Le Centurion/58

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L'Action sociale (p. 411-415).

CINQUIÈME PARTIE

TRIOMPHE DU FILS DE DIEU


I

L’AMOUR PLUS FORT QUE LA MORT


La victoire de la mort était bien complète, et semblait bien définitive.

Le pouvoir politique et le pouvoir sacerdotal s’étaient unis pour en finir avec l’homme qui troublait leur repos, et le peuple avait été leur complice. Leur victime innocente dormait son dernier sommeil sous une colline de roches, dans un sépulcre fermé et scellé.

Dans l’opinion des hommes, tout était bien fini. Il ne restait plus rien du grand prophète, du grand docteur, du grand thaumaturge, et son souvenir mourrait bientôt dans la mémoire de ses faibles disciples.

Seule, au sommet du Calvaire, la croix était restée debout. Mais qui croyait alors qu’elle pût jamais devenir un signe de victoire ? Qui aurait pu s’imaginer qu’elle deviendrait un jour l’arbre de vie par excellence de toute l’humanité ?

Et cependant, il y avait encore des âmes restées fidèles à Jésus de Nazareth, et qui gardaient au plus intime de leur être les trois grands sentiments qui constituent la vie surnaturelle : la foi, l’espérance et l’amour.

La mort tue les hommes, mais non les sentiments, les idées et les doctrines qui contiennent des germes de vie.

Sur le mont Sion, dans une humble demeure, Pierre et Jean pleuraient et priaient. Ils pleuraient celui qu’ils avaient aimé, et qu’ils aimaient encore de toute leur âme, leur Maître, leur Père, leur ami. Qui priaient-ils ? Ils priaient celui qui leur avait dit qu’il était le Fils de Dieu.

Et si quelqu’un était venu leur dire : Il n’est plus celui que vous priez, il ne peut plus vous entendre, et vous ne le reverrez jamais, ils auraient répondu : Nous le reverrons dans son royaume, puisqu’il est allé nous y préparer une place.

Car c’était hier, du haut de la croix, qu’il avait encore parlé de son royaume avec le bon larron, et qu’il lui avait promis qu’il serait avec lui le jour même en Paradis.

Au Cénacle, les autres disciples et plusieurs des saintes femmes avaient passé la nuit dans la prière et dans les larmes. C’est maintenant qu’ils comprenaient à quel point ils l’aimaient, ce Maître qu’ils avaient suivi pendant trois ans, et quel vide sa mort allait faire dans leur vie.

Et là-bas, en Galilée, les premiers courriers qui avaient porté la nouvelle de la crucifixion, n’avaient rencontré que des incrédules. Non, cela n’était pas possible, le Maître de la Vie et de la Mort ne pouvait pas avoir été tué comme un homme ordinaire. Et que deviendrait la Galilée sans lui ? Comment se consoleraient-ils de ne plus le voir, et de ne plus l’entendre ?

L’affliction était universelle et profonde, parce qu’elle était proportionnée à l’amour.

Tous ces croyants sincères avaient-ils oublié la prophétie du Maître : qu’il ressusciterait le troisième jour ?

Non, mais elle était encore pour eux pleine de mystère. C’est lui, pensaient-ils, qui a ressuscité Lazare, et il nous avait donné auparavant tant de preuves de sa puissance que ce grand miracle ne nous étonna pas.

Mais à présent qu’il est mort lui-même, qui le ressuscitera ? Et quelle sera vraiment cette résurrection ? Reprendra-t-il avec nous sa vie d’autrefois ?… Et les trois jours annoncés, faut-il les prendre à la lettre, ou au figuré ?…

Ces questions traversaient leur esprit, mais sans s’y arrêter. Ils les repoussaient même, et ils ne s’interrogeaient pas à ce sujet.

La douleur les absorbait. C’est dans leur amour qu’ils souffraient ; et sans se préoccuper des futurs mystères, ils persistaient à croire que tout n’était pas fini ; et ils attendaient ce qui allait venir, et qui était encore l’inconnu pour eux.

La victoire de la mort n’était donc pas complète. Elle avait tué l’être aimé, mais l’amour qu’il avait inspiré était resté vivace dans le cœur des hommes. Il y avait même grandi ; et plusieurs, comme Gamaliel, Nicodème, Claudia et Camilla, n’avaient compris qu’après sa mort combien leur cœur appartenait au divin crucifié.

Les princes des prêtres eux-mêmes commençaient à douter de leur victoire. Ils s’étaient imaginés que le lendemain de la mort de leur victime serait un jour de réjouissance publique ; mais jamais jour de sabbat n’avait été aussi morne et lugubre.

La désolation semblait régner partout, et le Temple lui-même était désert, à cause des phénomènes effrayants qui s’y étaient accomplis la veille, et que personne ne pouvait expliquer.

La foule des curieux qui était montée au Calvaire la veille en était revenue épouvantée en se frappant la poitrine, et plusieurs se proclamaient les disciples de Jésus, maintenant qu’il était mort.

Sur la route de Césarée, le Procurateur fuyait, profondément troublé de s’être trouvé en face de l’Homme-Dieu : et près de lui chevauchait Caïus, accablé de douleur dans son double amour, mais inébranlable dans sa foi au Crucifié, et décidé à lui sacrifier tout, jusqu’à ses plus brillantes espérances d’avenir et les plus tendres sentiments de son cœur.

Mais pour connaître son état d’âme, il est nécessaire de raconter ce qui s’était passé la veille au soir, entre le nouveau disciple du Fils de Dieu, et sa bien-aimée Camilla.