Le Capitan/XIV

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XIV. La route de Meudon
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Vers le moment où le roi suivi de Luynes, de quelques gentilshommes et de pages portant les faucons, sortait du Louvre et se dirigeait vers les bois de Meudon, le marquis de Cinq-Mars, pâle de fureur, mettait pied à terre devant l’auberge du Grand-Henri, et pénétrait dans la cour. Dans la cour, il n’y avait personne, sauf un homme qui pansait un cheval. Cinq-Mars tressaillit.

"Je connais cette figure de coquin, songea-t-il. Eh oui, c’est bien le valet du sacripant ! du traître ! du misérable fier-à-bras ! du capitan à qui je vais couper les oreilles avant de l’embrocher !"

De son côté, Cogolin reconnut instantanément le marquis et se mit à étriller la croupe de son cheval avec une activité fébrile.

"Me reconnais-tu, drôle ? grinça Cinq-Mars, qui s’approcha en faisant siffler sa cravache.

— Comment vous reconnaîtrais-je, mon gentilhomme, puisque c’est la première fois que j’ai l’honneur de vous voir. Eh là ! Eh là ! Tenez votre cravache en repos, ou je m’affaiblis, je m’évanouis, je me subtilise !"

Cogolin esquissait un rapide mouvement de retraite.

"Il ne me connaît pas. Tant mieux, murmura le jeune homme. Écoute, ajouta-t-il, il y a cinq doubles pistoles pour toi !

— Oh ! oh ! fit Cogolin, qui se rapprocha la main tendue et la bouche fendue. Vous parlez d’or.

— Oui, je parle d’or. Attrape ! (Cogolin empocha la bourse de Cinq-Mars.) Mais si tu as le malheur de ruser, de me tromper ou de ne pas répondre, je t’attache à ce pieu, je te mets les épaules à nu et je t’arrache la peau à coups de cravache. Maintenant, conduis-moi sans bruit à l’appartement du sire de Capestang.

— Monsieur, c’est impossible...

— Ah ! ah ! cria Cinq-Mars en levant sa cravache.

— Parce que M. de Capestang n’a plus d’appartement ici ! acheva Cogolin. M. le chevalier est parti, voici près d’une heure, comme s’il eût eu tous les diables d’enfer à ses trousses, et tenez, voici maître Lureau, patron de cette hôtellerie, qui n’a pas son pareil pour le pâté d’alouettes, et qui vous dira comme moi."

Maître Lureau, qui venait d’apparaître sur le perron, opina du bonnet.

"Cet homme a dit la vérité", affirma-t-il de ce ton mélancolique qui lui était particulier et qu’il devait au désespoir où le plongeait sa calvitie.

Cinq-Mars demeura atterré. Il baissa la tête et frémit de rage.

"Si vous cherchez le chevalier de Capestang, continua Lureau, vous le trouverez à Meudon. C’est là qu’il s’est rendu, car il m’a demandé certains renseignements qui..."

Cogolin foudroya du regard l’aubergiste, qui jugea prudent de regagner ses cuisines.

"Ecoute, reprit alors Cinq-Mars, une femme, une jeune fille est venue trouver ton maître, hier. Je sais qu’elle a passé la nuit ici. Dis-moi la vérité. Est-elle partie avec le sire de Capestang ?

— Je vois où le bât vous blesse, mon gentilhomme, ceci soit dit sans vouloir vous comparer à un âne, Dieu m’en préserve ! Je serai d’autant plus franc que M. le chevalier, après m’avoir injurié, battu comme plâtre, gratifié de je ne sais combien de soufflets, ce déloyal chevalier, donc...

— Tiens, mon ami, prends encore ces deux pistoles !

— Merci, monsieur ! fit Cogolin en s’essuyant les yeux. Ce sacripant, donc, car c’est un vrai sacripant, est parti sans me payer. Et il m’a annoncé qu’il ne remettrait plus les pieds à Paris. Je ne suis donc tenu à aucun ménagement, et vous dirai tout net que la jeune fille en question est sortie d’ici bien avant le chevalier, et que je doute fort qu’elle le veuille rejoindre.

— Ainsi, le sire de Capestang est parti en disant qu’il ne reviendrait plus ?

— Oui, monsieur, et me voici sans maître.

— Viens me trouver à l’hôtellerie des Trois-Monarques demain matin, je te prends à mon service. (Cogolin s’inclina en accent circonflexe jusqu’aux genoux du marquis.) Et tu dis que cette jeune fille est partie de son côté ?

— Par là !" fit Cogolin, en étendant la main dans la direction de la rue de Tournon.

À ce moment, ses yeux tombèrent sur deux cavaliers qui arrêtés près de la porte charretière et penchés sur leurs montures, paraissaient écouter cette conversation. Cinq-Mars déjà tournait le dos à Cogolin et se dirigeait vers son cheval. Cogolin se précipita pour lui tenir l’étrier et il vit les deux cavaliers s’éloigner au trot vers la route de Meudon. Ces cavaliers, c’étaient Richelieu et Laffemas !

Lorsque le marquis fut en selle, il balança un moment s’il tournerait vers la rue de Tournon et s’il irait se jeter aux pieds de Marion ou bien s’il prendrait la route de Meudon pour essayer de rattraper Capestang et le percer d’outre en outre. Ce dernier parti l’emporta et Cinq-Mars, piquant des deux, s’élança à fond de train dans la direction de Meudon.

Cogolin rentra furieux dans l’auberge et cria dans le nez de maître Lureau épouvanté :

"Votre compte est bon, à vous ! Malgré vos promesses, vous avez dit que le chevalier de Capestang habite dans votre méchante auberge. Vous pouvez faire votre deuil de vos oreilles. Car mon maître, lui, n’a qu’une parole, et son premier soin, en rentrant, sera de vous les couper !"

Lureau jeta un cri de miséricorde et courut à sa chambre où il s’enveloppa la tête d’un large foulard qui cachait entièrement ses oreilles.


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Cogolin avait menti en assurant que Capestang était parti pour toujours, après l’avoir battu. Mais il était exact que le chevalier avait quitté le Grand-Henri de très bonne heure. À ce moment-là, il trottait doucement sur la route de Meudon. N’ayant pu réussir à pénétrer la veille dans l’hôtel du duc d’Angoulême pour le prévenir de ce que Concini tramait contre lui, le chevalier s’était promis de pousser une pointe jusqu’à l’endroit où il avait eu le bonheur de sauver Giselle des mains du maréchal.

Capestang cheminait donc, et, au moment où nous le rejoignons, s’adressait de violents reproches :

"Qu’avais-je besoin de céder à cette enragée diablesse qui m’est venue relancer hier soir ? Il est vrai que ma tête battait la campagne et mon cœur la chamade, autant qu’il m’en souvienne. Enfin, elle est partie. Bon voyage. Pauvre Marion ! Jolie, spirituelle, pétillante, capiteuse... hum ! trop capiteuse ! Puisse-t-elle rencontrer la fortune que, comme moi, elle est venue chercher à Paris ! Au fait, pourquoi ma tête battait-elle la campagne ? Pourquoi avais-je envie de pleurer, tel un jeune veau ? Le vin, corbacque ! c’était le vin de M. de Cinq-Mars ! Et pourquoi étais-je triste ? Pourquoi le suis-je encore ? Pourquoi mon cœur bat-il encore la chamade ?"

Il poussa un profond soupir.

"Fille de prince, petite-fille d’un roi, qu’est-ce qu’elle peut être pour moi ? Allons donc, Capestang ! oserais-tu lever les yeux sur la fille de monseigneur le duc d’Angoulême, qui peut-être demain sera roi de France ? Tout ce que tu peux faire, c’est, vienne l’occasion, de mourir pour elle !"

À cet instant, le cheval de Capestang dressa les oreilles et se mit à hennir.

"Qu’y a-t-il. Fend-l’Air ? De quoi me préviens-tu, mon brave compagnon ?"

Il achevait à peine de parler, qu’il entendit derrière lui le galop furieux, saccadé, désordonné, d’un cheval lancé ventre à terre. Il n’eut que le temps de se ranger : le cheval passa comme un éclair, avec cette allure folle, cette rigidité de la ligne suivie que prennent les chevaux emballés.

"À moi ! À moi ! cria le jeune cavalier vêtu d’un pourpoint de velours noir, qui monté sur la bête furieuse, faisait des efforts évidents et inutiles pour l’arrêter.

— Le malheureux ! murmura Capestang, il va se briser la tête contre un arbre au premier tournant ! Hop, Fend-l’Air ! Hop ! Hop !"

Déjà Fend-l’Air se ruait en bonds gigantesques, en une envolée terrible des quatre sabots ; déjà l’apocalyptique Fend-l’Air, affolé par les cris de son maître, dévorait l’espace en foulées puissantes ; la distance qui le séparait du cheval emballé diminuait ; une seconde encore, et il le touchait presque ; hop ! hop ! une superbe ruée, un bond vertigineux… et Capestang se trouva botte à botte avec le jeune inconnu.

"Courage ! Courage ! Tenez-vous ferme en selle !"

L’inconnu jeta un rapide regard sur l’homme qui, la figure flamboyante d’audace insensée, galopait éperdument à ses côtés ; tout à coup, il ne le vit plus ! Disparu, l’homme aux yeux fulgurants ! Arrêtée net, demeurée en arrière, la magnifique bête qu’il montait ! Et, dans le même instant, il vit son propre cheval à lui secouer frénétiquement la tête, il l’entendit hennir de douleur, il sentit que son allure se ralentissait ; une seconde plus tard, l’animal dompté, couvert d’écume, tremblant de tous ses membres, s’arrêtait !...

"Vous êtes sauvé, monsieur !" dit une voix.

Le gentilhomme au pourpoint noir vit alors le cavalier qui, debout sur la route, le saluait ! Par une manœuvre intrépide, dont il n’y a que deux ou trois exemples dans l’histoire de l’équitation, Capestang arrivé botte à botte avec le jeune inconnu, s’était penché en avant, avait saisi à deux mains la crinière de l’animal, s’était jeté hors de sa selle, et, tandis que Fend-l’Air s’arrêtait, s’était cramponné d’une main, pendant que de l’autre il étreignait les naseaux fumants du cheval emballé. L’inconnu sauta à terre et dit :

"Merci, monsieur. Je vous dois la vie. Je ne l’oublierai pas."

Mais Capestang ne l’écoutait pas. Il ouvrait des deux mains la bouche du cheval qu’il venait d’arrêter par la plus téméraire des voltiges. Il flairait, il aspirait l’âcre parfum qui s’échappait de cette bouche avec des volutes de vapeur tiède.

"Mais, monsieur, fit-il enfin, votre cheval était ivre. Vous lui avez fait trop boire de liqueur mélangée à son avoine, ce matin… Ah ! c’est bien dangereux d’exciter un cheval par les liqueurs fortes ! Vous vouliez donc vous tuer ?"

Le jeune gentilhomme au pourpoint noir était devenu affreusement pâle. Il considérait son cheval d’un œil sombre où se lisait une épouvante sans nom.

"Oh ! les misérables ! les misérables !" murmura-t-il au fond de lui-même.

"Vous pouvez le monter, maintenant, reprit Capestang ; il sera doux comme un mouton ; l’accès d’ivresse furieuse est passé et l’a fort abattu."

"O Ornano ! songea l’inconnu. O Luynes ! Est-ce donc vous qui aviez raison ? Est-il donc vrai que si je ne frappe pas, je serai frappé ? La mort rôde donc autour de moi ? Oui, oui ! Les poignards s’aiguisent dans l’ombre maudite des conspirations ! Le poison se prépare ! Tout sera bon pour m’apporter la mort, puisque déjà on affole le cheval que je dois monter, afin qu’un accident laisse vacant le trône de France ! Oui, oui, il est temps d’agir !"

"Monsieur, ajouta-t-il en se remettant en selle, j’habite le Louvre. Venez-y quand vous voudrez, demandez M. Vitry qui est un de mes parents, dites-lui simplement : Meudon. Et il saura ce qu’il a à faire."

Il piqua son cheval qui s’éloigna à pas tremblants, et bientôt disparut aux yeux de Capestang stupéfait.

"Corbacque ! songea celui-ci, voilà un gentilhomme qui me semble en user avec quelque sans-gêne. J’ai risqué pour lui de me rompre les os, et puis : « Allez voir mon parent Vitry ! » Attends un peu ; si le Vitry en question espère ma visite, il pourra l’espérer longtemps. Merci ! J’aurais l’air d’aller mendier au père ou à l’oncle un remerciement dont je me soucie comme de ceci !"

Il fit claquer ses doigts. Puis il siffla Fend-l’Air qui accourut. Et se mettant en selle, il continua son chemin.

Vers ce moment-là, une troupe de cinq ou six cavaliers quittait Paris et se lançait à fond de train sur la route de Meudon. C’étaient des gens que nous avons entrevus à l’hôtel Concini ; c’étaient les sires de Bazorges, de Montreval, de Louvignac, de Chalabre, de Pontraille ; à leur tête galopait Concini, flanqué de Rinaldo. Ils allaient silencieux et rapides, pareils à une bande de vautours que pousse un vent de tempête. Ils avaient des figures sinistres. Concini de ses yeux terribles, interrogeait l’horizon.

"Vite ! Plus vite ! Pourvu que j’arrive à temps pour mettre la main sur Luynes. Vous entendez, mes braves, pas de quartier ! Et nous sommes les maîtres ! Vite ! Plus vite !"

Et les spadassins, rués en leur infernal galop, s’assuraient que leurs poignards glissaient bien dans leurs gaines. Et c’était une funèbre, une fantastique chevauchée qui, pareille à un météore, ne laissait derrière elle que tourbillons de poussière et imprécations.

Que s’était-il passé ? Ceci : Léonora Galigaï, arrivée au Louvre une heure après son mari, avait eu une mystérieuse conversation avec un homme. Et alors, elle avait cherché Concini, l’avait trouvé achevant de se réconcilier avec la reine, et lui avait glissé ces mots à l’oreille :

"Je crois qu’il va arriver un accident de cheval à Sa Majesté le roi. Il serait bon que l’oiseleur n’en profite pas à votre place. Allez donc voir ce qui se passe sur la route de Meudon !"


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Il est onze heures du matin. Le soleil, presque au zénith, irradie la plaine et les bois. Une buée de chaleur étouffante monte de la terre gercée, crevée de sécheresse. Tout se tait. Une torpeur immense règne sur la nature. C’est à cette heure là qu’une autre troupe de cavaliers sort de la maison de Meudon située en face de l’auberge de la Pie Voleuse. Ils sont trois. Ils vont au pas vers Paris, et l’un d’eux semble écrasé sous le poids de quelque douleur. Ils sont masqués. Et ceci n’a rien de surprenant à une époque où l’on porte le loup pour se garantir le visage, aussi communément qu’on porte aujourd’hui des gants.

Le duc d’Angoulême ! Le prince de Condé ! Le duc de Guise ! Ils sortent de la maison où ils ont tout convenu pour la suprême réunion des conspirateurs qui doit avoir lieu trois jours plus tard, le 22 août, à Paris... Mais ce n’est pas seulement pour conspirer qu’Angoulême est venu à Meudon. Il est surtout venu dans l’espoir de retrouver là sa fille... son âme ! l’adoration de sa vie !

Il n’a trouvé que Violetta. Il n’a trouvé que la pauvre folle, à qui il a à peine adressé quelques mots. Et maintenant, escorté du duc de Guise et du prince de Condé, il s’en retourne à pas lents, la tête sur la poitrine, tressaillant parfois, songeant à cet inconnu, à ce chevalier de Capestang dont il a trouvé l’étrange billet et qui, sûrement, lui a enlevé sa Giselle. Et alors une malédiction monte à ses lèvres qui profèrent quelque terrible serment de vengeance.


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Il est onze heures. Éperdument, le marquis de Cinq-Mars galope à travers bois, à la recherche du rival détesté. Il parcourt les sentiers, il pénètre dans les taillis. Il ruisselle de sueur. Cinq-Mars a poussé jusqu’à la Pie Voleuse pour s’y rafraîchir. Et là, qu’a-t-il appris ?

C’est que celui qu’il cherche est venu se reposer là un instant ! Oui, dame Nicolette qu’il connaît, à qui il a raconté son aventure avec ce besoin d’expansion qu’on a à dix-huit ans, dame Nicolette lui a assuré qu’elle a vu le chevalier de Capestang, et que celui-ci est rentré sous bois dans la direction de Paris ! Et Cinq-Mars n’a fait qu’un bond jusqu’à son cheval. Et il galope, il ne s’aperçoit pas qu’il est suivi par deux cavaliers qui vont où il va, courent quand il court, s’arrêtent quand il s’arrête...

Et ces deux-là s’appellent le duc de Richelieu et Laffemas !


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Il est onze heures. Le roi Louis XIII s’est longtemps arrêté sous le couvert d’un massif de hêtres au feuillage touffu. Là, l’esprit de ce jeune roi de quinze ans que nul n’aime, excepté peut-être son maître de la volerie, cet adolescent qui ne sait à qui confier ses amertumes, s’est mis à rêver. Une formidable rêverie. Il est lentement descendu dans l’abîme des épouvantes, escorté de spectres qui portent une plaie ou montrent un visage décomposé par le poison. Et ce sont les fantômes des rois qui l’ont précédé sur le trône. Et son imagination chancelante d’effroi, cherche, trouve, devine un crime dans la mort de tous ces rois. Une sueur d’angoisse mouille son front pâle. Et lorsque enfin il revient au sentiment de la réalité, son visage a pris une expression de résolution farouche. Ses traits se sont durcis. Dans son regard limpide jusqu’à ce jour, la lueur des défiances s’est allumée pour ne plus jamais s’éteindre... il est désormais le Louis XIII de l’histoire !

Le roi, donc, vers cette heure-là que nous signalons, s’est mis à la recherche d’Albert de Luynes, qu’il trouve enfin courant et appelant. Luynes jette un cri de joie...

"Oui, sauvé, mon brave Luynes, dit Louis que ce cri a ému.

— Sauvé ! répète Luynes, cette fois en lui-même. Je suis sauvé !..."

C’est à lui-même, en effet, à lui seul que Luynes a songé en criant : « Sauvé ! » Si le roi était mort, il sait bien ce qui l’attend. Le roi c’est sa raison d’être. C’est son espoir. C’est le rêve encore inavoué de sa fortune future. Le roi, c’est sa haine contre Concini bientôt satisfaite.

"Sire, il faut retourner au Louvre, dit Luynes d’une voix encore tremblante d’émotion. Ah ! que j’ai eu peur ! Non ! jamais, dans ma vie, je n’ai éprouvé une peur pareille !"

Le roi sourit. Luynes sonne du cor pour rallier les pages et les gentilshommes de service. Le roi se met en route. Brusquement il s’arrête, se frappe le front, et murmure :

"Quoi ! Je l’ai à peine remercié ! il a failli mourir pour moi, sans me connaître, et moi, lâche, tout entier à mon épouvante, je suis parti... quoi ! sans un mot du cœur ! Oh ! je ne lui ai même pas demandé son nom !

— Sire, de grâce, rentrons au Louvre !

— Non, Luynes, la chasse continue !


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Il est onze heures. Capestang, après le sauvetage audacieux du jeune inconnu au pourpoint noir, avait poussé jusqu’à Meudon. Il s’est assis sous une tonnelle de la Pie Voleuse, l’âme vide, l’esprit harassé, pris d’une immense lassitude. Il pense à Giselle. Et comme onze heures sonnent à l’horloge de Meudon, il se remet en selle pour regagner Paris, et tout à coup, son regard tombe sur la mystérieuse maison où il est entré comme dans un château enchanté, où il a trouvé table mise, équipement complet, et argent !

Une curiosité aiguë s’empare de lui, une sorte d’appétit du mystère ! Il se décide ! Il fait rapidement le tour des murs, il entre, il passe à travers les broussailles et les ronces que le soleil éclaire, et, là-bas, sur le perron, une figure blanche lui apparaît soudain. La folle.

Capestang s’est approché. Il la salue d’un grand geste héroïque et doux. Elle ne semble pas le voir. Elle regarde au loin quelque chose ou quelqu’un qui s’éloigne, et elle murmure :

"Duc d’Angoulême, ne suis-je donc plus votre duchesse bien-aimée ?

— Duc d’Angoulême ! rugit Capestang qui d’un bond, saute à terre. Madame ! Oh ! madame, de grâce, écoutez-moi…

— Qui êtes-vous ? dit Violetta en ramenant son regard sur le chevalier. Ah ! c’est vous ! Je vous reconnais ! Je vous avais dit de venir quand je vous appellerais...

— Madame... un mot... un seul... il y va de la vie d’un homme que je voudrais sauver fût-ce au prix de ma propre vie !"

La folle sourit :

"Je vous ai appelé, vous êtes venu, c’est bien !

— Madame ! Vous avez prononcé un nom ! Celui du duc d’Angoulême ! Par pitié, dites ! Le connaissez-vous ? Savez-vous où je puis le trouver ? Parlez, de grâce !"

Violetta passa lentement une main sur son front.

" J’ai écouté, prononça-t-elle. J’ai entendu le 22 août. Oui, c’est bien cela que j’ai entendu. Alors, dites, vous voulez le voir ?

— Pour le sauver, madame ! s’écria Capestang avec une exaltation qui fit frissonner Violetta.

— Pour le sauver ? murmura-t-elle. Soit. Sauvons-le ! Venez me chercher ici le 22 août quand se couchera le soleil derrière les bois, venez alors, vous m’entendez, et je... oui... écoutez. Oh ! qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Taisez-vous... écoutez... on pleure."

La folle, tout à coup, partit d’un éclat de rire strident et rentra à l’intérieur de la maison. Capestang fit un mouvement pour la suivre, mais elle se retourna si majestueuse, avec un geste si impératif qu’il recula. Hors de lui, Capestang s’élança en selle, et, au galop, sortit du vieux parc, et se jeta à travers bois. Il songeait :

"C’est une pauvre démente. Elle a dit : « Le 22 août au coucher du soleil. » Pourquoi ce jour-là plutôt qu’un autre ? Paroles de folle sans doute."

Il galopait au hasard des sentiers qui se présentaient à lui. Les pensées, les images, les souvenirs, les suppositions évoluaient, tourbillonnaient, s’entrechoquaient dans sa tête qui, peu à peu s’alourdissait, et, tout à coup, il s’aperçut que Fend-l’Air s’était arrêté non loin de la grande route et qu’il était immobile, pensif, sur sa selle, alors qu’il croyait encore galoper.

"D’où vient cette lassitude ? murmura-t-il en se secouant. Eh bien ! puisque mes yeux se ferment, que tout s’embrouille dans ma cervelle, et que Fend-l’Air s’est arrêté ici, c’est que je dois dormir sous ce vieux sapin que voici. Dormons donc !"

Là-dessus, il mit pied à terre, s’allongea sous le sapin, dans l’herbe épaisse, et ferma les yeux...