Le But politique de la Révolution française

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Le But politique de la Révolution française
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 83 (p. 770-791).
LE BUT POLITIQUE
DE LA
REVOLUTION FRANCAISE


I

Les hommes ont épuisé leur éloquence à célébrer la vanité de leurs desseins et de leurs espérances. La complication imprévue des événemens de la vie est telle que les désirs les plus légitimes et les calculs les plus plausibles sont très souvent déçus par ce qu’on appelle la fortune, et, pour éviter à notre raison et à notre orgueil une humiliation, nous avons mis l’une et l’autre à reconnaître, à proclamer l’incertitude et l’inutilité de nos efforts et à nous vanter de ne pouvoir compter sur rien. En déplorant, comme on dit, le néant des choses humaines, il semble que nous nous élevions au-dessus d’elles, nous faisant ainsi un mérite de notre impuissance. La religion, la poésie, la morale, la satire même, s’unissent pour nous entretenir du peu de confiance que nous devons mettre dans le vrai même et dans le bien. Consultez la sagesse de Salomon ou la mélancolie de Lucrèce, la piété de Bossuet ou la moquerie de Voltaire, vous vous entendrez dire sur des tons différens que nous sommes le jouet des événemens, et que les combinaisons les plus laborieuses de notre esprit ne sont qu’un piège où se prend notre amour-propre, éternel sujet de risée pour la puissance mystérieuse qui gouverne tout. Ces réflexions cependant, que se plaît à propager une philosophie chagrine ou railleuse, ne peuvent qu’encourager une résignation mère ou sœur de l’indifférence et de la paresse. Sans doute l’expérience doit nous prémunir contre une confiance aveugle dans les conditions de notre destinée et dans les forces de notre raison. Il ne faut pas trop espérer des choses humaines, ne fût-ce que pour échapper au désespoir : il n’y faut pas trop croire de peur de tomber, au premier mécompte, dans l’incrédulité ; mais la sagesse, qui sous prétexte de modestie ou d’humilité, prend à la lettre le vanité des vanités n’est propre qu’à énerver les courages. La foi et l’espérance sont des vertus même pour ce monde, et l’on ne gagne point en amour du bien à douter que le bien soit possible. On aurait peine à nombrer ce qu’il s’est commis d’iniquités, ce qu’il s’est toléré, maintenu, consacré, d’abus et de désordres, grâce à cette patiente conviction, qui finit par nous persuader qu’il est bon que nos meilleures pensées soient confondues par l’événement, et que l’homme a besoin de ces leçons pour ne pas trop lutter contre les succès de la force et les difficultés du bon droit. Ne voit-on pas que si l’on réussit à calmer par de tels conseils les impatiences des âmes justes et modérées, si l’on rend peu à peu les amis de l’ordre dociles à tout, si l’on paralyse les honnêtes gens par le scrupule, on ne gagne rien sur les ardens et les audacieux. On ne décourage pas l’ambition qui ne lie pas sa fortune, à celle de la raison et de la vertu, et qui, satisfaite des chances que l’incertitude des choses humaines offre à sa témérité, ne craint pas de se jeter à tout risque dans la carrière, et, comme Alexandre, marche à la conquête du monde en emportant l’espérance. Ainsi l’on s’expose à ne laisser ouverte qu’aux passions la lice où se livrent les luttes que raconte l’histoire. Il faut avoir les rudes instincts ou les appétits violens de l’aventurier pour se mêler des intérêts de l’humanité, et qui sait si l’ascendant qu’on attribue si souvent à la perversité dans la conduite des affaires ne vient pas en partie de cette prédication corruptrice qui conduit peu à peu les caractères à la faiblesse, les consciences à l’égoïsme, en imposant le scepticisme à la raison ?

Je me souviens qu’après les événemens qui ont terminé l’année 1851, quelques personnes pieuses, qui applaudissaient à ce qui s’était passé, se félicitaient d’y voir un démenti donné aux présomptueuses chimères de la raison humaine. Assurément la soumission d’esprit qu’une telle pensée doit produire n’a pas été étrangère à rabaissement moral dont on se plaint d’être témoin depuis cette époque. Cette disposition à se méfier de tout ce qui enhardit l’honnête homme à l’action s’est reportée du présent sur le passé. Notre histoire depuis la fin du siècle dernier ne prêtait déjà que trop aux doutes d’une misanthropie tour à tour épigrammatique ou plaintive. La grande entreprise qui plus qu’aucune autre a signalé la hardiesse de l’esprit humain, la révolution française, a donc été remise en cause. Tant de mécomptes, de revers, d’avortemens, étaient bien faits pour susciter un nouvel examen de ses origines et de ses motifs, et suggérer à quelques-uns des conclusions sceptiques. Les raisons ne manquaient pas pour mettre en doute soit la légitimité, soit la possibilité du succès. Ce qui a tant échoué pouvait facilement passer pour impraticable. Il est triste de se rappeler combien d’esprits sages, même élevés, se sont alors laissés aller à soupçonner ceux qui ont commencé la France nouvelle d’avoir essayé une œuvre de démence, et les mêmes hommes qui, dociles à l’injonction officielle, proclamaient les principes de 89, en sont venus quelquefois à ne plus soutenir une seule idée, une seule institution qu’eût avouée un homme de 89. La négation des principes menaçait de devenir le premier des principes. Il reste encore bien des traces de cette incrédulité politique, née d’épreuves trop fortes pour notre courage, et même aujourd’hui dans ce réveil de l’opinion publique il est facile d’apercevoir plus de mécontentement que d’espérance, plus de légitime hostilité contre des abus insupportables que de foi efficace dans les moyens de les abolir à jamais. La révolution française reste un mystérieux apologue dont on redoute d’avoir à tirer l’affabulation. On n’ose chercher comment elle doit finir, et l’on ne repousse pas avec défiance ceux qui inclinent à croire qu’elle aurait mieux fait de ne pas commencer.

C’est une des causes du bon accueil fait à un ouvrage qui en méritait un excellent, mais peut-être pour des motifs qu’on n’a pas donnés ou avec des restrictions qu’on n’a pas faites ; nous voulons parler des Mémoires de Malouet[1]. Le grand intérêt de cette utile publication est venu de ce qu’elle faisait connaître à la fois les idées modérément sensées d’un personnage honorable entre tous et les obstacles insurmontables qu’elles avaient rencontrés dans les faits et dans les hommes au début de la révolution française. On trouvait là une nouvelle occasion de suspecter la sagesse de nos pères et d’accuser de déraison ou d’impuissance dangereuse tout ce qui en politique est national sans être officiel, car toute sérieuse révolution est cela, une lutte entre le national et l’officiel.

Quoique ces mémoires embrassent toute la vie de Malouet, qui fut avant d’entrer à l’assemblée constituante un administrateur recommandable, ils ne s’emparent de l’attention qu’au moment où l’ancien intendant de la marine est jeté dans la politique. Avant cette époque, une certaine modestie, qui s’unissait chez lui à des opinions décidées, peut-être aussi un goût littéraire assez répandu de son temps, l’ont empêché de donner sur sa personne et son existence ces détails familiers et ces traits de réalité qu’on recherche de préférence dans les mémoires, et, malgré quelques documens précieux pour l’histoire administrative et coloniale, on se hâte de gagner le moment où, devenu un des personnages du grand drame, il serrera la vérité de plus près et animera par des détails plus vivans un plus pathétique récit. Ce n’est pas qu’on doive s’attendre à trouver de grandes nouveautés : une partie des faits les plus importans avait déjà été portée à la connaissance du public soit par les soins de Malouet lui-même, soit par d’autres écrivains ; mais ils sont ici rapprochés avec plus d’ordre, spécifiés avec plus de précision, et, sans compter les utiles notes de l’habile éditeur, qui a porté dans un travail à l’honneur de son aïeul un soin religieux et une exactitude exemplaire, la narration est éclaircie et complétée par des réflexions où ne manque pas la sagacité politique, où brillent une sincérité et une impartialité bien rares chez un homme qui a vécu au cœur des orages d’une révolution.

Ce qu’il raconte presque exclusivement, c’est l’histoire de son parti. On sait quel était ce parti, si ce nom peut être donné à un petit nombre d’hommes qui ont plutôt pensé qu’agi de même, et qui, plus souvent séparés que réunis, ont avec plus de constance que de succès cherché à servir de lien entre les amis du roi et les amis de la révolution, sans jamais réussir à vaincre ni les dédains des uns, ni la froideur des autres, souvent plus appréciés de ceux qu’ils voulaient désarmer que de ceux qu’ils voulaient servir. J’ai vécu dans ma jeunesse avec des hommes de son temps que Malouet pouvait regarder comme des adversaires, et je n’en ai pas vu qui ne rendissent hommage à son esprit, à son caractère, à son courage.

L’opinion qu’il soutenait et celle que soutenaient ses amis, celle de Mounier, de Lally, de Bergasse, de Clermont-Tonnerre, celle de Kecker et de Montmorin, quoique diverse dans ses nuances et difficile à réduire en système, ne l’est pas à caractériser. Ils étaient royalistes, mais royalistes constitutionnels, et le temps n’est pas assez éloigné où ce titre trouvait faveur dans le public, où la charte de 1814 paraissait capable de satisfaire et de terminer la révolution, à laquelle du moins elle pouvait offrir un long répit et une halte honorable, pour que cette opinion, même timidement conçue, ne recommande pas ceux qui l’ont professée à l’estime des hommes éclairés. La plupart de ceux dont je parle désespérèrent de bonne heure de la révolution ; mais généralement ils désavouèrent ses actes plutôt que ses principes. Forcés d’opter entre le roi et la constitution, ils auraient, je n’en doute guère, opté pour le roi ; mais ils voulaient sincèrement unir l’un et l’autre. Un écrivain judicieux[2] a fait une intéressante histoire du règne de Louis XVI pendant le temps où la révolution pouvait être évitée. Ce thème a été repris récemment dans plus d’un ouvrage distingué. Je n’examine pas quelle en est la valeur ; je dis seulement que ce n’était pas la thèse qu’auraient soutenue Malouet et la plupart de ses amis, du moins en 1789. Antérieurement c’était sans doute la pensée de Necker ; mais cette pensée, eût-elle été fidèlement acceptée par un roi capable de conserver à son ministre la force nécessaire pour l’exécuter, n’aurait abouti qu’à l’abolition des abus, à l’amélioration des lois, à la régularité administrative dans la monarchie, mais point à une constitution, je veux dire à un système d’institutions qui assurent la liberté politique. Or que dit Malouet ? « Le parti populaire… réduisit la question au plus simple terme : Nous voulons la liberté, et à cette parole qui fut bientôt consacrée, des millions de voix répondirent : Nous la voulons. Voilà toute la force, toute la magie de la révolution. Il n’y a pas eu d’autre conjuration. Rien n’a plus d’empire sur la multitude qu’une idée simple et positive, lorsqu’elle répond à ses goûts, à ses besoins : Nous voulons la liberté… Tout le monde, sauf un très petit nombre, ayant voulu la liberté, il avait fallu se ranger de l’un ou de l’autre côté. »

Il importe d’insister sur ce point, car il ne manque pas d’écrivains qui, sans même être payés pour le dire, soutiennent que la liberté doit être rayée de la liste des principes de la révolution, et que nos pères n’ont risqué leur repos, leur fortune, leur vie, leur mémoire, qu’ils ne se sont épuisés en efforts gigantesques, enfin n’ont ébranlé le monde que pour donner à Cambacérès la faculté de découper dans Pothier les articles d’un code civil. On n’oserait citer les imposantes autorités que cette thèse a recrutées dans ces dernières années ; mais ceux qui la défendent ne peuvent compter parmi les leurs les impartiaux ou les feuillants de 1790. Ceux-là ne faisaient pas si bon marché de la liberté.

Les censeurs les plus sévères de Mirabeau (et les plus sévères ne sont que justes) ne l’ont jamais accusé d’avoir fait, même en pensée, le sacrifice de la liberté. Il a pu se tromper en partageant, en exagérant l’idée si générale alors de la fonder avec le concours actif de la royauté ; mais, comme l’a dit heureusement Lafayette, qui n’était pas son ami, pour aucun prix il n’eût soutenu une opinion qui eût détruit la liberté et déshonoré son esprit. Mirabeau et ceux qui, ainsi que Malouet, nous le savons aujourd’hui avec certitude, étaient du parti de son intime pensée ambitionnaient pour leur pays quelque chose comme le gouvernement de l’Angleterre. Lui-même avait écrit en 1784 que c’était pour les autres nations européennes la révolution à laquelle devait tendre la philosophie[3]. C’était donc une révolution ; ce n’était pas une de ces réformes administratives ou financières que dans un moment favorable peut accorder le bon plaisir royal. La constitution britannique était une abdication qu’on ne pouvait obtenir en pleine paix, par le raisonnement et la persuasion, de la monarchie de l’ancien régime. Il y fallait la nécessité. Or en ce genre la nécessité ne se manifeste aux rois que par la force.

Mais du moment que la force entre en scène, dès qu’il s’agit de révolution, les passions grondent et les périls commencent. Certes nul plus que nous n’est convaincu que la révolution française a été perdue par des accidens malheureux, par des fautes qu’on pouvait éviter, par des excès et des violences qu’on devait s’interdire ou réprimer : je ne crois, grâce au ciel, à la nécessité d’aucun crime ; mais un temps d’épreuves, un temps d’efforts et d’angoisses rude à passer : voilà ce qui dans tous les cas devait être forcément affronté. On ne saurait se flatter de passer du pouvoir absolu à la liberté comme d’un palais dans un autre, et, ainsi qu’on l’a dit, c’est un présent dont il faut payer le prix aux dieux.

Nous ne voulons donc ici établir qu’une chose, c’est que ceux même qui de bonne heure ne voulaient que la constitution d’Angleterre ne se promettaient pas, ne pouvaient se promettre d’éviter la révolution.


II

Ne raffinons pas sur le but de la révolution : il s’exprime par deux mots que je lis dans Montesquieu, deux mots que je lis dans Turgot : la liberté et l’égalité. S’il faut en croire quelques beaux esprits, ce sont deux choses à séparer, et la France a fait d’elle-même cette séparation ; elle tient à l’égalité, elle ne tient pas à la liberté. Alors elle aurait eu grand tort de se mettre en frais d’une révolution. Ce n’est point l’égalité, je veux dire les lois civiles et les formes administratives destinées à lui servir de garanties, qui a exigé de si grands et de si cruels efforts ; elle a peu coûté à obtenir, et la royauté n’avait pas besoin d’être beaucoup pressée pour la réaliser d’elle-même. C’est la liberté qui ne pouvait être arrachée que par la force ; c’est elle qui, il y a plus de trois quarts de siècle, comme encore aujourd’hui, demandait aux rois et aux peuples ces vertus généreuses que Dieu ne leur donne guère.

Et à la difficulté d’en être digne s’ajoutait celle d’en bien comprendre les conditions. C’était peu de vouloir être libre, il fallait savoir ce que c’est. Longtemps le premier mouvement des peuples les a portés à chercher leur liberté dans le passé, espérant l’y retrouver comme un bien perdu et la refaire avec des souvenirs. Vaine espérance ! si la liberté politique a été découverte dans les bois de la Germanie, nos aïeux l’y ont laissée. La liberté, en France du moins, n’est point historique. Quelques efforts impuissans, clair-semés dans sept ou huit siècles, pour obtenir quelques garanties toujours refusées, éludées ou abolies, ne suffisaient pas pour constituer à une nation ces droits héréditaires qui lui permettent de rattacher ses progrès à ses traditions, et d’employer le respect du passé aux réformes de l’avenir. Force était donc de chercher les formes mêmes de la liberté dans les exemples de l’étranger ou dans les théories des publicistes ; il fallait qu’elle vînt du dehors ou de la philosophie. Tout le monde sait que le XVIIIe siècle français se crut philosophe par excellence. Il était donc naturel qu’il puisât ses institutions dans les idées plutôt que dans les faits. Le Contrat social de Rousseau et le Phocion de Mably étaient plus familiers aux esprits de nos pères que la constitution britannique. On avait oublié, au point de paraître l’avoir ignoré toujours, qu’il suffisait de passer un bras de mer pour apercevoir un peuple dont l’histoire a prouvé maintes fois qu’il tient la royauté héréditaire pour un moyen de gouvernement dont il dispose ; un peuple qui, pour reconquérir ou venger ses droits, avait plus d’une fois pris les armes ; un peuple qui du père et du fils, tous deux rois, avait immolé l’un et détrôné l’autre pour faire foi de son indépendance ; un peuple qui, ayant demandé la liberté tour à tour à la république et à la monarchie réformée, en avait donné successivement la cause à défendre, d’abord au plus grand de ses poètes, puis au plus grand de ses philosophes[4] ; un peuple enfin qui, sous le règne d’une femme, avait humilié la plus grande monarchie du continent, et, guidé par un orateur éloquent, rivalisé de puissance et de conquête avec le plus grand général du dernier siècle.

Des événemens récens avaient contribué à effacer dans le public des impressions plus vives peut-être dans la première moitié du siècle. L’Angleterre venait d’avoir ce malheur que, les préjugés nationaux se rencontrant d’accord avec ceux de son roi, elle prît dans le conflit avec l’Amérique le rôle de l’oppresseur. Ses adversaires cette fois avaient la liberté de leur côté. Et quelle liberté ? Celle d’un peuple nouveau qui, sur une terre vierge, semblait recommencer la société et attester, en proclamant ses droits sous une forme abstraite, les droits naturels du genre humain. La révolution américaine ressemblait à ces scènes primitives de la société naissante, telles que nous les montraient les théories modernes, jurant le pacte originel sous la voûte du ciel étoile. Par le langage, par les idées, on eût dit la formation d’une cité imaginaire dans la liberté spéculative, et l’élite de la France, guidée par Lafayette, revenait, en montrant ses blessures, témoigner que son sang avait coulé pour une réalité. Ils l’avaient vu de leurs yeux cet idéal de la liberté.

Faut-il donc s’étonner si, de ces deux modèles, le modèle britannique avait perdu quelque chose de son relief et de ses couleurs, et si les élèves de Franklin et de Turgot tournaient leurs yeux vers Philadelphie plutôt que vers Londres ? Sans compter les ressentimens que de terribles guerres avaient laissés dans les cœurs français et une sorte de répugnance patriotique à porter envie à de récens ennemis, tout ce cortège d’abus inévitables, d’impostures autorisées, d’intrigues et de corruptions avouées d’une société vieillie qui se dénonce elle-même à sa propre tribune, cachait aux regards clairvoyans le fond de liberté réelle et de perfectibilité politique que contenait la constitution vivante de l’Angleterre, et un jeune membre de l’assemblée constituante, le vicomte de Noailles, pouvait, avec une naïve assurance, dire après le 14 juillet à l’ambassadeur d’Angleterre : « Savez-vous bien, mylord, que de cette affaire-là votre pays pourrait bien devenir libre aussi ? »

Mais enfin quelques hommes plus judicieux ou plus modestes tenaient un autre langage. Il y avait de bons esprits qui, à défaut d’une expérience nationale, ne répudiaient pas l’expérience étrangère. Ceux-là pensaient dès lors ce que leurs pareils ont pensé vingt-cinq ans après. Ils souhaitaient, ils auraient conseillé de transporter en France la constitution anglaise. Soit, donnons-leur acte de leur sagesse, et plût au ciel qu’elle eût été écoutée ! Mais franchement pouvait-elle l’être ? Eux-mêmes ne pouvaient le croire ; à peine osèrent-ils le dire. Necker, pour l’avoir proposé en termes indirects et vagues, perdit en peu de temps l’oreille du prince et du peuple. Mounier et Lally, pour l’avoir pensé plutôt qu’affirmé, se crurent inutiles au bout de deux mois, et désertèrent la cause sans l’avoir plaidée. Malouet resta à peu près seul, longtemps laissé à lui-même, sans espoir d’être écouté ni consulté, et enfin le plus audacieux des hommes, Mirabeau, dissimulant sa sagesse, feignant et provoquant les passions qui la rendaient impuissante, désavouait à toute heure les sentimens et les principes qu’il aurait voulu inculquer à sa patrie. C’était donc œuvre bien difficile, témérité bien hasardeuse, que d’essayer de convertir les admirateurs de Rousseau et de Franklin, les vainqueurs du 14 juillet, aux idées de Somers et de Burnet, et de ramener la révolution de 89 à la révolution de 88. C’est qu’en effet, outre des préventions patriotiques, de grandes ignorances, mille vanités nationales, on rencontrait encore une objection spécieuse, l’impossibilité tant alléguée d’adapter à une nation les institutions d’une autre. On la rencontre encore, et le temps, au lieu de la vieillir, l’a remise à neuf. Au moment où l’on aurait eu à la combattre, Burke lui-même, la confirmant à sa manière, n’allait-il pas, dans son célèbre ouvrage, présenter la liberté anglaise comme un modèle inimitable, comme un résultat historique qui ne peut pas plus s’emprunter que l’histoire, comme une sorte de noblesse héraldique qu’on ne saurait se donner à volonté, comme des armoiries qu’on n’usurpe pas ?

Mais je veux qu’on pût vaincre ces obstacles (et on ne l’a pas même essayé), il y en a un, il faut bien le savoir, qui était invincible : c’est celui qui força le peuple anglais de rompre avec les Stuarts. Qu’on y réfléchisse ; il s’agit de rajeunir, de dénationaliser une vieille royauté, de faire des héritiers de Louis XIV des successeurs de Guillaume III. Je le demande encore, était-ce possible ? Représentons-nous bien la proposition que ces royalistes si respectueux, si dévoués, auraient eu à porter à Louis XVI, à la reine, à sa famille, à son parti, aux maîtres de ce palais de Versailles où se lit en lettres d’or sur un plafond olympien ces paroles sacrées : Le roi gouverne par lui-même ! Il fallait dire au roi, pourvu qu’on fût sincère et qu’on ne voulût pas le payer d’illusions :

« Nous venons vous offrir un gouvernement où, suivant le premier des écrivains politiques, la république se cache sous la forme de la monarchie[5] ; ce qui veut dire qu’avec ce régime non-seulement vous n’aurez plus la faculté de disposer en maître du trésor public ni de la liberté de vos sujets par l’exil ou la prison, mais les lois ne seront plus l’expression de votre volonté ; vous les recevrez toutes faites de deux assemblées que vous n’aurez pas choisies. Vous aurez, il est vrai, un droit de veto, mais à la condition que vous n’en userez jamais. Aucune de ces deux assemblées ne délibérera à votre commandement, car vous n’aurez pas même l’initiative des lois, et, pour obtenir seulement que votre opinion se produise dans une des chambres, il faudra qu’un de leurs membres se l’approprie et la propose en son nom. « Vous compterez pour cela sur vos ministres ; on vous dira que vous êtes maître de les choisir, mais ce choix sera toujours forcé. Non-seulement vous ne serez pas libre de les prendre dans tel ou tel parti, mais, dans le parti où vous devrez nécessairement les prendre, l’homme que vous devrez désigner pour premier ministre vous sera imposé, et ce sera souvent l’homme qui aura attaqué avec le plus d’éclat et de persistance vos principes, votre conduite et vos amis.

« On vous dira que vous pouvez renvoyer vos ministres, et ce ne sera pas vrai : ce sera l’assemblée élective qui les renverra malgré vous, et, si vous tentez de les éloigner ou de les garder malgré elle, vous serez obligé de la dissoudre ; mais après une lutte laborieuse semée d’ennuis et de dégoûts de toute sorte, si la nouvelle chambre élective persiste, vous serez contraint de lui céder.

« On vous dira encore que vous avez le droit de paix et de guerre, et ce ne sera pas vrai davantage. Vous ne ferez la paix, vous ne ferez la guerre que si l’opinion publique ou tout au moins la chambre qui la représente le veut.

« Et ne croyez pas qu’au moins libre dans votre vie privée, dans votre famille, dans votre cour, vous pourrez vous y dédommager en paix des soucis et des contraintes de votre vie publique ; d’abord vous ne pourrez composer à votre gré tout votre entourage : on exigera de certains choix, de certaines exclusions, et du dehors viendra jusqu’à vous la clameur d’une presse bruyante, épiant, signalant avec scandale vos habitudes, vos paroles, vos actions, vos plaisirs, vos amitiés, et la plume satirique du premier venu vous dénoncera à votre peuple et au monde avec une insolence presque toujours impunie.

« Voilà le gouvernement monarchique, la royauté inviolable que nous venons vous offrir, et, dans le seul pays où elle ait été établie, l’institution a eu pour double sanction le châtiment de deux rois, l’un mort sur l’échafaud, l’autre en exil. »

On ne peut douter de l’accueil qui attendait une telle proposition, si elle eût été faite avant le 14 juillet. Lorsque aucun trouble menaçant n’avait encore éclaté, elle aurait paru l’insulte du délire. Si elle était venue à la suite des agitations révolutionnaires comme un moyen de conjurer de tumultueuses violences, elle aurait été regardée comme une humiliante concession, comme une reconnaissance de la révolution triomphante, et n’aurait pas obtenu au début des troubles même le semblant d’acceptation accordé, après trois années de disgrâce et d’anxiété, à la constitution de 1791. Plus de vingt ans écoulés, après tant d’épreuves et de leçons propres à éclairer l’orgueil et à calmer le ressentiment, le roi Charles X, ce prince affable, si peu fait pour la tyrannie, disait encore qu’il aimerait mieux descendre du trône que d’être roi aux conditions d’un roi d’Angleterre. Et, sans remonter aussi haut, n’est-ce pas là ce même gouvernement parlementaire traité avec tant de dédain par ceux qui, ne pouvant invoquer des droits séculaires, ne doivent regarder la royauté que comme une heureuse aventure ? La France ne s’est-elle pas entendu dire insolemment qu’elle n’en était pas digne, et que, pour oser y aspirer, il fallait absolument descendre des compagnons d’Hengist, de Canut et de Rollon ?

Il faut donc le reconnaître, ceux en bien petit nombre qui auraient voulu que la constitution empruntât davantage à l’expérience et à l’histoire n’étaient en mesure de faire accepter leurs conseils ni sans la révolution, ni à la révolution. Ils le sentaient si bien que leur première idée fut de se retirer ; quelques-uns l’exécutèrent. Aucun ne fît dans les premières années un effort direct, suivi et concerté pour faire prévaloir une opinion qui avait besoin, pour triompher, de devenir momentanément absolutiste ou révolutionnaire. Ils n’ont tenté sérieusement quelque chose qu’au mois de janvier 1791, au moment où, par une illusion assez naturelle, on mit un reste d’espérance dans l’intervention de Mirabeau. Encore est-il probable qu’en traitant avec lui la cour songeait plutôt à l’annuler qu’à l’écouter ; on tenait plus à sa complaisance qu’à ses conseils. Jusque-là comme après sa mort, le projet des partisans d’une monarchie à l’anglaise, moins différent au fond et pratiquement qu’il ne le paraît de celui des constitutionnels de 91, aurait eu besoin du concours actif et sincère de ceux que les uns comme les autres auraient voulu sauver. À cette condition seulement, les premiers pouvaient négocier avec les seconds ; à cette unique condition, ils pouvaient essayer de désarmer, de rassurer ceux dont ils redoutaient la défiance et l’inimitié. Or cette condition vitale, impossible de la remplir ; ils ne disposaient ni du côté droit de l’assemblée, ni de ce qui restait de la cour. Malouet compte avec dépit le peu de voix qu’il pouvait apporter avec lui à la coalition des hommes modérés. Il était condamné à faire les affaires du roi sans les royalistes. Et le roi lui-même, Malouet en pouvait-il répondre ? Tout ce qu’il en peut dire, le voici : « Toutes mes espérances se fondaient sur l’opinion que j’avais du roi et de ses ministres, qui ne prétendaient point au despotisme ; ils n’auraient su qu’en faire, s’ils avaient pu y atteindre. » Sérieusement est-ce sur la foi de cette opinion négative et quelque peu méprisante qu’il aurait pu dire aux constitutionnels : « Je me porte la caution du roi ? » Suffit-il qu’un roi qui, jadis absolu, ne s’est jamais pris pour un despote ne prétende pas à le devenir, pour qu’il soit prêt à subir la liberté ? Un seul instant Malouet et ses amis ont-ils pu se flatter que le roi fût avec une conviction sincère, éclairée, ferme, du même avis qu’eux ? Un seul instant ont-ils pu douter qu’il ne prêtât aussi facilement l’oreille à toute proposition spécieuse de le faire rentrer dans la plénitude de sa souveraineté ? Un seul instant ont-ils pu s’assurer que les armes qu’ils pourraient lui fournir ne seraient jamais tournées contre eux ? Ils voulaient une monarchie constitutionnelle, et il ne leur manquait qu’une chose, un monarque constitutionnel.

Le malheur et la mort ont sanctifié Louis XVI, ou plutôt il a lui-même rehaussé ses malheurs et consacré sa mort par de hautes et touchantes vertus ; mais sa conduite comme roi ne peut être absoute par l’histoire. Avec ses croyances, ses scrupules, ses principes, il n’aurait dû opposer aux sommations de la révolution qu’une résistance à outrance, ou si, découragé par l’inutilité d’un tel effort, il voulait interroger sa conscience, il devait reconnaître ce que disent de lui ses plus zélés panégyristes, qu’il avait toutes les vertus de l’homme privé, — et alors il lui restait un recours assuré, c’était la vie privée. L’abdication était le moyen certain d’accorder sa conscience et sa conduite. Il ne paraît pas que l’infortuné y ait un moment pensé. Sa famille et sa patrie y auraient gagné de grands malheurs et de grands crimes de moins. Pour cela, il aurait fallu ne se croire qu’un homme. Le préjugé qu’on peut appeler le préjugé de roi n’est pas le moins dangereux de tous. C’est lui qui, perpétué par la triste éducation donnée depuis cent ans aux princes de sa maison, persuada au scrupuleux Louis XVI que l’honneur de sa race l’obligeait à violer la loi sociale par des intelligences secrètes avec l’étranger, la loi morale par la dissimulation et le mensonge. On peut ne pas appeler ces deux actions d’un nom sévère ; mais à coup sûr elles ne sont pas de la vertu.

Ainsi le caractère et la conduite du roi réduisaient tous les honnêtes gens qui voulaient concilier la dynastie et la liberté, la monarchie et la révolution, à se persuader, malgré l’évidence, que cette conciliation était facile, à s’en faire à eux-mêmes l’illusion, à l’imposer aux autres. D’abord Malouet et Lally, puis Lafayette et Larochefoucauld, puis Mirabeau et Talleyrand, puis Lameth et Barnave ont été poussés à prendre pour base d’opération, dans la plus périlleuse des entreprises, une hypothèse à laquelle ils ne pouvaient croire, et à prétendre dompter une révolution formidable à l’aide d’une fiction constitutionnelle, quand la constitution n’existait pas, et dont l’artifice, difficile à maintenir même alors qu’elle eût existé, n’était accepté ni du roi ni du peuple.

M. de Lafayette a expliqué avec autant de netteté que de franchise, dans un morceau sur la Démocratie royale[6], la combinaison subtile sur laquelle reposait la politique compliquée des constitutionnels comme lui. Je le cite parce que nul n’a été obligé de la mettre en pratique avec plus de suite, plus de difficultés, plus de dévoûment que lui, et nulle part on n’aperçoit mieux que dans ses écrits sur quelle zone étroite et mouvante étaient obligés de marcher les grands citoyens de 89 entre les deux abîmes qu’ils voyaient ouverts sous leurs pas. Et le plus triste, c’est que cette hasardeuse conduite était forcée, la seule raisonnée, la seule possible, du moment que l’on voulait la liberté sans avoir la volonté ni la puissance de créer un roi ou une république. On ne pouvait que choisir entre ces deux partis, tâcher, comme Lafayette, de persuader aux Tuileries par l’argument de la nécessité qu’il fallait accepter et vouloir la révolution, et de persuader au peuple qu’on y avait réussi, ou, comme Mirabeau, tenter d’opérer une conviction analogue par l’argument du machiavélisme, et dissimuler ce secret malheureux par l’hypocrisie révolutionnaire ; — dans un cas, faire violence sans l’avouer à la royauté et l’amener à la révolution par la crainte de la révolution même ; — dans l’autre, l’associer à un ténébreux complot et obtenir d’elle quelques sacrifices à la révolution en échange du plaisir d’humilier ses auteurs. Je ne sais lequel de ces deux plans la royauté aurait pu trouver le plus honorable ; mais je crains fort qu’ils ne fussent tous deux chimériques, et le plus chimérique était, je crois, le plus odieux.

Qui peut ne pas admirer Mirabeau ? qui peut même se défendre d’une certaine sympathie pour je ne sais quelle élévation mêlée à ses bassesses, pour je ne sais quelle grâce que le cynisme même ne peut effacer ? Il est généreux, perfide, grossier, charmant ; il effraie, il dégoûte, il séduit. L’affectation n’a pas détruit en lui le naturel ; l’artifice lui a laissé tout le feu de la passion ; ses petitesses ont respecté sa grandeur. Dès qu’on le voit paraître sur la scène de l’histoire, il semble seul entre tous avoir eu le génie de la politique. On s’efforce d’oublier les misères de sa vie passée, comme on voudrait croire qu’il les a lui-même oubliées pour jamais, et qu’enfin remis à sa place, sentant son âme grandir avec sa fortune, il apporte un homme nouveau à des destinées nouvelles. Malheureusement M. de Lamarck ne nous a pas permis de conserver cette illusion. Les souillures de l’écrivain mercenaire se retrouvaient dans le cœur de l’homme d’état. Chose plus étrange encore peut-être, les misérables paradoxes du déclamateur médiocre se font jour encore dans l’esprit de l’orateur politique. Je n’ai jamais pu partager l’admiration qu’inspirent à quelques-uns les subtils et pervers conseils que Mirabeau vendait avec tant de solennité à Louis XVI, à la reine, plus heureuse encore de l’avilir que de le gagner. On croirait par momens lire les rêveries d’un littérateur subalterne qui n’a pas pratiqué les hommes, et qui croit que, pour vaincre les passions, la corruption suffit. Comment se figure-t-il, lui, le génie de 89 personnifié, qu’on puisse acheter la révolution française ? Comment lui, cet observateur si clairvoyant de la nature humaine, peut-il se flatter de convaincre la timide honnêteté de Louis XVI, de soumettre la fierté de Marie-Antoinette, et de se rendre maître de leur esprit au point de les entraîner sous sa conduite au milieu des plus grands périls ? Le cardinal de Retz était moins insensé de croire qu’il séduirait Anne d’Autriche. En vérité, on serait tenté quelquefois de supposer que Mirabeau s’inquiétait peu de la royauté et de la révolution, et ne songeait plus qu’à gagner son salaire.

Mais qu’on essayât de rallier la cour à une politique loyalement constitutionnelle comme Lafayette ou tortueusement libérale comme Mirabeau, l’effort devait échouer également. C’était une lutte engagée de part et d’autre par la défiance, et qui ne devait qu’accroître encore, irriter encore la défiance. En cachant celle que provoquaient les préjugés de la cour et ceux du peuple, on ne faisait qu’aliéner davantage ceux qu’on ne persuadait pas, et les ressentimens s’aigrissaient des deux côtés. Les conciliateurs de toute nuance, les modérateurs de toute origine, compromis par les espérances qu’ils avaient feint de concevoir, soupçonnés pour une sécurité qu’ils n’avaient pas, virent s’éloigner d’eux le peuple révolutionnaire, et le parti de 89 se fendit en deux fractions séparées par un abîme bientôt rempli de sang jusqu’au bord.

Il ne faut jamais excuser le mal, mais on peut l’expliquer. Je crois donc, avec un éloquent et courageux écrivain, que la source première de tout ce qui a égaré et souillé la révolution française, c’est la défiance, une défiance profonde, opiniâtre, implacable. La royauté ne croyait voir dans les auteurs de la révolution que des traîtres ; pour le peuple, la trahison se cachait aux Tuileries. Et disons-le avec douleur, d’un côté la défiance était naturelle, de l’autre elle était fondée. Assurément, lorsque l’immense majorité des constituans protestait qu’ils voulaient la royauté et le roi, ils disaient plus vrai que le malheureux prince en prononçant sa déclaration du 18 avril 1791 ou en faisant écrire la dépêche du 23 ; mais lui ne pouvait les croire, eux ne pouvaient le dénoncer. De là une situation d’une fausseté irrémédiable. Là est le mal, le mal mortel. On le cherche dans les institutions, on s’en prend à la constitution de 1791. Si la constitution a désarmé le pouvoir royal, la cause en est la défiance qu’il inspirait. En temps de révolution, on est d’ailleurs trop porté à exagérer l’importance des mesures législatives. Si la royauté a subi les derniers outrages, les dernières violences, ce n’est pas la faute des lois : elle ne manquait pas des moyens de repousser l’agression et de la vaincre. Elle manquait de la puissance d’user de ces moyens. Elle ne la trouvait ni en elle-même, ni autour d’elle. En elle-même et autour d’elle, elle ne trouvait que la défiance, et ce sentiment, la constitution l’exprimait et ne le créait pas.

Rien de plus évident : le pouvoir exécutif était trop faible. La constitution l’avait fait à la fois trop faible et trop indépendant. Avec les idées de Malouet, de Mirabeau, l’assemblée l’aurait fait plus fort et plus dépendant ; elle aurait attiré le gouvernement à elle. Aurait-elle par là réconcilié la royauté et ses entours avec la révolution ? On en peut douter. Rien n’est indomptable comme les préjugés qu’on regarde comme des devoirs. Ils sont sous la double garde de l’orgueil et de la conscience. Comment supposer qu’on pût sans danger rendre au côté droit une ombre d’appui, lui donner une part d’influence, lorsqu’un de ses plus graves écrivains imprimait deux ans plus tard que M. Malouet méritait d’être pendu ? Et voici quelque chose de mieux. Vingt ans se passent, et l’empereur Napoléon, que Malouet servait avec fidélité, lui reproche gravement d’avoir coopéré à la ruine de l’ancienne monarchie[7].

« La démocratie et toutes ses fureurs, dit Malouet, sont nées des prétentions irritantes de l’aristocratie. » La vérité me force d’ajouter : et des préjugés de la royauté, ce qui n’excuse en rien les fureurs de la démocratie. La défiance a envenimé tous les cœurs, et dans ceux où les passions dominent, elle a déchaîné la haine et la peur. La peur s’est servie de la haine pour se défendre ; la haine s’est servie de la peur pour se venger. Voilà la source de tous les crimes politiques ; puis, comme ces sortes de crimes ont ce caractère d’avoir besoin plus que tous les autres d’hypocrisie, on a inventé après coup une raison d’état pour les motiver. Cela s’est vu dans tous les temps.

C’est torturer l’histoire et la morale que d’essayer une apologie de la terreur. Il n’y a pas de sophisme, il n’y a pas de mensonge qui puisse prévaloir contre la conscience de l’humanité. Les livres odieux où l’on essaie de défendre ce qui défie toute défense ressemblent à ces peintures du Vatican que des papes ont commandées en l’honneur de la Saint-Barthélémy. C’est l’art qui se pervertit au service du crime. La terreur est pour la révolution française la tache de sang que lady Macbeth ne peut effacer ; du moins ne rendons jamais le présent complice du passé. Souvenons-nous d’un noble exemple. Nous avons tous vu une révolution téméraire qui, née dans un orage, pouvait réveiller de funestes passions. Qu’a-t-elle fait ? Dès le premier jour, elle a aboli le serment et la peine de mort. Elle a donné ainsi une sauvegarde à l’honneur et à l’humanité. Les républicains qui ont fait cela, la peur et la haine ne les inspiraient pas.


III

Ainsi les fautes des partis ne sont pas éternelles, et il dépend toujours des hommes de s’éclairer et de dominer leurs passions par leurs lumières. Les difficultés sous le poids desquelles a succombé la vaillante sagesse de nos pères viennent d’être relevées et mises tellement dans leur jour, qu’on pourra les supposer équivalentes à des impossibilités. Cela paraît ainsi, lorsqu’à une certaine distance des événemens on n’observe que les situations générales qui ont abouti à un désastre. Les causes qui l’ont produit paraissent de loin irrésistibles. On ne raisonne que sur les événemens donnés, et les causes générales, en étant données également, paraissent amenées par la fatalité, puisqu’un lien nécessaire unit la cause à l’effet ; mais les causes générales ne font pas tout en ce monde. La critique historique du temps est portée à ne voir qu’elles. Elle a tort et s’expose ainsi à bien des erreurs quand elle raconte le passé. Elle en commettrait de plus graves encore, si elle venait à diriger seule les hommes dans l’action. Outre les causes générales, il y a des causes secondes, des causes accidentelles et particulières, les unes fortuites, les autres volontaires. Les écrivains et les politiques d’autrefois faisaient le plus grand cas de la fortune. Ils exagéraient sa part, qu’on a tort aujourd’hui de réduire à rien. Il serait facile, dans le détail, de montrer que la révolution française a eu du malheur. Le malheur en ce sens vient du hasard, c’est-à-dire de causes qui ne sont point de l’ordre des causes politiques. Ces causes sont souvent des causes libres. La détermination d’un individu peut rarement être humainement prévue, du moins avec certitude, et, quand elle a été prise, elle paraît fatale comme tout fait accompli, qui n’est fatal qu’en ce sens qu’il est irrévocable ; mais la vérité est que chacun a agi librement, quoiqu’il ait agi en vertu des vues de son esprit et des inclinations de son cœur, en partie déterminées par les antécédens de sa vie. Quel que soit l’empire de ces circonstances, on doit tenir toute résolution pour libre, puisque personne ne saurait démontrer qu’elle n’aurait pas pu être autre qu’elle a été. C’est là ce qu’il ne faut pas oublier quand on juge l’histoire, et encore moins quand on agit pour l’histoire. On doit résister à la tentation facile de se croire à aucun degré responsable des événemens. On n’est jamais plus porté à le faire qu’en temps de révolution, et je crois au contraire que c’est en temps de révolution, alors que les règles et les coutumes, dignes ordinaires de l’action, sont emportées, que l’intelligence et la volonté des individus exerceraient le plus d’influence et modifieraient le plus puissamment les faits, si les hommes ne choisissaient d’ordinaire ce moment pour abdiquer devant la force des choses. Comme nous le disions en commençant, toutes les doctrines de fatalisme ne laissent de liberté qu’aux passionnés et aux audacieux.

Il faudrait suivre pied à pied la révolution française pour appliquer ces idées à son histoire. Il faudrait l’étudier homme par homme, événement par événement, pour essayer de déterminer quelle a été la part dans chaque résultat des accidens ou des fautes, et, même avec cette étude sérieusement faite, le jugement serait bien hardi à prononcer. Toutefois ceux de mon âge ont vu six révolutions, une en 1814, deux en 1815, une en 1830, une en 1848, une en 1851. Il n’en est aucune qui n’ait eu des causes générales, aucune dont on ne prouvât qu’elle pouvait être évitée. Pourquoi n’en serait-il pas de même des crises de la première période de la révolution française ?

Bornons-nous à l’idée pratique qui ressort de ces considérations. Le but politique de la révolution française a été manqué. Ce but, c’était la fondation d’un gouvernement de liberté, le seul qui fût digne de la société nouvelle pour qui s’accomplissait la révolution, car cette société, il n’est pas vrai que ce soit la révolution qui l’a faite. Elle l’a servie, mais elle l’a trouvée telle que le temps l’avait produite. Les siècles, qui avaient tant fait pour la société, n’avaient rien fait pour le gouvernement. L’ordre social, la révolution n’avait presque qu’à le proclamer ; l’ordre politique était à créer. La question reste donc posée : quel devait être cet ordre politique ? Quel était le gouvernement — but de la révolution ? Que les marques de la honte soient gravées sur le front de quiconque sépare la révolution française de la liberté. Si elle n’a pas eu la liberté pour but, si ce but, elle ne l’atteint pas, c’est la plus criminelle des folies, la plus stérile des aventures. Qu’a-t-elle donné à la France, hors de la liberté politique, que la France ne pût obtenir sans elle ? Il suffisait que la monarchie administrative de Louis XIV fît un pas de plus.

C’est donc de la liberté politique qu’il s’agit. On ne lui connaît que deux formes, la monarchie parlementaire et la république. La différence pourrait bien ne pas avoir au fond toute l’importance qu’elle a dans l’opinion. On a vu que Montesquieu regarde la première comme une forme de la république. C’est le régime qu’on appelle aussi le self-government, et cette expression a souvent été traduite par « la société gouvernée par elle-même. » Or qu’y a-t-il dans ces expressions qui ne définisse dans son essence la république ? Ce ne sera pas sortir des faits que de dire : L’élément républicain domine, il y a essentiellement république partout où la presse et les élections étant libres, une assemblée élective exerce le pouvoir prépondérant, décisif, définitif. Maintenant cette institution fondamentale laisse en dehors un problème non encore résolu, et qui ne peut l’être absolument de la même manière en tout lieu et en tout temps, celui de la constitution du pouvoir exécutif. Dans les grands états de l’Europe, où généralement la monarchie préexiste à toute réforme constitutionnelle, il est assez simple, quoique pratiquement fort difficile, de vouloir conserver un pouvoir tout fait, consacré par la puissance de l’habitude, et, au lieu de rechercher en dehors de l’expérience une combinaison neuve et douteuse, il semble sage de se contenter d’un système où il n’y a qu’un seul homme à persuader pour que l’œuvre soit achevée. Et certainement là où les préjugés dynastiques, ceux d’une cour, ceux même du peuple, ne créent pas d’invincibles obstacles, cet arrangement est préférable. La prudence se déclare volontiers pour le connu contre l’inconnu, il paraîtra toujours plus sûr de ne pas renouveler tout à la fois ; mais il ne cesse pas d’être vrai qu’en général une constitution libre peut s’accommoder d’organisations fort diverses du pouvoir exécutif. Soit pour réduire le changement à ses moindres termes, soit dans une vue de stabilité plus grande, on peut établir une première magistrature héréditaire. C’est emprunter à la monarchie l’institution qui la caractérise spécialement, et la république ainsi constituée, si l’on y ajoute l’inviolabilité du roi et la responsabilité de ses ministres, est celle qu’on a nommée monarchie constitutionnelle ou parlementaire. Supposé que la puissance exécutrice fût décernée seulement à vie, ce serait une combinaison de la monarchie élective et de la république.

Puis le dépositaire de l’autorité peut ne l’avoir reçue qu’à temps, comme le président des États-Unis. Enfin elle peut être confiée à plusieurs, à une commission, à un directoire, et alors jusqu’à la dernière trace de monarchie est effacée : c’est la république pure. De même elle est moins ou plus complète suivant que le pouvoir d’action exercé par un individu ou collectivement est délégué par le « choix du peuple ou par celui de l’assemblée. Plus indépendant dans le premier cas, plus contrôlé et plus responsable dans le second, il est, suivant les lieux et les temps, plus ou moins propre à remplir son office. On remarquera que, sauf les apparences, la nomination par l’assemblée se rapproche, en fait de mode de désignation, du principal ministre dans le régime parlementaire. C’est encore une preuve que la liberté politique, essence de la république, peut se trouver bien de certaines garanties imitées de la monarchie ; mais gardons-nous d’une confiance illimitée dans ces combinaisons du législateur : elles ne valent qu’autant qu’elles sont acceptées et respectées par les individus et les masses. Le vrai rempart de la liberté est dans les cœurs. Sachons bien que, toutes choses égales d’ailleurs, la liberté politique n’est pas plus immuablement garantie contre l’ambition et la faiblesse des hommes par une forme que par une autre. Tout ici dépend des caractères, des opinions, des mœurs. On n’a pas vu que les simples particuliers aient été moins sujets que les personnes de sang royal à usurper sur la république. Cromwell lui-même, Cromwell a rêvé un moment d’être roi. En France, ces sortes de choses sont domestica facta.

Un publiciste, qui dès ses premiers écrits s’est placé au premier rang et qui unit au don de bien penser l’art de bien dire, a parfaitement traité en vue de notre pays la plupart des questions qui intéressent la liberté politique[8]. Nous voudrions nous en tenir à la question générale que, depuis l’assemblée constituante, l’histoire a résolue pour nous de tant de façons diverses. On vient de voir que, si l’on considère la liberté politique comme l’essentiel, l’organisation du pouvoir exécutif, très importante dans la pratique, ne l’est pas autant en principe, et que, même dans la pratique, la forme qu’on lui donne n’est pas une garantie aussi efficace qu’on l’imagine dans le sens de l’ordre ou de la liberté. La forme monarchique n’a pas empêché les révolutions ; la forme républicaine n’a pas préservé des usurpations.

Est-il donc nécessaire de relire notre histoire ? Il est certain que, pour l’opinion générale, monarchie est synonyme de gouvernement. Dix siècles ont inculqué à la nation française cet amour de l’unité qui l’attache à l’unité du chef et à la centralisation du pouvoir. Méconnaître ou violenter cette croyance, cette habitude, ce préjugé si l’on veut, ce serait s’exposer à de grandes fautes. Cependant rappelons-nous les faits. La royauté héréditaire frappe surtout les esprits par un caractère de force et de stabilité. C’est ce caractère qui l’a fait presque constamment conserver ou rétablir depuis la révolution française. Cependant Louis XVI, Napoléon, Charles X, enfin notre dernier roi ont eu pour héritier présomptif un enfant qui n’a point régné. La monarchie, mise en coupe réglée par les révolutions, est devenue en France quelque chose comme une monarchie élective. Quelle est l’objection des publicistes contre la monarchie élective ? Que chaque changement de règne amène des troubles et ressemble à une révolution ; nous avons eu les changemens de règne et les révolutions avec la monarchie héréditaire. Nous aurions écrit dans nos constitutions qu’elle était élective que nous n’aurions fait que prophétiser notre histoire.

On ne saurait donc le nier, la monarchie paraît avoir perdu un de ses avantages, la stabilité, et ce n’est pas uniquement sur le sol ébranlé de la France qu’elle a chancelé. Seulement depuis la révolution de février, quatre couronnes royales sont tombées, des princes régnans équivalant à des rois ont perdu leurs états, et, l’esprit de révolution a contribué à toutes ces chutes. Ailleurs le trône ne s’est conservé que grâce à des abdications opportunes imposées par la difficulté des temps et la menace des événemens. Malgré toutes les forces et toutes les raisons qui protègent encore la monarchie, elle traverse donc une crise qu’elle voudrait ignorer en vain ; elle n’en peut heureusement sortir que par une transformation. Il faut qu’elle renonce à sa plus chère prétention, à l’immobilité : elle n’est plus une religion. Si l’on osait donner un conseil aux dynasties qui règnent ou qui régneront, on pourrait leur dire : « Vous n’êtes plus ces races privilégiées en qui s’incarne un droit divin ; soyez des familles de stathouders à la disposition des peuples. Les souvenirs attachés à ce titre ne vous interdisent aucune légitime gloire, et votre orgueil ne peut que grandir à le mériter. »

Mais toutes les âmes ne sont pas faites pour la vraie grandeur, tous les esprits ne sont pas faits pour la comprendre. C’est cependant un beau rôle que celui de protecteur véritable de la liberté publique. Il peut être doux de se dire : « Le sort m’a fait naître dans l’ère des révolutions ; mais je ne suis pas de ceux qu’elles menacent, je suis de ceux qu’elles appellent, et je ne puis avoir mon jour que si la liberté a le sien. »

Notre conclusion, c’est que l’histoire contemporaine bien étudiée doit enseigner aux amis de la monarchie à quelles conditions ils peuvent associer intimement leurs idées d’unité et de perpétuité avec les institutions nécessaires aux sociétés modernes, et aux amis de la république que lorsqu’ils s’obstinent à faire de l’abolition du pouvoir d’un seul, même si ce pouvoir n’est plus qu’une fonction, la première condition de la liberté, ils sacrifient le principal à l’accessoire, l’essentiel à l’accident, la réalité à l’ombre. Qu’ils retiennent fortement, s’ils le peuvent, les garanties nécessaires de la liberté politique, car là est la république effective, et des trois ou quatre manières de constituer le pouvoir exécutif, toutes, y compris le parlementarisme, pourront avoir leur moment. L’avenir peut-être les essaiera toutes, mais on peut dès à présent affirmer que le règne de Léopold Ier a tenu à la Belgique tout ce que la république promet.


Il est difficile qu’on ait lu les pages précédentes sans se reporter aux circonstances au milieu desquelles elles se publient, sans faire l’application des idées qui viennent d’être exprimées à la situation nouvelle de notre France. Pour elle vient de renaître la grande, l’éternelle question qui s’est posée en 89, celle qu’avaient espéré résoudre les Lafayette et les Mirabeau, et que leurs arrière-neveux agitent encore avec anxiété : « La France sera-t-elle libre ? »

Toute l’expérience de plus des trois quarts d’un siècle semble n’avoir servi qu’à manifester la difficulté du problème, et les revers de deux ou trois générations successives dans la plus noble des entreprises ont pu frapper les plus fermes esprits d’une consciencieuse intimidation, — crainte salutaire, si, au lieu d’engendrer le doute sur d’immortelles vérités, elle ne fait qu’inspirer une juste idée de la grandeur de l’œuvre si tristement commencée, et du courage qu’il faut pour l’achever ; car, on n’en saurait douter, le moment est venu de la reprendre ; tout annonce qu’un jour nouveau s’est levé.

Les vents agitent l’air d’heureux frémissemens.
La rive au loin gémit, blanchissante d’écume,


et la révolution française s’est réveillée d’un trop long sommeil.

On osait à peine l’espérer lorsqu’il y a près d’un an cet essai a été écrit, et je n’y change rien en le relisant sur l’épreuve. Il me semble qu’on y verra mieux quel grand changement s’est opéré parmi nous. L’an passé, quelle que fût notre foi obstinée dans l’avenir, nous ne pouvions en écrivant fermer les yeux sur le présent, ignorer que les principes de la liberté politique, méconnus par les lois, étaient reniés dans le monde officiel, et que tout exemple emprunté aux institutions anglaises, américaines ou belges, était rejeté avec un dédain superbe par les organes du pouvoir. Une loi singulièrement ingénue avait gravé sur la porte de l’édifice constitutionnel l’inscription de Dante : « Entrez et laissez là toute espérance. » Et voilà que ce qu’il était interdit de discuter est dénoncé d’une part, et de l’autre abandonné comme un ancien régime. Il a suffi que la France fît un mouvement, qu’une partie seulement de la représentation nationale élevât la voix, pour qu’avec une promptitude louable le pouvoir, unique souverain jusqu’ici, cédât au vœu public, et donnât le signal d’une réforme à la fois nécessaire et inattendue. Ce n’est qu’un signal en effet ; mais il sera suivi de la réalité, ou nous serions indignes de ce retour de fortune. Les théories du césarisme administratif et du gouvernement personnel ne se retrouvent plus que dans les vaines plaintes des pleureurs du pouvoir absolu, et les saines doctrines libérales sont remises en honneur jusque dans les rangs de leurs récens adversaires. On nous promet un nouvel empire. C’est donc en réalité le problème fondamental de la révolution française qui nous est encore une fois donné à résoudre. Nos jeunes contemporains seront-ils plus heureux que leurs pères ? La sagesse et la fermeté leur seront-elles départies dans les proportions nécessaires au succès ? Dans la région du pouvoir, est-ce à des Mirabeau ou à des Malouet que sera confiée la tâche de faire triompher la politique qui ne fut jamais pratiquée parmi nous, celle des réformes sans révolution ? L’expérience, qui l’a couronnée chez nos voisins, n’a fait pour elle en France que condamner invariablement la politique contraire. L’épreuve est donc nouvelle, et la meilleure inspiration peut, surtout quand elle est tardive, échouer dans l’exécution, si elle n’est suivie avec une habileté constante, avec courage, avec franchise. Il ne suffit pas de jeter en avant quelques paroles de bonne espérance, de faire décréter quelques principes, et puis de se croiser les bras comme si tout était terminé. Il faut des faits qui répondent aux promesses, une conduite qui se conforme aux idées, des hommes enfin qui acceptent et réalisent résolument toutes les conséquences d’un programme qui ne doit pas rester une lettre morte, si l’on veut accomplir ce grand et difficile ouvrage, la stabilité dans la liberté.


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Mémoires de Malouet, publiés par son petit-fils le baron Malouet, 1 volumes ; Paris, 1868.
  2. M. Droz.
  3. Lettre à Chamfort, l. XIV.
  4. Hilton et Locke.
  5. Esprit des Lois, l. V, XIX.
  6. Mémoires, t. III, p. 191.
  7. Lettre au ministre de la marine du 3 octobre, Correspondance, t. XIV.
  8. M. Prévost-Paradol.