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Le Centurion/18

La bibliothèque libre.
L'Action sociale (p. 81-83).

DEUXIÈME PARTIE

LE JOURNAL DE VOYAGE DE CAMILLA


I

DE ROME À POMPÉI


Dès le début du voyage, ma mère bien-aimée, je commence le « Journal » que j’ai promis d’écrire pour vous.

J’y noterai fidèlement toutes mes impressions, j’y décrirai les pays que nous visiterons ; et si nous sommes les témoins de quelques événements intéressants je n’oublierai pas de vous les raconter. Puissé-je rencontrer de temps à autre des courrier qui se chargeront de vous porter ces pages.

J’ai emporté avec moi mon livre de prédilection — l’Énéide — qui est à la fois un « guide » et un poème incomparable.

Je le lis avec délices quand Éole et Neptune me laissent en paix.

Pour mieux goûter l’harmonie des vers je les lis à haute voix, et souvent les matelots s’approchent et se groupent pour m’entendre. Eux aussi semblent apprécier la musique de notre belle langue poétique.

L’« Énéide » est un vrai guide dans le voyage que nous faisons, quoique certains lieux aient bien changé depuis l’époque d’Énée.

Mais Virgile n’a pas toujours tenu compte des huit siècles qui séparaient Auguste du héros troyen ; et il a souvent décrit les lieux tels qu’il les voyait lui-même, et tels qu’ils sont encore.

La mer Tyrrhénienne s’est montrée bien douce. En peu d’heures nous avons perdu de vue le port d’Ostie, et dès le lendemain nous abordions à Cumes. Sur la hauteur se dressent encore quelques ruines du temple d’Apollon, où vint prier Énée ; mais la Sibylle a déserté son antre creusé dans les flancs de la roche de Cumes.

S’il fallait en croire la description de notre Virgile, cette caverne aurait eu cent portes, et de ces cent portes sortaient autant de voix qui donnaient des réponses à ceux qui venaient la consulter :

Excisum Euboicæ latus ingens rupis in antrum
Quo lati ducunt aditus centum, ostia centum,
Unde ruunt todidem voces, responsa Sibyllæ.

Toute cette montagne d’Eubée a-t-elle été bouleversée par les tremblements de terre ? Je l’ignore, mais les lieux ne ressemblent plus guère à la description du poète. Ils semblent bien loin les temps où l’on ajoutait foi aux oracles de la Sibylle ; et je me demande qui pourrait aujourd’hui nous dire avec l’espoir d’être cru : Deus, ecce Deus, Dieu, voici Dieu ! C’est lui qui va parler par ma bouche.

J’ai voulu voir aussi le lac Averne, et la caverne profonde qui conduit aux enfers, aux champs des pleurs, lugentes campi, où gémissent ceux qu’un amour malheureux a conduits au trépas, aux champs des guerriers, arva ultima, au Tartare et aux Champs-Élysées. Mais ni le lac noir, ni les grottes sombres, ni les crevasses profondes dans les flancs des montagnes, ne peuvent nous conduire au séjour des âmes. Tout cela n’est donc qu’une fiction poétique ?

Et cependant il doit exister quelque part un royaume mystérieux qui survit à la mort, où les méchants sont punis, où les bons sont récompensés ! Quel dieu viendra nous révéler les mystères de ces régions inconnues ?

J’ai posé ces questions au divin Virgile en visitant son tombeau, au pied de la montagne, où des enfants de la Grèce sont venus fonder une nouvelle Parthénope. Mais il ne m’a rien répondu.

Cette belle colonie est en voie de devenir une cité très florissante. Les riches s’y bâtissent de somptueuses villas qui font face à la mer, et qui s’étagent sur les collines au milieu des vignes et des vergers jusqu’à Pompéi.