Le Cahier rouge de Lucile Desmoulins/Romance (2)

La bibliothèque libre.
Librairie Raphaël Simon (p. 14-16).

ROMANCE.

Sur la pente de la colline
Qui borne d’ici l’horizon,
Distinguez-vous cette chaumine
Qu’accompagne un petit donjon ?
Là, dans la paix et le silence,
Là, deux amans, enfin époux,
De leur tendre persévérance
Savourent les fruits les plus doux.

L’histoire en est des plus touchantes.
Vous qui gémissez sous la loi
De durs parents, jeunes amantes,
Approchez-vous, écoutez-moi.
Courageuse autant que fidèle
Cécile ainsi que son amant
Peuvent vous servir de modèle
Pour un semblable errement.

De la nature et de sa mère,
Cécile, élève seulement,
Possédoit une âme trop fière
Pour prendre d’autre enseignement.
Alain, jeune homme bon et sage,
Sut lui plaire sans beaucoup d’art,
Heureux Alain ! Ce fut l’ouvrage
D’un seul moment, d’un seul regard.

Un autre que lui de Cécile
Poursuivait ardemment le cœur.
Dans l’art d’écrire maître habile,
Profond politique, orateur,
Il savait tout hors l’art de plaire.
Novice encore en fait d’amour
Colmat n’avoit pu que du père
Obtenir un tendre retour.

Mais Colmat l’âme satisfaite
Du consentement paternel
Croit sa félicité parfaite
Et déjà pense être à l’autel.
Déjà, dans sa vaste demeure,
Le lit nuptial à grand frais
S’élève ; il n’attend plus que l’heure
De se voir heureux pour jamais.

Le père enfin dit à Cécile :
« Je ne vous donne qu’un moment.
Tout subterfuge est inutile ;
Optez : Colmat ou le couvent.
— Une union mal assortie
Plus qu’un cloître me feroit mal ;
Mieux vaut sortir de la vie
Que d’y traîner un joug fatal. »

Cécile au couvent est menée ;
On l’y reçoit à bras ouvert,
Un peu d’or hâte la journée
Qui doit en priver l’Univers.
Alain sait tout. Cécile en larmes
S’est concertée avec Alain
Et l’amour prépare les armes
Pour combattre un père inhumain.

Le temple s’ouvre et la victime
S’avance, mais d’un pas tardif ;
Alain la suit des yeux, l’anime,
Et n’attend qu’un regard furtif.
« Ma fille, dit alors le prêtre,
Que venez-vous chercher ici ?
Venez-vous à Dieu vous soumettre,
Que demandez-vous ? — Un mari. »

Au mot, malgré la présence
Et de Colmat et des parens,
Ardent et fier, Alain s’élance,
Cécile est dans ses bras tremblans.
Puis, sans sortir de cet asile,
L’un l’autre se donnant la main,
« Dieu, reçois les vœux de Cécile.
« Dieu, reçois le serment d’Alain. »

Toutes les nonnes douairières
Prirent la fuite de dépit.
Le prêtre changea de prières,
Le père enfin y consentit.

Les deux époux dès le soir même
De ce beau jour........
Goutèrent le bonheur suprême
Dans leur foyer, simple comme eux.