Le Cimetière des Mathurins

La bibliothèque libre.
Cuënot-Bourges (p. titre-22).


Eugène PLOUCHART




LE CIMETIÈRE DES MATHURINS
Premier Cimetière de Fontainebleau




Communication lue à la Séance
du 13 Mai 1923
de la Société historique et archéologique
du Gâtinais




FONTAINEBLEAU
r. cuënot-bourges, maître-imprimeur
32, — Rue de l’Arbre-Sec, — 22

1923


LE CIMETIÈRE DES MATHURINS
Premier Cimetière de Fontainebleau


Extrait de l’Abeille de Fontainebleau
Année 1923



Eugène PLOUCHART




LE CIMETIÈRE DES MATHURINS
Premier Cimetière de Fontainebleau




Communication lue à la Séance
du 13 Mai 1923
de la Société historique et archéologique
du Gâtinais




FONTAINEBLEAU
r. cuënot-bourges, maître-imprimeur
32, — Rue de l’Arbre-Sec, — 22

1923


LE CIMETIÈRE DES MATHURINS

Premier Cimetière de Fontainebleau




Fontainebleau est bien l’une des rares petites villes qui aient possédé un nombre de cimetières tout à fait disproportionné, sinon à leur étendue, du moins à la densité de leur population.

Fontainebleau a compté huit cimetières successifs :

1o À l’origine, le cimetière d’Avon, la paroisse ;

2o À partir de 1259, date de l’établissement des Trinitaires ou Mathurins par Louis IX, celui que ces religieux établirent à proximité du château. Il touchait à leur hôpital. Englobé en 1529 dans les grands travaux de François Ier, il disparut à cette époque avec les bâtiments conventuels. À proprement parler, ce cimetière est le premier de Fontainebleau. C’est celui qui nous occupera au cours de cette étude ;

3o Dès le 20 avril 1662, le cimetière de la rue des Petits-Champs, donné au bourg par Louis XIV à l’occasion de l’érection de la paroisse Saint-Louis. Il fut désaffecté pendant la Révolution par suite des plaintes des citoyens relatives à son insalubrité ;

4o Le cimetière de la Vallée de la Chambre, accordé à la Ville par arrêté du Département du 8 messidor an II. Désaffecté à son tour en 1822. Dans ses indicateurs et sur ses cartes, le sylvain Denecourt appelait ce site la « Vallée des Tombeaux ». Colinet, son successeur, a abandonné cette appellation romantique ;

5o Un cimetière autorisé par arrêtés du Département des 3 germinal an IV et 13 messidor an V, à l’usage des israélites, qui en avaient acheté le terrain derrière le ci-devant hôtel du Gouvernement (hôtel de Pompadour), entre les rues de l’Arbre-Sec et Saint-Honoré. Donnant satisfaction aux pétitions des riverains, le Département le supprima par arrêté du 19 brumaire an VI. L’unique cadavre qu’il renfermait fut porté à la Vallée de la Chambre ;

6o Le cimetière de l’hôpital-hospice du Mont-Pierreux, ouvert dans l’enclos de cet établissement par arrêté du Département du 11 floréal an V ;

7o Depuis l’an VI, le cimetière israélite de la Vallée de la Chambre. Séparé par une clôture du cimetière commun, il demeura après le transfert de ce dernier à l’endroit où on le voit encore ;

8o Créé par ordonnance royale du 9 août 1822, le cimetière actuel du Mont-Pierreux. Les habitants l’appellent familièrement les « Quatre Arpents », de sa superficie primitive.

Si nous joignons à ces petites nécropoles l’église d’Avon, les deux chapelles de la Sainte-Trinité — celle d’avant et celle d’après 1529 — l’église Saint-Louis et la chapelle de l’hôpital-hospice, édifices où furent déposées à différentes époques les cendres de bourgeois notables, d’officiers de la maison royale et de religieux, nous aurons finalement dénombré à Fontainebleau jusqu’à treize lieux différents d’inhumation.

Nous nous proposons, un jour prochain, de conter les vicissitudes des cimetières de Fontainebleau. Les notes que nous avons réunies à ce sujet ne manquent pas d’intérêt ni, parfois, de pittoresque, — nous n’oserions dire d’amusant.

Nous nous bornerons aujourd’hui à parler du premier cimetière de Fontainebleau, celui des Mathurins.

De ce cimetière, il ne reste aucune trace.

Dans la charte de juillet 1259, par laquelle Louis IX accordait aux Frères de l’ordre de la Sainte-Trinité et des Captifs un vaste terrain près du château pour y bâtir un couvent, une chapelle et un hôpital, il n’est pas question de cimetière. Il n’en est pas question non plus dans les lettres de dépossession de 1529 lorsque François Ier déclare recouvrer sur ses « chers et bien amés » religieux, avec l’église et « l’abbaye », leurs prés, jardin, étang et vivier.

Enfin, le « Nécrologe des Trinitaires de Fontainebleau », manuscrit qui paraît avoir été commencé sous le règne de Saint-Louis[1] ne fait davantage allusion à un cimetière.

Des documents essentiels comme ceux que nous venons de citer restant muets sur la présence d’un cimetière adjacent à l’hôpital des Mathurins, où, reconnaît une seconde charte de Louis IX datée de décembre 1260, les malades abondaient déjà, on pourrait supposer que les Mathurins enterraient à Avon.

Or, ce cimetière existait. Un texte fortuit nous le révèle. Nous le trouvons dans les « Comptes des Bâtiments du Roi ». À la suite du devis de 1528, des travaux de réédification du château, nous y voyons figurer un engagement de Gilles Le Breton, maçon, tailleur de pierre. Gilles Le Breton promet « de faire aussy tous les ouvrages de maçonnerie qu’il conviendra faire pour restablir le vieil corps d’hostel qui souloit estre applicqué à lospital, estant entre ladite basse court et la rue, à l’endroict de la place et carrefour du cimetière… »[2].

Où placer ce cimetière ? On ne connaît aucune topographie du bourg ou du château antérieure à sa suppression. Les hypothèses sont donc permises.

Castellan, en reconstituant vers 1840 un plan du château et de ses entours avant François Ier, pose bien à sa place l’ancienne chapelle de la Sainte-Trinité qu’il borde, à tout hasard, d’un cloître, et entoure de jardins clos de murs fortifiés[3]. Le cimetière lui échappe. Castellan a lu le P. Dan ; il ne paraît pas avoir compulsé les « Comptes des Bâtiments ».

Tel n’est pas le cas de Champollion-Figeac. Dans son grand ouvrage sur le « Palais de Fontainebleau », Champollion présente un plan du château et d’une partie du bourg avant François Ier, établi par l’architecte Paccard[4]. Bien qu’inspiré par les savantes données de l’auteur, le dessinateur n’en a pas moins dressé un plan de fantaisie. Paccard situe la « place et carrefour du cimetière » dans le bras qui amorce la rue Grande, du droit de la rue de France à la rue de la Corne, auquel bras, pour justifier l’appellation de « place », il donne une largeur démesurée. Le cimetière se voit à l’endroit où s’élève actuellement le bâtiment de l’hôtel de ville.

Le plan de Paccard, fait de chic en somme, comme celui de Castellan, est à plus d’un titre incontrôlable. En le rapportant à l’échelle des plans exacts de Colinet, on constate même que son cimetière ne saurait être là où il a voulu le mettre, mais dans le pâté de maisons qu’entourent les rue de la Chancellerie, du Coq-Gris, de Montebello et la place d’Armes.

Paul Domet, dans son « Histoire de la Forêt de Fontainebleau », fait mention d’un cimetière à l’angle nord-est de la Cour des Cuisines[5]. Domet a certainement pris son indication dans Champollion, et, pour préciser ainsi, il a dû procéder, comme nous l’avons fait, par réduction sur un plan connu, en prenant pour repère la « Grosse Vieille Tour », ou Pavillon de Saint Louis, dont les travaux de François Ier n’ont pas modifié les proportions. Seulement, Domet paraît s’être servi du plan Dorbay sans prendre garde que sa Grosse Tour est mal orientée. Cette négligence probable a causé sa méprise.

De toutes manières, aucune de ces localisations ne peut être la vraie. Nous nous en rendrons compte en nous attardant un instant à nous représenter la configuration de l’ancien château.

Avant la période de transformation qui commence sous François Ier, le château épousait extérieurement cette forme ovale qui est celle de la plus ancienne de ses cours. Fermé de toutes parts et flanqué de « tournelles », il n’est percé que de rares baies. Il ressemble à une forteresse et ses assises s’appuient rudement sur le sol. Car il n’est pas entouré de fossés.

Castellan et Champollion-Figeac ont commis l’erreur de lui en creuser. Dans un plan raisonné qu’il trace du château sous François Ier, M. Louis Dimier n’a pas répété cette faute[6]. Les fossés datent de Charles IX.

Ce lourd édifice n’a qu’un accès monumental : le Vieux Portail (Porte Dorée). À l’opposite, cependant, du côté du bourg, il a aussi une issue occupée par un poste de guet. En l’agrandissant, François Ier en fera la Salle du Guet. C’est par cette issue voisine de l’agglomération que de tout temps, nous le présumons, dut se faire le service du château. Un bâtiment voisin, la Conciergerie, complète cet arrangement de défense et d’utilité.

Depuis le poste de guet et la Conciergerie un jardin s’étalait sous les murs du château. C’était le jardin de la Conciergerie. Son étendue est médiocre, car entre ce jardin et l’attroupement grossissant des constructions qui avoisinaient l’établissement des Mathurins, une rue, la rue Neufve, le contourne étroitement et rase le château pour aller occuper l’emplacement qu’on verra occupé, dès 1529, par la galerie dite de François Ier. C’est certainement pour le passage de cette rue que François Ier a donné, puis rapporté, l’ordre de faire pratiquer au rez-de-chaussée de sa galerie « deux arceaux de pierre de taille de grès[7] ».

Le parcours exact de la rue Neufve prête à discussion. Les textes des : « Comptes des Bâtiments », où elle est citée, sont insuffisants ou confus. M. Louis Dimier[8], Félix Herbet[9] ont déclaré renoncer à les comprendre. Il n’en est pas moins reconnu que la rue Neufve ouvrait une communication directe entre la rue Basse — alors rue Pavée ou Pavé Royal — et le couvent et son hôpital, en desservant le poste de guet et la Conciergerie.

Or, on se figure malaisément les convois mortuaires de l’hôpital débouchant de la rue Neufve pour gagner un champ de sépulture — qu’on admette le cimetière de Champollion-Figeac ou celui de Domet — installé à une si faible distance du poste de service et de garde. Quoique au Moyen-Âge on ne s’embarrassât pas trop de préceptes de la salubrité publique, il est concevable que les Mathurins n’ont pu avoir la pensée d’établir leur cimetière vis-à-vis de l’une des deux entrées du château. La décence, sinon l’hygiène, leur commandait le choix d’un emplacement situé, fût-ce sous les murs du château même, derrière cette maison royale.

Ce n’est donc pas dans le bourg qu’il nous faudra rechercher le cimetière des Mathurins, mais dans cette rue Neufve, au contraire, qui mène à leur couvent et sur le parcours de laquelle, d’ailleurs, il semble que les « Comptes des Bâtiments » nous le désignent, posté à un carrefour, face à face avec son pourvoyeur, l’hôpital.

Prenons la rue Neufve et dirigeons-nous vers le couvent.

Sur la situation des bâtiments construits par les Mathurins on n’a pas de lumières que celles que nous dispensent les « Comptes des Bâtiments » au détour d’articles de devis et de règlements de comptes. Grâce au P. Dan, nous sommes fixés sur celle de la première chapelle de la Sainte-Trinité : « … et estoit cette église, dit-il, édifiée en partie où est aujourd’huy le grand escalier de la Cour du Cheval Blanc…[10] ».

Quant au cloître, Léon Palustre traduisant un règlement des « Comptes »[11], le met à l’angle sud-est du jardin de Diane[12]. Acceptons provisoirement cette version.

Pour le logement des Mathurins, le devis de 1528 paraît assez explicite. Lorsqu’il parle d’établir « une petite montée… pour descendre de ladite galerie (la galerie de François Ier) dedans le corps d’hostel de ladite abbaye… »[13], nous reconnaissons facilement en ce corps d’hôtel le quartier principal de la communauté comprenant en cet endroit l’habitation du ministre et probablement le cloître, et les dortoir et réfectoire.

C’est donc bien là que nous sommes certains de retrouver réunis les différents offices des Mathurins, et notre assurance sera complète quand nous aurons relu un passage de l’engagement de Gilles Le Breton, cité plus haut, celui où ce maçon promet de « restablir le vieil corps d’hostel… applicqué à lospital ». L’hôpital est là également. Notre ensemble est parfait.

Hâtons-nous de l’ajouter, le projet de François Ier de faire ajuster une « montée » pour descendre de sa galerie dans l’abbaye n’a pas été réalisé. Entre le devis du roi et l’engagement du constructeur, un revirement s’est produit. Pour ne pas gêner le développement de la galerie, le couvent sera démoli et on le reconstruira plus loin.

Les digressions qui précèdent n’ont peut-être pas été inutiles. Elles auront contribué à nous familiariser avec la physionomie des lieux.

Voici donc relevée, aussi exactement que possible, la position des principales constructions qui composaient le couvent des Mathurins :

1o L’église, dont un côté, porche ou chevet, touche à l’endroit où se déploiera plus tard l’escalier du Fer à Cheval ;

2o Le « vieil corps d’hostel », le couvent proprement dit, s’élevant à l’ombre des murailles du château — on aurait pu y descendre de la galerie François Ier ;

3o L’hôpital « applicqué » à ce corps d’hôtel.

Comme on se le figure fort bien, les bâtiments conventuels forment bloc — à moins qu’ils ne s’alignent, on ne sait pas au juste — au flanc nord-ouest du vieux château[14].

Le cimetière n’est pas loin. Par Gilles Le Breton nous savons qu’il avoisine l’hôpital ; nous savons aussi que l’hôpital fait face au carrefour du cimetière ; nous savons encore que, ce carrefour du cimetière, nous le trouverons à un point quelconque de l’unique voie qui relia, des origines à 1529 l’abbaye au bourg : la rue Neufve.

La rue Neufve, avons-nous dit, suit le profil du château en le serrant de très près, puisqu’elle conduit vers les prés (la cour de la Fontaine non aménagée encore), et l’étang. La rue Neufve passe donc entre couvent et château, et c’est un nouveau fait acquis. Mais rien, jusqu’à présent, ne nous a indiqué sur quel point de son parcours il conviendra d’arrondir le carrefour du cimetière.

Un indice va nous y aider.

Dans l’année 1535, il est payé au sieur Josse Maillard, disent les « Comptes des Bâtiments », la somme de 140 livres pour « les ouvrages et appuis de charpenterie faits par le Roy au pourtour des allées du petit jardin fait de neuf… pour Messieurs les Enfants… »[15].

Où ce jardin a-t-il été créé, sinon à proximité du corps de logis réédifié dans la cour Ovale pour les fils de François Ier ? Nous connaissons bien déjà, de ce côté, le jardin de la Conciergerie. Mais aucune confusion entre eux n’est possible puisqu’en 1550 nous voyons encore le jardin de la Conciergerie figurer dans les « Comptes »[16].

Distinct du précédent, le jardin des Enfants n’a pu être disposé qu’à sa suite, et voilà qui nous le place, sans conteste, au sud-sud-est du jardin de Diane. Il serait maintenant couvert en partie par le retour d’aile, construit ultérieurement, où l’on trouve au rez-de-chaussée les appartements de Joséphine et, à l’étage, ceux de Marie-Antoinette.

Remarques intéressantes :

Le jardin des Enfants est « fait de neuf » ; nous entendons : créé spécialement sur un terrain meuble récemment acquis, libre et exproprié — le dernier cas est celui du cimetière des Mathurins.

Le jardin des Enfants a 56 toises de tour, ce qui lui donne 14 toises de côté s’il est carré, soit 27 mètres sur 27, dimensions correspondant à celles d’un cimetière peu important, celui, par exemple, où ne seraient inhumés que les décédés d’un hôpital.

Le « pourtour » de ses allées — nous comprenons le pourtour du jardin lui-même, le pourtour des allées d’un aussi petit jardin n’ayant pas de sens acceptable — le pourtour du jardin est protégé par des « appuis » en charpenterie, et non de maçonnerie, ce qui laisse à supposer qu’on l’a utilisé le plus tôt qu’il a été possible de le faire en le fermant d’une clôture hâtive. Le plus tôt qu’il a été possible, répétons-nous, c’est-à-dire quelques années après la désaffectation du cimetière des Mathurins, sur lequel il s’étend, laps de temps[17] qui a permis son assainissement après que tous ses ossements, rassemblés, eussent été transportés à Avon.

En 1642, le P. Dan décrivant le jardin de la Reine (jardin de Diane), le dit « autrefois nommé le jardin des Buys, à cause de ses grandes et hautes palissades qui en sont faites »[18]. Une centaine d’années plus tard, l’abbé Guilbert[19], décrivant le jardin de l’Orangerie (jardin de Diane), mentionne également le jardin des Buis, qu’il n’omet pas, lui, de faire remonter justement à François Ier. Le jardin des Buis, n’en doutons pas, n’était autre que notre jardin des Enfants augmenté, sous Henri IV, après la construction du bâtiment des Princes, sur une partie du jardin de la Conciergerie, de la portion restée libre de ce jardin.

Allons-nous maintenant rechercher comment les « appuis » de Josse Maillard furent palissadés de buis, et pour quelle raison ? Peu nous importe. Nous nous souviendrons néanmoins que le buis est la plante funéraire par excellence, et que le XVIe siècle, moins prude que le nôtre, ne répugnait en aucune circonstance aux allusions les plus évocatrices.

Nos conclusions peuvent être complétées par un fait qui paraît s’y rapporter.

On relève, dans les « Mémoires du Duc de Luynes », un incident singulier.

À la date du 11 avril 1746, le duc de Luynes rappelle les travaux ordonnées par Louis XV dans les appartements de la reine Marie Leckzinska, dits aujourd’hui de Marie-Antoinette :

« En travaillant à ces ouvrages, dit-il, l’on a trouvé sous l’appartement de la Reine plusieurs forts petits caveaux et un escalier pour y descendre. Dans un de ces caveaux on a trouvé une tête d’homme, sans aucun vestige de son corps… »[20].

Sur ce, Luynes songe à l’assassinat de Monaldeschi et se demande si cette tête ne serait pas celle du grand écuyer de la reine de Suède.

« Mais, ajoute-t-il, on sait que son corps fut porté à Avon. »

Les travaux dont parle le duc de Luynes sont connus. Il s’agissait de rescinder le cabinet des Césars, construit par Charles IX, pour en élargir les appartements de la reine. Le remaniement du corps de bâtiment s’ensuivit, et il fallut pousser jusqu’aux fondations. Et c’est là, sur l’emplacement même de l’ancien jardin des Buis, sur celui des cimetière des Mathurins, que l’on trouva ces caveaux et cette tête.

La coïncidence est extrêmement curieuse, et elle n’est pas faite, on en conviendra, pour contrarier notre conviction. Malheureusement, le duc de Luynes n’en dit pas davantage. Aucune inscription n’a dû être relevée sur ces vestiges, aucune recherche sur leur origine n’a dû être entreprise. Nous ne pouvons faire état de cette découverte.

Nous n’avons pas fait état non plus d’une découverte semblable d’ossements contée par le P. Dan qui en vit remonter au jour lors de la construction de l’escalier du Fer à Cheval[21]. Le P. Dan ne conclut pas. Au moins son récit nous a-t-il fourni un renseignement indirect : ces ossements appartenant incontestablement à des religieux Mathurins inhumés dans le chœur de leur église, le côté de l’ancienne Trinité, tourné vers l’emplacement du Fer à Cheval ne pouvait être que son chevet. Quelques jours après la lecture de cette communication à la séance de la Société Historique et Archéologique du Gâtinais, j’ai reçu la lettre suivante :

Recloses, le 18 mai 1923.
Monsieur.

Je me trouvais le 13 courant à Fontainebleau, à la séance de la Société du Gâtinais, et j’y ai entendu la lecture de votre étude sur le cimetière des Mathurins de Fontainebleau. Je crois me rappeler qu’il y était dit que l’on ne trouve pas d’indication de ce cimetière avant le XVIe siècle. J’en ai pourtant trouvé mention à la fin du XIVe. Je vous en note ici l’indication au cas où vous ne l’auriez pas.

Dans le dénombrement du « fief de l’église de Trinité de Fontainebleau » présenté à la Chambre des Comptes le 3 avril 1382, je transcris ceci : « … Item, comme le roy sainct Loys donna la chapelle dessusdite avecque ses appartenances à l’ordre de la saincte trinité et fonda ladite maison contenant environ XI arpens de pré, tan en moustier dortoir cloistre salles et audits maisons sont clos de murs et un petit cymetiere devant la porte… » (Arch. nat. P. 131 fo VI XX XVI no CXLIII).

Ce cimetière (j’aurais pensé que c’était un cimetière conventuel réservé aux religieux) serait donc hors les murs du couvent, devant la porte. Or, je pense que c’est devant cette porte que se sont groupées les premières maisons du bourg. Il serait donc entre le bourg et le couvent. Si celui-ci était à l’emplacement de la cour du Cheval Blanc, le cimetière devait se trouver dans le jardin de Diane (ou des Buis, comme vous le dites), peut-être entre le bassin de Diane et la chapelle de la Trinité.

Il me semble que cela tendrait à confirmer votre conclusion, autant que je l’ai comprise à l’entendre lire.

Veuillez agréer….

Ch. H. WADDINGTON.

L’intéressante communication de M. Waddington a vivement piqué ma curiosité. L’érudit auteur d’études si exactes sur les origines de Fontainebleau était on ne peut mieux qualifié pour critiquer, le cas échéant, des déductions qui m’ont permis de situer le premier cimetière du bourg.

J’ignorais, il va sans dire, le document produit par M. Waddington. Or, ce document, loin d’apporter à ma thèse une rectification quelconque, la confirme littéralement. Il y a donc pleinement accord pour affirmer que le cimetière des Mathurins s’étendait bien dans la partie sud-sud-est du jardin de Diane actuel, soit entre la fontaine de ce nom, la chapelle de la Trinité et l’aile brisée qui comprend, au rez-de-chaussée, la série des « petits appartements » — mais plutôt du côté de cette aile, une partie de laquelle il semble que l’une de ses extrémité soit engagée.

  1. Publié par M. l’abbé Estournet dans les Annales du Gâtinais, 1905.
  2. Comptes des bâtiments du Roi, 1877, t. I, p. 49.
  3. Fontainebleau, Études pittoresques et historiques, 1840, pl. XIX.
  4. Le Palais de Fontainebleau, 1864, pl. I.
  5. Histoire de la Forêt de Fontainebleau, 1873, p. 35.
  6. Le Primatice, 1900, pl. I.
  7. Comptes des bâtiments, t. I, p. 44. — La rue Neufve fut éliminée en partie après la construction de la galerie François-Ier ; le creusement des fossés la rejeta hors du Château. Peut-être est-ce cette ancienne rue Neufve, dont l’amorce subsistait encore en 1843, sous le nom de place des Fossés, dans le prolongement de la rue du Coq-Gris. Réclamée à la ville par la Liste civile de Louis-Philippe, la place des Fossés a été incorporée au Jardin de Diane. Dans ce jardin, le long du mur qui le sépare de la rue de la Chancellerie, on suit encore son contour en partie disparu sous le bâtiment des P. T. T.
  8. Le Primatice, p. 253.
  9. L’Ancien Fontainebleau, 1912, p. 80.
  10. Le Trésor des Merveilles de la Maison Royale de Fontainebleau, 1642, p. 63.
  11. Comptes des bâtiments, t. I, p. 130.
  12. La Renaissance en France, 1881, p. 187.
  13. Comptes des bâtiments, t. I, p. 45.
  14. L’architecture monastique orientait l’abside de l’église vers l’est et disposait le cloître sur le côté méridional de la nef. Le cloître, carré ou rectangulaire, était entouré de trois corps de bâtiments : à l’est, prolongeant le transept, le logis de l’abbé, le parloir et le dortoir ; au sud, les réfectoire et cuisine ; au nord, les communs et services divers. Cette règle a souvent souffert d’exceptions subordonnées à la nature des lieux. Les emplacements fixes d’un hôpital et d’un cimetière n’étaient généralement pas prévus.
  15. Comptes des bâtiments, t. I, p. 74.
  16. Comptes des bâtiments, t. I, p. 189.
  17. Le cimetière des Mathurins est désaffecté en 1529, et le jardin des Enfants créé en 1535. Un cimetière devait rester cinq années pleines dans l’état où il se trouvait à sa fermeture avant qu’il fût permis de disposer de son terrain. Cet usage a été entériné pour la première fois par le décret du 23 prairial, an XII. Le cimetière fermé ne pouvait ensuite qu’être ensemencé ou planté, et non fouillé pour fondations de bâtiments (art. 9 du même décret).
  18. Trésor des Merveilles, p. 173.
  19. Description historique des chasteau, bourg et forest de Fontainebleau, 1731, t. I, p. 210.
  20. Mémoires du duc de Luynes, 1860-63, t. VII, p. 284.
  21. Trésor des Merveilles, p. 63.