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Le Cheval de bronze

La bibliothèque libre.
Théâtre complet d’Eugène ScribeAimé André, Libraire-éditeurTome vingt-troizième (p. 291-388).
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LE CHEVAL DE BRONZE,


OPÉRA-FÉERIE EN TROIS ACTES,


Représentée, pour la première fois,
sur le théâtre royal de l’Opéra-Comique,
le 25 mars 1835.


MUSIQUE DE M. AUBER.


PERSONNAGES


YANG, prince impérial de la Chine.

TSING-SING, mandarin.

TCHIN-KAO, fermier.

YANKO.

STELLA, princesse du Mogol.

TAO-JIN.

PEKI.

LO-MANGLI, demoiselle d’honneur de la princesse.

Femmes de la suite de Stella.

Soldats et Seigneurs de la suite du prince.

Paysans, Paysannes, etc.


La scène se passe dans la province de Chatong, en Chine.

PEKI.
la victoire est à moi

LE CHEVAL DE BRONZE.

ACTE PREMIER.

Séparateur


Le théâtre représente un site agréable, dans la province de Chatong, en Chine. — À droite, l’entrée de la ferme de Tchin-Kao. — Au fond, un village chinois. — À gauche, l’entrée d’une pagode.


Scène PREMIÈRE.

INTRODUCTION.
CHŒUR.

Clochettes de la pagode,
Retentissez dans les airs,
Et, suivant l’antique mode,
D’hymen formez les concerts.
Clochettes de la pagode,
Retentissez dans les airs !

TCHIN-KAO.

Mon bonheur ne peut se comprendre,
Ma fille épouse un mandarin ;
À tous ici, pour mieux l’apprendre,
Sonnez clochettes… tin ! tin ! tin !
Je crois des écus de mon gendre
Entendre le son argentin,
Tin ! tin ! tin ! tin ! tin !

CHŒUR.

Clochettes de la pagode,
Retentissez dans les airs ! etc., etc.

TCHIN-KAO, bas à sa fille qui est voilée.

Allons, ma fille, allons, Peki,
Parlez donc à votre mari !

PEKI, de même.
À quoi bon ? que puis-je lui dire ?
TCHIN-KAO.

Vous, la fille d’un laboureur,
Épouser un grand de l’empire !

TSING-SING.

Le favori de l’empereur,
Le seigneur Tsing-sing ! c’est tout dire.

(S’approchant de Peki.)
AIR.

Trésor de jeunesse et d’amour,
Beauté dont mon âme est ravie !
Je t’ai vue… et pour toi j’oublie
Mon rang, ma noblesse et la cour !
De ma naissance,
De ma puissance,
Un seul coup d’œil
Brise l’orgueil,
Et plein d’extase,
Mon cœur s’embrase,
S’embrase aux feux
De tes beaux yeux.
Trésor de jeunesse et d’amour !
Etc., etc.
On te dira que je suis vieux !
N’en crois rien, l’amour n’a pas d’âge ;
Et, pour te séduire, je veux
Que mes trésors soient ton partage,
Et que chacun dise soudain :
« C’est la femme d’un mandarin.
» Dans ses atours quelle élégance
» Ses pieds ont foulé le satin.
» Perle et rubis ornent son sein.
» Mollement elle se balance,
» Bercée en son beau palanquin. »
Esclaves, servez votre reine,
Esclaves, courbez-vous soudain ;
C’est votre maîtresse et la mienne,
C’est la femme d’un mandarin…
Quel honneur ! quel heureux destin
D’être femme d’un mandarin !

ENSEMBLE.
CHŒUR.

Quel honneur ! quel heureux destin
D’être femme d’un mandarin !

PEKI.

Soumettons-nous à mon destin,
Je suis femme d’un mandarin.

TCHIN-KAO.

Quel bonheur ! quel heureux destin
D’être femme d’un mandarin.

TCHIN-KAO, à sa fille et aux paysans.
Allez ! allez veiller aux apprêts du festin.
CHŒUR.

Clochettes de la pagode,
Retentissez dans les airs ! etc., etc.

(Ils sortent tous, excepté Tsing-Sing et Tchin-Kao.)

Scène II.

TSING-SING, TCHIN-KAO.
TSING-SING.

Eh bien ! maître Tchin-Kao… qu’en dites-vous ?

TCHIN-KAO.

Que je ne puis en revenir encore !… vous, gouverneur de cette province, qui veniez tous les ans au nom de l’empereur, notre gracieux souverain, pour toucher notre argent ou nous donner des coups de bâton ; vous, qui me faisiez une si grande peur, ainsi qu’à tout le monde, vous voilà mon gendre…

TSING-SING.

Oui, maître Tchin-Kao, je vous ai fait cet honneur : j’admets votre fille au nombre de mes femmes.

TCHIN-KAO.

Est-ce que vous en avez beaucoup ?

TSING-SING.

Quatre.

TCHIN-KAO.

Est-il possible !

TSING-SING.

Objet de luxe ! et pas autre chose. Un grand seigneur chinois y est obligé par son rang…

TCHIN-KAO.

Ici, au village, nous ne prenons qu’une femme ! nous ne pouvons pas en avoir davantage…

TSING-SING.

C’est juste ! vous n’en avez pas les moyens !… c’est un luxe qui revient très cher, attendu qu’à chaque fille qu’on épouse… il faut payer une dot à son père.

TCHIN-KAO.

Très bonne coutume ! encouragement moral accordé aux nombreuses familles… Du reste, la dot que j’ai reçue de votre seigneurie était magnifique… Il n’y a qu’une chose qui m’embarrasse…

TSING-SING.

Laquelle ?

TCHIN-KAO.

Ce sont vos quatre femmes.

TSING-SING.

Elles ne vous embarrassent pas plus que moi ! La première est maussade, la seconde colère, la troisième jalouse ; mais celles-là ne diront rien, car elles ne sortent jamais de leur chambre ou de leur palanquin. Ce qu’il y a de plus difficile, c’est ma quatrième, ma chère Tao-Jin…

TCHIN-KAO.

Qui est laide ?

TSING-SING.

Non, elle est jeune et jolie ; mais elle réunit à elle seule les qualités de toutes les autres… sans compter un petit mandarin très assidu auprès d’elle ; et je ne puis la répudier, attendu qu’elle est cousine de l’empereur, au huitième degré.

TCHIN-KAO.

Cousine de l’empereur !

TSING-SING.

Il en a comme ça deux ou trois mille… C’est égal, cette parenté-là donne à ma doucereuse Toa-Jin le droit de paraître sans voile, de sortir seule et de me faire enrager toute la journée.

TCHIN-KAO.

Elle vous aime donc bien !

TSING-SING.

Du tout ; elle ne peut pas me souffrir ; mais, fière et hautaine, elle me regarde comme son premier esclave… Tu l’as voulu, Tsing-Sing… tu as voulu, parce que tu étais riche, épouser une princesse qui n’avait rien. Aussi, avec elle, il faut que j’obéisse, et c’est pour commander à quelqu’un que j’ai épousé ta fille…

TCHIN-KAO.

Je vous remercie bien.

TSING-SING.

Mais tout-à-l’heure, au moment où j’entrais dans la pagode… un exprès m’a appris que ma noble compagne venait d’arriver à mon palais d’été.

TCHIN-KAO.

Aux portes de ce village…

TSING-SING.

C’est cela qui m’a fait hâter mon mariage avec Peki… car tu sens bien que si Tao-Jin était apparue au milieu de la cérémonie…

TCHIN-KAO.

Cela aurait été fort gênant pour ce matin.

TSING-SING.

Et ça le serait encore plus pour ce soir… Ainsi, tu feras préparer le repas et l’appartement nuptial chez toi… dans ta ferme.

TCHIN-KAO.

Quel honneur !…

TSING-SING.

Et d’ici là, si je puis éviter ma quatrième… et ne pas la voir de la journée…

(Apercevant Tao-Jin.)

Scène III.

TCHIN-KAO, TSING-SING, TAO-JIN, paraissant
au fond du théâtre, dans un palanquin.
TRIO.
TSING-SING.
Dieu tout puissant ! c’est elle que je voi !
TCHIN-KAO.

À son aspect… comme il tremble d’effroi !
Quel changement soudain !
Lui jadis si hautain,
Qu’il est humble et bénin
Notre grand mandarin !

TSING-SING.
Ô funeste destin !
TAO-JIN.

Je bénis le destin
Qui, pour moi plus humain,
Me ramène à la fin
Près du grand mandarin !

TSING-SING.

Ah ! ce bonheur insigne
A surpris votre époux !

Et votre esclave indigne
S’incline devant vous.

(Il met un genou en terre.)
TCHIN-KAO.
Que faites-vous, seigneur ?
TAO-JIN, avec dignité.
C’est bien ! C’est bien !
TSING-SING, bas à Tchin-Kao.

C’est bien ! C’est de rigueur ;
Ma femme est par malheur
Du sang de l’empereur.

ENSEMBLE.
TCHIN-KAO.

Quel changement soudain !
Lui jadis si hautain,
Qu’il est humble et bénin
Notre grand mandarin !

TAO-JIN.

Je bénis le destin
Qui, pour moi plus humain,
Me ramène à la fin
Près du grand mandarin.

TSING-SING.
Ô funeste destin !
Oui vers moi vous conduit ?Une grande nouvelle
TAO-JIN.
Oui vers moi vous conduit ?Une grande nouvelle
Que j’ai reçue…Et quelle est-elle ?
TSING-SING.
Que j’ai reçue…Et quelle est-elle ?
TAO-JIN.

Et pour que vous soyez, dans ce jour de bonheur.
Entouré des objets que chérit votre cœur,
J’ai voulu, réprimant mes tendresses jalouses,
Amener avec moi vos trois autres épouses.

TSING-SING.
C’est fait de moi !Quel contre-temps soudain !
TCHIN-KAO.
C’est fait de moi !Quel contre-temps soudain !
TAO-JIN.
Et les voilà chacune en leur beau palanquin.
ENSEMBLE.
TCHIN-KAO.

D’un tel esclavage,
Ah ! comme il enrage !
Et ce mariage
Qui l’attend ce soir’…
Quel parti va prendre
Mon illustre gendre ?
Sinon de se pendre
Dans son désespoir.

TSING-SING.

D’un tel esclavage
De fureur j’enrage !
Et ce mariage
Qui m’attend ce soir !
Comment se défendre ?
Ah ! quel parti prendre ?
Sinon de me pendre
Dans mon désespoir.

TAO-JIN.

D’avance, je gage,
Rien ne lui présage
Cet heureux message
Qu’il va recevoir.
Si mon cœur trop tendre
Vous le fait attendre,
Ce n’est que pour rendre
Plus doux votre espoir.

TSING-SING.
Mais cette maudite nouvelle…
(Se reprenant.)

Non, non, cette heureuse nouvelle
Qui vous amène ainsi vers nous,

Dites-là donc !…Mon cœur fidèle
TAO-JIN.
Dites-là donc !…Mon cœur fidèle
Vous l’apprendra plus tard.Éloignez-vous.
TSING-SING, à Tchin-Kao.
Vous l’apprendra plus tard.Éloignez-vous.
ENSEMBLE.
TCHIN-KAO.

D’un tel esclavage,
Ah ! comme il enrage ! etc.

TAO-JIN.

D’avance, je gage,
Rien ne lui présage, etc.

TSING-SING.

D’un tel esclavage
De fureur j’enrage, etc.

(Tchin-Kao sort.)

Scène IV.

TSING-SING, TAO-JIN.
TAO-JIN.

Eh bien ! seigneur, dites encore qu’il n’y a pas d’avantage à épouser une cousine de l’empereur au huitième degré !… Enseveli ici dans cette province de Chatong, dont vous êtes gouverneur, vous ne pouviez vous absenter, ni venir à Pékin, ni paraître à la cour, qui jamais n’a été plus brillante, à ce que m’écrivait dernièrement Nin-Kao… ce jeune mandarin de première classe… et mon cousin au troisième degré…

TSING-SING, à part.

Celui dont je parlais tout-à-l’heure.

TAO-JIN.

Alors, et dans ma tendresse pour vous, devinez ce que j’ai fait !

TSING-SING.

Je ne m’en doute même pas.

TAO-JIN.

Le prince impérial, qui voyageait depuis un an, revient enfin dans la capitale…

TSING-SING.

Je le sais… Il doit même traverser cette province pour se rendre à Pékin…

TAO-JIN.

Où l’on vient de monter sa maison… Eh bien ! monsieur, l’empereur, à ma demande et à ma considération, a daigné vous nommer à la place la plus flatteuse… il vous a donné le titre de tchang-i-long ou premier menin de son altesse.

TSING-SING.

Est-il possible !… un tel honneur !

TAO-JIN.

C’est à moi que vous le devez : une charge magnifique, qui vous donne le droit de rester toujours auprès du prince, de le suivre partout ! pendant que moi, je resterai à la cour !

TSING-SING.

Comment ! je ne pourrai pas le quitter ?

TAO-JIN.

D’une seule minute… à moins qu’il ne l’exige…… C’est l’étiquette chinoise… et si vous y manquiez, le prince aurait le droit de vous faire trancher la tête.

TSING-SING.

Ah ! mon Dieu ! Par bonheur…… je connais le prince, un jeune homme charmant, qui tient beaucoup au plaisir et fort, peu à l’étiquette. Je suis un des lettrés de l’empire, qui dans son enfance lui donnaient des leçons : il ne venait jamais aux miennes… ce qui ne l’a pas empêché d’être prodigieusement instruit.

TAO-JIN.

Et c’est en récompense de vos soins que l’empereur vous attache à sa personne, et vous donne une place qui, dès aujourd’hui, vous ramène à la cour.

TSING-SING.

Comment ! aujourd’hui ?…

TAO-JIN.

Eh ! oui, vos fonctions commencent de ce moment… Nous ne quitterons plus le prince, et comme il va arriver…

TSING-SING.

Lui… le prince ! (À part, avec embarras.) Et ce soir…… mon mariage… comment faire ?…

TAO-JIN.

Tenez… tenez, voyez-vous de loin la bannière impériale… C’est lui… c’est son altesse… Quel bonheur ! moi qui ne l’ai jamais vu…

TSING-SING.

Vous oseriez vous exposer ainsi à ses yeux ?

TAO-JIN.

Pourquoi pas ?…… comme fils de l’empereur, nous sommes parens : c’est un cousin…

TSING-SING.

Elle en a partout… Et cette foule qui l’environne… braverez-vous aussi leurs regards profanes ?…… Rentrez, madame, rentrez…

TAO-JIN.

Vous avez raison, et j’attendrai que le prince soit seul avec vous.

(Elle entre dans la pagode à gauche.)

Scène V.

TSING-SING, le prince YANG, chœur de peuple,
qui le précède et le suit.
CHŒUR.

Ah ! quelle ivresse !
Cet heureux jour

Rend son altesse
À notre amour !

TSING-SING.

Ah ! comment faire en ma détresse.
Pour mettre d’accord en ce jour.
Ma dignité nouvelle et mon nouvel amour !

CHŒUR.

Ah ! quelle ivresse !
Cet heureux jour
Rend son altesse
À notre amour !
C’est lui ! le voilà de retour !

LE PRINCE.
PREMIER COUPLET.

J’ai pour guides en voyage
La folie et l’amour,
Je ris lorsque vient l’orage
Et quand vient un beau jour.
Ne jamais voir
Le monde en noir,
Ne blâmer rien,
Trouver tout bien,
C’est le système
Que j’aime
D’être heureux c’est le moyen.

DEUXIÈME COUPLET.

S’il est des beautés fidèles,
D’autres ne le sont pas ;
Qu’importe ! je fais comme elles,
Et je me dis tout bas :
Ne jamais voir, etc.

CHŒUR.

Ah ! quelle ivresse !
Cet heureux jour
Rend son altesse
À notre amour !
C’est lui ! le voilà de retour !

LE PRINCE.

Merci, merci, mes bons amis… Nous nous reverrons encore avant mon départ.

(Ils sortent tous)

Scène VI.

LE PRINCE, TSING-SING.
LE PRINCE.

Vous, Tsing-Sing, demeurez !

TSING-SING.

C’est mon devoir, Monseigneur…

LE PRINCE.

Oui, j’ai appris par mon père la nouvelle dignité qui vous attachait à moi, et je m’en félicite… Quand vous étiez au nombre de mes maîtres, je me souviens qu’autrefois vous ne me gêniez guère.

TSING-SING.

Je continuerai avec le même zèle.

LE PRINCE.

J’y compte… et nous partirons dès aujourd’hui…

TSING-SING.

Pour la cour ?…

LE PRINCE.

M’en préserve le ciel ! Mon père m’y attend pour me marier… et moi, je ne le veux pas, parce qu’il y a quelqu’un au monde que j’aime, qui occupe toutes mes pensées… et cette personne-là, il ne peut me la donner !…

TSING-SING.

Et pourquoi donc ?… rien n’est au-dessus de son pouvoir… et si c’est une princesse… ou une reine…

LE PRINCE.

C’est bien autre chose.

TSING-SING.

Une impératrice…

LE PRINCE.

Si ce n’était que cela…

TSING-SING.

Ô ciel ! je comprends, une personne d’une condition inférieure… une de vos sujettes…

LE PRINCE.

Eh ! non… et tu vas me regarder comme un insensé… un extravagant… tu ne reconnaîtras plus ton ancien élève…

TSING-SING.

Au contraire… parlez…

LE PRINCE.

Eh bien ! cette beauté si séduisante… si ravissante, qui a renversé toutes mes idées…

TSING-SING.

Quelle est-elle ?

LE PRINCE.

Je n’en sais rien.

TSING-SING.

Dans quels lieux habite-t-elle ?

LE PRINCE.

Je l’ignore !…

TSING-SING.

Et où donc alors l’avez-vous vue ?

LE PRINCE.

En songe !

AIR.

Le sommeil fermait ma paupière
La nuit environnait mes yeux ;
Soudain un rayon de lumière
M’éblouit et m’ouvre les cieux.

Je vois sur un nuage
Et de pourpre et d’azur
Une céleste image
Au regard doux et pur !

Sur son épaule nue
Tombaient ses blonds cheveux,
Et de sa douce vue
Moi j’enivrais mes yeux…
Quand d’un air gracieux
Me tendant sa main blanche,
Cette fille des cieux
Près de mon lit se penche,
Disant : Ami, c’est moi
Qui recevrai la foi,
À toi seul mes amours
Pour toujours…

Et soudain disparut cette jeune immortelle.
Les nuages légers se refermaient sur elle,
Et sa voix murmurait encor… toujours…toujours !

(Regardant Tsing-Sing qui sourit.)

Ah ! cela vous fait rire,
Et vous ne pouvez croire à ce rêve charmant !
Eh bien ! voici qui semble encor plus étonnant !

Quand la nuit sombre
Ramène l’ombre
Et le sommeil,
Rêve pareil
Pour moi prolonge
Ce doux mensonge,
Et près de moi
Je la revoi !

Au rendez-vous fidèle,
Oui, vraiment ! c’est bien elle
Qui vient toutes les nuits,
Et dans l’impatience
De sa douce présence
Tous les jours je me dis :

Ô nuit, mon bien suprême !
Ô sommeil enchanteur !
Rendez-moi ce que j’aime !
Rendez-moi le bonheur !

Des heures que le sort, hélas ! m’a destinées,
Que ne puis-je à l’instant retrancher les journées ?
Oui, je voudrais, c’est là mon seul désir,
Oui, je voudrais toujours dormir !

Ô nuit, mon bien suprême !
Ô sommeil enchanteur !
Rendez-moi ce que j’aime,
Rendez-moi le bonheur !

TSING-SING.

C’est fort extraordinaire… Vous ne l’avez vue qu’en songe ?…

LE PRINCE.

Oui, mon ami.

TSING-SING.

Et depuis ce temps, elle vous est apparue toutes les nuits ?

LE PRINCE.

Sans en manquer une seule… Tu te doutes bien que dans mes voyages j’ai consulté là-dessus tous les astrologues et les savans de la Chine et du Thibet. Les uns ont prétendu que c’était une habitante des étoiles ; d’autres, que c’était la fille du Grand-Mogol… une princesse charmante, qui depuis son enfance a disparu de la cour de son père, et qu’un enchanteur a transportée l’on ne sait dans quelle planète… mais tous m’assuraient que c’était elle que je devais épouser !…

TSING-SING.

Je suis de leur avis.

LE PRINCE.

Mais dans quel pays… dans quelle région la rencontrer ?

TSING-SING.

Je n’en sais rien.

LE PRINCE.

Ni moi non plus…… mais nous la trouverons…… tu m’y aideras, et puisque tu ne dois plus me quitter, nous partirons ensemble dès ce soir.

TSING-SING, à part.

Ah ! mon Dieu ! (Haut.) Cela ne vous serait pas égal demain ?…

LE PRINCE.

Pourquoi cela ?

TSING-SING.

C’est que je suis marié depuis ce matin.

LE PRINCE.

Est-il possible !

TSING-SING.

À la fille de Tchin-Kao, un riche fermier.

LE PRINCE.

Que ne le disais-tu ?… Reste alors c’est trop juste ! (En souriant.) Est-elle jolie ?

TSING-SING.

Une petite Chinoise charmante !

LE PRINCE.

Pourquoi alors ne me l’as-tu pas présentée ?… Ah ! mon Dieu !… quelle idée : tu dis qu’elle est charmante…… si c’était celle que j’aime et que je cherche…

TSING-SING.

Laissez donc !

LE PRINCE.

Pourquoi pas ? partout je crois la voir, et si seulement elle lui ressemblait…

TSING-SING, à part.

Il ne manquerait plus que cela… et s’il lui prend fantaisie de me l’enlever…

LE PRINCE.

Qui vient là ?…


Scène VII.

LE PRINCE, TSING-SING, TAO-JIN,
sortant de la pagode.
TRIO.
TAO-JIN, voilée et s’adressant à Tsing-Sing.
Eh bien !… eh bien ! cher époux ! Que dit-elle ?
LE PRINCE.
Eh bien !… eh bien ! cher époux ! Que dit-elle ?
C’est ta femme ! Oui vraiment ! Son épouse nouvelle !
TSING-SING, vivement.
C’est ta femme ! Oui vraiment ! Son épouse nouvelle !
LE PRINCE, la regardant avec curiosité.
C’est ta femme ! Oui vraiment ! Son épouse nouvelle !
TSING-SING, à part.

Ah ! s’il pouvait me la ravir,
Qu’il me serait doux d’obéir !

ENSEMBLE.
LE PRINCE, regardant Tao-Jin.

Que sa démarche est belle !
Que de grâce et d’attrait !
Oui, tout me dit : C’est elle.
Que j’adore en secret !

TSING-SING.

L’aventure est nouvelle !
Et du ciel quel bienfait,
Si ma femme était celle
Qu’il adore en secret !

TSING-SING, à part, regardant le prince qui la regarde.

Sans le rempart fidèle.
De ce voile discret,
D’une flamme nouvelle
Son cœur s’embraserait !

LE PRINCE, à Tao-Jin.

Daignez un instant à mes yeux.
Soulever ce voile envieux !

TAO-JIN.
Quoi ! vous voulez ?…Eh ! oui, ma bonne,
TSING-SING.
Quoi ! vous voulez ?…Eh ! oui, ma bonne,

Sitôt que le prince l’ordonne
C’est votre devoir et le mien
D’obéir…

(Tao-Jin lève son voile.)
LE PRINCE.
D’obéir…Ciel !…
TSING-SING, avec curiosité.
D’obéir… Ciel !…xxxxxxxxxxEh bien ?…
LE PRINCE.
D’obéir… Ciel !…xxxxxxxxxx Eh bien ?…xxxEh bien !
ENSEMBLE.
LE PRINCE.

Ô surprise nouvelle !
Ce ne sont point ses traits.
Non, non ce n’est pas celle
Qu’en secret j’adorais !

TSING-SING, tristement.

Espérance infidèle
Dont mon cœur se berçait
Ma femme n’est pas celle
Que le prince adorait !

TAO-JIN, regardant le prince.

Oui, je lui semble belle :
Si mon cœur le voulait,
D’une flamme nouvelle
Le sien s’embraserait !


Scène VIII.

Les précédens, TCHIN-KAO, PEKI.
QUINTETTE.
TCHIN-KAO.
Pour vous, nobles seigneurs, le repas est servi !
LE PRINCE.
C’est Tchin-Kao, le fermier !…Oui, mon prince !
TCHIN-KAO.
C’est Tchin-Kao, le fermier !…Oui, mon prince !
LE PRINCE.
Reçois mon compliment ! dans toute la province
(Lui montrant Tao-Jin.)
Je n’ai rien vu, je crois, d’aussi joli
Que ta fille !…Sa fille !…Eh ! mais… ce n’est pas elle !
TAO-JIN, s’éloignant avec indignation.
Que ta fille !…Sa fille ! …Eh ! mais… ce n’est pas elle !
TCHIN-KAO.
Que ta fille !…Sa fille !…Eh ! mais… ce n’est pas elle !
TAO-JIN.

Sa fille !… quelle horreur !
Moi, cousine de l’empereur !

LE PRINCE, à Tao-Jin.

Eh quoi ! vous n’êtes pas cette beauté nouvelle
Que le seigneur Tsing-Sing ce matin épousa ?

TAO-JIN.
Qu’il épousa !… qu’entends-je ? Une nouvelle femme !
(À Tsing-Sing.)
Qu’il épousa !… qu’entends-je ? Une nouvelle femme !
TSING-SING, à demi-voix.
Taisez-vous donc !… le prince est là !
TAO-JIN.

Non, je ne puis calmer le courroux qui m’enflamme,
Une cinquième !… à vous !… vous, Monsieur, qui déjà…

TSING-SING, de même.
Taisez-vous donc, le prince est là !
TAO-JIN, de même.
Et quelle est-elle ? La voilà…
TCHIN-KAO, montrant Peki qui arrive voilée.
Et quelle est-elle ? La voilà…
TOUS.
La voilà !… la voilà !
TAO-JIN.
Le perfide me le paîra !
LE PRINCE, regardant tour à tour Peki et Tsing-Sing.

Et m’abuser ainsi !… pauvres princes, voilà
Comme en tout temps on nous trompa !

ENSEMBLE.
LE PRINCE.

Que sa démarche est belle !
Que de grâce et d’attrait !

Oui tout me dit : C’est elle
Que j’adore en secret !

TSING-SING.

Ô souffrance mortelle !
Ah ! de moi c’en est fait
Mon autre femme est celle
Qu’il adore en secret !

TAO-JIN.

Une flamme nouvelle
En secret l’occupait ;
Le traître, l’infidèle
Ainsi donc nous trompait !

PEKI.

Dans ma douleur mortelle,
Hélas ! si je l’osais,
D’une chance aussi belle,
Ah ! je profiterais !

TCHIN-KAO.

Quelle gloire nouvelle !
Quel triomphe complet
Si ma fille était celle
Que le prince adorait !

TAO-JIN, passant près de Peki et soulevant son voile.
Je connaîtrai du moins ma rivale !Ah ! grands dieux !
TOUS.
Je connaîtrai du moins ma rivale !Ah ! grands dieux !
LE PRINCE, regardant Peki.
Non… non, ça n’est pas elle !
TSING-SING, à part.
Ah ! je l’échappe belle.
LE PRINCE, regardant toujours Peki.
Mais d’où viennent les pleurs qui coulent de ses yeux ?
TSING-SING, s’approchant.
Qu’a-t-elle donc ?Ah ! je ne puis le dire !
PEKI.
Qu’a-t-elle donc ?Ah ! je ne puis le dire !
TSING-SING.
À moi votre époux !Non.Mais à moi, mon enfant ?
PEKI.
À moi votre époux !Non.Mais à moi, mon enfant ?
LE PRINCE.
À moi votre époux !Non.Mais à moi, mon enfant ?
PEKI.
Vous, Monseigneur, c’est différent !
Je crois que j’oserai.C’est bien ! qu’on se retire !
LE PRINCE.
Je crois que j’oserai.C’est bien ! qu’on se retire !
TSING-SING, avec effroi.
Qui, moi ?… me retirer !C’est bien fait !C’est charmant !
TAO-JIN.
Qui, moi ?… me retirer !C’est bien fait !C’est charmant !
LE PRINCE.
Qui, moi ?… me retirer !C’est bien fait !C’est charmant !
TAO-JIN.
Cinq femmes !… ah ! cela mérite châtiment !
ENSEMBLE.
TAO-JIN.

Ah ! d’une telle offense
Je veux avoir vengeance,
Et pareille inconstance
Lui porlera malheur !
Oui, pour lui point de grâce.
Je ris de sa disgrâce,
On doit de tant d’audace
Punir un séducteur.

TSING-SING.

J’hésite, je balance ;
Je dois obéissance,
Et pourtant la prudence
Me fait craindre un malheur !
Ô tourment ! ô disgrâce !
Que faut-il que je fasse
Pour conserver ma place
Et garder mon honneur ?

LE PRINCE.

Il hésite !… il balance !
Redoute ma puissance !
Tu dois obéissance
À ton maître et seigneur !
Allons, cède la place,
Nul danger ne menace
Tant d’attraits et de grâce,
Je suis son protecteur !

PEKI.

Quelle reconnaissance !
Ah ! sa seule présence
Vient calmer la souffrance
Dont gémissait mon cœur !
Du sort qui nous menace,
Oui, la crainte s’efface ;
D’avance je rends grâce
À mon doux protecteur !

TCHIN-KAO.

Il hésite !… il balance !
Ah ! d’une telle offense
Sa femme aura vengeance,
Pour lui je crains malheur !
Je prévois la disgrâce
Qui déjà le menace,
Il y va de sa place
Ou bien de son honneur !

LE PRINCE, se retournant vers Tsing-Sing qui n’est pas encore parti.
Eh bien !… eh bien !Pardon, je dois rester ;
TSING-SING.
Eh bien !… eh bien !Pardon, je dois rester ;
Ma charge me prescrit de ne point vous quitter !
LE PRINCE.
Hormis quand je l’ordonne !Au moins, et je l’espère,
TSING-SING, avec crainte et à demi-voix, en montrant Peki.
Hormis quand je l’ordonne !Au moins, et je l’espère,
Ce n’est pas elle !…Eh ! non, en vérité !
LE PRINCE, souriant.
Ce n’est pas elle !…Eh ! non, en vérité !
Ne crains rien, j’aime un rêve, une vaine chimère,
Et ta femme est, hélas !Une réalité !
TSING-SING.
Et ta femme est, hélas !Une réalité !

(À part.)

Aussi je crains quelques nouvelles trames !
LE PRINCE.
Eh bien ! m’entends-tu ?…Je m’en vas.
TSING-SING.
Eh bien ! m’entends-tu ?…Je m’en vas.
TAO-JIN.
Allons, venez… suivez mes pas !
TSING-SING.
Époux infortuné !… malheureux par mes femmes,

(Montrant Peki.)

Par l’une que je quitte, hélas !
(Montrant Tao-Jin qui l’entraîne.)
Et par l’autre surtout qui ne me quitte pas !
ENSEMBLE.
TAO-JIN.

Ah ! d’une telle offense
Je veux avoir vengeance,
Et pareille inconstance
Lui portera malheur !
Oui, pour lui point de grâce,
Je ris de sa disgrâce,
On doit de tant d’audace
Punir un séducteur.

Allons, quelle lenteur !
D’où vient cet air d’humeur ?
Votre maître et seigneur
Veille sur votre honneur.

TSING-SING.

J’hésite, je balance ;
Je dois obéissance,
Et pourtant la prudence
Me fait craindre un malheur !
Ô tourment ! ô disgrâce !
Que faut-il que je fasse
Pour conserver ma place
Et garder mon honneur ?

Allons, montrons du cœur
Et de la bonne humeur.
J’obéis sans frayeur
À mon maître et seigneur !

LE PRINCE.

Il hésite !… il balance !
Redoute ma puissance !
Tu dois obéissance
À ton maître et seigneur !
Allons, cède la place,
Nul danger ne menace
Tant d’attraits et de grâce,
Je suis son protecteur !

Allons, quelle lenteur !
D’où vient cet air d’humeur ?
Obéis sans frayeur
À ton maître et seigneur !

PEKI.

Quelle reconnaissance !
Ah ! sa seule présence
Vient calmer la souffrance
Dont gémissait mon cœur !
Du sort qui nous menace,
Oui, la crainte s’efface ;
D’avance je rends grâce
À mon doux protecteur !

Voyez quelle lenteur,
Quelle mauvaise humeur ;
On dirait qu’il a peur
D’un pareil protecteur !

TCHIN-KAO.

Il hésite !… il balance !
Ah ! d’une telle offense
Sa femme aura vengeance,
Pour lui je crains malheur,
Je prévois la disgrâce
Qui déjà le menace,
Il y va de sa place
Ou bien de son honneur !

Voyez quelle lenteur,
Quelle mauvaise humeur ;
On dirait qu’il a peur
D’un pareil protecteur !

(Tchin-Kao rentre dans la ferme à droite du spectateur, et Tao-Jin sort en emmenant avec elle Tsing-Sing)

Scène IX.

LE PRINCE, PEKI.
LE PRINCE.

Enfin il nous laisse !… ce n’est pas sans peine ! Eh bien ! ma belle enfant, qu’aviez-vous à me dire ?… parlez.

PEKI.

Je n’ose plus.

LE PRINCE.

D’où viennent vos chagrins ? Ne venez-vous pas de faire un brillant mariage ? n’avez-vous pas un époux qui a du pouvoir, de la richesse… et que sans doute vous aimez ?…

PEKI, baissant les yeux.

Au contraire, Monseigneur, c’est que je ne l’aime pas…

LE PRINCE, à part, en riant.

Ah ! mon Dieu !… (Haut.) Je conçois en effet qu’avec sa figure, ses soixante ans et ces quatre précécédens mariage, il ne doit guère inspirer de passion… mais au moins, et c’est beaucoup, vous n’en aimez pas d’autres !…

PEKI, baissant les yeux.

Je crois que si !

LE PRINCE, gaiement.

Vraiment !

PEKI.

Yanko ! un garçon de ferme de mon père, avec qui j’avais été élevée… mais il n’avait rien… que son amour… ce n’était pas assez pour mon père qui voulait une dot, Et tout à l’heure, au moment de mon mariage… Le pauvre garçon…

(Elle s’interrompt pour pleurer.)
LE PRINCE.

Eh bien ?

PEKI.

Eh bien ! dans son désespoir, il a couru au cheval de bronze…

LE PRINCE.

Le cheval de bronze… Qu’est-ce que cela ?

PEKI.

Vous ne le savez pas… et depuis six mois dans le pays il n’est question que de lui…

LE PRINCE.

Oui, mais moi qui arrive à l’instant même, et qui voyage depuis un an…

PEKI.

C’est juste !… vous n’étiez pas ici ! Eh bien ! Monseigneur, apprenez donc qu’il y a six mois à peu près, on a vu tout à coup apparaître, sur un rocher de la montagne qui est en face de notre ferme, un grand cheval de bronze… qui est venu là on ne sait comment… car personne n’aurait pu l’y apporter… et il arrivait sans doute du ciel ou de l’enfer…

LE PRINCE, riant.

Ce n’est pas possible !

PEKI.

Pas possible !…

PREMIER COUPLET.

Là-bas, sur un rocher sauvage,
S’élève ce cheval d’airain !
Sur lui voilà qu’avec courage
S’élance un jeune mandarin.
Soudain au milieu des éclairs
Il part… s’élance dans les airs ;
Il s’élève… s’élève encore !
Mais où donc va-t-il ?… on l’ignore !
Gardez-vous, pauvre pèlerin,
De monter le cheval d’airain !

DEUXIÈME COUPLET.

Bientôt sur ce rocher aride
Le coursier était revenu !
Mais de l’écuyer intrépide,
Hélas ? on n’a jamais rien su

Jamais il n’a revu ses lieux
Perdu dans l’espace des cieux,
Là-haut, là-haut, sur un nuage,
Pour toujours peut-être il voyage…
Gardez-vous, pauvre pèlerin,
De monter le cheval d’airain !

TROISIÈME COUPLET.

Yanko m’aimait dès son jeune âge ;
Jugez de son mortel chagrin,
Quand il apprit qu’en mariage
Me demandait un mandarin !
Il s’est élancé d’un air fier
Sur ce noir coursier qui fend l’air,
Et là-bas… là-bas… dans la nue,
Disparaissant à notre vue…
Tout mon bonheur a fui soudain
Ainsi que le cheval d’airain !

LE PRINCE.

Ah ! que c’est amusant ! et que ne suis-je avec lui !…

PEKI.

Y pensez-vous ?

LE PRINCE.

Moi qui aime les aventures et qui allais en chercher si loin… Il y en avait une ici que personne ne pouvait soupçonner… ni expliquer…

PEKI.

Si vraiment… Il est venu ici de Pékin des savans, des lettrés, des grands mandarins de l’académie impériale, qui ont fait là-dessus un rapport et une dissertation… comme quoi ils ont prouvé… qu’il y avait là un cheval de bronze !…

LE PRINCE.

La belle avance !… Et ce cheval de bronze, où est-il ?

PEKI.

Il n’y est plus… puisque Yanko est monté dessus, et que tout à l’heure tous deux ont disparu… En attendant me voilà mariée, me voilà la femme d’un mandarin que je n’aime pas… et je n’ai osé le dire ni à lui ; ni à mon père, qui me fait peur, et qui m’aurait battue ! mais à vous, Monseigneur, qui avez l’air si bon, et qui êtes prince… si vous pouviez me démarier…

LE PRINCE.

Hélas ! mon enfant, cela ne dépend pas de moi ; il y a des lois à la Chine ; il faudrait que le mandarin Tsing-Sing consentît lui-même à te répudier… et il n’y a pas l’air disposé !

PEKI.

Lui qui a quatre femmes, et Yanko qui n’en a pas du tout.

LE PRINCE.

Je crois qu’il lui céderait plutôt les quatre autres.

PEKI, pleurant.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !… il faudra le garder pour mari… Que je suis malheureuse !…

LE PRINCE.

Allons, console-toi !

PEKI, pleurant toujours.

Me consoler !… et qu’est-ce que je pourrais faire pour me consoler ?

LE PRINCE.

À ton âge… il y a bien des moyens… Et puisque enfin celui que tu aimais a disparu… puisqu’il ne doit plus jamais revenir…



Scène X.

Les précédens ; TCHIN-KAO.
TCHIN-KAO.

En voici bien d’une autre ! et nous ne nous attendions guère à celui-là.

LE PRINCE.

Qu’y a-t-il donc ?

TCHIN-KAO.

Le cheval de bronze est revenu…

LE PRINCE ET PEKI.

Ô ciel !…

TCHIN-KAO.

À sa place ordinaire, là-bas sur le rocher !…

PEKI.

Et Yanko…

TCHIN-KAO.

Avec lui !… (À sa fille qui fait quelques pas pour sortir.) Eh bien ! où courez-vous ?

PEKI.

Moi, mon père… c’était par curiosité… c’était pour savoir… pour l’interroger…

LE PRINCE.

Ce soir-là me regarde… Je veux lui parler… qu’il vienne…

TCHIN-KAO, regardant dans la coulisse.

Tenez… tenez, Monseigneur, le voici.

LE PRINCE.

Quel air sombre et rêveur !

TCHIN-KAO.

Oui… un air comme étonné… comme hébété…

PEKI.

Dame ! comme quelqu’un qui tombe des nues ; le pauvre garçon !…


Scène XI.

Les précédens ; YANKO, qui s’avance lentement.
YANKO, levant les yeux et apercevant Peki.

Ah ! Peki !… je vous revois !

PEKI.

Oui, Monsieur, et c’est bien mal de donner de pareilles inquiétudes à ses parens… à ses amis… D’où venez-vous, s’il vous plaît ?… et où avez-vous été courir ainsi ? répondez…

TCHIN-KAO.

Oui, mon garçon, raconte-nous tout ce que tu as vu en route.

YANKO.

Impossible, maître Tchin-Kao, cela m’est défendu…

TCHIN-KAO ET PEKI, étonnés.

Défendu !…

LE PRINCE.

Et moi je t’ordonne de parler… moi le fils de ton souverain…

PEKI, bas à Yanko.

C’est le prince impérial.

YANKO, s’inclinant.

Ah ! Monseigneur, pardon ! mais je serais en présence de l’empereur lui-même, que je n’en dirais pas davantage…

LE PRINCE.

Et pourquoi cela ?…

YANKO.

Parce que si je racontais un seul mot de ce qui m’est arrivé, de ce que j’ai vu… tout serait fini pour moi, je ne verrais plus Peki… je mourrais à l’instant même…

PEKI, courant à lui et lui mettant la main sur la bouche.

Ah ! tais-toi ! tais-toi ! ne dis rien !

LE PRINCE.

Mourir !…

YANKO, vivement.

Mourir, c’est-à-dire, pis encore…

TCHIN-KAO.

Et comment cela ?

PEKI, à son père.

Voulez-vous bien ne pas l’interroger ! lui surtout qui est bavard… bavard… et qui est capable de causer malgré lui et sans le vouloir… (Écoutant.) Ah ! mon Dieu ! quel est ce bruit ?


Scène XII.

Les précédens, TAO-JIN.
FINAL.
TAO-JIN.

Quel affront ! quel outrage infâme.
Est fait au sang impérial !
C’est le cortège nuptial

(Montrant Peki.)
Qui du seigneur Tsing-Sing vient emmener la femme.
YANKO.
Et je le souffrirais !Pour l’honneur de mon rang
TAO-JIN.
Et je le souffrirais !Pour l’honneur de mon rang
Je le tuerais plutôt !Ah ! l’excellente dame !
YANKO ET PEKI, la regardant avec reconnaissance.
Je le tuerais plutôt !Ah ! l’excellente dame !
LE PRINCE.
C’est à moi de vous rendreUn épouxUn amant !

C’est à moi de vous rendre(À Tao-Jin.)

C’est à moi de vous rendreUn épouxUn amant !

C’est à moi de vous rendre Un époux(À Peki.)

C’est à moi de vous rendreUn épouxUn amant !
TAO-JIN.

Non, de me venger il me tarde,
Et c’est moi que cela regarde !

LE PRINCE.
Calmez votre ressentiment !
PEKI ET YANKO.
Que j’aime son ressentiment !
TCHIN-KAO, à part.
Ah ! quel caractère charmant !
ENSEMBLE.
TAO-JIN.

Qu’il craigne ma colère,
Et s’il brave mes lois,
Montrons du caractère
Pour défendre mes droits !

YANKO ET PEKI.

Bien ! bien ! laissons-la faire ;
D’avance, je le vois,
Son courroux tutélaire
Va défendre nos droits !

LE PRINCE ET TCHIN-KAO.

Bien ! bien ! laissons-la faire,
Elle veut, je le vois,
Montrer du caractère,
Et défendre ses droits !


Scène XIII.

LE PRINCE, PEKI, YANKO, TAO-JIN, qui se retire un instant derrière eux, TCHIN-KAO, TSING-SING, précédé et suivi d’un riche cortège et porté en palanquin par deux esclaves.
TSING-SING, descendant du palanquin et s’avançant, vers Peki.

Venez, mon heureuse compagne,
Rien ne peut s’opposer au bonheur qui m’attend !

TAO-JIN, se montrant et se plaçant entre Peki et Tsing-Sing.
Excepté moi, seigneur !Ô fatal incident !
TSING-SING, à part.
Excepté moi, seigneur !Ô fatal incident !
C’est mon autre !… je sens que la frayeur me gagne.
TAO-JIN, d’un ton d’autorité.
J’ordonne que vos nœuds soient brisés à l’instant !
Par vous-même !…Qui ? moi ! que je la répudie !
TSING-SING, montrant Peki.
Par vous-même !…Qui ? moi ! que je la répudie !
TAO-JIN.

Je le veux, ou sinon, et toute votre vie,
De mon courroux craignez l’effet !

TSING-SING.
C’en est trop ! et je brave à la fin sa furie !
Quoi qu’il arrive,Ici je la défie…
(Montrant Tao-Jin.)
Quoi qu’il arrive,Ici je la défie…
De me faire enrager plus qu’elle ne l’a fait !
ENSEMBLE.
TSING-SING.

Je brave sa colère,
Je le veux, je le dois
J’aurai du caractère
Pour la première fois !

TAO-JIN, stupéfaite.

Il brave ma colère,
Il méprise mes lois ;
Il a du caractère
Pour la première fois !

YANKO ET PEKI.

Ah ! le destin contraire
Nous trahit, je le vois ;
Il a du caractère
Pour la première fois !

LE PRINCE, TCHIN-KAO ET LE CHŒUR.

Oui, sa femme a beau faire,
Il méprise ses lois,
Et brave sa colère
Pour la première fois !

TSING-SING, prenant la main de Peki.
Oui, partons ! À mes vœux serez-vous plus propice ?
LE PRINCE, s’avançant près de Tsing-Sing.
Oui, partons ! À mes vœux serez-vous plus propice ?
TSING-SING, un peu troublé.
Au fils de l’empereur je sais ce que je doi !
(Se remettant, et avec plus de force.)
Si mes jours sont à lui, mes femmes sont à moi !
TOUS.
Quelle audace !… il refuse ! Il dit vrai ; c’est la loi !
LE PRINCE.
Quelle audace !… il refuse ! Il dit vrai ; c’est la loi !
Je l’invoque à mon tour.Par ton nouvel emploi,
(À Tsing-Sing.)
Je l’invoque à mon tour.Par ton nouvel emploi,
Tu dois m’accompagner en tous lieux !C’est justice !
TSING-SING.
Tu dois m’accompagner en tous lieux !C’est justice !
LE PRINCE.

Et je t’ordonne ici de me suivre soudain
Dans un voyage où tu m’es nécessaire.

TSING-SING.
En quels lieux. Monseigneur ?Sur le cheval d’airain !
LE PRINCE.
En quels lieux. Monseigneur ?Sur le cheval d’airain !
TOUS.
Ô ciel !L’idée est bonne !Et que voulez-vous faire ?
TAO-JIN, avec joie.
Ô ciel !L’idée est bonne !Et que voulez-vous faire ?
PEKI, avec effroi au prince.
Ô ciel !L’idée est bonne !Et que voulez-vous faire ?
LE PRINCE.
Sur ce hardi coursier m’élancer dans les cieux !

(À Tsing-Sing.)

Tu m’y suivras… en croupe !On y tient deux,
(À Yanko.)
Tu m’y suivras… en croupe !On y tient deux,
N’est-il pas vrai ?Sans doute !Allons, en route !
YANKO.
N’est-il pas vrai ?Sans doute !Allons, en route !
LE PRINCE.
N’est-il pas vrai ?Sans doute !Allons, en route !
TSING-SING.
Et si je ne veux pas !Tu sais ce qu’il en coûte ;
LE PRINCE.
Et si je ne veux pas !Tu sais ce qu’il en coûte ;
Il y va de les jours ! je l’ai dit… je le veux !
ENSEMBLE.
TSING-SING, regardant tour à tour Peki, le prince et Tao-Jin.

Mon Dieu ! que dois-je faire ?
Faut-il braver sa loi ?
Je tremble de colère
Encor plus que d’effroi.

LE PRINCE, YANKO, PEKI, TAO-JIN, TCHIN-KAO ET LE CHŒUR, regardant Tsing-Sing en riant.

Il ne sait plus que faire ;
Il tremble, je le vois !
La peur et la colère
Le troublent à la fois !

TSING-SING, au prince.

Exemptez-moi d’un voyage fatal ;
Je vais en palanquin mais jamais à cheval.

TAO-JIN, d’un air triomphant et montrant Peki.
Alors… cédez !Jamais !Préparez son supplice !
TSING-SING, avec colère.
Alors… cédez !Jamais !Préparez son supplice !
LE PRINCE, aux gens de sa suite et montrant Tsing-Sing.
Alors… cédez !Jamais !Préparez son supplice !
TSING-SING.

Non… non… des deux côtés s’il faut que je périsse,
J’aime mieux, puisqu’il le choix m’est réservé,
Le trépas le plus noble et le plus élevé !

TOUS.
il va partir !J’en tremble au fond de l’âme.
TSING-SING.
il va partir !J’en tremble au fond de l’âme.
TAO-JIN, avec joie.
Il va partir !Mais du moins à ma femme
TSING-SING, regardant Tao-Jin.
Il va partir !Mais du moins à ma femme
Je n’aurai pas cédé… c’est tout ce que je veux.
LE PRINCE.
Allons ! partons, écuyer valeureux !
ENSEMBLE.
LE PRINCE ET TAO-JIN.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,

Partons, partons
Partez, partez
tous deux !
La gloire
nous
vous
appelle,

Et la mort même est belle
À qui s’élève aux cieux !

TSING-SING.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,
Je fermerai les yeux !
Mon courage chancelle,
Et dans ma peur mortelle,
J’implore en vain les cieux !

PEKI ET YANKO, regardant le prince.

Dans le sein des nuages.
Au milieu des orages,
Protégez-le, grands dieux !
Et l’amitié fidèle
Qui vers nous le rappelle
Pour lui fera des vœux !

TCHIN-KAO ET LE CHŒUR.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,
Ah ! je tremble pour eux !
La gloire les appelle,
Et la mort même est belle
À qui s’élève aux cieux !

PEKI, au prince.
Restez !… restez !… pour vous je tremble, Monseigneur
TSING-SING, à Tao-Jin.

Et pour moi vous n’avez pas peur,
Épouse impassible et cruelle ?

TAO-JIN.

Non, vraiment, car pour vous mon amour est si fort
Que j’aime mieux vous savoir mort
Que de vous savoir infidèle !

TSING-SING.
C’est aussi par trop me chérir !
LE PRINCE.
Allons !… allons !… il faut partir !
LE PRINCE ET TAO-JIN.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,

Partons, partons
Partez, partez
tous deux ! etc.
TSING-SING.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,
Je fermerai les yeux ! etc.

PEKI ET YANKO.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,
Protégez-le, grands dieux ! etc.

TCHIN-KAO ET LE CHŒUR.

Dans le sein des nuages,
Au milieu des orages,
Ah ! je tremble pour eux ! etc.


(Le prince entraîne par le fond. Tsing-Sing, qui résiste et finit par le suivre. Pendant que Tao-Jin, Tchin-Kao, Peki, Yanko et le chœur, différemment groupés, les suivent des yeux, la toile tombe.)


FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME.

Séparateur


Le théâtre représente une chambre de la ferme de Tchin-Kao. Portes à droite et à gauche. Au fond, au milieu du théâtre, une grande croisée qui donne sur la campagne.


Scène PREMIÈRE.

TCHIN-KAO, près d’une table à droite, prenant du thé.
AIR.
TCHIN-KAO.

Mon noble gendre a donc quitté la terre !
Ma fille est libre et rentre sous ma loi,
Et déjà maint amant se dispute sa foi !
Quel doux embarras pour un père !

Ma fille, vrai trésor de jeunesse et d’amour !
Que béni soit l’instant où lu reçus le jour !
Dans ce village obscur où s’écoulait ma vie,
La haine et les chagrins m’accablaient tour à tour ;
Mais depuis que Peki se fait grande et jolie,
On m’aime, on me chérit et l’on me fait la cour.

Ma fille, vrai trésor, etc.

Mais de nos lois suivant le sage privilège,
Voilà deux prétendans, qui dans leur tendre ardeur,
À ma fille ont offert leur cœur,
À moi leur dot, et laquelle prendrai-je ?

Je suis bon père, aussi je doi.
Choisir ici comme pour moi.
Mais de quel gendre dans ce jour
Faut-il donc couronner l’amour ?
L’un possède quelques vertus
Et beaucoup d’écus ;

Mais l’autre, c’est embarrassant,
En possède autant.
Comment se décider entre eux
Moi qui les estime tous deux !
Je suis bon père, etc. etc.


Scène II.

TCHIN-KAO, PEKI.
TCHIN-KAO, à Peki, qui entre et regarde par la croisée du fond.

Eh bien ! tu ne vois rien ?

PEKI.

Non, mon père… voilà bien en face de notre ferme le rocher de granit où se place d’ordinaire le cheval de bronze… mais il n’y est plus.

TCHIN-KAO.

Et là-haut… là-haut, tu ne le vois pas revenir ?

PEKI.

Non, vraiment ! Pauvre prince !

TCHIN-KAO.

Et mon gendre !… (Buvant.) je crois bien que c’est fini… et qu’on n’en aura plus de nouvelles.

PEKI.

Est-ce terrible, à son âge !… si aimable et si gentil !

TCHIN-KAO.

Mon gendre !…

PEKI.

Non, le prince !

TCHIN-KAO.

C’est sa faute !… Ils sont tous comme ça… l’ambition, le désir de s’élever… En attendant, ma fille, il paraît que te voilà veuve…

PEKI.

Oui, mon père !…

TCHIN-KAO.

Ne te désole pas…, que veux-tu, mon enfant, nous sommes tous mortels… les mandarins comme les autres.

PEKI.

Oui, mon père…

TCHIN-KAO.

Il faut se dire qu’il était bien vieux et bien laid…

PEKI.

Et quand il a fallu l’épouser… vous me disiez qu’il était si bien… vous lui trouviez tant de bonnes qualités.

TCHIN-KAO.

Il en avait de son vivant… Cette dot qu’il m’avait donnée en t’épousant… toi, ma fille unique, car je n’ai qu’une fille… et c’est ce qui me désole… j’aurais voulu en avoir une douzaine, tant mes enfans me sont chers…

PEKI.

Mon bon père…

TCHIN-KAO.

Et tu seras satisfaite, je crois, du nouveau choix que j’ai fait…

PEKI, étonnée.

Comment, un nouveau choix !

TCHIN-KAO.

Le seigneur Kaout-Chang, un riche fabricant de porcelaine.

PEKI.

Qu’est-ce que vous dites-là ?

TCHIN-KAO.

C’est ce soir qu’il doit venir avec quelques amis… ainsi prépare-nous à souper.

PEKI.

Mais ça n’a pas de nom… ce n’est pas possible… sans me consulter… le jour même de mon veuvage…

TCHIN-KAO.

Dis donc de tes noces… Ne devais-tu pas te marier aujourd’hui ?…

PEKI.

Sans doute…

TCHIN-KAO.

Eh bien ! tu te maries toujours… Rien n’est changé… que le mari…

PEKI.

Mais celui-là a soixante et dix ans…

TCHIN-KAO.

Je n’aime pas les gendres trop jeunes…

PEKI.

Eh bien ! moi… je ne pense pas comme vous… j’ai d’autres idées… et si je me marie, si j’épouse quelqu’un ce sera Yanko…

TCHIN-KAO.

Yanko… un garçon de ferme ! qui a tous les défauts…

PEKI.

Lesquels ?…

TCHIN-KAO.

Qui a dix-huit ans… qui n’a rien.

PEKI.

Je l’aime ainsi… Je suis maîtresse de ma main… je suis veuve…

TCHIN-KAO.

Et moi je vous ordonne…

PEKI.

Je n’ai plus d’ordres à recevoir… car, grâce au ciel, je suis libre…

TCHIN-KAO.

Ça n’est pas vrai… et je ferai ton bonheur malgré toi… voilà comme je suis… Je vais trouver mon nouveau gendre, pour toucher ta nouvelle dot, et je reviens avec lui… Songe à ce que je t’ai dit, et surtout au souper.

PEKI.

Mais, mon père !…

TCHIN-KAO, fait un geste de colère, et lève la main pour la frapper. Elle s’incline devant lui.

À la bonne heure ! voilà comme je t’aime !…

(Il sort et ferme les rideaux de la croisée du fond.)

Scène III.

PEKI.

Est-ce terrible, une tendresse paternelle comme celle-là ! C’est qu’il le ferait ainsi qu’il le dit… Ce pauvre prince qui est si aimable n’est plus là pour nous protéger, et, sans s’inquiéter de mon consentement, mon père serait capable de me marier encore comme la première fois… Oh ! non pas… et nous verrons !… parce qu’une veuve a une expérience que n’a pas une demoiselle ; car…… ces pauvres filles…

PREMIER COUPLET.

Quand on est fille,
Hélas ! qu’il faut donc souffrir !

Dans sa famille
Il faut toujours obéir.
Sitôt chez nous qu’à bavarder
On voudrait se hasarder,
Mon père dit en courroux :
Taisez-vous.
Les parens, toujours exigeans,
Ne veulent en aucun temps
Laisser parler leurs enfans ;
Mais quand on a son mari,
Ce n’est plus ça, Dieu merci !
Attentif et complaisant,
Il écoute galamment ;
Quand on est femme
On parle et je parlerai,
Sans que réclame
Yanko, que je charmerai.
Car Yanko n’a pas un défaut,
Loin de commander tout haut
Il ne dit jamais un mot ;
Oui, Yanko n’a pas un défaut,
Loin de commander tout haut
Il m’obéirait plutôt.
Voilà l’époux qu’il me faut.

DEUXIÈME COUPLET.

Quand on est fille
Il faut au fond de son cœur,
De sa famille,
Hélas ! supporter l’humeur.
Je sais que mon père a bon cœur,
Mais dès qu’il entre en fureur,
Gare à qui tombe soudain
Sous sa main ;
Et contre moi, sa seule enfant,
Il s’emporte à chaque instant
Et me bat même souvent ;
Mais quand on a son mari
Ce n’est plus ça, Dieu merci !
Yanko, je le dis tout bas,
Yanko ne me battrait pas.
Quand on est femme
On est seule à commander,
Devant madame
Yanko va toujours céder,
Car Yanko n’a pas un défaut,
Lorsqu’on lui dit un seul mot
Son cœur s’apaise aussitôt :
Oui, Yanko n’a pas un défaut,
Loin de me battre, en un mot,

Moi, je le battrais plutôt ;
C’est là l’époux qu’il me faut.

(Regardant à droite.)

C’est lui… C’est étonnant comme il a l’air triste depuis son voyage en l’air !


Scène IV.

PEKI, YANKO.
YANKO.

Ah ! c’est vous, Madame.

PEKI.

Madame !… pourquoi me donnes-tu ce nom-là ?

YANKO.

Parce qu’il ne peut pas vous échapper. (Regardant en l’air.) D’abord un mari qui, à chaque instant, peut nous tomber sur la tête, et puis, comme si ce n’était pas encore assez, votre père vient d’annoncer à toute la maison qu’il attendait un nouveau gendre…

PEKI.

Qu’importe, si je refuse ?

YANKO.

Vous n’oserez pas !… vous aurez peur… et vous ferez comme la première fois, vous oublierez Yanko.

PEKI.

Et si j’ai un moyen infaillible d’empêcher ce mariage…

YANKO.

Lequel ?

PEKI.

D’en épouser un autre… sur-le-champ… et sans en rien dire à mon père…

YANKO.

Ô ciel !

PEKI.

Est-ce là un bon moyen ?

YANKO.

C’est selon… selon la personne que vous choisiriez !

PEKI.

Dame !… c’est pour cela que je te demande conseil.

YANKO.

Eh bien ! mamzelle, qui prendrez-vous pour mari ?

PEKI.

Toi ! si tu veux.

YANKO, avec joie.

Ah ! ce n’est pas possible !… vous n’oseriez jamais !

PEKI, tendrement.

J’oserai… je le jure… (Vivement.) Et pourquoi pas ? si tu m’aimes.

YANKO, vivement.

Oh ! toujours !

PEKI.

Si tu m’es resté fidèle, si tu n’as rien à te reprocher…

YANKO, secouant la tête.

Oh ! pour ce qui est de ça… il est possible qu’il y ait bien des choses à dire…

PEKI, d’un air de reproche.

Comment, monsieur, ici, dans ce village ?

YANKO.

Oh ! non, jamais… et si j’y étais toujours resté…

PEKI.

Mais vous n’en êtes sorti qu’une fois… c’est donc quand vous êtes parti sur ce cheval de bronze ? Voyez-vous comme c’est dangereux les voyages ? Et où avez-vous été ? qu’est-ce qu’il vous est arrivé ?… je veux tout savoir.

YANKO.

Écoutez, mademoiselle Peki, si vous l’exigez… je vous le dirai, parce qu’avant tout je dois vous obéir… mais si je parle, ce sera mon dernier jour, et nous serons séparés à jamais.

PEKI.

Ah ! mon Dieu !

YANKO.

Après tout… c’est justice !… je l’ai mérité, je dois être puni… et pourvu que vous me regrettiez quelquefois… je vais vous dire…

PEKI.

Non, monsieur, non… je neveux rien apprendre… quoique j’en aie bien grande envie, et à cause de votre repentir et du chagrin où je vous vois… je vous pardonnerais peut-être si je savais seulement jusqu’à quel point vous avez été coupable…

YANKO.

Vous savez bien que je ne peux rien dire… et il faut pardonner de confiance…

PEKI.

C’est terrible, un secret comme celui-là… Allons, monsieur, puisqu’il le faut, je pardonne (vivement), à condition que cela ne vous arrivera plus.

YANKO, regardant en l’air.

Oh ! non… il n’y a plus moyen.

PEKI.

C’est rassurant !…

YANKO.

Non, ce n’est pas cela que je veux dire…

PEKI.

Eh bien ! monsieur, écoutez-moi : ce soir même, pendant le souper que mon père donne à son gendre, et auquel les femmes n’assistent pas… je sortirai sans bruit par la porte du jardin, où tu m’attendras !

YANKO.

Et où irons-nous ? qui protégera notre fuite ?

PEKI.

Ne t’inquiète donc pas, une grande dame qui veille sur nous… ma collègue ! l’autre femme du seigneur Tsing-Sing.

YANKO.

Elle qui est si méchante !

PEKI.

Elle ne l’est qu’avec son mari, les grandes dames sont comme cela… Tais-toi, la voici !


Scène I

Les précédens ; TAO-JIN.
TAO-JIN, entrant sur la pointe des pieds.

À merveille !… je m’attendais à vous rencontrer ensemble.

YANKO, à Peki.

Vous lui avez donc tout raconté ?

PEKI.

Eh ! mon Dieu oui ! quand on a le même mari, on se trouve liée tout de suite.

TAO-JIN, avec sentiment.

Et puis quand le malheur vous rassemble ! quand toutes deux et le même jour on est veuve…… (D’un air indifférent.) Car décidément je ne crois pas qu’il revienne de si loin… mais enfin, si cela arrivait, je ne veux pas qu’il vous retrouve ici.

PEKI.

Non, madame.

TAO-JIN.

Pour que personne ne puisse vous reconnaître ni savoir ce que vous êtes devenue, vous vous procurerez d’ici à ce soir des habillemens d’homme…

YANKO.

Je m’en charge !

TAO-JIN.

Puis, à la nuit close, vous trouverez à la porte du jardin mes gens et mon palanquin, qui vous transporteront au pied de la montagne d’Or, dans un palais qui m’appartient, où un bonze à qui vous remettrez ces tablettes vous mariera sur-le-champ.

PEKI.

Quel bonheur !… et vous, madame ?

TAO-JIN.

Je retourne dès demain à Pékin, près de quelques amis, pour y passer le temps de mon deuil… (gaiement.) C’est bien triste mais enfin il faut se faire une raison…

PEKI.

C’est ce que je me dis… et quant à la colère de mon père… une fois le mariage fait…

YANKO.

Je n’aurai plus peur de lui !

(On entend Tchin-Kao appeler en dehors :)

Yanko !

YANKO, effrayé.

Ah ! mon Dieu ! il appelle !

(Peki sort par la gauche et Yanko par la droite.)

Scène VI.

TAO-JIN, seule.
RÉCITATIF.

Ah ! pour un jeune cœur, triste et cruelle épreuve,
Quels tour mens que ceux d’une veuve !
Le désespoir dans l’âme et les pleurs dans les yeux,
Plus de bal, plus de fête, ah ! son sort est affreux !…

(Souriant.)

Et pourtant libre enfin d’un joug que l’on abhorre
On peut déjà penser à celui qu’on adore,
On peut rêver d’avance un plus heureux lien,
Et puis le deuil me va si bien.

Ô tourmens du veuvage.
Je saurai vous subir,
Et j’aurai le courage
De ne pas en mourir.

Allons, prenons patience,
Et les amours
Vont bientôt par leur présence
Charmer mes jours.

Ô vous que toute ma vie
J’ai révérés,
Plaisirs et coquetterie
Vous reviendrez.

Je vous revois, beaux jours que je pleurais ;
Par vous les fleurs succèdent aux cyprès.
Adieu vous dis et chagrins et regrets,
Les jours de deuil sont passés pour jamais.


Scène VII.

TAO-JIN, TSING-SING.
(Pendant la ritournelle de l’air précédent, les rideaux de la croisée du fond se déchirent, — On aperçoit en dehors le cheval de bronze sur le rocher de granit qui touche à la fenêtre, — Tsing-Sing, qui vient de descendre de cheval, s’avance en chancelant comme un homme encore tout étourdi.)
TAO-JIN, se retournant et l’apercevant.

Ô ciel ! en croirais-je mes yeux ?
C’est lui ! c’est mon mari de retour en ces lieux !

DUO.
TSING-SING, à part et s’avançant au bord du théâtre pendant que Tao-Jin remonte vers le fond.

Ah ! quel voyage téméraire,
Dans les airs prendre ainsi son vol !
Je respire !… je suis sur terre.
Enfin j’ai donc touché le sol !…
Près d’une beauté que j’adore
En ces lieux où l’amour m’attend

(Se frottant les mains.)
Je vais…Allons, c’est l’autre encore
(Se retournant et apercevant Tao-Jin, à part.)
Je vais…Allons, c’est l’autre encore
Je la revois pour mon tourment !
TAO-JIN.
Quoi ! c’est vous, seigneur ?Oui, Madame !
TSING-SING, haut.
Quoi ! c’est vous, seigneur ?Oui, Madame !
Moi qui pour vous descends des cieux !
TAO-JIN.
Et le prince ?…Calmez votre âme,
TSING-SING.
Et le prince ?…Calmez votre âme,
Il est resté…Pourquoi !…Parlez donc !… je le veux.
TAO-JIN.
Il est resté…Pourquoi !…Parlez donc !… je le veux.
(Voyant qu’il garde toujours le silence.)
Il est resté…Pourquoi !…Parlez donc !… je le veux.
Comment, vous gardez le silence !
Répondez-moi !Je ne le peux !
TSING-SING.
Répondez-moi !Je ne le peux !
TAO-JIN.
D’où vient donc cette défiance ?
TSING-SING.

Je dois me taire et je le veux,
Parler serait trop dangereux !

TAO-JIN, le cajolant.

Vous avez donc dans ce voyage
Vu des objets bien merveilleux !

TSING-SING.
Sans doute !Et vous pourriez, je gage,
TAO-JIN, de même.
Sans doute !Et vous pourriez, je gage,
M’en faire un récit curieux !
TSING-SING.
Certainement !D’avance moi j’admire
TAO-JIN, de même.
Certainement !D’avance moi j’admire
C’est donc bien beau !… bien somptueux !
TSING-SING, s’oubliant.
Je crois bien !… car d’abord…Mais je ne veux rien dire.
(S’arrêtant.)
Je crois bien !… car d’abord…Mais je ne veux rien dire.
Non… non… je ne veux rien dire !
TAO-JIN, le suppliant.

Ah ! mon mari,
Mon petit mari,
Si vous voulez que je vous aime,
Parlez, parlez à l’instant même.
Et de moi vous serez chéri !

ENSEMBLE.
TAO-JIN.
Vous parlerez.
TSING-SING.
Je ne dis mot.
TAO-JIN.
Et pourquoi donc ?
TSING-SING.
C’est qu’il le faut.
TAO-JIN.
Vous me direz…
TSING-SING.
Parlez plus bas !
TAO-JIN.
Oui, je le veux,
TSING-SING.
Je ne veux pas !
TAO-JIN, avec colère.

Ah ! je perds patience
Avec un tel époux,
Gardez-donc le silence,
Je ne veux rien de vous !

TSING-SING, avec humeur.

Ah ! je perds patience !
Ma femme, taisez-vous !
Oui, gardez le silence
Ou craignez mon courroux !

TSING-SING, après un instant de silence.

Ah ! quel doux ménage est le nôtre !
En descendant du ciel, se trouver en enfer !

(Regardant autour de lui.)
Si du moins j’apercevais l’autre !
TAO-JIN, avec ironie.
Cette jeune beauté dont l’aspect vous est cher !
(Se rapprochant de lui et prenant un air de douceur.)

Eh bien ! donc, vous allez connaître
Si je suis bonne et si je vous aimais,
De l’épouser demain je vous laisse le maître !

TSING-SING, avec joie.
Vraiment !… ma chère femme !Mais.
TAO-JIN.
Vraiment !… ma chère femme !Mais.
Voici la clause que j’y mets !
TSING-SING, avec chaleur.
Je m’y soumets ! d’avance, je l’atteste !
TAO-JIN, d’un air câlin.
C’est de m’apprendre les secrets
Que vous avez surpris là-haut !…Un sort funeste
TSING-SING.
Que vous avez surpris là-haut !…Un sort funeste
M’en empêche ! Comment cela ?
TAO-JIN.
M’en empêche ! Comment cela ?
TSING-SING.

D’y penser j’en frémis déjà !
Si j’osais révéler ce terrible mystère !
Si je le trahissais par un mot… un seul mot,
Prononcé par hasard et même involontaire,
Vous verriez votre époux se changer en magot !

TAO-JIN, joignant les mains.
En magot !  ! En statue ou de bois ou de pierre !
TSING-SING.
En magot !  ! En statue ou de bois ou de pierre !
TAO-JIN, de même.
En magot !  ! Si j’osais révéler ce mystère !
TSING-SING.
En magot !  ! Si j’osais révéler ce mystère !
TAO-JIN, d’un air caressant.

Ah ! mon mari !
Mon petit mari !
Si vous voulez que je vous aime,
Parlez ! parlez à l’instant même,
Et de moi vous serez chéri !

ENSEMBLE.
TAO-JIN.
Vous parlerez,
TSING-SING.
Je ne dis mot !
TAO-JIN.
Mais cependant…
TSING-SING.
Non, il le faut.
TAO-JIN.
Si je le veux,
TSING-SING.
Parlez plus bas !
TAO-JIN.
Moi je-le veux !
TSING-SING.
Je ne veux pas !
TAO-JIN, avec colère.

Ah ! je perds patience
Avec un tel époux,
Gardez donc le silence.
Je ne veux rien de vous !

TSING-SING, avec colère.

Ah ! je perds patience !
Ma femme, taisez-vous !
Oui, gardez le silence
Ou craignez mon courroux !

(À la fin de cet ensemble, Tsing-Sing impatient va se jeter dans le fauteuil à gauche.)
TSING-SING.

Qu’il ne soit plus question de cela… et puisqu’il n’y a pas moyen de vous faire entendre raison, je ne vous répondrai plus !

TAO-JIN.

Eh bien ! plus qu’un mot !… (S’approchant de lui.) Quoi ! vraiment, si, malgré vous et sans le vouloir, ce secret-là vous échappait, vous seriez changé à l’instant même en statue de bois…

TSING-SING.

Oui !

TAO-JIN.

En magot !

TSING-SING.

Oui !

TAO-JIN.

Serait-il comme les autres peint et colorié ?

TSING-SING, avec colère et se rejetant dans le fauteuil.

C’en est trop !… et quoi que vous me demandiez, quoi que vous puissiez me dire maintenant, je n’ouvrirai plus la bouche !

TAO-JIN, près du fauteuil.

C’est ce que nous verrons ; et pour commencer, je ne consens pins à votre nouveau mariage… (Geste d’impatience de Tsing-Sing, qui veut parler et qui s’arrête.) Je ne vous quitterai plus… (Même jeu.) Je ne vous laisserai pas seul un instant avec votre nouvelle femme… (Même jeu.) Et bien plus, je la ferai disparaître de vos yeux !

TSING-SING, éclatant et se levant.

Vous oseriez !…

TAO-JIN.

Je savais bien que je vous ferais parler…… Adieu, adieu ! (À part.) Courons tout préparer pour le départ de Peki.

(Elle sort.)

Scène VIII.

TSING-SING, seul.
TSING-SING, se rejetant dans le fauteuil.

Elle ne sait qu’inventer pour me faire, enrager ! Dans ce moment surtout où je n’ai pas même la force de me mettre en colère… car je tombe de faim, de sommeil et de fatigue… Quand on a passé la journée à cheval…… non pas que la route soit mauvaise (Commençant à s’endormir.) Mais elle est longue… et ce maudit cheval était si dur… surtout en allant, où nous étions deux… et puis, arrivé là-bas, c’était bien autre chose…

(Il s’endort tout à fait.)

Scène IX.

TSING-SING, endormi sur le fauteuil à gauche ; TCHIN-KAO et PEKI, entrant par la gauche derrière lui.
TCHIN-KAO.

Oui, mon enfant, tous mes convives et mon nouveau gendre seront ici dans un instant…

PEKI, regardant vers le fond.

Ah ! grand Dieu !

TCHIN-KAO, à Peki.

Qu’as-tu donc ?

PEKI.

Le cheval de bronze qui est de retour…… (Montrant Tsing-Sing) Et lui aussi !

TCHIN-KAO.

Le mandarin !

PEKI.

Je crois qu’il dort…

TCHIN-KAO.

Qui diable le ramène ? Il y a des gens qui ne peuvent rester nulle part !

PEKI, à part.

Et Yanko qui va venir ici au rendez-vous !

TCHIN-KAO.

Et mon second gendre qui va arriver…… je n’en serai pas quitte pour une double bastonnade.

PEKI.

Ce que c’est aussi que de vous presser…

TCHIN-KAO.

Ne te fâche pas… je cours retirer ma parole, et prier Caout-Chang d’attendre… ce qui ne doit pas être bien long… (se frappant la tête.) Ah ! mon Dieu !… et tous mes autres convives que je n’aurai jamais le temps de décommander… Pourquoi les aurais-je invités ?…

PEKI.

Oui, pourquoi ?

TCHIN-KAO.

Pour le retour de celui-ci… ce sera toujours pour fêter un gendre… Je reviens avec eux et tous les musiciens du pays… (Montrant Tsing-Sîng.) Une surprise que je lui réserve… une aubade, une sérénade… en son honneur… Je crois que cela fera bien, et qu’il y sera sensible…

TSING-SING, dormant.

Ma femme !…

TCHIN-KAO.

Il t’appelle !…

PEKI.

Eh non ! c’est l’autre !

TSING-SING, de même.

Peki !…

TCHIN-KAO.

Tu vois bien !…

PEKI.

Non… il dort toujours.

TCHIN-KAO, sortant sur la pointe du pied par la porte du fond.

Adieu !… Reste-là !


Scène X.

TSING-SING, toujours endormi, PEKI, puis YANKO sortant de la porte à droite.
TRIO.
TSING-SING, rêvant tout haut.

Ma femme… ma femme… à souper…
…… Il vaut mieux être en son ménage…
Que d’être encore à galoper.
À cheval sur un nuage !

PEKI.
Il rêve en dormant !Ah ! grands dieux !
(Se retournant et apercevant Yanko qui vient d’entrer, tenant un paquet à la main.)
Il rêve en dormant !Ah ! grands dieux !
Yanko qui revient en ces lieux !
YANKO, apercevant Tsing-Sing.
Que vois-je ?C’est lui !Du silence.
(Il laisse tomber sur une chaise le paquet qu’il tenait.)
Que vois-je ?C’est lui !Du silence.
PEKI.
Que vois-je ?C’est lui !Du silence.
YANKO, stupéfait.
Comment, le voilà de retour !
PEKI.
Hélas ! oui !Sa seule présence
YANKO.
Hélas ! oui !Sa seule présence
Détruit tous ânes rêves d’amour !
ENSEMBLE.
TSING-SING, rêvant.

L’amour m’attend… douce espérance,
Enfin me voilà de retour !

PEKI ET YANKO.

Pour nous, sa funeste présence,
Détruit tous nos rêves d’amour.

TSING-SING, rêvant.

Allez, esclaves, qu’on prépare……
Notre appartement nuptial !

YANKO.

Qui moi, souffrir qu’on nous sépare ;
Plutôt immoler ce rival !

PEKI, à voix basse.

Écoute-moi !
Je ne puis à présent m’éloigner avec loi,
Mais je partirai seule, et j’irai sans effroi
Aux pieds de l’empereur implorer sa justice,
Pour rompre cethymen etdégager ma foi !

YANKO.
Tu l’oserais ?Le ciel propice
PEKI.
Tu l’oserais ? Le ciel propice
Protégera ma fuite, et veillera sur moi !
TSING-SING, rêvant.
À souper, ma femme… ma femme…
PEKI.
Ah ! la frayeur glace mon âme !
ENSEMBLE.

Va-t’en ! va-t’en ! c’est mon mari,
J’ai peur qu’il ne s’éveille, ici !

YANKO.

Ah ! ne crains rien de ton mari.
Tu vois bien qu’il est endormi !

TSING-SING, rêvant.

Ah ! quel bonheur pour un mari,
De reposer enfin chez lui !

YANKO.

Je pars… mais que j’entende encore
Un mot, un dernier mot d’amour !

PEKI.

Yanko, c’est moi qui vous implore,
Éloignez-vous de ce séjour !

YANKO.
Quoi ! te quitter à l’instant même…
PEKI.
Eh bien ! tu le sais, oui, je l’aime !…
Mais……Je l’aime !…
Mais……Je l’aime !…

Va-t’en ! va-t’en ! c’est mon mari,
Je crains qu’il ne te voie ici.

YANKO.

Ah ! ne crains rien de ton mari,
Tu vois bien qu’il est endormi !

TSING-SING, rêvant.

Ah ! quel bonheur pour un mari,
De se trouver enfin chez lui !

PEKI, à Yanko.
Partez… partez… je vous supplie…
YANKO, avec chaleur.
Vous perdre, c’est perdre la vie !
PEKI, lui imposant silence.
Pas si haut !… il me fait trembler !
YANKO, baissant la voix.
Eh bien ! je me tais… mais par grâce,
Un seul baiser !…Ah ! quelle audace !
PEKI.
Un seul baiser !…Ah ! quelle audace !

Le bruit pourrait le réveiller.
Non… non… je défends qu’on m’embrasse !

YANKO.
Il le faut… ou je reste ici !
PEKI.
Alors, dépêchez-vous, de grâce…
(Yanko l’embrasse.)
ENSEMBLE.
PEKI.

Va-t’en ! va-t’en ! c’est mon mari !
Je crains qu’il ne te voie ici !

YANKO.

Ah ! ne crains rien de ton mari !
Tu vois bien qu’il est endormi.

TSING-SING.

Ah ! quel bonheur pour un mari
De se trouver enfin chez lui !


Scène XI.

TSING-SING, endormi, PEKI, prenant le paquet apporté par Yanko.
PEKI.

Dépêchons-nous de partir !… prenons vite
Ces habits d’homme et ce déguisement

Qui doivent assurer ma fuite !
(Elle va pour sortir par la porte à gauche.)
TSING-SING, rêvant tout haut.
Les beaux jardins !Que dit-il ?C’est charmant !
PEKI, revenant près de lui.
Les beaux jardins !Que dit-il ?C’est charmant !
TSING-SING.
Les beaux jardins !Que dit-il ?C’est charmant !
Voyez-vous pas ce palais magnifique…
PEKI.
Écoutons bien…Ce bracelet magique…
TSING-SING, rêvant.
Écoutons bien…Ce bracelet magique…
PEKI.
Un bracelet magique ?…Il faut s’en emparer !…
TSING-SING, rêvant.
Un bracelet magique ?…Il faut s’en emparer !…
Ô voluptés !… qui viennent m’enivrer ?
PEKI.
Si je pouvais savoir !Oh ! oui, belle princesse,
TSING-SING, rêvant.
Si je pouvais savoir !Oh ! oui, belle princesse,

Je me tairai, vous avez ma promesse,
Et j’ai trop peur… non, je ne dirai pas.

(Sa voix s’est affaiblie peu à peu et il continue.)
PEKI, à genoux près du fauteuil et prêtant toujours l’oreille.
Il parle encor… il parle bas !…
Écoutons bien…Ciel !…Ô surprise extrême !
(Elle écoute.)
Écoutons bien…Ciel !…Ô surprise extrême !
Écoutons bien… Ciel(Écoutant encore.)
Écoutons bien…Ciel !…Ô surprise extrême !
Quoi ! c’est là que Yanko… que le prince lui-même…
(Avec joie.)

Ce secret qu’il cachait à mes vœux empressés,
Il vient de le trahir malgré lui… je le sais !
Ah ! quel bonheur ! je le saisi… je le sais !…

(Regardant par la porte du fond.)
C’est mon père !… partons !En bon ordre avancez !
(Elle sort par la porte à droite.)

Scène XII.

TSING-SING, sur le fauteuil à gauche ; TCHIN-KAO, paraissant à la porte du fond ; ses amis et plusieurs musiciens, portant des instrumens de musique chinois.
TCHIN-KAO, au fond.
C’est mon père !… partons ! En bon ordre avancez !

(Regardant Tsing-Sing.)

Il dort encor !… tant mieux !Êtes-vous tous placés ?
(Aux musiciens et aux chanteurs qu’il a disposés derrière Tsing-Sing, autour du fauteuil.)
Il dort encor !… tant mieux !Êtes-vous tous placés ?

Qu’une aimable harmonie arrive à son oreille !
Et par un bruit flatteur doucement le réveille !

(Tenant à la main le bâton de mesure.)
C’est bien !… c’est bien !… commencez !
TCHIN-KAO, LE CHŒUR ET LES MUSICIENS, commençant piano.

Miroir d’esprit et de science,
Ô vous que nous admirons tous !
Éveillez-vous !
Astre de gloire et de puissance,
Dont le soleil serait jaloux,
Éveillez-vous !
Pour adorer votre excellence,
Nous venons tous à vos genoux
Éveillez-vous !
Grand mandarin, éveillez-vous !

TCHIN-KAO.

C’est étonnant !… il dort encor !
Chantons, amis, un peu plus fort !

CHŒUR, reprenant et allant toujours crescendo.

Miroir d’esprit et de science,
Ô vous que nous admirons tous.
Éveillez-vous !

TCHIN-KAO.

Plus fort ! plus fort !
Encor
Un peu plus fort !

LE CHŒUR, augmentant toujours de bruit.

Astre de gloire et de puissance,
Dont le soleil serait jaloux,
Éveillez-vous !

TCHIN-KAO.

Plus forrt ! plus fort !
Encor
Plus fort !

LE CHŒUR, augmentant toujours.

Pour adorer votre excellence,
Nous venons tous à vos genoux ;
Éveillez-vous !

TCHIN-KAO.

Plus fort ! plus fort !
Encor
Plus fort !

TOUS, avec tout le déploiement de l’orchestre.

Ah ! c’est inconcevable !
C’est à faire trembler.
Quoi ! ce bruit effroyable
Ne peut le réveiller.


Scène XIII.

Les précédens ; YANKO, arrivant tout effrayé par la porte à droite.
YANKO.

Ah ! quel bruit ! quel vacarme affreux !
J’accours tremblant !… est-ce la foudre
Qui vient de tomber en ces lieux !

TCHIN-KAO.
C’est mon gendre qui dort et qui ne peut se résoudre
À s’éveiller !Pas possible !Il est sûr
YANKO.
À s’éveiller !Pas possible !Il est sûr
TCHIN-KAO.
À s’éveiller !Pas possible !Il est sûr

Qu’il a le sommeil un peu dur !
Car nous avons mis en usage

Toute la musique à tapage
Que la Chine peut employer.
Il nous faudrait pour l’éveiller
Des musiciens de l’Europe !

(S’approchant de Tsing-Sing et le prenant respectueusement par le bras.)
Allons, mon gendre !…Ô ciel ! je sens là sous mes doigts
(Avec effroi.)
Allons, mon gendre !…Ô ciel ! je sens là sous mes doigts
Ses membres que durcit une épaisse enveloppe !…
Ce n’est plus de la chair !C’est du marbre ou du bois !
(Le tâtant.)
Ce n’est plus de la chair !C’est du marbre ou du bois !
(Lui frappant sur la tête avec le bâton de mesure qu’il tient à la main.)
Ce front savant n’est plus qu’une tête de bois !
TOUS.

Ô miracle ! ô prodige !
Je tremble de frayeur !
Et tout mon sang se fige
D’épouvante et d’horreur !

TCHIN-KAO.

Quoi ! ce grand mandarin n’est plus qu’une statue !
D’où peut venir un pareil changement ?

YANKO, riant.
J’y suis… et de moi seul la cause en est connue.
(Se jetant en riant dans le fauteuil à droite.)
Je n’ai plus de rival !… ah ! ah ! ah ! c’est charmant !
TCHIN-KAO, à Yanko.
Tu sais donc…Ah ! ah ! ah !D’où vient cet accident ?
YANKO, riant toujours.
Tu sais donc…Ah ! ah ! ah !D’où vient cet accident ?
TCHIN-KAO.
Tu sais donc…Ah ! ah ! ah !D’où vient cet accident ?
YANKO, riant.

Rien n’est plus simple… et ce voyage…
Il aura parlé, je le gage…

Il aura dit…Sont-ils donc curieux !
(Voyant tous les assistans qui se groupent autour de son fauteuil et écoutent.)
Il aura dit…Sont-ils donc curieux !
(Tchin-Kao les éloigne et revient se baisser près du fauteuil de Yanko.)
YANKO, riant toujours.
Il aura dit…Quoi donc ?Vraiment !C’est merveilleux.
TCHIN-KAO.
Il aura dit…Quoi donc ?Vraiment !C’est merveilleux.
(Écoutant Yanko qui lui parle bas à l’oreille.)
Il aura dit…Quoi donc ?Vraiment !C’est merveilleux.
(Écoutant toujours.)
Il aura dit…Quoi donc ?Vraiment !C’est merveilleux.
Et puis… achève…Eh bien !… le voilà qui s’endort !
(Regardant Yanko, qui tout à coup reste immobile et dans la position où il était en parlant.)
Et puis… achève…Eh bien !… le voilà qui s’endort !
(L’appelant.)
Yanko ! Yanko !Yanko ! Yanko !Plus fort !!
TOUS, l’appelant aussi.
Yanko ! Yanko !Yanko ! Yanko !Plus fort !!
TCHIN-KAO.
Yanko ! Yanko !Yanko ! Yanko !Plus fort !!

Plus fort !
Plus fort !
Encor
Plus fort !

TOUS.

Ah c’est inconcevable !
C’est à faire trembler !
Quoi ! ce bruit effroyable
Ne peut le réveiller !

TOUS.
Yanko ! Yanko ! Yanko !

Scène XIV.

Les précédens ; PEKI, sortant de la porte à droite ; elle a des habits d’hommes ; TAO-JIN, sortant, de la porte à gauche un instant après.
PEKI, avec effroi.
Yanko ! Yanko ! pourquoi l’appelez-vous ainsi ?
TCHIN-KAO, apercevant Peki habillée en homme.
Peki sous ce costume !…Eh ! qu’importe, mon père ?
PEKI, dans le plus grand trouble.
Peki sous ce costume !…Eh ! qu’importe, mon père ?
TAO-JIN.
Qu’est-il donc arrivé ?Quel bruit a retenti ?
PEKI.
Qu’est-il donc arrivé ?Quel bruit a retenti ?
TCHIN-KAO, à Tao-Jin.
Ce qu’il est arrivé !… voilà votre mari !
Qu’on a changé… voyez !Et ce n’est rien, ma chère ;

(À Peki.)

Qu’on a changé… voyez !Et ce n’est rien, ma chère ;
Yanko de même !…Ô ciel ! il a parlé !
PEKI ET TAO-JIN, regardant l’une Yanko, et l’autre Tsing-Sing.
Yanko de même !…Ô ciel ! il a parlé !
TCHIN-KAO.
Oui, sans doute il m’a révélé
Que là-haut… (S’arrêtant.) Qu’allais-je faire ?

Ah ! taisons-nous ! en voilà deux déjà !
C’est bien assez de magots comme ça !

ENSEMBLE.
TAO-JIN.

Oui, sur ce mystère
Il n’a pu se taire,
Le destin sévère
Vient nous séparer !
Destin que j’ignore.
Qui dès mon aurore
Me rend veuve encore !
Dois-je en murmurer ?

PEKI.

Ô Dieu tutélaire
Qui vois ma misère,
Que pourrais-je faire

Que pourrais(Montrant Yanko.)

Pour le délivrer ?
Pour lui que j’adore
Amour, je l’implore,
Sois mon guide encore
Et viens m’inspirer !

TCHIN-KAO.

Oui, je veux me taire,
Et de moi, ma chère,

Effroi salutaire
Vient de s’emparer !
Péril qu’on ignore
Est plus grand encore ;
Mon Dieu ! je t’implore,
Viens nous inspirer !

CHŒUR.

Ô fatal mystère !
Ô destin contraire !
Que pourrions-nous Taire
Pour les délivrer 7
Péril qu’on ignore
Est plus grand encore ;
Ô Dieu que j’implore
Viens nous inspirer !

CHŒUR, montrant Tsing-Sing et Yanko.
Qu’en ferons-nous en attendant ?
TAO-JIN.

Pour leur trouver un gite et brillant et commode
Transportons-les dans la grande pagode,
Dont ils seront le plus bel ornement ?

PEKI, regardant Yanko.

Ah ! pour le rendre à sa forme première, .
Si j’employais
Les terribles secrets…
Que j’ai surpris ici…
De mon mari !

ENSEMBLE.
TAO-JIN.

Oui, sur ce mystère
Il n’a pu se taire !
Le destin sévère
Vient nous séparer !
Destin que j’ignore,
Qui dès mon aurore
Me rend veuve encore !
Dois-je en murmurer ?

PEKI.

Ô Dieu tutélaire
Qui vois ma misère,
En toi seul j’espère
Pour le délivrer !
Pour lui que j’adore,
Amour, je t’implore !

Sois mon guide encore
Et viens m’inspirer !

TCHIN-KAO.

Oui Je veux me taire,
Et de moi, ma chère,
Effroi salutaire
Vient de s’emparer !
Péril qu’on ignore,
Est plus grand encore ;
Ô Dieu que j’implore,
Viens nous inspirer !

CHŒUR.

Ô fatal mystère !
Ô destin contraire,
Que pourrions-nous faire
Pour les délivrer ?
Péril qu’on ignore
Est plus grand encore ;
Ô Dieu que j’implore,
Viens nous inspirer !

PEKI, à part, avec exaltation.

Oui, j’en crois mon courage et l’ardeur qui m’enflamme !
S’ils ont tous succombé, c’est à moi, faible femme,
Qu’est réservé l’honneur de l’emporter !
Et cette épreuve… eh bien ! j’oserai la tenter !

(Elle s’élance vers la porte à droite qu’elle referme sur elle.)
TCHIN-KAO, regardant Peki.
Eh bien donc ! où va-t-elle ?
(On voit, par la fenêtre du fond, Peki s’élancer sur le cheval de bronze, qui l’enlève, et elle disparaît.)
TCHIN-KAO ET LE CHŒUR.

Ô terreur nouvelle !
Funeste destin !…

(Regardant dans la coulisse à gauche et en l’air.)
La voyez-vous là-haut !… là-haut !… là-haut !… c’est elle !
Qui disparaît sur le cheval d’airain !
TOUS, revenant au bord du théâtre.

Ah ! c’est inconcevable !
C’est à faire frémir !
D’une audace semblable
Je ne puis revenir !

(La toile tombe.)


FIN DU DEUXIÈME ACTE.

ACTE TROISIÈME.

Séparateur


Le théâtre représente un palais et des jardins célestes au milieu des nuages. Au lever du rideau, Stella est assise sur de riches coussins. Lo-Mangli et plusieurs femmes vêtues de robes de gaze, l’entourent et la servent ; d’autres jouent du théorbe, de la lyre, etc.


Scène PREMIÈRE.

LE CHŒUR.

Ô séduisante ivresse !
Ô volupté des cieux
Vous habitez sans cesse
En ce séjour heureux !

AIR.
STELLA.

En vain de mon jeune âge
Leurs soins charmaient le cours !
Hélas ! dans l’esclavage
Il n’est point de beaux jours !

De ces ruisseaux les ondes jaillissantes,
Tous ces trésors dont l’œil est ébloui,
Ces bois, ces prés, ces nymphes séduisantes
Ne m’inspiraient qu’un triste et sombre ennui !
En vain de mon jeune âge
Leurs soins charmaient le cours !
Hélas ! dans l’esclavage
Il n’est point de beaux jours !
Mais soudain !…

CAVATINE.

De ma délivrance
La douce espérance
Sourit à mon cœur !
Pour moi plus d’alarme,

Ici tout me charme
Et tout est bonheur !

Tout a changé dans la nature
L’air est plus doux, l’onde plus pure !
Des oiseaux les chants amoureux
Sont pour moi plus harmonieux !

De ma délivrance
La douce espérance
Sourit à mon cœur
Pour moi plus d’alarme,
Ici tout me charme
Et tout est bonheur !

(Sur un geste de la princesse toutes les femmes sortent, excepté Lo-Mangli.)
LO-MANGLI.

Oui, quelques heures encore, et vous serez libre, et l’enchantement qui vous retient ici sera rompu, grâce à ce joli petit prince chinois qui nous est arrivé hier !

STELLA.

Aura-t-il assez de courage et de sagesse pour mettre à fin une telle entreprise ?

LO-MANGLI.

Je le crois bien, avec la précaution que vous avez prise de ne pas rester auprès de lui !

STELLA.

Il l’a bien fallu ! il était si tendre, si empressé.

LO-MANGLI.

Et puis si étourdi.

STELLA.

Conviens aussi que notre aventure est bien étonnante.

LO-MANGLI.

Pas pour nous qui voyons les choses d’un peu haut ! mais sur terre, je suis persuadée qu’il y a des gens qui n’y croiraient pas, qui diraient : c’est invraisemblable !

STELLA.

Celle que toutes les nuits il voyait, c’était moi !

LO-MANGLI.

Et celui qui vous apparaissait dans tous vos songes…

STELLA.

C’était lui ! de sorte que quand nous nous sommes vus pour la première fois…

LO-MANGLI.

Vous vous êtes reconnus.

STELLA.

Qui donc pouvait de si loin nous réunir ainsi ?

LO-MANGLI.

Quelque enchanteur qui, dès longtemps, sans doute, vous destinait l’un à l’autre ; celui-là même, peut-être, qui autrefois vous a enlevée de la cour du Grand Mogol votre père, pour vous transporter dans cette planète, où il a mis à votre délivrance des conditions…

STELLA.

Si bizarres et si difficiles.

LO-MANGLI.

Vous trouvez… (On entend en dehors un appel de trompettes.) Encore un voyageur que nous amène le cheval de bronze.

STELLA.

Ah ! quel ennui !

LO-MANGLI.

Vous ne disiez pas cela autrefois ; cela vous amusait ! mais rassurez-vous, je me charge de le recevoir.

STELLA.

Et de le faire repartir sur-le-champ !

LO-MANGLI.

Dame !… je tâcherai.

STELLA.

Adieu ! je vais voir pendant quelques minutes…

LO-MANGLI.

Ce pauvre prince qui vous aime tant !

STELLA.

Il le dit, du moins.

LO-MANGLI.

Comme tous les voyageurs qui viennent ici ! À beau mentir qui vient de…

STELLA, vivement.

Que dis-tu ?

LO-MANGLI, de même.

Non ! non ! je me trompe, celui-là ne ment pas.

(Second appel de trompettes plus fort que le premier. — Stella sort par la gauche, et Peki entre par la droite.)

Scène II.

LO-MANGLI, PEKI.
PEKI, se bouchant les oreilles.

C’est assez… c’est assez !… je l’ai bien entendu… des grandes statues de femmes avec des trompettes… qui me répètent l’une après l’autre : Si tu racontes ce que tu auras vu ici…… tu seras changé en magot…… Eh ! je le savais déjà… je le sais de reste… ce n’est pas là ce qui m’effraye !

LO-MANGLI.

Je vois, beau voyageur, que vous êtes brave !

PEKI, timidement.

Pas beaucoup !… (S’enhardissant.) Mais, enfin je suis venu sur le cheval de bronze pour tenter l’épreuve.

LO-MANGLI.

Et délivrer la princesse !

PEKI.

Oui ; en m’emparant de ce bracelet magique qui seul, dit-on, peut rompre tous les enchantemens… (À part.) Ce qui sera bien utile pour ce pauvre Yanko que j’ai laissé…

(Imitant la position d’un magot.)
LO-MANGLI.

Et vous êtes bien décidé !…

PEKI.

Très-décidé. Mais pour devenir maître de ce bracelet que faut-il faire ?… voilà ce que je ne sais pas encore…

LO-MANGLI.

Et ce que je dois vous apprendre !… Il faut dans cette planète…

PEKI.

C’est une planète !…

LO-MANGLI.

Celle de Vénus, où il n’y a que des femmes !… Il faut pendant une journée entière rester au milieu de nous, calme et insensible.

PEKI.

Si ce n’est que cela !…

LO-MANGLI.

Oui-da !… et quelles que soient les épreuves auxquelles vous serez exposé, ne pas manquer un instant aux lois de la plus stricte sagesse.

PEKI.

J’entends !

LO-MANGLI.

Car, à la première faveur que vous demanderez…

PEKI.

Vous refuserez !…

LO-MANGLI, d’un air doucereux.

Mon Dieu non !… il ne tient qu’à vous… on ne vous empêche pas !… mais au plus petit baiser que vous aurez pris… crac !… vous redescendrez à l’instant sur la terre, sans pouvoir jamais remonter le cheval de bronze, ni revenir en ces lieux.

PEKI, étonnée.

Est-il possible !… (Vivement.) Ah ! mon Dieu !… et j’y pense maintenant…… (À Lo-Mangli.) Quels sont les derniers voyageurs qui sont venus ?

LO-MANGLI.

D’abord le prince de la Chine, qui est encore dans ces jardins… un concurrent redoutable ! car, encore une heure ou deux, et la journée sera écoulée… jamais aucun voyageur ne nous a fait une aussi longue visite !…

PEKI.

C’est très-bien à lui !… et puis ?

LO-MANGLI.

Le grand mandarin Tsing-Sing…… un vieux qui s’est arrêté ici assez longtemps… deux heures !

PEKI.

Voyez-vous cela ! à son âge !… Mais avant eux ?…

LO-MANGLI.

Ah ! je me le rappelle… un jeune homme nommé Yanko !

PEKI, vivement.

C’est lui !… eh bien ?…

LO-MANGLI.

Il est à peine resté un instant !…

PEKI, avec colère.

Quelle indignité !

LO-MANGLI.

Il est reparti tout de suite… tout de suite !…

PEKI.

C’est affreux !… moi qui l’aimais tant ! moi qui viens ici pour le retirer de la position où il est…… exposez-vous donc pour de pareils magots !… Je suis d’une colère !… et si dans ce moment je pouvais me venger… (S’arrêtant.) Mais il n’y a ici que des femmes !… (À Lo-Mangli.) Mademoiselle, dites-moi, je vous prie…

LO-MANGLI, s’approchant vivement.

Tout ce que vous voudrez…

PEKI.

Vous êtes certainement bien gentille…… bien aimable…

LO MANGLI, à part.

Pauvre jeune homme !…… il va s’en aller !…… (Haut et regardant du côté de la coulisse à gauche.) Tenez…… tenez…… voyez-vous de ce côté… c’est Stella et le prince !…

PEKI, à part.

Je ne veux pas qu’il m’aperçoive… (Entraînant Lo-Mangli par la main du côté à droite.) Venez… Venez…

LO MANGLI, en s’en allant.

En voilà un qui ne restera pas long-temps ici… et c’est dommage… car il est gentil !…

(Elle sort avec Peki par la droite.)

Scène III.

LE PRINCE, STELLA, entrant par la gauche en se disputant.
DUO.
STELLA.
Eh quoi ! Monsieur, toujours vous plaindre.
LE PRINCE.
Et n’ai-je pas raison, hélas !
STELLA.
Lorsqu’au terme on est prêt d’atteindre !
LE PRINCE.
Mais ce jour ne finira pas !
STELLA.

C’est peu de patience, ou bien peu de tendresse !
Songez qu’une heure encore !… une heure de sagesse…
Et je vous appartiens pour jamais !…

LE PRINCE.

Et je vous appartiens pour jamais !…J’entends bien !
Mais une heure est un siècle !… une heure de sagesse,
Quand le cœur bat d’amour et d’espoir et d’ivresse.
Car vous ne savez pas quel amour est le mien !…

(Se rapprochant très près d’elle.)
Et si je vous disais depuis quand je soupire !…
STELLA.
Oui… oui… mais de plus loin tâchez de me le dire.
ENSEMBLE.

Plus loin, plus loin !… encor plus loin !
Oui, j’en prends le ciel à témoin,
Votre amour lui-même
Me glace d’effroi !
Et si je vous aime
Ah ! c’est loin de moi !

LE PRINCE, qui s’est placé à l’autre extrémité du théâtre.

Eh bien ! eh bien ! est-ce assez loin ?
Sagesse suprême,
J’admire ta loi !
Quoi ! son amour même
L’éloigne de moi !

STELLA, regardant le prince qui lui tourne le dos.
Quoi ! vous êtes fâché ! vous boudez ? Oui, vraiment !
LE PRINCE.
Quoi ! vous êtes fâché ! vous boudez ? Oui, vraiment !
STELLA.
D’où vient cette colère extrême ?
LE PRINCE.
Me renvoyer ! Parce que je vous aime !
STELLA.
Me renvoyer ! Parce que je vous aime !

Songez qu’un désir imprudent,
Songez que la faveur même la plus légère…

LE PRINCE.
Quoi ! rien qu’un seul baiser !…Vous renverrait sur terre !
STELLA.
Quoi ! rien qu’un seul baiser !…Vous renverrait sur terre !
LE PRINCE.
Ô ciel ! Ô ciel ! Ô ciel ! Ô ciel ! Ô ciel ! Ô ciel ! Ô ciel !
STELLA, s’approchant plus près encore de lui.

Et qu’il faudrait renoncer à l’espoir
De s’aimer… et de se revoir !

LE PRINCE, sans la regarder et l’éloignant de la main.
Plus loin ! plus loin !… encor plus loin !
ENSEMBLE.

Oui, j’en prends le ciel à témoin !
Votre aspect lui-même
Me glace d’effroi,
Et si je vous aime,
Ah ! c’est loin de moi !

STELLA, à l’autre bout du théâtre à gauche.

Eh bien !… eh bien ! suis-je assez loin ?
Sagesse suprême,

J’admire ta loi,
Son amour lui-même
L’éloigné de moi !

(Le prince s’assoit au bout du théâtre à droite.)
LE PRINCE, assis.
Allons ! sur ce sopha, s’il le faut ! je demeure !
STELLA.
C’est plus prudent !Mais c’est bien ennuyeux !
LE PRINCE.
C’est plus prudent !Mais c’est bien ennuyeux !
Nous n’avons plus, je crois, rien qu’une demi-heure !
STELLA.
À peu près !Et comment l’employer à nous deux ?
LE PRINCE.
À peu près !Et comment l’employer à nous deux ?


STELLA.
On peut causer !Sur quoi voulez-vous que l’on cause ?
LE PRINCE.
On peut causer !Sur quoi voulez-vous que l’on cause ?
STELLA.
Ou danser !Non vraiment !Monsieur, je le suppose,
LE PRINCE.
Ou danser !Non vraiment !Monsieur, je le suppose,
STELLA.
Ou danser !Non vraiment !Monsieur, je le suppose,

Préfère la musique et cela vaut bien mieux !
Séduisante et folle,
Elle nous console ;
Son pouvoir divin
Calme le chagrin.
Le temps qui se traîne
S’écoule sans peine
Et s’enfuit soudain
Au son d’un refrain
Et je le vois ce pouvoir-lâ,
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Sur votre cœur a réussi déjà
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

ENSEMBLE.
LE PRINCE.

Ô toi, mon idole,
Mon cœur se console

Au pouvoir divin
De ce gai refrain !
Ta voix qui m’entraîne
Dissipant ma peine,
Loin de moi soudain
Bannit le chagrin !

STELLA.

Séduisante et folle,
Elle nous console,
Son pouvoir divin
Calme le chagrin.
Le temps qui se traîne
S’écoule sans peine
Et s’enfuit soudain
Au son d’un refrain !

LE PRINCE, courant brusquement à Stella.
Stella ! Stella ! Qu’avez-vous donc ?
STELLA.
Stella ! Stella ! Qu’avez-vous donc ?
LE PRINCE.
L’heure a sonné ! Vraiment non !
STELLA.
L’heure a sonné ! Vraiment non !
LE PRINCE.
J’en suis sûr et je crois entendre…
STELLA.
Et moi, j’en suis certaine, il faut encore attendre !
LE PRINCE, avec dépit.
Attendre est bien facile alors qu’on n’aime rien !
STELLA, avec douceur.
Mais Je vous aime, et vous le savez bien !
LE PRINCE, avec chaleur.

Ah ! si vous m’aimiez, inhumaine !
Vous seriez sensible à ma peine !

(Lui prenant la main.)

Si vous m’aimiez !!Laissez-moi, je le veux !
STELLA, retirant sa main avec effroi.
Si vous m’aimiez !!Laissez-moi, je le veux !
LE PRINCE, avec dépit.

C’en est trop ! je rougis de l’amour qui m’enchaîne,
Oui, je sais le moyen de fuir loin de ces lieux !
Et j’y cours !…

(Il fait quelques pas pour sortir.)
STELLA.
Partez donc ! partez !
LE PRINCE, revenant.
Partez donc ! partez !Oui, je le veux !
ENSEMBLE.
LE PRINCE.

Cédons au dépit qui m’entraîne,
Oui, fuyons loin d’une inhumaine
Dont les regards indifférens
Portent le trouble dans mes sens !

STELLA.

Qu’il cède au dépit qui l’entraîne,
Que rien ici ne le retienne !
Cachons à ses yeux les tourmens
Et le trouble que je ressens !

(Stella va s’asseoir sur le banc à gauche.)
STELLA, assise et regardant le prince qui ne s’en va pas.
Eh bien ?…Oui, vers toi me ramène
LE PRINCE, revenant près d’elle.
Eh bien ?…Oui, vers toi me ramène
Un feu que rien ne peut calmer !
(Il se met à genoux près de Stella toujours assise.)
STELLA.
Laissez-moi, je respire à peine !
LE PRINCE.

Ah ! si ton cœur savait aimer,
Si le mien pouvait l’animer !…

ENSEMBLE.
LE PRINCE.

Sa main a frémi dans la mienne,
L’amour et m’enivre et m’entraîne,
Je cède aux transports délirans
Qui s’emparent de tous mes sens !

STELLA, cherchant à se défendre.

Laissez-moi, je respire à peine…
Sa voix et me trouble et m’entraîne,
Ayez pitié de mes tourmens
Et du trouble que je ressens !

(Stella éperdue, hors d’elle-même, laisse tomber sa tête sur l’épaule de Yang, qui l’embrasse. — Le tonnerre gronde, et Yang, qui était un genou en terre près de la princesse, est soudain englouti et disparaît, Stella pousse un cri d’effroi, et tombe à moitié évanouie dans les bras de Lo-Mangli, qui entre en ce moment.)

Scène IV.

STELLA, puis LO-MANGLI.
LO-MANGLI.

Et lui aussi !…… lorsqu’il ne s’en fallait plus que d’un petit quart-d’heure… c’est avoir bien peu de patience !…

STELLA.

Ah ! rien n’égale mon désespoir…… car je l’aimais, vois-tu bien… j’en étais aimée… et, séparé de moi, que va-t-il devenir ?… que fera-t-il sur la terre ?…

LO-MANGLI.

Ce n’est pas difficile à deviner !…… impétueux comme il l’est, il ne pourra jamais se modérer… ni se taire… il parlera de vous à tout le monde…… et, à l’heure qu’il est, peut-être déjà est-il changé en magot !

STELLA.

Ô ciel !

LO-MANGLI.

Ce qui est bien désagréable pour un aussi joli garçon !…… lui surtout qui n’aimait pas à rester en place !

STELLA.

Ah ! je n’y survivrai pas… j’en mourrai !…

LO-MANGLI.

Mourir !… vous savez bien qu’ici on est immortelle… et qu’on ne peut pas mourir d’amour… sur terre je ne dis pas…

STELLA.

Eh bien ! alors je garderai éternellement son souvenir… je lui serai fidèle… je n’appartiendrai à personne…

LO-MANGLI.

Si vous pouvez… car il y a ici quelqu’un qui m’inquiète pour vous…

STELLA.

Que veux-tu dire ?…

LO-MANGLI.

Ce petit voyageur… que vous m’aviez chargé de renvoyer…

STELLA.

Eh bien ?…

LO-MANGLI.

J’ai cru d’abord qu’il ne demandait pas mieux que de s’en aller…

STELLA.

Et il est encore ici !

LO-MANGLI.

Écoutez donc, madame… ce n’est pas ma faute… Dans ces cas-là… il faut qu’on s’y prête un peu.

COUPLETS
PREMIER COUPLET.

Tranquillement il se promène
Sans songer à nous admirer !
Et passant près de la fontaine
Il s’occupait à se mirer !
Pour obéir à vous, ma souveraine,
J’espérais bien le séduire sans peine,
Mais… mais j’ai beau faire, hélas !…
J’ai beau faire… il ne veut pas. !
Il ne veut pas !

DEUXIÈME COUPLET.

Et quel dommage quand j’y pense,
Il est si jeune et si gentil.

Jusqu’à son air d’indifférence
Tout me plaît et me charme en lui !
Pour obéir à votre ordre suprême
Combien j’aurais voulu qu’il dit… je t’aime !…
Mais… mais j’ai beau faire, hélas !
J’ai beau faire… il ne veut pas !
Il De veut pas !

Non, non, non, il ne veut pas !
STELLA.

C’est bien singulier…

LO-MANGLI.

Certainement, ce n’est pas naturel… et si vous n’y prenez garde… il est capable de rester comme cela jusqu’à ce soir…

STELLA.

Tu crois…

LO-MANGLI.

Alors il deviendrait maître de ce talisman… et de votre personne… il n’y aurait pas à dire… vous seriez obligée de le suivre…

STELLA.

Ah ! voilà qui serait le pire de tout.

LO-MANGLI.

Pas tant !… car il est très-agréable… et certainement… si j’avais un mari à choisir… mais ici on ne peut pas…

STELLA.

Y pensez-vous ?

LO-MANGLI.

Tenez… tenez… madame… voyez plutôt… voilà qu’il vient de ce côté…… il n’est pas mal, n’est-ce pas…

STELLA.

Cela m’est bien égal… qu’il vienne ! je m’en vais le traiter avec tout le dédain, tout le mépris…

LO-MANGLI.

Mais au contraire !… ce n’est pas le moyen de vous en défaire…

STELLA.

Tu as raison… il faut être aimable, gracieuse…… Oh ! que je le hais… laisse-moi !…

LO-MANGLI.

Oui, madame !…

(Elle sort en faisant à Péki une révérence dont celle-ci ne s’aperçoit seulement pas… et Lo-Mangli s’éloigne avec dépit.)

Scène V.

STELLA, PEKI.
DUO.
STELLA.
Quel désir vous conduit vers nous bel étranger ?
PEKI, froidement.
Le seul désir de voyager !
STELLA.
Pas autre chose !Eh mais !… peut-être aussi, Madame,
PEKI.
Pas autre chose !Eh mais !… peut-être aussi, Madame,
Le désir de vous voir !Comment !… vous m’aimeriez ?
STELLA, avec coquetterie et baissant les yeux.
Le désir de vous voir !Comment !… vous m’aimeriez ?
PEKI.
Non, vraiment !Que dit-il ?Jamais aucune femme
STELLA, étonnée.
Non, vraiment !Que dit-il ?Jamais aucune femme
PEKI.
Non, vraiment !Que dit-il ?Jamais aucune femme
Ne m’a vu tomber à ses pieds.
STELLA, à part.
Dieu ! quel air suffisant ! déjà je le déteste !

(Haut.)

Eh quoi ! Nulle beauté dans ce séjour céleste
De vous charmer n’a le pouvoir !

PEKI, froidement.
Aucune !Aucune ! (À part.) Ah ! c’est ce qu’on va voir !
STELLA.
Aucune !Aucune ! (À part.) Ah ! c’est ce qu’on va voir !
ENSEMBLE.
STELLA.

De cette âme fière
Ah ! je triompherai.
Car je prétends lui plaire
Et j’y réussirai !
Oui… oui… je l’ai juré !

PEKI.

Oui… oui… beauté si fière
Je vous résisterai !
Je ris de sa colère
Et je réussirai !
Oui… oui… je l’ai juré !

STELLA, s’approchant de Peki d’un air caressant.
On m’avait dit pourtant que j’avais quelques charmes !
PEKI, d’un air indifférent et sans la regarder
Oui ! vous n’êtes pas mal !Qu’en savez-vous ?Pourquoi ?
STELLA, avec coquetterie.
Oui ! vous n’êtes pas mal !Qu’en savez-vous ?Pourquoi ?
PEKI.
Oui ! vous n’êtes pas mal !Qu’en savez-vous ?Pourquoi ?
STELLA.
Vous n’avez pas encor jeté les yeux sur moi !
Craignez-vous de me voir ?Je le puis sans alarmes !
PEKI.
Craignez-vous de me voir ?Je le puis sans alarmes !
(La regardant et n’examinant que sa parure.)
J’aime de ces habits l’élégance et le goût !
Ce riche bracelet…Qui bientôt, je le pense,

(À part.)

Ce riche bracelet…Qui bientôt, je le pense,
Va tomber en ma puissance !

(Haut.)

Qu’il est beau ! qu’il me plaît !Voilà tout !
STELLA, avec dépit.
Qu’il est beau ! qu’il me plaît !Voilà tout !
Et moi ?Vous !… ah ! je dois le dire !
PEKI, la regardant.
Et moi ? Vous !… ah ! je dois le dire !
Voilà des traits charmans et faits pour tout séduire.
Et ces beaux yeux…Ces yeux !… eh bien ? Eh bien !…
STELLA, la regardant avec tendresse.
Et ces beaux yeux…Ces yeux !… eh bien ?Eh bien !…
PEKI.
Et ces beaux yeux… Ces yeux !… eh bien ?Eh bien !…
Sur mon cœur ne font rien !Rien !!Rien !
STELLA, avec dépit.
Sur mon cœur ne font rien !Rien !!Rien !
PEKI, tranquillement.
Sur mon cœur ne font rien !Rien !!Rien !
ENSEMBLE.
STELLA.

Je suis d’une colère,
Eh quoi ? je ne pourrai
Le séduire et lui plaire.
Oh ! j’y réussirai !
Oui… oui… je l’ai juré !

PEKI.

Oui, oui, beauté si fière
Je vous résisterai.
Je ris de sa colère,
Et je réussirai, !
Oui… oui… je l’ai juré

PEKI.
Grâce au ciel ! la journée avance dans son cours !
STELLA.
C’est fait de moi !… mon Dieu, venez à mon secours !
(S’approchant de Peki.)

Eh bien ! puisqu’il faut tout vous dire
Pour un autre que vous, mon cœur, hélas ! soupire !

PEKI, gaiement.
Vous ne m’aimez donc pas ?Non vraiment !C’est très-bien !
STELLA.
Vous ne m’aimez donc pas ?Non vraiment !C’est très-bien !
PEKI, froidement.
Vous ne m’aimez donc pas ?Non vraiment !C’est très-bien !
STELLA, timidement.
Et voilà pourquoi je désire
Que vous partiez ! Partir d’ici !… par quel moyen ?
PEKI.
Que vous partiez !Partir d’ici !… par quel moyen ?
STELLA, avec embarras.

Oh ! le moyen est terrible à vous dire.
Et de moi qu’allez-vous penser ?
Il faudrait pour cela… sur-le-champ… m’embrasser !

PEKI.
Qui ? moi !… cela m’est impossible !
STELLA.

Quoi ! vous me refusez… vous êtes insensible !
D’autres pourtant à mes genoux
M’ont demandé ce que j’attends de vous !

ENSEMBLE.
STELLA.

Ô mortelle souffrance !
Je suis en sa puissance,
Me voilà sous sa loi !
Pour moi plus d’espérance,
Déjà l’heure s’avance,
Tout est fini pour moi !

PEKI.

Ah ! mon bonheur commence,
Elle est en ma puissance,
Je la tiens sous ma loi !
Oui, courage !… espérance !
Bientôt l’heure s’avance,
La victoire est à moi !

STELLA, à Peki d’un air suppliant.

Ainsi donc l’espoir m’abandonne !
Et sur votre rigueur je ne puis l’emporter !

PEKI, à part et la regardant avec malice.
Si j’étais homme !!!Yanko, je te pardonne :
(Avec sentiment.)
Si j’étais homme !!!Yanko, je te pardonne :
Comment lui résister ?
STELLA.

Ce qu’ici je demande.
Est-il faveur si grande ?
Et si cruel pour vous !
Je suis femme !… et j’implore !
Et s’il faut plus encore,
Je suis à vos genoux !

(Elle se met à genoux. Peki fait un pas vers elle pour la relever et puis s’arrête.)
ENSEMBLE.
STELLA.

Ô mortelle souffrance
Déjà l’heure s’avance,
Et je tremble d’effroi !
Pour moi plus d’espérance,
Je suis en sa puissance,
Tout est fini pour moi !

PEKI.

Ah ! mon bonheur commence,
Elle est en ma puissance,
Je la tiens sous ma loi !
Oui, courage !… espérance !…
Bientôt, l’heure s’avance,
La victoire est à moi !

(La nuit obscurcit le théâtre, et des nuages commencent à les environner.)
STELLA.

Le jour s’enfuit,
Voici la nuit.
Adieu toi ! qui reçus ma foi !
Ce talisman me soumet à sa loi !
Je me meurs ! c’est fait de moi !

PEKI.

Le jour s’enfuît !
Voici la nuit.
Il m’appartient ! il est à moi !
Le talisman qui la met sous ma loi !…

(Elle arrache le bracelet que porte Stella.)
La victoire est à moi !
(Stella tombe évanouie. — Un coup de tam-tam se fait entendre, — Peki et Stella disparaissent et descendent sur la terre. — Les nuages qui couvraient le théâtre se lèvent peu à peu, et l’on aperçoit la grande pagode richement éclairée. — Tsing-Sing, toujours en magot, est placé au milieu du théâtre sur un grand piédestal, — À sa droite Yang et à sa gauche Yanko, aussi en magots, sur des piédestaux moins élevés.)

Scène VI.

YANG, TSING-SING, YANKO, sur leurs piédestaux, TAO-JIN, TCHIN-KAO et le peuple, prosternés pendant que des jeunes filles jettent des fleurs et que des bonzes ou prêtres chinois font brûler de l’encens.
CHŒUR.

Que l’encens et la prière
Vers eux s’élèvent de la terre !
Et révérons ces nouveaux dieux
Qui pour nous descendent des cieux !

TCHIN-KAO, montrant le prince.

Encore un dieu dont la puissance brille !
Être dieu devient bien commun !

(Montrant Tsing-Sing et Yanko.)

En voilà deux déjà dans ma famille,
À chaque instant je tremble d’en faire un !

CHŒUR.

Que l’encens et la prière
Vers eux s’élèvent de la terre,
Et révérons ces nouveaux dieux
Qui pour nous descendent des cieux !

(À la fin de ce chœur on entend une musique céleste.)
Mais quels accords harmonieux !
(On voit descendre au milieu d’un nuage, et de la voûte de la pagode, Peki tenant à la main le bracelet magique et debout, près de Stella qui est toujours évanouie.)

Scène VII.

Les précédens ; PEKI et STELLA.
TOUS.
Quel prodige nouveau vient éblouir nos yeux !
TCHIN-KAO.

C’est ma fille !… c’est elle-même
Qu’enfin le ciel rend à mes vœux.

PEKI.
Oui, je reviens délivrer ce que j’aime !
(Étendant le bracelet du côté de Yanko et de Yang, puis de Stella.)

Yanko, mon bien-aimé !… vous, prince généreux !…
Et toi sa maîtresse chérie !…
Mon pouvoir vous rend à la vie !
Renaissez tous pour être heureux !

YANG, STELLA ET YANKO, revenant à eux par degrés.

Quel jour radieux m’environne !
Et que vois-je ?…

STELLA, s’élançant vers le prince.
Et que vois-je ?…C’est lui !
LE PRINCE, courant à elle.
Et que vois-je ?… C’est lui !xxxxxxxxxStella !
PEKI.
Que j’ai conquise et qu’ici je vous donne !
TCHIN-KAO, bas à Péki.
Et le seigneur Tsing-Sing qui reste-là !
TAO-JIN, à part.
De quoi se mêle celui-là.
PEKI, étendant vers lui le bracelet.

Qu’il reste encor statue ainsi que le voilà,
Mais que sa tête seule et s’anime et réponde !

(S’adressant à Tsing-Sing.)

À me répudier veux-tu bien consentir ?
(Tsing-Sing, remuant sa tête à la façon des magots de la Chine, fait signe que non.)
Avec Yanko, tu ne veux pas m’unir ?
(Tsing-Sing fait encore signe que non.)

Eh bien ! demeure ainsi jusqu’à la fin du monde !
Sois l’idole qui dans ces lieux
Des époux bénira les nœuds !

(Tsing-Sing fait en tournant la tête un geste de colère.)
Quoi ! cette seule idée excite ta colère !
(Prenant Yanko par la main et s’approchant du piédestal de la statue.)

Vois alors si ton cœur préfère
Nous unir !…

(Tsing-Sing fait signe que oui.)
PEKI.
Il a dit oui !
Vous l’entendez !… il n’est plus mon mari !
(Étendant son bracelet vers Tsing-Sing.)
Qu’il revienne à la vie !…
TSING-SING, se levant debout sur le piédestal et étendant ses mains pour bénir Yanko et Peki.
Et vous tous au bonheur !
CHŒUR.

Clochettes de la pagode,
Retentissez dans les airs, etc.


FIN DU CHEVAL DE BRONZE.