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Le Collier des jours/Chapitre LII

La bibliothèque libre.
Félix Juven, Éditeur (p. 218-220).




LII




À la rentrée, je trouvai, au couvent, une nouvelle novice qui était chargée de surveiller les études de piano, pour soulager un peu la sœur Fulgence.

Deux fois par semaine, je me remis à recevoir, stoïquement, le fouet, appliqué à l’aide des verges trempées dans le vinaigre, et la Ronde des Porcherons n’en tourna pas mieux.

Quand j’étais censée étudier seule, je me livrais à différentes fantaisies, pour rompre un peu la monotonie des gammes. Par exemple, je me couchais à plat ventre sur le piano (c’était toujours un piano plat et carré) et penchée vers le clavier, je jouais à l’envers, trouvant cela plus compliqué et plus amusant. J’avais été surprise au cours de cette innovation, et l’on jugeait prudent de m’adjoindre une surveillante.

Cette novice, qu’on appelait sœur Anaïs, ne devait pas avoir beaucoup plus de seize ans, et on ne s’expliquait pas comment, si jeune et si rapidement, elle était novice. Petite, potelée, très brune avec le teint blanc et mat, elle était jolie, malgré un regard extraordinairement dur et un visage dédaigneux, comme crispé. Elle ne parlait presque pas, et on nous disait que c’était par timidité.

Un jour, qu’elle était assise auprès de moi, tandis que, les mains inertes sur le clavier, je méditais, de plus en plus perplexe, devant la Ronde des Porcherons, je fus étonnée du silence prolongé de ma surveillante et je crus qu’elle s’était endormie.

Brusquement, je me retournai. Je vis alors qu’elle regardait fixement le sol, sans rien voir, et que son visage était inondé de larmes, avec une effrayante expression de désespoir.

— Oh ! qu’est-ce qu’on vous a fait, pour que vous pleuriez comme cela ?… m’écriai-je, en quittant ma place pour m’agenouiller devant elle et l’entourer de mes bras.

Elle voulut me repousser, mais les sanglots l’étouffaient et lui ôtaient toute force.

J’étais si bouleversée que j’avais envie de pleurer aussi.

— Je suis sûre qu’on veut vous faire religieuse par force…

— Ah ! cela, ils ne le peuvent pas, s’écria-t-elle, mais vivre ici pendant quatre ans, c’est impossible aussi !…

— Les premiers temps sont les plus durs, j’étais comme cela au commencement, il faut bien s’habituer un peu…

— Jamais ! jamais !…

— Alors, écrivez une lettre, lui dis-je tout bas, un jour de sortie, je pourrai, sans que personne le sache, la mettre à la poste.

— Écrire ! À qui ? Ceux du dehors sont pires encore que celles d’ici…

— On peut prévenir les gendarmes…

Elle essuya ses yeux brutalement, avec le coin du voile blanc, et me regarda, comme honteuse de s’être livrée à une si petite.

— Je sais ce que j’ai à faire, murmura-t-elle, c’est bien inutile de pleurer.

Elle me fit rasseoir devant le piano, et je dus reprendre l’étude de la Ronde des Porcherons.