Le Comte d’Amboise/2

La bibliothèque libre.
chez Claude Barbin (2p. 3-223).

LE
COMTE
D’AMBOISE


NOUVELLE.
LIVRE SECOND.

Mademoiselle de Roye vint enfin les joindre ; ils n’eſtoient pas loin de la porte du Jardin, & ils allerent au devant d’elle juſque-là : Elle felicita le Comte de ce qu’il eſtoit en ſi bonne Compagnie, & crut par là l’obliger à dire quelque choſe de flateur pour Mademoiſelle de Sanſac ; mais il affecta d’abord de juſtifier ſon intention d’une maniere qui fit craindre à Mademoiſelle de Roye, qu’il ne deſ-obligeaſt ſon Amie ; elle prit un pretexte pour retourner ſur le champ, & emmena Mademoiſelle de Sanſac. Je veux, dit-elle à Monſieur d’Amboiſe, vous l’enlever, pour vous punir de voſtre diſſimulation. En achevant ces parolles, elle monta en Carroſſe avec tant de precipitation, qu’il n’eut pas le loiſir de répondre.

Il eſtoit au deſeſpoir de voir l’opiniâtreté de Mademoiſelle de Roye, à ſe perſuader une choſe qu’il ſçavoit pourtant bien qui ne la fâcheroir pas ; ſoit qu’il apprehendaſt de luy donner le moindre ſentiment de jaloufie, ſoit qu’il apprehendaſt de ne luy en donner aucun, il ne pouvoit s’en conſoler, le chagrin, la joye, ou l’indifference de cette belle perſonne devenoient également cruels pour luy.

Il fut ſur le point de courir apres elle, & de ne le point quitter qu’il ne fût pleinement juſtifié ; mais le pretexte qu’elle avoit pris pour retourner, luy donnant lieu de croire qu’elle ne ſeroit pas ſi-toſt chez elle, il alla chez le Roy, & il laiſſa malgré luy ces deux Amies en liberté.

Lors qu’elles furent retournées au logis de Mademoiſelle de Roye, & entrées dans ſa Chambre, elle ſe trouva embaraſsée. Le peu de ſuccez qu’elle prévoyoit à la paſſion de Mademoiſelle de Sanſac, luy faiſoit apprehender de la mettre ſur ce ſujet ; cependant elle s’apperceut que ſon ſilence l’affligeoit encore davantage ; de ſorte qu’elle la fit parler pour luy laiſſer prendre quelque ſoulagement, ſi ce n’eſtoit plus pour la conſoler.

Si l’on oſoit, luy dit elle, vous demander par quelles manieres le Comte d’Amboiſe a pû s’attirer des ſentimens dont il eſt ſi peu digne… Je ſçay que j’ay tort, interrompit Mademoiſelle de Sanſac : mais je puis cependant m’excuſer ; je voyois inceſſamment le Comte d’Amboiſe avec vous ; je le trouvois aimable par l’ardeur avec laquelle il aimoit ; j’eſtois charmée de ſa delicateſſe. Vous ne l’aimiez pas ; & quoy que cette pensée me donnaſt un plaiſir ſecret, je blâmois voſtre injuſtice, & j’allay trop loin en voulant l’éviter. Quand je parlay à la Reine pour empeſcher voſtre Mariage avec luy, je croyois m’y engager pour l’amour de vous, ou pour l’amour de mon frere ; cependant j’ay connu depuis que c’eſtoit mon intereſt ſeul qui ne faiſoit agir ; Madame de Roye rendit tous mes projets inutiles, par ſa fermeté dans ſes premiers ſentimens pour le Comte ; j’eus du dépit d’avoir mal réüſſi. Vous retournaſtes à la Campagne, le Comte vous alloit voir ſouvent ; je ne le voyois preſque plus, cela me fit ſentir à quel point il m’eſtoit cher, je voulus m’oppoſer à mon penchant, mais ce fut inutilement, & meſme en cherchant à rappeller ma raiſon, je ſongeois ſans ceſſe à luy, & j’achevay de la perdre.

Elle ſe teut durant quelque temps ; puis elle pourſuivit, voyant que Mademoiſelle de Roye ne parloit pas. Je ſentis diſtinctement la jalouſie ; j’eus des remords d’avoir eſſayé de vous oſter au Comte, puiſqu’il n’en eſtoit pas plus à moy : mais je fus au deſeſpoir, quand il ſongea une ſeconde fois à vous épouſer, & je n’eus de repos que lors que par un excez d’amour extraordinaire, il vous eut cedée à ſon Rival. Cette action augmenta beaucoup mon eſtime, il me ſembla qu’elle authoriſoit ce que je ſentois pour luy, & meſme ce que j’avois fait contre luy ; quoy que cét exemple de generoſité me condamnaſt, je ne vis point la difference de ſon procedé & du mien ; je crûs que ma conduite eſtoit juſtifiée par ce deſintereſſement, & par voſtre indifference ; mais ce n’étoit en effet qu’un peu d’eſperance qui juſtifioit tout. Helas ! je ne fus pas longtemps dans cette ſituation ; ſi j’eus des momens moins deſ-agreables, ce ne furent que des momens, vous ſçavez ſi j’ay eu lieu de me flater.

Mademoiſelle de Sanſac ne pût continuer un tel diſcours, & jettant un torrent de larmes, elle contraignit Mademoiselle de Roye à luy parler. Je ſuis plus mal-heureuſe que vous, luy dit-elle, je ſens tous vos maux comme vous meſme, & j’ay encore le chagrin de vous les avoir cauſez ; c’eſt par moy que vous avez connu particulierement le Comte d’Amboiſe, c’est peut-eſtre pour l’amour de moy qu’il ne prend pas les ſentimens qui ſont deûs à voſtre merite ; enfin c’eſt mon indifference pour luy, qui a donné lieu à voſtre pitié ; tout vous devient un poiſon, je n’oſe rien entreprendre, & apres avoir fait tous vos chagrins, j’ay la douleur de ne pouvoir vous en tirer ; vous ne devez plus avoir d’amitié pour moy ; vous me regardez comme une Rivalle, peut-eſtre vous me haïſſez. Non, interrompit Mademoiſelle de Roye, c’eſt d’Amboiſe qu’il faut haïr, & ce n’eſt point vous ; mais je ne puis meſme avoir le ſoulagement de haïr l’un ou l’autre. Que m’a-t-il fait ? il ne m’a point trahie, puiſqu’il ne m’a jamais aimée ; helas ! faut-il que ce ſoit là ce qui m’oſte le droit de me plaindre ?

Ses pleurs qui redoublerent, l’obligerent une ſeconde fois au ſilence ; & Mademoiſelle de Roye voyant de l’alteration ſur ſon viſage, craignit qu’elle ne ſe portaſt mal, & l’obligea de ſe mettre ſur un lit ; Elle paſſa en ſuite dans ſon Cabinet pour parler à un de ſes Gens, on l’avertiſſoit de la part de Madame de Roye, que le Comte d’Amboiſe devoit venir, & qu’elle eût, à le recevoir s’il arrivoit avant ſon retour. Il vint en ce moment ; & n’ayant veu perſonne dans l’Antichambre, ny meſme dans la Chambre, parce que Mademoiſelle de Roye avait ordonné à ſes Femmes lors qu’elle eſtoit entrée avec Mademoiſelle de Sanſac, de paſſer dans ſon Cabinet, qui en eſtoit aſſez éloigné, afin qu’elles ne fuſſent pas témoins de leur converſation. Il alloit ſortir, mais Mademoiſelle de Sanſac s’oſtant tournée avec quelque bruit pour voir qui arrivoit, il s’approcha du lit dont les rideaux eſtoient à demy fermez. Il ne la reconnut point, elle avoit une partie de ſes coëffes ſur ſon viſage ; il crût que c’eſstoit Mademoiſelle de Roye qui ſe repoſoit ſur ſon lit ; de ſorte que l’eſprit encore tout remply de l’Avanture du Jardin, & craignant meſme de perdre l’occaſion de luy parler, Mademoiſelle, luy dit-il, je ne puis differer un moment à me juſtifier, auriez-vous bien la dureté de croire que je pourrois aimer Mademoiſelle de Sanſac ? je n’eus pas hier le loiſir de vous répondre ſur ce que vous me voulûtes faire penſer de ſes ſentimens, mais en eſtoit-il beſoin ? Si voſtre indifference ne m’a pas fait changer, toute la paſſion qu’on pourroit avoir pour moy ne le feroit pas davantage.

Mademoiſelle de Roye qui comprit que quelqu’un entroit, & que meſme on vint avertir par un autre coſté que c’eſtoit Monſieur d’Amboiſe, revint dans la Chambre, & luy dit à demy bas, qu’une Dame de ſes amies dormoit ſur ce lit, & qu’elle alloit le recevoir dans une autre chambre, mais elle ne ſçavoit pas qu’il en avoit déja trop dit.

Mademoiſelle de Sanſac en avoit eſté frapée comme d’un coup de foudre, & ce dernier malheur eſtoit ſi affreux, qu’il n’y avoit que la mort qui pût luy en oſter la honte & la douleur. Elle demeura ſur le lit de Mademoiſelle de Roye, accablée de mille penſées differentes, ſans prendre aucune reſolution.

Monſieur d’Amboiſe eſtoit avec Mademoiſelle de Roye ; il luy diſoit les meſmes choſes qu’il avoit crû luy dire, lors qu’il avoit parlé à Mademoiselle de Sanſac ; mais elle luy marqua, qu’elle prenoit peu de plaiſir à les entendre, & que ſi quelque choſe eſtoit capable de la toucher, ce ne ſeroit que les ſentimens qu’il prendroit pour ſon Amie. Il fut outré de cette indifference, & il demeura ſaiſi d’une ſi vive douleur, qu’il ceſſa de luy parler.

Madame de Roye revint pluſtot qu’elle n’avoit penſé, & Mademoiſelle de Roye alla retrouver Mademoiſelle de Sanſac, dont le deſeſpoir redoubla par ſa preſence. Elle fit un cry douleureux lors qu’elle la vit ! Ha ! vous m’avez trahie, luy dit-elle, j’eſperois du moins que le Comte ignoreroit ma foibleſſe ; mais il manquoit quelque choſe à voſtre victoire, vous avez trouvé de la gloire au ſacrifice qu’il vous a ſait de moy. Je vous demande pardon de vous ſoupçonner de cette penſée ; mais pourquoy luy dire que je l’aimois, puiſqu’il vous aime ? Elle n’eut pas la force de pourſuivre, ſes larmes couloient en abondance, & elle ne pouvoit que pleurer.

Mademoiſelle de Roye comprit une partie de ce qui s’eſtoit paſſé ; elle n’avoit rien à luy répondre, & il n’eſtoit pas temps de juſtifier ſon intention, quand elle eſtoit coupable par de ſi triſtes effets ; tout ce qu’elle pouvoit faire, eſtoit de l’aſſeurer qu’il ſeroit aisé de deſabuſer le Comte de la penſée d’eſtre aimé, mais le remede n’étoit point encore du gouſt de Mademoiſelle de Sanſac : Non, dit-elle, qu’il le ſçache, & je ne le verray jamais. Là-deſſus elle ſe leva de deſſus le lit où elle eſtoit, elle ſortit de chez Madame de Roye dans le deſſein de n’y revenir plus, & le lendemain elle alla à une maiſon de campagne que ſon Pere avoit auprés de Tours. La elle eſſaya d’oublier tout le monde, elle abandonna le deſſein de pourſuivre le mariage de ſon frere avec Mademoiſelle de Roye, quoy qu’il pût ſervir à la vanger de d’Amboiſe ; & tous ſes ſentimens cederent à ſa honte ; ainſi elle ne laiſſa à cette Amie que le chagrin d’avoir perdu une perſonne à qui elle confioit ſes ſentimens, & de conſerver toûjours un Amant mal-heureux.

La conſtance de Monſieur d’Amboiſe eſtoit ſi cruelle à Mademoiſelle de Roye, par les ſuites qu’elle avoit euës, qu’elle commença à luy en faire un crime ; elle ne luy parloit plus qu’avec une ſorte d’aigreur contre laquelle il n’eſtoit point preparé. Il n’avoit pas pensé qu’elle le traiteroit plus mal, parce qu’il ne pouvoit aimer qu’elle. Il entroit dans cette nouvelle rigueur une ſorte d’injuſtice & de mépris, qui ne luy parut pas ſupportable ; il penſa qu’il pourroit vivre ſans aimer une perſonne dont l’ingratitude meritoit ſa haine, ou pluſtoſt ſon oubly, & il recommença à l’éviter plus qu’il n’avoit jamais fait.

Sanſac fut au deſeſpoir de l’abſence de ſa Sœur ; il n’avoit plus perſonne auprés de ſon Pere qui parlaſt pour luy, de ſorte qu’aprés avoir écrit inutilement à Mademoiſelle de Sanſac, il alla la trouver au lieu où elle eſtoit. Il fit tous ſes efforts pour l’obliger à revenir, mais il n’obtint rien d’elle, & il ne la tira pas un moment de l’accablement mortel où elle eſtoit plongée.

Madame de Tournon qui le voyoit tres aſſligé, & qui méditoit les moyens de le retirer d’auprés Mademoiſelle de Roye, feignit une nouvelle chaleur pour ſes intereſts, elle luy dit qu’un de ſes amis qui pouvoit tout ſur l’eſprit du Comte, de Sanſac, ſeroit bien-toſt à Paris, & qu’elle employeroit tout le credit qu’elle avoit ſur cét Amy, pour faire réüſſir le deſſein du Marquis.

Sanſac ſçavoit qu’en effet celuy dont elle parloit, eſtoit fort conſideré de ſon Pere. Quel plaiſir d’enviſager un moyen de parvenir au bon heur qu’il attendoit depuis ſi long temps ! La force de ſes ſentimens luy redonna de l’amitié pour cette Comteſſe. Il luy promie une reconnoiſſance éternelle, & il retourna chez elle avec aſſiduité.

Elle avoit introduit le Comte de Sancerre chez Madame de Roye : il eſtoit d’un caractere d’eſprit à faire plaiſir à tous ceux qu’il voyoit ; il y alloit ſouvent, & ſon amour s’augmentoit tous les jours par la connoiſſance particuliere de l’eſprit de Mademoiſelle de Roye ; cette paſſion eſtoit meſme irritée par celle qu’il luy connoiſſoit pour le Marquis de Sanſac. Bien ſouvent un Rival fait valoir le merite d’une Maiſtreſſe, & quand il ne ſçauroit la faire haïr, il la fait infiniment aimer.

Quoy que Monſieur d’Amboiſe évitaſt Mademoiſelle de Roye, il n’étoit pas poſſible qu’il ne la rencontraſt jamais, & il y avoit un mois qu’il ne l’avoit veuë, lors qu’il ſe trouva auprés d’elle un jour que la Reine Regente recevoit des Ambaſſadeurs d’Eſpagne. D’abord qu’il apperceut Mademoiſelle de Roye, ſon premier mouvement fut de changer de place, mais elle le ſalüa d’une maniere, qui bien qu’aſſez indifferente, avoit un charme par lequel il ſe ſentit arreſté ; il n’oſa cependant luy parler, mais lors que la Ceremonie fut achevée, les Hommes donnerent la main aux Dames pour les remettre dans leur Carroſſe. Le Marquis de Sanſac fut obligé de prendre celle de Madame de Roye, & Monſieur d’Amboiſe dit à Mademoiſelle de Roye qu’il n’oſoit luy offrir la ſienne ; elle ne luy répondit rien, & luy tendit la main avec aſſez de civilité.

Jamais Mademoiſelle de Roye n’avoit eſté ſi parée ny ſi belle ; les applaudiſſemens qu’elle avoit receus, faiſoient paroiſtre ſur ſon viſage une joye modeſte, qui auroit excité de l’amour dans les cœurs les plus inſenſibles. Quoy que la paſſion de Sanſac fût au point de ne pouvoir augmenter, il avoit neantmoins ſenty un nouveau plaiſir à la regarder. D’Amboiſe ſe ſouvint des premieres fois qu’il l’avoit veue ; il fit un profond ſoupir, & il la regarda avec des yeux mouillez de larmes.

Comme il y avoit de grands Appartemens à traverſer, & que beaucoup de gens s’eſtoient mis entre Madame & Mademoiſelle de Roye, il eut le loiſir de luy parler. Je ſuis honteux Mademoiſelle, luy dit-il, de vous marquer que vos mépris & voſtre haine ne ſçauroient m’empeſcher de vous aimer ; quels remedes tenterez vous encores ? ils ſeront inutiles, il n’y a que ma mort qui puiſſe vous défaire de moy. Vous m’aviez promis, luy dit Mademoiſelle de Roye, que vous ne me tiendriez plus de pareils diſcours, que voulez-vous que je vous y réponde ? Rien, Mademoiſelle, luy dit-il d’un air indigné, je n’ay merité que voſtre indifference. Hé bien, adjoûta-t-il tout tranſporté, rendez-la moy, puiſque je ſuis aſſez malheureux pour croire que voſtre colere m’eſt encore un plus grand mal. Mais, luy dit Mademoiſelle de Roye, devez-vous eſtre ſurpris de mon reſſentiment ? vous eſtes cauſe que jay perdu mon Amie. Mademoiſelle, interrompit-il, de quoy pouvez-vous m’accuſer ? ai-je pris ſoin de toucher ſon cœur ? m’eſtoit-il poſſible d’aimer autre choſe que vous ? Non, Mademoiſelle, adjoûta-t-il comme hors de luy, vous ne me devez point de tendreſſe, je deteſte la mienne ; mais je vous aime, & je ſuis digne de voſtre pitié. Ne vous plaignez donc point, luy dit Mademoiſelle de Roye, je vous ay donné ce que j’ay pû vous donner, & hors l’amour vous avez eu tous mes autres ſentimens ; je vous en promets la continuation, & ne nous faiſons plus de reproches.

Le Comte n’avoit pas lieu d’eſtre content, mais il n’avoit pas droit de ſe plaindre. Il la remit au Carroſſe de ſa mere où Sanſac eſtoit qui l’attendoit. Ces deux Amans ſe ſalüerent avec un ſoûris, qui exprimoit tous les mouvemens de leur cœur. D’Amboiſe qui avoit feint de ne pas regarder Mademoiſelle de Roye, l’avoit cependant remarqué, & il en fut penetré d’une douleur mortelle ; alors ſon mal fut extrême, puiſqu’il reſolut de ſe guerir. Il ſentit qu’il ſeroit toûjours exposé à chercher Mademoiſelle de Roye, à la rencontrer, & à ſouffrir tout ce que l’amour deſeſperé & la jalouſie ont de plus affreux. De ſorte que voyant qu’il luy eſtoit neceſſaire de quitter Paris, il alla à une Terre qu’il avoit proche de Reims, & il ſe promit de ne plus revenir, qu’il n’eût éteint tous les reſtes de ſa mal-heureuſe paſſion ; ainſi Mademoiſelle de Roye fut délivrée pour quelque temps d’un Amant qui commençoit à l’importuner, parce qu’elle avoit des égards pour luy, & qu’elle n’oſoit le maltraiter.

Mais c’eſtoit le Comte de Sancerre & Madame de Tournon, dont elle n’avoit rien apprehendé, qui devoient cauſer tous les mal heurs de ſa vie. Sancerre vouloit l’engager avant que de ſe declarer ſon Amant ; de ſorte qu’il avoit commencé à entrer en liaiſon avec elle, en luy parlant ſouvent de Sanſac, & à la faveur de ce nom il ſe rendoit aimable ; elle le voyoit avec un plaiſir qui eſtoit meſme ſuſpect à Sanſac, il craignoit de trouver un Rival dans un homme qui luy paroiſſoit redoutable, & qui eſtoit aſſidu chez Mademoiſelle de Royes ; il luy avoüa ſes ſoupçons, mais elle l’aſſeura ſi fortement qu’il n’eſtoit qu’Amy, & elle en eſtoit ſi perſuadée, qu’elle ne fit meſme point de reflection aux inquietudes de Sanſac. Il avoit auſſi tant de raiſons de s’aſſeurer de l’inclination de Mademoiſelle de Roye, qu’il voulut bien d’abord luy ſoûmettre ſa jalouſie.

Madame de Tournon qui par les promeſſes qu’elle luy avoit faites de s’employer pour ſon Mariage, l’avoit engagé à luy rendre des ſoins, fit ſemer par le Comte de Sancerre que ce Marquis eſtoit devenu amoureux d’elle. Quoy que Mademoiſelle de Roye eût eſté avertie des raiſons qu’il avoit de la ménager, cette Comteſſe eſtoit encore aſſez aimable pour pouvoir donner des inquietudes à une Rivale.

Mademoiſelle de Roye apprit à Sanſac ce qu’on diſoit de luy ; il demeura dans une ſurpriſe qui parut naturelle ; il luy répondit d’une maniere ſi tendre, & il l’aimoit ſi veritablement, qu’il ne pouvoit manquer d’eſtre bien-toſt juſtifié. Il luy offrit de rompre avec Madame de Tournon, mais ils croyoient tous deux avoir le meſme intereſt à la conſerver pour Amie. Elle le pria à la fin de ne point changer de conduite, & elle l’aſſeura que jamais elle n’en auroit de chagrin.

Sa jalouſie parut ſi tendre à ſon Amant, que dans ce moment il perdit celle qu’il avoit euë de Sancerre ; il fut meſme ſi honteux d’avoir pû ſoupçonner d’infidelité un cœur ſi delicat, qu’il craignit de la faire ſouvenir des craintes qu’il luy avoit marquées ; mais cette paix ne dura pas long-temps, Madame de Tournon voulant qu’ils priſſent en meſme temps de l’ombrage, gagna celle des femmes de Mademoiſelle de Roye, en qui elle avoit le plus de confiance ; elle luy donna une Lettre qui s’adreſſoit à Mademoiſelle de Roye, mais elle la pria de ne la luy montrer pas, & de faire en ſorte que Sanſac la lût, ſans qu’il parût qu’on eût eu le deſſein de la luy laiſſer voir.

Le hazard favoriſa ſon intention peu de jours apres, & la choſe fut ponctuellement executée. Sanſac vint le ſoir chez Madame de Roye, elle n’y eſtoit pas ; ſes amis attendoient quelquefois ſon retour, mais ce jour-là elle devoit ſoupper avec ſa Fille chez Madame de Tournon ; cependant cette femme feignit de l’ignorer, elle dit à Sanſac qu’elles alloient revenir, & elle voulut le faire entrer dans l’Appartement de Madame de Roye, dont elle avoit exprés égaré la clef, pour avoir lieu de le mener dans celuy de Mademoiſelle de Roye. Elle venoit d’y porter promptement le Billet dont elle eſtoit chargée, il eſtoit ſur la table décacheté, & paroiſſoit y avoir eſté oublié. Elle y laiſſa le Marquis ſeul, il leut le billet qui eſtoit de la main du Comte de Sancerre, dont Sanſac connoiſſoit l’écriture. Sancerre par ce Billet, avoüoit à Mademoiſelle de Roye qu’il avoit crû long-temps n’eſtre que ſon Amy ; qu’en ſuite il luy avoit déguisé ſes veritables ſentimens à la faveur de ce nom, & qu’enfin il ne pouvoit plus s’empeſcher de les luy faire connoiſtre. Sanſac le leut avec le meſme chagrin, que ſi en apprenant l’amour du Comte il eût appris qu’il eſtoit aimé.

Cette femme rentra dans la Chambre, lors qu’elle jugea qu’il auroit lû le Billet, & elle luy dit que Madame de Roye venoit de renvoyer ſes gens, & qu’elle paſſoit le ſoir chez Madame de Tournon. Il y alla auſſi toſt, ſans douter que Sancerre ne s’y trouvaſt ; cependant ayant reconnu de loin ſes livrées à la porte, il fut frapé de cette veuë comme s’il ne s’y eſtoit pas attendu. Il entra chez Madame de Tournon, pour voir de quelle maniere Mademoiſelle de Roye ſe conduiroit avec ſon nouvel Amant ; mais comme elle n’avoit pas veu la Lettre qui pouvoit l’inſtruire des ſentimens de ce Comte, elle ne changeoit point de conduite avec luy.

Sanſac eſtoit au deſeſpoir de luy trouver ſa vivacité ordinaire ; la jalouſie luy faiſoit meſme croire qu’elle eſtoit encore augmentée ; jamais il n’avoit trouvé les choſes que Sancerre diſoit, ſi peu propres à plaire, & jamais il n’avoit tant craint qu’elles ne plûſſent, enfin il ſortit dans le plus furieux chagrin où il eut eſté de ſa vie. Le lendemain il ne put voir Mademoiſelle de Roye en particulier, & le jour ſuivant on partit pour aller à Reims au Sacre de Charles Neuf.

Un temps conſiderable s’eſtoit déja écoulé depuis la mort de François Second ; les plaiſirs renaiſſoient à la Cour, & meſme ils n’avoient preſque pas diſcontinué, parce que la Reine Regente qui vouloit eſtre abſoluë, entretenoit tout dans l’oisiveté & la moleſſe ; elle rendoit chaque jour celebre par quelque Feſte ; & eſtant toûjours ſuivie des plus belles Femmes qui faiſoient agir leurs Amans à ſon gré, elle regnoit avec une pleine authorité par le moyen de la galanterie.

Madame de Roye, qu’une legere indiſpoſition obligeoit à demeurer à Paris, voulut retenir ſa Fille auprés d’elle, mais la Reine la pria de ne les point priver d’une perſonne qui embelliſſoit ſa Cour ; de ſorte qu’elle la confia à Madame de Tournon qu’elle croyoit toûjours la plus ſincere de ſes Amies. Sa Fille ne luy avoit point dit les ſoupçons qu’elle avoit eus de cette Comteſſe, de peur qu’elle ne les eût trouvez trop peu raiſonnables.

Durant le Voyage, Madame de Tournon obſedoit Mademoiſelle de Roye, & ſur le pretexte d’amitié ne la quitta pas un moment ; comme la Lettre que Sanſac avoit veuë n’avoit eſté écrite qu’afin qu’il la vît, Mademoiſelle de Roye n’en avoit point entendu parler, Sancerre ſe gardoit bien de luy laiſſer ſoupçonner encore qu’il l’aimaſt. Il faloit que ſon Rival ſût détruit auparavant, & il ſe contentoit de travailler de concert avec Madame de Tournon à broüiller ces deux Amans, & à les empeſcher de s’éclaircir.

Madame de Tournon avoit dit à Sanſac, qu’encore qu’elle voulût bien le ſervir dans ſon Mariage auprés de ſon Pere, elle ne vouloit point entrer avec Mademoiſelle de Roye dans la confidence de ſon amour, & qu’il ne luy convenoit point de prendre ces ſortes de manieres avec une jeune perſonne. Il ne pouvoit la blaſmer de cette reſerve, & il en ſoupçonnoit d’autant moins qu’elle fût capable de prendre un autre intereſt en luy, que, celuy de l’amitié. Ce Marquis entretenoit toûjours ſa jalouſie dans ſon cœur. Il voyoit que Mademoiſelle de Roye ne rompoit point avec Sancerre, & il la trouvoit déja trop coupable pour meriter ſes reproches, mais il luy marquoit une froideur extraordinaire ; elle l’attribuoit à ſa nouvelle paſſion pour la Comteſſe, & elle en conſervoit un dépit qui ne parut auſſi d’abord que par la froideur, mais il eſtoit impoſſible qu’ils demeuraſſent longtemps dans cét eſtat. Ils avoient des ſoupçons mutuels qui devoient ſe tourner en certitude, ou il faloit qu’ils s’éclairciſſent de leurs doutes ; il leur arriva une Avanture qui acheva de les broüiller.

La Reine donna le Bal à Reims le ſoir du Sacre de Charles Neuſ ; comme c’eſtoit la Saiſon des Maſques, elle fit le plan d’une Maſcarade ; elle ordonna qu’une Troupe de Bohémiens & une Troupe de Bohémiennes, vinſſent ſeparément prédire la bonne fortune du jeune Roy ; qu’en ſuite chaque Bohémien prendroit une Bohémienne, & qu’ils danſeroient enſemble pour ſe réjoüir de s’eſtre rencontrez à dire des choſes agreables.

La Comteſſe de Tournon & Mademoiſelle de Roye eſtoient de la Maſcarade ; leur taille eſtoit à peu prés égale, leurs cheveux eſtoient d’un brun fort approchant, & dont le peu de difference ne ſe remarquoit point aux flambeaux ; l’habillement de ces Bohémiennes eſtoit meſme ordonné d’une maniere à ne laiſſer preſque pas diſtinguer celles qui avoient le moindre rapport ; de grandes robbes volantes leur couvroient toute la gorge, & deſcendoient juſqu’à terre, ſans que rien marquaſt la taille ; leurs cheveux qui retomboient ſur les épaules, eſtoient renoüez avec quantité de rubans, & les Dames faiſoient part à leurs Amans de ceux dont elles devoient porter le jour de la Feſte ; parce que la Reine qui vouloit entretenir tout dans la galanterie, l’avoit ainſi ſouhaité, afin que ceux qui avoient des Maiſtreſſes dançaſſent avec elles. Mademoiſelle de Roye ſe trouva embarraſsée dans cette conjoncture, la froideur qui eſtoit entre Sanſac & elle, luy donnoit de la repugnance à luy faire cette ſorte de faveur, cependant il luy eſtoit impoſſible de la faire à un autre, elle luy paroiſſoit peu conſiderable en ſoy, & c’eſtoit trouver une occaſion de ſe plaindre qu’elle ne put negliger ; elle luy envoya de ſes rubans, & elle luy écrivit avec tant de dépit, de douleur & de tendreſſe, que cette Lettre auroit neceſſairement produit un éclairciſſement entre-eux, ſi l’artifice de Madame de Tournon n’avoit prévalu.

Le Billet ayant paſſé par les mains de cette femme que Madame de Tournon avoit gagnée, il luy fut montré ; cette Comteſſe vit quelque ouverture à joüer un mauvais tour à ces deux Amans, elle garda les rubans de Mademoiſelle de Roye, & elle en envoya d’autres au nom de cette jeune perſonne, c’eſtoit de ceux dont elle-meſme devoit porter. Son intention eſtoit de tromper Sanſac, & de paſſer pour Mademoiſelle de Roye à la faveur du déguiſement, de mettre cette Amante dans la derniere colere contre luy, & de les empeſcher autant qu’elle pourroit de s’éclaircir, enfin de rejetter la méprife des rubans ſur les femmes qui les ſervoient, ſi l’on en venoit à l’éclairciſfement. Cependant elle trouvoit elle-mefme l’artifice groſſier, & elle en eſperoit peu de choſe ; mais elle avoit commencé à ſemer la meſintelligence entre eux, il faloit hazarder tout ce qui pouvoit l’augmenter ; & leurs cœurs eſtant déja prévenus de jalouſie, les moindres apparences pouvoient achever de les revolter.

Sanſac receut les rubans de Madame de Tournon, qu’on luy envoya de la part de Mademoiſelle de Roye, & il écrivit à celle-cy avec tant d’amour & tant de jalouſie, que Madame de Tournon à qui cette Lettre fut montrée, apprehenda & eſpera tout en meſme temps de cette diſpoſition ; elle pria cette femme qu’elle avoit gagnée de faire dire à Sanſac que Mademoiſelle de Roye luy parleroit le ſoir apres la Maſcarade, & elle avoit reſolu de luy dire ſous le Maſque des choſes qui le perſuaderoient que ſon Rival eſtoit aimé ; on ſupprima les Lettres qu’ils s’écrivoient de part & d’autre, & on dit ſeulement à Mademoiſelle de Roye que Sanſac luy eſtoit tres-obligé de ſes rubans ; ce mépris qu’elle avoit ſi peu merité, l’a mit dans une colere inconcevable. D’abord elle fut ſurpriſe de ce procedé, mais ſon eſprit eſtoit aigry de longue main par la froideur extraordinaire qu’on luy marquoit & tout paroiſt vray ſemblable à la jalouſie. Combien s’accuſa-t-elle de lâcheté, d’avoir pû faire une demarche ſi mal receuë ; ce qui luy avoit d’abord paru ſi leger, luy parut alors terrible ; & ſa douleur l’auroit empeſchée de ſe trouver à la Maſcarade, ſi elle n’avoit encore voulu voir de quelle maniere, il s’y conduiroit.

Les Maſques danſerent ; chaque Bohemienne avoit un Bohémien qui portoit ſa couleur, Mademoiſelle de Roye vit quelqu’un qui portoit la ſienne, & d’abord elle ne le reconnut pas pour eſtre le frere de Madame de Tournon qui devoit danſer avec cette Comteſſe, mais elle remarqua aisément que ce n’eſtoit point Sanſac qui dançoit avec elle.

Ce Marquis n’eſtoit pas fait d’une maniere pouvoir eſtre confondu avec les autres, il eſtoit plus grand que tous ceux qui eſtoient de la Maſcarade, de ſorte qu’elle l’apperceut avec les couleurs de Madame de Tournon, qu’elle ne pouvoit méconnoiſtre parce qu’elles s’eſtoient habillées enſemble. Sanſac qui la prenoit pour Mademoiſelle de Roye, trompé par les rubans qu’on luy avoit envoyez de ſa part, dança toûjours avec elle, & elle affecta ſi bien l’air de la danſe de celle qu’elle vouloit repreſenter, que le Marquis n’ayant aucun ſoupçon de l’artifice, s’y méprit abſolument.

Mademoiſelle de Roye ſentoit le plus violent dépit qu’elle eût eu de ſa vie, elle ne douta point que la Comteſſe n’eût auſſi envoyé de ſes rubans à Sanſac pour avoir le plaiſir de ſe voir preferer hautement ; dans la diſpoſition où elle eſtoit, il ne luy en faloit pas tant pour la convaincre que Sanſac & Madame de Tournon eſtoient dans une parfaite intelligence, & le trouble de ſon eſprit la fit danſer avec tant de deſordre, que perſonne ne ſoupçonna que ce fût elle.

Apres qu’elle eut fait une reveuë de tous les perſonnages de la Maſcarade, elle connut que c’eſtoit avec le frere de Madame de Tournon qu’elle avoit dansé, elle n’examina point ſi Sanſac avoit voulu la tromper en mettant quelqu’un à ſa place, ou s’il n’avoit ſongé qu’à ſe tirer d’affaire ; mais toûjours elle ſe croyoit traitée d’une maniere ſi fâcheuſe, que ſon amour propre eſtoit preſque auſſi bleſsé que ſa tendreſſe.

Si-toſt que la Maſcarade fut finie, elle ſe coula doucement vers la porte, & ſortit ſans eſtre remarquée que de Sancerre, qui avoit toûjours eu les yeux ſur elle, & qui la reconnoiſſoit aux rubans que Madame de Tournon avoit interceptez, & qu’elle luy avoit montrez. Il ſortit auſſi pour luy donner la main, & elle luy fut obligée de cette honneſteté ; elle luy dit qu’elle ne rentreroit pas, de ſorte qu’il la conduiſit juſque chez elle. Il avoit trop d’intereſt à ſçavoir ce qui ſe paſſoit dans ſon cœur à l’occaſion de Sanſac, pour ne luy en parler pas, & il faloit dans ce deſordre porter les derniers coups à ſon Rival ; il feignit d’un air miſterieux de n’eſtre point tout à fait ſurpris de ce qui eſtoit arrivé ; c’en eſtoit aſſez pour engager Mademoiſelle de Roye malgré elle à luy faire pluſieurs queſtions, auſquelles il répondit d’une maniere qui augmentoit infiniment ſa jalouſie & ſa douleur ; quoy qu’elle eut eu mille ſoupçons, elle s’accuſa en elle-meſme de s’eſtre aveuglée, & d’avoir conſervé trop de tranquillité dans le temps qu’on la trahiſſoit. Elle ne ſe laſſoit point de luy faire de nouvelles demandes, & il demeura plus long-temps avec elle qu’elle ne luy auroit permis d’y demeurer, ſi elle avoit eſté moins agitée.

Sanſac apres avoir dansé avec Madame de Tournon, qu’il prenoit toûjours pour Mademoiſelle de Roye, la mena en un coin de la Salle pour luy parler ; elle n’oſtoit point ſon Maſque qui tenoit à ſa coëfure, de ſorte qu’il ne ſe détrompoit point. Il luy dit qu’il eſtoit deſeſperé, qu’il ſçavoit que Sancerre luy avoit écrit, & avoit osé luy faire connoiſtre ſa paſſion, que cependant elle ne l’en avoit pas plus mal traité, qu’elle le voyoit avec plaiſir, & qu’enfin il ne pouvoit plus vivre ſi elle continuoit d’avoir le meſme procedé avec luy. Madame de Tournon feignant un ton embarraſsé, luy dit qu’il eſtoit difficile qu’elle rompît avec un amy de ſa Mere. Ha ! Mademoiſelle, luy dit-il, que me faites-vous envilager ? Pourquoy vous allarmer, luy dit-elle d’un ton encore plus embarraſsé qu’auparavant ? quand il ſeroit vray que Sancerre auroit d’autres ſentimens pour moy que ceux de l’eſtime & de l’amitié, vous ne devez point penſer que j’en aye d’autres pour luy. Quoy ? Mademoiſelle, reprit-il, eſt-il poſſible que vous ayez de l’eſtime & de l’amitié pour un homme qui ſe declare voſtre Amant ? je ſuis perdu ſi vous ne vous dédites de ces cruelles paroles. Je ne m’en dédiray point, luy dit Madame de Tournon, il y a de l’injuſtice à ce que vous demandez. C’en eſt trop, interrompit Sanſac, ou trompez-moy mieux, ou achevez de me détromper, je ne ſçaurois demeurer dans l’incertitude où je ſuis ; dites que vous aimez Sancerre, que vous ne ſçauriez rompre avec luy, & je ne vous importuneray plus de ma jalouſie, ny de mes reproches. Madame de Tournon ne luy répondit rien. Je vous entends, Mademoiſelle, luy dit Sanſac tranſporté de fureur, vous n’aurez plus à ſouffrir mes plaintes, mais ce ſeroit en vain que vous auriez attendu de moy de la moderation, & tant qu’il me reſtera de la vie, j’empeſcheray que mon Rival ne ſoit plus heureux que moy. Là-deſſus il la quitta bruſquement, & elle ne fit aucune démarche pour le retenir.

Madame de Tournon eſtoit dans une joye extraordinaire, jamais elle n’auroit osé eſperer un tel ſuccez, & tous ſes artifices eſtoient ſi heureux, qu’ils ne luy donnoient aucun remords. Quoy que la Maſcarade fût finie, le Bal continuoit ; Madame de Tournon apres avoir changé d’habits, rentra dans la Salle où l’on dançoit ; Sanſac y eſtoit allé pour chercher Sancerre, & pour l’obliger à ſe venir battre, mais il ne l’y trouva pas, & il entendit que Madame de Tournon diſoit que Mademoiſelle de Roye s’étoit retirée avec un grand mal de teſte. En effet, Mademoiſelle de Roye l’avoit fait dire, afin qu’on ne fût pas ſurpris de ce qu’elle ne venoit point au Bal. Comme ce Marquis ne voyoit point Sancerre, il penſa qu’il pouvoit l’avoir ſuivie, & il ne luy fut pas poſſible de ne point chercher à s’en éclaircir. Il alla chez Mademoiſelle de Roye, ſur le pretexte de demander des nouvelles de ſa ſanté ; & ayant ſçeu par les gens de Sancerre qu’il y eſtoit, il demanda à la voir, pour luy faire mal-gré ſa promeſſe tous les reproches qu’il croyoit qu’elle meritoit ; mais la colere où eſtoit Mademoiſelle de Roye l’empeſcha de le recevoir, elle luy envoya dire qu’elle ne pouvoit parler à cauſe de ſon mal de teſte, dans le meſme moment elle renvoya Sancerre ; mais comme il comprenoit que Sanſac avoit remarqué ſes gens, & qu’il jugea que peut-eſtre ce Rival auroit la curioſité de ſçavoir s’il ſeroit long-temps avec Mademoiſelle de Roye, il demeura dans l’Anti-chambre avec celle de ſes Femmes que Madame de Tournon avoit gagnée, ſans que Mademoiſelle de Roye ſçeût qu’il y eſtoit, & ſans qu’elle y ſongeaſt.

Sanſac l’attendoit ſur ſon paſſage, agité de tout ce que la rage a de plus affreux ; il vit venir le Comte d’Amboiſe, & dans le trouble où il eſtoit, il ne put ſe deffendre de luy parler. D’Amboiſe ayant eſté obligé de ſe trouver à Reims pour le Sacre de Charles Neuf, avoit entendu dire que Mademoiſelle de Roye ſe portoit mal, & s’eſtoit trouvé encore aſſez ſenſible à ce qui la regardoit pour venir avec empreſſement s’informer de ſa ſanté. Vous voyez un homme deſeſperé, luy dit Sanſac ſi-toſt qu’il l’apperceut, vous m’avez plongé dans l’abiſme où je ſuis, & vous vous en eſtes retiré ; vous m’avez cedé une perſonne qui fait tout le mal heur de mes jours, elle aime Sancerre, il eſt preſentement avec elle, & elle refuſe de me voir. Je n’ay rien à vous répondre, luy dit Monſieur d’Amboiſe, j’ay oublié Mademoiſelle de Roye en vous la cedant ; là-deſſus il vit ſortir le Comte de Sancerre de chez elle, & il quitta Sanſac bruſquement, de peur que ſon air ne démentît les paroles qu’il venoit de luy dire.

Dans quelle bizarre jalouſie ce Comte entra-t-il alors ? il luy ſembla que Mademoiſelle de Roye luy faiſoit une ſeconde infidelite, elle avoit eſté forcée par ſon inclination à aimer Sanſac ; d’Amboiſe commençoit à croire qu’elle aimeroit toûjours celuy qu’elle luy avoit d’abord preferé, & cela avoit en quelque ſorte aſſoupy la premiere ardeur de ſes ſentimens ; mais ce changement le réveilla, luy redonna des deſirs du dépit & de l’emportement. Il penſoit qu’elle pouvoit eſtre inconſtante, & il l’eſtimoit moins, mais il en avoit une nouvelle vivacité ; il ſe ſentoit preſt à ſe vanger de celuy qui luy enlevoit un bien qu’il avoit crû perdu pour luy, mais il trouvoit qu’il y avoit une ſorte d’amour à ſe vanger, qui ne convenoit point à un homme qui n’avoit jamais eſté aimé ; il avoit honte d’eſtre encore tourmenté par les démélez de Sanſac & de Sancerre, pour Mademoiſelle de Roye, & il retourna à la Campagne dés le meſme moment.

Sanſac ayant marqué à Sancerre que ſon deſſein eſtoit de ſe battre contre luy, ils allerent aſſez loin du lieu où ils ſe trouvoient, de peur d'eſtre détournez ils le battirent avec une égale impetuoſité, & ils auroient terminé leur querelle par la fin de leur vie, ſi leurs gens à qui ils avoient deffendu de les ſuivre, ne ſe fuſſent doutez de leur intention, & n’en euſſent averty quelques-uns de leurs amis qui les trouverent, & qui les ſeparerent.

Mademoiſelle de Roye fut quelques jours ſans ſortir de la chambre, ſur le pretexte de ſon mal de teſte, de ſorte qu’elle ne voyoit point Sanſac. Le combat de ce Marquis avec Sancerre faiſoit beaucoup de bruit à la Cour, mais on n’en diſoit point le ſujet ; Sancerre avoit de trop grandes raiſons de le cacher, tant qu’il ne ſeroit point étably auprés de Mademoiſelle de Roye. Madame de Tournon entra dans cette affaire avec Sanſac, & l’engagea au ſecret, luy diſant qu’il devoit des égards à une perſonne qu’il avoit ſi long-temps aimée, mais en effet, c’étoit pour empeſcher que Mademoiſelle de Roye n’approſondît ce démélé, ſi elle avoit ſçeu la part qu’elle y avoit. Sanſac ſuivit les conſeils de cette Comteſſe, quoy que ſa colere contre Mademoiſelle de Roye ne fût point diminuée. Cét Amant eſſayoit en vain d’étouffer ſa paſſion ; il haïſſoit Mademoiſelle de Roye, mais il ſongeoit inceſſamment à elle, & c’eſt l’oubly qui fait la guériſon.

Mademoiſelle de Roye ayant demandé à Sancerre le ſujet de ſon combat avec Sanſac, il luy dit que le Marquis l’avoit querellé ſur un pretexte aſſez leger, mais que la veritable cauſe de ſa haine pour luy, eſtoit qu’il l’avoit rencontré trop ſouvent à ſon gré chez Madame de Tournon, pour qui il ne pouvoit ſe perſuader qu’on n’eût qu’une ſimple amitié. Mademoiſelle de Roye avaloit ce poiſon ſans reſiſtance, rien ne deffendoit plus Sanſac dans ſon cœur contre ces ſortes de ſurpriſes, & elle avoit une facilité à croire toutes les choſes qu’on diſoit de luy au ſujet de Madame de Tournon, qui donnoit beaucoup d’eſperance à ſon Rival.

Madame de Tournon marquoit toûjours à Mademoiſelle de Roye la meſme amitié, mais on la recevoit avec une grande froideur ; ces deux Rivales ne ſe parloient plus du Marquis de Sanſac, & ce n’eſtoit que par leur affectation à éviter de prononcer ſon nom, qu’elles ſe faiſoient de la peine l’une à l’autre.

Le Comte de Sanſac, pere du Marquis, eſtoit Gouverneur de Touraine ; il eſtoit malade à Tours, & dans cét âge où l’on n’eſpere plus de guerir ; la ſurvivance de ſon Gouvernement fut en ce temps-là donnée à ſon fils, par le credit de Madame de Tournon ; comme il ignoroit qu’elle fût la cauſe de tous ſes déplaiſirs, il voulut bien luy avoir cette obligation ; neantmoins il falut qu’il s’éloignaſt ; il luy dit la neceſſité où il eſtoit de fuir Mademoiſelle de Roye, & cette Comteſſe ne s’oppoſa point au deſſein qu’il avoit d’aller à Tours, l’abſence devoit l’empeſcher de s’éclaircir avec Mademoiſelle de Roye, & le guérir de la paſſion.

Ce Marquis partit promptement de Reims, & peu de jours apres la Cour retourna à Paris. Madame de Tournon prit de grands ſoins de faire informer Mademoiſelle de Roye de la part qu’elle avoit euë à ce qu’on avoit fait pour Sanſac ; en eſſet, il avoit falu une perſonne qui eût du crédit ſur l’eſprit de la Reine pour l’engager à faire quelque grace à cette famille.

Mademoiſelle de Roye fut remiſe entre les mains de ſa mere, à qui elle apprit que Madame de Tournon eſtoit ſa Rivale, & l’avoit trahie. Madame de Roye eut du chagrin du changement de Sanſac ; l’engagement où beaucoup de gens ſçavoient qu’il eſtoit avec Mademoiſelle de Roye, avoit éloigné les partis & cette infidelité luy faiſoit quelque tort ; Mademoiſelle de Roye ſentoit vivement cet affront, & ne ſe conſoloit pas de n’avoir point aimé d’Amboiſe, qui avoit une ſi veritable paſſion pour elle, & dont les grandes qualitez & la conſtance devoient l’avoir arrachée à l’inclination qu’elle avoit pour Sanſac.

Le Comte de Sancerre qui eſtoit toûjours attaché à elle ſous le nom d’amy, crut que le temps eſtoit favorable pour avoüer ſa tendreſſe, mais il reſiſta à l’envie de ſe faire un mérite auprés d’elle de l’avoir toûjours cachée. Il craignit de ſe charger des chagrins qu’elle avoit eus contre Sanſac, s’il faiſoit voir qu’il avoit toûjours eſté ſon Rival, & de rendre ſuſpectes les choſes qu’il avoit dites de luy ; de ſorte qu’il feignit un commencement de paſſion, que l’occaſion de voir tous les jours une belle perſonne ſans engagement, faiſoit naiſtre.

Mademoiſelle de Roye s’eſtoit trop mal trouvée de l’amour, pour le ſuivre une ſeconde ſois ; & ſi ſon cœur pouvoit encore eſtre entraîné, ce n’eſtoit que par la reconnoiſſance du coſté de Monſieur d’Amboiſe ; elle répondit à Sancerre avec cette indifference, qu’un Amant trouve plus inſupportable que la colere. Auſſi comprit-il dés ce moment tout ce qu’il en devoit attendre ; cependant il ne ſe rebuta point, il luy parla plus d’une fois.

Son amour eſtoit las de ſe contraindre, il importunoit s’il ne pouvoit plaire ; de ſorte que Mademoiſelle de Roye fut obligée de luy marquer que s’il continuoit ces diſcours, elle ne le verroit jamais. Elle le luy dit d’un air ſi tranquille, qu’il ne douta point qu’elle n’executaſt la menace, & il en eut un ſi cruel dépit, qu’il ceſſa luy-meſme de la voir.

C’eſtoit en vain que le Comte d’Amboiſe cherchoit à la campagne un repos qu’il n’y avoit pas trouvé la premiere fois, une nouvelle raiſon de ſe guérir ne faiſoit qu’augmenter ſon mal ; le Comte de Sancerre, Mademoiſelle de Roye & Sanſac ſe preſentoient ſans ceſſe à ſon imagination, & le tourmentoient. Il retourna à Paris entraîné par ſon inquietude, & ſans ſçavoir ce qu’il y vouloit faire. D’abord il n’alla point chez Madame de Roye, & il eſtoit tout à fait reſolu à éviter la fille ; cependant s’eſtant inſormé de ce qu’elle faiſoit, il ſçeut que Sancerre avoit ceſsé de la voir, & on luy dit en meſme temps que c’étoit parce que ce Comte eſtoit devenu amoureux d’elle ; que ſa paſſion l’avoit importunée, & qu’enfin elle l’avoit en quelque ſorte banny. Comme on cache peu les choſes qui ſont indifferentes, Mademoiſelle de Roye avoit avoüé la verité à quelques amies qui luy avoient demandé pourquoy Sancerre ne la voyoit plus ; & d’Amboiſe qui cherchoit à le ſçavoir, ne pouvoit manquer d’en eſtre inſtruit ; il perdit par là toute ſorte d’ombrage du Comte de Sancerre, de l’idée duquel il avoit eſté plus importuné, que veritablement jaloux ; il penſa que Mademoiſelle de Roye avoit ſeulement voulu chagriner Sanſac, pluſtoſt que de le trahir lors qu’elle avoit refusé de le voir, apres la Maſcarade qui s’eſtoit faite à Reims, & qu’elle avoit receu Sancerre ; qu’enfin ce pourroit eſtre la ſuite de quelque querelle d’Amans qu’il n’avoit point ſçeuë, & il ne luy eſtoit que trop aisé de ramener toute ſa haine du coſté de Sanſac ; mais il apprit bien-toſt auſſi, que ce Marquis eſtoit devenu amoureux de Madame de Tournon, & cette nouvelle produiſit en luy pluſieurs mouvemens, entre leſquels il ne déméla d’abord que la curioſité de ſçavoir ce que penſoit Mademoiſelle de Roye ; il retourna chez elle avec empreſſement.

Madame de Roye le receut avec ſes honneſtetez ordinaires ; Mademoiſelle de Roye luy parut mélancolique, mais civile & pleine d’égards ; comme il y avoit du monde dans la chambre, il ne put entrer dans aucune converſation particuliere avec elle ce jourlà, mais elle ne laiſſa pas de remarquer qu’il l’aimoit encore, elle fit reflection ſur le procedé de ce Comte, & ſur celuy de Sanſac, elle oppoſoit la conſtance de l’un à la legereté de l’autre ; & quoy que des pensées ſi avantageuſes pour d’Amboiſe n’entraînaſſent point encore le cœur de Mademoiſelle de Roye, c’étoit cependant beaucoup qu’elle luy donnaſt une ſi entiere preference dans ſon eſprit.

La premiere fois qu’il la vit ſeule, il luy voulut parler de Sanſac, mais elle en évita d’abord le diſcours, par une confuſion ſecrette de luy paroître abandonnée d’un homme qu’elle luy avoit preferé ; cependant il luy fit connoiſtre qu’il n’ignoroit pas ce qu’on diſoit du changement de Sanſac, & ce fut d’une maniere qui en oſtoit en quelque façon la honte à Mademoiſelle de Roye ; elle eſtimoit aſſez ce Comte pour prendre le party de la ſincerité avec luy. Ayez le plaiſir de vous vanger de moy, luy dit-elle, je dois vous laiſſer joüir de ce triomphe ; hé bien ? il eſt vray que Sanſac me quitte pour Madame de Tournon. Eſt-il poſſible, Mademoiſelle, interrompit-il, cela peut-il eſtre ? quoy qu’on me l’ait dit, quoy que vous me le confirmiez, je connois trop l’impoſſibilité de ceſſer de vous aimer, pour le pouvoir croire. Rien n’eſt plus vray, luy dit Mademoiſelle de Roye ; mais qu’y a-t-il là qui ſoit incroyable ? on ne voit que des exemples d’inconſtance. Mademoiſelle, luy dit-il, n’en voyez-vous point d’autres ? ne connoiſſez-vous point un Amant méprisé, haï & conſtant ? Je ne le connois point méprisé ni haï, luy dit Mademoiſelle de Roye, d’un air qu’il ne luy avoit pas encore veu, je commence à faire la difference de luy au reſte des hommes ; j’étois deſtinée peut-eſtre à luy rendre juſtice un jour, & ce jour pourroit eſtre arrivé. Helas ! Mademoiſelle, luy dit-il, ne vous y trompez point, ce jour eſt encore de ceux que vous donnez à Sanſac, & c’en ſeroit le plus heureux, s’il ſçavoit goûter ſon bon-heur ; quand vous voudriez me faire ſervir à voſtre vengeance, ce ſeroit ſans ſonger à moy ; Sanſac vous eſt bien cher, puiſque ſon crime vous engage à dire des choſes flateuſes à ſon Rival. C’eſtoit ainſi que le Comte d’Amboiſe faiſoit connoiſtre à Mademoiſelle de Roye qu’elle avoit moins d’envie de luy marquer ſa reconnoiſſance, que de faire encore quelque déplaiſir à Sanſac ; neantmoins l’eſperance rentroit dans le cœur de ce Comte ; c’étoit déja un grand point, que de n’avoir plus à craindre la tendreſſe d’un Rival, & de n’avoir à combattre que celle de Mademoiſelle de Roye, qu’elle combatoit elle-meſme.

Madame de Tournon entretenoit un commerce de Lettres avec ce Marquis, inſenſiblement elle en eſtoit venuë juſqu’à luy faire comprendre, qu’elle auroit voulu le conſoler de l’infidelité de Mademoiſelle de Roye, il avoit ſaiſi cette occaſion de l’oublier, l’envie qu’il en avoit luy faiſoit quelquefois croire qu’il y avoit réüſſi, & donnoit un air d’ardeur à ſes Lettres, dont Madame de Tournon eſtoit contente. Il avoit cependant bien moins d’envie de la perſuader qu’il l’aimoit, que d’en perſuader Mademoiſelle de Roye, qu’il n’oſoit encore revoir.

La maladie du Comte de Sanſac ſon pere eſtoit une raiſon pour le retenir à Tours ; il écrivoit à ſes amis, qu’il eſtoit amoureux de cette Comteſſe, & ils ne luy parloient plus de Mademoiſelle de Roye, parce qu’il les en avoit priez ſans leur en dire la raiſon. Dans le temps que Sancerre eſtoit encore des amis de Mademoiſelle de Roye, Madame de Tournon luy avoit écrit qu’ils eſtoient dans une parfaite intelligence, & depuis perſonne ne l’en avoit deſabusé. Cette Comteſſe qui recevoit ſouvent des Lettres de Sanſac, parce qu’elle luy écrivoit tous les jours, faiſoit montrer à Mademoiſelle de Roye les plus tendres de celles qu’elle avoit de luy, comme ſi on les avoit ſurpriſes.

Mademoiſelle de Roye entroit dans une colere inconcevable lors qu’elle les voyoit, & l’inconſtance de Sanſac faiſoit plus auprés d’elle pour Monſieur d’Amboiſe, que tous les ſervices de cét Amant n’avoient pû faire. Le Comte de Sanſac mourut dans ce temps-là, & ſa mort mettoit ſon Fils en liberté d’achever ſon Mariage avec Mademoiſelle de Roye ; mais il n’en profita pas, Madame de Tournon qui n’y voyoit plus d’obſtacles que ceux qu’elle y apporteroit, redoubla ſes artifices ; elle fit dire ; par tout qu’elle épouſeroit ce Marquis ſi-toſt qu’il ſeroit de retour à Paris, où il devoit revenir dans peu pour prendre les ordres du Roy. Le deſſein de Madame de Tournon eſtoit d’engager avant cela Mademoiſelle de Roye à prendre un party. Madame de Roye ne pouvoit ſoûtenir l’affront qu’on faiſoit à ſa Fille, elle luy dit qu’il eſtoit de leur gloire de prévenir Sanſac. Mademoiſelle de Roye eſtoit encore plus irritée, & ne cherchoit qu'à ſe vanger. Le Mareſchal de Coſſé fit faire dans ce temps-là des propoſitions pour l'épouſer ; mais la diſproportion de leur âge faiſoit balancer Mademoiſelle de Roye malgré les avantages de cét eſtabliſſement. Le Comte d'Amboiſe avoit toûjours la meſme paſſion pour Mademoiſelle de Roye, mais il avoit plus d’une fois renoncé à elle. Il eſt vray que les raiſons qu’il en avoit euës ne ſubſiſtoient plus, rien ne convenoit mieux à cette belle perſonne qu’un Amant qui l’avoit toûjours tendrement aimée, & qu’elle eſtimoit plus que tous les autres hommes. Madame de Roye demanda conſeil à ce Comte comme à un amy, ſur les deſſeins du Mareſchal de Coſſé, il fut ſaiſi d’un trouble qui l’empeſcha de répondre. Je vois avec ſurpriſe, luy dit-elle, que ce qui regarde ma Fille ne vous eſt pas encore indiſſerent, cependant tout ce que vous avez déja fait me donnoit lieu de croire que vous la verriez ſans peine en épouſer un autre ; vous ſçavez que je vous l’avois deſtinée, & que je vous euſſe preferé à tous les hommes, ſi vous aviez voulu profiter de mes ſentimens. Je n’ay rien à vous répondre, Madame, luy dit-il, vous ne ſçauriez ignorer les diſpoſitions où je ſeray toute ma vie pour Mademoiſelle de Roye, je ne m’aſſeure point qu’il y ait moins d’obſtacles pour moy dans ſon cœur, mais je m’en flate, & il n’en ſaut pas tant pour rendre ma paſſion extraordinaire ; ſi vous y aviez quelque égard, vous ſouffririez que je conſultaſſe Mademoiſelle de Roye pour la derniere fois. Hé bien ! conſultez-la, luy dit cette Comteſſe, j’ay pour vous la meſme conſideration que j’ay toûjours euë.

La conjoncture eſtoit delicate pour le Comte d’Amboiſe, il s’eſtoit déja engagé deux fois avec Mademoiſelle de Roye, une troiſiéme devoit le faire trembler, mais la concurrence du Mareſchal de Coſſé le déterminoit à épouſer Mademoiſelle de Roye pour la luy oſter ; il alla ſe jetter aux pieds de cette belle perſonne. Mademoiſelle, luy dit-il, vous voyez le plus amoureux de tous les hommes, vous ſçavez que vos rigueurs ne m’ont point empeſché de l’eſtre, & que n’ont point fait vos honneſtetez ? j’aurois dû malgré elles eſtre ſeur que vous ne m’aimerez jamais, & cependant elles m’ont fait eſperer, ou elles m’ont tenu lieu de bon-heur, tant que vous n’avez eſté à perſonne ; mais vous ne ſçauriez plus éviter d’eſtre à quelqu’un, & je crains que vous n’en trembliez. Ce ne ſerõt point les engagemens qui me feront peur, luy dit Mademoiſelle de Roye, ce ne pourroient eſtre que les gens avec qui je ſerois obligée à m’engager. Hé ! Mademoiſelle, luy dit-il, eſtes-vous en eſtat de faire des differences ? j’apprehende que quelque fâcheux ſouvenir ne vous rende toûjours le choix d’un Mary deſ-agreable, ou du moins indifferent ; tout vous ſera égal. Mais, adjoûta-t-il, pourquoy vous preſſer de vous declarer ? vos bontez ne me donnent point aſſez de hardieſſe pour me faire croire que ſi vous eſtiez capables de diſtinctions elles fuſſent en ma faveur ; vous m’avez trop accoûtumé à eſtre mal-heureux, pour me laiſſer prendre des eſperances.

Vous m’offenſez, luy dit-elle, par ces ſouvenirs que vous voulez que j’aye, cependant je veux bien vous répondre precisément ſur le reſte ; vous avez d’ailleurs aſſez merité que je m’expliquaſſe avec vous ſans détour ; & puiſque je ne ſçaurois me diſpenſer d’entrer dans quelque liaiſon, je ſerois fâchée que ce ne fût pas avec vous. Quelles paroles pour Monſieur d’Amboiſe ? pouvoit-il faire des reflections contraires à ſon bon-heur ? Il pria Madame de Roye de le preferer au Mareſchal de Coſſé ; & comme elle y avoit beaucoup de penchant, ſon Mariage fut une troiſiéme fois reſolu. Il ſembla alors à cét Amant, qu’il n’avoit plus rien à redouter, & qu’il eſtoit au deſſus de tous ſes mal-heurs. Plus de Rival. Plus d’obſtacles. Il alloit eſtre uny pour jamais à une perſonne qu’il avoit long-temps aimée, & dont il croyoit enfin eſtre aimé. Son mal-heur avoit tant duré, qu’il ne vouloit plus retarder ſon bon-heur ; il ſupplia Madame de Roye de ne point faire differer la Ceremonie de ſes Nopces. Mademoiſelle de Roye, qui par eſtime pour Monſieur d’Amboiſe, & par un ſecret dépit contre Sanſac, s’eſtoit reſoluë à ce mariage, n’eut pas de peine à conſentir qu’il fût achevé promptement ; & il le fut à deux jours de là.

Quand il avoit eſté arreſté, les amis de Sanſac le luy avoient écrit, non pas comme une choſe qui l’interreſſaſt, mais comme une nouvelle. Quel coup de foudre pour luy ? & quels ſentimens ſe réveillerent dans ſon cœur ? Il ſentit que le dépit, le temps, & l’abſence, n’avoient fait que les aſſoupir, & qu’ils ne les avoient point affoiblis. Il ne concevoit pas qu’elle eût aimé Sancerre, & qu’elle épouſaſt ſi-toſt d’Amboiſe, & cette reflection le portoit inſenſiblement à douter qu’elle eût aimé ce premier ; cependant il penſoit qu’elle luy en avoit fait l’aveu par ſon ſilence ; il avoit veu ſortir Sancerre de chez elle, on luy en avoit refusé l’entrée ; & quoy que toutes ces circonſtances rappellées dans ſa memoire, le fiſſent encore fremir, il ſe diſoit que ce n’eſtoit point des certitudes, que peut-eſtre quelque choſe qu’il ignoroit avoit donné lieu à ces irregularitez ; il redonnoit du prix à Mademoiſelle de Roye dans ſon imagination, à meſure qu’il craignoit de la perdre ; tout ce qui pouvoit la juſtifier luy venoit dans la pensée, comme tout ce qui pouvoit la rendre coupable, s’y eſtoit autrefois preſenté ; la bizarrerie d’épouſer d’Amboiſe dans le temps qu’elle devoit épouſer Sancerre, ſi elle l’eût aimé, le mettoit hors de meſure, & luy faiſoit croire tout poſſible, juſqu’à n’avoir point eſté trahy. Il s’accuſoit déja d’avoir peut-eſtre donné trop toſt de la jalouſie à Mademoiſelle de Roye par Madame de Tournon. D’Amboiſe qu’il avoit toûjours veu ſi éloigné d’eſtre aimé de Mademoiſelle de Roye, ne luy paroiſſoit point avoir dû s’emparer avec tant de promptitude d’un cœur qui s’eſtoit toûjours reſusé à luy : cependant dans quelques momens il penſoit que la meſme inconſtance qui l’avoit portée à aimer Sancerre, pouvoit l’avoir portée auſſi à aimer d’Amboiſe, mais cette idée luy ſemblait ſi cruelle, qu’il la rejettoit d’abord ; enfin il ne déméloit plus rien, ſinon qu’il ne pouvoit ſouffrir que quelqu’un fût heureux en épouſant Mademoiſelle de Roye. Il ne croyoit point que ſon Mariage ſe deuſt faire avec tant de precipitation, & il eſpera d’y mettre encore des obſtacles, neantmoins il ne pouvoit retourner à Paris comme il l’auroit ſouhaité, parce que les Huguenots avec qui on avoit fait un Traité de Paix l’avoient rompu, & s’eſtoient emparés de pluſieurs Villes, ils avoient meſme des Troupes proche de Tours, de ſorte qu’il ne luy eſtoit pas poſſible de quitter ſon Gouvernement ; mais il ne voulut point differer de faire ſçavoir à Mademoiſelle de Roye l’eſtat où ſon Mariage l’alloit reduire, quoy qu’il ignoraſt les diſpoſitions où elle eſtoit pour luy. Il alla chez Mademoiſelle de Sanſac ſa ſœur, qui n’eſtoit qu’à deux lieuës de là, il luy apprit ce Mariage qu’il ſçavoit bien qui la devoit toucher autant que luy, il la conjura de partir ſur le champ, de donner à Mademoiſelle de Roye une Lettre qu’il luy écrivoit, & de mettre en uſage tout ce qui pouvoit l’empeſcher d’épouſer le Comte d’Amboiſe.

La paſſion de Mademoiſelle de Sanſac eſtoit de celles que rien ne peut guerir, elle fut ſaiſie d’étonnement & de douleur ; & quoy qu’elle eſſayaſt de cacher ces mouvemens, elle aſſeura ſon frere qu’il pouvoit ſe repoſer ſur elle du ſoin de cette affaire, dont elle viendroit infailliblement à bout ſi quelqu’un y pouvoit réüſſir, & qu’elle n’oublieroit rien pour le ſervir. Il retourna à Tours apres cette aſſeurance, & elle ne ſongea plus qu’aux moyens de luy tenir parole.

Elle ne balança point à choiſir les voyes les plus promptes, & qui luy parurent les plus-ſeures, il luy ſembla que ce ſeroit en vain que Mademoiſelle de Roye ſeroit perſuadée de la tendreſſe de Sanſac, & que quand elle rentreroit dans ſes premiers ſentimens pour luy, ils ſeroient inutiles, parce que ſa timidité l’emporteroit toûjours ſur ſon inclination, & qu’enfin il ſeroit plus aisé de jetter dans l’eſprit de d’Amboiſe des ſcrupules qui l’obligeaſſent à prendre le party qu’il avoit pris plus d’une fois, que d’entreprendre aucune autre choſe pour rompre ſon Mariage ; qu’apres tout, ce ne luy ſeroit pas un malheur de n’épouſer point une perſonne qui avoit eſté ſi long-temps prévenuë pour Sanſac ; qu’il n’y avoit preſque pas lieu de douter que ſa tendreſſe ne ſe réveillaſt, lors qu’elle le verroit revenir à elle.

Mademoiſelle de Sanſac écrivit à Monſieur d’Amboiſe, & elle luy envoya la Lettre que Sanſac écrivoit à Mademoiſelle de Roye ; elle déguiſa ſon écriture, afin qu’on ne ſçeût pas que ces Lettres vinſſent de ſa part, & elle partit quelques momens apres pour apprendre l’effet qu’elles auroient produit. D’Amboiſe les receut le lendemain de ſon Mariage, & lors qu’il croyoit que ſa felicité ne ſeroit jamais troublée ; il ouvrit celle de Mademoiſelle de Sanſac, dont il ne connut point le caractere, & qui eſtoit conceuë en ces termes.

LETTRE.

Ie n’ignore point votre delicateſſe ; puiſque vous épouſez Mademoiſelle de Roye, vous croyez eſtre Maître de ſon cœur ; je vous donne un moyen de vous en aſſeurer, voicy une Lettre que Sanſac luy écrit, puisqu’il l’aime encore, il peut en eſtre encore aimé, conſultez-la ſur cette Lettre ; ſi elle la reçoit avec indifference, vous n’en aurez que plus de repos dans voſtre Mariage ; & ſi vous vous appercevez que ſa paſſion ne ſoit pas éteinte, vous pourrez éviter un engagement qui ne feroit jamais voſtre bon-heur.

Il leut en ſuite celle de Sanſac dont il connoiſſoit l’écriture, & il y trouva ces paroles.

À MADEMOISELLE DE ROYE.

On m’apprend que vous allez épouſer Monſieur d’Amboise, & cette nouvelle fait une impreſſion ſi vive ſur moy, que je ne sçaurois m’empeſcher de vous écrire, mal-gré tous les ſujets que j’ay de me plaindre de vous. Ie ne ſuis pas en estat de vous faire des reproches ; je vous aime, & je vous perds, c’est à moy de me juſtifier, & de vous demander grace ; j’ay feint d’aimer Madame de Tournon ; j’ay voulu me guerir ou pluſtoſt me vanger, mais je n’ay fait qu’entretenir ma paßion par cette eſperance. Peut-eſtre außi que ma conduite vous a déplû. Peut-eſtre a-t elle precipité la reſolution que vous prenez. Helas ! je me flate, je ſerois encore trop heureux d’avoir part aux raiſons de voſtre Mariage, tout funeſte qu’il est pour moy. Non, vous aimez d’Amboiſe comme vous en avez aimé un autre. Ie vous demande pardon ſi je vous offenſe ; je ſouhaite de vous offenſer, faites ceſſer ce reproche s’il vous eſt trop ſenſibles ; faites revivre cette inclination dont vous m’aviez flaté, & qui devoit durer toujours. Quoy ? vous la portez à d’Amboiſe, apres que voſtre cœur m’avoit diſtingué de luy d’une maniere ſi obligeante ; je m’oppoſe à voſtre Mariage, par le droit que m’ont donné ſur vous vos premiers ſentimens ; & s’il vous en reſte quelque choſe, je vous aime aſſez, pour pouvoir pretendre de les rappeller tous. Vous croyiez autrefois que nous eſtions nez l’un pour l’autre ; pourquoy nous ſeparer, quand je vous aime encore ? Ha ! quittez la pensée d’entrer dans un nouvel engagement, ſinon, craignez la fureur d’un Amant qui perdra tout, pluſtoſt que de perdre un bien qu’il a merité par ſa tendreſſe & par la voſtre.

Quel effet produiſit la lecture de ces Lettres dans le cœur de Monſieur d’Amboiſe ? il ſe voyoit contraint de douter s’il eſtoit aimé, dans le temps qu’il eſtoit poſſeſſeur de la perſonne qu’il aimoit. Quelle horreur ſe preſentoit à ſon eſprit ? il demeuroit accablé de cette idée, & ſon Mariage eſtoit encore le plus funeſte de tous ſes maux. Tant qu’il n’avoit eſté qu’Amant, l’entiere aſſeurance de n’eſtre pas aimé luy avoit paru moins cruelle, que l’incertitude où il ſe voyoit alors reduit ; comme il n’avoit jamais aimé ſi vivement, jamais il n’avoit eſté ſi ſenſible aux atteintes de la jalouſie ; eſtre au comble de ſes vœux, & voir renverſer tout ſon bonheur par des pensées inſupportables, par des doutes dont il ne pouvoit s’éclaircir, ne pouvoir abandonner ny haïr la Comteſſe d’Amboiſe, ny l’aimer, eſtoit l’eſtat où il ſe trouvoit, & auquel il n’y avoit point de remede.

La Comteſſe d’Amboiſe s’apperceut de ſa froideur & de ſon chagrin ; elle luy en demanda la cauſe d’une maniere qui devoit le raſſeurer, mais ſes amitiez luy devenoient ſuſpectes, ou pluſtoſt il luy ſembloit qu’il n’en joüiſſoit que par ſurpriſe ; il fut pluſieurs fois ſur le point de luy montrer la Lettre de Sanſac, pour n’avoir plus à douter du mal-heur qu’il apprehendoit, & pour ſe faire s’il ſe pouvoit là-deſſus un triſte repos ; mais il ſe retint autant de fois, & il ſentit qu’il avoit encore à en craindre la certitude ; il ne répondit à cette Comteſſe que des choſes qui ne la ſatisfaiſoient pas, & qui la mettoient dans une inquietude extraordinaire.

Lors que Mademoiſelle de Sanſac fût arrivée à Paris, elle apprit que Mõſieur d’Amboiſe eſtoit marié avec Mademoiſelle de Roye ; elle comprit tout le deſordre que les Lettres qu’elle avoit envoyées avoient dû faire, & le chagrin de ſon imprudence joint à celuy qu’elle avoit de ce Mariage, luy fit prendre dés ce meſme jour le party de ſe mettre dans un Convent, tant pour éviter les reproches de ſon frere, que pour ſe faire une vertu capable de ſurmonter la paſſion qu’elle avoit dans le cœur ; elle écrivit cependant au Marquis de Sanſac avant que d’y entrer, elle luy apprenoit que Mademoiſelle de Roye eſtoit mariée ; elle luy avoüoit auſſi que croyant le ſervir, & ignorant que le Comte d’Amboiſe fût déja hors d’état de profiter des avis qu’on luy donnoit, elle luy avoit envoyé la Lettre qu’il écrivoit à Mademoiſelle de Roye, avec un Billet d’un caractere inconnu, qui pouvoit le porter à rompre encore luy-meſme ſon mariage ; enfin elle prioit ce Marquis de la laiſſer en repos, & de ne luy parler jamais de cette faute, qu’elle alloit expier toute ſa vie.

Sanſac ne receut point cette Lettre à Tours, parce que les Troupes du Prince de Condé qui avoient eu deſſein de ſurprendre la Ville, en ayant eſté empeſchées par la vigilance du Gouverneur, s’eſtoient jettées dans Orleans, & luy donnoient lieu de revenir à Paris. Il apprit en arrivant que Mademoiſelle de Roye eſtoit mariée, & il en eut autant de ſurpriſe que de douleur ; quoy qu’il eût craint ce Mariage, il n’avoit pû ſe perſuader qu’il ſe feroit ; meſme ſes reflections n’avoient fait qu’attendrir ſon cœur, & le rendre plus capable de ſentir cette perte ; bien loin de le preparer à la ſupporter, il s’abandonna à tout ce que le deſeſpoir a de plus affreux ; mais il ne fut pas long-temps dans cette peine, d’Amboiſe eſtoit deſtiné à mourir de chagrin au milieu de ſon bonheur, & on apprit bientoſt le peril ou eſtoit ce Comte.

Monſieur d’Amboiſe n’avoit pû ſoûtenir les diverſes agitations de ſon eſprit, la fiévre luy prit avec une violence ſi extraordinaire, que dés les premiers jours ſa vie fut en danger ; la Comteſſe d’Amboiſe eſtoit inceſſamment auprés de luy, fondant en larmes ; l’affliction qu’elle luy faiſoit paroiſtre, & les ſoins qu’elle prenoit pour ſa conſervation, le touchoient ſenſiblement, mais ils le deſeſperoient quand il ſongeoit qu’il n’oſoit les prendre pour des marques d’amour ; cependant il ne pouvoit ſe deffendre d’en avoir de la reconnoiſſance, il voyoit que Madame d’Amboiſe eſtoit digne d’une eſtime infinie, & que s’il n’avoit pû toucher ſon cœur, il faloit en mourir ſans ſe plaindre d’elle ; il ſentit qu’il n’avoit que peu de jours à vivre, & il reſolut de ne luy parler point des Lettres qui luy donnoient la mort, de peur de luy marquer de la jalouſie, & de luy oſter peut-eſtre par là la liberté de ſuivre ſon inclination quand il ne ſeroit plus. Cét effort de generoſité luy coûtoit neantmoins encore, ſes ſentimens n’étoient pas aſſez affoiblis pour ne point s’oppoſer à une reſolution qui leur eſtoit ſi contraire, & ſes delires découvroient quelquefois ce qu’il vouloit cacher.

Madame d’Amboiſe qui cherchoit à penetrer la cauſe de ſon affliction & de ſa maladie, déméla enfin que la jalouſie le tourmentoit. L’eſtime & l’amitié qu’elle avoit pour ſon Mary, ce qu’elle ſe devoit à elle meſme, ne luy permettoient pas de le laiſſer vivre ou mourir avec des pensées ſi deſavantageuſes pour elle ; elle ſe jetta plus d’une fois à ſes pieds, luy diſant que le mépris qu’il luy faiſoit paroiſtre en la privant de ſa confiance, luy eſtoit inſupportable. Madame, luy dit-il, que cherchez-vous à ſçavoir ? croyez que la tendreſſe que j’ay pour vous eſt la cauſe du ſecret que je vous fais. Vous ne ſçauriez m’entendre, adjoûta-t-il en ſoûpirant, & je perds tout le plaiſir que j’aurois à me faire un merite auprés de vous de ce dernier Sacrifice, mais c’eſt pour vous laiſſer plus de repos & de tranquillité.

Ces paroles augmentoient encore l’inquietude de Madame d’Amboiſe, & luy faiſoient redoubler ſes inſtances, tant qu’enfin la mort de ce Comte n’eſtant plus incertaine, & les Medecins l’ayant annoncée à ſa femme, la douleur extraordinaire qu’elle luy faiſoit paroiſtre juſques-là, & la maniere dont elle le preſſoit, eut le pouvoir de luy arracher ce qu’il avoit gardé juſques-là. On croit que voſtre mal redouble, luy dit-elle en l’embraſſant, ſans doute voſtre inquietude y contribuë. Je ne vous parle point de la mienne, vous m’avez découvert mal-gré vous, une partie de ce que vous pretendiez me cacher ; je ſçais que vous avez des pensées injuſtes de moy, vous ne voulez pas me donner lieu de me juſtifier & vous negligez d’eſtre content d’une perſonne que vous n’aimez plus ; j’ay avec la crainte de vous perdre, la certitude d’avoir déja perdu voſtre amitié ; mais je vous l’ay dit, je ne pretens point vous toucher par mes douleurs. Il ne s’agit icy que de vous-meſme, plaignez-vous de moy pour vous ſoulager, & vous éclairciſſez pour vous mettre plus en repos. Peut-eſtre ne me trouverez-vous pas coupable, ſi vous me faites parler. Hé bien ! Madame, luy dit Monſieur d’Amboiſe, puiſque mes reſveries ont commencé à me trahir, & vous ont chagrinée, il faut vous apprendre tout, & reparer ce qu’elles ont fait. Liſez ces Lettres, luy dit-il en luy preſentant celles qu’il avoit receuës, voila ce qui cauſe mes maux, je n’ay pû vivre & douter que je fuſſe aimé de vous, je meurs pour vous laiſſer à un autre qui ne vous aimera jamais comme moy, mais avec qui vous ſerez plus heureuſe, parce que vous l’aimerez davantage.

Madame d’Amboiſe trembla de l’imprudence ou de la malice de ceux qui avoient envoyé la Lettre d’avis à ſon Mary ; elle ne les devinoit point, & elle eſtoit ſi occupée de le voir mourant pour elle, que meſme dans ce moment la Lettre de Sanſac ne fit aucune impreſſion ſur ſon eſprit ; Monſieur d’Amboiſe qui eſtoit appliqué mal gré luy à examiner les mouvemens de ſon viſage, ne la vit point changer de couleur. Hé bien ! luy dit-elle, Monſieur, vous avez donc crû que je ne pourrois recevoir une Lettre de Sanſac, ſans reprendre pour luy des ſentimens qui vous fuſſent deſ-agreables ; je voudrois qu’on me l’eût donnée, je vous l’aurois remiſe entre les mains comme je l’y remets preſentement. Ha ! s’il eſt vray, Madame, luy dit-il avec un tranſport qui abregea encore ſes jours, faut-il mourir ? Quoy ! vous auriez oublié Sanſac, adjoûta-t-il avec des yeux où l’amour n’eſtoit pas éteint ? Je ſuis honteuſe, luy dit-elle, d’avoir à vous en donner de nouvelles aſſeurances, mais j’en ſeray contente ſi elles peuvent vous tirer de l’eſtat où vous eſtes. Non, Madame, luy dit-il, je meurs avec autant de ſatisfaction que de regret ; mais enfin vos premiers ſentimens ont eſté pour Sanſac, je ne ſuis point injuſte ny Tyran, c’eſt beaucoup pour moy que d’avoir pû les éteindre un moment durant ma vie, ils ſe rallumeront apres ma mort ; je n’en murmure pas, ne leur oppoſez point ma memoire, vous ſçavez que tant que je l’ay pû, j’ay preferé voſtre bonheur au mien, & j’enviſage avec quelque ſorte de joye que vous ſerez parfaitement heureuſe, ſans que j’en ſois malheureux. À peine eut-il achevé ces parolles, qu’il s’évanoüit ; on mena la Comteſſe d’Amboiſe hors de la chambre, mal-gré ſes pleurs & ſes cris. Madame de Roye qui n’étoit guére moins affligée de l’eſtat où elle voyoit ce Comte, taſchoit neantmoins à la conſoler autant qu’il luy eſtoit poſſible.

Monſieur d’Amboiſe revint de ſon évanoüiſſement, il fit prier ſa femme de ne plus entrer dans ſa chambre, afin qu’elle s’épargnaſt un ſpectacle affligeant, & parce que ſa veuë luy faiſoit quitter la vie avec trop de regret ; il mourut le lendemain.

Madame de Roye mena la Comteſſe d’Amboiſe dans un Convent, où elle demeura quinze jours, & en ſuite elles allerent enſemble à la campagne. L’affliction de cette veuve ne ſe moderoit point, il luy ſembla qu’elle ne conſoleroit jamais de la mort de ſon Mary ; elle connut tout le prix de l’affection qu’il luy avoit portée, & combien ſon cœur & ſon merite eſtoient au deſſus de celuy des autres hommes ; elle alloit juſqu’à l’admiration pour luy, & elle eſtoit bien éloignée de ſoupçonner qu’elle pût jamais avoir de ſentimens plus vifs pour quelqu’un ; elle ne croyoit meſme point en avoir eu d’auſſi vifs, elle évitoit de penſer à la Lettre du Marquis de Sanſac, il luy ſembloit que c’eſtoit par indifference, mais elle ſongeoit inceſſamment à la generoſité qu’avoit euë ſon Mary, de conſentir en mourant qu’elle l’épouſaſt, quoy qu’elle n’euſt pas deſſein d’en profiter.

Sanſac avoit repris des eſperances par la mort de Monſieur d’Amboiſe, mais il comprit qu’il ſeroit quelque temps ſans oſer voir la veuve, & il alla à Tours lors qu’elle partit pour la campagne, où elle demeura trois mois ſans recevoir perſonne ; cependant ſes affaires l’obligerent de retourner à Paris, & il y revint auſſi dés le moment qu’il le ſçeut ; quoy qu’il n’oſaſt aller chez elle, il cherchoit les promenades ſolitaires dans la veuë de l’y rencontrer. En effet, il ne fut pas long-temps ſans avoir ce plaiſir, ny meſme ſans ſe faire remarquer. La Comteſſe d’Amboiſe ſe ſentit émeuë la premiere fois qu’elle le revit, il luy ſembla que la preſence d’un homme qui l’avoit offensée pouvoit luy cauſer ce trouble ; comme elle eſtoit avec une Dame de ſes parentes à qui elle ne vouloit point faire connoiſtre qu’elle avoit remarqué Sanſac, elle fut contrainte de continuer ſon chemin. Sanſac la ſuivoit toûjours, & enfin elle retourna le pluſtoſt qu’il luy fut poſſible.

Lors qu’elle fut revenuë chez elle, elle entra dans ſon Cabinet, & elle ne pût s’empêcher de lire la Lettre que Monſieur d’Amboiſe luy avoit donnée de ce Marquis, & qu’elle avoit gardée ; elle la trouva pleine de paſſion, & elle la releut encore, en ſuite elle entra dans une profonde reſverie, dans laquelle elle ne vouloit point diſtinguer ſes propres pensées.

Quelques jours apres Monſieur de Sanſac ayant gagné quelques-uns de ſes gens, pour ſçavoir de quel coſté elle devoit ſe promener, la devança, parce qu’elle ne vint que tard ; & lors qu’il la rencontra, il la ſalüa d’une maniere triſte & reſpectueuſe, qui luy donna encore plus d’émotion que la premiere fois. Elle eſtoit deſcenduë de ſon Carroſſe pour prendre l’air ; mais apres avoir ſalüé ce Marquis, elle y remonta avec precipitation ; cependant à peine eut-elle fait quelques pas, que ſon Carroſſe rompit ; il eſtoit tard, elle eſtoit aſſez loin de Paris, & elle ſe trouva dans un tres-grand embarras.

Monſieur de Sanſac qui vit de loin le deſordre qui eſtoit arrivé à ſon équipage, s’approcha ; & n’oſant parler à Madame d’Amboiſe, il pria une des Femmes qui accompagnoient cette Comteſſe, de luy offrir de ſa part ſon Carroſſe pour la remener. Madame d’Amboiſe ne put ſe diſpenſer de répondre à cette honneſteté, elle le remercia, & elle luy dit qu’on alloit chercher des gens pour raccommoder ſon Carroſſe. En effet, elle y envoya à l’heure meſme ; il luy dit qu’il eſtoit bien mal-heureux d’eſtre refusé dans une occaſion où il eſtoit preſque impoſſible de ne pas accepter le party qu’il propoſoit ; que le Carroſſe de Madame d’Amboiſe ne pouvoit eſtre en eſtat d’aller que la nuit ne fût fort avancée ; qu’il alloit attendre le retour de ceux qu’elle envoyoit, & que peut-eſtre la neceſſité vaincroit la repugnance qu’elle avoit à luy faire une grace. Madame d’Amboiſe taſcha à luy répondre ſans incivilité, mais ſans luy promettre auſſi qu’elle ſe ſerviroit de ſon ſecours ; inſenſiblement ils entrerent en converſation, Monſieur de Sanſac trouva l’art de la faire durer, en diſant à Madame d’Amboiſe des choſes qui l’obligeoient à répondre ; les gens qu’on eſtoit allé querir pour raccommoder le Carroſſe arriverent, & dirent qu’il eſtoit impoſſible qu’on le menaſt à Paris ce jour-là.

Madame d’Amboiſe eſtoit dans une furieuſe inquietude, la nuit eſtoit commencée ; Sanſac offroit de luy donner ſon Carroſſe, & d’attendre en ce lieu qu’il fût de retour. Il y auroit eu de la mal-honneſteté à l’y laiſſer, elle avoit cependant de la peine à ſe reſoudre de ſe mettre dans le meſme Carroſſe, avec un homme qui l’avoit aimée, & qu’elle craignit qui ne luy fût pas encore indifferent. À la ſin la neceſſité l’obligea de le prier de la mener juſqu’aux premieres maiſons, en attendant qu’elle envoyaſt querir un Carroſſe à Paris. Comme ces maiſons eſtoient tres-éloignées, elle ne pouvoit avec bien-séance le laiſſer dans la campagne, & il trouvoit trop de plaisir à accompagner Madame d’Amboiſe pour s’en deffendre un moment ; de ſorte qu’il la mena avec deux de ſes femmes juſqu’au village prochain. Quel charme pour luy de ſe retrouver avec elle ? il n’oſoit luy dire que des choſes indifferentes, mais il luy parloit, il la voyoit, & il eſperoit que cette rencontre ne ſeroit pas ſans ſuites ; meſme l’air de miſtere qui ſe trouvoit par hazard dans cette avanture, luy donnoit beaucoup de plaiſir.

Les raiſons qui faiſoient la joye de cét Amant, allarmoient la ſeverité de Madame d’Amboiſe ; elle eſtoit ſi agitée de ſes pensées differentes, qu’elle ne parla qu’en deſordre. Ce Marquis qui s’en apperceut, n’en tiroit pas un méchant augure ; cependant il n’oſa luy demander la permiſſion de la voir plus long-temps, apres qu’il l’eût miſe où elle ſouhaitoit d’aller, mais il demeura aux environs de la maiſon juſqu’à ce qu’elle en fût partie.

Le lendemain il luy écrivit, pour luy demander une heure d’audience, avant qu’il allaſt à Chartres où le Roy l’envoyoit avec un renfort de quatre mille hommes, qui devoient ſe jetter dans la Ville, que les Huguenots avoient aſſiegée.

Cette Comteſſe fut embarraſſée de la conduite qu’elle devoit tenir dans cette occaſion ; toute la nuit elle avoit eſté occupée de la rencontre qu’elle avoit faite, Sanſac luy avoit paru plus amoureux que jamais, mais elle n’oſoit le trouver auſſi aimable ; cependant il eſtoit preſque juſtifié dans ſon eſprit, au ſujet de Madame de Tournon, par ſa Lettre qu’elle avoit releuë pluſieurs fois. Monſieur d’Amboiſe bien loin de craindre qu’elle ne l’épouſaſt, le luy avoit en quelque ſorte ordonné en mourant, touteſois il luy ſembloit que ce n’eſtoit point aſſez pour l’épouſer, mais que c’eſtoit aſſez pour le voir ſans ſcrupule ; qu’il faloit qu’elle luy parlaſt, & qu’elle ſçeût qui avoit envoyé à Monſieur d’Amboiſe les Lettres qui avoient causé tant de deſordres ; qu’enfin elle devoit apprendre à Sanſac la reſolution qu’elle avoit faite de demeurer veuve ; dans cette pensée elle luy fit dire qu’il pouvoit la voir.

Avec quelle joye revint-il chez elle, & ſe retrouva-t-il en liberté de luy parler de ſes ſentimens ? Il luy ſembla que ſa beauté eſtoit encore augmentée ; ſes habits de deüil, & l’émotion qui paroiſſoit ſur ſon viſage, luy donnoient mille charmes. Il ſe jetta à ſes pieds, ſans pouvoir prononcer une ſeule parolle, & ſans ſonger meſme à ce qu’il faiſoit.

Madame d’Amboiſe l’obligea de ſe relever, avec un ſerieux qui le glaça de crainte ; il prit un ſiege comme elle le luy ordonnoit, & il fut longtemps ſans oſer lever les yeux ſur elle ; ce reſpect la toucha plus que le tranſport de ſon amour n’avoit fait.

J’ay eu la hardieſſe de demander à vous voir, Madame, luy dit-il, ſans preſque la regarder, mais j’en ſuis aſſez puny, & voſtre air m’annonce des malheurs que j’avois évité de prévoir. Madame d’Amboiſe d’abord ne luy répondit point. Vous ne me dites rien, Madame, adjoûta-t-il ? parlez, deſeſperez-moy ; les duretez que vous me direz, me ſeront moins cruelles que voſtre ſilence. Je vous parleray auſſi, luy répondit-elle, je ne vous aurois pas laiſſé venir, ſi je n’avois eu beaucoup de choſes à vous dire, & je ſuis ſeulement embarraſſée par où je commenceray. Je croy que je ne dois point me réjoüir, Madame, luy dit-il, des choſes que vous avez à me dire, il m’eſt aisé de prévoir qu’elles ne me ſeront pas avantageuſes, & vous diminuez beaucoup la grace que vous me faites, qui auroit esté trop grande ſi vous n’aviez eu qu’à m’entendre. Je ne feray point de difficulté de vous avoüer, luy dit-elle, que j’ay veu la Lettre que vous m’avez écrite à l’occaſion de mon Mariage, & qui fut envoyée à Monſieur d’Amboiſe, il faut que je ſçache de vous à qui vous l’aviez donnée, & comment fut conduite une affaire ſi mal-heureuſe pour moy, par la mort de Monſieur d’Amboiſe.

Sanſac luy conta que luy eſtant impoſſible de revenir à Paris, parce qu’on craignoit une entrepriſe des Huguenots ſur Tours, il avoit confié ſa Lettre à ſa Sœur, qui luy promettoit de la luy remettre entre les mains ; que Mademoiſelle de Sanſac ignorant auſſi bien que luy que ſon Mariage fût déja fait, avoit crû que le plus ſeur moyen de l’empêcher, eſtoit d’envoyer ces Lettres à Monſieur d’Amboiſe : mais, Madame, adjoûta-t-il, je vois que leur méchant ſuccez m’eſt imputé, & que meſme quand ma Lettre n’auroit eſté veuë que de vous, je n’en devois attendre que voſtre colere. Sans doute, luy dit-elle, puiſque j’eſtois femme de Monſieur d’Amboiſe, mais j’avois eu lieu de croire que Madame de Tournon vous auroit conſolé de mon Mariage, ou pluſtoſt qu’il ne vous auroit point affligé. Madame de Tournon, s’écria-t-il ? Eſt-il poſſible, Madame, que vous croyez qu’elle ait pû me conſoler un moment de vous ! Madame d’Amboiſe ne pût s’empêcher de luy parler de la préference qu’il avoit donnée à cette Comteſſe le jour de la Maſcarade ; mais il luy proteſta avec tant d’ingenuité qu’il avoit crû danſer avec elle, & la converſation qu’il penſoit avoir euë avec elle auſſi, ſur le ſujet de Sancerre, les embarraſſant l’un & l’autre, ils démélerent enfin que Madame de Tournon les avoit joüez. La verité ſe montroit à eux à meſure qu’ils ſe parloient ; ils ſe retrouvoient innocens, une douce joye rentroit dans leurs cœurs, que de longtemps ils n’avoient ſentie.

Lors qu’ils n’eurent plus de plaintes à faire, ils ſe regarderent quelque temps. Mais, Madame, reprit le Marquis de Sanſac, que me ſert-il que vous n’ayez point aimé Sancerre, ſi je vous ſuis indifferent ? Du moins vous me le devez eſtre, interrompit Madame d’Amboiſe, j’avois épousé le Mary le plus digne d’eſtre aimé qui fut jamais. Ses dernieres parolles meritent que je ſois eternellement occupée de luy. J’eſtois reſoluë à vous en faire un ſecret, mais je me ſens engagée à vous les dire, pour vous marquer mieux l’obligation où je ſuis de l’aimer toûjours. Elle luy fit un recit de la converſation que Monſieur d’Amboiſe avoit euë avec elle ſur ſon ſujet, en adouciſſant neantmoins les termes qui pouvoient trop le flater ; mais cét Amant ne laiſſa pas d’eſtre charmé de cette confidence. Ha ! Madame, luy dit-il en ſe jettant encore une fois à ſes pieds, executez les dernieres volontez de Monſieur d’Amboiſe ; j’ay merité de luy ſucceder, puiſque je ſuis choiſi par luy, il n’y a que voſtre indifference qui puiſſe m’en rendre indigne ; Mais, adjoûta-t-il, pourquoy vous ſerois-je indifferent ? je n’ay pas ceſſé un moment d’eſtre le plus amoureux de tous les hommes ; je ſuis autorisé à vous le dire, & vous ne devez plus faire de ſcrupule que de ne m’aimer pas. Je vois que je vous en ay trop dit, interrompit-elle en rougiſſant, & en l’obligeant à ſe lever avec plus de douceur que la premiere fois, il n’eſt plus temps de déguiſer avec vous. Hé bien ! ſçachez que mon inclination n’eſt pas éteinte. Que n’ay-je pluſtoſt appris voſtre innocence ? je n’aurois point eſté à Monſieur d’Amboiſe, il ne ſeroit point mort, & rien ne m’auroit empeſchée d’eſtre à vous ; mais puiſque je l’ay épousé, ie luy dois un ſacrifice pour tous ceux qu’il m’a faits, j’ay par cette raiſon formé le deſſein de demeurer veuve ; & ſi j’avois aſſez de foibleſſe pour ne le pas executer, je ne ſerois point heureuſe en vous épouſant ; quelque amitié que j’euſſe pour vous, mes reflections m’empeſcheroient de joüir de la voſtre, & m’oſteroient peut-eſtre la mienne à la fin. Ah ! Madame, luy dit-il, avec le deſeſpoir dans l’ame, je vois que vous ne m’avez jamais aimé. Je voudrois qu’il fût vray, luy dit-elle en ſoûpirant. Hé ! Madame, s’il ne l’eſt pas, reprit-il, pourquoy me dire des choſes ſi cruelles, & pourquoy vouloir que je renonce à vous ? je ne ſçaurois le faire, il m’eſt plus aisé de mourir. Quoy ? interrompit-elle, vous ne ſçauriez faire un effort pour me laiſſer à moy-meſme, comme Monſieur d’Amboiſe en a fait pour me laiſſer à vous. Non, luy dit-il, Madame, ne me propoſez point d’exemples j’ay trop d’amour pour ſonger ſeulement à vous perdre ; & ſi vous m’ôtez l’eſperance, les perils où je vais eſtre exposé, & où je ne me ménageray point, vous délivreront d’un Amant trop paſſionné, pour vaincre ſes ſentimens, ou pour les cacher. Répondez moy encore une fois, Madame, ma vie ou ma mort ſont entre vos mains. Ha ! que me dites-vous, luy dit Madame d’Amboiſe avec des yeux groſſis de larmes, pourquoy voulez-vous que je me determine ? laiſſez moy du moins irreſoluë, puiſque vous ébranlez déja ma reſolution. Sanſac voulut l’engager à luy donner parolle poſitive de l’épouſer, mais elle en demeura à ce qu’elle venoit de dire. Il fut obligé de prendre congé d’elle, & il alla à Chartres avec les quatre mille hommes qu’il conduiſoit.

Lors qu’il fut party, Madame d’Amboiſe vit combien elle avoit déja fait de chemin ; que les ſoupçons que Sanſac avoit diſſipez, luy eſtoient devenus, pour ainſi dire, un merite auprés d’elle, & qu’elle avoit trouvé un grand ſujet de ſe loüer de luy, à n’avoir pas un grand ſujet de s’en plaindre ; elle crût qu’elle s’eſtoit démentie trop aisément & trop toſt ; & que lors qu’il feroit des retours ſur cette conduite, il auroit moins d’eſtime pour elle que d’amour cette pensée la chagrina, elle ſe dit meſme qu’un Mary comme celuy qu’elle avoit eu, meritoit une femme capable de grands ſentimens & de fermeté ; qu’enfin le plaiſir de penſer à luy, & d’eſtre contente d’elle, devoit l’occuper toûjours.

Mais elle fit bien-toſt apres d’autres reflections ; Monſieur de Sanſac fut tué devant Chartres, en faiſant une ſortie ſur les Huguenots, & elle en eut une douleur ſi cruelle, qu’elle jugea qu’il ne luy auroit pas eſté poſſible de vouloir meriter long-temps ſon eſtime aux dépens de la tendreſſe qu’elle avoit pour luy ; elle retourna à la campagne, où elle paſſa le reſte de ſes jours, remplie de ſes diverſes afflictions, & ſans oſer les déméler, de peur de reconnoiſtre la plus forte.

FIN.