Le Château aventureux/44

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XLIV


C’était au joli temps que les arbres fleurissent et que les prés verdissent, que les oiseaux chantent doucement en leur latin, et que toute chose flambe de joie. Ce matin-là, en entrant dans la forêt, Perceval sentait son cœur tellement réjoui du soleil et du chant des oiselets qu’il ne savait que devenir : il ôta la bride de son cheval et le laissa paître à sa guise, puis, pour se divertir, il se mit à lancer ses javelots, tantôt haut, tantôt bas, l’un en arrière, l’autre en avant.

Or, durant qu’il s’amusait ainsi, voici venir cinq fer-vêtus chevauchant à grand bruit, car leurs armes heurtaient les branches, leurs hauberts frémissaient, leurs lances frappaient leurs écus. Le valet, qui entendait ce fracas sans rien voir, songea tout d’abord à ce que sa mère lui avait dit des diables qui courent en ce monde, enclins à faire un bruit furieux et des mouvements tempétueux. « Elle m’a enseigné qu’il se faut munir en pareil cas du signe de la croix, se dit-il. Je le ferai et dirai mon Credo ; mais je lancerai ensuite un javelot au plus fort de ces démons et je le blesserai si rudement que les autres n’oseront approcher. »

Pourtant, quand les cinq chevaliers débuchèrent et lui apparurent, l’écu au col et la lance au poing, leurs hauberts blancs, verts ou vermeils luisant au soleil, tout brillants d’or, d’azur et d’argent, il s’écria, émerveillé :

— Certes, ce ne sont pas là des diables, mais des anges ! Et ma mère ne m’a point menti quand elle m’a dit que les anges sont les plus belles créatures qui soient après Dieu. Le plus reluisant et resplendissant d’entre eux, il faut que ce soit Notre Sauveur en personne. Je vais l’adorer, et honorer ses serviteurs.

Là-dessus, il se prosterne et commence de réciter tout ce que sa mère lui avait enseigné de prières et d’oraisons, tant que le maître chevalier, le voyant ainsi, dit à ses compagnons de s’arrêter pour ne pas l’effrayer à mort et s’avança seul auprès de lui.

— N’aie pas peur, valet.

— Je n’ai point peur, par le Sauveur ! Mais n’êtes-vous point Dieu ?

— Non, par ma foi ! Je ne suis qu’un chevalier. Mais dis-moi : n’as-tu pas vu passer par ici cinq hommes et trois pucelles ?

— Un chevalier ? Je n’ai jamais entendu parler de chevalier. Mais vous êtes plus beau que Dieu, luisant de la sorte… Qu’est-ce que vous tenez à la main ?

— C’est une lance, valet.

— Voulez-vous dire que vous lancez cela comme je fais mes javelots ?

— Non, certes ! On en frappe de près ceux contre qui l’on bataille.

— Mes javelots valent donc mieux, car j’en atteins bêtes et oiseaux d’aussi loin qu’on pourrait tirer une flèche.

— Je n’ai que faire de tout cela. Réponds à ma question.

Mais le jouvenceau touchait le bas de l’écu.

— À quoi vous sert ceci ?

— Voilà merveille ! Beau doux ami, je pensais apprendre quelque chose de toi, et c’est moi qui t’enseigne. Ce que je porte se nomme écu : quand on veut me blesser, l’écu me protège.

Cependant les quatre chevaliers, voyant leur seigneur parler si longuement, s’étaient approchés au pas.

— Sire, dirent-ils, les Gallois sont par nature plus sots que des bêtes. C’est muser à la muse et perdre le temps à des folies, que d’interroger celui-ci.

Mais Perceval tirait le chevalier par le pan de son haubert.

— Qu’est ceci, beau sire ? reprit-il.

— Valet, c’est mon haubert d’acier qui est aussi pesant que fer. Grâce à lui, si tu me jetais tous tes javelots, ils ne pourraient me faire aucun mal.

— En ce cas, Dieu garde les cerfs et les biches d’avoir des hauberts ! Mais êtes-vous né ainsi fait ?

— Nenni, valet. Tu es trop sot.

— Et qui vous donna donc ces beaux habits ?

— Il n’y a pas quinze jours entiers que je reçus tout ce harnais du roi Artus, quand il me revêtit de l’ordre de chevalerie, qui est le plus noble et le plus triomphant que Dieu ait créé. Mais apprends-moi, si tu le sais, ce que sont devenus les cinq hommes et les trois pucelles que je poursuis. Vont-ils au pas, ou s’ils s’enfuient ?

— Sire, au delà des grands bois qui environnent cette colline, il y a une vallée où les métayers et les laboureurs de ma mère sèment et hersent. Ils vous diront si ceux que vous suivez ont passé là.

À ces mots, les chevaliers piquèrent des deux et s’en furent au galop, laissant Perceval tout rêveur.