Le Buisson ardent/II, 17

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Paul Ollendorff (Tome 2p. 299-300).
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Deuxième Partie — 17


Mon Dieu, que t’ai-je fait ? Pourquoi m’accables-tu ? Dès l’enfance, tu m’as donné pour lot la misère, la lutte. J’ai lutté sans me plaindre. J’ai aimé ma misère. J’ai tâché de conserver pure cette âme que tu m’avais donnée, de sauver ce feu que tu avais mis en moi… Seigneur, c’est toi, c’est toi qui t’acharnes à détruire ce que tu avais créé, tu as éteint ce feu, tu as souillé cette âme, tu m’as dépouillé de tout ce qui me faisait vivre. J’avais deux seuls trésors au monde : mon ami et mon âme. Je n’ai plus rien, tu m’as tout pris. Un seul être était mien dans le désert du monde, tu me l’as enlevé. Nos cœurs n’en faisaient qu’un, tu les as déchirés, tu ne nous as fait connaître la douceur d’être ensemble que pour nous faire mieux connaître l’horreur de nous être perdus. Tu as creusé le vide autour de moi, tu l’as creusé en moi. J’étais brisé, malade, sans volonté, sans armes, pareil à un enfant qui pleure dans la nuit. Tu as choisi cette heure pour me frapper. Tu es venu à pas sourds, par derrière, comme un traître, et tu m’as poignardé ; tu as lâché sur moi ton chien féroce, la passion ; j’étais sans force, tu le savais, et je ne pouvais lutter ; elle m’a terrassé, elle a tout saccagé en moi, tout sali, tout détruit… J’ai le dégoût de moi-même. Si je pouvais au moins crier ma douleur et ma honte ! ou les oublier, dans le torrent de la force qui crée ! Mais ma force est brisée, ma création desséchée. Je suis un arbre mort… Si je pouvais être mort ! Ô Dieu, délivre-moi, romps ce corps et cette âme, arrache-moi à la terre, ne me laisse pas me débattre dans la fosse, ne me laisse pas agoniser sans fin ! Je crie grâce… Achève-moi !