Le Cahier rouge - Avertissement

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Œuvres complètes de François CoppéeLibrairie L. HébertPoésies, tome II (p. 3-6).

AVERTISSEMENT


DE LA PREMIÈRE ÉDITION


Tout en nous occupant de la composition de divers ouvrages assez importants, que des circonstances sans intérêt pour le lecteur ne nous permettent pas de publier encore, nous avions l’habitude, à nos heures de fatigue, d’ouvrir un mince cahier rouge qui traîne toujours sur notre table et de nous délasser en y écrivant quelques poésies fugitives, à peu près comme un enfant paresseux illustre de pierrots pendus les marges de sa grammaire.

C’étaient parfois des strophes qu’on nous faisait l’honneur de nous demander, en faveur des œuvres patriotiques fondées à la suite des récents malheurs de la France ; mais plus souvent, c’étaient de simples fantaisies, des notes rapides, des croquis jetés, ou bien encore une plainte que nous arrachait notre mal ordinaire, le spleen. Il nous arrivait aussi de transcrire sur le cahier rouge d’anciens vers de jeunesse que, de très bonne foi, nous croyions avoir détruits et que nous retrouvions par hasard, dans nos vieux papiers, donnant ainsi raison à la spirituelle boutade de Théophile Gautier qui prétend qu’un poète ne brûle jamais un manuscrit sans avoir d’abord pris soin d’en tirer copie.

Or notre éditeur et ami, Alphonse Lemerre, étant un jour venu nous blâmer de notre lenteur à terminer les différents travaux dont nous lui avions parlé, nous avons pensé au cahier rouge que nous n’avions pas ouvert depuis longtemps.

Tout d’abord, ces anciens vers nous firent un peu l’effet des fleurs sèches d’un herbier, ou d’une collection de papillons épinglés par un entomologiste ; mais quelques amis, trop indulgents sans doute, furent d’un avis opposé et nous assurèrent que notre cahier manuscrit pouvait devenir une plaquette imprimée.

Nous nous sommes donc décidé à le publier, ce Cahier rouge, sans lui chercher même un autre titre, tel qu’il est, dans son désordre, qui est peut-être sa variété. C’est une simple carte de visite que nous envoyons au public, auprès de qui nous comptons faire, – et à brève échéance, – de plus graves démarches.

D’ailleurs, nous donnons ces quelques mots d’avertissement, non pas pour réclamer l’indulgence du lecteur, mais bien pour lui expliquer le manque de composition de ce petit livre. Quant au sort que la publicité lui réserve, nous n’y pensons même pas. Selon nous, le poète n’a plus à s’occuper de ce qu’il a déjà accompli, mais seulement de ce qu’il se propose de faire encore. C’est vers la perfection qu’il rêve, et non vers le succès qu’il constate, que doivent tendre ses progrès ; et, pour notre compte personnel, quand une fois nous avons donné notre livre à l’impression, nous n’en prenons pas plus souci que les arbres printaniers, que nous voyons de notre fenêtre, ne s’inquiètent de leurs feuilles mortes du dernier automne.


Mai 1874.