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Le Chercheur de pistes/42

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Amyot (p. 370-378).
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XVIII.

Le Blessé.

Nathan avait abandonné son frère étendu sur le sol, évanoui, perdant son sang par une large blessure à la poitrine et s’était en toute hâte rendu au rancho del Coyote.

Son arrivée inattendue fut un bonheur pour Andrès Garote que le squatter commençait à secouer rudement et auquel, sans nul doute, il se préparait à faire un mauvais parti.

Aux paroles de son fils, le Cèdre-Rouge lâcha le gambusino qui alla tout chancelant et à demi étouffé s’appuyer à la muraille.

— Eh bien, demanda-t-il, où est doña Clara ?

— Venez avec moi, père, répondit le jeune homme, je vous conduirai près d’elle.

— Tu connais donc sa retraite ?

— Oui.

— Moi aussi je la connais, s’écria Fray Ambrosio en se précipitant dans la salle le visage bouleversé, je savais bien que je la découvrirais.

Le Cèdre-Rouge le regarda avec étonnement.

Le moine ne sourcilla pas.

— Que s’est-il donc passé ici ? fit le squatter au bout d’un instant en promenant du moine au gambusino un regard soupçonneux.

— Une chose bien simple, répondit Fray Ambrosio avec un accent de vérité inimaginable ; il y a deux heures environ, votre fils Schaw est arrivé ici.

— Schaw ! s’écria le squatter.

— Oui, le plus jeune de vos enfants ; c’est ainsi qu’il se nomme, je crois, n’est-ce pas ?

— Oui, continuez.

— Fort bien. Il s’est donc présenté à nous comme venant de votre part pour enlever la prisonnière.

— Lui ?

— Oui.

— Et qu’avez-vous fait ? fit le squatter avec impatience.

— Que pouvions-nous faire ?

— Eh ! by God ! vous opposer au départ de la jeune fille.

— Caspita ! croyez-vous donc que nous l’avons laissée aller ainsi ? répondit imperturbablement le moine.

Le squatter le regarda avec étonnement, il ne comprenait plus du tout. Comme tous les hommes d’action, la discussion lui était presque impossible, surtout avec un adversaire aussi retors que celui qu’il avait devant lui. Trompé par l’aplomb du moine et la franchise apparente de ses réponses, il voulut en finir.

— Voyons, dit-il : comment tout cela s’est-il terminé ?

— Grâce à un auxiliaire arrivé à votre fils, et devant lequel nous avons été contraints de nous courber.

— Un auxiliaire ! Quel peut être l’homme assez hardi pour oser…

— Eh ! fit vivement le moine en interrompant le Cèdre-Rouge, cet homme est un prêtre devant lequel vous-même vous vous êtes incliné déjà bien des fois.

— Moi !

— Vous.

— Vous vous moquez, señor padre, s’écria le squatter avec emportement.

— Pas le moins du monde. Quiconque se serait présenté à sa place, je lui aurais résisté ; mais, moi aussi, j’appartiens à l’Église : le père Séraphin est mon supérieur, j’ai dû lui obéir.

— Le père Séraphin ! répéta le squatter en fronçant le sourcil. Ah ! ah ! il n’est donc pas mort ?

— Il paraît, fit ironiquement le moine, que ceux que vous tuez se portent tous assez bien, Cèdre-Rouge.

À cette insinuation qui se rapportait à la mort supposée de don Pablo, le squatter réprima une exclamation de colère et ferma les poings avec rage.

— Bon ! fit-il, si je ne tue pas toujours, je sais prendre ma revanche. Dans quel endroit se trouve doña Clara en ce moment ?

— Dans une maison qui n’est pas fort éloignée, répondit Nathan.

— Tu l’as vue ? demanda le squatter.

— Non, mais j’ai suivi à la piste don Pablo et le missionnaire français jusqu’à cette maison, où ils sont entrés, et comme ils ignoraient que je fusse si près d’eux, leur conversation ne m’a laissé aucun doute sur la présence de la jeune fille.

Un sourire sinistre éclaira pour une seconde le visage du vieux bandit.

— Bon ! fit-il, puisque la colombe est dans son nid, nous la trouverons. Quelle heure est-il ?

— Trois heures du matin, répondit Andrès Garote ; le jour ne tardera pas à paraître.

— Hâtons-nous alors ; suivez-moi tous. Puis il ajouta : Mais où est passé Schaw ? Quelqu’un de vous le sait-il ?

— Vous le rencontrerez probablement à la porte de la maison de doña Clara, répondit sourdement Nathan.

— Comment cela ? Mon fils a-t-il donc pactisé avec mes ennemis ?

— Puisqu’il s’est entendu avec eux pour enlever votre prisonnière.

— Oh ! je le tuerai, s’il est un traître ! s’écria le squatter avec un accent qui fit courir un frisson dans les veines des assistants.

Nathan fit deux pas en avant, tira son couteau de sa botte vaquera, et le montrant à son père :

— C’est fait, dit-il d’une voix brève. Schaw a voulu me poignarder, je l’ai tué.

Après ces lugubres paroles, il y eut un instant de silence dans le rancho ; tous ces hommes au cœur bronzé par le crime frémissaient intérieurement malgré eux.

Au dehors la nuit était sombre, le vent sifflait tristement ; la lueur tremblotante de la chandelle éclairait de reflets étranges cette scène, qui ne manquait pas d’une certaine poésie terrible.

Le squatter passa sa main calleuse sur son front inondé d’une sueur froide ; un soupir, semblable à un rugissement, sortit péniblement de sa poitrine oppressée.

— C’était mon dernier-né, dit-il d’une voix brisée par une émotion qu’il ne pouvait vaincre ; il méritait la mort, mais son frère n’aurait pas dû la lui donner.

— Père ! murmura Nathan.

— Silence ! s’écria le Cèdre-Rouge d’une voix creuse, en frappant du pied avec colère, ce qui est fait est fait ; malheur à la famille de mon ennemi ! Oh ! c’est à présent surtout que je veux tirer d’elle une vengeance qui fera frissonner d’épouvante tous ceux qui en entendront parler.

Après avoir prononcé ces paroles, que les assistants écoutèrent silencieusement sans oser répondre, le squatter fit quelques pas dans le rancho.

Il s’approcha de la table, saisit une bouteille de mezcal à moitié pleine qui s’y trouvait, la porta à ses lèvres et la vida d’un trait.

Lorsqu’il eut fini de boire, il rejeta la bouteille qui se brisa, et se tournant vers ses complices :

— En route ! s’écria-t-il d’une, voix rauque, nous n’avons perdu que trop de temps ici.

Et il se précipita hors du rancho.

Tous s’élancèrent à sa suite.

Cependant don Pablo et le missionnaire étaient entrés dans la maison.

Le père Séraphin avait conduit la jeune fille au milieu d’une honnête famille qui lui avait de grandes obligations et avait été heureuse de recevoir la pauvre enfant.

Le missionnaire ne voulait pas laisser longtemps doña Clara à la charge des dignes gens qui lui avaient si généreusement donné l’hospitalité ; il comptait au point du jour la remettre entre les mains de certains parents de son père qui habitaient une hacienda à quelques lieues de Santa-Fé.

Doña Clara avait été confortablement installée par ses hôtes dans une charmante chambre ; leur premier soin avait été de lui faire quitter les vêtements indiens qu’elle portait pour lui en donner d’autres plus commodes et surtout plus convenables au rang qu’elle tenait dans le monde.

La jeune fille, fatiguée des émotions poignantes de la scène à laquelle elle avait assisté, était sur le point de se mettre au lit au moment où le père Séraphin et don Pablo frappèrent à la porte de sa chambre.

Elle se hâta d’ouvrir.

La vue de son frère, qu’elle ne comptait pas revoir aussitôt, la combla de joie.

Une heure s’écoula rapidement dans une causerie intime.

Don Pablo se garda bien d’annoncer à sa sœur, qui l’ignorait, le malheur arrivé à son père ; il ne voulait pas assombrir par cette confidence la joie que se promettait la jeune fille pour le lendemain.

Puis, comme la nuit s’avançait, les deux hommes se retirèrent, afin de laisser la jeune fille libre de prendre un peu de repos nécessaire à la longue course qu’elle avait à faire pour aller à l’hacienda, lui promettant de la venir chercher dans quelques heures.

Le père Séraphin avait généreusement offert à don Pablo de terminer la nuit auprès de lui en partageant le modeste logement qu’il habitait non loin de la place de la Merced.

Le jeune homme accepta avec empressement ; il était trop tard pour chercher un gîte dans une locanda ; de cette façon, d’ailleurs, il serait plus facilement le lendemain matin auprès de sa sœur.

Après de longs adieux, les deux hommes sortirent de la maison.

Aussitôt qu’ils furent partis, doña Clara se jeta toute vêtue dans un hamac pendu d’un bout à l’autre de la chambre et s’endormit.

En mettant le pied dans la rue, don Pablo aperçut un corps étendu sans mouvement en face de la maison.

— Qu’est cela ? fit-il avec étonnement.

— Un pauvre malheureux que des ladrones auront sans doute assassiné afin de le dépouiller, répondit le missionnaire.

— C’est possible.

— Peut-être n’est-il pas encore mort, reprit le père Séraphin, notre devoir est de le secourir.

— À quoi bon ? fit don Pablo avec indifférence ; si un sereno passait, il serait capable de nous accuser de l’avoir tué.

— Mon fils, répondit le missionnaire, les voies du Seigneur sont impénétrables. S’il a permis que ce malheureux se trouvât sur notre passage, c’est qu’il a jugé dans sa sagesse que nous devions lui être utile.

— Soit, fit le jeune homme ; voyons-le donc puisque vous le voulez, mais vous savez qu’en ce pays les bonnes actions du genre de celle-ci ne rapportent ordinairement que des désagréments.

— C’est vrai, mon fils ; eh bien, nous en courrons les chances, dit le missionnaire, qui déjà s’était penché sur le blessé.

— À votre aise, fit don Pablo ; et il le suivit.

Schaw, car c’était lui, ne donnait aucun signe de vie. Le missionnaire l’examina, puis il se redressa, saisit par un mouvement brusque le bras de don Pablo et l’obligea à se baisser en lui disant d’une voix brève :

— Regardez !

— Schaw ! s’écria avec étonnement le Mexicain ; que faisait cet homme ici ?

— Aidez-moi, et nous le saurons. Ce malheureux n’est qu’évanoui, la perte du sang a seule causé la syncope dans laquelle il est plongé.

Don Pablo, fortement intrigué par cette rencontre singulière, obéit sans observation aux recommandations du missionnaire. Les deux hommes saisirent alors le blessé et l’emportèrent doucement au logement du père Séraphin, où ils se proposaient de lui donner tous les secours que son état exigeait.

À peine tournaient-ils le coin de la rue, que par l’extrémité opposée plusieurs hommes apparurent.

Ces hommes étaient le Cèdre-Rouge et ses complices.

Arrivés devant la maison, ils s’arrêtèrent.

Toutes les fenêtres étaient plongées dans l’obscurité la plus profonde.

— Quelle est la chambre de la jeune fille ? demanda le squatter à voix basse.

— Celle-ci, répondit Nathan en la désignant.

Le Cèdre-Rouge s’approcha à pas de loup de la maison, planta son poignard dans la muraille, se haussa jusqu’à la croisée et colla son visage à la vitre.

— Tout va bien, elle dort, dit-il en redescendant. Vous, Fray Ambrosio, à un coin de la rue ; vous, Garote, à l’autre, et ne nous laissez pas surprendre.

Le moine et le gambusino se rendirent au poste qui leur était assigné.

Lorsque le Cèdre-Rouge fut seul avec son fils, il se pencha à son oreille.

— Qu’as-tu fait de ton frère, lui demanda-t-il, après l’avoir frappé ?

— Je l’ai laissé à la place où il est tombé.

— Et cette place ?

— C’est celle où nous sommes.

Le squatter se courba vers le sol ; il fit quelques pas en examinant avec soin les traces sanglantes laissées sur les cailloux.

— Il a été enlevé, dit-il en se redressant, peut-être n’est-il pas mort.

— Peut-être, répondit le jeune homme en secouant la tête.

Son père lui lança un regard d’une expression indéfinissable.

— À l’œuvre, dit-il froidement.

Et ils s’apprêtèrent à escalader la fenêtre.