Le Cid/Édition Marty-Laveaux/Appendice3

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III

AUX AMATEURS DE LA LANGUE FRANÇOISE[1].


Messieurs,

Le soin où m’engage le désir que j’ai de satisfaire à vos curiosités (m’ayant fait découvrir cette excellente et ravissante pièce entre les nouveaux ouvrages de nos écrivains) m’a porté dans le dessein de la faire mettre sous la presse, pour vous en rendre participants. Je m’y suis de plus senti provoqué par le peu d’exemplaires qui s’en est trouvé en ces pays, et qui sembloit témoigner que la France fût jalouse que cet œuvre admirable tombât en la main des étrangers. Sa lecture a charmé l’oreille des rois, de telle sorte que, même dans les grands soins qui les environnent, il y en a qui l’ont fait réitérer plusieurs fois, tant ils l’ont estimée digne de leur audience. Aussi n’est-il point d’éloge assez relevé qui ne soit au-dessous de ses beautés ; et ce n’est rien dire d’égal à ses grâces que d’assurer qu’elles expriment toutes celles qui sont les plus rares en l’élégance françoise, qu’elles représentent les traits les plus vifs et les plus beaux dont on puisse se servir pour expliquer la gloire des grandes actions d’une âme parfaitement généreuse, et bref que les lire et les admirer sont presque une même chose. Il faudroit imaginer d’autres louanges que celles que l’on est accoutumé de donner aux ouvrages les plus accomplis, pour les attribuer à celui-ci ; les conceptions en sont si sublimes qu’elles ont quelque chose de divin, et qui va surpassant les efforts de la pensée humaine ; enfin son excellence est telle, que vous la comprendrez mieux en la lisant, que je ne vous la puis décrire. Je n’y attache point d’argument, pour ce que l’auteur n’y en a point fait et que sa lecture surprendra votre esprit avec bien plus de douceur et de plaisir par la diversité de ses incidents inespérés, que si elle étoit précédée par une connoissance confuse du sujet telle que donneroit un argument qui ne seroit qu’un abrégé du contenu de toute la pièce. Recevez-la, s’il vous plaît, et si elle vous apporte autant de satisfaction que j’emploie de zèle à vous l’offrir, elle y trouvera une récompense assez convenable à ses mérites.

J. P.



  1. Cet avis, qui contient quelques renseignements curieux sur l’accueil qui fut fait au Cid à l’étranger, figure en tête du rare volume qui a pour titre : Le Cid, tragi-comédie nouvelle, par le sieur Corneille. À Leyden, chez Guillaume Chrestien, 1638, in-12.