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Le Collier des jours/Chapitre L

La bibliothèque libre.
Félix Juven, Éditeur (p. 214-215).




L




— Sans t’en douter, tu es une ingrate, car tu dois la vie à une prise de tabac…

C’est tante Zoé qui me fait cette bizarre déclaration, tandis que je me débats, parce que je ne veux pas qu’elle m’embrasse. Elle a pris la mauvaise habitude de priser et j’ai déjà reçu du tabac dans les yeux, ça fait trop mal.

— C’est comme je te le dis… demande à ta tante.

Lili, qui n’a pas compris tout de suite, pouffe silencieusement et reprend sa couture.

— Tu vas voir si ce n’est pas la vérité. Ton père, il avait alors une douzaine d’années, fut très malade, quelque chose de terrible, comme le croup. Maman était aux cent coups et fit venir les meilleurs médecins, qui y perdirent leur latin ; l’enfant étouffait, on le crut mort et même on lui jeta le drap sur la tête. Heureusement, une vieille dame de la maison, qui prisait comme moi, voulut le voir et puisque tout était perdu, essayer d’un remède à elle. Ouvrant sa tabatière, elle lui bourra le nez de tabac. Après un instant, voilà que celui que l’on croyait mort, fait un mouvement, puis se met à éternuer, à tousser, en inondant son lit de sang et d’humeur… Il était sauvé… C’est la vérité pure… demande à ton grand-père. Tu vois bien que sans le tabac, tu ne serais pas là, à me regarder, d’un air ébahi, avec tes yeux jaunes, et que tu dois la vie à une prise…

Et, ayant dit, elle renifla, de ses larges narines, une pincée de poudre noire.