Le Cercle hippique de Mézière-en-Brenne (Hetzel, illustré 1855)

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LE CERCLE HIPPIQUE
DE MÉZIÈRES-EN-BRENNE
par un habitant de la vallée-noire

GÉOGRAPHIE.

Le voyageur qui, venant d’Orléans, a traversé la Sologne aride, les plaines nues de Vatan, et enfin la brande d’Ardentes ou celle de Saint-Aoust, s’arrête ravi, à l’entrée de la Vallée-Noire. Quand il embrasse des hauteurs de Corlay, ou de celles de Vilchère, l’immensité de cet abîme de sombre verdure, relevé à l’horizon par les montagnes bleues de la Marche et du Bourbonnais, il croit entrer dans le paradis terrestre.

S’il remonte l’Indre jusque vers sa source, il aura à Sainte-Sévère et jusque vers Boussac de nouveaux enchantements. S’il la redescend par Buzançais et Chatillon, il contemplera encore une suite de beaux et vastes paysages, qui lui rappelleront les grands horizons de la Vallée-Noire.

Ou bien s’il gagne la Creuze vers le Pin, et qu’il descende avec elle jusqu’à Fontgombault, il traversera une petite Suisse ravissante, et il aura parcouru la plus belle partie du département et une des plus riantes contrées de la France.

En somme, ce département est sillonné par deux admirables vallées, celle de l’Indre, qui lui donne son nom, et celle de la Creuse, avec les ravins pittoresques de ses affluents torrentueux. Mais, entre ces deux régions profondes, fraîches et riches, s’étend un plateau uni, triste, malsain et pauvre : c’est la Brenne.

Si vous regardez la Brenne figurée sur les vieilles cartes enluminées de Cassini, la physionomie d’une contrée si sauvage vous serrera le cœur ; pas de chemins, pas de villages, des espaces immenses sans un clocher, sans une ferme, sans un bosquet. Partout des étangs semés à l’infini dans la bruyère. Les nouvelles cartes départementales ne la montrent guère plus florissante.

Cependant la Brenne n’est ni aussi laide, ni aussi morte qu’elle le paraît dans ses portraits. Pour les yeux du peintre ou du romancier, cette rase terre, inondée en mille endroits, cette folle végétation d’herbes inutiles, qui s’engraissent dans le limon, ne manquent pas de caractère. Il y a même une certaine poésie de désolation dans ces plaines de roseaux desséchés par la canicule. On se croirait loin, bien loin de la France, dans quelque désert où l’homme n’aurait point encore pénétré. Si l’on peut trouver un tertre, un donjon, le château du Bouchet, par exemple, et que la vue parvienne à planer sur une grande étendue de terrain, cela est aussi beau, dans son genre, que nos tableaux chéris de l’Indre, de la Creuze ou de la Bouzanne.

HABITANTS RICHES ET PAUVRES.

Pour la vie de château, la Brenne est une terre promise. Il y a là de riches manoirs, de vastes espaces à parcourir pour la chasse, ou à fertiliser par la culture, du gibier en abondance et de gros revenus… plus gros en réalité que ceux de nos terres grasses, dont la moindre parcelle se vend au poids de l’or et ne peut fructifier en raison de sa valeur numéraire. Il y a en Brenne un magnifique avenir pour les riches : car les améliorations commencent à porter leurs fruits, et quiconque veut y verser des capitaux, peut déjà reconnaître qu’avec des engrais et des travaux d’irrigation ce sol devient fertile et généreux.

Que la richesse se tourne donc vers l’agriculture ; que le gouvernement l’aide, et la Brenne, qui a déjà plusieurs routes importantes, aura des canaux, des moissons, des haras, de vastes fermes et de riches villages.

Tout cela est commencé, et déjà une apparence de bien-être se fait sentir. Depuis quelques années surtout la Thébaïde du Berry n’est plus reconnaissable. Elle se pare, elle se peuple, elle s’assainit. Le pauvre en profite… dans la limite que l’ordre social lui assigne, et ce n’est guère ! Mais enfin c’est mieux que rien, et les efforts du riche pour doubler la richesse de la terre sont plus agréables à voir que l’incurie ou l’abandon, puisque l’indigence peut ramasser, du moins, les miettes d’une table bien servie.

Hélas ! hélas ! n’y aurait-il pas un chemin plus droit pour aller plus vite au secours de la misère, plus large surtout, pour que tous les hommes pussent y passer de front ?

Mais à quoi bon soupirer ? Ceux qui sont aux affaires de l’État ont bien d’autres soucis en tête que les affaires de l’humanité.

Pour ne parler que de ce qui serait possible dès à présent, je voudrais que l’État voulût acheter des terres en Brenne, en Sologne, dans la Marche, dans les landes de Bordeaux, dans tous ces pays incultes que ravage la fièvre, et que dépeuple la misère. Il en aurait de grandes étendues à vil prix. Il y établirait ces nombreuses familles de misérables, qui n’ont d’autres ressources que celles du brigandage ou de la mendicité. Il les rangerait sous la loi d’une communauté éclairée et dirigée officiellement par lui. Il leur ferait, en instruments de travail, les avances nécessaires. Le pays défriché, assaini, et fertilisé par ces travailleurs, verrait s’élever de riches colonies… mais c’est un rêve ! Il faudrait consacrer quelques millions chaque année à la prospérité de l’homme, et le gouvernement ne marche point sur ces jambes-là. Il veut que le riche s’enrichisse encore et que le pauvre disparaisse par les moyens naturels, à l’usage des sociétés modernes, le vol ou la mort.

Aucune religion sociale, aucune pensée humaine dans l’esprit des gouvernants ne venant en aide, les devoirs des grands propriétaires à l’égard de leurs pauvres paysans sont restreints dans les limites du possible. Ce possible ne va pas loin. Les ressources à consacrer au salut du pauvre sont vite épuisées. Elles sont proportionnées au revenu, aux charges de famille et de position plus ou moins bien entendues. La charité particulière apporte un certain soulagement dans un certain rayon. Oui, c’est la question d’un peu plus ou d’un peu moins, suivant l’économie ou la libéralité de chacun. Ceux qui font tout le bien possible font immensément, vu la difficulté quasi insoluble d’être généreux sans se ruiner, dans cette société. Ils ne font presque rien si l’on considère le fait contre lequel leurs efforts se brisent ; la chaumière à côté du château, la fièvre et la misère permanentes liées au sol, tandis que le riche se déplace à son gré, et ne vient respirer l’air des campagnes qu’à certains jours, au milieu des jouissances qu’il porte avec lui et qui lui servent de contre-poison contre l’insalubrité de ses domaines. Si le riche n’était pas gouvernement, il faudrait l’absoudre quand il est inoffensif, et le bénir quand il est paternel. Mais le riche est électeur, éligible, les chambres font les lois. La majorité des riches est donc sans entrailles ?

La portion de la noblesse qui proteste contre ces majorités, ou qui, par dégoût, refuse de prendre part aux défaites parlementaires de toute bonne intention, retrouve, dans un certain sens, la supériorité morale que lui avait enlevée la révolution. On lui retira alors de vains et injustes privilèges, on fit fort bien. Sous la Restauration, elle voulut les recouvrer, et se perdit une seconde fois. À l’heure qu’il est, lorsqu’elle ne fait point cause commune avec le règne de l’argent, et lorsqu’elle ne conspire point pour un principe monarchique désavoué par le pays, son rôle est plus beau qu’il ne l’a jamais été. Il ne lui reste du passé qu’un seul droit : celui de faire le bien. C’est là, comme dit la chanson, le plus beau droit du seigneur. Quand le châtelain est riche et répand ses bienfaits autour de lui, comme il a beau jeu contre l’industrie qui l’a renversé du pouvoir ! Retiré sur ses domaines, innocent des spéculations gouvernementales, patriarche aimé du paysan, qu’il soigne dans ses maladies et assiste dans sa détresse, il se venge, en vrai gentilhomme, du financier, ce faux ami du peuple, qui, après avoir exploité, en 1830, la bonne foi des masses, les écrase aujourd’hui, comme faisaient, au temps jadis, les rudes barons de la féodalité.

Vengez-vous ainsi, et vengez-vous beaucoup, patriciens ! Parmi les parvenus, il en est qui le sont bien légitimement par leur mérite : vous vous entendez facilement avec ceux-ci. Quant aux simples parvenus de fortune, entraînez-les, si vous pouvez, par l’émulation ; sinon, faites-leur la guerre avec les armes qui sont dans vos mains. Achetez, par la bonté, le cœur des pauvres, et opposez cela aux consciences des électeurs achetées par l’appât de la cupidité. L’orgueil est dans votre sang, et, en attendant le règne de l’Évangile, qui condamne même l’orgueil de la vertu, ayez celui de la vertu ! Il vaut mieux que celui des écus et des blasons.

Ce qui caractérise le Berry autant que l’hospitalité et la libéralité de sa vieille noblesse, c’est l’indépendance et le dévouement d’une notable partie de sa bourgeoisie démocratique. Là, comme partout, le paysan n’a point encore d’idées sur les choses générales, quoique, dans les détails qui intéressent sa vie morale et physique, il soit éminemment judicieux. L’ouvrier des manufactures ne semble point cultivé comme celui des grands centres de population. Sans doute, là comme ailleurs, il rêve et creuse son problème ; mais, là plus qu’ailleurs, il souffre et se tait. Le petit bourgeois, qui est tout près du peuple par son origine ; l’avocat, le curé de campagne, le médecin, le notaire, ceux enfin qui touchent a ce qu’il y a de plus fier et à ce qu’il y a de plus humble dans le monde, le mince propriétaire qui, vivant aux champs, sait cultiver son esprit dans de doux loisirs ; ces hommes-là, dans la Brenne comme dans la Vallée-Noire, sont portés, en grand nombre, à faire le bien.

DIGRESSION.

Je veux rappeler, en passant, un fait digne de remarque. Dans la petite ville de La Châtre (5,000 âmes), il y a huit médecins ; ce qui atteste qu’ils ne font point fortune, et auraient grand besoin d’être largement payés. Eh bien, tous exercent la médecine quasi gratis, dans les campagnes. Quand on a voulu dernièrement organiser chez nous une association de charité (que, par malheur, l’administration a refusé d’autoriser), ces huit médecins se sont trouvés tout prêts à exercer leurs fonctions envers les pauvres pour l’amour de Dieu. Par ce détail, et par le nombre de souscriptions rapidement couvertes, par le zèle des commissaires à s’enquérir des besoins des misérables qui pullulent dans cette ville, à leur porter du linge, du travail ; à leur ouvrir des salles d’asile, des écoles, des secours à domicile, on peut juger de nos bons cœurs berrichons.

Quelle inconcevable méfiance ou quelle légèreté impardonnable égare donc l’administration gouvernementale lorsqu’elle paralyse de si nobles élans ? Craint-elle que les élections ne s’en ressentent ? Le pauvre sera donc victime de la honte du système !

LE CERCLE HIPPIQUE.

Le gouvernement n’a encore fait pour la Brenne que très-peu, comparativement à ses grands besoins. Les conseils généraux s’en occupent, on en parle, on espère. Mais jusqu’à présent les améliorations notables sont venues des particuliers. Il en est une dont la pensée appartient à un noble propriétaire, et dont l’exécution repose presque entièrement encore sur le dévouement et le zèle d’une association d’individus. C’est l’institution du Cercle hippique de Mézières, encouragée et faiblement subventionnée par les ministères de la guerre et de l’agriculture.

HISTOIRE DE LA BRENNE.

Pour faire comprendre l’importance de cette création, il faut rappeler succinctement l’histoire agricole de la Brenne. MM. de la Tremblais, Navelet et de Lancosme-Brèves l’ont fait dans plusieurs écrits remarquables.

Couverte jadis de vastes forêts bien arrosées, cette contrée fut incendiée, en partie, par les habitants, qui sans doute disputèrent aux nobles veneurs, leurs suzerains, une terre que ceux-ci regardaient comme un lieu de plaisance pour courre le cerf, et que les pauvres voulaient convertir en vastes parcours pour leurs troupeaux. Puis vinrent les communautés religieuses, qui, propriétaires de grandes étendues de pays, et voyant leurs usines dévorer le reste des bois, cherchèrent une source de revenus dans le produit des étangs. Les barrages établis, les eaux retenues et multipliées, détruisirent par la souche ce qui demeurait de ces chênes séculaires, et la contrée commença à devenir malsaine, le climat mortel. Les bras manquant à la culture et le bois aux forges, la ressource funeste des étangs fut mise à profit avec une imprévoyance toujours croissante. La Brenne devint alors une sorte de désert, dont les pâles et rares habitants se traînaient sur un sol ruiné, respiraient des miasmes fétides, et mouraient avant d’atteindre la moitié de la durée moyenne de la vie.

En 93, la Convention ordonna la suppression des étangs dans certaines localités. Cette sage mesure porta ses fruits. La moyenne des décès fut d’un tiers moindre pendant la période de 1793 à 1802, dans laquelle la mesure du dessèchement fut observée, que pendant la période de 1803 à 1842, où elle fut abandonnée, et les étangs remis en eaux.

La grande propriété qui, en Angleterre et en Irlande principalement, a chassé l’homme de ses domaines, l’a donc tué dans la Brenne. À l’heure qu’il est, elle voudrait repeupler le pays, chasser la fièvre, créer des ressources au paysan. Les hommes riches comprennent, soit par le cœur, soit par la raison, qu’il est d’un intérêt mal entendu de s’isoler de la population, et ils travaillent à réparer la faute des aïeux. Plusieurs, nous le croyons fermement, sont poussés à cette entreprise par des sentiments d’humanité et le cri d’une bonne conscience.
LE CHEVAL DE BRENNE.

On ne saurait trop approuver et encourager le propriétaire zélé à qui nous devons l’idée du Cercle hippique de Mézières. Amateur passionné des chevaux, il s’est pénétré du côté utile et sérieux de cette étude. Il y a consacré du temps, de l’argent, des voyages. M. le comte Savary de Lancosme-Brèves a donc droit à la gratitude de tous les habitants du pays.

Dans un très-bon rapport présenté en 1843 au conseil général de l’Indre, M. Navelet, maire de Mézières, propriétaire considérable et homme distingué par son érudition et ses connaissances, démontra la nécessité de canaliser la Claise. Il fournit plusieurs points de vue dignes d’être pris en considération. Déjà, en 1837, M. de la Tremblais avait lu à la Société d’agriculture du département un mémoire intéressant sur cette question. Une commission composée de citoyens éclairés, chargée de s’enquérir des moyens les plus efficaces pour rendre la salubrité et la fertilité à la Brenne, s’était livrée à des travaux sérieux. En 1843, M. de Lancosme-Brèves présenta aussi un rapport qui résume les choses à ce point que nous en rendrons compte ici.

Après avoir retracé, rappelé et soutenu les études antérieures sur la Brenne, M. de Lancosme-Brèves demanda la création d’une école nationale d’agriculture et de haras, projet qui se rapporte à la grande question nationale agitée dans la Chambre des députés, relative à l’industrie chevaline si compromise aujourd’hui. C’est, avec certaines différences de détail, le même projet, quant au fond, que M. le vicomte d’Aure poursuit encore maintenant avec zèle et talent. Moyennant la lumière et la sanction qu’apportera dans ces propositions l’examen approfondi des commissions nommées par la Chambre, de telles études hâteront, il faut l’espérer, la réhabilitation et le salut de l’industrie chevaline en France, et dans la Brenne en particulier. On peut résumer les divers travaux présentés sur cette matière, en disant que le gouvernement est appelé à prendre en main la haute direction de la production et de l’éducation du cheval, à apporter des réformes indispensables dans l’administration des haras, à créer des écoles spéciales, en un mot à reconnaître les ressources que possède la France, et à l’affranchir de l’énorme impôt payé à l’étranger pour la consommation générale et la remonte de la cavalerie.

Il ne nous appartient pas de trancher toutes les questions de détail soulevées par la question elle-même. Mais ce que nous voyons clairement avec tout le monde, c’est que l’État ne peut les laisser plus longtemps dans le doute, qu’il ne doit pas reculer devant des travaux d’examen et des sacrifices devenus indispensables. « On se rappelle, dit M. de Lancosme-Brèves, dans son rapport, que, sur un simple bruit de guerre, 20 millions furent votés : c’est-à-dire, qu’en un seul jour, l’État perdit un million de revenu, sacrifice qui ne profita qu’aux étrangers. »

Tous les hommes compétents qui aperçoivent ce que l’on pourrait faire en France pour l’industrie chevaline, avec 20 millions, déploreront longtemps l’erreur commise à cette époque, erreur énorme, mais que des abus consacrés et une longue incurie antérieure avaient rendue presque inévitable.

En attendant l’intervention large et réelle de l’État, M. de Lancosme-Brèves, soutenu par un zèle à toute épreuve, et résolu à ne reculer devant aucun sacrifice personnel, a réussi à créer le Cercle hippique. Il a été secondé par ses compatriotes. Riches, nobles, bourgeois, légitimistes, conservateurs ou démocrates, tous ont compris l’utilité de son plan, et la nécessité de s’y associer, chacun dans la mesure de ses moyens ou de sa libéralité. Désormais le cercle hippique est fondé. Chaque année il prospère, et, déjà, ses beaux résultats dépassent les espérances qu’on en avait conçues.

C’est que, jusqu’à présent, et dès à présent, l’élevage du cheval a été, et doit être, la principale ressource de la Brenne. Ce qui doit nous intéresser au plus haut point, c’est que cette industrie agricole est la plus prompte, la plus certaine pour améliorer la condition du petit cultivateur et créer une occupatlion saine et fructueuse au prolétaire. Il se passera encore des années avant que les grands travaux de canalisation épurent l’atmosphère, avant que la grande culture puisse engraisser, sur tous les points, ces limons sablonneux, enfin avant que, dans tous ces progrès vastes, mais lents, le pauvre paysan ait trouvé assez d’ouvrage et recouvré assez de santé pour amasser quelque chose et s’affranchir un peu de l’aumône et du salaire. Tout en demandant les grands remèdes, M. de Lancosme-Brèves et tous ceux qui l’ont aidé de leur intelligence ou de leurs sacrifices, ont été fort sagement au plus pressé. C’était de créer une richesse agricole immédiate, et qui se trouvât pour ainsi dire sous la main. Elle était dans l’élevage et l’amélioration de la race chevaline.

Dans plusieurs écrits, M. de Lancosme-Brèves a prouvé l’excellence du cheval de Brenne. Nous ne citerons, pour abréger, que le résumé tracé dans son rapport au conseil général.

« Sans soin, sans nourriture substantielle, le cheval du pays arrive néanmoins à la constitution la plus robuste. Il est petit, mais vigoureux : ses naseaux ouverts indiquent que l’air arrive facilement aux organes de la respiration. Sa poitrine haute et large loge des poumons d’une nature exceptionnelle. Ces animaux font souvent des trajets de 40 à 50 kilomètres, sans en éprouver d’altération, et il n’est pas rare de rencontrer des chevaux brennoux qui font dans une journée jusqu’à 100 et 120 kilomètres. Leurs membres secs et évidés indiquent encore que le sol ne donne pas au cheval qu’il nourrit le tempérament lymphatique qui se trouve dans une grande partie des chevaux de l’Europe. En un mot, les qualités du cheval de guerre, la sobriété, la vigueur, et les qualités brillantes du cheval arabe et du cheval anglais se retrouvent dans le fidèle compagnon du paysan de la Brenne. Nous pouvons dire avec certitude, par l’expérience acquise de plusieurs éleveurs, que les qualités du cheval de sang recevraient de nouveaux développements par la nature du sol de la Brenne…

« Continuellement soumis aux intempéries des saisons, le cheval du pays se nourrit d’une herbe produite par un sol ni trop gras, ni trop maigre, dont le sous-sol, presque imperméable, retient les eaux facilement et fait de la terre une prairie sans fin, produisant l’herbe abondante, mais qui ne contient pas les principes trop nutritifs des prairies grasses. »

Nous pouvons aisément vérifier par notre expérience, nous autres habitants de la Vallée-Noire, la vérité de cette dernière assertion. Les herbages si gras et si magnifiques de nos prairies conviennent aux ruminants plus qu’au cheval, et encore avons-nous à lutter chaque année, aux jeunes herbes, contre l’apoplexie de nos superbes bœufs de trait. Le foin substantiel de nos vallées ne produit que des chevaux lymphatiques et de courte haleine, quand nous ne corrigeons pas cette pâture par des soins particuliers. La race du terroir est mauvaise. Pour l’usage, nous nous sommes longtemps approvisionnés de ces excellents petits chevaux brandins, que nous avons eu le tort d’abandonner, croyant obtenir des merveilles du croisement brusque de nos chétives poulinières avec les étalons de sang envoyés par les haras. Ces produits ont été généralement monstrueux et détestables, tout à fait impropres à soutenir la fatigue de notre pays montueux et des routes durement creusées sur presque tous les points de l’arrondissement de La Châtre. Ce n’est qu’en Brenne que nous pouvons espérer de remonter nos métairies par l’acquisition de ces juments brandines, qui s’allient si bien au sang percheron et au sang arabe, leur cousin germain, leur aïeul peut-être[1].
CONCOURS DE MÉZIÈRES.

Cette année, le concours des poulains et des juments de la Brenne a été des plus remarquables. Dans un vaste cirque de verdure, ombragé de beaux arbres, et borné par les sinuosités de la Claise, cette foule de jeunes quadrupèdes, hennissant et bondissant autour de leurs mères, offrait un spectacle aussi gracieux pour le peintre qu’intéressant pour l’agriculteur. On pouvait voir là le progrès rapide dans l’élégance des formes du poulain, et constater la bonté de la souche dans le flanc solide, la jambe sèche, et le large poitrail de la haquenée sa nourrice. Le caractère intelligent et doux de cette race, qui vit avec l’homme des champs comme le coursier d’Arabie avec son maître, pouvait aussi être constaté sur place. Le vaste et fier troupeau, agité par l’aspect de la foule, étonné de se voir retenu par des liens dont il ignorait encore l’usage, se livrait à un grand mouvement et à un grand bruit, mais sans colère et sans perfidie. Un enfant suffisait pour contenir les plus mutins, et l’on pouvait circuler, dans ce troupeau sauvage, sans craindre ni ruades ni morsures.

Les jeunes dompteurs indigènes, déjà mieux vêtus, mieux nourris, et mieux portants que par le passé, produisaient avec un naïf orgueil ce brillant résultat de leurs soins.

LES COURSES.

Après le concours et les primes accordées aux juments et à leur suite, les jeunes chevaux du pays ont lutté d’haleine et de rapidité sur l’hippodrome de Mézières, aujourd’hui le plus beau et le meilleur de France pour la course. L’émotion passionnée avec laquelle le public indigène, composé en grande partie de paysans à la physionomie caractérisée, assiste à ce spectacle, le rend plus animé et plus pittoresque qu’aucune course que j’aie vue. Une grande file de voitures offre aussi la variété la plus piquante, depuis le riche équipage traîné par de grands chevaux anglais jusqu’à la charrette du paysan tirée par sa paisible mais vigoureuse poulinière. Au centre de la Brenne, dans ce pays naguère si misérable, inondé la moitié de l’année, à peine habité, et nullement fréquenté, on est fort surpris de se trouver sur une belle route encombrée d’équipages fringants, d’omnibus, de diligences, de pataches, de curieux, et de véhicules de toute espèce. C’est Longchamps transporté au milieu du désert, plus la population rustique, qui donne la vraie vie au tableau, et qui s’amuse pour tout de bon, vu que ceci l’intéresse un peu plus que les splendeurs du luxe n’intéressent le pauvre peuple de Paris ou de Versailles.

À peine les courses ont-elles commencé, que l’arène est envahie par des flots de peuple, qui s’élance sous les pieds des chevaux pour encourager les concurrents ou féliciter les vainqueurs. C’est à grand’ peine que les commissaires, le curé, les gendarmes et le garde champêtre, tous gens paternels dans notre bon pays, peuvent contenir cette agitation et prévenir les accidents. La course des cavarniers est la plus intéressante pour le compatriote, la plus originale pour l’artiste. Le cavarnier est le gamin de la Brenne. C’est le jeune garçon ou l’enfant qui élève, soigne et dompte le cheval sauvage. Pieds nus, tête nue, sans veste, le cavarnier galope sur le cheval nu. C’est tout au plus s’il admet le bridon, habitué qu’il est à diriger sa monture avec une corde qu’il lui passe dans la bouche. Celui qui a gagné le prix, cette année, avait, je crois, neuf ou dix ans. En arrivant au but, il a glissé en riant sous le ventre de son cheval baigné de sueur, luisant et poli comme un glaçon, mais non pas aussi froid ; car il faisait, ce jour-là, 32 degrés de chaleur à l’ombre, et l’ombre est un mythe sur les plateaux de la Brenne. Un brave paysan ramassa l’enfant et l’éleva dans ses bras pour l’embrasser. Il riait et pleurait en même temps, car il savait le danger qu’avait bravé son fils, et les quelques minutes d’une course si rapide sous les yeux du public sont bien longues pour un père.

Mais ce danger est une bonne nourriture pour l’homme, et j’aime que le paysan soit cavalier de naissance. Il semble que cela le rende déjà libre et le grandisse de toute l’énergie, de toute la fierté que l’air des champs devrait souffler partout sur l’enfant de la nature.

Après les courses rustiques, et les courses de char, qu’il faudrait encourager partout, nous avons vu des courses fashionables. Elles ont été superbes, pleines de luxe, d’émotion, de courage et d’habileté. Mais il n’est pas de notre ressort de parler bien savamment de ces joutes élégantes. Les cavaliers applaudis de tout cœur et les victorieux intrépides n’ont pas besoin d’encouragements. Ils apportent à Mézières la gloire de leurs prouesses, et nous ne saurions rien y ajouter qui ne fût un hommage superflu.

Quant à nous, paisibles cavaliers et raisonnables voyageurs de la Vallée-Noire, nous devons prendre l’engagement, sinon de nous défaire de nos vieux chevaux, qui sont parfois de fidèles amis, ce qui serait par trop romain, du moins, aussitôt que nous aurons à les renouveler, d’aller en Brenne, afin d’encourager nos frères les cultivateurs de la plaine, et de pouvoir dire avec fierté : « Berrichon je suis, et mon cheval aussi. L’un portant l’autre, nous irons vite et loin. »

GEORGE SAND.
  1. On prétend que les seigneurs croisés nous ont ramené beaucoup de chevaux de l’Orient et de l’Afrique, qui ont engendré notre race brandine. À voir la construction du cheval brennoux, cette supposition ne paraît point trop hasardée.