Le Chant du printemps
LE CHANT DU PRINTEMPS.
Le printemps, le printemps ! Tout renaît et fleurit.
Le vin de la jeunesse enivre la nature.
Au bord de chaque haie une rose sourit,
Et les fils de la Vierge errent à l’aventure ;
Les abeilles des bois sentent pousser leur dard ;
C’est le temps de chanter les baisers et les roses,
— Fleurs des jardins des cieux dans nos fanges écloses,
Et de se restaurer de petits pois au lard.
C’est le temps où le cœur se cabre sous l’essaim
Des désirs effrénés de volupté lascive,
Où le bourgeois naïf s’habille de basin,
Où les paletots blancs passent à la lessive.
Où les collégiens s’endorment sur leurs bancs,
Où les myosotis et les pommes de terre
Cousent près des flots bleus du ruisseau solitaire,
À la robe des prés leurs nœuds et leurs rubans.
Le printemps, le printemps ! Dans les bois réveillés
Renaît l’hymne indistinct des sources voyageuses,
Les oiseaux revenus dans les sombres halliers
Émaillent de leurs chants les clairières songeuses.
Les amoureux s’en vont aux marges des forêts
Admirer la nature et manger des saucisses,
Et le corps en sueur de ces doux exercices,
Ils ramassent un rhume en quittant les marais.
C’est la saison féconde où la barbe et les vers
Poussent, l’une au menton, et les autres aux tempes ;
Où la gaîté renaît au cœur de l’univers ;
Où les marchands forains étalent leurs estampes.
Que les flots capiteux d’un vin vieux et vermeil
Pétillent dans la coupe où les bouches aspirent ;
Que tous les cœurs meurtris qui dans l’ombre soupirent,
Se taisent pour chanter l’amour et le soleil.
Car c’est un fait certain, que l’oseille et les pois
Poussent dans les jardins à la saison nouvelle,
Et que les épiciers préparent leurs empois
Pour durcir les faux-cols où l’homme se révèle ;
Car il faut au printemps mettre tous les deux jours
Une chemise fraîche, ainsi qu’un faux-col vierge ;
Attendu que le linge où notre corps s’héberge,
À la sueur des reins se noircira toujours.
En avant ! en avant ! Allons dans les prés verts,
Au bord du doux sentier qu’ombrage la charmille,
Manger des boudins frais et réciter des vers,
En cueillant des muguets et de la camomille.
Aux émanations qui montent des guérets
Allons tremper nos reins qu’a délabrés la ville ;
Allons au grand soleil, loin d’un monde servile,
Élargir nos poumons à l’air pur des forêts.
Le soleil jeune et fort déborde de rayons ;
Les fleuves et les monts s’étreignent dans l’ivresse ;
Et les prés rajeunis où nous nous asseyons
Répondent au soleil caresse pour caresse.
Tout se pâme et s’oublie en des baisers divins ;
La sève, comme un sang, dans les plantes circule ;
Et, lorsqu’au front des cieux s’étend le crépuscule,
De longs hoquets d’amour s’exhalent des ravins.
Allons chercher aux bois, derrière les grands troncs,
Quelque taillis secret que nul vent ne soulève ;
Nous fumerons d’abord, et puis nous dormirons :
L’homme est né pour dormir, car la vie est un rêve ;
Des songes à nos yeux écloront les séjours,
Et dans un long sommeil, lourd, apathique et morne,
Nous serons tout un jour heureux comme une borne :
Le bonheur ici-bas c’est de dormir toujours.