Le Canard sauvage, Rosmersholm/Note de l’éditeur

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Vers la fin de mars de cette année, les journaux annonceront tout à coup que, renonçant à monter sans délai La Paix de la Maison, pièce de M. Auguste Germain, M. Antoine, directeur du Théâtre Libre, mettait en répétition Le Canard Sauvage, traduction de MM. Armand Ephraïm et Th. Lindenland.

On n’a peut-être point oublié les violentes polémiques qui s’élevèrent aussitôt dans la presse, en même temps que M. Auguste Germain croyait devoir retirer sa pièce.

Dans le fracas de cette lutte, une petite note du Gaulois, indiquant que le maître Ibsen pourrait bien s’opposer à la représentation du Canard Sauvage au Théâtre libre, passa à peu près inaperçue, mais M. Antoine, remis de cette chaude alerte, communiqua à la presse amie une lettre sans date d’Ibsen, dont nous reproduisons plus bas le texte.

Il convient donc d’expliquer ici les droits de M. Prozor et d’en bien montrer l’antériorité et la persistance.

Le 7 Janvier 1891, alors que nous étions en possession, depuis plus de six mois, de la traduction duement autorisée de M. Prozor, Henrik Ibsen écrivait à M. Roger, agent de la Société des auteurs dramatiques :

Je crois devoir informer la Société des auteurs dramatiques que la seule traduction française de mon drame, Le Canard Sauvage, dont j’autorise la représentation sur la scène, est celle du comte M. Prozor, publiée par M. Savine, éditeur

Je serais très reconnaissant à la Société de vouloir bien interposer ses bons offices afin que cette pièce ne puisse être jouée sans mon consentement et autrement qu’à la condition que je viens d’indiquer.

C’est postérieurement à cette formelle déclaration que M. Antoine sollicita l’autorisation de jouer la version de MM. Ephraïm et Lindenland, version faite sur la traduction allemande, alors que celle de M. Prozor était faite directement sur le texte norwégien.

M. Ibsen, suivant des lettres que nous avons lues, répondit à M. Antoine qu’il désirait voir jouer la traduction de M. Prozor et non une autre. M. Antoine qui, publiquement, affirme que le caractère d’entreprise privée du Théâtre libre l’autorise à jouer ce qu’il lui plaît, maintînt ses prétentions et amena le poète scandinave à lui écrire une lettre d’acquiescement forcé que le directeur du Théâtre libre traduit ainsi :

Monsieur le directeur,

Je vous prie par la présente d’agréer mon remerciement le plus obligé pour votre lettre amicale et en même temps je m’empresse d’y répondre très brièvement.

Puisque donc, ainsi qu’il ressort de votre lettre, vous désirez, pour la représentation imminente du Théâtre libre, donner la traduction de MM. Armand Ephraïm et Th. Lindenland, je vous donne, par la présente, l’acquiescement et l’autorisation que vous demandez pour votre projet.

Avec l’expression de ma reconnaissance immuable pour l’infatigable activité avec laquelle vous poussez mes œuvres sur la scène française à Paris et à Bruxelles, j’ai l’honneur de signer

Votre tout dévoué
Henrik Ibsen.

Interrogé au lendemain de la publication de cette lettre, Henrik Ibsen expliqua à M. Prozor qu’il n’avait fini par céder aux instances de M. Antoine que parce que vis-à-vis du Théâtre libre, entreprise entièrement privée, il n’y avait pas moyen d’interdire formellement la traduction Ephraïm qu’il n’avait d’ailleurs jamais lue.

Nous recevions en même temps un télégramme dont voici le texte :

Paris, de Munich, no 316, mots 25
dépôt le 2 avril, à 3 heures 40 du soir.
Savine, rue Pyramides, 12, Paris

Je déclare par la présente que vous avez le droit exclusif de publier le Canard Sauvage en France.

Henrik Ibsen.
(Note de l’Éditeur.)