnier cependant était plus tranquille, car immédiatement après le départ du messager, le chef lui avait dit : — Maintenant que tu ne peux plus parler à l’homme de Castel-Madama, nous te promettons que demain, quelque petite que soit la somme que cet homme apportera, nous te remettrons en liberté. — Cette promesse me causa un si grand soulagement, dit le docteur, que ce bandit me parut un ange descendu du ciel, et que je lui baisai la main, le remerciant vivement de sa bienveillance inattendue. — Cette gratitude est par trop italienne, et l’on doit en conclure que le docteur Cherubini avait une bien terrible peur ; il en convient du reste fort naïvement. — Les piqûres des cousins, qui s’attachaient à mon visage et à mon cou, me causaient de vives souffrances, dit-il ; mais depuis la mort du malheureux Marasca, j’avais tellement peur qu’on ne prît mes gestes, s’ils étaient trop brusques, pour des mouvemens de colère et d’impatience, que je n’osais pas même lever la main pour chasser ces insectes.

Du reste, les bandits avaient pour leur prisonnier des consolations évangéliques. L’un d’eux, qui portait en sautoir le collier de la madonna del Carmine, lui disait dans les momens de grande fatigue et d’accablement : — Mon frère, supportez tout cela patiemment pour l’amour de Dieu et de la madonne ! — C’était sans doute l’aumônier de la bande, car un fratone n’eût pas mieux dit.

Le chef seul paraissait supérieur à ses compagnons ; il se disait de Sonnino, et assurait qu’il avait été l’un des cinq chefs députés à Frosinone pour traiter avec le cardinal Gonsalvi. — La force ne peut rien contre nous, répétait-il souvent : nous ne sommes pas une forteresse qu’on peut démolir avec du canon ; mais, comme l’aigle et le vautour, nous volons autour du sommet des rocs élevés sans avoir de demeure fixe. — Cet homme empruntait sans doute ses comparaisons et son langage aux romans héroïques et aux histoires de brigands fameux, dont il faisait sa lecture accoutumée. — Si sept d’entre nous viennent à succomber, disait-il encore, le lendemain dix se présenteront pour les remplacer ; mais nous sommes tous décidés à vendre chèrement notre vie et à finir par un coup d’éclat. Le seul moyen de nous réduire, ce serait de nous accorder un pardon sans réserve, et encore faudrait-il que le pape lui-même nous jurât l’oubli du passé.

Le messager de Castel-Madama arriva enfin, apportant l’argent ; les brigands tinrent parole, et le docteur Cherubini fut aussitôt remis en liberté. Sa reconnaissance était si grande, qu’il ne voulut pas quitter les brigands sans les remercier de la bonté qu’ils avaient de l’épargner, et de la politesse ainsi que de tous les soins qu’ils avaient eus pour lui durant sa captivité.

Cette bande, dont le quartier-général était voisin de Subiaco, séjourna jusqu’à l’automne dans ces montagnes, bravant impunément le gouvernement pontifical, et menaçant la sûreté des habitans de Rome, qui purent voir plus d’une fois la fumée de ses bivouacs.

Pendant cette longue période de temps, Tivoli, Subiaco, Palestrine, et toutes ces petites villes qui dominent la campagne de Rome, furent dans la terreur. À la vue d’un homme armé d’un fusil, ou d’un feu allumé dans la montagne, le tocsin sonnait. Ces alarmes se renouvelaient plusieurs fois par jour. Chaque soir, la cloche de l’église épiscopale de Tivoli sonnait la retraite ; à ce signal, les cabarets se fermaient, la garde civique se rendait aux postes indiqués, et des sentinelles étaient placées sur chacun des ponts qui donnent accès dans la ville. On savait que les brigands avaient le projet de tenter un coup de main sur le quartier neuf de Tivoli, et d’enlever quelques-uns des riches propriétaires qui y sont logés, afin de s’assurer des rançons considérables. Si la vie d’un petit chirurgien de village avait été rachetée au prix de 1,000 écus, que ne leur paierait-on pas pour sauver celle de personnages plus importans !

Cependant les commissaires du gouvernement, sentant enfin la nécessité d’agir avec ensemble et énergie, avaient fait saisir et incarcérer plusieurs bergers convaincus d’avoir eu des communications avec les bandits, et de leur avoir fourni des vivres. Les autres bergers, contenus par cet exemple, s’étaient rapprochés des villes et des bourgades ; mais l’audace des brigands semblait redoubler, et ces vivres, qu’ils ne pouvaient plus se procurer par des transactions, ils les prenaient de force en pénétrant, à l’improviste et en nombre suffisant, dans les petits hameaux de la montagne et même de la plaine. Guadagnola et San-Vettorino, entre autres, furent victimes de ces déprédations.

Cet état de choses semblait devoir se prolonger, car, soit maladresse des autorités, soit connivence de la part des montagnards, les brigands restaient insaisissables et se signalaient chaque jour par de nouveaux pillages et de nouveaux crimes. Cependant, vers la fin de septembre, le bruit courut que les bandes qui infestaient le pays s’étaient repliées vers Anagni et Ferentino, et que les environs de Tivoli et de Subiaco étaient libres. Les habitants se félicitaient entre eux de ce qu’ils regardaient comme leur délivrance, quand tout à coup l’enlèvement de l’archi-prêtre de Vicovaro et le meurtre de son neveu vinrent les tirer de cette trompeuse sécurité. Ce prêtre cheminait en compagnie de ce neveu et d’un ami, sur la route de Vicovaro à Subiaco, lorsqu’ils furent assaillis à l’improviste par des gens armés. Le jeune homme portait un fusil ; voyant qu’un des brigands terrassait son oncle et le menaçait avec un couteau de chasse, il le frappa d’un coup de crosse ; mais, avant qu’il eût pu redoubler, il tombait la face contre terre, mortellement frappé d’un coup de poignard dans le dos. Les brigands laissèrent là le cadavre, emmenèrent l’archi-prêtre et son ami dans la montagne, et, comme ils avaient contre lui des motifs particuliers de rancune, ils demandèrent une rançon si considérable, que la paroisse ne put la payer. Les brigands firent souffrir d’atroces supplices au malheureux prêtre et à son compagnon. Ils leur coupèrent d’abord les oreilles qu’ils envoyèrent à leurs familles avec une nouvelle sommation ; les familles tardant trop à réunir la somme exigée ou ne pouvant pas la payer, chaque jour les bandits dépêchaient de nouveaux messagers portant chacun un doigt de leurs prisonniers. L’aspect de ces malheureux, dont les blessures n’étaient pas pansées, et qui, dévorés par la fièvre, étaient chaque jour obligés de faire de longues courses dans la montagne, eût touché de commisération des cœurs moins endurcis. À la fin, las d’attendre, fatigués des plaintes de leurs victimes qui ne les suivaient qu’avec des souffrances inouies et qui les gênaient dans leurs mouvemens, ils les égorgèrent et les jetèrent dans un ravin. Les paysans chargés de traiter de la rançon des captifs avec les brigands racontent encore avec horreur quelques incidens dont ils furent témoins et qui précédèrent la fin de ces infortunés. La veille du jour où les bandits les mirent à mort, ils dépouillèrent l’archi-prêtre de sa soutane, et, malgré les douleurs affreuses que lui causaient ses mains mutilées, ils lui firent passer l’habit de velours d’un de leurs compagnons, l’obligèrent à prendre sa carabine avec ses moignons et le coiffèrent d’un grand chapeau pointu. En revanche, un des leurs endossait la soutane du prêtre, et, par une sorte de dérision cruelle, lui débitait dans son grossier langage un sermon sur la mort. Les brigands, que ces déguisemens avaient mis en belle humeur, entourèrent ensuite leurs prisonniers, en chantant et en dansant en rond autour d’eux à la manière des cannibales qui dansent autour de leurs victimes ; enfin, comme le malheureux prêtre épuisé par la fièvre et la douleur avait une défaillance, ils le firent revenir à lui en lui mettant un charbon allumé dans chaque main.

On croit sans doute qu’une terrible et vigoureuse répression suivit le meurtre de l’archi-prêtre de Vicovaro, et que le gouvernement ne songea plus du moins à pactiser avec les assassins. Il n’en fut rien. De nouveaux pourparlers eurent lieu entre les chefs de bande et les agens du gouvernement. Bientôt même il fut question d’une amnistie pure et simple ; mais les brigands, qui savaient bien, eux, qu’il n’y a que celui qui sait punir qui pardonne efficacement, ne voulaient de cette amnistie qu’à certaines conditions. Non-seulement le gouvernement pontifical s’engagerait à ne pas les poursuivre, mais il devait encore assurer leur sort et pourvoir à leur subsistance, de sorte que ce n’était plus une grace, mais des récompenses qu’ils demandaient. Le cardinal légat ayant repoussé ces étranges prétentions, les déprédations recommencèrent, et, de Fondi à Subiaco, tout le pays fut en quelque sorte mis à contribution par des bandes toujours présentes et toujours insaisissables. Alors eut lieu le singulier évènement que nous allons rapporter, évènement qui fait connaître tout à la fois la maladresse et la faiblesse du gouvernement romain, l’audace et l’astuce des brigands.

Le supérieur du séminaire de Terracine, espèce d’illuminé dont la piété théâtrale était en grande vénération dans le pays, s’était offert au gouvernement comme médiateur entre l’état et les brigands, et le gouvernement avait accepté cette offre étrange. Cet homme, qui passait pour l’un des plus éloquens prédicateurs du pays, et qui, à l’exemple de tous les parleurs, croyait beaucoup trop au pouvoir des mots, s’arme un jour d’un grand crucifix, et seul, errant dans la montagne, se met à la recherche des bandits. Il ne les rencontra qu’au bout de plusieurs jours ; alors, s’adressant aux principaux d’entre eux, il les conjure par le sang et les souffrances du Christ de poser les armes. — Épargnez vos concitoyens, leur dit-il, et cessez d’être le fléau et l’épouvante du pays. Que demandez-vous ? un pardon général ? je vous l’apporte. Que désirez-vous encore ? des pensions, des emplois ? le gouvernement vous les promet. Bien plus, il s’engage à révoquer le décret porté contre Sonnino, à reconstruire vos habitations détruites, à mettre en liberté vos compagnons détenus dans les prisons. — Cette éloquence toute positive était la seule qui eût le pouvoir de séduire ses auditeurs. Le prêtre les voit se consulter l’un l’autre ; il profite de ce moment d’hésitation, et, faisant intervenir la Vierge, saint Antoine et le Christ, dont le moindre de leurs crimes fait saigner les blessures, il les décide à accepter ces propositions que le gouvernement n’eût jamais dû l’autoriser à leur faire.

C’est peu d’avoir désarmé ces hommes redoutables ; le nouvel apôtre veut les convertir et faire de chacun de ces coupables endurcis autant de pécheurs repentans. L’exemple du bon larron ne doit pas être perdu pour eux. Ces hommes feignent d’être séduits par l’éloquence du prêtre, peut-être même sont-ils momentanément touchés ; ils le suivent dans son séminaire de Terracine. Là, pendant quelques jours, les nouveaux convertis mènent une vie exemplaire ; le jeûne, la prière et les exercices religieux occupent tous leurs momens. Jamais pécheurs plus grands n’ont donné plus rapidement l’exemple d’une piété plus attendrissante. On eût dit, à les voir prosternés chaque jour au pied des autels, qu’il n’y avait qu’un pas du brigandage à la vie des cloîtres.

Cette pieuse comédie durait déjà depuis quelque temps ; chacun félicitait le recteur du succès inespéré de son œuvre ; il passait dans le pays pour un saint, un faiseur de miracles, et à Rome pour un homme habile, quand tout à coup la scène changea, et à cette exposition évangélique succéda le dénouement le plus tragique et le moins attendu. Des affaires de discipline appelèrent à Rome le supérieur du couvent et le forcèrent de s’absenter un jour et une nuit. À peine de retour, il s’empressa de courir aux cellules de ses chers néophytes : il les trouva vides ; il appelle ses élèves, confinés dans une autre aile du bâtiment ; personne ne répond, élèves et brigands ont disparu. On découvre enfin, emprisonnés dans les caves, le concierge et les gardiens des élèves. On apprend d’eux que vers le milieu de la nuit, quand toute la ville était endormie, les brigands ont éveillé les élèves, enfermé leurs professeurs, en menaçant de mort celui qui pousserait un cri, et qu’enfin, faisant marcher devant eux ces jeunes gens, ils ont pris le chemin de la montagne. Des bergers qui arrivent du dehors racontent qu’ils ont rencontré dans les bois de Monticello, à plusieurs milles de Terracine, ces jeunes gens, liés deux à deux et conduits par les brigands comme par leurs pédagogues. Cependant, à la nuit, la plupart de ces jeunes gens rentrèrent dans la ville ; leurs ravisseurs, pour ne pas manquer de vivres, n’avaient gardé que ceux des élèves dont les familles étaient riches et dont ils pouvaient espérer de fortes rançons. Les bandits, durant leur séjour au séminaire, n’avaient pas perdu leur temps, ils avaient recueilli des renseignemens précis sur la fortune de chacun de ces enfans. Il y avait pourtant, au nombre de ceux qu’ils gardèrent avec eux, des jeunes gens dont les parens n’étaient rien moins que dans l’aisance ; mais ceux-là étaient les fils de juges et de magistrats contre lesquels les bandits avaient des représailles à exercer : ils les gardaient, disaient-ils, pour faire un exemple. Le jeune Fasani, fils d’un ancien maire, était parmi ces derniers.

Dans les jours qui suivirent, des bergers apportèrent à chacun des parens des élèves que les brigands retenaient, la lettre circulaire que voici : « Mes chers parens, ne soyez pas inquiets, je me porte bien ; je suis avec de braves gens qui ont pour moi tous les soins et toutes les attentions possibles, mais si vous ne m’envoyez pas aussitôt deux mille écus, ils me tueront. » Les malheureux parens portèrent ces lettres au cardinal secrétaire d’état, qui leur promit de s’occuper prochainement de leur affaire. Les mieux avisés ne comptèrent que sur eux et envoyèrent aux bandits tout l’argent qu’ils purent ramasser. Ceux-ci relâchèrent successivement les prisonniers dont ils recevaient les rançons ; enfin, huit jours après l’enlèvement du séminaire entier de Terracine, il ne restait au pouvoir des brigands que trois des élèves, deux fils de juges, âgés de douze ans, et le fils du maire Fasani, âgé de quatorze ans. Les parens de ces infortunés avaient payé une rançon comme les autres ; cependant le bruit ne tarda pas à se répandre dans Rome que tous trois avaient été impitoyablement égorgés. Cette nouvelle n’était exacte qu’en partie. Les deux fils des juges avaient seuls été mis à mort ; le jeune Fasani avait échappé, comme par miracle, au même sort. Voici ce qu’il raconta lorsqu’il fut de retour dans sa famille.

Les brigands, à peine sortis du séminaire, se dirigèrent en toute hâte vers la montagne en suivant le chemin de la Torre delle Mole ; laissant ce hameau sur leur gauche, ils ne tardèrent pas à gravir des pentes très escarpées et à se trouver au centre des montagnes de Sonnino. Ils avaient attaché leurs prisonniers deux à deux et les faisaient marcher de force en les menaçant du bâton et même du poignard ; cependant le chemin devenant de plus en plus difficile, et les forces des malheureux enfans paraissant épuisées, les bandits les chargèrent sur leurs épaules et ne firent leur première halte que lorsqu’ils furent arrivés sur la cime d’une montagne élevée que des bois entouraient de tous côtés. Là, ils rencontrèrent un pâtre qui gardait un troupeau de moutons ; ils tuèrent les deux plus gras, les dépecèrent et les firent cuire à un grand feu qu’ils avaient allumé au moment de la halte. Au commencement et à la fin de leur repas, que les élèves du séminaire partagèrent, ils récitèrent leurs prières, absolument comme ils avaient coutume de le faire dans le couvent. La conversion, comme on voit, leur avait été profitable. Ils y joignirent des actions de graces pour saint Antoine, leur patron. Ayant ensuite placé des sentinelles et certains de ne pas être inquiétés, l’un d’eux prit un livre et fit la lecture à haute voix à ses compagnons couchés sur le gazon autour de lui ; ce livre racontait l’histoire poétique des fameux Ricardo et Pietro Mancino[6]. Au récit de chacun des tours merveilleux de leurs héros, les bandits poussaient des cris d’admiration, et l’on voyait clairement qu’ils se proposaient de suivre leur exemple. La journée s’écoula de cette manière. — La nuit étant venue, les brigands, dit le jeune Fasani, nous enveloppèrent dans leurs manteaux et nous rangèrent autour d’un grand feu ; puis, après avoir baisé chacun l’image de la Vierge qu’ils portaient au cou, ils se couchèrent autour de nous et ne tardèrent pas à s’endormir ; les sentinelles seules veillaient sur les rochers du voisinage. Le lendemain, nous cheminâmes encore tout le jour au milieu de montagnes inaccessibles. Ce jour-là, les brigands relâchèrent quelques-uns de nos camarades ; les jours suivans, tous les autres nous quittèrent successivement, à mesure que les bergers ou les paysans apportaient l’argent de leurs rançons. Nous ne restâmes plus que trois ; les brigands, pour avoir moins de peine à nous surveiller, nous attachèrent le bras à la même corde. Un jour, c’était le huitième de notre captivité, je vis nos gardiens se parler avec mystère et nous jeter de temps à autre des regards sinistres. L’un d’eux ayant porté la main à son poignard, je pensais qu’il allait nous tuer, et je me jetai à genoux pour l’implorer. Massaroni, l’un des chefs de la troupe, s’approcha alors en souriant : — Fasani, me dit-il, rassure-toi ; nous pensons à mettre fin à ta captivité, mais, en attendant, fais-nous un sermon sur la mort. Je lui obéis, et je parlai le mieux que je pus, ne me doutant guère que ce sermon fût notre oraison funèbre à tous trois, et que les prières dont nous l’accompagnâmes fussent les prières des agonisans. Hélas ! j’avais à peine achevé, qu’un des brigands, prenant la corde qui nous attachait, nous traîna brusquement à travers les rochers au bord d’un ravin profond. Mes yeux supplians étaient attachés sur les yeux de cet homme ; je vis, au feu qui en sortait et à la manière dont il fronçait le sourcil, que notre dernière heure était venue, et que nous n’avions plus de pitié à espérer. En effet, je n’avais pas eu le temps de crier miséricorde ! que deux fois le poignard du brigand s’était plongé dans la poitrine de mes deux malheureux camarades, et que je me trouvai inondé de leur sang. Un coup semblable m’était destiné ; je l’esquivai, et je tombai à terre en fermant les yeux, entraîné dans la chute de mes compagnons, qui roulèrent lourdement sur le gazon. Je fus sans doute garanti par leurs corps, qui reçurent les coups de poignard qui m’étaient destinés. Cependant, comme ils se débattaient d’une manière convulsive, je me trouvai à découvert, et je vis briller de nouveau le poignard de l’assassin ; je me jetai à ses pieds, demandant la vie d’une voix déchirante et appelant à mon aide saint Antoine, son patron. Couvert comme je l’étais du sang de mes camarades, mon aspect était si pitoyable, que les bandits furent touchés. Je vis le poignard qui restait suspendu ; je levai les mains en suppliant, et j’implorai de nouveau saint Antoine et la Vierge. Cependant le brigand, poussant une affreuse imprécation, se précipitait vers moi ; mais Massaroni l’arrêta. Ne le frappe pas, s’écria-t-il d’une voix forte ; il vient d’invoquer saint Antoine, et cela nous porterait malheur. C’est le dernier des trois ; puisqu’il vit encore, on peut l’épargner. Facciamo un regalo a sant’ Antonio, — ajouta-t-il en se signant. Le brigand obéit, et au lieu de me frapper, coupa avec son poignard les cordes qui m’attachaient à mes compagnons, dont je sentais le sang tiède encore couler sur mes jambes et mes mains. Massaroni m’essuya avec un linge, et me donna une bague, ainsi qu’un sauf-conduit qu’il écrivit sur son, genou[7]. Tu peux partir, me dit-il ensuite, tu es libre ; rends grace de ta délivrance au grand saint Antoine.

Quand l’enfant rentra chez son père, la nouvelle de l’assassinat des pensionnaires qui n’avaient pas été relâchés s’était déjà répandue dans Rome, et on le croyait mort.

Cette comédie de la conversion des brigands se termina, comme on voit, d’une façon tragique. Le stupide recteur du séminaire de Terracine ne perdit cependant pas sa place ; on attribua sa mésaventure à un zèle trop ardent, et, à Rome, le zèle fait pardonner tout, même la sottise.

L’aimable et habile cardinal Gonsalvi fut le dernier des ministres romains qui traita avec les brigands. De 1818 à 1825, plusieurs d’entre eux, amnistiés à la suite de ces traités, et entre autres le fameux Dieci-Nove, furent même nommés barighelli dans les bourgades infestées d’ordinaire par les bandits, et, à ce titre, chargés de la police de la montagne. Dieci-Nove était barighel à Frosinone. Ces étranges magistrats s’acquittèrent sévèrement et fidèlement de leur nouvelle charge.

À la suite de l’une de ces transactions du cardinal Gonsalvi avec les brigands, neuf d’entre eux se rendirent avec leurs femmes et leurs enfans. On les conduisit à Rome, on les logea dans les fossés du château Saint-Ange, et, pendant un an qu’ils y furent détenus, il fut de mode à Rome d’aller les visiter. Les étrangers surtout raffolaient des brigands, les dessinaient, et leur faisaient toutes sortes de caresses et de présens. Barbone, le chef de cette bande, dont nous raconterons tout à l’heure un des exploits, avait cependant tué de sa main plusieurs voyageurs, et plus d’une fois des Anglais, arrêtés dans la montagne, avaient vu outrager sous leurs yeux par ce misérable leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Qu’eût dit le gouvernement si l’un de ces étrangers, ne pouvant obtenir justice d’une autre manière, eût tué le brigand d’un coup de pistolet ? Mais ces gens-là étaient à la mode, et un Anglais se garderait bien de traiter si lestement un homme à la mode. Cette conduite des étrangers à leur égard, qu’ils pouvaient regarder comme une sorte d’approbation de leur vie passée, devait donner à ces bandits une singulière idée de la loi qui les condamnait. Barbone sentait son importance ; il avait agi, lors de son abdication, d’une façon théâtrale. La copie du traité, approuvée et ratifiée par le pape, lui ayant été remise, il avait envoyé en échange au saint père sa carabine, son poignard, les insignes de son autorité, et s’était rendu seul, sans armes, à travers la foule rassemblée sur son passage, à son logis du château Saint-Ange. Sa femme avait quitté, comme lui, la montagne, et faisait son ménage dans sa nouvelle demeure. Son extérieur était, à peu de chose près, aussi sauvage que celui de son mari ; néanmoins celui-ci disait galamment qu’il était redevable de sa conversion à deux dames, la Vierge et sa femme. — Barbone et les hommes de sa bande, auxquels, du reste, on avait fait de scandaleux avantages, ayant observé fidèlement les conditions de la capitulation, le gouvernement, de son côté, n’eut garde de les violer.

À quelque temps de là, dans une autre affaire, le cardinal Gonsalvi, auquel on reprochait ses traités avec les brigands, voulut prouver qu’il savait unir la fermeté aux moyens de douceur, et ne se montra pas si scrupuleux. L’autorité avait conclu un nouvel accord avec une bande qui s’était formée des débris de celles de Barbone, de Dieci-Nove et autres ; les amnistiés ayant manqué à quelques-unes des conditions les plus insignifiantes du traité, le cardinal les convia à un nouveau rendez-vous, sous prétexte d’entrer en explication sur ces clauses litigieuses. Quand ils furent rassemblés, et tandis qu’on délibérait, des hommes armés sortirent des caves, où on les avait fait entrer de nuit, entourèrent la maison, et, à un signal donné par un des prêtres chargés de la négociation, massacrèrent tous ces bandits jusqu’au dernier. Cet exemple, renouvelé de l’histoire de César Borghia[8], fit plus pour la pacification des montagnes que les moyens de douceur et de transaction précédemment employés. À la vue des quarante-cinq têtes de bandits qui bordaient la route de Rome à Naples par San-Germano, et des membres écartelés qui, comme autant de charniers, garnissaient chacun des carrefours du chemin, les survivans comprirent que le gouvernement était enfin décidé à sévir ; ils déposèrent leurs armes et se dispersèrent. D’un autre côté, les montagnards qui se sentaient du goût pour le métier, virent que les profits n’en compensaient plus les risques et restèrent chez eux. C’est de cette époque que date la dispersion définitive des bandes. D’audacieuses attaques à main armée ont encore lieu de temps à autre, mais ces attaques sont le fait d’individus réunis accidentellement, de paysans qui ne peuvent résister à la tentation de mettre à profit une occasion favorable. Ces brigands amateurs se gardent bien d’endosser les beaux uniformes d’autrefois ; ils sont mal armés, et quand trois ou quatre d’entre eux se sont réunis pour un coup de main, aussitôt le butin partagé, ils se séparent et rentrent chez eux.

Quelques-uns des chefs de bandes qui se signalèrent dans ces derniers temps du brigandage se piquaient de courtoisie ; galans chevaliers des grands chemins, ils respectaient l’honneur des femmes, se contentant seulement de tirer profit de ce respect, en exigeant de plus fortes rançons. D’autres, et Barbone dans le nombre, sauvages don Juans de la forêt, se vantaient, avec une véritable fatuité de bandits, de n’en avoir épargné aucunes. Le récit suivant n’est pas l’un des chapitres les moins curieux de l’histoire de ce brigand sanguinaire et sensuel, l’Ajax de tant de Cassandres. Nous laisserons parler le docteur Warington, l’un des héros de cette aventure.

Le 18 septembre 1822, M. B… de Glasgow, Mme B… sa femme, leur fille et moi, nous quittâmes Naples pour retourner à Rome et de là à Florence. Nous voyagions en poste, de conserve avec lord G…, qui, ce jour-là, quittait Naples comme nous. Lord G… et sa nombreuse famille occupait deux voitures, et ses gens une troisième. De cette façon, notre petit convoi se composait de quatre voitures. J’avais fait la connaissance de M. et de Mme B… à Glasgow ; je les avais retrouvés à Naples. Je ne devais quitter cette ville que dans les premiers jours d’octobre ; mais ces dames, qui craignaient de se trouver seules sur la route avec M. B…, dont la santé était fort délicate, et qui de plus avaient un peu peur, m’avaient prié de les accompagner. Elles pensaient d’ailleurs que mes soins pourraient être nécessaires à M. B…, atteint d’une phthisie au premier degré. Je cédai d’autant plus volontiers à leurs instances, que Mme B… est une de ces femmes rares chez lesquelles la beauté de l’ame ne le cède pas à celle du corps, et que sa fille promet de lui ressembler un jour.

Tandis que nous étions encore à Naples, faisant nos préparatifs de voyage, hésitant entre les chemins de terre ou de mer, on nous avait assuré à diverses reprises que la bande de Barbone, qui, au commencement de l’été, avait fait plusieurs arrestations sur les routes de Rome à Naples, par Terracine ou San-Germano, était dissoute. Ce chef, abandonné de ses complices, que décourageait le mauvais succès de leurs dernières entreprises, s’était, disait-on, caché au centre des montagnes de l’état romain, du côté de Frosinone et d’Alatri. Nous sûmes bientôt combien ces informations étaient inexactes.

À la sortie de Capoue, un accident arrivé à notre voiture ralentit notre marche : un des ressorts s’abaissa tout à coup, et la caisse toucha l’essieu. On répara tant bien que mal le dommage à l’aide de cordes et d’une pièce de bois qui maintenait le ressort, et nous rejoignîmes à Sainte-Agathe, au moment de déjeuner, les voitures de lord G… qui allait se remettre en route. Nous voulions coucher ce jour-là à Terracine ; nos dames prirent donc à peine le temps de boire une tasse de lait, et nous repartîmes, cheminant de nouveau de conserve avec lord G… Tout alla bien jusqu’au-delà d’Itri ; mais, à deux milles environ de cette bourgade, une des roues de notre voiture ayant heurté une grosse pierre placée au milieu de la route, le ressort céda de nouveau : la voiture commença à toucher ; il fallut, bon gré mal gré, ralentir notre marche. Les postillons de lord G… ne tardèrent pas à nous gagner, et, à l’un des détours de la montagne, nous perdîmes de vue la tête du convoi. Il était environ trois heures de l’après-midi ; le ciel était pur, la chaleur assez forte pour la saison, et la route paraissait absolument déserte. Cependant, à peu de distance du point culminant de la chaîne de montagnes que franchit la route d’Itri à Fondi, nous rencontrâmes un détachement de soldats. Cette vue rassura nos compagnes de voyage, qui commençaient à s’inquiéter. Comme j’entendais parfaitement l’italien, je causai avec le commandant du détachement ; celui-ci me raconta que le matin un berger était venu le trouver, lui rapportant que les brigands étaient arrivés cette nuit même dans les environs de Fondi. Mais c’était bien certainement une fausse alerte, ajouta l’officier, car je viens de parcourir la route de Fondi au col d’Itri, détachant quelques hommes sur les pentes voisines, et nous n’avons rien remarqué qui puisse faire supposer que les brigands aient reparu de ce côté. Le commandant, après nous avoir donné ces renseignemens, qui nous tranquillisèrent, rejoignit son détachement, qui descendait vers Itri, et nous continuâmes notre route.

Nous venions de perdre de vue cette petite troupe, lorsque nous fîmes une nouvelle rencontre. C’était un vieux paysan qui revenait du mâquis voisin, portant sur la tête un énorme fagot de rameaux de myrtes et de caroubiers. Le bonhomme nous regarda d’un air inquiet et indécis, et s’écria en passant, avec un accent de commisération singulier chez un homme de cette condition s’adressant à des riches comme nous : — Excellences, que la madonna et saint Antoine vous protègent ! — M. B… et moi nous nous trouvions alors en avant de la voiture, qui gravissait péniblement le dernier escarpement de la montagne. L’étrange recommandation de ce paysan me frappa, car je savais que saint Antoine est le patron des brigands. J’interrogeai le paysan, mais il fit la sourde oreille ou ne parut pas comprendre mon italien. Toutefois, comme je lui donnais une pièce de monnaie au moment de le quitter, il jeta autour de lui un long et rapide regard et me dit à demi-voix et d’un ton très bref, ayant grand soin que le postillon ne pût l’entendre : — Quand vous serez sur la hauteur, passez vite… bien vite. — Ce conseil avait sans doute du bon ; malheureusement l’état de notre voiture ne nous permettait guère de le suivre. Cependant, arrivé sur le haut du col, je recommandai au postillon de rejoindre, coûte que coûte, les voitures de lord G… Le postillon lança ses chevaux au galop ; mais chaque cahot faisait si horriblement heurter le coffre de la voiture contre les roues et l’essieu, que nous courions risque de la mettre en pièces en continuant de ce train. Il fallut donc se résigner à cheminer à peu près au pas sur cette route périlleuse. Pour imposer aux brigands et leur donner, s’il se pouvait, une haute idée de nos forces, nous fîmes rentrer dans la voiture la femme de chambre de ces dames, et M. B… et moi nous prîmes sur le siége la place qu’elle avait occupée jusqu’alors, recommandant expressément à nos compagnes de ne pas laisser passer par les portières le moindre bout de voile ou de ruban, rien, en un mot, qui pût donner à penser que des femmes étaient là. Toutes ces précautions furent inutiles.

Vers le tiers de la descente, la route fait un coude. Sur la gauche s’élèvent de grands rochers couverts de broussailles et de plantes grimpantes ; sur la droite s’étend un petit ravin tortueux dont le fond est parsemé de gros blocs de rochers comme le lit d’un torrent desséché ; de l’autre côté de ce ravin se dressent de hautes montagnes revêtues de taillis de myrtes, d’arbousiers et d’arbustes résineux. Tout à coup M. B…, me saisissant vivement le bras et étendant la main dans la direction d’un petit massif de myrtes, me dit à voix basse, de façon à ne pouvoir être entendu des dames : — Tenez, les voici ! — Je regardai rapidement du côté que M. B… m’indiquait, et je vis en effet comme une masse brune qui semblait se mouvoir, à demi-portée de pistolet de la route, dans un fourré de myrtes qui, à cet endroit, s’avançait jusqu’au parapet du chemin. Nous étions alors à une centaine de pas de ce taillis ; je doutais encore. — C’est peut-être un bœuf qui s’est couché là, ou des paysans qui font des fagots, disais-je à mon compagnon, quand soudain je vis briller, comme un éclair au-dessus de la verdure, le bout d’un canon de fusil. Plus de doute, les brigands nous attendaient là. Machinalement je me retournai, pour voir s’il n’y aurait pas quelque chance de salut à rétrograder, ou si, par hasard, d’autres voitures ne nous suivraient pas. Quelle fut ma surprise, lorsque je vis sauter l’un après l’autre, des rochers le long desquels nous venions de passer, au milieu de la route, sept ou huit hommes armés jusqu’aux dents ; la retraite nous était coupée. Au même instant, les hommes qui étaient blottis en avant, dans les broussailles, se levèrent, et, en moins d’une minute, nous nous trouvâmes entourés par douze ou quinze bandits bien armés, avec lesquels il eût été insensé de vouloir engager une lutte. Le chef auquel ces hommes obéissaient nous cria : — Arrêtez et descendez. — La première de ces recommandations était inutile, car déjà le postillon avait fait halte.

Comme nous descendions, j’entendis un gros homme qui semblait le second chef de la bande dire à celui qui m’avait adressé la parole — Il n’y a que des femmes dans la voiture. — Tant mieux, répartit, le chef ; sont-elles belles ? — Bellissimes. — À merveille ! — jouta le premier avec un sourire que je crus comprendre, et qui me fit frémir. Quand nous fûmes descendus, cet homme, qui n’était autre que le fameux Barbone lui-même, nous demanda nos bourses.

Malheureusement elles étaient à peu près vides ; craignant quelque mauvaise rencontre, nous n’avions pris que l’argent nécessaire pour la route. Le brigand fronça le sourcil : — Face à terre (faccia in terra) ! nous cria-t-il, et il nous fit coucher en travers sous les roues de la voiture, ordonnant à deux hommes de sa bande de nous appuyer le bout du canon de leur fusil contre l’oreille, et de faire feu si nous bougions. Le reste de la troupe détacha les malles, les jeta à terre et commença la visite. Nos bagages étaient, à peu de chose près, en harmonie avec l’état de nos finances ; des habits, du linge et quelques robes de femmes en faisaient le fonds. Ces dames n’avaient ni bijoux ni étoffes de prix. En un instant, les malles et les caisses furent brisées et vidées au milieu du chemin, et chacun des brigands choisit, dans cette confusion, ce qui était à sa convenance. Ce choix fut bientôt fait. — Comment ! pas de cachemires ! pas de bijoux ! dit Barbone en fronçant de nouveau le sourcil d’un air terrible, ces gens-là avaient pris leurs précautions. — Le lieutenant ajouta d’un ton plaisant et sinistre à la fois quelques mots qui firent rire ses compagnons, et qu’on eût pu traduire par le nous sommes floués de la pièce française. — Par bonheur, reprit Barbone, comme dédommagement nous avons les femmes… et les hommes dont nous pourrons tirer une bonne rançon. — Oui, emmenons-les ! emmenons-les ! crièrent les bandits en masse. Aussitôt, joignant l’action à la parole, ils nous firent relever, arrachèrent nos compagnes du fond de la voiture où elles se blottissaient, et, malgré leur résistance et leurs prières, les entraînèrent comme nous dans le mâquis voisin ; puis ils nous firent gravir avec une célérité singulière les premiers escarpemens de la montagne. Il n’y avait ni à résister ni à reculer. Deux robustes coquins tenaient chacun de nous sous chaque bras et nous entraînaient en avant ; dans les endroits à pic un troisième poussait. Dix minutes suffiraient pour faire de la sorte l’ascension du cône du Vésuve. Nous marchions ainsi depuis trois quarts d’heure, et la route était déjà hors de la portée de nos voix, quand tout à coup les hommes qui soutenaient Mme B… crièrent halte ! La malheureuse femme, épuisée de fatigue et frappée de terreur, venait de s’évanouir. — Je suis médecin, dis-je au chef qui se trouvait près de moi, lâchez-moi, que je puisse la secourir. — Lâchez-le, — dit le chef. Aussitôt je fis respirer à Mme B… des sels que je portais sur moi ; je lui frottai les tempes avec une compresse de rhum ; elle revint presque aussitôt à elle, et, me reconnaissant : — Docteur, me dit-elle en anglais, vous êtes botaniste, cueillez-nous quelque plante vénéneuse que nous puissions prendre ma fille et moi et qui nous tue sur-le-champ.

En me disant ces paroles, sa voix était suppliante et décidée. J’aurais voulu la satisfaire que je n’aurais pu, car deux des bandits me reprirent chacun par un bras ; on fit asseoir les femmes sur des branches d’arbres entrelacées recouvertes des manteaux des brigands, qui se relayaient deux par deux pour porter chacune d’elles. De cette façon, notre course fut plus rapide encore qu’auparavant ; aussi, après une heure et demie de marche, nous trouvâmes-nous sur la crête de montagnes très élevées, du haut desquelles on découvrait à la fois la mer de Gaëte et les lacs de Fondi et de Lenola. D’énormes blocs de rochers, quelques chênes séculaires, et par places des taillis d’érables et de châtaigniers, couvraient les cimes de ces montagnes. Nous devions être alors à deux lieues au moins de la route où nous avions laissé notre voiture. Au moment où nous nous arrêtâmes, je fus frappé de l’altération du visage de nos compagnes. Elles sanglottaient, se tordaient les bras de désespoir et adressaient au ciel de ferventes prières. Portées, comme elles l’étaient, sur des brancards, leur état d’inaction passive leur laissait le loisir de réfléchir et de se livrer à la douleur. M. B… et moi nous étions obligés de marcher au pas des brigands ; nous ne respirions qu’avec de grands efforts, et notre épuisement était tel, qu’à peine pouvions-nous songer à tout ce que notre situation avait d’étrange et de critique. Mme B… et sa fille étaient toutes deux admirablement belles et pouvaient être prises pour les deux sœurs ; l’âge seul établissait quelque différence entre ces deux femmes. Mme B… avait trente-un ans et sa fille quinze. L’une d’elles, c’était la beauté complète, l’autre la beauté naissante ; chacune, dans son genre, approchait de la perfection. La femme de chambre qui accompagnait ces dames, et que les brigands enlevaient avec elles, était Française. Elle avait cet air vif et décidé des filles du peuple de ce pays, et quoique dans ce moment elle eût extrêmement peur… des fusils surtout, elle prenait assez philosophiquement son parti. À la première halte que nous fîmes au milieu des rochers, elle mangea même une moitié d’orange qu’un des brigands lui offrit… Elle avait soif.

Une grave préoccupation morale, un évènement étrange et imprévu, suffisent pour graver à tout jamais dans la mémoire le site où l’on se trouve au moment d’une crise. C’est une décoration que l’on se rappelle d’autant mieux que le drame qu’elle accompagne a plus d’intérêt. Je me souviens, par exemple, qu’à l’instant où nous nous arrêtâmes sous les chênes de la montagne, le soleil, comme une meule rougie, se plongeait dans la mer derrière un îlot noir dans la direction de Terracine. Les chênes, les cimes qui s’étendaient sous nos pieds, et ce coucher de soleil, concouraient à former un magnifique paysage. Préoccupé comme je l’étais, je me laissais aller néanmoins à une sorte d’admiration machinale. Voilà un site digne du pinceau de Salvator Rosa, me disais-je. Puis je fis subitement la réflexion que le premier plan de ce tableau allait tout à l’heure être animé par quelque épisode du genre de ceux que ce peintre choisissait de préférence, drame terrible et lugubre, où nous serions forcément acteurs. Hélas ! mes prévisions ne devaient que trop se réaliser.

Les bandits étaient fatigués comme nous ; quelques-uns cependant montèrent sur les arbres qui nous entouraient, et en détachèrent les branches mortes pour faire du feu ; les autres étendirent à terre leurs manteaux, sur lesquels ils firent asseoir les femmes. Quand les brigands eurent placé leurs sentinelles et furent réunis autour du feu qui commençait à pétiller : — À quand la fête ? — crièrent les plus jeunes, en jetant du côté des femmes des regards où se peignent leurs désirs effrénés. — Soupons d’abord, dit Barbone avec humeur, nous verrons ensuite.

Barbone avait environ quarante ans ; c’était un homme d’une haute stature, taillé en Hercule, et dont les grands yeux noirs, pleins de feu, et la voix vibrante indiquaient des passions dans toute leur puissance. Les brigands obéirent à cette brève injonction ; ils tirèrent de leurs sacs des tranches de mouton, qu’ils firent rôtir sur des charbons ; ils se partagèrent en outre un sac de pagnottes, et arrosèrent ce triste repas de vins de Sicile et de rhum, dont ils avaient trouvé quelques bouteilles dans notre voiture. Tout en mangeant, les bandits nous jetèrent, comme à des chiens, des pagnottes et des morceaux de mouton auxquels nous n’eûmes garde de toucher. La fatigue et l’inquiétude nous ôtaient tout appétit ; Mme B… et sa fille, accroupies l’une à côté de l’autre, étaient comme anéanties.

Lorsque les brigands eurent avalé leur dernière tranche de mouton et bu leur dernière gorgée de rhum, les plus dispos se levèrent et s’approchèrent de nouveau des femmes ; c’est alors que commença une scène impossible à raconter, impossible même à se figurer. Barbone tira des dés de sa poche. — À nous deux, camarade, dit-il en s’adressant au gros homme son collègue, au plus gros dé le choix ! Par saint Antoine, capitaine, j’aurais le gros dé que je serais bien embarrassé ; j’ai les mêmes goûts que mon compatriote Bertoldo, j’aime les pêches mûres, j’aime aussi les abricots verts. — Le capitaine jeta les dés sur une dalle de rochers contre lequel il était accoudé, et sans doute il fut satisfait de son lot, car je vis son œil briller comme un des tisons du foyer. — Par saint Antoine, vous avez l’abricot, à moi donc la pêche ! — s’écria le lieutenant, qui ne paraissait pas moins content de la décision du sort. Jusqu’alors ces deux dames, serrées l’une contre l’autre et comme abîmées par la douleur, n’avaient ni compris ni entendu l’étrange conversation des brigands ; M. B…, qui ne parlait pas italien, ne savait non plus qu’augurer de cette scène ; j’étais donc seul au courant. Lorsque je vis le lieutenant s’approcher de Mme B… en souriant d’une manière atroce, je me hâtai d’intervenir. — Respectez ces femmes, lui criai-je, et vous pouvez compter sur une rançon considérable ; mais je vous jure par le corps du Christ et de la Madonna que si vous attentiez à leur honneur, c’est comme si vous les frappiez de vos stylets ! — Bah ! bah ! dit le capitaine en ricanant, on ne meurt pas pour si peu de chose. — Nous aurons tout de même la rançon, et nous l’aurons après, ajouta grossièrement le lieutenant. — Ah ! vous croyez, leur dis-je en élevant la voix et en donnant à mes paroles le plus de décision et d’autorité qu’il me fut possible ; vous croyez ! eh bien ! je vous jure encore une fois que si vous touchez seulement à leurs jupes, vous n’aurez pas un sou ; respectez-les, et je vous garantis sur mon honneur et sur ma vie 5,000 écus pour chacune d’elles. J’écrirai dès ce soir à Torlonia, le banquier du pape, que vous devez connaître, et dans trois jours vous aurez les 10,000 écus. — Ou bien la potence, dit le lieutenant. — Non, car vous nous garderez en otage, et si vous n’avez pas les 10,000 écus, libre à vous de me hacher en morceaux ; mais encore un coup si vous outragez ces femmes, vous les tuez, et vous n’aurez pas un baiocque.

L’accent de conviction qui perçait dans ces paroles frappa sans doute les deux chefs. Je les vis hésiter et se consulter. Barbone songeait dès-lors à prendre sa retraite, et la perspective d’augmenter son magot de quelques milliers d’écus ne pouvait manquer d’avoir quelque influence sur ses actions.

— Il n’y a pas du moins de rançon pour celle-là, crièrent quelques-uns des brigands qui nous écoutaient en montrant la femme de chambre, et saisissant la malheureuse fille qui poussait des cris aigus, ils l’entraînèrent à quelques pas de nous. Tout à coup, à la suite d’une courte altercation entre ces bandits et plusieurs autres qui venaient d’accourir, altercation qui s’était sans doute terminée par un arrangement à l’amiable, les cris redoublèrent de violence… Mme B…, entendant ces cris, jeta du côté d’où ils partaient un regard effaré, et détourna les yeux avec horreur. Mlle B…, qui avait suivi les regards de sa mère, s’écriait, dans l’innocence de son cœur : — Ma mère ! ils la tuent ! ils la tuent ! — Il vaudrait mieux qu’on la tuât, et nous avec elle, — lui répondit Mme B… les yeux attachés à la terre, le visage couvert d’une pâleur mortelle et avec un accent si plein de décision, de dégoût et de terreur, que je ne l’oublierai de ma vie. Puis, se jetant au cou de sa fille, lui prenant la tête et la cachant dans son sein, comme si elle eût voulu la détourner d’un spectacle infâme, elle se mit à sanglotter amèrement.

La conversation entre Barbone et le lieutenant avait cessé. Je vis aussitôt, au regard qu’ils jetèrent sur ces dames, que la passion l’emportait sur la raison, et que dans ce moment cette passion, que l’extrême beauté des deux prisonnières rendait des plus impérieuses, avait le dessus sur la cupidité. Le plaisir était là, facile et certain, le gain éloigné et douteux ; le choix avait été bientôt fait.

Le lieutenant saisissait dans ses bras Mme B…, quand son malheureux époux, à qui la fureur faisait oublier tout danger, et qui, je crois, dans ce moment, se serait précipité entre dix mille épées nues (on outrageait sous ses yeux sa femme et sa fille), se jeta sur lui et le frappa du poing. Quelle que fût sa colère et son désespoir, M. B… était trop faible pour une pareille lutte ; un coup terrible que le brigand lui porta dans la poitrine l’étendit à terre. Je vis luire le stylet du misérable, je m’élançai pour sauver mon ami ; mais avant que j’eusse pu le secourir, je sentis un corps froid, et puis tout à coup comme une langue de flamme qui me traversait la poitrine de part en part. Je tombai sur les genoux, étourdi du coup. Le brigand qui m’avait frappé par derrière, allait redoubler quand la voix tonnante de son chef l’arrêta. — Maledetto, criait-il, qui donc écrira pour les rançons si vous les tuez ? M. B…, de son côté, avait écarté le poignard du lieutenant avec sa main que la lame avait horriblement coupée. Ce cri de Barbone le sauva comme moi ; le coquin, lui serrant la gorge, le souleva tout d’une pièce, et le jetant comme un cadavre aux pieds de ses camarades : — Liez donc ce fou, leur cria-t-il, et attachez-moi l’autre aussi, quoiqu’il ait déjà son compte, — ajouta Barbone en m’indiquant du doigt. J’avais la gueule d’une espingole sur la poitrine et le bout d’un pistolet dans chaque oreille ; il fallut bien me laisser lier. Quand nous fûmes garrottés comme des animaux qu’on porte au marché, on nous jeta dans un coin. Je souffrais horriblement de ma blessure ; il me sembla néanmoins qu’aucun organe essentiel ne devait être attaqué, je n’éprouvais aucune difficulté à respirer, et ma bouche ne s’était pas remplie de sang. Je n’essaierai pas de dissimuler ce mouvement d’égoïsme, mouvement tout humain qui fit que dans cet instant je commençai en quelque sorte par m’occuper de moi-même et me tâter ; mais, dans la minute qui suivit, le souvenir de nos infortunées compagnes revint vivement dans ma mémoire, et je reportai avec effroi les yeux de leur côté.

Débarrassés de nous, Barbone et son lieutenant s’étaient rapprochés des deux dames, qui se tenaient étroitement embrassées, et qui, à elles deux, ne poussaient qu’un seul cri de terreur et ne faisaient entendre qu’une seule supplication. Les rires des infâmes qui entouraient leurs victimes, et leurs propos obscènes, semblaient aiguillonner ces deux hommes grossiers. Saisissant par la ceinture chacune des deux femmes, ils les tiraient à eux de toutes leurs forces, mettant leurs vêtemens en pièces et découvrant leurs bras et leur sein. Les forces de ces malheureuses étaient épuisées. Mlle B…, arrachée des bras de sa mère, qui s’attachait encore convulsivement à sa robe, faisant un effort désespéré, avait tenté de se précipiter au milieu du brasier ; mais, retenue par le brigand, elle avait senti la bouche du misérable s’appuyer contre sa bouche, et venait de rouler sur le gazon. Sa mère, terrassée comme elle, poussait comme elle de ces effroyables cris de femmes qui vous font vibrer corps et ame, et qui retentissent pendant des mois aux oreilles de ceux qui les ont une fois entendus, quand tout à coup une lueur vive illumina cette scène d’horreur ; des balles sifflèrent autour de nous, je vis un des brigands trébucher et rouler dans le feu toujours allumé, où il resta immobile ; un autre poussa un cri aigu et tomba la face contre terre à nos pieds ; plusieurs coups de fusil retentirent à la fois.

Dieu soit loué ! les brigands sont surpris ! Telle fut ma première pensée. Barbone et son compagnon avaient lâché prise au bruit des coups de fusil, et sautaient sur leurs armes. — Couchez-vous à terre, criai-je en anglais à Mme B… et à sa fille que je vis se relever d’un air égaré ; couchez-vous, ce sont nos sauveurs, les balles pourraient vous atteindre ! — Mais ces dames, les yeux hagards et comme frappées de stupéfaction, restaient accroupies et immobiles. Les brigands commençaient à se reconnaître et essayaient de riposter. L’un d’eux, frappé d’une balle, tomba presque sur Mme B… Un autre, c’était, je crois, le gros lieutenant, la saisissant par les cheveux, la traîna derrière lui l’espace de quelques toises ; mais, comme les soldats arrivaient en foule au pas de course, il lâcha prise après l’avoir brutalement frappée du pied. Cependant les coups de fusil retentissaient de tous côtés, et ce fut vraiment par miracle qu’aucun de nous ne fut atteint. Les balles ne sifflant plus à nos oreilles, j’appelai un des soldats, qui coupa les cordes qui nous liaient les mains et les pieds ; nous pûmes alors nous traîner vers nos malheureuses compagnes, que le bruit de la fusillade qui s’éloignait faisait encore horriblement tressaillir. Le tertre que les brigands occupaient avait été cerné. Sept d’entre eux furent tués ou pris ; mais les deux chefs s’échappèrent, accompagnés d’une huitaine d’hommes, reste de la bande. L’officier qui commandait le détachement, tout en nous secourant, nous raconta que ses soldats avaient surpris et égorgé une des sentinelles des brigands, et que sans doute on les eût tous arrêtés si en entendant les cris des femmes qu’il croyait en danger de mort, il n’eût commandé le feu.

Nos compagnes commençaient à reprendre leurs sens, le capitaine les fit placer comme nous sur des brancards, car les forces de M. B… étaient à bout, et ma blessure me causait, dans tout le côté droit, un engourdissement et une pesanteur singulière ; trois ou quatre soldats portaient chaque brancard, le reste du détachement escortait les prisonniers. La malheureuse femme de chambre était dans un état déplorable ; cependant le sentiment qui dominait chez elle, c’était la colère : les soldats eurent toutes les peines du monde à l’empêcher de souffleter un des brigands qu’elle croyait reconnaître pour l’avoir vu d’un peu près. Ce ne fut que long-temps après notre arrivée à l’auberge de Fondi, que Mme B… et sa fille sortirent de l’état de stupeur dans lequel les évènemens de cette terrible soirée les avaient plongées et qu’elles recouvrèrent parfaitement leurs sens. Leurs cheveux étaient épars, leurs vêtemens en lambeaux ; mais, au milieu de ce désordre, elles étaient admirablement belles, surtout quand, rouges et les yeux baissés, elles répondaient avec embarras à nos consolations et à nos soins.

Un chirurgien de Terracine qui sonda ma blessure dans la nuit, reconnut que fort heureusement le muscle seul de la poitrine avait été offensé, et que la plèvre n’avait même pas été touchée ; la main de M. B… le faisait affreusement souffrir ; cependant le chirurgien, qui avait autrefois servi dans l’armée de Murat, nous permit de reprendre dès le lendemain la route de Rome, où nous ne tardâmes pas à être parfaitement guéris de nos blessures. Malheureusement, cette scène horrible avait frappé au cœur le pauvre M. B… ; il languit tout l’hiver et fut emporté dans le mois de mars de l’année suivante, par les rapides progrès de la maladie consomptive dont il était atteint.

J’ai eu souvent occasion de revoir Mme B… et sa fille, qui depuis a épousé l’avocat G… À la suite d’un danger couru de compagnie, l’intimité s’établit d’une façon durable. — Quelles étaient vos pensées dans ce terrible moment ? lui demandai-je un jour que nous causions ensemble à cœur ouvert. — Je ne pensais qu’à ma fille, me répondit-elle.

C’est ce même Barbone qui fut depuis gracié et pourvu d’un emploi lucratif par le gouvernement romain. Il est encore aujourd’hui concierge du château Saint-Ange.

Gasparone, l’émule de Barbone, qui partagea avec lui la domination de l’Apennin, et que les habitans des districts de Sonnino et d’Itri appellent encore le dernier des braves, a terminé sa carrière de brigand d’une manière moins heureuse que son confrère. Il est détenu aujourd’hui dans la forteresse de Civita-Vecchia. Gasparone débuta dès l’âge de seize ans, en tuant dans le confessionnal le curé de sa paroisse qui lui refusait l’absolution d’un vol. Obligé de fuir, il rejoignit quelques connaissances qu’il avait dans la montagne, et se fit brigand. Un jour, les carabiniers entourèrent la bande dont il faisait partie. Gasparone ne perdit pas courage. Il tua de deux coups de poignard deux soldats qui le saisissaient ; puis, retranché dans un maquis, il en mit six autres hors de combat. Ses camarades, émerveillés de son courage, et qui venaient de perdre leur chef, l’élurent tout d’une voix leur commandant en sa place. Sa réputation s’étendit dans tout le pays, et bientôt il compta sous ses ordres plus de deux cents soldats. Gasparone avoue cent quarante-trois assassinats ; c’est néanmoins le chef qui s’est fait le plus aimer des montagnards romains. Nous avons vu des pâtres du Monte-Cave verser des larmes de regret en racontant ses prouesses. Gasparone, moins grossier que Barbone, dont il ne parle qu’avec mépris, s’est toujours piqué de galanterie. Un des lieutenans de Barbone avait enlevé un séminaire de jeunes garçons. Gasparone enleva tout un couvent de religieuses. Ces jeunes filles, au nombre de trente-quatre, arrachées en plein jour de leur retraite du Monte-Commodo, furent conduites dans la forêt par les brigands, qui ne renvoyèrent que les plus pauvres. Cachées dans des grottes et au fond des précipices, les autres vécurent dix jours en communauté avec les brigands, qui les relâchèrent, moyennant rançon, sans qu’aucune d’elles eût à se plaindre d’un outrage ou même d’un manque de respect.

Gasparone, le galant bandit, fut cependant trahi par sa maîtresse, qui le vendit aux sbires. Celle-ci, au moment de le livrer, avait prudemment jeté sa carabine et son poignard par la fenêtre. Gasparone, néanmoins, tira vengeance de sa trahison ; il l’étrangla avec ses mains, tandis que les sbires enfonçaient la porte. Gasparone est à la fois un homme d’action et un homme d’esprit ; du XIVe au XVIe siècle, un tel chef eût rivalisé avec les Sforza, les Carmagnola, les Pietro Saccone et tant d’autres fameux condottieri.

La soumission de Barbone, la captivité de Gasparone et les exemples faits par le cardinal Gonsalvi ont, comme nous l’avons dit, amené la dispersion des bandes. Il s’en faut toutefois qu’aujourd’hui l’on voyage en Italie avec la même sécurité que dans le reste de l’Europe, comme le prétendent des voyageurs optimistes. Quoique commis par des individus isolés ou réunis accidentellement, les vols à main armée sont presque aussi fréquens qu’autrefois. Il est peu de voyageurs qui, à la suite d’une ou deux années passées sur les routes de l’Italie, n’aient fait leur rencontre. Récemment encore, un artiste de nos amis[9] a vu luire à quelques pouces de sa poitrine le stylet des bandits : il n’avait avec lui que ses crayons et son portefeuille ; peu s’en fallut que les brigands, qui n’apprécient guère ce genre de richesses, ne se vengeassent de leur déconvenue en le frappant de leurs poignards. Tel autre, à son arrivée dans Rome, a été obligé de garder la chambre plusieurs jours, tous ses vêtemens, y compris l’habit qu’il avait sur le dos, lui ayant été enlevés près de Viterbe. Enfin, l’année dernière, nous avons vu M. Dabadie, le courageux voyageur, contraint de se présenter en costume de bal masqué dans les salons du palais de Monte-Citorio, cette habitation des ministres et des cardinaux romains, les brigands ne lui ayant laissé pour tout vêtement qu’un habit arménien. Ce costume de M. Dabadie était une épigramme excellente. Les ministres romains, qui entendent à demi-mot, durent la comprendre ; s’il était cruel pour le voyageur, après plusieurs années passées au milieu des peuplades barbares de l’Abissynie, de se voir dépouillé de la riche moisson de manuscrits orientaux et de documens de toute espèce recueillis au prix de tant de sueurs, il était piquant, en effet, pour messieurs les cardinaux ministres de l’intérieur et de la police, que ce vol audacieux se fût passé aux portes de Rome. Les environs de la cité pontificale étaient-ils donc moins sûrs que les déserts de l’Afrique ? les paysans de la banlieue romaine étaient-ils moins civilisés que les Arabes ou les Abissins ?

Ce serait, je crois, l’avis des bourgeois de Rome, qui redoutent beaucoup plus ces brigands amateurs que les chefs de bandes d’autrefois. Ceux-ci, du moins, avaient des procédés, ne vous tuaient pas par maladresse, et, moyennant quelques écus, il y avait toujours moyen de s’entendre avec eux. Aujourd’hui, chacun s’en mêle, on vous arrête sur les grands chemins pour des misères, pour vous voler douze chemises ou une montre ; puis, ces gens-là sont si maladroits, qu’ils vous estropient ou vous tuent sans le vouloir. Plusieurs voyageurs ont été victimes en effet de ces attaques isolées, exécutées par des hommes armés de fusils et de pistolets dont ils ne savaient pas se servir. M. Hunt et sa femme, ces jeunes et intéressans voyageurs dont la mort fit tant de bruit il y a quelques années, périrent victimes d’un événement de ce genre.

M. Hunt faisait sa visite obligée aux temples de Pœstum ; il avait dans sa voiture quelques pièces d’argenterie dont il eut l’imprudence de se servir en déjeunant sous le portique du temple de Neptune ; sa femme qui l’accompagnait, avait une chaîne d’or au cou et plusieurs bagues aux doigts. Des paysans qui passaient virent cette argenterie et ces bijoux ; l’occasion leur parut favorable ; armés d’un mauvais fusil et de haches, ils s’embusquèrent à quelques centaines de pas des temples, sur la route, et arrêtèrent la voiture de M. Hunt au retour. M. Hunt n’essaya pas de résister, comme on l’en a accusé à tort ; il prit même la chose gaiement, donna son argenterie aux brigands, et se mit à leur jeter à la tête, en riant, des oranges dont une des poches de sa voiture était pleine. Ceux-ci, que des projectiles de ce genre n’effrayaient guère, montèrent familièrement sur le marchepied de la voiture, et l’un d’eux porta brutalement la main au cou de Mme Hunt, pour détacher la chaîne d’or qu’elle portait. M. Hunt, indigné de la grossièreté du bandit, l’apostropha avec chaleur en fouillant vivement dans une de ses poches. Le misérable s’imagina que l’Anglais cherchait une arme, et sauta à terre en le mettant en joue ; c’est alors que le coup partit, involontairement, à ce que le brigand a assuré jusque sur l’échafaud ; la balle toutefois traversa la poitrine de M. Hunt, et atteignit sa femme à la tête. M. Hunt mourut le jour même, et sa femme le lendemain.

En racontant avec emphase divers accidens du même genre, les pauvres Romains se livrent à de comiques réflexions sur les dangers que font courir aux voyageurs ces brigands sans expérience et par occasion ; ils en viennent presque à regretter le temps où les Barbone, les Fra Diavolo et les Gasparone occupaient les routes de Rome et de Naples. On prenait ses précautions, disent-ils, et, comme ces chefs n’auraient pas souffert la concurrence des premiers venus, les attaques étaient peut-être plus rares. À la tournure que prennent les choses, nous craignons fort que ces regrets ne soient pas de longue durée. Si le gouvernement romain n’adopte pas en effet quelques mesures vigoureuses, et que la guerre vienne à éclater, de nouvelles bandes ne tarderont pas à se reformer. Les mœurs, en effet, sont les mêmes que par le passé ; le gouvernement a contenu ou réprimé les mauvais instincts du peuple : il n’a rien fait pour les corriger. Les élémens du brigandage existent comme de tout temps ; ils sont, il est vrai, dispersés, mais ils tendent à se réunir. C’est un vice de constitution héréditaire, un mal honteux dont une cure violente a passagèrement suspendu les accès, mais dont elle n’a pas détruit la cause. Que le médecin ait un jour de négligence, que le malade se livre à son naturel dépravé, et le mal reparaîtra aussitôt avec les mêmes symptômes et la même férocité qu’autrefois.


Frédéric Mercey.
  1. Chef des sbires.
  2. Tree Months passed in the mountains near Rome during the year 1819, by Mrs Graham. — Cet ouvrage, écrit par une femme d’un esprit distingué, est l’un des meilleurs qui aient paru sur l’Italie ; il contient de curieux renseignemens sur l’agriculture et la vie nomade des brigands et des bergers.
  3. Alexandre Piccolomini, duc de Montemarino, rassemblant tous les bandits de la Toscane et du patrimoine de Saint-Pierre, s’était formé une petite armée avec laquelle il dévasta la campagne romaine et tint en échec toutes les troupes pontificales. Plus tard, s’étant retiré en France avec un riche butin, il y servit huit ans avec distinction. Le grand-duc de Toscane Ferdinand, l’ayant fait arrêter comme il passait près de Pistoie, le fit pendre, le 16 mars 1591, malgré les vives réclamations du pape, Grégoire XIV, dont il avait désolé les états. — Marco Sciarra, son émule, chef plus redoutable encore, vit sa petite armée s’élever à plusieurs milliers d’hommes. Sixte-Quint parvint à l’éloigner de Rome sans cependant l’avoir dompté. Marco Sciarra passa, en 1592, au service de la république de Venise, qui l’envoya avec sa bande en Dalmatie faire la guerre aux Uscoques. Le pape Clément VIII insistant pour qu’on lui livrât le chef de bandits, le sénat de Venise le fit prudemment assassiner.
  4. Mrs Graham, chap. VII.
  5. Cet homme avait voulu se faire passer pour un pauvre médecin de campagne ; sa supercherie ayant été découverte, les bandits lui plantèrent une fourchette dans chaque œil, lui disant ; Médecin, guéris-toi.
  6. C’est un de ces livres que les colporteurs distribuent si libéralement aux populations des montagnes.
  7. Voici la copie de ce sauf-conduit :

    « Si ordina a qualunque comitiva di non toccare Casata Fasani. Virtù e fedeltà. »

    Antonio Mattei ed Alessandro massaroni. »

  8. Voyez dans Machiavel la manière dont César Borghia se défait de Vitellozzo, Oliverotto, Pagolo Orsini et du duc de Gravina, ces condottieri qui le gênaient.
  9. M. Cabat