Le Cahier rouge de Lucile Desmoulins/Le Trésor

La bibliothèque libre.
Librairie Raphaël Simon (p. 5-7).

LE TRÉSOR.

ROMANCE HISTORIQUE.
air : Au fond d’une sombre vallée.

Jeunes filles à l’ame tendre,
Vous tous, amis du sentiment,
Venez près de moi pour entendre
Un récit triste mais touchant.
Si mon style n’a point de charme
Et s’il n’est pas semé de fleurs,
Du moins accordés[1] une larme
À ce qui m’a coûte des pleurs.

Sylvandre né dans l’indigence
Gardoit avec soins le troupeau
D’un laboureur que l’oppulence
Rendoit l’honneur de son hameau.
Nice étoit l’unique héritière
De ce laboureur orgueilleux
Et ne s’en montroit pas plus fière.
Sylvandre en devint amoureux.

Il n’osa jamais le lui dire :
On est si timide en aimant !
Mais dans ses yeux il laissa lire
Et sa tendresse et son tourment.

Et voilà que dans le silence
Épris l’un pour l’autre, tous deux
Avec une égale constance
Ont en secret les mêmes feux.

Au moment même où peut-être
Il pleure d’être né sans or,
Dans le domaine de son maître
Sylvandre apperçoit un trésor.
Ivre de joie, à cette vue
Il vole à Nice et lui fait part
De sa richesse innatendue.
Tous deux bénissent le hasart.

Mais après cet instant d’ivresse
Sylvandre, devenu rêveur,
Dit, en tremblant, à sa maîtresse :
« Je suis loin encore du bonheur !
« Quand je devrais être victime
« De mes sentimens délicats,
« Peut-on être heureux par un crime ?
« Ce trésor ne m’appartient pas.

« Nice, dans le champ de ton père
« J’ai trouvé ce riche dépôt :
« Il est à lui. Viens ma bergère.
« Il faut le lui rendre aussitot.
« — Ah, mon ami, de ce service
« Ah, puisse mon père enchanté
« Te destiner la main de Nice
« Pour prix de ta fidélité. »

Voici la réponce du père :
« Fidèle et loyal serviteur,
« Je veux bien doubler ton salaire,
« Mais chasse l’amour de ton cœur.
« Il me faut désormais pour gendre
« Un laboureur riche en moisson :
« Tu n’es que berger. Vas, Sylvandre.
« Retourne vite à tes moutons. »

Sylvandre à sa chaumière obscure
S’en va silencieusement.
À s’abstenire de nouriture
Il s’obstine de ce moment.
Trois jours après, son chien fidèle
Accourt, et par son aboiment
Apprend à Nice la nouvelle
Du trépas de son tendre amant.

De désespoir Nice frappée
Cachant à son père interdit
L’objet dont elle est occupée
D’un ton doux et triste lui dit :
« Laissez-moi de ce berger sage
« Recevoir le dernier soupir. »
Puis, rassemblant tout son courage
Près de Sylvandre alla mourir.

Par le Berger Sylvain.

  1. Nous reproduisons scrupuleusement le manuscrit sans y rien changer, pas même les fantaisies, alors admises, de son orthographe.