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Le Budget de 1900

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Le Budget de 1900
Revue des Deux Mondes4e période, tome 156 (p. 336-377).
LE BUDGET DE 1900


I

Le budget de 1899, trois fois remanié par trois cabinets différens, a fini par être voté au mois de juin de l’année à laquelle il s’appliquait, c’est-à-dire avec un retard d’au moins six mois sur l’époque la plus tardive à laquelle il aurait dû être approuvé par le Parlement, si celui-ci restait fidèle à l’esprit de notre constitution. Il a fallu autoriser à plusieurs reprises la perception d’impôts qui n’avaient pas encore reçu la sanction législative, c’est-à-dire accorder des douzièmes provisoires, détestable pratique financière, aveu de faiblesse et de désordre. Le ministre des Finances, après avoir réclamé le concours le plus énergique de ses collègues pour établir les prévisions et dresser le plus tôt possible le budget de la dernière année du XIXe siècle, vient de déposer le projet de loi qui en porte fixation pour l’exercice 1900. La commission du budget est réunie et délibère sur les propositions ministérielles.

Le moment n’est peut-être pas mal choisi pour jeter un coup d’œil sur ce document et pour évoquer, à propos de cet examen, les graves problèmes qui se rattachent aux finances publiques, pour rappeler les principes qui devraient présider à leur gestion et qui, il faut l’avouer, paraissent singulièrement méconnus de la plupart des hommes politiques qui se succèdent dans nos cabinets : ils ont eu d’ailleurs pour excuse à la médiocrité de leurs vues le peu de temps qu’il leur a été donné de rester au pouvoir. Chaque jour à la merci d’un orage parlementaire, ils n’ont guère eu le loisir ni surtout le calme d’esprit nécessaire à la conception d’un plan, comme en exige la conduite des affaires publiques, et notamment de celles qui touchent à l’organisation des impôts et au règlement des dépenses de la nation. A peine ont-ils le temps, entre deux crises, d’ajuster rapidement les recettes aux dépenses, c’est-à-dire d’arracher chaque année, pour obtenir à grand’peine ce qu’on appelle l’équilibre, 20, 30, 40 millions de plus aux contribuables, puisque, de jour en jour, avec une désespérante régularité, les demandes de chaque service public croissent, et tous nos ministères réclament des crédits nouveaux. Car le ministre ne s’est pas encore rencontré qui dirait aux représentans du peuple, au pays lui-même : « Voici ce que vous pouvez payer au Trésor sans être écrasés, sans être gênés dans votre vie, arrêtés dans vos entreprises ; réglez les dépenses publiques en conséquence, ne vous contentez pas de subvenir aux frais d’administration courante, songez aux dettes que vous avez dû contracter à d’autres époques ; efforcez-vous d’en réduire le fardeau, de les amortir. De mauvais jours reviendront où il faudra emprunter ; et vous le pourrez d’autant mieux que vous aurez été plus prévoyans aux époques de calme et de prospérité. »

Qu’un semblable langage étonnerait ! et qu’il différerait de celui qui est tenu chaque année au Parlement et qui se résume en ceci : « Il nous faut dépenser trois, puis quatre, bientôt ce sera cinq milliards ; ingénions-nous à chercher toutes les sources d’impôt, à découvrir quelque coin inexploré où la plus âpre des fiscalités puisse s’exercer ; soumettons au contrôle d’administrations tracassières tous les actes de la vie des Français ; frappons de droits, de taxes, les objets qu’ils consomment, les actes qu’ils font, les sociétés qu’ils forment ! Comme une troupe de cavalerie légère attachée aux flancs d’une colonne d’infanterie qui chemine péniblement, harcelons sans cesse ces pauvres fantassins, ces contribuables, qui s’efforcent d’avancer dans la vie en gagnant leur pain et celui de leurs enfans ; épions-les à chaque tournant de route ; voyons s’ils ne nous dissimulent rien ; faisons-leur rendre gorge ; qu’ils passent chez le percepteur chaque mois, chaque semaine ; que le pain qu’ils mangent soit taxé dès la frontière ; que l’habit qu’ils revêtent le soit aussi ; que la voiture qui les transporte, la bicyclette sur laquelle ils se promènent, le billard sur lequel ils se récréent, acquittent des taxes à l’Etat, au département, à la commune ; mesurons-leur l’air et la lumière, en imposant chaque porte, chaque fenêtre qu’ils ouvrent dans leur maison ; que leurs actes de naissance, de mariage et de mort soient timbrés par le fisc ; qu’ils ne puissent pas oublier un instant cet esclavage moderne, qui n’a d’autre excuse que d’enchaîner indistinctement tous les citoyens. »

De l’aveu même de ceux qui sont chargés sinon de préparer, du moins de contrôler la préparation du budget et de le soumettre aux Chambres, les erreurs parlementaires, les habitudes de retard et de dissipation, le temps perdu à de stériles discussions politiques au lieu d’être consacré à l’étude des questions économiques, font que, depuis plusieurs années, le budget n’est plus qu’un compte de prévision hâtivement dressé, voté péniblement et avec un retard monstrueux, dépourvu dès lors de ce qui pourrait en faire la force et le mérite. Nos ministres, et, à leur suite, les commissions du budget, semblent avoir renoncé à faire de cet acte si important ce qu’il devrait être, c’est-à-dire un effort constant vers l’amélioration générale de la machine administrative, vers l’application des principes d’une politique et d’une économie politique élevées, vers un état plus sain et plus fort, en un mot, la voie ouverte aux réformes de toute nature. Dans son rapport sur le budget général de l’exercice 1899, déposé le 24 décembre 1898, c’est-à-dire une semaine avant la date à laquelle ce budget aurait dû être mis en vigueur, M. Camille Pelletan montrait comment il avait été impossible à la commission nommée par la Chambre élue au printemps précédent de faire œuvre utile et de marquer, dès la première année de la législature, sa politique financière. Il avouait n’avoir pu faire autre chose que chercher à obtenir un équilibre sincère entre les recettes et les dépenses et à combattre l’endettement perpétuel des déficits, qui, depuis 1870, dépassent 400 millions de francs. Parlant de notre budget, il en décrivait le travail préparatoire comme un « ravaudage, par de petits points de couture donnés de tous les côtés, » sans aucun rapport avec les grandes conceptions financières. Il le jugeait lui-même en l’appelant un budget d’attente. Les résultats de cette gestion des finances publiques sont mauvais à tous les points de vue. En se laissant acculer à l’extrême limite du délai dans lequel les impôts doivent être votés, les législateurs s’interdisent tout débat de quelque ampleur sur les questions fondamentales ; ils consacrent leur impuissance et se condamnent à une politique d’expédiens. Lorsqu’en effet des besoins de dépenses additionnelles sont reconnus, il faut à la hâte trouver des ressources pour y faire face ; et ces ressources ne peuvent guère avoir d’autre caractère que celui d’une aggravation de droits déjà établis ou la création de taxes nouvelles. Or, comment, en quelques semaines, en quelques jours, mesurer les conséquences de ces dernières ? comment reconnaître la complexité des effets qu’elles auront ? comment rechercher s’il n’y a pas lieu de supprimer d’anciens impôts dont la charge, ajoutée à celle des nouveaux, peut devenir intolérable ? Le résultat fatal est un redoublement de fiscalité.

Celle-ci décourage l’esprit d’entreprise ; elle pousse beaucoup d’hommes à dissimuler leur fortune et à s’abstenir de dépenses qui donneraient un aliment au commerce et à l’industrie et contribueraient à la prospérité générale en occupant des ouvriers et des employés ; elle tarit les sources de la richesse publique, qui n’est autre chose que l’addition des richesses de chacun de nous, et qui ne saurait s’accroître autrement que par l’augmentation de ces dernières. La tâche d’un ministre des finances est économique avant d’être financière ; il doit avoir présentes à l’esprit les principales branches de l’activité du pays, connaître celles qui sont susceptibles du plus grand développement, s’efforcer de les encourager, de faciliter leur travail, en diminuant ou en supprimant les entraves qui s’opposent à la libre expansion des forces. Mais une pareille œuvre ne saurait être menée à bonne fin que par un homme qui reste au pouvoir pendant de longues années, qui poursuive avec patience l’étude de la structure intime du corps social, qui puisse espérer voir apparaître peu à peu le résultat de mesures qu’il aura prises après mûres réflexions et en ayant prévu les conséquences même les plus lointaines de ces mesures. D’autre part, il ne doit pas oublier qu’il ne se trouve pas en présence d’une table rase et qu’il faut tenir compte de l’état de choses préexistant. Le problème à résoudre n’est pas seulement de trouver les meilleurs ou plutôt les moins mauvais impôts et de tracer la limite au-delà de laquelle les taxes deviennent oppressives et nuisibles au développement économique de La nation, il est nécessaire de tenir compte des situations acquises et de l’organisation antérieure. Ce n’est point un vain empirisme, mais au contraire des considérations de l’ordre le plus élevé, qui imposent ici au réformateur la plus grande prudence. Il doit se souvenir que l’état de la propriété mobilière et immobilière, commerciale et industrielle, et toute l’organisation du travail se sont modelés en quelque sorte d’après les lois fiscales. Celles-ci sont comparables à des servitudes grevant des immeubles : les nouveaux propriétaires qui les acquièrent par héritage ou par toute autre voie, les reçoivent tels qu’ils se comportent, c’est-à-dire précisément grevés de ces servitudes qui, au moment où elles ont été constituées, ont diminué la plénitude du droit du possesseur, mais se sont dès lors incorporées à l’immeuble et n’en amoindrissent plus la valeur.

Certes, la suppression de ces servitudes ne nuirait à personne ; mais en débarrasser certains immeubles pour les établir arbitrairement sur d’autres serait beaucoup plus injuste que de les laisser en vigueur là où elles existent. Il en est de même pour les impôts : toute réduction en est bonne, à la condition qu’elle ne soit pas accompagnée d’une création de taxes nouvelles qui frappent d’autres matières imposables en même temps que des dégrèvemens sont accordés. Des réformes peuvent être recommandables ; elles sont parfois nécessaires ; des créations de richesses nouvelles excusent de nouveaux impôts ; mais il faut prendre bien garde de ne pas confondre changement avec progrès. Le pays qui supprime certains impôts pour en établir d’autres ressemble au malade qui se retourne sur son lit de douleur, dans l’espoir qu’un changement de position le soulagera : mais le mal est en lui, et c’est d’autres remèdes qui seuls seront efficaces.

Notre langue a gardé, pour définir le prélèvement opéré au profit de l’Etat d’une part de la fortune de chacun, une expression que le législateur ne devrait jamais oublier : c’est celle de contribution. Aucune, en effet, n’exprime mieux le sens de ce que doit être, dans un pays libre, la part fournie par chaque citoyen aux dépenses publiques. C’est le propre des constitutions de la plupart des nations modernes que de ne reconnaître d’autres ressources à l’Etat, en dehors des revenus que peuvent lui fournir les biens domaniaux, que les « contributions » volontairement consenties par les représentans du peuple. Il est vrai que les fonctions de l’Etat se sont tellement développées et que les particuliers attendent de lui tant de services, qu’ils ne songent plus guère à discuter le chiffre des sacrifices qui leur sont demandés ; il faut que l’exagération des dépenses finisse par peser aussi lourdement que chez nous pour qu’une ligue des contribuables, comprenant enfin que l’appui financier de l’État coûte plus cher qu’il ne rapporte, se forme et essaie d’opposer une barrière au flot montant des exigences fiscales.

Quoi qu’il en soit, l’heure est venue où il convient que le pays ait les yeux ouverts sur ses finances, et que non seulement il en comprenne la situation présente, mais que l’avenir soit déployé devant lui. Etudions donc dans ses grandes lignes notre budget ; voyons à quelles dépenses il doit pourvoir, et de quelles recettes il se nourrit ; jetons ensuite un coup d’œil sur quelques pays étrangers, et de cette comparaison essayons de tirer un enseignement utile, qui puisse avoir quelque influence sur les choix que chacun de nous est appelé à faire des députés chargés de gérer la fortune nationale : c’est en effet là leur principal rôle, celui dont ils devraient le moins possible s’écarter et qui justifie leur existence en limitant leur champ d’action. Cette étude, en ce qui concerne notre pays, nous est rendue plus aisée qu’à d’autres époques par un certain nombre de documens que M. Gaillaux a insérés dans l’exposé du budget de 1900. Pénétrons avec lui dans les milliards de nos comptes publics ; récapitulant d’abord une partie du siècle qui s’achève, cherchons à donner une idée de la progression de nos charges qui, pour la dernière année du XIXe siècle, n’est pas moindre de 43 millions de francs par rapport à sa devancière : 3 522 millions en 1900 contre 3 477 en 1899. Et encore le chiffre de 3 522 millions devrait-il être augmenté de 70 millions de subventions et avances pour travaux de chemins de fer, que les compagnies dépensent pour le compte de l’Etat, et que celui-ci leur remboursera au moyen d’annuités qui grèveront nos futurs budgets.

Les dépenses publiques peuvent se diviser en quatre classes : dette, armée et marine, services civils, et enfin dépenses qui ne sont que la contre-partie de recettes, comme celles des monopoles et exploitations industrielles de l’Etat. Un tableau fort instructif, intitulé « Mouvement des budgets de 1869 à 1900, » nous montre la progression, depuis trente ans, de nos dépenses, dont le total général est établi, en y comprenant à la fois les dépenses du budget ordinaire, et celles qui faisaient autrefois l’objet de comptes spéciaux, tels que budget des chancelleries, de la Caisse des Invalides de la marine, pensions de la marine, de la Caisse d’amortissement, sur ressources spéciales, des téléphones, dépenses de l’Annam, du Tonkin et de Madagascar. Nous n’avons plus, en effet, de dépenses effectuées sur ressources extraordinaires ou sur fonds d’emprunt ; plus de budget extraordinaire, ni de comptes de liquidation ; les constructions scolaires, les subventions extrabudgétaires aux chemins vicinaux, les garanties d’intérêt aux compagnies de chemins de fer sont liquidées ou réintégrées au budget ordinaire, hors duquel ne figurent plus que les subventions et avances pour travaux de chemins de fer. Voici les années saillantes de la période :


1869 2 013millions.
1870 3 625 —
1871 3 139 —
1872 2 807 —
1876 3 065 —
1878 3 401 —
1881 3 710 —
1883 3 842 —
1897 3 545 —
1900 3 592 —

Comparées à ce qu’elles étaient avant la guerre allemande, nos dépenses ont donc augmenté de près de 80 pour 100, 3 592 contre 2 013 millions. Gardons-nous de croire que cette augmentation soit due exclusivement aux frais de la guerre et à ses conséquences même indirectes : en 1872, c’est-à-dire une fois la paix conclue, le total des dépenses n’était que de 2 milliards 807 millions ; en 1876, il dépassait à peine 3 milliards, dont plus de 300 millions étaient consacrés aux comptes de liquidation. C’est donc de plus d’un demi-million que nos dépenses ont augmenté en pleine paix. En réalité, il faudrait même dire de 700 millions : car, les conversions de rentes ayant allégé de près de 115 millions (le service de la dette, et les garanties d’intérêt à payer aux compagnies de chemins de fer ayant diminué de plus de 80 millions par rapport au chiffre maximum atteint en 1887, nos charges ont ainsi été) réduites d’environ 200 millions. L’étape la plus fâcheuse a été franchie en un bien court espace de temps : de 1876 à 1878, les dépenses ont sauté de 3 065 à 3 401 millions, c’est-à-dire qu’en deux ans, elles ont fait un bond tel qu’il a fallu ensuite vingt-deux ans pour parcourir une distance inférieure de moitié, de 3 401 à 3 592 millions. De 1878 à 1883, le total du budget s’est même élevé à un chiffre supérieur à celui d’aujourd’hui : mais le budget extraordinaire dépassait alors 600 millions de francs, en grande partie consacrés à des constructions de chemins de fer, pour lesquelles il paraissait légitime de demander des capitaux à l’emprunt et non pas à l’impôt.

Ce ralentissement du taux d’accroissement de nos dépenses est considéré par les optimistes comme un symptôme heureux : mais, en ces matières, le seul qui mérite, selon nous, cette épithète est un recul d’une année sur l’autre, recul qui ne s’est produit que cinq fois depuis trente ans dans nos dépenses ordinaires. Toutefois on peut dire que nous ne sommes plus retombés, du moins au même degré, dans les erreurs d’une époque où l’intensité du réveil qui suivit la guerre nous porta à abuser de nos forces, de notre richesse et de notre crédit. Ce qu’il convient de louer dans notre budget, tel qu’il est établi maintenant, c’est la disparition complète et, nous voulons l’espérer, définitive, des comptes extra-budgétaires qui, sous les noms, dans les formes et avec les combinaisons les plus diverses, ont si fort embrouillé notre comptabilité publique. La clôture, en 1882, des deux comptes de liquidation, la suppression, en 1891, du budget extraordinaire, en 1893 et en 1895, des constructions scolaires, la réintégration, en 1893, au budget ordinaire des garanties d’intérêt aux compagnies de chemins de fer, marquent les étapes de cette salutaire réforme : il ne reste, en dehors du budget ordinaire, que les 70 millions de subventions et avances pour travaux de chemins de fer, capitaux que les Compagnies avancent et qui leur sont remboursés par l’Etat. Nous pouvons donc d’un coup d’œil embrasser le total de ce que nous coûte notre train de maison : en voici les principaux chapitres :


Dette publique 1 247 millions.
Guerre et marine 978 —
Instruction publique 205 —
Travaux publics 192 —
Colonies 90 —
Pouvoirs publics, Services généraux des Ministères : finances, justice, affaires étrangères, intérieur, cultes, beaux-arts, commerce, agriculture 306 —
Algérie 72 —
Remboursemens et restitutions, non-valeurs et primes 33 —
Frais de régie, de perception et d’exploitation des impôts et revenus publics 205 —
Postes 194 —
Subventions et avances pour chemins de fer remboursables aux Compagnies 70 —
3 592 millions.

Le budget spécial établi pour l’Algérie ne comprend que de » services civils. Les frais de régie, de perception et d’exploitation des impôts et revenus publics consistent en dépenses des administrations de l’enregistrement, du timbre, des douanes, des contributions directes et indirectes, des manufactures de l’Etat. Les remboursemens et restitutions, non-valeurs et primes se composent de dégrèvemens des contributions directes, de remboursemens sur produits indirects, de répartitions de produits d’amendes, saisies et confiscations, et des primes à l’exportation de marchandises. Les autres divisions de ce tableau s’expliquent d’elles-mêmes. La première inspection du budget nous montre combien il est difficile à manœuvrer : la dette et les dépenses militaires en forment presque les deux tiers ; un neuvième consiste en dépenses qui ne sont que la condition d’encaissement de recettes, — comme celles des postes, des régies et monopoles d’État, — lesquelles grandissent en même temps que les dépenses et dont la réduction n’est pas désirable, puisque ces services se soldent pour la plupart en bénéfice et contribuent à alimenter le budget. Il y aurait lieu seulement d’établir plus nettement encore le bilan de chacune de ces exploitations industrielles nationales : l’étude approfondie en serait instructive et mériterait d’exercer la sagacité de ceux qui s’occupent des finances publiques. Nous en disons plus loin quelques mots. Les ministères civils proprement dits ne forment qu’un total d’environ 800 millions, les deux neuvièmes du budget.

Avant de passer en revue et de discuter ces divers élémens de dépenses, rappelons les principales dispositions de la loi de finances, soumise en ce moment au Parlement. Elle est divisée en quatre titres. Le premier, budget général, ouvre les crédits aux divers ministères pour les dépenses votées ; indique les nouveaux impôts et revenus autorisés ; rappelle, dans un état annexe, ceux qui l’ont été par des lois antérieures ; fixe la très modeste contribution des colonies aux dépenses civiles et militaires qu’elles occasionnent à l’Etat (462 230 francs pour 1900) ; évalue les voies et moyens, c’est-à-dire les recettes. Le titre II s’applique aux budgets annexes rattachés pour ordre au budget général. Le titre III contient un certain nombre de dispositions spéciales ; ainsi, cette année, le régime financier des colonies est modifié, et les dépenses civiles sont laissées à leur charge ; le compte de réorganisation des défenses de Calais est clos. Le titre IV traite des moyens de service et dispositions annuelles ; contient la nomenclature des services qui seuls peuvent donner lieu à ouverture de crédits supplémentaires par décret pendant la prorogation des Chambres ; indique les constructions neuves que le ministre de la Marine est autorisé à continuer ou à entreprendre ; ouvre aux ministres de la Guerre, de la Marine et des Colonies des crédits pour l’inscription au Trésor public des pensions de leur département à liquider dans l’année. Il autorise le ministre des Finances à renouveler pour une période maximum de six ans les obligations à court terme du Trésor échéant en 1900, et à créer, pour le service de la trésorerie et les négociations avec la Banque de France, des bons du Trésor portant intérêt et payables à l’échéance maximum d’une année : les bons du Trésor en circulation ne pourront excéder 400 millions de francs, en dehors de ceux qui seraient déposés à la Banque de France en garantie de l’avance permanente de 180 millions consentie par elle au gouvernement. La ville de Paris est autorisée à émettre pour 40 millions de bons de la Caisse municipale. D’une façon générale, le titre IV énumère les autorisations données à divers ministères pour les travaux à entreprendre et les subventions à accorder au cours de l’exercice : travaux et approvisionnemens de la marine ; valeur du matériel à délivrer aux services d’exécution pour emploi en 1900, création d’écoles et emplois, subventions pour constructions scolaires, et aux entreprises de chemins de fer d’intérêt local ou de tramways. Un article fixe à 75 millions pour l’année le total des travaux complémentaires que les six grandes compagnies de chemins de fer sont autorisées à inscrire à leur compte de premier établissement : ces dépenses sont, par exemple, celles que l’Orléans fait pour l’édification de sa gare au quai d’Orsay, l’Ouest, pour celle des Invalides, le Lyon, pour la reconstruction de la sienne. Enfin la loi autorise la perception des contributions directes et des taxes y assimilées établies pour l’exercice 1900, en vertu de la loi spéciale relative aux contributions directes. Elle ajoute que toutes contributions directes et indirectes, autres que celles qui sont autorisées par les lois de finances de l’exercice 1900, à quelque titre ou sous quelque dénomination qu’elles se perçoivent, sont formellement interdites, à peine contre les autorités qui les ordonneraient, contre les employés qui confectionneraient les rôles et tarifs, et ceux qui en feraient le recouvrement, d’être poursuivis comme concussionnaires.


II

Le service de la dette est porté au budget de 1900 pour une somme de 1 247 millions, qui se décompose comme suit : 692 millions pour la dette consolidée, c’est-à-dire les arrérages des rentes perpétuelles 3 et 3 et demi pour 100 ; et 314 millions pour la dette remboursable à terme ou par annuités. De ces 314 millions, 139 représentent le service de l’intérêt et de l’amortissement de la rente 3 pour 100, amortissable par annuités, créée en 1878, et remboursable par tirages au sort annuels, dont le dernier aura lieu le 1er mars 1953 ; — 16 millions, l’annuité de l’emprunt Morgan contracté pendant la guerre de 1870 ; — 31 millions, le remboursement d’obligations sexennaires émises par le Trésor et venant à échéance en 1900 ; — 20 millions, l’annuité servie à la Compagnie des Chemins de fer de l’Est pour prix de ses lignes cédées à l’Allemagne par le traité de Francfort et dont la valeur a été payée par cette puissance au gouvernement français ; — 29 millions, le remboursement par annuités des avances faites pour la liquidation des caisses des chemins vicinaux, lycées, collèges et écoles primaires ; — 5 millions, le remboursement par annuités des dépenses des expéditions de Madagascar et de Siam ; — 41 millions, des annuités aux compagnies de chemins de fer ; — 13 millions, les intérêts de la dette flottante du Trésor ; — et enfin 7 millions, les intérêts de capitaux de cautionnemens déposés par les fonctionnaires ou autres.

La dette viagère coûte 241 millions, qui se décomposent en 97 millions de pensions de la guerre ; 38 millions de pensions de la marine ; 9 millions de supplémens à ces deux chapitres ; H millions de traitemens aux membres militaires de l’ordre de la Légion d’honneur et aux médaillés militaires ; 76 millions de pensions civiles, et 10 millions environ d’indemnités et pensions diverses. Ces trois chapitres réunis, — dette consolidée, dette remboursable à terme ou par annuités, dette viagère, — forment un total d’un milliard et quart.

Il est intéressant de rechercher à quel capital correspond cette formidable dépense annuelle, et dans quelle mesure il est permis d’en prévoir la réduction. Le ministère nous a fourni un tableau récapitulatif qui répond à la première de ces questions, au moins en ce qui concerne la dette consolidée et la dette remboursable à terme ou par annuités : le capital nominal de la dette perpétuelle s’élève à 22 milliards, dont 15 pour le 3 pour 100, 7 pour le 3 et demi ; celui de la dette flottante à un milliard ; celui de la dette amortissable à 7 milliards, dont un peu plus de moitié correspond à la rente amortissable proprement dite, un peu plus du quart aux annuités dues aux chemins de fer, et le reste à des dettes de diverse nature, dont les principales sont les avances faites pour la liquidation de caisses spéciales et l’emprunt Morgan.

À ce total de 30 milliards, il convient d’ajouter le capital de la dette viagère, plus difficile à évaluer. Si l’on ne tenait compte que des sommes à payer en vertu de pensions liquidées au moment de l’établissement d’un budget, on pourrait chercher à chiffrer le capital des rentes dues aux titulaires en raison de leur âge, et on arriverait peut-être à une capitalisation de 10 à 8 pour 100, c’est-à-dire 2 et demi ou 3 milliards, correspondant aux 241 millions de débours annuel. Mais ce calcul serait inexact, car le service des pensions n’est pas allégé par la mort de ceux qui les reçoivent ; de nouveaux bénéficiaires émargent aussitôt ; et, loin de diminuer, le fardeau des pensions ne cesse de s’accroître : au titre militaire, par l’augmentation des cadres ; au titre civil, par la création de nouveaux fonctionnaires et l’instabilité plus grande du personnel, qui amène des mises à la retraite prématurées. Aussi longtemps qu’un changement radical d’organisation ne sera pas intervenu, — et rien ne permet quant à présent de le prévoir, — on doit considérer le chiffre annuel du service de la dette viagère, tel qu’il existe aujourd’hui, comme un minimum plutôt qu’un maximum : il serait donc logique de le capitaliser comme une rente perpétuelle : au taux de notre crédit public, c’est-à-dire 3 pour 100, les 241 millions équivaudraient à un capital de 8 milliards ! Mais il convient de déduire du chiffre que nous dépensons de ce chef le montant de la retenue de 5 pour 100 et du douzième de chaque augmentation de traitement, opérée par le Trésor sur les divers traitemens, et qui s’élève à environ 38 millions[1] : c’est par conséquent une charge nette de 203 millions que supporte le budget et qui, au taux de 3 pour 100, correspond à un capital d’environ 7 milliards. Si nous les ajoutons aux 30 milliards de la dette consolidée amortissable et flottante, nous arrivons au total de 37 milliards.

Quelle chance avons-nous de voir diminuer ce fardeau ? Il peut décroître de deux façons : par la réduction de l’intérêt annuel et par le remboursement du capital, ce second mode étant beaucoup plus efficace et désirable que le premier, lequel d’ailleurs n’est applicable qu’aux rentes perpétuelles, 3 et 3 et demi pour 100. L’État peut en effet, à tout moment, mettre les porteurs de ces titres dans l’alternative de recevoir le remboursement de leur capital ou de subir une diminution de leur coupon : c’est l’opération qui porte le nom de conversion, et qui a joué un rôle considérable dans l’histoire des finances publiques de la plupart des nations modernes. C’est ainsi que notre rente 3 et demi n’est autre chose que la transformation de rentes 5 pour 100 émises en 1871 et 1872, converties en 4 et demi l’an 1883, puis en 3 et demi l’an 1894 : il est résulté de ce chef pour notre budget une économie de plus de cent millions de francs. Mais de pareilles réductions ne peuvent indéfiniment se reproduire. A l’heure actuelle, le taux de l’intérêt s’est relevé dans le monde d’une façon très sensible[2], une conversion de notre 3 et demi serait difficile, et tout au plus pourrait-on tenter une réduction à 3 un quart, ce qui ne procurerait au budget qu’un bénéfice d’environ 16 millions. Du reste, elle ne saurait en aucun cas avoir lieu avant 1902, puisqu’en 1894, lors de la conversion du 4 et demi en 3 et demi, la nouvelle rente a été garantie contre le remboursement pendant huit ans. Aucune conversion n’est possible pour la rente 3 p. 100 amortissable, parce que le tableau d’amortissement, imprimé sur le titre, constitue un contrat synallagmatique entre l’État et ses créanciers, et que ceux-ci ne peuvent être remboursés qu’aux époques et pour les quantités prévues. Il en est de même pour les diverses annuités que le Trésor s’est engagé à servir, et à plus forte raison pour la dette viagère.

Nous ne pouvons donc prévoir de diminution dans la charge que la Dette impose à nos finances que par l’extinction graduelle de la rente 3 pour 100 amortissable, dont les 4 milliards auront été entièrement remboursés vers le milieu du XXe siècle, et par la disparition successive des diverses annuités qui grèvent notre budget et dont quelques-unes expirent dans un délai relativement court, comme celle de l’emprunt Morgan, qui sera éteint en 1914, et les emprunts à la Caisse de Dépôts pour la liquidation des caisses scolaires et des chemins vicinaux, qui le seront en 1923. Dans un demi-siècle, si rien n’est venu troubler le jeu actuel de notre mécanisme financier, notre dette aura été diminuée de 7 à 8 milliards. Rien n’empêcherait d’ailleurs de faire fonctionner, parallèlement à cet amortissement obligatoire, un amortissement volontaire qui consisterait à employer des excédens budgétaires au rachat, sur le marché, de titres des rentes perpétuelles 3 ou 3 et demi pour 100. A d’autres époques, une caisse d’amortissement existait, qui avait cette destination. Mais nous n’avons plus guère d’excédens ; et ceux que nous avons sont dévorés par les crédits supplémentaires ! Rien, dans la structure actuelle de nos budgets, ne nous permet de prévoir des disponibilités qui recevraient cet emploi.

Dans son exposé de motifs, M. Caillaux déclare bien que les amortissemens que nous pratiquerons en 1900 s’élèveront à environ 70 millions de francs ; mais il ajoute, avec une louable franchise, que ce n’est là qu’une apparence. En effet, nous empruntons indirectement une somme égale, que les compagnies de chemins de fer avancent à l’Etat et qu’il faudra leur rembourser par annuités, et nous avons ouvert un compte spécial pour les dépenses du perfectionnement de l’armement qui devra, lui aussi, être un jour liquidé par le remboursement des obligations du Trésor émises pour l’alimenter.

Notre programme, en ce qui concerne la Dette publique, semble à cette heure devoir être résumé comme suit : — 1° en ce qui concerne la dette perpétuelle, ne rouvrir sous aucun prétexte le Grand-Livre, et attendre, à partir de 1902, que les conditions générales des marchés financiers et du loyer des capitaux soient telles qu’une conversion du 3 et demi en 3 et quart ou éventuellement en 3 pour 100 devienne possible ; — 2° en ce qui concerne la dette remboursable à terme ou par annuités, exécuter strictement les contrats intervenus, sans chercher par des combinaisons quelconques à décharger le présent au détriment de l’avenir, à reculer, par exemple, les annuités dues aux compagnies de chemins de fer ; — 3° en ce qui concerne la dette viagère, surveiller le mal à sa source, c’est-à-dire ne pas accroître le nombre des fonctionnaires et ne pas surcharger le service des pensions par des mises à la retraite prématurées. Ce plan est modeste : il est permis de concevoir l’espérance qu’à un moment donné, l’état de nos finances nous autorisera à en rêver un plus vaste, et que l’amortissement, en particulier, sera maintenu dans son intégralité, sans que des emprunts directs ou indirects viennent accroître le capital de la dette de sommes égales ou supérieures à celles qui sont remboursées par les tirages de la rente amortissable, et par le paiement des diverses annuités aux compagnies de chemins de fer et autres.

Le second bloc de nos dépenses est formé par les budgets des ministères de la Guerre et de la Marine. Une noble et généreuse tradition, qui s’est implantée au lendemain de nos désastres dans les Chambres françaises, a fait que, depuis 1870, jamais un crédit pour la guerre ou la marine n’a été marchandé au gouvernement qui le demandait. Peut-être le patriotisme, qui se refusait à discuter et à critiquer quoi que ce soit, n’a-t-il pas toujours été également bien inspiré. Peut-être des résolutions, impliquant des centaines de millions de dépenses, auraient-elles gagné à ne pas être prises d’enthousiasme, et à être au contraire mûrement pesées. Le Parlement a trop souvent perdu de vue que l’arsenal de la nation ne doit pas seulement contenir des canons et des fusils, mais aussi des réserves économiques, et que celles-ci ne naissent et ne subsistent que dans un pays où la charge des impôts n’est pas excessive. « Des budgets bien réglés, disait avec raison le rapporteur général du budget de 1899, constituent un élément essentiel des forces de défense : nos administrations militaires devraient peut-être moins l’oublier. » Nous ne voulons pas entrer ici dans la discussion de nos dépenses militaires : ce n’en est pas le moment, ni celui de songer à les réduire. Mais ce que nous voudrions, c’est que le Parlement ne perdît pas de vue les liens qui rattachent les questions militaires à des questions plus hautes encore, et notamment à celle de l’orientation de notre politique extérieure. De là dépendent en effet l’organisation même de l’armée et de la flotte. Que voulons-nous ? où tendons-nous ? qu’espérons-nous de nos sacrifices et de nos efforts ? Il semble que le Parlement ne le sache pas toujours lui-même. Et c’est pourquoi nous appliquerions volontiers à cette partie du budget la phrase de l’exposé de M. Caillaux qui, dans sa pensée, visait sans doute les dépenses civiles plutôt que les autres, mais qui convient admirablement aux deux : « On n’obtiendra quelques résultats qu’à la condition de donner une orientation nouvelle à la politique générale du pays, » et nous ajouterons avec lui : « il ne faut pas en arriver à accroître tous les ans, de façon excessive, le fardeau qui pèse sur les citoyens. »

Sous le bénéfice de cette observation générale et en rappelant qu’à plus d’une reprise des hommes compétens ont protesté contre les gaspillages de certaines parties de ces immenses services, nous nous bornerons à grouper les principales dépenses des ministères de la Guerre et de la Marine, afin de donner à nos lecteurs une idée de leur répartition. La solde des troupes de terre s’élève à 190 millions ; les divers états-majors et le personnel hors cadres coûtent 37 millions ; les écoles militaires, 13 millions ; la gendarmerie et la garde républicaine, 40 millions ; le service de santé et les convois, 12 millions ; les déplacemens, 12 millions ; les vivres et fourrages, 178 millions ; l’habillement, le campement et les lits militaires, 67 millions ; la remonte et le harnachement, 20 millions ; les établissemens de l’artillerie et du génie, les poudres et salpêtres, 47 millions ; les dépenses extraordinaires, 25 millions ; divers, 22 ; total général : 663 millions. Au ministère de la Marine, les traitement et solde exigent 80 millions ; les dépenses de main-d’œuvre, 35 millions ; les dépenses de matériel, 180 millions ; les subventions à la Caisse des Invalides de la marine, 11 millions ; divers, 9 millions ; ensemble : 315 millions. Total des deux ministères : 978 millions, sans compter les 155 millions de pensions de retraite et de traitemens des membres militaires de l’ordre de la Légion d’honneur et des médaillés militaires, qui figurent au budget de la Dette.

Les dépenses des ministères civils se répartissent comme suit. Les pouvoirs publics, Présidence de la République, Sénat et Chambre, coûtent 14 millions ; le service général du ministère des Finances, 20 millions ; les frais de régie, de perception et d’exploitation des impôts et revenus publics, 205 millions ; au nombre de ces derniers, figurent les frais relatifs aux administrations des contributions directes, de l’enregistrement, des domaines et du timbre, des douanes, des contributions indirectes, des manufactures de l’Etat.

Le ministère de la Justice demande 35 millions, dont 1 pour le Conseil d’Etat, 1 pour la Cour de cassation, 12 pour les tribunaux d’appel, de première instance, de commerce et de police, 8 pour les justices de paix, 5 pour la justice criminelle. Les Affaires étrangères réclament 16 millions. Le ministère de l’Intérieur et des Cultes, 124 millions, dont 11 pour les fonctionnaires administratifs des départemens, les préfectures et sous-préfectures, 7 millions de subventions aux départemens pour l’achèvement des chemins nouveaux, 5 pour la participation de l’Etat aux dépenses du service des enfans assistés ou moralement abandonnés, 1 million et demi pour l’assistance médicale gratuite, 18 millions pour la police, 15 pour le service pénitentiaire et l’entretien des détenus, 43 millions pour les cultes. L’Instruction publique reçoit 205 millions, dont 12 pour les universités, 17 pour les lycées et collèges, 128 pour le personnel de l’enseignement primaire, 13 pour les constructions d’établissemens publics d’enseignement. Les Beaux-Arts ont 16 millions. Le Commerce et l’Industrie reçoivent 34 millions, dont plus des deux tiers sont donnés en subventions : 5 millions aux pêches maritimes à titre d’encouragement, 5 à la marine marchande en primes à la construction, 11 en primes à la navigation, 4 en primes à la filature de la soie. Les Postes et Télégraphes coûtent 194 millions, dont 123 vont au personnel, 28 sont dépensés en subventions aux divers services maritimes, tels que celui de New-York et des Antilles, qui reçoit 11 millions, celui de l’Indo-Chine et du Japon, qui en reçoit 6, celui de l’Afrique du nord, qui en reçoit 2, celui de l’Australie et de la Nouvelle-Calédonie, qui en reçoit 3, celui de la côte orientale d’Afrique et de l’Océan indien, qui en obtient 2. Les câbles de l’Afrique occidentale et celui qui relie la France à l’Amérique et aux Antilles sont dotés d’une subvention de 1 million. Le ministère des Colonies coûte 90 millions, dont 9 millions de subventions aux budgets de diverses colonies et de certains chemins de fer coloniaux, 65 millions de dépenses militaires, parmi lesquelles l’Indo-Chine réclame 18 millions et Madagascar 22 ; 9 millions pour les services pénitentiaires. L’Agriculture obtient 45 millions. Nous relevons parmi les dépenses de ce ministère 4 millions de primes à la sériciculture, 2 millions et demi de primes à la culture du lin et du chanvre, 3 millions de subventions agricoles et d’encouragemens à l’agriculture et au drainage, 3 millions pour l’enseignement agricole, les établissemens d’élevage, les écoles vétérinaires, 8 millions pour les haras, la remonte, les encouragemens à l’industrie chevaline, 3 millions pour l’hydraulique agricole, 2 millions et demi pour les secours aux agriculteurs, 44 millions pour les forêts. Enfin le ministère des Travaux publics reçoit 192 millions ; parmi ses dépenses ordinaires, au total de 81 millions, figurent celles du personnel et du matériel du ministère, des ponts et chaussées et des mines, 28 millions ; l’entretien des routes et ponts, 28 millions ; celui des chaussées de Paris, 3 millions ; la navigation intérieure, canaux et rivières, 42 millions ; les ports et les phares, 9 millions. Puis vient une section intitulée : « Dépenses obligatoires assimilables à des dettes d’Etat, » qui comprend les annuités aux compagnies concessionnaires de chemins de fer, 43 millions ; les garanties d’intérêt aux mêmes, 20 millions ; travaux de routes et ports, 4 millions ; rivières et canaux, 12 millions ; ports, 12 millions ; chemins de fer exécutés par l’État et réseau de l’État, 8 millions.

Ces diverses dépenses forment un total de 3 450 millions, auxquels s’ajoutent 72 millions de l’Algérie, qui réclame 12 millions pour les services de l’intérieur, 11 pour l’agriculture et les travaux publics, 6 pour l’instruction publique, 21 pour la garantie d’intérêt aux chemins de fer algériens. Nous arrivons ainsi au total de 3 522 millions pour les dépenses effectives de l’année. L’État s’endette en outre de 70 millions, que les compagnies de chemins de fer dépensent pour son compte en travaux et qu’il leur rembourse ensuite au moyen d’annuités. Tel est le prix que nous payons pour avoir une armée, une flotte, une justice, l’instruction et les travaux publics, et pour faire honneur aux engagemens des générations qui nous ont précédés. Ce n’est guère moins de 10 millions par jour : chaque Français, de l’aube à la tombée de la nuit, doit gagner pour le gouvernement 25 centimes, avant même de manger son pain quotidien ; pour le chef de famille, cette somme se multiplie par le nombre de ceux, femmes, vieillards, enfans, qui sont à sa charge.


III

Après nous être rendu compte de ce que nous dépensons, voyons au moyen de quelles ressources nous faisons face à ces besoins. Un état annexé au budget énumère les droits, produits et revenus dont la perception est autorisée, conformément aux lois existantes, au profit de l’Etat, des départemens, des établissemens publics et des communautés d’habitans. Cette nomenclature ne remplit pas moins de quatorze pages du volume officiel et nous permet de passer en revue l’arsenal des réglementations fiscales qui, depuis un siècle et davantage, se sont abattues sur notre pays. Les droits d’enregistrement remontent à la loi organique du 22 frimaire an VII, ceux d’hypothèques à la loi du, 21 ventôse an VII ; les droits de transmission des titres d’actions et d’obligations datent de 1857 ; les droits de timbre, établis par la loi organique du 13 brumaire an VII, ont subi une série de modifications et d’extensions : passeports, permis de chasse, titres étrangers, polices d’assurance, contrats de rente viagère ; la taxe d’accroissement date de 1880 ; l’impôt sur les opérations de bourse, de 1893 ; la taxe sur le revenu des valeurs mobilières, de 1872. Les droits de douane à l’importation ont été créés par une série de lois et de décrets ; le droit de statistique, en 1872 ; les droits de navigation, en l’an II. Les produits des contributions indirectes et diverses commencent à l’impôt sur les boissons de 1816, comprennent la taxe de consommation sur les sels (loi de 1848), les droits d’entrée sur les huiles, le droit sur la stéarine et les bougies, l’impôt sur les vinaigres et l’acide acétique, les impôts sur le prix des places des voyageurs, des bagages et messageries transportés en grande vitesse par les chemins de fer et tramways, le droit sur les voitures publiques de terre et d’eau, droits de tonnage, péages sur les ponts, garanties des matières d’or et d’argent, droits de garantie des marques de fabrique et de commerce, droit de dénaturation de l’alcool, cartes à jouer, amendes et confiscations, droits sur les sucres coloniaux, étrangers et indigènes, etc.

Les produits de monopoles et exploitations industrielles de l’Etat embrassent ceux qui sont recouvrés par les receveurs des contributions indirectes, vente des allumettes, des tabacs, des poudres à feu, les produits des postes, télégraphes et téléphones, l’excédent des recettes sur les dépenses de la fabrication des Monnaies et Médailles, l’excédent des recettes sur les dépenses de l’Imprimerie nationale, les bénéfices de l’exploitation des chemins de fer de l’Etat, les produits de l’exploitation en régie des journaux officiels.

Les produits et revenus du domaine de l’Etat comprennent les revenus de toute nature du domaine public fluvial, maritime -et terrestre ; les revenus et produits de toute nature des biens de l’État ; les successions en déshérence, les épaves et biens vacans ; les produits de l’exploitation des établissemens régis ou affermés par l’État, tels que Vichy, Plombières, Luxeuil, Néris, Bourbonne, les produits des ventes effectuées à la manufacture de Sèvres, les redevances pour frais d’analyse et d’essais dans les laboratoires de l’État, les produits des forêts.

Sous le titre de produits divers, le budget reçoit encore une série de montans, tels que droits de chancellerie, taxe de brevets d’invention, produit de la rente de l’Inde, bénéfices réalisés par la Caisse des dépôts et consignations, redevance du Val d’Andorre, intérêts d’une somme due par le Mont-de-Milan, fonds non réclamés aux caisses des agens des postes, remboursement des frais de contrôle et de surveillance des chemins de fer, droit d’inscription des courtiers de commerce, part revenant à l’État sur les bénéfices des chemins de fer, droit d’extraction des phosphates en Algérie, remboursement par le gouvernement de l’Uruguay d’une avance à lui faite en 1848.

Les recettes d’ordre comprennent les recettes en atténuation de dépenses, telles que produits universitaires, produits des amendes et condamnations pécuniaires, les retenues et autres produits perçus en exécution des lois sur les pensions civiles, les retenues sur la solde des officiers de l’armée de terre et de mer, le contingent à verser au Trésor par les colonies dont les budgets se règlent en excédent, la contribution des colonies aux dépenses civiles et militaires de la métropole, les retenues pour cause de cumul des fonctionnaires députés, la portion des dépenses de la garde de Paris remboursée à l’État par la Ville de Paris, le remboursement par le gouvernement beylical des frais de justice et de gendarmerie, etc.

Sous le titre de « tableau des voies et moyens de l’exercice 1900, » les produits de ces diverses ressources sont groupés dans l’ordre suivant :

IMPOTS ET REVENUS


Millions
1° Contributions directes, comprenant les contributions foncières des propriétés bâties et non bâties, personnelle-mobilière, des portes et fenêtres et des patentes. 478
2° Taxes assimilées aux contributions directes : biens de mainmorte, redevances des mines, droit de vérification des poids et mesures, contributions sur voitures, chevaux, mules, mulets, vélocipèdes, billards, cercles, taxe militaire 38
3° Produits de l’enregistrement ; mutations à titre onéreux et à titre gratuit, autres conventions et actes civils, administratifs et de l’état civil ; actes judiciaires et extrajudiciaires, hypothèques, pénalités 533
4° Produits du timbre : actes et écrits sujets au timbre de dimension ; affiches ; contrats d’assurances et de transports ; permis de chasse, quittances et chèques, effets négociables, valeurs mobilières 184
5° Impôt sur les opérations de bourse 5
6° Taxe sur le revenu des valeurs mobilières 71
7° Produits des douanes a l’importation, droits de statistique et de navigation, taxe de consommation des sels de douanes. 450
8° Contributions indirectes : vins, cidres, poirés, hydromels, bières, alcools, taxe de consommation des sels perçue en dehors des rayons de douane, impôt sur le prix des places et transports, licences aux débitans de boissons, timbres, cartes à jouer 647
9° Sucres 181
MONOPOLES ET EXPLOITATIONS INDUSTRIELLES DE L’ETAT


Allumettes 30
Tabacs 405
Poudres à feu 11
Postes 193
Télégraphes 39
Téléphones 13
Bénéfices des chemins de fer de l’État, des câbles, de l’Imprimerie nationale, des Monnaies et Médailles. 17
Produits des forêts 31
Produits du domaine autre que le domaine forestier 21


DIVERSES RENTRÉES DU BUDGET


Taxe des brevets d’invention 4
Bénéfices de la Caisse de dépôts et consignations 5
Produit des maisons centrales de force et de correction 3
Remboursement par les départemens et les communes des avances pour l’achèvement des chemins vicinaux et des établissemens scolaires 28
Recettes d’ordre (qui se composent principalement des retenues en vue des pensions) 60
Algérie 55
Total des recettes égal à celui des dépenses 3 522

A la suite du budget général se trouvent une série de budgets qui lui sont rattachés pour ordre et qui se soldent par un excédent ou un déficit, lequel seul figure au budget général de l’Etat : 1° fabrication des Monnaies et Médailles ; 2° Imprimerie nationale ; 3° Légion d’honneur ; 4° caisse des Invalides de la marine ; 5° Ecole Centrale des arts et manufactures ; 6° Caisse nationale d’épargne ; 7° chemin de fer et port de la Réunion ; 8° chemin de fer du Soudan ; 9° chemins de fer de l’Etat.

Toutefois ces 3 522 millions que nous payerons à l’État l’année prochaine ne doivent pas être considérés comme formant la charge du contribuable : il y a lieu, en bonne justice, d’en déduire certains montans qui sont ou bien la rétribution directe d’un service rendu par l’Etat à un certain nombre de citoyens qui l’en récompensent directement, ou le produit du domaine public. Examinons à ce point de vue les recettes de notre budget. Les contributions directes et les taxes qui leur sont assimilées sont un véritable impôt, en échange duquel ceux qui le paient ne reçoivent rien, sinon les services généraux que l’Etat rend à tous les citoyens et qui peuvent être considérés comme le prix de l’impôt : police intérieure, justice, instruction, entretien des voies de communication et bâtimens publics, défense nationale, relations extérieures. Les produits de l’enregistrement, du timbre, des douanes, des contributions indirectes, des sucres, ne font que renchérir un certain nombre d’opérations qui pourraient s’accomplir, ou de denrées qui pourraient s’obtenir sans l’aide de l’Etat, dont l’intervention en cette occurrence n’a d’autre effet que de majorer le coût des unes et le prix des autres.

Au contraire, au chapitre des monopoles et exploitations industrielles de l’Etat, nous devons chercher à distinguer, dans les recettes publiques, ce qui constitue l’impôt de ce qui est le prix des objets fournis par l’Etat en échange de l’argent qu’il reçoit. Considérons par exemple les 446 millions produits par la vente des allumettes, des tabacs et des poudres. Les Français qui achètent des allumettes, des cigares et des munitions de chasse ou de guerre pourraient se les procurer à bien meilleur compte si la fabrication et le commerce en étaient libres ; mais ils ne les auraient pas pour rien : l’impôt que nous acquittons de ce chef n’est donc pas de 446 millions, mais de la différence entre ce total et le prix auquel nous pourrions nous procurer les mêmes allumettes, les mêmes cigares, les mêmes poudres, si le monopole n’existait pas. Des calculs exacts à ce sujet demanderaient une minutie d’investigation qui nous ferait sortir du cadre du présent article. M. Pelletan, dans son rapport sur le budget 1899, évaluait à 100 millions environ, y compris le bénéfice industriel, le prix de revient de ces produits que nous vend l’Etat, lequel percevrait donc ici 346 millions d’impôt.

La question est différente pour les postes, télégraphes et téléphones. On doit tout d’abord, pour essayer d’établir le budget réel de ces services, mettre en regard des 247 millions de rentrées les 194 millions de dépenses : il ne faudrait pas cependant conclure de là que l’État perçoit de ce chef un impôt de 53 millions. En effet, si l’industrie privée voulait créer une organisation analogue à celle des postes et des télégraphes, elle devrait tout d’abord immobiliser un capital considérable dans la construction d’immeubles affectés aux services postaux et télégraphiques, dans l’acquisition d’un matériel, dont l’amortissement annuel exigerait nombre de millions ; ensuite et surtout elle n’aurait pas la franchise de transport sur les lignes de chemins de fer, et devrait de ce chef dépenser des sommes énormes. Il faut donc déduire de nos contributions les recettes postales et télégraphiques. L’État n’assurerait pas ces services, que les citoyens auraient à peu de chose près une somme égale à payer aux entrepreneurs qui s’en chargeraient. Tout au plus pourrait-on prétendre qu’au point de vue strictement économique, les subventions que le Trésor paie à diverses compagnies de navigation et à des câbles sous-marins ne sont pas nécessaires pour nous assurer certains services postaux et télégraphiques, qui pourraient à la rigueur être exécutés par des compagnies non subventionnées ou même des compagnies étrangères : des intérêts politiques supérieurs entrent ici en jeu ; à ce titre, ces 27 millions constituent un impôt.

Ne considérons donc ici, comme recettes du Trésor provenant d’une autre source que l’impôt, que 220 millions du chef des postes et télégraphes ; nous classerons dans la même catégorie le million d’excédent de recettes de la Monnaie, les 14 millions de bénéfices de l’exploitation des chemins de fer de l’État, les 22 millions de produits du domaine autre que le domaine forestier, les 31 millions des forêts, les 55 millions de produits divers du budget (dont une moitié est fournie par les départemens et les communes, à titre de remboursement des avances pour chemins vicinaux et constructions scolaires et se retrouve à ce titre dans les charges départementales et communales) et enfin 60 millions de recettes d’ordre. Aucune de ces rentrées ne provient d’une taxe imposée au. contribuable. Augmentons ces diverses sommes de 15 millions correspondant aux mêmes recettes pour l’Algérie, et nous arrivons à un chiffre de 578 millions qui, dans le budget, représente des rentrées autres que celles de l’impôt : celui-ci fournit donc en réalité 3 milliards environ.

Mais, pour avoir une idée exacte des charges qui pèsent sur nous, il faut ajouter à cette somme les centimes départementaux et communaux, c’est-à-dire les quantités dont sont augmentées, en faveur des départemens et des communes, les contributions directes que nous payons à l’Etat, quantités souvent fort importantes, puisque les centimes additionnels arrivent dans certains cas à dépasser ceux du principal. Il convient d’y joindre les octrois municipaux, qui représentent pour la France, sans compter Paris, plus de 460 millions, et d’une façon générale toutes les autres charges communales et départementales. La somme des dépenses ordinaires des communes et des départemens, sans compter celles de la Ville de Paris, dépasse 400 millions pour les premières (déduction faite des budgets d’emprunt qui se compensent en général avec une somme à peu près égale de remboursemens), 280 millions pour les seconds ; celui de la Ville de Paris s’élève à 328 millions, de sorte que nous arrivons à un chiffre de plus de 4 milliards pour la totalité de ce que nous payons à l’Etat, aux départemens et aux communes, même en tenant compte de la portion du budget de ces dernières qui est alimentée par leurs revenus patrimoniaux.

Pour avoir une idée du rapport de ces impôts avec la fortune publique, rappelons les chiffres de quelques années antérieures. En 1829, les impôts réellement payés à l’État, sans les postes, s’élevaient à 722 millions ; en 1847, à 1 033 millions : en 1869, à 1 525 millions, en 1876, à 2 284 ; en 1889, à 2 577 millions. Pour les mêmes années, les totaux des successions ouvertes étaient de 1 412, 2 055, 3 636, 4 701 et 5 372 millions, d’où il résulte que, sauf pendant une période qui correspond à la guerre allemande, la proportion des impôts par rapport aux successions a été en diminuant : 51, 50, 41, 48, 46 pour 100. Mais, en 1897, la proportion était remontée à 50 pour 100[3].

La charge d’impôts payés à l’Etat seul par un Français est de 75 francs, tandis qu’un Anglais n’en paie guère que 60 ; notre charge est deux fois et demie celle qu’acquitte un Belge ou un Prussien, qui ne paie à l’Empire et à la Prusse qu’environ 30 francs ; elle est presque double de ce que paient l’Autrichien et le Hollandais (44 francs).

On notera que, pour nos colonies, nous dépensons 2 fr. 10 et leur vendons des marchandises pour 3 francs par tête de Français. L’Angleterre dépense pour les siennes 1 fr. 10 et leur vend pour 46 francs.

Tel est le bilan des charges que nous supportons. Tel est le résultat de l’analyse des chiffres alignés dans les volumes du budget : l’étude en est féconde pour le financier et surtout pour le sociologue, préoccupé de discerner, dans l’organisation des États modernes, la croissance souvent excessive des services publics. Jadis le prince ou, pour employer l’expression plus générale, la Couronne, avait des terres dont les revenus subvenaient en partie aux dépenses publiques, confondues dans une certaine mesure avec celles du souverain. Les forêts domaniales sont, en France, le vestige le plus considérable de cette sorte de propriété publique. Aujourd’hui, le domaine de l’Etat comprend, non seulement des bâtimens, des routes, des cours d’eau, mais des lignes télégraphiques et téléphoniques, des réseaux de chemins de fer, qui sont exploités dans l’intérêt de tous, de façon cependant à laisser un excédent de recettes qui vient accroître les ressources budgétaires. La Prusse retire de l’exploitation de ses voies ferrées une somme plus que suffisante pour payer l’intérêt de sa dette. La France, vers le milieu du vingtième siècle, sera mise en possession de plus de 40 000 kilomètres de chemins de fer, dont elle est d’ores et déjà nu propriétaire, et qui pourront lui fournir un revenu considérable. Deux solutions s’offriront alors à nous : ou bien nous appliquerons cette rentrée annuelle à dégrever d’autant nos impôts, ou bien nous la consacrerons au rachat graduel de notre dette. Mais il ne faut pas croire que ce sera une tâche aisée, pour le ministre des Finances de l’an 1950, de conserver la totalité des recettes qui rentreront dans ses caisses, à-titre d’excédent de produit des chemins de fer. Ceux-ci, une fois achevé le remboursement de leurs obligations et de leurs actions, devraient, si des événemens imprévus n’ont pas d’ici, là modifié la face du monde et les relations économiques, fournir plusieurs centaines de millions de revenu annuel. Mais que de réclamations surgiront aussitôt contre l’application des tarifs ! que de demandes pour obtenir des trains supplémentaires, de plus grandes vitesses, un nombre supérieur de wagons, des facilités de toute nature, qui battront en brèche cette ressource nouvelle, qui tendront à dessécher ce Pactole arrivant alimenter le budget ! D’autre part, une administration publique sera-t-elle, aussi soucieuse qu’un conseil émané d’une assemblée d’actionnaires, capable de bien gérer le patrimoine qui lui est confié ? Les adversaires du rachat des chemins de fer par l’Etat craignent qu’un gouvernement de fonctionnaires, installé à la tête de ces vastes exploitations, ne puisse pas ou ne sache pas les diriger avec la même sévérité, ou tout au moins avec la même économie que les administrateurs, directeurs et employés actuels des compagnies.

Il est certain que l’expérience de plusieurs pays, notamment de la Belgique, n’est pas concluante en faveur de l’exploitation des chemins de fer par l’Etat. De plus, l’ingérence du Parlement dans l’administration est poussée chez nous beaucoup plus loin qu’ailleurs, et rendrait encore plus difficile le bon fonctionnement d’une machine aussi colossale que l’exploitation d’un réseau de lignes d’une longueur égale à la circonférence du globe terrestre. En théorie, cependant, on ne voit pas pourquoi un corps de fonctionnaires n’arriverait pas à une conception assez forte, à un sentiment assez élevé de ses devoirs vis-à-vis de la communauté, pour être capable d’assurer dans les meilleures conditions possibles la marche d’un service comme celui des transports par voie ferrée, qui rentre au premier chef dans la définition de ceux que l’Etat peut songer à assurer dans l’intérêt de tous. Mais il est prématuré d’envisager la solution d’un problème qui ne se posera que dans un demi-siècle : d’ici là, il paraît plus sage de laisser les compagnies poursuivre leur exploitation sous le contrôle de l’administration, armée de façon à réprimer les abus, à corriger les erreurs, et à défendre les intérêts du public. D’ici là, les sociétés actuelles auront amorti tous leurs titres ; elles transmettront alors leur réseau complètement outillé à l’Etat, qui ne devra leur rembourser que le matériel roulant et certaines dépenses de peu d’importance prévues aux cahiers des charges.

Cette nue propriété de la plus grande partie des chemins de fer français, dont la portion connue sous le nom de réseau de l’Etat est seule possédée et exploitée aujourd’hui par lui, constitue la grande réserve de nos budgets. Si on évalue à 250 000 francs la valeur de chaque kilomètre et que l’on suppose que d’ici à l’expiration des concessions, la longueur des lignes appartenant aux compagnies et faisant retour à l’Etat, soit de 40 000 kilomètres, on trouve que le patrimoine de ce dernier s’accroîtra de ce chef de 10 milliards, soit un tiers environ de ce que serait alors la dette publique, si elle n’avait pas été augmentée dans l’intervalle et si tous les amortissemens aujourd’hui prévus avaient été effectués. On voit que, si belle que soit cette réserve, elle serait loin de suffire au remboursement de notre dette, comme certains optimistes se plaisent à le répéter. Les dividendes distribués par les compagnies à leurs actionnaires pour l’année 1898 forment un total d’environ 150 millions de francs ; les charges du capital emprunté oscillent autour d’un demi-milliard. Si on pouvait compter que l’ensemble de ces produits nets des chemins de fer figurera au budget à partir de l’expiration des concessions, ce serait une rentrée annuelle d’environ 650 millions. Nos charges, si elles étaient alors ce qu’elles sont aujourd’hui, seraient allégées d’un sixième.


IV

Il ne suffit pas, pour nous rendre compte de la gestion de nos finances, de considérer les états de prévision que nous venons de parcourir. Il est nécessaire de savoir comment les choses se passent dans la réalité, c’est-à-dire d’examiner si, au cours de l’exercice, il n’a pas été dépensé plus que les crédits votés et si les recettes ont été conformes aux prévisions. D’une façon générale, nos Chambres, déjà amenées à voter le budget de prévision d’une façon hâtive, semblent se désintéresser de cette partie non moins capitale de leur tâche qui consiste à examiner la façon dont les budgets votés ont été exécutés. Dans d’autres pays, en Italie par exemple, le Parlement semble mieux comprendre son rôle à cet égard. Dès le mois de novembre, qui suit la clôture de l’année financière (qui va du 1er juillet au 30 juin), le ministre du Trésor remet aux députés et sénateurs le compte rendu de ce qui, au cours de l’exercice qui vient de se terminer, a été dépensé et encaissé. La Cour des comptes, vers la même époque, a déjà vérifié le compte rendu et publié son rapport. Dans toute administration rigoureuse, le chiffre des dépenses ne doit pas s’écarter sensiblement, sauf circonstances imprévues, de ce qui a été inscrit au budget ; les besoins des services sont connus à l’avance et il est relativement facile de se tenir dans les limites fixées. Les recettes, au contraire, présentent une incertitude beaucoup plus grande ; pour la majeure partie, elles ne dépendent pas de l’action gouvernementale. Seuls nos impôts, dits de répartition, offrent à cet égard une certitude quasi mathématique : la loi spéciale, relative aux contributions directes, établit en effet la somme globale que la France doit payer du chef de la contribution foncière de la propriété non bâtie, de la contribution personnelle mobilière, de la contribution des portes et fenêtres. Les conseils généraux votent, pour chaque département, la somme qu’il doit fournir, et la répartition se fait ensuite dans chaque commune. Sauf les insolvabilités de certains contribuables, pour faire face auxquelles une provision est d’ailleurs inscrite au budget sous la rubrique de non-valeurs, la rentrée dans les caisses de l’Etat est donc, pour cette catégorie de recettes, égale aux prévisions. Mais les produits de l’enregistrement dépendent du nombre d’actes passés dans l’année ; ceux des douanes, du mouvement commercial ; ceux des contributions indirectes, de la consommation des boissons et autres produits imposés ; ceux des monopoles et exploitations de l’Etat, de la quantité de ventes effectuées ; ceux du domaine de l’État sont eux-mêmes soumis à certains aléas. Toute cette partie des recettes publiques, — et elle en est de beaucoup la plus importante, puisqu’elle en représente à peu près les cinq sixièmes, — est susceptible de varier dans de grandes proportions : l’expérience acquise permet d’en établir la prévision avec une approximation déjà très remarquable ; mais la quantité des récoltes et, d’une façon générale, l’état économique du pays, ne peuvent pas ne pas avoir ici une influence considérable sur les recettes publiques. Pour en donner une idée, rappelons que le droit d’entrée sur les blés est de 7 francs par quintal métrique. Que la France produise 100 millions de quintaux, comme l’année dernière, et elle n’importe rien. Qu’elle ait au contraire un déficit de 10 millions de quintaux, qui amène une importation d’égale quantité, et voici 70 millions que le Trésor encaissera aux ports d’arrivée des blés américains ou autres. La prospérité agricole de notre pays, l’esprit d’épargne de ses habitans, l’activité générale des affaires dans le monde, qui a toujours, par des voies parfois très détournées, son contre-coup en France, font qu’en général l’écart des recettes nous est favorable et qu’elles dépassent les prévisions. Nous devrions donc avoir régulièrement des excédens budgétaires, dont l’emploi tout indiqué serait un amortissement extraordinaire de notre dette, tel qu’il se pratique couramment en Angleterre[4]. Malheureusement les dépenses suivent une marche plus rapide encore, et le fléau des crédits supplémentaires, c’est-à-dire des dépenses votées en cours de session en dehors du budget, dévore l’excédent des recettes et souvent davantage : c’est ainsi qu’en 1897, nous avons dépensé 201 millions de plus que les prévisions budgétaires : si on en déduit 39 millions de crédits non employés, c’est encore 162 millions qu’il a fallu couvrir par la plus-value des impôts. En 1898, celle-ci a atteint 143 millions et dépassé, pour la première fois depuis longtemps, l’excès de dépenses : un bénéfice final de 69 millions a permis d’appliquer cette somme au remboursement d’une partie des dettes du Trésor.

Le moment est venu de définir celui-ci et d’en expliquer le fonctionnement. Puisque les recettes et les dépenses ne concordent pas avec les prévisions, la caisse de l’Etat ne va donc pas pouvoir établir un équilibre parfait entre ce qui y entrera et ce qui en sortira au cours de l’année : d’ailleurs, alors même qu’au bout des douze mois la concordance se serait établie, il y aurait, dans l’intervalle, des différences entre les entrées et les sorties, puisque celles-ci ne sont pas réparties uniformément sur les 365 jours, ni même sur les 52 semaines de l’année, et que par conséquent il y aura des momens où les caisses pourraient ne pas avoir de provision suffisante pour faire face aux dépenses exigibles. Cette double raison a amené la création d’une sorte d’être de raison, d’entité fictive, qu’on appelle plus spécialement le Trésor et qui, dans une certaine mesure, peut être considéré comme la banque de l’État. M. Pelletan compare spirituellement ce dernier à un industriel qui créerait à côté de lui une banque dont il serait le principal client, mais dont il abuserait parfois. L’État n’est guère auprès du Trésor qu’un client emprunteur ; les prêteurs sont de deux catégories, ceux qui, de par la loi, sont obligés de lui apporter certaines sommes, par exemple les fonctionnaires qui lui remettent leurs cautionnemens, les départements, municipalités, établissemens publics, caisses d’épargne, Caisse de dépôts et consignations, Crédit foncier, qui lui versent en compte courant leurs disponibilités ; et les prêteurs volontaires, qui achètent des bons et des obligations à court ou à long terme, c’est-à-dire lui avancent de l’argent à intérêt.

Ces deux catégories de prêteurs fournissent au Trésor le moyen de satisfaire à l’avidité dévorante de son client emprunteur. Tant que celui-ci ne demande aide que pour ses besoins courans, c’est-à-dire pour obtenir ce qu’on pourrait appeler une avance sur les impôts, il n’y a aucune critique à lui adresser. Mais le recours au Trésor pour combler des déficits budgétaires nous paraît une pratique condamnable, de nature à compliquer la comptabilité publique et à perpétuer à travers les âges les conséquences financières de périodes depuis longtemps closes au point de vue politique et qui devraient l’être également au point de vue économique. En Angleterre il n’est point maintenu de compte spécial à chaque exercice, en dehors de celui de l’exercice en cours : on incorpore dans celui-ci les soldes des exercices antérieurs qui n’ont pas encore reçu leur emploi, et, à la fin de l’année budgétaire, c’est-à-dire le 31 mars, on reporte au compte du nouvel exercice les sommes qui restent au crédit du gouvernement à la Banque d’Angleterre et à la Banque d’Irlande. En France, au contraire, nous perpétuons dans le compte du Trésor les soldes d’anciens budgets. Au 1er janvier 1899, d’après le tableau joint par M. Caillaux à son exposé, les découverts du Trésor s’élevaient à 979 millions, c’est-à-dire qu’il avait avancé cette somme à l’Etat. D’autre part, il avait reçu 1 015 millions[5] qui constituaient ce qu’on appelle la dette flottante, c’est-à-dire l’ensemble des engagemens contractés par le Trésor, soit à raison des dépôts qu’il a reçus, soit en vertu des bons qu’il a émis : il lui restait donc une disponibilité d’une quarantaine de millions. La dette flottante comprend :


Millions.
Les comptes d’avances des trésoriers-payeurs généraux 54
Fonds des communes et établissemens publics 302
Fonds de la Ville de Paris et de divers établissemens de Paris. 25
Compte courant de la Caisse de dépôts et consignations 213
Fonds non employés des caisses d’épargne 97
Fonds non employés de la Caisse d’épargne postale 48
Fonds non employés de la Caisse nationale de retraites pour la vieillesse 48
Dépôt du gouvernement beylical de Tunis 4
Compte courant du service des pompes funèbres 1
Compte courant du Crédit foncier 5
Capitaux des bons du Trésor en circulation 77
Divers correspondans du Trésor 22
Total de la dette flottante portant intérêts[6] 896
Fonds libres sur correspondans du Trésor et sur avances 12
Fonds libres du budget départemental 78
Fonds déposés par divers corps de troupe et par divers établissemens 15
Trésorier général des Invalides de la marine 4
Bons échus 1
Mandats de divers comptables 9
Total général de la dette flottante 1 015
À ce total, officiellement compris sous le nom de dette Ilot-tante, il faut encore ajouter 400 millions de ce que la phraséologie comptable appelle « services spéciaux » et qui comprennent, entre autres : aux recettes, les capitaux de cautionnemens en numéraire (301 millions), une portion de l’avance faite par la Banque de France au Trésor (40 millions) ; — aux dépenses, les avances aux Chemins de fer pour garanties d’intérêt (251 millions), le perfectionnement du matériel d’armement (53 millions). Ces deux catégories de recettes et de dépenses s’équilibrent à peu de chose près ; mais cela n’empêche pas les premières de constituer des engagemens de l’Etat dont il faut tenir compte.

Les découverts du Trésor, c’est-à-dire les prêts consentis par lui à l’État, s’élevaient à 100 millions au 1er avril 1814. De 1815 à 1829, ils atteignirent 270 millions, en grande partie à cause de l’attribution des capitaux de cautionnemens à divers budgets de la période. Sous Louis-Philippe, ils s’élevèrent à 519 millions ; sous la deuxième République, à 29 millions ; sous le second Empire, à 94 millions ; en 1870, le total des découverts était donc de 1 012 millions, provenant en majeure partie des déficits budgétaires accumulés. Depuis lors, une légère amélioration s’est produite, puisque le chiffre a été réduit d’une trentaine de millions et est descendu au-dessous du milliard, grâce à un certain nombre d’exercices qui se sont clos avec un excédent de recettes. On peut résumer la situation du Trésor en disant que, si ses créanciers lui réclamaient sa dette, il aurait à se retourner vers l’État, qui, à son tour, devrait emprunter à peu près 1400 millions pour liquider cette situation. Mais la plupart des sommes sont dues en vertu de cautionnemens non exigibles et de comptes courans de la Caisse de dépôts et consignations qui, en général, se maintiennent à un niveau constant. D’autre part, le chiffre des bons du Trésor en circulation est modéré et ne dépasse pas le niveau normal auquel les besoins courans de la trésorerie proprement dite semblent devoir le maintenir. Si même nous ajoutions à la Dette flottante le solde non compris dans les comptes spéciaux, l’avance de 180 millions consentie sans intérêt à l’État par la Banque de France et qui n’est exigible qu’à l’expiration du privilège de cet établissement, nous pourrions la compenser avec le compte courant du gouvernement à la Banque de France, qui est presque constamment créancier de plus de 180 millions. La question de savoir si et comment devrait être réduite la dette flottante nous entraînerait au-delà du cadre de cette étude. Il était seulement nécessaire de ne pas laisser dans l’ombre le côté « caisse » de nos finances, dont le budget représente le bilan, et de montrer les rapports qui les lient l’un à l’autre.


V

Le budget, c’est-à-dire, pour le prendre dans son acception la plus générale, ce compte annuel de chaque nation qui embrasse l’ensemble des ressources affectées aux innombrables services qu’assure l’État moderne, donne, à qui sait le lire, un résumé de la situation d’un pays. Aussi bien dans les États autocrates comme la Russie que dans une République fédérale comme celle des États-Unis, où la plupart des fonctionnaires, depuis les moindres officiers municipaux jusqu’au Président de la République, sont élus et soumis à de fréquentes réélections, la vie financière, reflet et dans bien des cas principe de la vie économique, joue un rôle prépondérant. Son importance est telle que le ministre des Finances du tsar fait tous les ans, comme ses collègues des pays parlementaires, son exposé budgétaire, avec cette seule différence qu’il est adressé par écrit à l’Empereur, au lieu d’être lu à la tribune de Westminster, du Palais-Bourbon ou de Monte-Citorio, devant des assemblées délibérantes. Chaque nation veut non seulement qu’un compte lui soit rendu de l’exercice écoulé, mais surtout qu’un tableau soit dressé des prévisions de recettes et de dépenses pour l’année à venir ; qu’un plan lui soit présenté des réformes à introduire dans l’organisation des impôts, qu’en un mot un programme financier apparaisse. Rien n’est plus intéressant que de comparer à cet égard le langage tenu par les ministres et de chercher à caractériser, à la lumière de ces déclarations de principes et exposés annuels, la marche imprimée dans les divers pays au système financier. Comparons par exemple la Russie et l’Angleterre : quelle que soit la différence du régime politique de ces deux empires, on y retrouve une continuité de vues économiques qui a certainement contribué à la prospérité de l’un et de l’autre. Certes, les chanceliers de l’Echiquier qui se succèdent, à des intervalles souvent fort éloignés, sur le sac de laine, n’ont pas tous des opinions identiques en matière d’impôt ; souvent, en raison de leurs idées personnelles et aussi de celles du parti politique qu’ils représentent, ils doivent combattre certaines théories de leur prédécesseur ; mais il est des principes auxquels tous les cabinets, whigs ou tories, restent attachés, et qui forment la chaîne ininterrompue de la tradition financière anglaise, dont sir Robert Peel, Gladstone, sir Stafford Northcote, M. Goschen, sir Michaël Hicks Beach se sont inspirés : réduire la dette, abaisser le prix des objets de première nécessité, affranchir des entraves fiscales le travail fécond, de façon que l’énorme développement de la richesse des particuliers fournisse au trésor public des revenus de plus en plus considérables, qui représentent cependant une fraction de plus en plus faible du revenu de chacun, telles ont été les grandes lignes qui ont gouverné la conduite de tous ces hommes d’État. Il en est résulté une homogénéité de conception, une unité de mouvement, dont il est aisé de se rendre compte en suivant l’évolution des budgets anglais depuis un demi-siècle.

En Russie, la préoccupation d’atteindre, au moyen de la politique financière, un but d’utilité publique autre que celui de fournir au Trésor le plus de ressources possible, remonte à une époque plus récente. Toutefois, lorsqu’il y a un demi-siècle, l’empereur Alexandre II émancipa les serfs, cette œuvre humanitaire impliquait des conséquences financières qui furent envisagées dès lors par l’illustre réformateur et qui se font encore sentir dans les budgets russes. Les rapports soumis par le ministre des Finances au tsar le 1er janvier de chaque année contiennent, en dehors de l’exposé financier proprement dit, des considérations générales sur la monnaie, sur les conditions de l’agriculture, sur la politique douanière, sur les rapports de la Russie avec les marchés étrangers, qui rattachent la situation économique de l’Empire au budget. Le ministre en tire de véritables leçons d’économie politique, comme lorsque, parlant de la production des céréales et de leur prix, il montre avec force qu’il est beaucoup plus important pour un pays d’avoir à foison les produits de la terre que de voir de hauts cours cotés sur les denrées de première nécessité : cette cherté est un mal pour le peuple et ne sert que passagèrement les intérêts particuliers de quelques grands producteurs. Des efforts constans vers le progrès ont été faits dans l’établissement du budget russe : depuis 1895, la classification des dépenses ordinaires et extraordinaires est établie avec rigueur, conformément à un nouveau règlement qui ne permet d’imputer au budget extraordinaire, en dehors des dépenses de guerre ou des remboursemens autorisés d’emprunts d’Etat, que les constructions de nouvelles voies ferrées, et les achats exceptionnels de matériel de chemins de fer. Les conversions ont permis de ne pas augmenter le montant annuel consacré au service de la dette, bien que le capital de celle-ci se soit accru. La réforme monétaire a été accomplie et a exercé sur le budget une influence heureuse, en faisant disparaître les variations du change, qui amenaient des écarts considérables, d’une année à l’autre, sur le montant des paiemens à effectuer à l’étranger.

Les principes fondamentaux sont posés : « En Russie, comme dans tout pays jeune, écrivait M. Witte en 1895, il n’est pas douteux qu’un champ infini ne soit ouvert aux dépenses de l’État, mais il n’est pas moins certain que les ressources du pays sont aussi limitées que sont sans bornes les exigences à satisfaire. » Une des réformes opérées dans les dernières années a consisté dans l’institution du monopole des spiritueux, dont le gouvernement se réserve la vente directe dans un nombre croissant de provinces : le but poursuivi a été moins fiscal que moral ; l’Empereur et son ministre veulent combattre le fléau de l’alcoolisme, sauvegarder les bonnes mœurs, empêcher la ruine des populations et protéger la santé publique. C’est travailler dans l’intérêt bien entendu du Trésor que de préserver les paysans de ce terrible fléau, qui sévit aujourd’hui en France dans une partie de nos départemens et qui mine la santé physique et morale de nos populations du nord et de l’ouest. Des hommes sains et forts travailleront davantage, produiront plus de richesse, et apporteront au budget des contributions plus abondantes que ceux qui seraient physiquement affaiblis. Cette amélioration du sort des classes pauvres paraît au ministre prouvée par l’augmentation des recettes budgétaires, car les impôts directs auxquels le contribuable ne peut se soustraire ne représentent qu’une faible part du budget russe, alimenté surtout par les taxes indirectes, qui ne frappent pas les objets de première nécessité, comme le sel et le pain, lourdement grevés dans d’autres pays d’Europe. La plupart des recettes proviennent de l’imposition indirecte d’objets de consommation, dont aucun n’est de première nécessité, et de l’exploitation des chemins de fer, des postes et des télégraphes. Avec ce système fiscal, il est loisible à chacun des contribuables de concourir à la formation de la majeure partie des revenus de l’État dans la mesure de sa force économique.

Les vérités financières sont à chaque page rappelées dans ces exposés qui méritent, en beaucoup de leurs parties, d’être cités comme des modèles. Ils ne cessent de recommander le maintien d’un inébranlable équilibre entre les recettes et les dépenses. « Chacun est enclin, dit M. Witte en 1898, à considérer les caisses de l’État comme un réservoir inépuisable ou à démontrer avec conviction que telles ou telles dépenses sont productives, qu’elles ne sauraient être réduites : mais il appartient au gouvernement de distinguer entre les dépenses nécessaires, utiles, superflues et vaines : les entreprises les plus utiles, si elles se font sans argent disponible ou au prix de trop grands efforts et en désorganisant les finances, sont nuisibles à l’État. » A coup sûr, l’examen approfondi du budget russe nous révélerait encore bien des faiblesses, excusées ou même justifiées par la situation économique de l’Empire, la pauvreté d’une partie de son sol, la rigueur du climat, l’inexpérience et l’imprévoyance des habitans. De la théorie à l’application pratique il y a un abîme, toujours difficile à franchir en ces matières : mais, si le chemin à parcourir est encore long, le progrès accompli n’en est pas moins remarquable. Dans son dernier rapport (1899), M. Witte, après avoir démontré que les populations rurales sont très légèrement taxées, se demande pourquoi leurs progrès ne sont pas plus rapides, et croit devoir attribuer ce fait au caractère indéterminé de la propriété des paysans, souvent embarrassés pour diriger leurs exploitations, faute d’un régime juridique clair et stable : il en conclut qu’il faut aborder de front les questions de principe qui touchent à l’organisation de la propriété communale. On voit à quelle ampleur de vues mènent des études budgétaires qui ne se bornent pas à un examen superficiel des chiffres, à l’acceptation servile et passive d’un ordre de choses préexistant, mais qui se préoccupent de remonter aux causes, à la source même des forces productives ; c’est là un esprit large et fécond, l’opposé même de l’esprit fiscal qui, dans d’autres pays, non seulement enlève toute élasticité aux finances de l’État, mais finit par les compromettre en frappant de mort l’esprit d’initiative et de progrès.

C’est en face de ces œuvres considérables que l’on comprend la grandeur et l’importance du rôle du ministre des Finances, et que l’on approuve les pays qui, comme l’Angleterre, en confient très volontiers les fonctions au chef du cabinet. Aussi est-ce chez elle que nous trouverons les plus beaux modèles à proposer aux administrations financières. Nous avons ici même montré, l’an dernier, par quel travail merveilleux la Grande-Bretagne avait, en moins d’un siècle, réduit du quart le montant de sa dette, en même temps que son empire s’étendait dans toutes les parties du monde et que sa flotte restait de beaucoup supérieure à celle de n’importe quelle autre nation. Ce résultat à lui seul indique assez quelle suite dans les idées, quelle persévérance, quelle énergie il a fallu déployer pour l’atteindre et le conserver. Mais ce qui est plus remarquable encore, c’est que des améliorations de toutes sortes ont été introduites dans les impôts, que les taxes ont été simplifiées, que les portes du pays ont été ouvertes toutes grandes à la plupart des marchandises étrangères, matières premières et produits fabriqués ; que seules, un petit nombre de denrées, de luxe plutôt que de première nécessité, telles que le tabac et l’alcool, sont restées frappées de droits élevés, qui alimentent les caisses du Trésor sans renchérir le pain ni le vêtement du pauvre.

Les résultats obtenus n’ont pas été les mêmes en Russie, pour des motifs d’une évidence telle qu’il est à peine besoin de les énumérer : la richesse de l’Angleterre est infiniment plus grande, la constitution et l’éducation économique de la nation bien plus avancées ; la Grande-Bretagne a depuis longtemps complété son outillage industriel, que la Russie commence seulement à créer. Aussi un rapprochement direct de la situation financière des deux pays serait-elle oiseuse et de nature à donner des idées fausses à celui qui voudrait comparer ce qui n’est pas comparable. Il est également certain que notre budget français, avec toutes ses imperfections, présente une solidité très supérieure à celle du budget russe : mais nous ne devons point en tirer vanité, car, avec la puissance économique de notre nation, nous devrions avoir des finances encore bien meilleures qu’elles ne le sont. Ce que nous avons voulu faire ressortir, c’est que ces pays, l’un depuis longtemps au premier rang financier, l’autre beaucoup moins avancé, sont également préoccupés d’avoir une politique budgétaire, au sens large et élevé du mot, et de la suivre avec ténacité.

Ainsi que le disait avec justesse le ministre du Trésor italien, M. Luzzatti, dans son exposé du 1er décembre 1897, on ne saurait avoir la prétention de gouverner un pays selon des chiffres mathématiquement disposés : mais, pourtant, c’est par des chiffres qu’on peut montrer comment un pays est gouverné ; c’est l’enseignement qui se dégage du budget, cet acte qu’un chancelier de l’Échiquier a baptisé : le bilan des vertus et des erreurs politiques. Le même M. Luzzatti, pour essayer de mettre en lumière devant les Chambres la solidité des finances italiennes, les comparait à celles de plusieurs autres pays : il montrait l’Autriche et l’Allemagne portant en recette à leur budget le produit d’emprunts que l’Italie, au contraire, considère comme une diminution du patrimoine national et dont elle ne fait pas état au budget ordinaire ; il ajoutait qu’il était indispensable de renoncer à toute émission de rente et que le salut était dans un système d’abstention absolue. Grâce à cette politique, le ministre italien prévoyait une amélioration du crédit public, qui ne pouvait manquer d’avoir son contre-coup sur les affaires particulières, de diminuer le taux d’intérêt, et de provoquer la création de nouvelles entreprises ; il songeait à constituer un fonds de dégrèvement au moyen d’économies sur les dépenses et le destinait à exonérer le travail de tout impôt direct frappant les petits revenus mobiliers et la petite propriété foncière. Il rappelait le temps où on votait des dépenses croissantes, sans savoir exactement si le budget était en mesure de les supporter, et flétrissait les procédés insoucians qui ont causé les malheurs financiers de l’Italie. Il annonçait un changement de route : les projets de dégrèvement coordonnés avec ceux d’économies et de réformes organiques ; les économies considérées comme sacrées et inviolables parce qu’elles sont destinées aux malheureux, aux travailleurs, à la petite épargne ; il aspirait à l’honneur d’être un prévoyant gardien du Trésor, tout en ayant l’apparence d’un réformateur audacieux. Certes il serait excessif d’accepter sans réserve le tableau riant dressé par M. Luzzatti. Les finances italiennes ne sont pas encore organisées de façon à donner les brillans résultats entrevus par l’économiste-poète, qui sait prêter un charme si vivant à d’arides exposés de chiffres et de faits. Mais il est bon que, à l’occasion du budget, de pareilles questions soient soulevées, que les horizons de la discussion soient élargis, que les mandataires de la nation soient rappelés aux conceptions élevées qui doivent être le fil conducteur de leurs décisions. Nous n’ignorons pas qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, et que bien souvent les ministres auteurs des programmes les plus séduisans et les Parlemens animés des plus belles intentions ont pratiqué une politique financière différente de celle que les uns recommandaient ou que les autres rêvaient : ce n’en est pas moins le devoir de tous ceux qui peuvent exercer une action quelconque à cet égard de rappeler, sans se lasser ni se décourager, une vérité qui doit présider à la vie économique comme à la vie morale des peuples.

En face de pays qui améliorent leurs budgets ou qui cherchent tout au moins à le faire, nous pourrions au contraire montrer des nations, comme les États-Unis de l’Amérique du Nord, qui ne sont pas en progrès : là, les traditions de la grande époque qui a suivi la guerre de Sécession n’ont pas été conservées ; la gestion financière, viciée par la politique, par l’incertitude monétaire et le protectionnisme douanier, ne présente plus aujourd’hui la même continuité qu’il y a vingt ans. Les Américains procédèrent alors avec une énergie sans exemple[7] au rachat de la dette considérable qu’ils avaient contractée de 1861 à 1865 ; s’ils avaient persévéré, il ne resterait plus aucun de leurs titres de rente en circulation, à l’exception de ceux dont l’époque de remboursement n’est pas encore atteinte. Mais la folie de l’étalon d’argent, qui parut plusieurs fois sur le point de l’emporter, inquiéta le pays et les étrangers en relations avec lui, au point de ralentir pendant plusieurs années les affaires et de diminuer les recettes du Trésor jusqu’à le mettre en déficit. L’octroi de pensions dites militaires aux anciens combattans de la guerre civile et à leurs descendans enfla le budget de la guerre, qui devint presque égal à celui de la France, bien que l’armée permanente des États-Unis, avant la campagne de Cuba et des Philippines, n’atteignit pas 25 000 hommes. Cette dépense colossale avait été l’œuvre des protectionnistes qui, désireux de maintenir à tout prix les droits d’importation élevés, cherchaient un emploi aux sommes que ces droits faisaient affluer dans les caisses du Trésor, à l’époque où les excédens étaient de règle. Aujourd’hui, il a fallu recourir à de nouveaux impôts : le peuple veut une marine puissante et voudra peut-être une armée permanente nombreuse, bien que personne au monde ne songe à l’attaquer. Plusieurs emprunts ont été émis depuis cinq ans, et les Américains commencent à faire connaissance avec des droits de timbre qui sont le signal de l’intervention du fisc dans leurs affaires, intervention presque inconnue jusqu’ici de l’autre côté de l’Atlantique. Il est vrai que la richesse et la puissance économique de la grande Confédération sont telles que le poids de ces taxes paraît encore léger à ses habitans. Il n’en faut pas moins constater la transformation d’un budget, qui aurait pu se solder, il y a peu d’années, avec les seuls impôts indirects du tabac et de l’alcool, et qui commence à recourir à l’arsenal de la fiscalité oppressive du vieux monde. Il n’est pas de preuve plus éclatante de l’influence que la direction politique de la vie nationale a sur les finances d’un pays. C’est la démonstration renouvelée de la profonde vérité du mot célèbre d’un de nos grands ministres : « Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances. »


VI

Trois questions se posent à l’occasion de l’étude de notre budget : Quelle sera notre politique étrangère ? Quelle sera notre politique douanière ? Dans quel esprit assurerons-nous à l’intérieur l’exécution par l’Etat d’un certain nombre de services publics ? Un quatrième problème, qui prend une place chaque jour plus importante, est celui des colonies : comment administrer celles que nous avons ? Convient-il de rêver encore l’extension de notre domaine africain, asiatique et australasien ? Devons-nous, ici aussi, nous laisser entraîner par l’exemple d’autres nations, sont les destinées en ce monde et le rôle sont différens des nôtres, ou ne faut-il pas plutôt chercher notre voie propre, de façon à ménager nos deniers et à ne point éparpiller nos forces ? C’est à la lumière de ces études préalables que devront se poursuivre les discussions de nos budgets : ceux de la guerre et de la marine devraient être mis en harmonie avec une politique étrangère stable, orientée vers un but précis, et avec une politique coloniale nettement déterminée. Les tarifs douaniers sont l’expression d’une politique commerciale et industrielle sujette à bien des critiques, mais qui a été adoptée par le Parlement en connaissance de cause et après de longues discussions : cette partie du budget ne pourra donc être modifiée que lorsque toute la question de notre régime économique sera remise à l’étude : n’ayons d’ailleurs garde d’oublier que les traités de commerce font partie de la politique étrangère, et que, de nos jours plus que jamais, le rôle en est considérable dans les relations internationales. Enfin les budgets que nous appellerons intérieurs, notamment ceux des exploitations et monopoles de l’Etat, des travaux publics, de l’instruction publique, de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, sont gouvernés avant tout par la direction générale que la France entend donner dans l’avenir à la question du socialisme, nous voulons dire celle de savoir dans quelle mesure la communauté assurera l’exécution d’un certain nombre de services publics, et quels sont ceux qu’elle laissera aux mains de l’industrie et de l’initiative privées.

Les hommes les plus opposés au socialisme ne songent pas à reprendre à l’Etat l’exploitation des postes, des télégraphes, des téléphones. S’ils désirent que celle des chemins de fer reste confiée à des compagnies particulières, ce n’est point par tendresse pour ces dernières, mais par crainte de voir l’esprit bureaucratique se développer encore parmi nos compatriotes, qui n’y sont que trop enclins. Par la transformation des centaines de mille d’ouvriers et employés des compagnies en autant de fonctionnaires, nous marcherions vers l’« étatisation, » — qu’on nous pardonne l’affreux néologisme, — d’un grand nombre de services publics ; le rôle des hommes soucieux de l’intérêt de leur pays est de faire le départ entre ceux qui seront mieux gérés par l’Etat, le département ou la commune, et ceux que de simples particuliers assureront à meilleur compte et avec une plus grande perfection. Voilà, croyons-nous, dans quel esprit d’étude sérieuse et de calme discussion devrait être abordé le problème du socialisme ; ici, comme dans un grand nombre de questions humaines, les mots servent d’épouvantail aux uns, et charment les autres en les égarant. Que de terreurs, que d’illusions évitées, si on faisait comprendre aux partis extrêmes et à la masse du pays quelle est la portée de certaines réformes réclamées à grand fracas par les partis extrêmes, qui ont été appliquées dans des pays monarchiques et conservateurs, et qui à ce titre déjà pourraient être tout au moins examinées et discutées chez nous, mais qui bien souvent n’ont amené aucun progrès sur l’état de choses antérieur.

On ne saurait s’élever à de trop hautes conceptions lorsqu’il s’agit de légiférer sur les finances d’un pays. Il faut, en présence de chaque problème fiscal, remonter à la source, rechercher les principes qui sont engagés et mesurer les conséquences de la solution proposée. Voter une dépense, c’est à la fois enlever à chacun de nous une fraction de son revenu, et engager un acte qui affirmera une politique déterminée. Nous voudrions voir gravées au-dessus de la tribune du Palais-Bourbon les paroles mémorables que le marquis d’Audiffret écrivait dans son bel ouvrage sur le système financier de la France : « L’administration des finances est de toutes les parties du service public celle qui touche le plus immédiatement aux divers intérêts de la société ; elle produit le bien-être ou le malaise des peuples ; elle affermit ou ébranle les trônes, par une influence plus prompte et plus sensible encore que celle qu’exercent les combinaisons de la politique. » Remplaçons le mot trône par celui de gouvernement, et nous aurons, en ces quelques lignes, le résumé d’une vérité profonde qui doit à la fois nous faire saisir l’importance des problèmes budgétaires et nous tracer la voie dans laquelle se trouveront les solutions.

Nous avons aujourd’hui examiné surtout nos dépenses, convaincus que des réformes sont possibles pour beaucoup d’entre elles. Nous n’avons pas le loisir d’insister sur la place croissante qu’y prennent des chapitres comme ceux des subventions et primes de toute nature, dont le principe est si contestable, ni de discuter en particulier le régime complexe des sucres et des primes d’exportation qui leur sont accordées ; la question est cependant aussi importante que brûlante ; l’Angleterre, qui reçoit une partie de nos sucres exportés, menace de leur former ses ports si nous ne renonçons pas à notre système de primes. L’examen de plusieurs chapitres de nos recettes mériterait aussi toute notre attention : l’impôt sur les boissons, récemment modifié par un abaissement des droits sur les boissons dites hygiéniques, la taxe spéciale sur l’alcool[8] devraient faire l’objet d’un examen approfondi, qui comporterait à la fois la discussion de l’état de choses existant et la comparaison avec l’étranger, là où son exemple paraîtrait utile à suivre. Sans parler de l’impôt sur le revenu, qui avait été introduit dans un projet de budget récent, dont l’auteur n’a du reste pu le défendre devant le Parlement, et dont l’un des moindres inconvéniens était de faire double emploi avec un grand nombre de taxes déjà inscrites dans nos lois, nous devrions nous attaquer au projet d’augmentation des taxes successorales, voté par la Chambre, mais non par le Sénat, et qui soulève tant de problèmes fiscaux et sociaux. Avions-nous tort de dire que l’établissement du budget est l’un des actes essentiels de la vie nationale ? Tout homme politique, après avoir médité cet ensemble de problèmes, doit être persuadé de la nécessité de consacrer le meilleur de son temps à leur étude et à leur discussion, et reste convaincu qu’il ne saurait faire œuvre plus utile à son pays que de chercher à améliorer la condition de ses finances.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.

  1. Ce chiffre résulte de l’addition des articles suivans du budget des recettes :
    Retenues sur les passions civiles 28 millions
    — sur la solde des officiers de l’armée de terre 5
    — — du personnel de la marine 3
    — — — des colonies 1
    — sur les pensions civiles en Algérie 1
    Total 38 millions
  2. Voyez notre article sur le Mouvement industriel, ses conséquences financières et économiques, dans la Revue du 1er août dernier.
  3. Pelletan, Rapport sur le budget de 1899, p. 53.
  4. Voyez notre article sur la Dette anglaise, dans la livraison du 15 septembre 1898.
  5. Exposé des motifs, p. 72.
  6. Les intérêts de la dette flottante sont prévus aux dépenses de 1900 pour 22 millions, dont 7 pour intérêts sur capitaux de cautionnement.
  7. Voyez notre article sur les Finances des États-Unis de l’Amérique, dans la Revue du 1er août 1898.
  8. Voir notre article sur le Monopole de l’Alcool (Revue du 15 juin 1897).