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Le Combat contre le vice - La Répression/02

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Le Combat contre le vice - La Répression
Revue des Deux Mondes3e période, tome 85 (p. 131-159).
LE
COMBAT CONTRE LE VICE

LA REPRESSION.

II.[1]
LES PRISONS DÉPARTEMENTALES ET LE SYSTÈME CELLULAIRE


I.

Que notre détenu provisoire ait subi les premières heures de son incarcération dans un local spécial, comme à Paris, ou dans la prison même de la ville, ainsi que cela se passe généralement en province, il n’en doit pas moins être interrogé par un juge d’instruction dans les vingt-quatre heures de son arrestation. Cette garantie de la liberté individuelle, que l’article 93 du code d’instruction criminelle assure aux citoyens, est beaucoup moins sérieuse qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Le juge d’instruction peut parfaitement, en effet, se borner à demander à l’individu arrêté ses nom et prénoms, et à lui faire connaître la nature de l’inculpation dirigée contre lui. Cette formalité accomplie, il est en règle avec la loi et peut rester ensuite six mois ou un an sans l’interroger, si tel est son bon plaisir, sans que l’inculpé, qui par-dessus le marché peut être mis au secret et privé d’un défenseur, ait le moyen légal de protester contre cet oubli, volontaire ou non. C’est la conséquence extrême du secret de l’instruction et du pouvoir discrétionnaire laissé au juge. En fait, je suis loin de prétendre que les choses se passent ainsi, et que les magistrats français procèdent avec cette insouciance. Mais il faut convenir que, parfois, l’instruction de certaines affaires est singulièrement lente. Cela signifie peu de chose de dire, comme le fait la statistique criminelle, que sur cent affaires il y en a soixante-dix où les juges d’instruction rendent leurs ordonnances dans le mois du réquisitoire introductif d’instance, si l’instruction des trente autres affaires s’éternise indéfiniment. Cette lenteur s’explique, à Paris en particulier, par l’insuffisance du personnel chargé du service des instructions; mais peut-être, à cette explication, en faut-il ajouter une autre : c’est que, par amour du bien-faire et pour diminuer autant que possible la part de l’imprévu dans les débats publics, les juges d’instruction polissent un peu leur œuvre comme on polirait une œuvre d’art, et veulent la porter au dernier degré du fini et de la perfection. Ajoutez à cela le souci de la rédaction de l’acte d’accusation, qui incombe aux magistrats du parquet, et à laquelle, surtout dans les causes destinées à demeurer célèbres, quelques-uns s’appliquent avec autant de coquetterie qu’un romancier en mettrait à écrire une nouvelle. Tenez compte, enfin, que, dans cet immense Palais de Justice, on n’a trouvé moyen de loger qu’une seule cour d’assises, de telle sorte qu’il y a des accusés dont l’affaire est parfaitement en état et qui attendent leur tour faute d’un endroit pour être jugés, et vous arriverez ainsi à comprendre que beaucoup d’affaires où le crime est flagrant, la culpabilité avouée, et qui pourraient être jugées en huit jours, attendent des semaines et des semaines avant d’être portées à l’audience ; que d’autres, plus compliquées et plus obscures, se prolongent pendant des mois sans arriver à un dénoûment. On m’a signalé une fois à Mazas un individu dont l’instruction durait depuis neuf mois et n’était pas encore terminée.

Quoi qu’il en soit de ces réflexions, la situation et la dénomination légales de l’individu écroué sous mandat d’arrêt ou dépôt changent au cours des diverses phases à travers lesquelles peut passer l’instruction de son affaire; s’il est inculpé d’un simple délit et si le juge rend une ordonnance qui le traduit devant le tribunal correctionnel, il devient prévenu; s’il est inculpé d’un crime et si le juge d’instruction le renvoie devant la chambre des mises en accusation qui rend contre lui un arrêt de mise en accusation devant la cour d’assises, il devient accusé. À ces situations différentes répondent, ou du moins devraient répondre, d’après la loi. autant de lieux de détention distincts. Aux termes du code d’instruction criminelle, les prisons destinées aux prévenus sont dites maisons d’arrêt; celles destinées aux accusés sont dites maisons de justice, et elles doivent être entièrement distinctes des prisons pour peines. Voilà la théorie. Voyons maintenant la réalité. Il n’existe en France que quatorze maisons d’arrêt ou de justice distinctes des prisons pour peines. Dans toutes les autres prisons, les prévenus ou les accusés sont détenus dans un quartier spécial de la prison pour peines. Le nom officiel de ces prisons pour peines est : maison de correction. Mais, dans la pratique, on les appelle : prisons départementales, par opposition aux maisons centrales, qui appartiennent à l’état. Au contraire, les prisons départementales, ainsi que leur nom l’indique, appartiennent aux départemens. L’empereur Napoléon Ier leur a fait, par un décret daté de 1809, ce cadeau assez onéreux, et sa générosité apparente n’avait en réalité qu’un but : décharger l’état d’une dépense qui lui incombait naturellement, celle du logement et de l’entretien des détenus. Les départemens ont supporté cette double charge jusqu’en 1855. En cette année bénie pour eux, une disposition de la loi de finances transféra de nouveau à l’état la charge de l’entretien des détenus, mais les départemens conservèrent et conservent encore la propriété des prisons. De ce dualisme d’autorité dans les prisons départementales, le département étant propriétaire et l’état usufruitier, ou plutôt administrateur, résulte la situation la plus étrange, qui a son contre-coup sur la condition faite non-seulement aux prévenus, mais aux condamnés. Le petit nombre des maisons affectées spécialement aux prévenus et aux accusés, et la similitude qui existe, comme nous allons le voir, entre le régime de ces maisons et celui des prisons pour peines, obligent à parler en même temps des unes et des autres, sauf à marquer, lorsque l’occasion s’en présentera, les différences qui séparent le régime des prévenus ou accusés de celui des condamnés.

Il existe en France 379 prisons départementales. Ces 379 prisons contenaient, au 31 décembre 1884, 25,231 détenus. C’est déjà là un chiffre considérable. Mais ce chiffre n’est rien comparé à celui du mouvement, c’est-à-dire des individus qui, pendant le cours d’une même année, ont passé dans les prisons départementales un temps plus ou moins long. Pendant l’année 1884, 290,191 individus sont entrés dans les prisons départementales. Sur ce nombre, 173,913 venaient de l’état de liberté; 65,764 sont sortis ayant bénéficié d’une ordonnance de non-lieu ou d’un acquittement. Les autres, sauf un certain nombre de décédés, ont été transférés dans d’autres lieux de détention. En effet, par une pratique administrative qui date du commencement du siècle, on ne garde dans les prisons départementales que les condamnés correctionnels à moins d’un an. Les autres sont transférés dans les maisons centrales, où nous les retrouverons. Très considérable est donc, comme on le voit, le chiffre de ceux qui, pendant une seule année, ont respiré l’air des prisons départementales. Si cet air est vicié, si ces prisons sont autant de lieux d’infection morale, si ceux qui y ont été enfermés pendant un temps plus ou moins long risquent d’y contracter des germes morbides, il est impossible que la contagion ne dépasse pas les murs de la prison et ne se répande pas dans le reste du pays. Cette contagion est d’autant plus à redouter, que les prisons départementales contiennent des individus appartenant aux catégories les plus diverses: des prévenus, dont un assez grand nombre, comme on vient de le voir, sont innocens, et les autres, au contraire, coupables des crimes les plus graves ou les plus odieux ; des condamnés pour des infractions de toute nature, et qui n’ont aucun rapport les unes avec les autres, depuis le vulgaire filou ou la proxénète jusqu’à l’individu qui a donné un coup de poing dans une rixe ou la femme qui a été surprise en flagrant délit d’adultère ; des contrevenans de simple police, voire même (la chose n’est pas impossible) des pères de famille ayant négligé d’envoyer leurs enfans à l’école, sans parler des condamnés politiques. C’est donc une question dont personne ne devrait se désintéresser que de savoir à quel régime ils sont soumis. Mais la chose à éclaircir est plus malaisée qu’on ne pourrait croire.

Le code pénal de 1810 (c’est un reproche qui a été souvent adressé à ses auteurs) est muet, ou peu s’en faut, sur le régime des prisons. Rien n’est prescrit en ce qui concerne les prévenus, sinon qu’ils doivent être séparés des condamnés. Pour les condamnés correctionnels, l’art. 40 du code pénal se borne à dire : « Quiconque aura été condamné à la peine d’emprisonnement sera renfermé dans une maison de correction : il y sera employé à l’un des travaux établis dans cette maison selon son choix,» et c’est tout. Ce silence de la loi laissait à l’administration pénitentiaire toute latitude pour soumettre les détenus à tel régime qui lui semblerait bon. Ainsi a-t-elle fait depuis le commencement da siècle, sans aucun esprit de suite ni de système, cherchant parfois, comme pendant la durée du gouvernement de Juillet, à donner certaines satisfactions à l’opinion publique ; puis reprenant sa liberté, comme sous l’empire, et se laissant le plus souvent dominer par des considérations de fait et d’économie. La loi du 5 juin 1875 a mis fin à cette anarchie, du moins en théorie et en ce qui concerne le régime des prisons départementales. Cette loi dispose que les prévenus, les accusés et les condamnés correctionnels à un an ou moins, et les condamnés correctionnels à plus d’un an qui en feront la demande, seront soumis au régime de la séparation individuelle, c’est-à-dire, pour parler sans périphrase, mis en cellule. C’était une innovation importante, qui marquait date dans l’histoire pénitentiaire de notre pays ; car, pour la première fois, une disposition législative venait soumettre les détenus à un régime inspiré par des considérations théoriques et rationnelles. Mais, en fait, cette loi n’a reçu qu’une application très incomplète, et sa mise à exécution a été paralysée par une difficulté dont ce que j’ai dit tout à l’heure à propos de la propriété des prisons départementales peut faire pressentir la nature. Pour que la loi du 5 juin 1875 pût recevoir même un commencement d’exécution, le concours des départemens était indispensable, puisque ce sont eux qui tiennent les cordons de la bourse. En vain l’état leur offrait-il une subvention égale au tiers de la dépense : ils firent la sourde oreille à cette proposition alléchante, et franchement il n’y a pas lieu de s’en étonner beaucoup. Les départemens sont personnes très positives, que les considérations philanthropiques et sentimentales affectent très peu. Les routes, les chemins de fer d’intérêt local, voilà l’objet légitime de leurs préoccupations. Passe encore pour l’instruction et les écoles normales, puisque c’est la mode du jour; mais quand on vient leur proposer de dépenser plusieurs centaines de mille francs pour transformer les conditions dans lesquelles un certain nombre de gredins (style de conseiller-général) subissent leur peine, la proposition les met de fort mauvaise humeur, et ils opposent de toutes les formes de la résistance celle qui est la plus difficile à vaincre : l’inertie. Depuis que la loi de 1875 est exécutoire, c’est-à-dire depuis douze ans, il n’y a eu que quatorze prisons qui aient été construites ou adaptées en vue du régime cellulaire[2]. A ce train, il faudra plus de trois cents ans pour que la transformation des prisons départementales soit complète. Ce n’était pas seulement pour les siècles futurs que les auteurs (dont je suis pour mon humble part) de la loi de 1875 entendaient travailler. Ils n’avaient surtout pas prévu une conséquence assez inattendue de leur œuvre : c’est qu’elle rendrait la situation plus fâcheuse encore. En effet, l’administration pénitentiaire se refuse avec raison, la loi à la main, à donner son approbation à aucun plan non-seulement de reconstruction, mais même de réparation des anciennes prisons qui ne soit pas conçu en vue de l’application du nouveau régime. Mais comme, d’un autre côté, les départemens se refusent à tenir compte, dans leurs plans, des exigences de l’administration pénitentiaire, et comme celle-ci n’a pas le moyen de leur forcer la main, il en résulte que les anciennes prisons, à quelque état de vétusté ou de dégradation qu’elles soient arrivées, ne subissent aucune réparation. Un projet de loi avait bien été présenté, il y a quelques années, qui donnait au gouvernement le droit de déclasser certaines prisons et d’imposer aux départemens limitrophes l’obligation de s’entendre pour mettre à la disposition du gouvernement un certain nombre de cellules dans des prisons construites à frais communs. Mais ce projet de loi, comme tant d’autres, est resté dans les cartons parlementaires, et, en attendant, la situation s’aggrave d’année en année : les prisons nouvelles ne se construisent pas et les vieilles prisons ne sont plus réparées.

Quel est l’état de ces vieilles prisons installées pour la plupart dans des bâtimens qui avaient été construits en vue d’une destination toute différente, et qui ont été appropriés tellement quellement au commencement du siècle ? C’est d’un document officiel que j’extrais la description suivante. « Dans telle ville, la prison est un bâtiment étroit, resserré entre un terrain exigu, par exemple une vieille tour partagée en étages, où l’on ne peut que séparer les hommes des femmes, et pas toujours les prévenus des condamnés. Il est des prisons dont la garde peut avec peine être assurée, où les évasions n’ont semblé parfois évitées que grâce à l’incessante intervention des gardiens, peut-être à l’insouciance ou à la docilité des détenus. Il en est où les communications avec le dehors ne sont pas impossibles, où les constructions délabrées tombent en ruine. Il en est où le gardien-chef peut être forcé d’entasser à tel moment les détenus, faute de place, fâcheux état pour l’hygiène et pour la moralité. » Qui tient ce langage ? C’est le ministre de l’intérieur lui-même, responsable de l’état de ces prisons, ou, pour parler plus exactement, c’est le directeur de l’administration pénitentiaire qui, depuis cinq ans (grand espace de la vie d’un fonctionnaire), lutte avec dévoûment et savoir-faire contre les difficultés d’une situation inextricable. En présence de cet état de choses, on comprend qu’il soit assez difficile de définir le régime auquel sont soumis les détenus, et que ce régime doive se ressentir de la diversité des lieux où la détention est subie, qu’il s’agisse des prévenus ou des condamnés. Parlons d’abord des prévenus.

Ce que, dans les prisons départementales, on appelle un peu pompeusement le quartier des prévenus, consiste le plus souvent en une seule chambre qui leur est spécialement affectée. Ils ne sont astreints ni au port du costume pénal, ni au travail. Ils peuvent, moyennant paiement, se procurer les vivres qui leur conviennent, dans certaines limites cependant, et, lorsque le juge d’instruction ne met pas obstacle à leurs communications avec le dehors, ils ont la faculté du parloir tous les jours. Sauf ces différences, leur régime est identique à celui des condamnés. La principale ressemblance consiste généralement en ceci, qu’ils sont entassés pêle-mêle dans la même pièce et qu’ils vivent dans une promiscuité ininterrompue de jour et de nuit. Pour des prévenus surtout, c’est là un vice capital. En effet, cette séparation entre les prévenus et les condamnés, qui, au premier abord, paraît satisfaisante à l’esprit, ne présente dans la pratique aucun intérêt. La séparation qu’il importerait de réaliser serait celle entre le prévenu coupable et le prévenu innocent. Qu’importe, en effet, à ce dernier que son compagnon de captivité soit ou ne soit pas encore condamné, si c’est, en réalité, un voleur ou un assassin? La condamnation n’ajoute rien aux répugnances du contact ou à ses périls. La séparation absolue des prévenus entre eux est donc la seule mesure qui ne soit pas illusoire. Nous avons vu combien est petit le nombre des prisons où cette séparation peut être mise en pratique : quatorze seulement. Partout ailleurs, l’homme qui est victime d’une accusation injuste, peut-être d’une dénonciation calomnieuse, doit subir la plus dégradante des promiscuités. Mais ce n’est pas seulement pour le prévenu innocent que cette promiscuité est odieuse ou dangereuse ; elle peut, dans certains cas, l’être tout autant pour le prévenu coupable. Les premières heures qu’un homme passe en prison, lorsqu’il n’est pas un malfaiteur d’habitude, sont les plus cruelles de sa vie. Le remords, le sentiment de son déshonneur, la crainte du châtiment s’unissent pour produire chez lui un trouble et parfois un désespoir auxquels l’équilibre de ses facultés ne résiste pas toujours. Par là s’expliquent ces suicides si fréquens chez les prévenus, et qui s’accomplissent souvent pendant les premières heures de la détention, en dépit de toutes les précautions et de la surveillance. Mais l’horreur de cette situation est encore aggravée pour lui lorsqu’il se trouve exposé aux lazzi de ses compagnons de captivité, endurcis dans le crime. Peut-être, pour échapper à leurs railleries, finira-t-il par simuler une indifférence et un cynisme qui d’abord ne seront pas au fond de son cœur, mais qu’une affectation continue finira par rendre trop réels. À ce point de vue, la promiscuité de la prison présente peut-être d’aussi graves périls pour le coupable que pour l’innocent. Aussi le système cellulaire, qui a rencontré des adversaires très sérieux, appliqué aux condamnés, n’a-t-il jamais soulevé d’objections appliqué aux prévenus. Mais, dans l’immense majorité de nos prisons, les prévenus sont détenus en commun, et leur vie est à tout prendre assez semblable à celle des condamnés, avec quelques différences dans le régime des condamnés qu’il faut indiquer.

Les condamnés sont soumis au port du costume pénal. La nourriture qui leur est allouée est strictement suffisante pour l’entretien de leurs forces. Ils ne peuvent l’améliorer qu’en opérant certains prélèvemens sur la somme laissée à leur disposition sur le produit de leur travail sous le nom de pécule disponible, et en achetant des alimens à la cantine. Leurs relations avec le dehors, par correspondance ou par visite, sont soumises à une surveillance qui n’excède pas les exigences nécessaires. Enfin ils sont astreints au travail. Il n’y a rien à dire contre ces prescriptions, et le régime intérieur des prisons départementales, tel qu’il a été établi par le règlement général de 1841, modifié en 1884 sur quelques points de détail, tient un juste milieu entre les sévérités nécessaires de la répression et les exigences de l’humanité. La partie administrative est sans reproches, et ce n’est point aux hommes qu’on peut s’en prendre d’un état de choses qui n’en est pas moins déplorable. Quel est donc le vice capital de nos prisons départementales ? C’est, il ne faut jamais se lasser de le redire, la promiscuité. Dans quelques petites prisons elle est absolue. Tout comme le quartier des prévenus, le quartier des condamnés n’est qu’une seule et unique chambre qui sert à la fois d’atelier, de dortoir et de réfectoire. Tous les condamnés, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, y sont enfermés pêle-mêle. S’il se trouve parmi eux quelque enfant, garçon ou fille, le gardien-chef lui donne parfois asile dans son appartement, mesure de prudence excellente en elle-même, qui n’en est pas moins formellement contraire aux règlemens. Dans certaines prisons, plus considérables, on met en pratique ce qu’on appelle le système de la séparation par quartier. On distingue tant bien que mal entre les détenus d’après leur perversité présumée, et lorsque la prison comprend plusieurs ateliers et plusieurs dortoirs, on fait travailler et coucher ensemble ceux qu’on a classés dans la même catégorie. Cette classification peut avoir plusieurs bases : les antécédens, l’âge, la nature de la condamnation. C’est tantôt l’une, tantôt l’autre, qui est appliquée suivant la nature des locaux dont le directeur de la prison dispose, et suivant que l’une ou l’autre lui semble préférable. Dans certaines prisons, cependant très importantes, il n’y a pas de classification du tout ; c’est ainsi que je me souviens d’avoir vu à Lille (il est vrai que c’était il y a quelques années) une jeune fille de seize ans, condamnée pour contravention douanière, détenue dans la même salle qu’une femme condamnée pour proxénétisme. Une surveillance efficace vient-elle au moins tempérer les inconvéniens de cette promiscuité? En aucune façon. Un ancien directeur de l’administration pénitentiaire se servait sur ce point d’une expression très juste : « Nos détenus sont gardés ; ils ne sont pas surveillés. » Comment pourrait-il en être autrement? Dans beaucoup de prisons, le personnel de surveillance ne se compose que du gardien-chef et de sa femme, qui ne peuvent pas passer toute leur journée avec les détenus ou détenues. Dans un grand nombre d’autres, le nombre des gardiens ne s’élève pas au-delà de deux à trois. Le va-et-vient continuel qu’exige le service de la maison ne leur permet pas une surveillance constante. Aussi, pourvu que les détenus ne chantent pas, qu’ils ne se battent pas et qu’ils ne fassent pas de tumulte, ils sont en réalité laissés à leur bon plaisir, et ils peuvent se livrer à tous les charmes de la conversation. A plus forte raison en est-il ainsi dans les dortoirs où, pendant la saison d’hiver, ils passent un nombre d’heures de beaucoup supérieur à celles qu’on peut donner au sommeil. C’est à peine si, de temps à autre, la ronde d’un gardien, annoncée de loin par le bruit de ses clés, vient pour la forme s’assurer si tout est en ordre, si les détenus sont bien dans leurs lits et si aucun ne s’est évadé. En réalité, dans beaucoup de prisons et la nuit comme le jour, les détenus font tout ce qu’ils veulent.

Mais le travail qui, aux termes du code, fait partie de la peine, qui est par lui-même un instrument de moralisation, ou, si l’espérance paraît trop ambitieuse, un préservatif contre les dangers de la promiscuité, le travail est-il organisé partout d’une façon régulière et satisfaisante? Il suffit d’ouvrir le volume de la statistique des prisons pour répondre à cette question. Au 31 décembre 1884, sur 25,231 détenus, 10,087 étaient inoccupés. Pendant tout le cours de l’année, le nombre des journées de travail s’est élevé à 4,045,849 sur 8,620,844 journées de détention, ce qui semblerait indiquer qu’en moyenne chaque détenu a travaillé pas tout à fait un jour sur deux. Mais cette moyenne, comme au reste la plupart des moyennes, est artificielle et trompeuse. Dans certaines prisons, le travail est organisé de telle sorte que c’est le chômage qui est l’exception. Dans d’autres, c’est le contraire : le travail est l’exception, le chômage est la règle. Cela est vrai surtout pour les prisons d’arrondissement. Dans ces petites prisons, en effet, on ne conserve que les individus condamnés à trois mois de prison et au-dessous, et on centralise au chef-lieu de département les individus condamnés de trois mois à un an. Or, comme plus courte est la durée de l’emprisonnement, plus difficile est aussi l’organisation du travail pour l’entrepreneur, il en résulte que, dans les prisons d’arrondissement, les détenus sont pour la plupart inoccupés. Pour un certain nombre de condamnés, la peine de l’emprisonnement consiste donc purement et simplement dans la privation de la liberté, privation qui est amplement compensée pour eux par l’avantage d’être logés, nourris, chauffés gratuitement, et de passer leurs journées dans l’oisiveté, au sein d’une société qui leur est agréable. N’est-ce pas l’explication de bon nombre de récidives, et aussi de ce fait, bien connu des magistrats, qu’à l’entrée de la mauvaise saison, ou tout simplement par les temps de neige et de froid rigoureux, la proportion des arrestations pour vagabondage ou infractions aux arrêtés de surveillance croît sensiblement? C’est là, pour un certain nombre d’individus, un moyen assuré de passer leur saison d’hiver aux frais de l’état. Ils font choix de leur lieu de détention, comme de plus fortunés qu’eux choisissent entre Pau, Cannes ou Nice, et ils se déterminent surtout par des considérations de régime et de société. À ce point de vue, les prisons de la Seine sont particulièrement bien famées dans le monde des malfaiteurs. Nous allons voir qu’elles ne sont pas indignes de leur bonne réputation.


II.

Paris contient une maison d’arrêt et une maison de justice pour hommes, Mazas et la Conciergerie ; une maison d’arrêt, de justice et de correction pour femmes, Saint-Lazare, et trois maisons de correction pour hommes, Sainte-Pélagie, la Grande-Roquette et la Santé[3]. Je n’ai pas l’intention de faire la description de chacune de ces prisons. On la trouvera, sauf pour la maison de la Santé, qui n’existait pas alors, dans l’article que M. Maxime Du Camp a consacré, en 1865, aux prisons de la Seine, et là où ce maître en descriptions a passé, il ne laisse généralement pas grand’chose à glaner après lui. Je voudrais seulement m’attacher à montrer toute l’incohérence du régime qui est en vigueur dans ces prisons. Lorsqu’un département auquel certes les ressources ne manquent pas donne un pareil exemple d’insouciance et de sans-gêne avec la loi, il n’est pas très étonnant que des départemens moins fortunés en agissent de même et ne se préoccupent pas beaucoup du sort des quelques centaines de détenus qui passent par leurs prisons tous les ans. Qu’est-ce, en effet, que le mouvement des prisons du Lot ou de la Creuse comparé avec celui des prisons de la Seine, où en 1884, 2,282,472 journées de détention, soit plus du quart de tout le reste de la France, ont été subies? L’incurie dont le conseil général de la Seine, qui a charge de cette nombreuse population, fait preuve depuis tant d’années, est la meilleure excuse des départemens pauvres, qui n’ont ni les mêmes ressources ni la même responsabilité.

Parlons d’abord du régime des prévenus et des accusés. Il semblerait naturel que ceux des deux sexes fussent, dans des prisons différentes, soumis au même traitement. Il n’en est rien. Prévenus et accusés du sexe masculin sont isolés à Mazas et à la Conciergerie. Prévenues et accusées du sexe féminin sont détenues en commun à Saint-Lazare. A quoi tient cette différence de traitement? A quelque considération théorique et rationnelle ? Par exemple à la pensée que l’isolement est plus difficilement supportable pour les femmes? En aucune façon, mais tout uniment à ceci, qu’au temps où l’opinion publique se préoccupait fort des questions pénitentiaires, et se prononçait avec énergie en faveur du système cellulaire, c’est-à-dire pendant la période de 1830 à 1848, la gestion financière du département de la Seine était entre les mains d’hommes qui avaient le sentiment de leur responsabilité morale, et que la préfecture de police, elle-même soucieuse de ses devoirs, avait su obtenir de ces hommes l’édification d’une maison d’arrêt cellulaire. Puis les temps changèrent, les préoccupations se tournèrent d’un autre côté; le système cellulaire perdit la faveur publique et pour les femmes les choses restèrent en l’état. Pour elles, la maison d’arrêt et de justice demeure un quartier de la prison de Saint-Lazare, et quel quartier! Deux pièces basses, dont l’une est l’entresol de l’autre et communique avec celle d’en dessous par un escalier intérieur de quelques marches. Pas de jour, pas d’air. Les femmes assises sur de petites chaises basses et serrées les unes contre les autres. Peut-être pendant le jour, la surveillance assidue des sœurs de Marie-Joseph parvient-elle à empêcher les confidences et les communications trop intimes. Mais la nuit, elles sont enfermées par petits groupes de trois ou quatre dans les anciennes cellules du couvent des Lazaristes, dont on a fait autant de petits dortoirs. Là, c’est l’intimité absolue, avec absence complète de surveillance. Ce qui peut se passer dans ces dortoirs où les détenues sont enfermées dans l’obscurité pendant dix ou douze heures d’hiver, les sœurs n’en savent absolument rien, et, sans insister, je dirai qu’elles ne s’en doutent même pas. La seule précaution qui soit prise, c’est au dortoir comme à l’atelier de mettre à part des autres les femmes qui sont inscrites comme étant de mauvaise vie, et puis c’est tout.

Il y a cependant un moyen d’échapper à cette promiscuité révoltante, mais ce moyen est aussi antidémocratique que possible : c’est la pistole. Moyennant une redevance de 20 centimes par jour, les femmes obtiennent le droit de se soustraire à l’atelier commun. À ce prix, elles n’achètent cependant pas la solitude, mais seulement le droit d’être groupées par trois ou quatre dans ces petits dortoirs dont j’ai parlé. Les femmes qui peuvent se payer cette médiocre faveur ne sont pas toujours les plus intéressantes, et souvent rien n’est moins pur que l’origine de leurs ressources. Aussi ne saurait-on imaginer de supplice plus cruel imposé à une femme qui n’a pas perdu tout sens de l’honnêteté et de la pudeur, qu’un séjour dans le quartier des prévenues et des accusées de Saint-Lazare. Rien d’étonnant que ce quartier, le plus mal installé de toute la prison, soit le théâtre des scènes les plus fréquentes et les plus tristes : larmes, colères, révoltes, qu’expliquent aussi l’état de surexcitation où sont souvent les prévenues. L’atelier des condamnées est un séjour de paix en comparaison, et il arrive parfois que telle femme, qui se faisait remarquer par son insubordination et sa violence au quartier des prévenues, devient douce et soumise dès qu’elle a passé au quartier des condamnées. Aucune catégorie de détenues n’aurait droit à plus d’égards que les femmes prévenues, innocentes ou même coupables. Aucune n’est traitée avec un tel mépris de toutes les lois de l’hygiène physique et morale.

Quant à la prison de Mazas, il faut convenir que c’est une très belle prison. Il est fort heureux qu’elle ait été construite il y a quelque quarante ans, car, d’après ce que nous venons de voir pour les femmes, il ne faut pas compter que la loi de J875 eût reçu, en ce qui concerne les hommes, la moindre exécution dans le département de la Seine. Les longues et hautes galeries de Mazas, froides, silencieuses, sonores, ressemblent un peu à des nefs d’église. Cette ressemblance avait frappé, je crois, un pauvre diable à la tête un peu dérangée, que j’entendis un jour, pendant qu’on procédait aux formalités de son écrou, entonner d’une voix assez belle et juste la strophe bien connue du Dies iræ :


Lacrymosa dies illa
Quaa resurget ex favilla
Judicandus homo reus.


C’était un ancien chantre d’église, devenu choriste de l’Opéra, auquel l’aspect austère des galeries de Mazas avait inspiré cette réminiscence de son ancien métier. Tout ce qu’il y gagna fut d’être enfermé dans une cellule spéciale, entièrement dépourvue de toute espèce de meubles, avec une fenêtre dormante, où l’on enferme les prévenus dont l’état mental inspire quelques inquiétudes. Le grand ennemi contre lequel il faut, en effet, lutter sans cesse à Mazas, c’est le suicide, et le suicide accompli presque toujours dans les premiers jours, parfois dans les premières heures de la détention, sans que la solitude qui peut en favoriser l’accomplissement en puisse être cependant rendue responsable. On raconte l’histoire de détenus qui pour mettre ainsi fin à leurs jours ont fait montre d’une énergie incroyable, les uns s’étranglant avec leur mouchoir serré autour de leur cou, les autres tout simplement avec leurs propres doigts. Aussi ne saurait-on, dans l’aménagement des cellules, éviter avec trop de soin tout ce qui facilite aux détenus les attentats contre eux-mêmes. À ce point de vue, la disposition des fenêtres dans les cellules de Mazas et celle des becs de gaz laissent quelque peu à désirer. Si la maison était à refaire, il faudrait aussi modifier complètement le système des tuyaux de vidange qui met les cellules en communication les unes avec les autres. Les détenus se servent de ces tuyaux comme de porte-voix, et peuvent ainsi, à l’insu des gardiens, échanger des communications d’un bout à l’autre de la même galerie. Néanmoins, avec ces imperfections, Mazas n’en reste pas moins une prison très utile qu’il faut s’estimer heureux de posséder à Paris, où les détenus appartiennent à des catégories sociales si différentes. Si on relevait, en effet, par profession, tous les noms couchés sur le registre d’écrou de Mazas, on y trouverait d’anciens ministres mêlés à des vagabonds, et si les seconds n’apprécient pas beaucoup les avantages du système cellulaire, il n’en doit pas être de même des premiers. On doit même regretter que, malgré leur séparation habituelle, le va-et-vient de la maison amène entre les prévenus de trop fréquens contacts. Innocent ou coupable, il est pénible pour un homme de quelque éducation de se sentir dévisagé par un drôle qui le regarde d’un air narquois. A cet inconvénient, je ne connais qu’un remède : c’est le capuchon. Dans les prisons de Belgique et de Hollande, où le régime cellulaire est pratiqué avec une extrême rigidité, chaque détenu est astreint, dès qu’il sort de sa cellule, à se couvrir la tête d’une sorte de cagoule en étoffe très mince, à travers laquelle il voit assez pour se conduire et même pour reconnaître sans qu’on puisse discerner ses propres traits. La prescription n’a rien d’inhumain, et elle est imposée aux détenus dans leur intérêt même, pour leur sauver l’humiliation d’être dévisagés, et pour les préserver d’être reconnus et exploités plus tard par leurs compagnons de captivité. Néanmoins, je n’oserais en conseiller l’application à Paris. Il faut convenir, en effet, que l’impression qu’on éprouve à voir passer, même dans les couloirs d’une prison, ces personnages muets, masqués et mystérieux, ne laisse pas d’être assez étrange. Il suffirait que Mazas fût visité par un philanthrope trop impressionnable pour qu’il écrivît le lendemain une lettre dans les journaux et pour qu’il soulevât la sensibilité publique contre une mesure dont l’exagération apparente pourrait faire tort au système cellulaire lui-même. Je ne dirai rien du régime des accusés. Je ne pourrais, en effet, que me répéter en constatant à nouveau la contradiction qui existe entre le régime des accusés du sexe masculin, séparés des prévenus comme le veut la loi, dans la prison cellulaire de la Conciergerie et le régime des accusées du sexe féminin, mélangées avec les prévenues dans le quartier commun de Saint-Lazare. C’est la même contradiction, aussi injustifiable et aussi choquante. Quant au régime des condamnés, il offre, à défaut d’autre, l’intérêt de la diversité. Il n’y a pas moins, en effet, de trois systèmes différens appliqués aux condamnés dans les prisons de la Seine : la promiscuité de jour et de nuit à Saint-Lazare et à Sainte-Pélagie, la promiscuité de jour avec isolement de nuit à la Grande-Roquette et dans une moitié de la maison de la Santé, enfin l’isolement de jour et de nuit dans l’autre moitié de cette même maison de la Santé. On ne reprochera pas du moins au système pénitentiaire français de pécher par esprit d’uniformité et de manquer d’éclectisme.

Finissons-en d’abord avec cette sentine parisienne qui s’appelle la prison de Saint-Lazare. Je laisse de côté cette grande division affectée aux femmes inscritesv sur les registres de la police, qui y sont détenues ou soignées administrativement. Ce n’est pas que la coexistence dans la même prison de deux quartiers si différemment peuplés soit sans présenter de sérieux inconvéniens. Il n’est pas bon de rapprocher ainsi des prostituées les condamnées de droit commun. Mais l’organisation du quartier des prostituées soulève des questions de police et d’assistance qui nous entraîneraient trop loin. Restons donc dans le quartier des condamnées. Nous y retrouvons la même division assez récemment introduite par un nouveau directeur, que nous avons déjà rencontré au quartier des prévenues, entre les condamnées ordinaires et celles qui sont de plus inscrites sur les registres de la police. Il y a, comme on peut penser, beaucoup de ces dernières qui se rendent coupables de délits de droit commun : ivresse, outrage, complicité de vol, etc. On a soin de les mettre dans des ateliers différens. Les unes et les autres sont au reste revêtus du même costume grossier, dont la parité est une rude épreuve pour beaucoup de détenues habituées au raffinement de l’élégance parisienne. Elles sont astreintes à la même règle du travail et du silence. Cette dernière règle est, au reste, illusoire. En réalité, ce qui est prohibé, c’est la conversation bruyante ; mais il est impossible d’empêcher les propos échangés à voix basse, surtout dans les ateliers où les femmes travaillent à la mécanique, étroitement serrées les unes contre les autres. On peut penser quelle est la nature des confidences qui s’échangent entre elles, des influences qui s’exercent et des relations qui peuvent se nouer. À supposer même qu’un silence rigoureux pût être obtenu à l’atelier, à quoi servirait ce silence lorsque les détenues ont toute facilité pour se livrer à la conversation, et à quelles conversations ! pendant la nuit. Comme les prévenues, les condamnées sont, en effet, enfermées dès la nuit close, par groupes de cinq ou six, dans des chambrées où elles n’ont rien autre chose à faire que d’échanger leurs confidences et leurs souvenirs. Ici, cependant, les sœurs de Marie-Joseph, et en particulier l’intelligente supérieure qui est en ce moment à la tête de la maison, trouvent à exercer cette appréciation des nuances de la corruption, dont elles ont l’expérience ou plutôt l’intuition. Entre ces brebis toutes plus ou moins galeuses, elles s’efforcent de distinguer celles dont le mal est encore guérissable et celles qui sont devenues incurables. Elles évitent de parquer les unes avec les autres, et s’appliquent au contraire à enfermer ensemble, dans les mêmes chambrées, celles qui paraissent à peu près également contaminées. C’est là, sans doute, un palliatif, mais combien d’erreurs peuvent être commises dans ces appréciations nécessairement très superficielles! Aussi est-il profondément regrettable qu’il soit impossible d’assurer le bienfait de la solitude tout au moins à celles qui le demandent. Le mot impossible n’est cependant pas tout à fait exact. Il existe à Saint-Lazare un long couloir sombre sur lequel s’ouvre la porte d’un certain nombre, je ne peux pas dire de cellules, mais de boîtes, prenant de l’autre côté air et lumière sur un balcon en bois dont elles sont séparées par un grillage en fer. On dirait des petites cages à bêtes fauves. Dans ces cages, il y a place pour un petit lit et un tabouret, pas davantage. Elles servent habituellement au coucher d’un certain nombre de détenues. Mais, dans certains cas exceptionnels, à la condition qu’elle le demande avec instance, à la condition qu’il ne fasse ni trop froid, car ces cages ne sont pas chauffées, ni trop chaud, car elles sont étouffantes, à la condition, enfin, que la détention soit de courte durée, car à la longue il n’y en a pas une dont la santé y résistât, le directeur, par une faveur grande dont il ne fait que très rarement usage, peut autoriser telle ou telle détenue à subir dans une de ces cages la totalité de sa peine. Voilà à quel prix dans la ville-lumière, en l’an de grâce 1887, une femme coupable d’une faute peut-être excusable peut obtenir d’être soustraite au contact le plus dégradant. Il ne faut pas se lasser de dénoncer ce scandale de la prison de Saint-Lazare, parce que des protestations réitérées sont la seule manière d’obtenir qu’on y mette fin. Il a fallu quarante ans pour obtenir la fermeture de la hideuse maison de Saint-Denis. Peut-être en faudra-t-il autant pour obtenir la fermeture de Saint-Lazare. On ne saurait donc s’y mettre trop tôt ni à trop fréquentes reprises. La prison de Sainte-Pélagie nous offre un système plus simple encore, celui de la promiscuité absolue entre toutes les catégories de détenus. Cette prison de Sainte-Pélagie, qui est un ancien couvent aucunement aménagé pour sa destination nouvelle, avait autrefois une certaine célébrité; c’était la prison réservée aux détenus politiques, condamnés pour délits de presse ou autres. Il y a un vieil article d’Armand Carrel, si je ne me trompe, qui eut autrefois un grand retentissement, et qui commence ainsi : « Comprenez-vous Pélagie’? » Carrel déclarait n’y rien comprendre, et préférer les plombs de Venise ou les cachots du Spielberg, dont il est vrai qu’il n’avait jamais tâté. Depuis cette date, le nombre de ceux qui ont eu occasion de comprendre ou de ne pas comprendre Pélagie a singulièrement diminué. La mode n’est plus aux procès de presse, et quelques pauvres diables d’anarchistes, qu’on condamne de temps à autre pour l’exemple, occupent seuls aujourd’hui le quartier des « politiques. » Ce ne sont pas les directeurs qui le regrettent : « j’aimerais mieux avoir à faire à cent forçats qu’à dix détenus politiques, » me disait un jour l’un d’entre eux. Mais comme un jour ou l’autre la mode pourrait changer, force est bien de laisser subsister le quartier des politiques, que ceux-ci partagent avec les « dettiers, » c’est-à-dire avec les individus ayant encouru la contrainte par corps pour non-paiement d’amendes envers l’état ou de dommages-intérêts envers les particuliers. Cela est regrettable, car le quartier des politiques est beaucoup trop spacieux pour le peu de détenus qui l’habitent, tandis que celui des condamnés de droit commun présente le spectacle d’un encombrement dont il est difficile de donner une idée. La prison de Sainte-Pélagie a été évaluée, en 1859, comme pouvant contenir au moins 500 détenus; elle en contient aujourd’hui, en moyenne, plus de 700. Dans ces conditions, ce n’est plus une prison : c’est une auberge mal tenue. Les neuf ateliers de la maison ne sont pas assez spacieux pour contenir tous les détenus, et il s’en faut, d’ailleurs, que ces ateliers soient toujours pourvus de travail. Aussi les détenus débordent-ils dans l’unique préau, dans les chauffoirs (assez improprement appelés, car ils ne sont pas chauffés), dans les passages et presque dans les corridors. Près de la moitié de l’effectif de la maison baguenaude ainsi toute la journée, se promenant, causant, fumant à sa guise, sous la surveillance illusoire d’un seul gardien. Dans les ateliers, généralement sombres et malsains, la surveillance n’est guère plus efficace. Il en est où les détenus sont livrés complètement à eux-mêmes, faute d’un nombre de gardiens assez grand pour en mettre un par atelier. A quoi servirait, du reste, la surveillance de jour, lorsqu’il n’y a pas de surveillance la nuit? La prison de Sainte-Pélagie ne comprend que deux dortoirs, plus un certain nombre de chambrées qui rappellent celles de Saint-Lazare. Dans ces chambrées, les détenus couchent par petits groupes, qui s’élèvent de trois à dix ou douze, sans qu’il soit fait entre eux, comme à Saint-Lazare, aucun triage, même sommaire. La seule précaution prise consiste à faire coucher, dans un dortoir à part, les jeunes gens à figure un peu imberbe et efféminée, précaution assez illusoire, du reste, la promiscuité nocturne, sans surveillance, ne valant guère mieux pour ces jeunes gens que le mélange avec les autres catégories de détenus. Dans ces dortoirs ou dans ces chambrées, les détenus passent, suivant la saison, de dix à douze heures, oisifs, dans l’obscurité, condamnés en quelque sorte aux conversations et aux intimités malsaines. Dans un milieu aussi putride, il est impossible que la corruption ne fermente pas, et si quelques germes d’honnêteté subsistaient dans le cœur d’un de ces détenus, au bout de peu de temps il sera, comme les autres, gagné par la pourriture. Aussi la préfecture de police, qui ne nourrit aucune illusion sur le déplorable régime de cette maison, s’est-elle efforcée pendant quelque temps d’y concentrer les récidivistes, en réservant pour la Santé, dont je parlerai tout à l’heure, les condamnés pour une première faute. Mais il a fallu bientôt renoncer à ce système, à cause de l’encombrement qui se produisait, suivant les circonstances, tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre maison, et aujourd’hui le Dépôt déverse impartialement son contenu, les trois premiers jours de la semaine, à la Santé, et les trois derniers à Sainte-Pélagie. Lorsque j’ai visité cette dernière prison, je me suis trouvé assister, par hasard, à l’arrivée des détenus qui descendaient de la voiture cellulaire. Après leur inscription au greffe sur le registre d’écrou, on les alignait un à un dans le chemin de ronde à la porte du vestiaire, où ils pénétraient tour à tour pour se dépouiller de leurs effets personnels et revêtir la livrée de la prison. Comme je regardais ces figures sur lesquelles ne se peignait guère que l’effronterie et l’insouciance, j’avisai cependant un jeune homme à la physionomie assez fine, à la mise décente, et qui avait tout l’aspect de l’ouvrier parisien intelligent et laborieux. Je lui adressai la parole, et il me conta son histoire fort simple. Il avait, dans une rixe d’atelier, assez grièvement blessé un de ses camarades, et il avait été condamné pour ce fait à deux mois de prison. Celui-là entrait en prison honnête homme ; qui sait si Sainte-Pélagie n’aura pas fait de lui un coquin ?

Transportons-nous maintenant à la prison de la Grande-Roquette, qui, de son nom administratif, s’appelle le Dépôt des condamnés. Ainsi que ce nom l’indique, la destination primitive de cette prison était de recevoir en dépôt les condamnés correctionnels à plus d’un an et les réclusionnaires attendant leur transfèrement dans les maisons centrales, ainsi que les forçats à destination de Cayenne ou de la Nouvelle-Calédonie. À cette population se sont ajoutés depuis les correctionnels récidivistes, condamnés à plus de trois mois de prison. La Grande-Roquette avait été aménagée en vue de l’isolement des détenus pendant la nuit, avec travail en commun pendant le jour. Certes, cet état de choses vaut en lui-même infiniment mieux que la promiscuité pure et simple, de jour et de nuit, qui règne à Sainte-Pélagie. Mais il n’y faut pas voir une application du système célèbre auquel la grande prison américaine d’Auburn a donné son nom, et qui a été opposé pendant longtemps au système cellulaire. L’idée mère du système d’Auburn était d’empêcher toute communication entre les détenus, en leur imposant un silence tellement absolu et rigoureux, que jamais aucune parole ne s’échangeât entre eux. Or il s’en faut que le silence absolu soit la règle de la Grande-Roquette. Tout d’abord les fenêtres des cellules sont construites de telle façon que la conversation y est possible, facile même, d’une cellule à l’autre. Bien plus, elle est autorisée, depuis l’heure où les détenus remontent de l’atelier ou du préau, jusqu’à l’heure de l’extinction des feux, et il n’est pas douteux, malgré les rondes de surveillance qui passent de temps à autre dans les couloirs, que ces communications ne continuent fort avant dans la nuit. On ne saurait, en effet, demander aux détenus de consacrer au sommeil les dix à douze heures qu’ils passent en moyenne dans ces cellules. Souvent, d’ailleurs, l’encombrement de la maison oblige à utiliser trois dortoirs en commun, qui sont tenus en réserve, ou à mettre deux détenus par cellule, ce qui est le pire des expédiens. Mais l’absence de communication fût-elle absolue pendant la nuit, la promiscuité des détenus pendant le jour détruirait tous les avantages de ce système. Il en est, en effet, de la Grande-Roquette comme de Sainte-Pélagie : les ateliers ne peuvent pas contenir toute la population de la maison, et près d’un tiers des détenus subit sa peine lâché en liberté dans l’unique préau de la prison. C’est le même spectacle de désœuvrement et de flânerie que présentent les préaux de Sainte-Pélagie. A voir ces individus qui mangent, causent et se promènent la pipe ou la cigarette à la bouche, on dirait des ouvriers dans un chantier à l’heure du repos, n’étaient la bassesse de leur physionomie et l’aspect uniforme que leur donne la livrée de la prison. Notons en passant que cette tolérance de fumer n’existe que dans les prisons de la Seine et n’est accordée dans aucun autre lieu de détention. C’est là ce qui leur vaut leur bonne renommée, dans le monde des malfaiteurs, ainsi que la qualité meilleure de la nourriture et d’une façon générale le relâchement de la discipline, comparée surtout, comme nous le verrons, à celle des maisons centrales. A voir la mansuétude avec laquelle on traite en particulier cette population de la Grande-Roquette, on ne se douterait guère qu’elle contient ce qu’il y a peut-être de plus redoutable dans toutes les prisons de France, le malfaiteur parisien. Si l’un de nos romanciers modernes avait voulu, comme l’ont fait autrefois Eugène Sue et Balzac, reproduire quelques scènes de la vie de prison, c’est là qu’il aurait dû placer ses Chourineur et ses Vautrin. Mais je crois que M. Zola lui-même reculerait devant la crudité du dialogue. Depuis le commencement de cette année, la Grande-Roquette a été débarrassée cependant de son élément le plus redoutable et le plus turbulent, les forçats, à la suite d’une révolte dont ceux-ci avaient été les instigateurs et dont le motif jette un jour curieux sur les mœurs de nos prisons. Le brigadier qui a la police intérieure de la maison avait jugé bon de transférer de la cour commune au quartier dit des séparés un jeune garçon de dix-huit ans, objet de leurs préférences. Le lendemain, le brigadier fut entouré de toute une bande de forçats en révolte, qui voulaient attenter à ses jours, et il ne dut la vie qu’à l’intervention d’un détenu, qui s’écria qu’après tout le brigadier était un brave homme et qu’il avait eu raison[4]. Depuis cette révolte, les forçats sont transférés à la Santé, où ils attendent en cellule l’époque de leur départ. Mais la Grande-Roquette n’en continue pas moins de contenir l’écume des prisons de la Seine : les correctionnels récidivistes et les réclusionnaires. Ceux d’entre eux qui ont déjà tâté du régime des maisons centrales et qui s’apprêtent à y retourner jouissent des quelques mois qu’ils passent sous cette discipline relâchée : ils savent que ce sont leurs derniers beaux jours.

La maison de la Santé est une prison relativement nouvelle, puisqu’il n’y a pas vingt ans qu’elle est ouverte, et elle a du moins le mérite d’avoir été construite en vue de cette destination spéciale. Mais il faut avouer que c’est une bien singulière construction. On dirait qu’on a voulu, à grand renfort de moellons et de millions, laisser aux générations futures un souvenir durable de nos tergiversations pénitentiaires. La prison de la Santé a été élevée pendant les dernières années de l’empire, c’est-à-dire à une époque où l’opinion publique s’était tout à fait désintéressée du régime des prisons, et laissait l’administration maîtresse d’agir comme elle l’entendait. Le ministre de l’intérieur tenait pour le système de la séparation par quartier, qu’avait prôné, en 1853, une circulaire de M. de Persigny. Mais la préfecture de police avait conservé pour le système cellulaire de secrètes tendresses. Il en résulta une transaction, et la Santé devint une maison à double fin, mi-partie prison cellulaire, mi-partie prison en commun ; je devrais même dire à triple fin, car le quartier en commun est aménagé de telle sorte qu’on y pratique à la fois le système de la promiscuité de jour et de nuit et celui de l’isolement pendant la nuit avec le travail en commun pendant le jour. Ce monument d’incohérence et de contradiction a coûté 8 millions. Aussi, tandis qu’on peut espérer de voir Saint-Lazare et Sainte-Pélagie disparaître prochainement devant la réprobation générale, il faut s’attendre, au contraire, à voir la Santé triompher des siècles par sa durée : durando rincere sœcla. Et cependant le quartier commun de la Santé ne vaut guère mieux, au point de vue moral, que Sainte-Pélagie ou la Grande-Roquette. A quoi sert, en effet, d’isoler les détenus pendant la nuit, si on les laisse communiquer librement pendant le jour? Ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, l’isolement pendant la nuit n’a de raison d’être que si, pendant le jour, une discipline sévère prévient toute communication entre les détenus. Mais si on les laisse vaguer librement pendant le jour, à quoi bon les isoler pendant la nuit? Or, c’est le cas à la Santé, comme à Sainte-Pélagie, comme à la Grande-Roquette : un bon tiers des détenus sont inoccupés dans les préaux, causant et fumant à leur aise, sans être astreints à aucun travail. Il est même inouï, disons-le à ce propos, que le cahier des charges de l’adjudicataire des travaux soit rédigé de telle sorte qu’il lui soit loisible de faire travailler ou non les détenus suivant qu’il y trouve son profil commercial. Le travail fait, pour les détenus, partie de la peine, et on ne saurait admettre que cette peine change de nature et devienne plus ou moins sévère suivant qu’un entrepreneur y trouve ou non son intérêt. Quant à la séparation par quartiers et par catégories qu’on s’efforce d’établir entre les détenus suivant qu’ils ont été condamnés pour mendicité, vagabondage, délits contre les mœurs ou vol, etc., c’est une mesure assez illusoire, car il s’en faut que, moralement, ces catégories soient aussi distinctes qu’elles le peuvent paraître dans un règlement de prison. D’ailleurs, ces catégories débordent les unes sur les autres, et lorsqu’un quartier est encombré, le trop-plein en est évacué sur le quartier voisin, au mépris des catégories. Ajoutons que tous les détenus du quartier commun ne sont pas isolés pendant la nuit; en plus des cinq cents cellules dont j’ai parlé, il y a quatre grands dortoirs communs qui sont toujours pleins et sur lesquels aucune surveillance n’est exercée pendant la nuit. Le régime de la promiscuité pure et simple, et celui de l’isolement pendant la nuit avec travail ou promenade en commun pendant le jour, se partagent donc fraternellement toute une moitié de la prison de la Santé, sans qu’il soit possible de dire pourquoi on isole ceux-ci pendant la nuit, pourquoi on met en commun ceux-là. Au fond et malgré une apparence plus favorable qui tient à ce que les préaux sont plus aérés et les ateliers plus grands, le quartier commun de la Santé ne vaut guère mieux que Sainte-Pélagie ou la Grande-Roquette. Les détenus y trouvent les mêmes facilités pour nouer ensemble des relations dangereuses. Il arrive souvent, en effet, que le noyau de ces bandes de malfaiteurs qui ravagent Paris ou la banlieue s’est formé dans les prisons de la Seine. C’est là que les héros de ces bandes ont fait connaissance. Ils se donnent rendez-vous à leur sortie et mettent en commun l’expérience et les talens qui les conduiront à la cour d’assises. L’argent qui a été dépensé dans le quartier commun de la Santé est donc de l’argent fort mal employé. Il n’en est pas de même du quartier cellulaire.


III.

Le quartier cellulaire de la Santé a du moins ce mérite d’être aménagé en vue d’un régime déterminé qui a eu longtemps la faveur publique. Les vicissitudes du système cellulaire en France sont un des exemples les plus frappans de l’influence qu’exerce sur toutes les questions, même les plus graves, cette puissance tyrannique qui a nom : la mode. La cellule est, dans notre pays, un article d’importation rapporté par M. de Tocqueville au retour du fameux voyage auquel on doit la Démocratie en Amérique. Cet article fut très fort goûté pendant toute la durée du gouvernement de Juillet, non pas seulement par tous ceux qui avaient fait des questions pénitentiaires une étude spéciale, mais par cette opinion un peu irréfléchie qui est également prompte à s’engouer et à se dégoûter sans raison. M. de Tocqueville fut à la chambre des députés rapporteur d’un projet de loi qui portait jusqu’à douze ans la durée des peines de toute nature qui pourraient être subies en cellule, et la commission de la chambre des pairs allant plus loin, sur la proposition de M. Bérenger, proposait d’appliquer le régime de l’isolement absolu, même aux peines perpétuelles. L’adoption définitive de ce régime paraissait tellement assurée qu’un certain nombre de départemens, allant au-devant de la loi, transformaient leurs prisons en maisons cellulaires, et que le ministre de l’intérieur refusait de donner son approbation à tout plan de réparation ou de reconstruction qui ne serait pas disposé en vue de ce nouveau système. Mais la révolution de février, en tournant d’un autre côté les préoccupations de l’opinion publique, mit un terme à ce mouvement, que l’avènement du régime impérial devait arrêter complètement. On put s’apercevoir à cette époque qu’un mouvement en sens contraire s’était même opéré dans les esprits, un peu effrayés peut-être par les excès auxquels les adeptes du système cellulaire s’étaient laissé entraîner. Personne ne s’émut,— il est vrai qu’en 1853 on ne s’émouvait pas de grand’chose, — d’une circulaire par laquelle le ministre de l’intérieur, M. de Persigny, détruisant l’œuvre de ses prédécesseurs, substituait au système de l’emprisonnement individuel celui de la séparation par quartiers. En même temps, des publications aux allures scientifiques et officielles à la fois battaient en brèche l’idée même du système, et affirmaient sur la foi de chiffres erronés que la solitude conduit les prisonniers au suicide ou à la folie. Cette même opinion publique, qui s’était passionnée pour le système cellulaire, se laissa convaincre par une affirmation banale : « Le système cellulaire rend fou. » Cette idée préconçue fut une des principales difficultés auxquelles vint se heurter, en 1875, le petit groupe d’hommes qui, soucieux du déplorable état de nos prisons départementales, proposèrent à l’Assemblée nationale de commencer par la transformation de ces prisons la réforme de notre système pénitentiaire. C’est à deux d’entre ces hommes que revient surtout l’honneur d’avoir combattu efficacement un préjugé aussi tenace et fait taire les scrupules de beaucoup de bons esprits : à M. Voisin, aujourd’hui conseiller à la cour de cassation, et à M. le sénateur Bérenger. M. Voisin avait entrepris à travers les prisons de la Belgique et de la Hollande un consciencieux voyage, durant lequel j’ai eu l’honneur d’être son compagnon. L’expérience de nos voisins lui a permis de démontrer, dans un substantiel rapport, la parfaite innocuité de l’isolement prolongé pendant plusieurs années. M. Bérenger a fait la même preuve d’après l’expérience, plus restreinte, il est vrai, poursuivie en France dans les prisons de la Seine, et il a démontré victorieusement que l’emprisonnement cellulaire n’avait pas à son compte un plus grand nombre de cas de folie que l’emprisonnement en commun. Son rapport préliminaire à la loi de 1875 et celui de M. Voisin constituent en quelque sorte les pièces à conviction de la législation nouvelle qui a soumis au système cellulaire les prévenus, les accusés et condamnés à un an de prison et au-dessous. J’ai déjà expliqué les raisons qui ont paralysé en quelque sorte la mise en pratique de cette législation. Mais, dans les trop rares prisons où elle a été appliquée, l’expérience a été pleinement satisfaisante. La preuve en est dans la collection des rapports adressés à M. le directeur de l’administration pénitentiaire par les directeurs des quelques prisons cellulaires départementales, rapports dont celui-ci a eu l’heureuse idée de publier la collection. Dans cette collection figure un rapport, malheureusement trop court, du directeur de la Santé, qui du reste ne relève point directement du directeur de l’administration pénitentiaire[5]. Je voudrais qu’il me fût possible de combler les lacunes de ce rapport et de faire pénétrer mes lecteurs dans la vie intérieure de cette grande prison, la plus importante de France par le nombre de ses cellules, et la plus intéressante par la diversité de la population qu’elle contient. Mais c’est là une entreprise difficile pour ne pas dire impossible. Sans doute, il me serait très facile, comme à tout visiteur, de dire que le quartier cellulaire de la Santé se compose de quatre galeries aboutissant à un pavillon central, que chaque galerie contient deux étages de cellules reliées par un corridor en bois, et que le cube d’air de chaque cellule est de 20 mètres; il me serait très facile également de décrire le costume des détenus ou de donner la composition de leur nourriture, en distinguant les cinq régimes maigres des deux régimes gras, et d’entrer dans d’autres détails de même nature et de même intérêt. Mais il me semble que, si j’étais mon propre lecteur, tous ces renseignemens me laisseraient parfaitement indifférent. Ce que je demanderais à sa place, ce serait qu’au lieu de me promener dans ces tristes et silencieuses galeries, on ouvrît pour moi les portes de ces cellules derrière lesquelles un léger bruit vous révèle à peine la présence d’un être humain, et qu’on me fît du même coup pénétrer dans la conscience de ces hommes, soumis du jour au lendemain à un régime qui doit leur sembler aussi étrange. Quelle est l’influence de la solitude sur ces âmes, les unes passionnées, les autres inertes, les unes compliquées, les autres grossières? Quel effet produit sur ceux qui ont reçu quelque éducation ou, au contraire, sur ceux qui sont restés à l’état fruste et primitif, ce perpétuel tête-à-tête avec eux? Mais à ces questions le directeur de la prison pourrait seul répondre. Encore le pourrait-il? A vrai dire, j’en doute un peu, et je dirai très franchement pourquoi, sans crainte de blesser personne, car mes observations ne visent, bien entendu, qu’une organisation administrative et un état général des esprits. Pour mieux les faire entendre, je tirerai d’abord comparaison de ce qui se passe dans un pays voisin.

Le hasard m’a fourni tout récemment l’occasion de visiter à nouveau la principale prison cellulaire de la Hollande, celle d’Amsterdam, et de causer longuement avec le président de la commission qui l’administre; car, en Hollande, il en est des prisons comme de tous les autres établissemens publics ou privés. Ce sont des commissaires, — des régents, suivant la vieille expression, — qui les dirigent, et la Hollande est demeurée en cela fidèle aux traditions d’indépendance administrative qui ont fait autrefois sa force et son honneur. Le directeur de la prison n’est que l’agent de la commission, et le président demeure le personnage principal. Je n’avais pas besoin, au reste, de cette seconde visite et des renseignemens que le président de la commission a bien voulu me donner pour savoir qu’en Hollande l’emprisonnement cellulaire est un système, et que ceux-là qui sont chargés de le mettre en pratique ont une confiance profonde dans son efficacité[6]. Mais pour eux la cellule n’est qu’un moyen et la solitude imposée au détenu n’a qu’un but : c’est de le soustraire à des contacts pernicieux, et de le mieux préparer à subir une influence moralisante. Le détenu n’est pas laissé à lui-même dans sa cellule, à son abattement, à ses remords, ou, au contraire, à son insouciance et à sa perversité. Le directeur et les membres de la commission de surveillance administrative sont en relations personnelles avec lui ; ils le connaissent, ils savent à quelle catégorie morale ou sociale il appartient et dans quelles dispositions il subit sa peine. Le temps passé dans la cellule doit lui être profitable, et rien n’est négligé pour atteindre à ce résultat. Le détenu ne doit pas rester oisif un seul jour. On s’ingénie à lui trouver des occupations qui puissent lui convenir, et on y parvient dans une ville qui n’offre cependant pas pour le travail d’aussi grandes ressources que Paris. Son instruction, ce qui est fréquemment le cas, laisse-t-elle à désirer? Tous les jours, un instituteur vient s’asseoir auprès de lui dans sa cellule et lui donner sa leçon. Des livres choisis avec soin sont mis à sa disposition et fréquemment renouvelés. Mais si l’instruction a sa place, la religion a aussi la sienne, et c’est même le principal moyen d’action. Une bible et un livre de cantiques si le détenu est protestant, un livre de messe; s’il est catholique, font partie, en quelque sorte, du mobilier de la cellule, tout comme le lit et la table. Le pasteur et l’aumônier ont librement accès dans la prison et sont en relations personnelles avec tous les détenus. Ils sont aidés dans leur tâche par une société charitable pour l’amélioration des prisonniers, qu’anime le même esprit de zèle évangélique. L’état n’hésite pas à s’imposer des sacrifices considérables pour assurer la dignité et même l’éclat des cérémonies du culte. C’est ainsi qu’une chapelle cellulaire, où tous les détenus peuvent assister aux offices sans se voir, vient d’être construite à côté de la prison, sur la demande expresse de la commission administrative. La commission avait trouvé peu convenable que les détenus assistassent à la messe ou au sermon de l’intérieur de leurs cellules, en n’ayant vue sur l’autel ou la chaire que par leur porte entre-bâillée, et elle espérait que les offices religieux produiraient sur eux plus d’impression s’ils y assistaient dans un édifice spécial. L’état est entré dans cet ordre d’idées, et la chapelle cellulaire a été construite sur les plans de la commission. Je pourrais entrer dans des détails plus minutieux et qui ne laisseraient pas d’être intéressans ; mais ce que je viens de dire suffit pour montrer dans quels sentimens, avec quel sérieux, avec quelle foi, le système cellulaire est compris et pratiqué dans les prisons de la Hollande.

Les choses se passent-elles ainsi à Paris, et en particulier dans la prison de la Santé? Non, et cela ne saurait être. Tout d’abord, aucun des fonctionnaires de l’administration des prisons de la Seine, depuis les plus haut placés jusqu’aux plus humbles, ne saurait prendre l’emprisonnement cellulaire très au sérieux, lorsqu’ils savent parfaitement que, si telle catégorie de détenus y est soumise et non pas telle autre, ce n’est pas en exécution d’une idée préconçue, mais parce que le hasard en a décidé ainsi. C’est le cas en particulier pour le directeur et les gardiens de la maison de la Santé, qui, dans la même prison, pratiquent deux systèmes différens. Comment cet éclectisme ne les rendrait-il pas un peu sceptiques? Ce n’est pas que, dans l’intérieur même de la prison, la répartition des détenus entre le quartier cellulaire et le quartier commun soit laissée au hasard ou à l’inspiration du directeur. Un règlement bien conçu prescrit de mettre en cellule d’abord tous ceux qui le demandent, puis les individus âgés de moins de vingt ans, les condamnés pour tous faits de mœurs, quel que soit leur âge, enfin les individus condamnés pour la première fois. Mais directeur et gardiens savent parfaitement que, si ces mêmes individus, qu’on met en cellule à la Santé, avaient été condamnés l’un des trois premiers jours de la semaine et non pas l’un des trois derniers, ils seraient détenus en commun à Sainte-Pélagie. Lorsque l’administration dont ils relèvent, dominée par une situation de fait qui s’impose à elle, leur donne l’exemple de cette indifférence, on ne saurait leur demander d’attacher à l’application de tel ou tel système plus d’importance qu’elle n’en attache elle-même.

Ce n’est pas tout. A supposer même, — ce qui serait bien extraordinaire, — que le directeur de la Santé fût un théoricien et un croyant du système cellulaire, il ne pourrait pas grand’chose pour en améliorer l’application. La prison qui lui est confiée contient en moyenne 1,000 détenus, 500 au quartier cellulaire, 500 au quartier commun, quand l’effectif ne s’élève pas au-delà. Tout son temps est absorbé par les questions d’administration générale que fait naître à chaque instant la garde et l’entretien d’un personnel aussi nombreux : correspondance avec la préfecture de police, rapports avec les entrepreneurs, maintien général du bon ordre et de la discipline. Nouer des relations personnelles avec les détenus n’est pas chose qu’on puisse lui demander. Ils lui sont expédiés par charretées. Ce n’est pas lui qui les reçoit à leur arrivée, ce sont les employés du greffe. Après leur inscription sur le registre d’écrou, c’est le gardien-chef qui les répartit dans les différens quartiers de la maison. Quant au directeur, il n’est appelé à les connaître personnellement que s’ils demandent à communiquer avec lui ou si leur détention donne lieu à quelque incident. Aucun règlement ne lui fait une obligation de s’enquérir de l’effet moral que la solitude produit sur chacun, et si une obligation de cette nature était de celles qui peuvent être inscrit’ s dans un règlement, il lui serait matériellement impossible de s’en acquitter. A moins de circonstances exceptionnelles, il n’intervient guère dans la vie des détenus que pour les punir s’ils troublent la discipline, ou bien, au contraire, pour leur accorder quelque amélioration de régime si leur santé est affectée par la détention. D’une façon générale, les directeurs des prisons de la Seine sont très humains et enclins vis-à-vis des détenus à une douceur qui peut aller parfois jusqu’à la faiblesse ; mais pour eux tous, pour celui de la Santé comme pour les autres, les détenus ne sont et ne peuvent être généralement que des numéros.

Restent, si nous avons toujours présente à l’esprit la comparaison avec le régime des prisons hollandaises, les visites qu’ils peuvent recevoir de l’instituteur, des personnes charitables et de l’aumônier. D’instituteur, il n’y en a pas eu pendant longtemps à la prison de la Santé. On n’en a nommé un que depuis peu, et il serait assez naturel que, l’instruction étant obligatoire partout, elle le fût également dans la prison. Mais, en réalité, elle est donnée à ceux-là seulement qui la réclament et dans le quartier commun. L’instituteur ne donne pas de leçons individuelles dans les cellules. Quant aux personnes charitables, cela est plus simple encore : il n’y en a pas. On ne trouve pas attachée au quartier cellulaire de la Santé, comme à la prison d’Amsterdam, une société spéciale qui s’occupe de l’amélioration des prisonniers et les visite pendant leur détention. Il est singulier que dans ce Paris si fécond, si ingénieux en bonnes œuvres, cette forme de la charité ne tente pas davantage les personnes dévouées. Il y aurait là cependant beaucoup de bien à faire par l’influence directe de l’homme sur l’homme, de l’âme sur l’âme. La cellule se prête merveilleusement à cette influence. Je ne suis pas de ceux qui croient que la solitude moralise. On dit, il est vrai, qu’elle permet à l’homme d’écouter la voix de sa conscience. Mais si sa conscience ne lui dit rien? — Si elle est engourdie, paralysée, quelle voix entendra-t-il? — Celle de ses passions et de ses haines. Ou bien, tout simplement, il passera dans un état d’inertie morale et d’abêtissement cette période de réclusion, et si elle est sans dommage pour lui, ce qui est déjà beaucoup sans doute, elle sera aussi sans profit. Il est rare que la conscience se réveille sans qu’on lui parle, et pour lui tenir le langage à la fois sévère et affectueux qui est propre à la tirer de son assoupissement, je ne sais si la parole du laïque n’est pas, dans certains cas, plus efficace que celle du prêtre, surtout auprès du détenu parisien, toujours un peu méfiant vis-à-vis de tout ce qui porte soutane, et volontiers enclin à croire que c’est le métier des curés de prêcher, comme c’est celui des apothicaires de vendre des drogues. La charité laïque aurait là une belle occasion de s’exercer; mais, jusqu’à présent, elle semble un peu endormie. Il faut reconnaître que, pendant longtemps, elle n’a pas reçu beaucoup d’encouragemens, et je ne sais si, il y a un certain nombre d’années, la préfecture de police eût sans difficulté ouvert la porte des prisons aux fréquentes visites des membres d’une société charitable. Ces traditions sont changées aujourd’hui, et il n’y aurait qu’à pousser cette porte. Mais bien peu se présentent pour le faire[7], et c’est assurément le cas de rappeler cette parole mélancolique de l’Evangile : « La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. »

Reste l’aumônier. L’aumônier est encore un des fonctionnaires de la prison. Peut-être n’en sera-t-il pas bien longtemps ainsi, car la commission du budget, en quête d’économies, n’en a pas trouvé de meilleure à faire que de supprimer les aumôniers des prisons départementales. Mais, pour le moment, il a le droit de pénétrer dans la prison, d’entrer en relations librement avec les détenus, et il n’est pas obligé d’attendre, comme le propose le rapporteur de la commission du budget, que le détenu le fasse appeler par un gardien, qu’on dérangera de son service pour aller le chercher tout exprès. Mais, bien que rien ne soit encore changé dans la législation, la situation de l’aumônier n’en est pas moins devenue difficile dans les prisons de la Seine. Il est passé à l’état de personnage suspect et compromettant. Par prudence, plutôt, je crois, que par hostilité, certains directeurs refusent systématiquement de le connaître. Ils ne veulent pas savoir qu’il existe. En cela, du reste, ils ne font que s’inspirer des instructions qui leur ont été récemment données. C’est ainsi qu’il leur est prescrit de bien répéter aux détenus, lors de leur entrée, qu’ils sont libres de suivre ou non les exercices religieux, et qu’ils n’y seront conduits que s’ils en font la demande expresse. Chose singulière, cependant, le nombre de ceux qui demandent à être dispensés de l’assistance aux offices est infiniment petit ! Simple désir, dira-t-on, de varier par quelque exercice un peu différent la monotonie de leur journée. Cela est possible. Mais peut-être bien aussi un certain nombre d’entre eux éprouvent-ils un attrait confus pour une religion dont ils ont singulièrement oublié, depuis leur enfance, la morale et les dogmes, mais qui, — de cela du moins ils se souviennent, — a pour les plus grands coupables des paroles d’espérance et des promesses de pardon. Toutefois, la tâche de l’aumônier d’une prison serait bien vite remplie si elle devait se borner à la célébration des offices. C’est à cela qu’elle est forcément restreinte dans une prison commune. Il ne peut, en effet, se montrer sur le préau sans risquer d’être tourné en dérision ; et quel est, d’ailleurs, le détenu qui oserait causer avec lui sous les regards railleurs de ses camarades ? Quelques visites furtives à la sacristie, quelques relations par lettres, c’est tout ce qu’il peut espérer. Il n’en est pas de même dans une maison cellulaire, comme le quartier de la Santé. Là, l’aumônier a un rôle actif à remplir. Il est peu de détenus assez anticléricaux pour ne pas voir avec satisfaction s’ouvrir la porte de leur cellule et faire bon accueil à un visiteur inattendu, fût-il en robe noire. Mais ce que l’aumônier doit se proposer, ce n’est pas tout d’abord d’opérer une conversion (oserai-je dire que les conversions de prisonniers sont ou plutôt étaient autrefois assez légitimement suspectes, car aujourd’hui je ne vois plus trop ce qu’elles peuvent leur rapporter ?), c’est de devenir l’ami du détenu. S’il sait s’y prendre, il cherchera d’abord à gagner sa confiance ; il écoutera son histoire, et le détenu la lui racontera d’autant plus volontiers que tant d’intérêt ne lui aura pas souvent été témoigné, il lui servira d’intermédiaire avec le dehors, non pas en se prêtant à des relations illicites et qu’on a raison de réprimer, mais en cherchant à réveiller en sa faveur la sollicitude de ceux qui l’ont connu. Si quelque cœur bat encore pour le misérable, c’est à ce cœur qu’il s’adressera. C’est par lui que passeront les reproches d’un père, les tendresses d’une mère, les pardons d’une femme, et après qu’il aura, par ces voies naturelles, trouvé l’accès de ce cœur fermé, il pourra peut-être y faire pénétrer quelques rayons de la lumière surnaturelle. C’est ainsi que la cellule, au lieu d’être seulement le châtiment du corps, peut devenir le remède de l’âme : remedium animœ, disaient nos pères, dans ces temps barbares où l’on croyait encore à l’âme. Mais comme on n’y croit plus guère, on veut supprimer les aumôniers des prisons, et se passer, là comme ailleurs, de l’influence religieuse. L’emprisonnement doit être laïque comme l’école, comme l’hôpital, et il y avait sans doute urgence à fermer l’accès du chemin mystérieux par lequel un certain nombre d’égarés pouvaient revenir au bien.

En résumé, et à l’exception du quartier cellulaire de la Santé, qui est matériellement bien aménagé, et peut-être aussi de Mazas, les prisons de la Seine sont loin, comme on le voit, de présenter aucune supériorité sur celles des autres départemens. Quelle est maintenant la conclusion générale de cette enquête sur l’état de nos prisons départementales? Sauf dans les quatorze maisons aménagées en vue de l’application du régime cellulaire, on a le droit de dire que le régime de ces prisons pèche, au point de vue répressif, par trois vices primordiaux : il est incohérent, insuffisant et immoral. Il est incohérent, puisque c’est une question de clocher qui décide souverainement des conditions dans lesquelles chaque condamné subira sa peine : ici en cellule, là en commun, ici astreint au travail, là livré à l’oisiveté. Il est insuffisant, puisque, pour un très grand nombre de détenus, la privation pure et simple de la liberté, avec logement, nourriture et chauffage assurés sans l’obligation du travail (ce qui est le cas dans un grand nombre de prisons), ne constitue pas une peine sérieuse. Enfin il est immoral, parce que la vie en commun, sans surveillance, sous une discipline relâchée, ne peut avoir pour résultat que de corrompre les détenus et de permettre aux plus pervertis d’endoctriner les autres dans le mal. Pour tout dire, le régime de nos prisons départementales est absolument et radicalement vicieux. On verra, par la suite, ce qu’il faut penser de celui des maisons centrales et des établissemens affectés à la transportation.


HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1887.
  2. A ces quatorze prisons qui contiennent seize cents cellules, il en faut ajouter sept qui sont en cours d’exécution et seize dont les plans de reconstruction ou d’appropriation sont soumis à l’approbation du ministre de l’intérieur.
  3. Je crois devoir laisser de côté la Petite-Roquette, qui est spécialement affectée aux jeunes détenus et dont j’ai eu occasion de parler autrefois.
  4. Le quartier des séparés est affecté aux révélateurs et aussi aux condamnés à mort graciés. Les uns seraient exposés aux mauvais traitemens de leurs compagnons et les autres seraient l’objet d’une trop flatteuse attention.
  5. Suivant une organisation souvent critiquée, bien qu’elle ait, sous certains rapports, sa raison d’être, les prisons de la Seine sont groupées sous l’autorité du préfet de police, qui correspond directement à leur sujet avec le ministre de l’intérieur. Un décret tout récent vient de modifier cette organisation. Mais il est encore trop tôt pour apprécier les conséquences que pourra produire ce décret s’il est mis à exécution.
  6. Le nouveau code pénal de Hollande vient de porter de deux à cinq ans la durée de la peine qui peut être subie en cellule.
  7. Il existe deux sociétés de dames visiteuses à Saint-Lazare et une société de patronage des détenus protestans dont quelques membres visitent les détenus de leur religion. Il n’existe pas d’œuvres spéciales pour les détenus catholiques, et la société générale de patronage ne s’occupe du détenu qu’à sa sortie de prison.