Le Cœur de pierre (Aimard)/15

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Roy & Geffroy (p. 307-315).


XV

UN MOIS APRÈS


Il était environ quatre heures du soir, les rayons du soleil, de plus en plus obliques, allongeaient démesurément l’ombre des arbres. Les oiseaux regagnaient à tire-d’ailes leurs gîtes de nuit et se blottissaient à qui mieux mieux sous la feuillée avec des cris et des piaillements assourdissants ; quelques troupes de loups rouges commençaient à apparaître au loin, prenant le vent, et préparant leur chasse nocturne ; au-dessus des grandes herbes on voyait çà et là surgir les hautes ramures des elkes et des chevreuils, qui soudain rejetaient leur tête en arrière et se remettaient à fuir avec une rapidité vertigineuse ; le soleil, presque au niveau de la ligne d’horizon, n’apparaissait plus entre les troncs des arbres que sous la forme d’un énorme globe de feu.

Tout annonçait l’approche rapide de la nuit.

Dans une forêt vierge éloignée de deux cents milles environ du présidio de San-Lucar, où se sont passés les derniers et terribles épisodes de notre histoire, au centre d’une vaste clairière, deux hommes recouverts du costume des gambucinos mexicains étaient assis sur des crânes de bisons desséchés, devant un feu clair qui ne produisait aucune fumée.

Ces deux hommes étaient don Estevan Diaz, le mayordomo de don Pedro de Luna, et Luciano Pedralva, le capataz. Le fusil appuyé sur la cuisse, afin probablement de pouvoir s’en servir à la première alerte, ils fumaient leurs pajillos de paille de maïs sans échanger une parole.

Plusieurs peones et arrieros étaient couchés à quelques pas de là, auprès de plusieurs mules de charge qui mangeaient à pleine bouche la ration de blé indien placée sur des mantas étendues devant elles sur le sol ; huit ou dix chevaux étaient entravés à l’amble, non loin d’un jacal en branchages devant l’entrée duquel, en guise de porte, était attaché un zarapé. Un peon immobile sur le bord d’un étroit ruisseau qui coulait à l’extrémité de la clairière veillait, le fusil sur l’épaule, à la sûreté commune.

Il était facile de reconnaître, aux débris de toute sorte qui jonchaient le sol, dont l’herbe avait entièrement disparu, et aux quartiers de venaison pendus aux basses branches d’un mahogany, que le campement que nous avons décrit n’était pas une de ces haltes provisoires que les coureurs de bois choisissent pour une nuit, et qu’ils abandonnent au lever du soleil, mais bien un de ces campements sérieux comme les chasseurs en établissent souvent dans les prairies pour leur servir de lieu de rendez-vous pendant la saison du trappage.

Le zarapé fut soulevé de l’intérieur du jacal, et don Pedro parut.

Ses traits étaient pâles, son visage triste et pensif ; il jeta autour de lui un regard investigateur, et s’approchant des deux hommes :

— Eh bien ? leur demanda-t-il avec inquiétude.

— Rien encore, répondit Estevan.

— Cette absence est incompréhensible, jamais jusqu’à présent don Fernando n’était demeuré aussi longtemps dehors, reprit don Pedro avec agitation.

— C’est vrai, depuis bientôt trente heures il nous a quittés, fit le capataz : pourvu qu’il ne lui soit pas arrivé malheur !

— Non, dit Estevan, don Fernando connaît trop bien le désert, il l’a parcouru trop longtemps pour qu’une pareille éventualité soit possible.

— Songez où nous sommes, objeta don Pedro : cette contrée presque inexplorée est infestée des plus dangereux serpents, les bêtes fauves y pullulent.

— Qu’importe, don Pedro ? répondit Estevan avec force. Vous oubliez que don Fernando et le Cœur-de-Pierre sont le même homme ; que la région où nous sommes est celle où s’est écoulée la plus grande partie de sa vie ; que c’est là que pendant de longues années il a chassé l’abeille et récolté la cascarilla ! Non, vous dis-je, notre ami n’a été victime d’aucun accident.

— Mais alors expliquez-moi la cause de cette absence incompréhensible.

— Vous savez, don Pedro, avec quelle abnégation notre ami nous a offert son concours lorsque, désespérés de la subite disparition de doña Hermosa, fous de douleur et réduits à l’impuissance, nous ne savions quel moyen employer pour retrouver celle que nous avons perdue ; du présidio jusqu’ici, nous sommes venus guidés par une piste invisible à nos yeux, mais que ceux de don Fernando, accoutumés à lire dans les pages sublimes du désert, distinguaient avec une facilité et une exactitude singulières. Arrivés ici, la piste a subitement disparu sans qu’il fût possible, après les recherches les plus minutieuses et les efforts les plus opiniâtres, de la retrouver. Depuis huit jours nous sommes campés ici. Chaque matin avant le lever du soleil, don Fernando, que les obstacles semblent plutôt exciter que rebuter, monte à cheval et recommence une recherche demeurée jusqu’à présent infructueuse. Hier, selon son habitude, il nous a quittés un peu avant le lever du soleil : eh bien ! qui sait si la cause de cette longue absence qui vous inquiète n’est pas la réapparition, à un point peut-être fort éloigné de l’endroit où nous sommes, de ces traces si longtemps et si vainement cherchées ?

— Dieu le veuille, mon ami ! cette pensée que vous émettez en ce moment m’est venue aussi à moi, mais quelle apparence que cela soit possible, après toutes les infructueuses tentatives que nous avons faites !

— Vous oubliez, don Pedro, que nous avons affaire à des Indiens Apaches, c’est-à-dire aux plus rusés pillards des prairies, à ceux qui savent le mieux dissimuler leur traces.

— Eh ! dit le capataz en leur faisant signe de prêter l’oreille, j’entends les pas d’un cheval.

— En effet, s’écria don Pedro avec un mouvement de joie.

— Oui, fit don Estevan, moi aussi j’entends du bruit, seulement ce bruit, au lieu d’être produit par le pas d’un seul animal, l’est évidemment par deux ou peut-être par trois.

— Mais don Fernando est parti seul du camp ! fit vivement don Pedro.

— Il aura probablement rencontré quelqu’un sur sa route, répondit don Estevan.

— C’est mal, reprit tristement l’haciendero, de plaisanter dans des circonstances telles que celles où nous nous trouvons, c’est presque insulter à ma douleur.

— Dieu me préserve d’avoir une telle pensée ! don Pedro ; le bruit se rapproche rapidement. Nous saurons bientôt à quoi nous en tenir ; je ne vois rien d’extraordinaire à ce que don Fernando se soit emparé de quelque rôdeur indien au moment où celui-ci, blotti dans un buisson, espionnait notre campement et surveillait nos démarches.

— Canarios ! c’est en effet ce qui est arrivé ! s’écria joyeusement le capataz : regardez.

En ce moment la voix sonore et accentuée de don Fernando répondit au qui vive ! de la sentinelle, et deux cavaliers émergèrent des épais taillis qui enveloppaient la clairière et lui formaient une espèce de retranchement naturel.

C’était, en effet, don Fernando qui arrivait ; seulement il était accompagné d’un homme que, probablement dans la crainte qu’il n’essayât de lui échapper, il avait solidement attaché sur un cheval.

Le prisonnier paraissait prendre du reste son mal en patience, il se dandinait agréablement sur sa monture, portait la tête aussi haute et avait l’air aussi effronté que si de rien n’était.

En arrivant auprès du feu où se tenaient nos personnages, il les salua poliment et ne parut pas le moins du monde inquiet de la froideur avec laquelle on le recevait.

Il est vrai que cet homme n’était autre que Tonillo el Zapote, le digne vaquero que déjà plusieurs fois nous avons eu occasion de présenter au lecteur.

La réception faite à don Fernando fut des plus chaudes et des plus amicales ; ses amis, dont la curiosité était excitée au plus haut degré, brûlaient de l’interroger, d’autant plus que l’expression ouverte et presque joyeuse de sa physionomie leur donnait à supposer qu’il était porteur de bonnes nouvelles.

Don Fernando, après avoir pressé les trois mains qui lui avaient été spontanément tendues, mit pied à terre, dénoua la sangle qui attachait, sous le ventre du cheval, les jambes du prisonnier, et lui rendit la liberté de ses membres.

— Ouf ! dit le vaquero, je vous remercie, don Fernando ; caspita ! je commençais à en avoir assez, je vous jure ; les jambes me piquent comme si l’on y avait enfoncé un millier d’épingles.

Et il sauta à terre, mais il avait dit vrai : ses jambes engourdies ne purent supporter le poids de son corps, et il tomba lourdement sur le sol.

Le capataz s’empressa de le relever.

— Ce n’est rien, dit-il en lui souriant gracieusement ; je vous remercie, caballero, dans cinq minutes la circulation du sang sera rétablie et il n’y paraîtra plus ; c’est égal, don Fernando, ajouta-t-il, une autre fois, je vous prie, serrez un peu moins fort.

— Cela dépendra de vous, Zapote ; jurez-moi de ne pas chercher à vous échapper, et je vous laisserai libre.

— S’il ne s’agit que de cela, dit gaîment le vaquero, ce sera bientôt terminé entre nous : je vous jure, sur l’espoir que j’ai d’aller après ma mort en paradis, de ne pas m’échapper.

— C’est bien, je me fie à vous, faites-y attention.

— Un honnête homme n’a que sa parole, répondit el Zapote ; vous n’aurez aucun reproche à m’adresser ; je suis esclave de ma parole.

— Tant mieux pour vous, si cela est vrai, mais j’en doute beaucoup, surtout d’après votre manière d’agir à mon égard dans ces derniers temps, après les protestations dont vous m’aviez accablé et vos offres de service.

Le vaquero ne fut nullement embarrassé par cette attaque directe.

— C’est le sort des hommes doués de certaines qualités de cœur d’être méconnus, dit-il d’une voix pateline, je n’ai jamais manqué à la promesse que je vous ai faite.

— Même lorsque, après avoir introduit par trahison les Indiens dans le présidio avec d’autres drôles de votre espèce, vous me tendiez un piège infâme et me faisiez tomber dans un hideux guet-apens ?

Le vaquero sourit avec finesse.

— Oui, señor don Fernando, répondit-il, même dans les circonstances auxquelles vous faites allusion, je vous étais fidèle.

— Rayos de Dios ! s’écria le jeune homme avec un commencement d’impatience, je serais curieux d’apprendre de quelle façon vous m’étiez fidèle alors.

— Dame ! seigneurie, je vous étais fidèle à ma manière.

Cette réponse était si extraordinaire et si peu attendue des assistants, qu’un fou rire les gagna, et que malgré la gravité de la situation ils éclatèrent.

El Zapote les salua modestement avec cette humilité orgueilleuse si propre aux hommes d’une valeur contestable qui se considèrent dans leur for intérieur comme des génies incompris.

— Enfin, reprit don Fernando en haussant insoucieusement les épaules, nous verrons bientôt. Je saurai jusqu’où peut s’étendre cette élastique fidélité.

El Zapote ne répondit pas ; il leva les yeux au ciel comme pour le prendre à témoin de l’injustice qui lui était faite, et il croisa les bras sur la poitrine.

— Avant de rien dire, permettez-moi de prendre un peu de nourriture, dit don Fernando, je tombe d’inanition : depuis mon départ du camp je n’ai bu ni mangé.

Estevan se hâta de placer devant lui quelques vivres auxquels le jeune homme et son prisonnier, sur son invitation, firent vigoureusement honneur. Cependant le repas fut court, bientôt l’appétit de don Fernando fut apaisé, il poussa un soupir de soulagement ; après avoir étanché sa soif à l’eau limpide du ruisseau, il revint s’asseoir, et, sans mettre à une plus longue épreuve la curiosité de ses amis, il leur expliqua dans les plus grands détails la cause de sa longue absence.

Don Estevan avait deviné juste, don Fernando avait en effet retrouvé la piste si longtemps et si infructueusement cherchée, cette piste s’enfonçait dans la direction du sud-ouest vers les régions les plus inexplorées du Far-West.

Le jeune homme l’avait suivie pendant plusieurs heures avec cette patience particulière aux chasseurs, afin de bien s’assurer qu’il n’était pas le jouet d’une ruse indienne, et que cette piste était bien la véritable.

Les Peaux-Rouges, lorsqu’ils craignent d’être poursuivis, enchevêtrent si bien leurs traces les unes dans les autres quand ils ne peuvent les faire disparaître, ils jettent une si grande confusion dans leurs pistes, qu’il devient matériellement impossible de reconnaître la bonne de la mauvaise ; cette fois ils avaient employé ce moyen avec une habileté et une dextérité telles que, s’ils avaient eu affaire à tout autre chasseur que le Cœur-de-Pierre, ils auraient réussi à lui donner le change et à le complètement dévoyer : mais don Fernando, habitué à leurs fourberies, ne se laissa pas tromper, du moins à ce qu’il crut reconnaître à quelques indices certains qui, aux yeux d’un homme moins expérimenté que lui, auraient passé inaperçus.

Le jeune homme, heureux de cette découverte, revenait rapidement vers le camp sans cependant négliger aucune des précautions que réclame la prudence, dans une contrée où chaque arbre et chaque buisson peuvent receler l’embuscade d’un ennemi invisible, lorsqu’il lui parut distinguer dans les hautes herbes un froissement et une agitation qui n’avaient rien de naturel ; il se laissa doucement glisser à bas de son cheval et se dirigea vers l’endroit suspect en rampant sur les mains et les genoux, avec la rapidité silencieuse d’un serpent qui file dans l’herbe.

Après un quart d’heure de cette marche insolite, le jeune homme atteignit l’endroit suspect ; il lui fallut toute sa présence d’esprit et toute sa puissance de volonté pour retenir le cri de joie et de surprise qui lui vint aux lèvres en apercevant el Zapote commodément assis à terre, la bride de son cheval passée dans le bras gauche et achevant un copieux déjeuner.

Don Fernando se rapprocha de quelques pas encore, afin de ne pas manquer son homme, puis, après avoir avec soin, calculé la distance, il bondit comme un jaguar, saisit le vaquero à la gorge et, avant que celui-ci fût revenu de l’étonnement causé par cette attaque si brusque et si inattendue, il fut garrotté et mis dans l’impossibilité d’essayer la moindre résistance.

— Eh, fit alors don Fernando en s’asseyant auprès de son prisonnier, quel singulier hasard ! comment vous portez-vous, Zapote, mon ami ?

— Vous êtes bien bon, répondit gravement celui-ci, je tousse un peu.

— Oh ! pauvre caballero, j’espère que cela n’aura pas de suite.

— Je l’espère aussi, seigneurie : cependant je vous avoue que cela m’inquiète.

— Bah ! tranquillisez-vous, je me charge de vous guérir.

— Ah ! vous connaissez un remède, seigneurie ?

— Oui, un excellent, que je me propose de vous donner.

— Vous êtes mille fois bon, mais peut-être cela vous gênerait-il.

— En aucune façon, reprit le chasseur. Jugez-en. Je vous propose de vous casser la tête d’un coup de pistolet.

Le vaquero sentit un frisson de terreur courir dans ses veines, cependant il ne se démonta pas.

— Vous pensez que ce remède me guérira ? dit-il.

— Radicalement, j’en suis convaincu.

— Hum ! c’est singulier, seigneurie : malgré toute la déférence que je vous dois, je suis contraint de vous avouer que je ne partage aucunement votre avis à ce sujet.

— Vous avez tort, répondit le chasseur en armant froidement un pistolet, bientôt vous en reconnaîtrez l’efficacité.

— Et vous croyez, seigneurie, qu’il n’y a pas d’autre remède que celui que vous me proposez ?

— Ma foi ! je n’en vois pas d’autre.

— C’est que celui-là me semble un peu violent.

— Bah ! c’est une idée que vous vous faites ; bientôt vous reconnaîtrez que vous avez tort.

— C’est possible, je ne me permettrai pas de discuter avec vous, seigneurie : est-ce que vous tenez beaucoup à m’administrer ici votre remède ?

— Moi ? pas le moins du monde ; est-ce que vous connaîtriez un lieu plus convenable ?


Il bondit comme un jaguar, saisit le vaquero à la gorge.

— Je crois que oui, seigneurie.

— Ah ! ah ! ah ! et quel est cet endroit, compagnon ?

— Mon Dieu ! seigneurie, peut-être me trompé-je, mais à mon sens il serait malheureux que, faute de témoins, un secret aussi merveilleux que celui de ce remède se perdît. En conséquence, je désirerais vous conduire à un endroit où nous en trouverions.

— Très bien. Et vous connaissez un lieu pareil non loin d’ici ?

— Oui, caballero, je crois même que vous serez charmé de voir les personnes auxquelles je vous présenterai.

— C’est selon quelles sont ces personnes.

— Oh ! vous les connaissez parfaitement, seigneurie : l’une d’elles est le Chat-Tigre, un bien aimable seigneur.

— Et vous vous engagez à m’y conduire ?

— Quand il vous plaira, tout de suite, si vous l’exigez.

Le chasseur repassa son pistolet à sa ceinture.

— Tout de suite, non, dit-il ; il nous faut d’abord nous rendre au campement où m’attendent mes amis ; je ne vous trouve pas si malade qu’il soit urgent de vous administrer à l’instant mon remède, nous pourrons toujours en venir là, si le besoin l’exige.

— Oh ! cela ne presse nullement, caballero, je vous assure, répondit le vaquero en faisant l’agréable.

L’affaire avait été ainsi conclue entre les deux hommes, qui se connaissaient de longue date et qui par conséquent savaient parfaitement ce qu’ils pouvaient attendre l’un de l’autre.

Don Fernando n’avait pas la moindre confiance en Tonillo : aussi il se garda bien de lui donner la tentation de lui fausser compagnie en lui rendant la liberté de ses membres, ce dont le lepero ne se formalisa en aucune façon.

Cependant, comme la nuit était venue pendant leur entretien, ils s’accommodèrent du mieux qu’ils purent pour dormir là où ils se trouvaient, renonçant à gagner le campement avant le lendemain.

À deux ou trois reprises différentes, pendant la nuit, le lepero essaya sournoisement de se débarrasser des liens qui le retenaient, mais chaque fois qu’il voulut mettre ce projet à exécution, il vit le grand œil bleu du chasseur fixé sur lui.

— Est-ce que vous vous sentez indisposé, cher seigneur ? lui dit d’un air narquois le chasseur, au dernier essai qu’il tenta.

— Nullement, répondit-il, nullement, seigneurie.

— Ah ! alors excusez-moi : je vous croyais malade, cette longue insomnie m’inquiétait pour vous, reprit-il avec intention.

Le lepero se le tint pour dit ; il ferma incontinent les yeux et ne les rouvrit qu’au lever du soleil.

Le chasseur était déjà debout, les chevaux avaient été sellés par lui.

— Ah ! vous voilà réveillé, dit-il ; avez-vous passé une bonne nuit ?

— Excellente, seulement je me sens un peu engourdi ; je crois qu’un peu d’exercice me ferait du bien pour rétablir la circulation du sang.

— C’est l’effet de la rosée, répondit imperturbablement le chasseur, les nuits sont très fraîches.

— Diable ! pourvu que je n’attrape pas des rhumatismes ! dit en ricanant le lepero.

— Oh ! j’espère que non, le cheval vous fera du bien.

Tout en disant cela, don Fernando avait chargé son compagnon sur ses épaules et l’avait jeté en travers sur le cheval, mais, après réflexion faite, il lui avait détaché les jambes, ne voulant pas, par de mauvais traitements inutiles, indisposer contre lui un homme qui pouvait, à un moment donné, lui fournir d’utiles renseignements.

Le lepero, qui craignait de faire route attaché comme un ballot sur le dos du cheval, fut reconnaissant de la demi-liberté qui lui était rendue et ne fit aucune objection à la précaution prise par le chasseur de lui assujettir les jambes sous le ventre du cheval.

Ce fut de cette façon que les deux hommes voyagèrent jusqu’à leur arrivée au camp, causant entre eux de choses indifférentes et en apparence les meilleurs amis du monde.