Le Carillon du Collier/Sirène

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CARILLON DU COLLIER


I

SIRÈNE


Elle passe, voyez, la splendide Sirène,
Étonnant les regards d’audace et de beauté ;
D’un peuple d’amoureux c’est bien la souveraine,
Déployant la souplesse avec la majesté.
 
Elle plane, avançant dans sa démarche lente
Comme glisse la lune au-dessus du vallon,
Ou, prise tout à coup d’allure turbulente,
Bondit, comme une chèvre, à l’angle du salon.

Chargé des feux du gaz et des feux des haleines,
L’air s’échauffe. Un parfum semble éclore dans l’air.
De murmures charmeurs les oreilles sont pleines ;
Des souffles caressants font frissonner la chair.


On se sent entouré d’une atmosphère étrange ;
Le rêve et le vertige effleurent tous les fronts.
De leur vol enivrant heureux qui se dérange !…
Car à saisir leur proie ils sont hardis et prompts.

La Belle est toute gaze, et dentelles, et soie,
Et satin… J’entends là le satin de sa peau.
D’un corsage impalpable où tout l’écrin flamboie
Sort l’épaule embrasant notre altéré troupeau,

Une épaule suave, opulente, divine,
— Diabolique surtout, — de ligne et de blancheur,
Une neige de feu, sous laquelle on devine
Le volcan ; tout ensemble incendie et fraîcheur.

D’un cou voluptueux descend sur cette épaule
Un bijou, vrai chef-d’œuvre en art grec, un Collier
À douze médaillons, dont chacun, — le doux rôle ! —
Rappelle un des amants venus pour se lier :

D’un côté, le profil de la chère victime,
Parfois un peu flatté ; de l’autre, son blason ;
De sorte que l’on a, dans l’effigie intime,
Le maître, mais surtout l’honneur de la maison.

Et cela fait plaisir à cette tendre femme
De tenir dans sa main, de pétrir, de broyer,
De salir à sa fange et de nous rendre infâme
Le grand nom qui d’amour lui donne le loyer.

La voilà donc qui trône, ironique et charmante,
Charmée aussi, buvant l’orgueil. Ses médaillons
Transforment en soleil la roturière amante,
Qui va, le sein gonflé, sous ces nobles rayons.


Oh ! la toute-puissante ! Oh ! l’astre !! Et qu’elle attise
Savamment le bûcher de vos cœurs ! En son œil
Brille, appel trop fatal, l’ardeur qui magnétise…
Courez, papillons fous qui riez de l’écueil !

Courez ! La Charmeresse est de force et de taille
À se poser en but à tout vaillant coureur.
Alertes ! Son beau corps est un champ de bataille…
Vainqueurs toujours vaincus, partez avec fureur !

Ne croyez pas, au moins, toutes les places prises :
Toujours en a son cœur, et son Collier… toujours.
Pour son immense vogue il n’est point de surprises…
Libre, par ses amis elle compte ses jours.

Allons ! accumulez vos chutes autour d’elle !
Comme des moucherons l’un sur l’autre tombez !
De vos cent mille morts elle sort immortelle…
Place ! troupeau d’amants, chapeaux bas ! reins courbés !

Laissez-la radier, puisqu’elle vous domine,
Et, si ce n’est assez du fulgurant métal,
À cette déité, près de qui tout chemine,
Vite abattez vos fronts pour faire un piédestal !

Elle mérite bien, la Courtisane-Reine,
Elle mérite bien ce triomphe sans pair…
Esclaves, portez-la jusqu’au bout de l’arène
Sans savoir, au trajet, si votre sang se perd.

Aussi bien il lui faut la grande apothéose
Pour s’étourdir un peu dans ses amers instants ;
Souvent un voile noir s’étend sur son ciel rose…
Car c’est lugubre, allez, de ternir des printemps !! —