Le Combat spirituel (Brignon)/Avertissement

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 3-8).


AVERTISSEMENT
DU TRADUCTEUR.


LE Combat Spirituel est un de ces ouvrages dont le nom seul fait l’éloge. Il contient en abregé tout ce qui regarde la vie intérieure. C’est un précis des grandes maximes de l’Evangile ; surtout de celles qui sonz au mépris & à l’abnégation de soi-même. On ne le peut lire, qu’on n’en soit édifié : quiconque sçaura s’en servir, deviendra bientôt un homme spirituel, & aprendra en peu de tems à se détacher des créatures pour s’attacher au Créateur.

J’en pourrois produire assez d’exemples : mais je me contente de celui de S. François de Sales, qui pendant près de vingt ans, porta ce petit Livre sur soi, & qui à force de le lire, parvint à une sublime perfection. Il l’appelloit son Directeur, & en recommandoit souvent la lecture à toutes les personnes dont il gouvernoit la conscience. Il ne l’estimoit pas moins que le Livre de l’Imitation de Jesus-Christ : il lui donnoit même la préférence en quelque chose ; parce qu’encore que ces deux ouvrages ayent le même but, qui est de porter les ames à un parfait détachement de tout ce qui n’est pas Dieu, la maniere en est différente. L’Imitation de Jesus-Christ est un tissu de plusieurs sentences qui n’ont pas toujours trop de liaison entre elles ; mais le combat spirituel a des discours suivis, & traite à fond les matieres. Quoiqu’il en soit, il avoit souvent entre les mains, & ne passoit pas de jour qu’il n’en lût quelque chapitre ou quelque page. Aussi l’on peut dire, qu’il s’est étudié tant qu’il a vêcu, à en prendre l’esprit, qu’il en tiroit les regles, dont il s’est toujours servi pour acquérir cet Empire si absolu qu’il avoit sur ces passions, sur tous les mouvemens de son cœur.

Le mérite & la réputation d’un Livre universellement estimé, ont donné occasion à une dispute, qui dure encore entre quelques Ordres Religieux touchant celui qui en est le véritable Auteur[1]. Les RR.PP. Bénédictins veulent que ce soit D. Jean de Castanisa Espagnol : Les RR. PP. Théatins prétendent que c’est D. Laurent Scupoli Italien[2]. Le Pere Theophila Raynaud, célébre Ecrivain de la Compagnie de Jesus, assure que c’est le P. Achille Gagliardo Jésuite & fameux Prédicateur en Italie, connu, estimé & chéri particuliement de Saint Charles Borromée. Je ne me hazarderai point à décider ce différend, quelque interêt que j’y puisse avoir ; car outre que cela demanderoit une trop longue discussion, j’aime mieux laisser chacun en possession de ses droits, que de me faire des ennemis, en me déclarant ouvertement pour l’un des partis.

Il en sera donc du Combat Spirituel, comme de l’Imitation de Jesus-Christ, on le lira éternellement, il fera par tout de grands fruits, on ne sçaura jamais certainement qui l’a composé : en quelque langue qu’on l’ait écrit, il s’en est fait bien des Traductions Latines, Angloises, Allemandes, Françoises assez différentes. Comme on a trouvé à redire en ces dernieres, soit pour la fidélité, ou pour le stile ; j’ai taché de corriger les défauts que j’y ai remarqués, & de rendre le sens de l’Auteur, sans m’attacher trop aux mots & aux phrases.

L’exemplaire que j’ai choisi pour ma traduction, est Italien, sous le nom du R. P. D. Laurent Scupoli Théatin, & traduit déja, mais mot à mot & un peu trop fidelement, par le R. P. D. Olimpe Masorti aussi Théatin. C’est apparemment celui dont parlent les Peres Bénédictins[3], lorsqu’ils disent que D. Jean de Castanisa, Religieux de leur Ordre, est le vrai Auteur du Combat spirituel, mais que le Pere Laurent Scupoli l’a augmenté de beaucoup. C’est en effet le plus ample de ceux qui paroissent ; puisqu’il contient 66 Chapitres, & que d’autres n’en contiennent que 33. Je n’y ai rien changé, sinon qu’au lieu que l’Auteur adresse toutes les instructions à une personne dévote, véritable ou feinte, qu’il Nomme sa très-chere fille en Jesus Christ. Je le fais parler en général à tous ceux qui liront son Livre ; ce qui me semble plus conforme à notre maniere & au génie de notre langue.

  1. In indiculo librorum Asseticorum, pag 66.
  2. Erotemate X. de bonis ac malis libris, Tome ii page 267.
  3. In Indiculo lib. Ascet.