Le Comte d’Amboise/Texte entier

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chez Claude Barbin (1p. 1-202).

LE
COMTE
D’AMBOISE.
LIVRE PREMIER.

À PARIS,

Chez C. BARBIN, Au
Palais, ſur le ſecond perron
de la ſainte Chapelle.

M. DC. LXXXIX.

Avec Privilege du Roy.


À
MADAME LA
DAUPHINE.

MADAME, L’accueil favorable que vous avez eu la bonté de faire à ma premiere Nouvelle, me ſait eſperer la meſme grace pour celle-cy. J’ay meſme plus de beſoin de voſtre protection que jamais ; je fais l’Hiſtoire d’un Homme qui eſt aſſez genereux pour ceder ſa Maîtreſſe à ſon Rival ; & comme il y a peu de gens capables des grands efforts, & qu’on n’eſt touché que des choſes auſquelles on ſe ſent quelque diſpoſition, j’ay lieu de craindre pour le ſuccez de ce Livre. Mais, MADAME, les grands ſentimens ſe trouvent dans les Ames Royales. Ils ſont ſur tout dans la voſtre au ſuprême degré, & peut-eſtre que par là le Comte d’Amboiſe pourroit vous plaire. Si j’oſois l’eſperer, ie ne ſerois pas à plaindre, puis que ceux qui ne ſeroient pas propres à le goûter, ſeroient du moins capables de reſpecter voſtre goût. Mais, MADAME, ce n’eſt point dans cette ſeule veüe que je prends la liberté de vous le preſenter, c’eſt pour avoir la gloire de vous rendre une ſeconde fois un homage qui vous eſt ſi legitimement dû par vôtre rang, par vos qualitez éminentes, & ſur tout par vos bontez. Je ſuis, avec un profond reſpect,

MADAME,
Voſtre trés-humble
& trés-obéiſſante
ſervante ***

AU
LECTEUR.

ON a trouvé que dans ma premiere Nouvelle il y avoit des endroits où la Nature n’eſtoit pas aſſez bien copiée, & qui tenoient plus de la penſée que du ſentiment. Quoy que je ne ſois pas honteuſe de ce reproche, j’ay taſché cependant ſur les Remarques qu’on m’a faites, à porter mes veües juſqu’à faire la difference d’une veritable paſſion, d’avec ce qui n’en est qu’une idée trop raiſonnée. Et j’eſpere qu’on trouvera cette Hiſtoire plus naturelle que l’autre, par les ſentimens. Auſſi on la trouvera plus extraordinaire par l’action ; & je croy que ce n’eſt pas un deffaut, car quoy que les gens d’un goût mediocre ſoient accoûtumez à trouver ridicule tout ce qui n’eſt pas ordinaire, les gens de beaucoup d’eſprit, trouvent du dégoût aux choſes communes. Il leur ſemble qu’ils voyent toûjours le meſme Roman, parce qu’ils voyent toujours de ſemblables traits. Ie me flate que l’on n’a point encore vû ce trait-cy ; & meſme ſi j’ay quelque chose à craindre, c’est qu’il ne ſoit trop peu vray-ſemblable qu’un Amant ſoit genereux. La maniere dont on parle des Amans donne lieu à ce ſcrupule ; mais aprés tout ce n’est qu’un ſcrupule, ſur lequel je paſſe en ſaveur de ce qu’il y a de grand dans cette idée. Peut-eſtre ſe plaindra-t-on de ce que je ne recompenſe pas la vertu du Comte d’Amboise, mais je veux punir ſa paſſion, & j’ay déja declaré dans la Préface d’Eleonor d’Yvrée, que mon deſſein eſtoit de ne faire voir que des Amans malheureux, pour combatre autant qu’il m’eſt poſſible, le penchant qu’on a pour l’Amour.

LE
COMTE
D’AMBOISE


NOUVELLE.
Livre Premier.

LE Regne de François ſecond ſembloit dans ſes commencemens devoir eſtre agréable & heureux. La Reine ſa femme eſtoit une des plus belles & des plus ſpirituelles perſonnes du monde ; ſa Cour eſtoit compoſée d’une partie de ces Hommes illuſtres qui avoient formé celle de Henry ſecond, & les Dames avoient autant d’agrément, que les Hommes avoient de valeur : Le Comte d’Amboiſe, & le Marquis de Sanſac s’y faiſoient diſtinguer ; leurs Familles avoient toûjours eſté oppoſées d’intereſt, & quoy qu’ils ne fuſſent pas ennemis declarez, ils avoient une certaine émulation qui ſembloit devoir avoir quelque ſuite. Ils eſtoient tous deux également bien faits, rien ne pouvoit eſtre diſputé à l’un que par l’autre ; auſſi ſembloit-il qu’ils dûſſent ſe diſputer toutes choſes.

La Comteſſe de Roye eſtant veuve, s’eſtoit retirée à deux lieuës de Paris à une maiſon de campagne, où elle ne recevoit de viſites que de quelques amis particuliers. Elle avoit une fille parfaitement belle, qui n’avoit point encore parû. Elle vouloit la marier avant que de la mener à la Cour, & elle choiſit le Comte d’Amboiſe entre tous ceux qu’on luy propoſa. Ce mariage qui eſtoit également avãtageux pour luy & pour Mademoiſelle de Roye, fut arreſté avant meſme qu’ils ſe fuſſent vûs ; mais comme elle avoit la reputation d’eſtre fort belle, Monſieur d’Amboiſe ſe fit un grand plaiſir de penſer qu’elle ſeroit à luy ; & l’on peut dire que le deſir & l’eſperance formoient déja dans ſon cœur un commencement de paſſion, avant qu’il en eût vû l’objet.

Bien que Mademoiſelle de Roye dût avoir pris cette eſpece d’indolẽce que la ſolitude dóne ordinairement, la vivacité de ſon eſprit luy faiſoit ſaiſir aisément les premieres impreſſions qui luy eſtoient données, & ce qu’elle entendoit dire à ſa mere, de la bonne mine, de l’eſprit & de la generoſité du Comte, la rempliſſoit d’une eſtime qui la diſpoſoit à quelque choſe de plus.

Le jour qu’il devoit luy faire ſa premiere viſite, elle s’eſtoit parée avec plus de ſoin qu’à l’ordinaire, & elle eſtoit d’une beauté à charmer tous ceux qui la voyoient. C’eſtoit un de ces agreables jours d’Eſté qui invitent à ſe promener. Le Soleil qui n’avoit point parû, laiſſoit une fraîcheur delicieuſe ; & Mademoiſelle de Roye ſe promenoit dans une des avenuës de la maiſon, avec deux Dames des amies de ſa mere, qui eſtoient venuës dîner avec elles. Comme il eſtoit aſſez bonne heure pour n’attendre pas encore le Comte d’Amboiſe, & que Madame de Roye eltoit occupée de quelques affaires, elle fut bien aiſe que la promenade les amuſât durant le temps qu’elle ſeroit obligée d’y donner. Elles avoient déja atteint le bout d’une allée où eſtoit un cabinet ouvert de tous coſtez, fort agreable, & dans lequel elles alloient entrer pour s’aſſeoir, lors qu’elles apperçeurent un Cavalier qui mettant pied à terre, laiſſa ſes gens derriere luy, & s’avança vers elles. À meſure qu’il s’aprochoit, elle remarquoit ſa taille & ſon air, qui luy parurent dignes de toute l’attention qu’elle leur donnoit. Elle ne douta point que ce ne ſût Monſieur d’Amboiſe ; il venoit au jour marqué, ſon empreſſement ne pouvoit luy déplaire. La bonne mine de celuy qu’elle voyoit, répondoit à l’idée qu’elle s’eſtoit faite du Comte. Ces Dames qui eſtoient avec elle, ne le connoiſſoient point, parce qu’elles n’eſtoient pas de la Cour. Elles avoient apris qu’on l’attendoit ce jour là, & elles crurent auſſi que c’eſtoit luy. Elles luy dõnerent des loüanges qui aiderent encore à la prevenir en ſa faveur.

Mademoiſelle de Roye trouva ſon devoir bien doux, elle ſe haſta peut-eſtre un peu trop de le ſuivre ; c’eſtoit Monſieur d’Amboiſe qui luy devoit inſpirer cette joye que donne la premiere rencontre de ce qui doit plaire ; & c’eſtoit pour le Marquis de Sanſac qu’elle la ſentoit. Le hazard l’avoit conduit en ce lieu, il venoit de chez une Dame de ſes parentes, & s’eſtant trouvé proche de la maiſon de Madame de Roye comme il avoit entendu parler de la beauté de ſa fille, il prit l’occaſion de leur faire une viſite. Il n’avoit point vû Madame de Roye depuis la mort de ſon mary ; Elle vivoit dans une ſi grande retraite, qu’on n’avoit encore oſé la troubler ; cependant aprés un an de veuvage, il crût qu’elle ne feroit pas de difficulté de le recevoir.

Il s’approcha de ces Dames, & quoy qu’il n’en connût aucune, il leur dit tout ce que la politeſſe & la galanterie luy inſpirèrent en cette rencontre, mais il diſtingua d’abord Mademoiſelle de Roye des autres. Auſſi quoi que l’une d’elles eût de la jeuneſſe, & meſme de la beauté, celle de Madamoiſelle de Roye eſtoit ſi parfaite qu’on ne pouvoit regarder qu’elle en un lieu où elle eſtoit ; Elle trouva je ne ſçay quoy d’agreable dans cette avanture qui luy donna envie de la faire durer. Elle pria ces Dames de ne point dire ſon nom, & ſçachant que les affaires qui retenoient ſa mere, ne ſeroient pas ſi-tôt finies, elle propoſa à la compagnie d’aller s’aſſeoir dans le Cabinet.

Le chemin que le Marquis de Sanſac avoit tenu, ne permettoit pas de douter qu’il n’allaſt chez Madame de Roye ; il ne ſe deffendit point d’avoir eu ce deſſein, & ces Dames ſe confirmant dans la penſée qu’il fût Monſieur d’Amboiſe, luy firent pluſieurs queſtions fines ſur Mademoiſelle de Roye, qui luy firent juger qu’elles le prenoient pour ce Comte, qu’il ſçavoit eſtre ſur le point de l’épouſer. Elles luy demanderent s’il n’avoit rien à ſe reprocher, de s’amuſer avec elles lors qu’il eſtoit ſur le point de voir une ſi belle perſonne. Elle rougit malgré elle, d’une maniere qui aida à le perſuader qu’il ne s’eſtoit pas trompé quand il avoit penſé qu’elle eſtoit Mademoiſelle de Roye.

Le lieu où il la rencontroit, & ſon extraordinaire beauté, luy en avoient déja donné de grands ſoupçons ; il n’en douta plus, il jugea meſme par ce qu’on luy diſoit, qu’elle n’avoit point encore vû le Comte d’Amboiſe, & qu’on l’attendoit. L’avanture luy parut agreable à ſon tour, cette erreur le faiſoit regarder favorablement d’une belle perſonne, il prit le party de ne pas répondre poſitivement pour ne les deſabuſer point, & pour pouvoir auſſi ſe tirer de ce pas lors qu’elles viendroient à le connoître. On ne ſçauroit, dit-il, avoir une plus grande idée de la beauté de Mademoiſelle de Roye, que j’en ay, cependant j’ay peine à croire qu’elle ſoit au deſſus de ce que je vois icy, ajouſta-t’il en la regardant d’une maniere qui la perſuadoit qu’il en eſtoit touché. Elle prenoit un plaiſir tres-ſenſible à ce qui ſe paſſoit, & elle eſtoit flatée de ce prompt effet de ſes charmes, d’une maniere qui aidoit encore à la rendre favorable à celuy qui luy en faiſoit connoître le pouvoir. Ils avoient déja eſté une heure dans ce Cabinet, lors qu’une groſſe pluye les y tint aſſiegez. Perſonne n’en fut fâché, la converſation eſtoit ſi brillante, qu’il ne leur étoit pas poſſible de ſonger au temps qu’ils y demeuroient. Monſieur de Sanſac avoit un agrément infiny dans ſa perſonne, & dans tout ce qu’il diſoit, & ſa vivacité naturelle étoit encore augmentée parce qu’il y avoit de piquant dans cette rencontre.

Mademoiſelle de Roye étoit charmée de le trouver ſi digne de luy plaire, leurs yeux ſe rencontrerent plus d’une fois d’une maniere qui la fit rougir, & qui luy fit enſuite éviter ceux de Monſieur de Sanſac. En effet bien qu’elle crût qu’il eſtoit le Comte d’Amboiſe, & qu’elle devoit l’épouſer, elle ſentoit ſans le démeſler, je ne ſçay quoy d’indépendant de ſon devoir. Elle eut tout le loiſir de s’abandonner à une erreur qui luy devoit eſtre ſi fatale dans la ſuite : car l’orage ne ceſſoit point, & ils ne pouvoient ſortir du Cabinet. Enfin Monſieur d’Amboiſe arriva, & comme il vit des Dames dans le Cabinet, il y entra, penſant que ce fût Madame & Mademoiſelle de Roye.

Il n’y trouva point cette Comteſſe qu’il avoit veuë à la Cour ; mais il reconnut auſſi-toſt ſa fille au portrait qu’on luy en avoit fait, & ſur les meſmes apparences qui avoient déja fait croire au Marquis de Sanſac, que c’eſtoit elle ; de ſorte qu’il luy adreſſa ſes complimens. Cependant comme il pouvoit ſe tromper, & que la preſence de tant de perſonnes le retenoit, il ne luy dit rien qui marquaſt préciſément qu’il eſtoit celui qu’elles attendoient.

Il ne meritoit pas moins que le Marquis de Sanſac d’occuper cette Compagnie. Une taille agréable & au deſſus de la mediocre, un air noble, je ne ſçay quoy de fin & de paſſionné, le rendoient trés capable de plaire. Ces Dames luy rendirent toute la juſtice qui luy eſtoit deuë ; mais Mademoiſelle de Roye fut fâchée d’eſtre déja contrainte de douter qui des deux eſtoit ſon Amant : Elle les regarda l’un & l’autre, comme pour leur demander lequel elle eſtoit obligée d’aimer ; mais c’eſtoit avec une certaine difference qui ſembloit marquer qu’elle eût bien voulu que c’eût eſté Monſieur de Sanſac.

La plus âgée de ces Dames, qui voyoit l’embarras de cette jeune perſonne, jugea qu’il falloit le faire ceſſer. Comme les Femmes de Mademoiſelle de Roye avoient eſté contraintes de ſe retirer dans le Cabinet, à cauſe de la pluye, elle envoya l’une d’elles demander le nom de Monſieur d’Amboiſe à ſes Gens, & l’ayant ſçu, elle le fit connoiſtre à Mademoiſelle de Roye.

Cette jeune perſonne ne pût s’empeſcher de le regarder avec plus de froideur que naturellement elle ne devoit en avoir. La vivacité de la converſation avoit animé ſon viſage, & augmentoit encore ſa beauté ; Monſieur d’Amboiſe la conſideroit avec l’intereſt d’un homme à qui elle eſtoit deſtinée, & malgré l’idée qu’il avoit conceuë d’elle, il trouvoit lieu d’eſtre ſurpris ; mais la maniere dont elle le receut, ne luy permit pas de goûter ce charme qu’excite dans le cœur la naiſſance d’une paſſion, & l’amour luy dénia juſqu’à ſon premier plaiſir.

Elle regarda, ſans s’en appercevoir, Monſieur de Sanſac avec moins de précaution qu’auparavant, comme ſi elle luy eût dit adieu par ce regard, & qu’elle fût devenuë plus hardie lorſqu’il luy falloit ôter l’eſperance, qu’elle ne l’avoit eſté un moment plûtoſt, lors qu’elle avoit crû pouvoir luy en donner.

Monſieur d’Amboiſe avoit les yeux trop attachez ſur Mademoiſelle de Roye, pour ne pas ſuivre les ſiens ; peut-étre auſſi que l’oppoſition naturelle de Sanſac & de luy, avança ſes craintes, enfin il ſoupçonna une partie de la verité.

L’orage continüoit toûjours, & Madame de Roye qui avoit achevé les affaires qui l’avoient retenuë, les vint reprendre dans ſon Carroſſe. Elle ne s’attendoit point de trouver le Marquis de Sanſac dans ce lieu. Cependant elle ne manqua pas de luy faire beaucoup de civilités. Cette Comteſſe marqua à Monſieur d’Amboiſe toute l’eſtime qu’elle avoit pour ſon merite, & la joye où elle eſtoit de le voir ; mais ces honneſtetez ne luy ôtoient pas l’idée deſagreable qu’il avoit priſe malgré luy.

Madame de Roye les mena dans ſon appartement, & les divers mouvemens qui partageoient cette compagnie, y firent naître quelque ſorte d’ennuy. Le Comte d’Amboiſe qui nacurellement n’aimoit pas Sanſac, trouvoit la viſite de ce Marquis trop longue. Peu s’en faloit que Monſieur de Sanſac ne trouvaſt la même choſe de celle du Comte d’Amboiſe, quoiqu’il n’ignoraſt pas le deſſein qui l’amenoit, cependant il falut qu’il luy cedaſt la place.

Les Dames s’en allerent auſſi, de ſorte que le Comte d’Amboiſe demeura le dernier. Il marqua à Mademoiſelle de Roye combien l’avantage de luy eſtre deſtiné le charmoit, mais il luy dit en même temps que s’il n’eſtoit pas aſſez heureux pour toucher ſon cœur, il ſe trouvoit fort à plaindre. Mademoiſelle de Roye luy repondit qu’elle n’avoit point de cœur à donner, mais ſeulement un devoir à ſuivre. L’air dont elle prononça ces paroles n’eſtoit pas propre à donner des eſperances à un Amant. Elle prit peu de ſoin de ſoûtenir la converſation, mais elle laiſſa voir aſſez d’eſprit pour achever ce que ſa beauté avoit commencé, & aſſez de difficultez à la poſſeſſion de ſon cœur, pour rendre la paſſion du Comte d’Amboiſe trés-vive dés ce jour-là.

Lors que Mademoiſelle de Roye fut ſeule, elle demeura dans une profonde rêverie, & quoiqu’elle ne démêlaſt pas encore ſes ſentimens, à l’égard de Monſieur d’Amboiſe & de Monſieur de Sanſac, il luy ſembloit neanmoins que ce dernier eſtoit le plus aimable.

De ſon côté il avoit eſté frapé de la beauté de Mademoiſelle de Roye. Il avoit remarqué que ſa converſation ne luy déplaiſoit pas, & qu’elle avoit reçû le Comte d’Amboiſe avec aſſez de froideur, de ſorte qu’il ne remportoit que des idées agreables.

Il parla d’elle à la Cour avec de ſi grands éloges, que la Reine eut de l’impatience de la voir, & comme il avoit fceu de Madame de Roye, qu’elles ne reviendroient pas fi-tôt de la campagne, il le dit à la Reine qui témoigna en eſtre fâchée.

Sanſac qui ne cherchoit qu’un pretexte pour retourner chez Madame de Roye, ſe fit un plaiſir de luy aller apprendre les fentimens de la Reine ; il vit Mademoiſelle de Roye une ſeconde fois, il crut démêler quelque joye dans ſes yeux, il luy dit mille choſes, que les diſpoſitions où elle eſtoit pour luy, luy faiſoient entendre facilement, & qui ne pouvoient cependant déplaire à Madame de Roye. Le Comte d’Amboiſe qui eſtoit en droit de les aller voir ſouvent, arriva dans le temps que Monſieur de Sanſac en ſortoit. Une ſeconde viſite de ce Marquis le chagrina. Son inquiétude qui parut malgré luy à Mademoiſelle de Roye, le luy fit trouver biſarre, & acheva de le perdre auprés d’elle.

Elle ſentit ſon éloignement pour luy avant que de connoiſtre que Sanſac en eſtoit la cauſe. Les ſoins que le Comte luy rendoit luy devinrent incommodes, & luy donnerent d’abord une repugnance pour luy qu’elle combatoit en vain. Un Amant pour qui l’on eſt obligée d’avoir des égards, ſe fait toûjours beaucoup haïr, quand il ne ſe fait pas aimer.

Le Comte d’Amboiſe s’appercevoit bien que Mademoiſelle de Roye ne l’aimoit pas, il en ſoupçonnoit la cauſe, & ſuivant la coûtume des Amans malheureux, il cherchoit à s’éclaircir plus particulierement de ce qu’il ne ſçavoit pas aſſez pour eſtre tout à fait miſerable.

Un jour que le Roy étoit à la promenade, & que toute la Cour le ſuivoit, ce Comte voyant que Sanſac eſtoit à quelques pas de la foule, s’approcha de luy pour parler de Mademoiſelle de Roye. Mais quoiqu’ils euſſent également envie de parler d’elle, aucun d’eux ne pouvoit ſe reſoudre à commencer. Enfin d’Amboiſe ſuivit ſon deſſein, il la loüa beaucoup, mais Sanſac la loüa peu, autant peut eſtre pour n’eſtre pas d’accord avec ſon Rival, que de peur de ſe découvrir. Cependant le Comte d’Amboiſe n’eſtoit pas en eſtat de ſe raſſurer, il auroit eſté inquiet ſi le Marquis de Sanſac avoit trop admiré Mademoiſelle de Roye, & il le fut encore de ce qu’il ne vouloit pas l’admirer aſſez.

Peu d’heures aprés, ſa jalouſie fut entierement confirmée. Le ſoir chez le Roy, la converſation s’étant tournée ſur la beauté de quelques femmes de la Cour, le Marquis de Sanſac qui n’étoit plus alors retenu par la preſence de Monſieur d’Amboiſe, ne put s’empêcher de loüer extrêmement Madamoiſelle de Roye, & il en parloit même avec beaucoup de vivacité, lorſque le Comte arriva. Le Roy l’appercevant de loin, voila Sanſac, luy dit-il, en élevant la voix, qui dit plus de merveilles de la beauté de Mademoiſelle de Roye, que vous ne nous en avez jamais dit. Ces deux Rivaux rougirent à ce mot ; cette rougeur fut remarquée ; on leur en fit la guerre le reſte du ſoir, & ils eurent beſoin de tout leur eſprit pour la ſoûtenir. Ils connurent plus particulierement dans cette occaſion tout ce qu’ils en avoient l’un & l’autre, & ils ne s’eſtimerent que pour ſe haïr davantage.

Le Comte de Sanſac pere du Marquis, ſouhaitoit de marier ſon fils à Mademoiſelle d’Anebault, de qui la beauté pouvoit rendre heureux un homme qui n’auroit pas aimé Madamoiſelle de Roye ; il n’oſoit s’oppoſer ouvertement aux volontez de ſon pere, mais il reculoit ce mariage, & il y avoit beaucoup de repugnance. Madame de Roye mena dans ce temps-là ſa fille à la Cour, où elle receut tous les applaudiſſemens qu’elle meritoit.

Elle fit des Amans & des Ennemies. La Comteſſe de Tournon fut de celles à qui ſa beauté donna le plus de chagrin, & qui le diſſimula le mieux. Le Comte de Sancerre la trouva parfaitement aimable, & n’oſa dire qu’il l’aimoit, parce qu’il ne ſoupçonna pas que Monſieur d’Amboiſe pût eſtre haï. Il fit un voyage peu de temps aprés qui luy ſervit à cacher ſa paſſion, mais qui ne l’en guerit pas.

Mademoiſelle de Roye ne tarda guere à apprendre qu’on marioit le Marquis de Sanſac à Mademoiſelle d’Annebault ; elle fut ſurpriſe de cette nouvelle, & encore plus de s’y trouver ſi ſenſible. Malgré elle, elle s’attachoit à la railler, & à luy trouver des défauts.

Le mariage de Monſieur d’Amboiſe eſtoit ſur le point de ſe conclure, lors qu’il y ſurvint des difficultez qu’on n’avoit pas preveuës. Le Roy eut quelque connoiſſance d’un ſoulevement que le Prince de Condé vouloir exciter dans le Royaume, & parce que ce Comte étoit particulierement attaché à luy, on crut qu’il y avoit quelque part, bien qu’on n’eût aucune preuve contre luy, il ſuffiſoit qu’on eût des ſoupçons pour devoir veiller de prés ſur ſes démarches. Il n’étoit point de la politique de luy laiſſer épouſer une parente de la Princeſſe de Condé, avant que ſa conduite fût éclaircie.

Il ſe paſſa beaucoup de choſes durant ce retardement. Madame de Roye ne ſçachant point les ſentimens que Sanſac avoit pour ſa fille, le recevoit comme les autres Gens de la Cour. Cette jeune perſonne s’informoit avec trop de ſoin de ce qui regardoit le mariage de Mademoiſelle d’Annebault, pour ignorer la reſiſtance qu’il y apportoit, & il ne luy eſtoit pas même difficile de comprendre qu’elle y avoit part. L’application qu’elle avoit pour toutes les actions de ce Marquis, la confirmoit à tous momens dans la pensée qu’elle l’avoit touché. Elle ſuivoit ſon penchant avec ſcrupule, mais elle le ſuivoit.

Sanſac remarquoit tous les jours de petits effets de la paſſion de Mademoiſelle de Roye, qui le charmoient ; cependant dans les termes où elle étoit avec Monſieur d’Amboiſe, il n’oſoit luy parler ouvertement de peur de perdre ces marques de ſa tendreſſe s’il la forçoit de les démêler ; mais il fit confidence à Mademoiſelle de Sanſac ſa ſœur, des ſentimens qu’il avoit pour Mademoiſelle de Roye, & il la pria de faire, s’il ſe pouvoit, une étroite liaiſon avec elle, & de tâcher à détruire Monſieur d’Amboiſe dans ſon eſprit, afin que le mariage de ce Comte eſtant déja reculé par des raiſons de politique, le fût encore par l’éloignement qu’elle auroit pour luy.

Mademoiſelle de Sanſac eut d’abord quelque peine à rendre de méchans offices à un homme pour qui elle avoit une eſtime ſinguliere ; mais cette même eſtime la porta inſenſiblement à agir contre ſon mariage. Comme elle avoit beaucoup d’eſprit, & qu’elle étoit ſœur de Sanſac, il ne luy fut pas difficile d’entrer dans un commerce d’amitié trés-étroit avec Mademoiſelle de Roye, qui ne luy cacha point le chagrin où elle étoit, de ſe voir deſtinée à un mary pour qui elle avoit ſi peu d’inclination. Elle rendoit juſtice à ſes bonnes qualitez, mais c’etoit avec une eſpece de dépit. Son mérite luy étoit un reproche ſecret de l’indifference qu’elle avoit pour luy ; Elle le haiſſoit de ce qu’il l’aimoit, & de ce qu’il eſtoit aimable.

Mademoiſelle de Sanſac qui eſtoit fille de la Reine, & celle qui en eſtoit la mieux traitée, luy offrit toute ſa faveur auprés de cette Princeſſe, pour faire en ſorte qu’elle parlaſt à Madame de Roye, afin qu’on rompît ce mariage. Mademoiſelle de Roye qui craignoit de déplaire à ſa mere, s’y oppoſa d’abord avec aſſez de vivacité ; neanmoins elle laiſſa entrevoir que ſi la choſe avoit pû ſe faire ſans ſa participation, elle en auroit eu de la joye.

Il n’en falloit pas davantage pour obliger Mademoiſelle de Sanſac à la ſervir. Elle avoit beſoin d’aller aux Eaux de Spa pour ſa ſanté, & elle vouloit avant que de partir, en parler à la Reine, afin de ne pas manquer le temps d’obliger ſon amie. Quoique Mademoiſelle de Roye fût bien éloignée de luy avoüer l’inclination qu’elle avoit pour ſon frere, c’eſtoit beaucoup qu’elle évitaſt de parler de luy.

La haine du Comte d’Amboiſe pour Sanſac augmentoit extraordinairement. Mademoiſelle de Roye ſans s’en appercevoir donnoit à ce dernier des marques d’une eſtime toute particuliere, qui ne pouvoiẽt échaper à la penetration d’un Amant ; auſſi balançoit-il quelque fois ſur le party qu’il devoit prendre. Il luy eſtoit déſagreable d’épouſer une perſonne prevenuë d’une autre inclination ; la raiſon s’oppoſoit à ce deſſein, mais il eſtoit amoureux. Comment perdre l’eſperance de la voir à luy ? Aprés bien des incertitudes, il voyoit qu’il ne luy étoit pas poſſible de prendre aucune reſolution.

Le Marquis de Sanſac témoigna tant de froideur pour Mademoiselle d’Annebault, qu’elle travailla de ſon côté à éviter de l’épouſer, de ſorte que ce mariage fut rompu. Mademoiſelle de Roye en eut une joye ſi grande, qu’il ne luy fût pas poſſible de la cacher à Mademoiſelle de Sanſac, à qui tous ces mouvemens n’étoient pas indifferens. Elle voyoit ſouvent le Comte d’Amboiſe chez cette amie. Elle l’avoit trouvé auſſi aimable que malheureux & inſenſiblement la pitié l’avoit menée à d’autres ſentimens. Elle entroit toûjours plus fortement dans les intereſts de ſon frere, & même elle croïoit ſervir Monſieur d’Amboiſe, en l’empêchant d’épouſer une perſonne qui le haïſſoit.

Le Comte de Sanſac ſon pere, fut pouſſé par elle à ſouhaiter que ſon fils épouſaſt Mademoiſelle de Roye ; ce qui pouvoit n’étre pas difficile dans la conjoncture preſente. La Maiſon d’Amboiſe n’avoit jamais ménagé les Sanſacs dans aucune occaſion. Les Sanſacs que la faveur rendoit hardis, avoient ſouvent cherché à leur déplaire, de ſorte que rien ne les retint, & Mademoiſelle de Roye eſtoit un party ſi conſiderable, qu’ils entreprirent de faire parler à Madame de Roye ; cependant ils ne voulurent d’abord demander qu’une preference, ſi le mariage de Monſieur d’Amboiſe ne s’achevoit pas. Mademoiſelle de Sanſac pria la Reine de vouloir bien entrer dans cette affaire. Cette Princeſſe le luy promit, & Mademoiſelle de Sanſac partit pour les Eaux de Spa. Aprés cette promeſſe, la Reine luy tint bien tôt parolle ; elle fit des propoſitions à Madame de Roye. Elle luy laiſſa comprendre que l’attachement de Monſieur d’Amboiſe pour le Prince de Condé, le rendoit toûjours ſuſpect, & qu’il eſtoit des partis plus avantageux par la faveur & par l’amitié du Roy ; mais Madame de Roye eſtoit de ces femmes exactes à ce qu’elles ont promis. Les bonnes qualitez du Comte luy avoient donné pour luy une amitié que ſon malheur augmentoit encore. Elle ſupplia la Reine de ſouffrir d’elle tinſt parole à Monſieur d’Amboiſe, & qu’elle eſperaſt que le Roy le reconnoîtroit innocent, & luy rendroit ſa bien veillance.

La Reine qui cherchoit à obliger Mademoiſelle de Sanſac, preſſa Madame de Roye encore plus fortement, & n’oublia rien de ce qui pouvoit favoriſer les Sanſacs. Enfin elle luy demanda ſa parole pour le Marquis, ſi elle rompoit avec le Comte d’Amboiſe. Madame de Roye fut bleſſée des propoſitions qu’ils luy faiſoient faire dans le temps qu’elle étoit engagée avec un homme qu’ils n’aimoient pas, & de ce qu’ils ſaiſiſſoient ſi promptement une occaſion d’inſulter à ſa diſgrace. Elle dit à la Reine qu’elle étoit au deſeſpoir de ne pouvoir luy rien promettre là deſſus, parce que ſa fille avoit de l’antipathie pour le Marquis de Sanſac ; ce n’eſtoit pas qu’elle le crût, mais elle ſe tiroit par là d’un pas embaraſſant.

— Ce méchant ſuccés mit Sanſac dans un chagrin & dans une confuſion étrange ; quoique les regards de Mademoiſelle de Roye l’euſſent ſouvent aſſuré qu’il n’eſtoit point haï, il n’oſoit plus les en croire. Enfin il eſtoit ſeur de la haine de Madame de Roye, s’il doutoit encore de celle de ſa fille, & il perdoit l’eſperance d’eſtre jamais heureux.

Madame de Roye ne voulut point inſtruire cette jeune perſonne de ce qui s’étoit paſſé, pour ne la détourner des ſentimens qu’elle devoit avoir pour le Comte d’Amboiſe. Elle jugea auſſi qu’il falloit qu’il l’ignoraſt luy-même, de peur que malgré les diſpoſitions où l’on eſtoit contre luy à la Cour, il n’en vinſt à des extremitez fâcheuſes avec un homme que le Roy aimoit. Elle remena le lendemain ſa Fille à la campagne, à une maiſon plus éloignée que celle où elle eſtoit d’abord, en attendant quelque changement aux affaires du Comte, auquel elle témoigna que l’air de diſgrace où il eſtoit, n’apporteroit aucune alteration aux ſentimens qu’elle avoit pour luy.

Mais que ſervoient ces ſentimens au Comte d’Amboiſe ? Il eſtoit preſque ſeur que ceux de ſa Maîtreſſe luy eſtoient contraires. Il reſolut de s’en éclaircir, & de faire en ſorte que Mademoiſelle de Roye ſe trouvaſt engagée par les prieres qu’il luy feroit, ou par ſon propre intereſt, de luy avouër une choſe dont le ſoupçon luy eſtoit déja ſi funeſte, que la certitude ne pouvoit l’eſtre davantage. Si Mademoiſelle de Roye eſtoit prevenuë d’une autre inclination, il valoit mieux qu’il en fuſt une fois perſuadé, que de le craindre toujours. Cependant il eut des occaſions de s’en inſtruire, mais il n’avoit pas la force d’en profiter ; & quand il eſtoit ſur le point de l’apprendre, il ne vouloit plus le ſçavoir.

Mademoiſelle de Roye étoit partie ſi promptement pour la campagne, que Sanſac n’avoit pû trouver l’occaſion de luy parler. Les difficultez qu’il trouvoit à s’expliquer avec elle, ne le rebutoient point ; il étoit piqué des paroles que Madame de Roye avoit dites à la Reine, & l’amour joint au dépit, luy faiſoit chercher tous les moyens de s’éclaircir. Mademoiſelle de Sanſac étoit trop éloignée pour pouvoir le ſervir auprés de Mademoiſelle de Roye. Il jetta les yeux ſur Madame de Tournon ; c’eſtoit la plus adroite & la plus inſinuante de toutes les femmes. Elle avoit trouvé le ſecret de s’attirer l’eſtime & l’amitié de Madame de Roye, & elles avoient toûjours eſté dans une grande liaiſon enſemble. Monſieur de Sanſac penſa qu’il pourroit aller chez Madame de Roye avec elle, & qu’il trouveroit les moyens de parler à Mademoiſelle de Roye. Il rendit à Madame de Tournon des viſites qu’elle receut avec plaiſir. Quoiqu’elle ne fuſt pas dans la premiere jeuneſſe, elle étoit encore aſſez aimable pour pouvoir ſe flatter aiſement d’eſtre aimée ; & le Comte de Tournon dont elle eſtoit veuve, luy avoit laiſſé des biens ſi conſiderables, que la pensée de pouvoir faire une fortune éclatante à ce Marquis, aida encore à la ſeduire pour luy.

Bien qu’elle dûſt connoître que les ſoins qu’il luy rendoit, n’avoient pas le caractere de l’amour, on ſe trompe aiſement ſur une matiere ſi delicate. L’application qu’on apporte à l’examiner, eſt un moyen preſque ſeur de s’y méprendre. Ainſi Madame de Tournon donnoit à toutes les actions de Sanſac, le ſens qui convenoit le mieux aux ſentimens qu’elle avoit pour luy.

Mais elle ne put jouïr longtemps de ſon erreur. Il luy laiſſa le triſte loiſir de faire des reflections diſtinctes ; elle vit la difference du procedé qu’il tenoit au ſien. Enfin, comme il avoit peu d’application aux actions de la Comteſſe, & qu’il croyoit qu’elles ne partoient que de l’amitié, parce qu’il ne ſentoit rien de plus pour elle, il luy propoſa lorſque quelques jours furent paſſez, d’aller avec elle chez Madame de Roye. Cette propoſition fit ouvrir les yeux à Madame de Tournon, & elle demeura perſuadée qu’il eſtoit amoureux de Mademoiſelle de Roye, lorſqu’elle luy eut parlé de cette belle perſonne. La honte de s’être trompée, la douleur d’aimer en vain, & le dépit de voir triompher Mademoiſelle de Roye qu’elle haiſſoit, ne pouvoient demeurer ſans effet dans le cœur de Madame de Tournon ; cependant ſa diſſimulation naturelle l’empêcha d’êclater. Elle luy promit de faire la partie qu’il luy propoſoit, mais elle s’eſtoit déja apperçûë que Madame de Roye avoit quelque chagrin contre les Sanſacs. Elle luy écrivit que le Marquis l’avoit priée de le mener chez elle. Madame de Roye qui aprés les propoſitions qui s’eſtoient faites, & ce qu’elle avoit dit à la Reine, ſentit qu’elle ſeroit aſſez embaraſſée de cette viſite, répondit promptement à Madame de Tournon, pour l’engager à détourner Sanſac de ce deſſein. Madame de Tournon qui en écrivant à Madame de Roye, n’avoit cherché qu’à s’attirer cette réponſe, montra la Lettre à Sanſac, comme à un amy pour qui elle n’avoit rien de caché.

Sanſac, que ce méchant ſuccés chagrina, ne conſulta plus la Comteſſe ſur une choſe dont il n’étoit pas temps de lui découvrir le motif ; il voulut aller chez Madame de Roye, mais il ne vit point ſa fille, quoiqu’il l’eût demandée. On lui dit qu’elle ſe portoit mal ; il y retourna une ſeconde fois, & on refuſa encore de la lui laiſſer voir, ſur des pretextes qui luy parurent peu vrayſemblables. Il ſçeut que Monſieur d’Amboiſe étoit avec elle, de ſorte que honteux du peu de ſuccés de ſes viſites, & deſeſperé d’avoir un Rival plus heureux que luy, il prit la reſolution de quitter Paris, & il alla à une de ſes Terres qui en étoit fort éloignée.

Mademoiſelle de Roye que la precipitation avec laquelle on l’avoit remenée à la campagne, avoit toûjours inquietée, & qui voyoit avec chagrin qu’on l’empêchoit de recevoir les viſites de Sanſac, penſa que peut-eſtre Madame de Roye avoit découvert ſes ſentimens pour luy, & elle en étoit dans une honte & dans un accablement extrêmes.

Monſieur d’Amboiſe lui marquoit combien il étoit affligé de luy voir cette mélancolie, ſans toutefois s’en plaindre, & ſans luy marquer qu’il pouvoit en partie la penetrer. Une conduite ſi reſpectueuſe toucha Mademoiſelle de Roye, & la pitié ſucceda à ſa haine, mais l’amour ne ſucceda point à la pitié.

Il eſtoit trop innocent de la conſpiration du Prince de Condé, pour en eſtre accusé longtemps, & il en eſtoit alors preſque juſtifié. Mademoiſelle de Roye vit qu’elle alloit l’épouſer, il en uſoit d’une maniere qui meritoit quelque douceur de ſa part, & il luy ſembla que le devoir ſuppléroit aux mouvemens de ſon cœur.

Un jour que la triſteſſe du Comte d’Amboiſe étoit extraordinaire, elle luy dit plus de choſes obligeantes qu’elle ne luy en avoit jamais dit, mais elles ne firent que redoubler le chagrin de cét Amant. Eh ! Mademoiſelle, lui dit-il, ne vous contraignez point ; ces dehors étudiez ne me rendent pas moins à plaindre, vous affectez de me marquer de la bonté, & que je ſerois heureux, ſi vous en aviez aſſez pour chercher à me la cacher ! Ce diſcours embaraſſa Mademoiſelle de Roye, il étoit aſſez fondé pour luy cauſer un peu de deſordre, elle fut longtemps ſans répondre, & Monſieur d’Amboiſe s’enhardiſſant par ce ſilence, ou plutôt ſe confirmant dans ſes ſoupçons, n’eut plus la force de les empêcher de paroiſtre. Mademoiſelle, luy dit-il, je ne vois que trop que je vous ſuis indifferent, pourquoi ne voulez-vous pas que je le voye ? Ayez du moins de la ſincerité, ſi vous n’avez pas de tendreſſe. Je ſuis reduit au point de vous étre obligé, ſi vous m’avouëz que vous ne m’aimez pas. Il accompagnoit ces paroles de larmes : Mademoiſelle de Roye en fut vivement penetrée. Pourquoy cette contrainte éternelle ? Elle n’eſtoit point encore ſa femme. Une pareille confidence ne pouvoit ſervir qu’à la dégager & à la mettre dans la liberté de ſuivre ſes ſentimens.

Si la plus grande eſtime qui fut jamais, lui dit-elle… Non Mademoiſelle, interrompit-il, toute voſtre eſtime ne ſçauroit me conſoler de vôtre indifference, mais ajoûta-t-il, preſſé par ſa jalouſie, ſi quelque choſe pouvoit l’adoucir, ce ſeroit une confiance ſans reſerve, elle m’eſt bien deuë pour me recompenſer de tout ce que vous ne me donnez pas. Quelle eſt cette confiance que vous demandez encore, luy dit Mademoiſelle de Roye ? Il me ſemble que je vous en marque beaucoup. Ah ! Mademoiſelle, lui dit-il, ce n’eſt point aſſez, marquez m’en davantage, c’eſt me punir de ma curioſité, que de la ſatisſaire, & toute la grace que je vous demande, c’eſt que vous m’appreniez mon malheur tout entier. N’ai-je point de Rival ? Avoüez-le moy. Devez-vous douter que je ne ſois indifferente, lui dit Mademoiſelle de Roye, puiſque vous ne m’avez pas renduë ſenſible, vous qui m’eſtiez deſtiné ? Helas, Mademoiſelle, lui dit-il, voſtre cœur pouvoit eſtre prevenu… Prevenu, luy dit Mademoiſelle de Roye ? connoiſſois-je quelqu’un avant que d’eſtre engagée avec vous ? Eh ! Mademoiſelle, interrompit-il, emporté par ſa jalouſie, n’aviez vous vû perſonne avant moy ? Il ne faut qu’un moment pour faire naître l’amour.

À ce mot qui marquoit ſi preciſement ce qui s’étoit paſſé dans le cœur de Mademoiſelle de Roye, une ſi grande rougeur lui couvrir le viſage, que Monſieur d’Amboiſe ne douta plus de ſa diſgrace ; il s’appuya ſur un ſiége, ne pouvant ſupporter ſa douleur. Que me faites-vous enviſager, Mademoiſelle, lui dit-il ? Eh ! qu’il faut vous reſpecter pour vous marquer de la moderation, en découvrant que vous avez pour un autre les ſentimens qui m’étoient dûs par la violente paſſion que j’ay pour vous ! Mademoiſelle de Roye que ces paroles penetrerent juſqu’au fonds de l’ame, ne pût retenir ſes larmes, & elle marquoit une ſi vive douleur, que Monſieur d’Amboiſe, malgré ſon deſeſpoir, fut touché de l’eſtat où il l’avoit miſe. Il la regarda avec toute la timidité que lui donnoit la pensée de lui avoir déplû, & il ſembloit par ſon ſilence, lui faire reparation d’avoir trop parlé. Enfin il lui demanda pardon de ce qu’il avoit dit, ou pluſtoſt de ce qu’il avoit vû. Mademoiſelle de Roye eſtoit dans un deſordre extraordinaire. Son trouble & ſa rougeur l’avoient trahie ſi cruellement, qu’elle n’oſoit regarder Monſieur d’Amboiſe ſans la derniere confuſion, de ſorte que ne ſçachant que lui répondre, & ayant du chagrin contre lui, elle ſe retira dans ſon cabinet en le priant de la laiſſer en paix & de l’oublier.

Quels reſſentimens n’eut point Monſieur d’Amboiſe contre celui qui lui enlevoit le cœur de ſa Maîtreſſe, & que s’il en avoit ſuivy l’impetuoſité, il ſe ſeroit porté à de crüelles extrêmitez contre lui ! mais il penſa que dans cette occaſion un éclat lui attireroit toute la haine de Mademoiſelle de Roye, & qu’il ne falloit point abuſer d’un ſecret dont elle lui avoit découvert une partie, & qu’elle lui avoit laiſſé penetrer tout entier. Il ſe repreſentoit les larmes qu’il lui avoit vû répandre, & cette idée arrêtoit ſa vengeance, quoiqu’elle augmentaſt ſon chagrin.

Ils furent quelque temps ſans ſe voir ; le Comte d’Amboiſe eſtant ſeur de ne pas plaire à Mademoiſelle de Roye, & l’ayant en quelque ſorte offencée, n’oſoit ſe montrer à ſes yeux ; Mademoiſelle de Roye n’apprehendoit pas moins de recevoir de ſes viſites. Il n’eſt point d’homme plus fâcheux qu’un Amant jaloux, quand il a raiſon de l’être, & droit de le témoigner.

Comme Madame de Roye s’apperçut que Monſieur d’Amboiſe ne venoit plus chez elle ! Elle en demanda la raiſon à ſa fille, & ſoupçonnant par l’embarras de cette jeune perſonne, qu’il y avoit eu quelque démêlé entr’eux, elle lui dit qu’elle vouloit qu’on le menageaſt, luy remit devant les yeux ce qu’aſſeurement il lui ſeroit un jour, & méme lui ordonna de faire dire au Comte, par un de leurs amis communs, qu’elle ſeroit bien aise de le voir. Il falut que Mademoiſelle de Roye obéît, mais elle en fut plus revoltée contre lui.

Monſieur d’Amboiſe ſentit bien qu’il ne devoit pas penetrer plus loin que l’apparence qui lui étoit favorable ; encore qu’il craignît de voir Mademoiſelle de Roye, il ne laiſſa pas d’aller chez elle le lendemain avec empreſſement. Il la trouva ſeule dans ſa chambre, la teſte appuyée ſur une de ſes mains, & dans une réverie ſi profonde, qu’à peine s’en tira-t-elle par le bruit qu’il fit en entrant. La pensée que le Marquis de Sanſac l’occupoit à ce point, renouvella la jalouſie du Comte d’Amboiſe. Mademoiſelle, lui dit-il, en ſoupirant, que ceux qui peuvent vous faire rêver, ſont heureux, & qu’on eſt à plaindre quand on eſt…

Mademoiſelle de Roye fut fachée qu’il commençaſt ce diſcours. Le commandement de Madame de Roye l’avoit miſe dans une diſpoſition chagrine, de ſorte que le regardant avec quelque dépit, je n’ay rien à vous répondre, lui dit-elle, tout ce que je dirois vous ſeroit ſuſpect, mais je prévois les malheurs que vôtre défiance me prepare. Vous preparer des malheurs, Mademoiſelle, lui dit-il, eſt-ce à moy que vous parlez ? Oüy, lui dit-elle, je ne dois point me flater, vous avez eu des commencemens de jalouſie, que j’ay peut-eſtre augmentée par ma faute, je ne puis plus penſer que vous ne me haïſſiez point.

Helas, Mademoiſelle, lui dit-il, ce n’eſt pas ma haine que vous craignez, vous ne craignez que mon amour ; mais enfin je ne me trouve plus digne de vous, puiſque je n’ay pû vous plaire ; c’eſt aſſez, je ne vous contraindray pas davantage, je vous fuiray, puiſque c’eſt la ſeule marque de paſſion qui vous puiſſe eſtre agreable de moy. Je vous aimeray toujours avec un amour violent, & je ne vous verray jamais.

Mademoiſelle de Roye ne lui en demandoit pas tant, mais le chagrin où elle l’avoit vû, & la diſpoſition où il lui paroiſſoit eſtre de ſe dégager, lui donna la hardieſſe de le lui propoſer. Elle lui repreſenta avec douceur, qu’il eſtoit deſormais impoſſible qu’il fût content en l’épouſant, que puiſqu’il avoit eu des ſoupçons une fois, il en auroit toujours, & qu’elle l’eſtimoit trop pour vouloir le rendre malheureux. Enfin, peu à peu elle eſſaya de le porter à retirer la parole qu’il avoit donnée à Madame de Roye. Il eſtoit dans un deſeſpoir qui ne lui permettoit pas de répondre. Ses yeux eſtoient attachez ſur Mademoiſelle de Roye. Il ne s’étoit point attendu qu’on ne le r’aſſureroit pas. Songez vous bien à ce que vous exigez de moy, Mademoiſelle, lui dit-il, ſongez vous bien que je vous aime, & le plus grand effort de mon amour, eſt-il dû à la plus cruelle preuve de vôtre indifference ? Vous pouvez me refuſer, luy dit triſtement Mademoiſelle de Roye. Eh ! Puis-je vous déſobéïr, lui dit-il en ſe levant, vôtre cœur ne conſent point à mon bonheur, en voudrois-je malgré lui ? Mais du moins, Mademoiſelle, jugez de l’excés de ma tendreſſe, par ce qu’elle me fait faire contre moy.

Il retourna à Paris, d’où il écrivit à Madame & à Mademoiſelle de Roye, pour leur dire un éternel adieu. Il prioit Madame de Roye de lui pardonner s’il partoit ſans la voir, & s’il répondoit ſi mal aux intentions qu’elle avoit bien voulu avoir en ſa faveur, mais que l’éloignement que Mademoiſelle de Roye avoit pour lui, y mettoit un obſtacle invincible, que le mariage ne pouvoit faire ſon bonheur, s’il ne faiſoit celui de la perſonne qu’il aimoit, & qu’il alloit porter ſa douleur dans des lieux éloignez pour ſe guerir, s’il ſe pouvoit, par l’abſence. En effet, peu de jours aprés, s’étant abſolument juſtifié d’eſtre entré dans la conſpiration du Prince de Condé, il paſſa en Angleterre avec la permiſſion du Roy.

Madame de Roye étoit fort mécontente de ce qu’un mariage qu’elle avoit ſi ardemment ſouhaité, trouvoit de pareils obſtacles. Elle avoit une ſi parfaite eſtime pour Monſieur d’Amboiſe, qu’il lui ſembloit qu’il n’y avoit que lui qui fût digne de ſon alliance. Elle parla à ſa fille avec reſſentiment, & lui dit, qu’elle ne meritoit pas d’étre aimée du Comte, & qu’elle ſeroit bien punie de ſa froideur pour lui, lors qu’elle épouſeroit quelqu’un, qui en auroit pour elle. Elle eſſuya l’indignation de ſa mere avec chagrin, mais ces menaces lui faiſoient peu de peur ; Elle ſongeoit que Sanſac alloit profiter de la liberté où d’Amboiſe l’avoit laiſſée, mais elle ne ſçavoit pas ce qui s’étoit deja paſſé à cette occaſion.

Madame de Roye la remena à Paris, & le bruit s’étant repandu de ſa rupture avec Monſieur d’Amboiſe, tous ceux qui pouvoient pretendre à elle ſongerent à l’obtenir.

Le Comte de Sancerre qui avoit eu de l’inclination pour elle, dés le méme inſtant qu’il l’avoit veuë, n’étoit point alors en France. Le Marquis de Sanſac qui ignoroit que Monſieur d’Amboiſe ſe fût degagé, eſtoit encore aux Terres de ſon pere, mais il ne fut pas longtemps ſans l’apprendre.

Entre tous ceux qui ſongerent à Mademoiſelle de Roye, le Vicomte de Tavanes fut le plus empreſſé, & il fit des propoſitions pour l’épouſer. Si toſt qu’elle fut à Paris, madame de Tournon l’appuya de tout ſon pouvoir. Il lui étoit d’une extrême importance que ce mariage fût arreſté avant que Sanſac eût ſceu que le Comte d’Amboiſe ne pretendoit plus à Mademoiſelle de Roye. Elle exagera à Madame de Roye tous les avantages de ce party. Le Vicomte de Tavanes poſſedoit de grands biens, & cherchoit encore à les augmenter, de ſorte qu’il regardoit plus Mademoiſelle de Roye par ceux qui lui étoient deſtinez, que par ſa beauté.

Madame de Roye qui n’avoit rien de caché pour Madame de Tournon, lui avoit confié toute la conduite du Comte d’Amboiſe, à l’égard de ſa fille, & l’avoit priée de découvrir ſi cette jeune perſonne n’avoit point quelque ſecrette inclination. Quoique ſes ſoupçons euſſent d’abord tombé ſur le Marquis de Sanſac, le refus qu’elle avoit fait de lui, la mettant hors d’état de renoüer avec bienséance, lui donnoit de l’éloignement pour ce mariage.

Madame de Tournon ne croyoit que trop que puiſqu’il aimoit Mademoiſelle de Roye, il en étoit aimé, & elle n’en cherchoit point d’autre certitude. Cependant elle dit à Madame de Roye qu’aprés l’avoir examinée, elle lui trouvoit de l’indifference pour tous les hommes, & méme beaucoup pour Sanſac en particulier ; qu’apparemment trop d’amour de la part du Comte d’Amboiſe, l’avoit empéché d’épouſer une perſonne incapable de ſentir jamais de paſſion, ny même de connoiſtre les ſentimens qu’on avoit pour elle. Enfin elle lui conſeilla fortement d’accepter le Vicomte de Tavanes pour gendre. L’affaire ſe traita avec un grand ſecret, elle auroit eſté promptement achevée, ſi la maladie du Roy n’euſt ſuſpendu toutes choſes.

Il fut ſaiſi à la Chaſſe, d’un mal de teſte ſi violent & ſi extraordinaire, que d’abord on en apprehenda les ſuites. Le péril où il eſtoit, r’appella à Paris tous ceux qui s’intereſſoient pour ſa vie. Le Marquis de Sanſac y revint avec empreſſement. Le Comte d’Amboiſe quoiqu’il fût à peine arrivé en Angleterre, retourna en France. Cette maladie fut auſſi funeſte que violente. Le Roy mourut en huit jours, & ſa mort fit prendre une nouvelle face à toutes choſes. La Reine Marie Stuart perdit toute l’autorité qu’elle s’étoit acquiſe. Catherine de Medicis fut declarée Regente durant la minorité de Charles IX & devint abſoluë. Le Prince de Condé qui avoit eſté arreſté pour la conſpiration dont on le croyoit le chef, fut mis en liberté ; il conſervoit toûjours beaucoup d’eſtime pour d’Amboiſe, & quoiqu’il n’euſt pû le faire entrer dans ſes deſſeins, il ne l’en avoit pas moins aimé.

Le Marquis de Sanſac parla à Mademoiſelle de Roye le lendemain qu’il fut à Paris ; elle eſtoit chez Madame de Tournon, où il y avoit beaucoup de monde, & elle étoit un peu écartée des autres, de ſorte qu’il trouva moyen de ſe placer auprés d’elle, ſans que Madame de Tournon pût s’y oppoſer.

Il demanda pardon à Mademoiſelle de Roye des propoſitions qu’il avoit fait faire à ſa mere, avant que de l’avoir conſultée ; il en accuſa la violence de ſa paſſion, & il lui dit que ce qu’il avoit appris de ſa haine pour lui, & le refus de Madame de Roye l’en puniſſoient aſſez. Mademoiſelle de Roye fut ſurpriſe de ce diſcours. Vous m’apprenez des choſes ſi nouvelles, lui dit-elle, que je ſuis embarraſſée à y répondre ; j’ignore la haine que j’ay pour vous, comme tout le reſte.

Madame de Tournon qui le vit attaché à parler à Mademoiſelle de Roye, feignant de ne s’en appercevoir pas, la fit approcher d’elle, lui diſant qu’elle eſtoit trop éloignée du reſte de la Compagnie.

Lors que Mademoiſelle de Roye fit reflexion ſur ce qu’il lui avoit dit, elle crut que ces propoſitions s’eſtoient faites ce meſme jour, & que des raiſons de haine ou d’intereſt, avoient déterminé ſa mere à un refus ; ainſi elle concluoit qu’elle n’épouſeroit point Sanſac, dans le temps qu’elle s’aſſuroit d’en eſtre tendrement aimée.

Ce Marquis cependant reprenoit des eſperances ; il voyoit qu’il n’eſtoit point haï. Il comprenoit meſme que peut-eſtre Madame de Roye en le refuſant ſi cruellement, n’avoit cherché qu’à tenir parole à Monſieur d’Amboiſe, & que les choſes ayant changé, une ſeconde tentative pourroit réuſſir. Il voulut engager ſon pere dés le lendemain à parler à Madame de Roye, mais il le trouva ſi penetré de la mort du Roy, dont il avoit eſté Gouverneur, qu’il n’en put meſme eſtre écouté.

Ce Marquis eſtoit trop amoureux pour ne pas craindre d’eſtre prévenu par ſes Rivaux. Il connoiſſoit le pouvoir que Madame de Tournon avoit ſur l’eſprit de Madame de Roye ; il lui déclara ſon amour, & il la conjura de parler en ſa faveur, en attendant que ſon pere pût entrer dans cet affaire. Madame de Tournon fut outrée de cette confidence, mais elle prit le party de diſſimuler, & elle ſçavoit bien qu’elle devoit peu craindre qu’il réuſſiſt. Elle l’aſſura qu’il ne tiendroit pas à elle qu’il ne fût heureux. Il la crut, & il alla cependant voir Madame de Roye dés ce meſme jour, mais bien des choſes s’eſtoient paſſées, qu’il ignoroit.

Si-tôt que Monſieur d’Amboiſe avoit eſté revenu d’Angleterre, il avoit eſté chez cette Comteſſe qui l’avoit receuë avec beaucoup d’amitié. Elle venoit d’apprendre à ſa fille qu’elle la deſtinoit au Vicomte de Tavanes, & cette nouvelle lui avoit donné une ſi vive douleur, qu’elle n’avoit eu que le temps de lui répondre, qu’elle lui obéïroit toûjours, & elle eſtoit ſortie de la chambre de ſa mere, pour donner un cours libre à ſes larmes.

Lors qu’elle vit qu’elle n’avoit évité d’épouſer le Comte d’Amboiſe, que pour eſtre au Vicomte de Tavannes, elle fut inconſolable. Sa perſonne lui avoit toûjours déplû, & ſon deſſein le lui rendoit odieux. Elle penſoit que la parfaite eſtime qu’elle avoit pour le Comte d’Amboiſe, lui pouvoit tenir lieu d’amour, & qu’il lui auroit eſté plus ſupportable d’eſtre à lui, puiſqu’elle ne croyoit plus épouſer Sanſac, que d’eſtre au Vicomte de Tavanes. Enfin, le mal paſſé ne lui paroiſſoit plus un mal, & elle ne donnoit ce nom qu’au preſent.

Madame de Roye voulant faire connoiſtre à d’Amboiſe qu’il n’avoit point perdu la confiance, ne lui fit point un ſecret du mariage de Monſieur de Tavanes avec ſa fille, & elle lui en parla comme d’une choſe qui ſeroit bien-tôt concluë. Mais que ne produiſit point cette nouvelle dans l’eſprit de Monſieur d’Amboiſe ? Mademoiſelle de Roye alloit épouſer un homme qu’il ſçavoit bien qu’elle n’aimoit pas. La pensée de la perdre ſans retour, & de la voir poſſeder par un mary qui l’avoit ſi peu meritée, excitoit en méme temps ſon déſeſpoir & ſon indignation.

Il demanda à Madame de Roye la permiſſion de voir ſa fille, & il alla la trouver à ſon appartement. Elle eſtoit dans un état ſi triſte, qu’il n’avoit pas beſoin de ſon amour pour en eſtre ſenſiblement touché. Son viſage eſtoit couvert de larmes qui ne diminuoient point ſa beauté. Vous eſtes témoin de ma douleur, lui dit-elle ſentant qu’elle ne pouvoit cacher ſes pleurs ; & vous ſçaurez bien-toſt ce qui l’a causé. Je ne le ſçais peut-eſtre déja que trop, lui dit-il, Mademoiſelle, & j’oſe dire que je ſens plus encore les maux que vous ſentez, que je n’ay jamais ſenty tous ceux que vous m’avez faits. Que vôtre honneſteté m’eſt cruëlle, lui dit Mademoiſelle de Roye, que ſon chagrin faiſoit parler ! Cachez-la moy par pitié, afin que je connoiſſe moins le prix de ce que j’ay perdu. Que me dites-vous Mademoiſelle, lui dit-il ? Je n’ay point acquis aſſez d’indifference ; pour pouvoir entendre tranquilement ces paroles de vôtre bouche. Je ne cherche point à vous flater, lui dit elle, mais il eſt vray que je me repentiray toute ma vie du procedé que j’ay eu avec vous, & que je me trouveray trés-malheureuſe d’épouſer le Vicomte de Tavanes. Ah ! Mademoiſelle, lui dit le Comte d’Amboiſe, je ne ſçaurois me plaindre de ma diſgrace, puis qu’elle m’attire des paroles ſi obligeantes. Eſt-il poſſible que vous me puiſſiez preferer à quelqu’un ? Je ne l’aurois jamais ſceu, ſi vous ne m’aviez forcé de renoncer à vous ; mais quelques obſtacles que j’aye mis à mon bonheur, peut-eſtre il ne me ſeroit pas impoſſible de les vaincre, ſi vous y conſentiez. Vous auriez mon conſentement avec bien de la facilité, s’il y faiſoit quelque choſe, lui dit mademoiſelle de Royce, qui ne voyoit encore que le ſuplice d’épouſer Tavanes. Monſieur d’Amboiſe fut ſi tranſporté de la joye que lui donnoient ces paroles, qu’il ne vit rien de ce qui pouvoit la troubler. Les ſoupcçons qu’il avoit eus de Sanſac, s’effacerent de ſon eſprit. Il trouva qu’il les avoit pris ſur des fondemens legers. Madame de Roye lui avoit parlé du mariage de Tavanes, comme d’une choſe avancée, mais non pas concluë abſolument. Il alla trouver le Prince de Condé, il le conjura de parler à Madame de Roye, parce qu’il eût eſté embaraſſé à lui parler lui-même, à cauſe de l’irregularité qui pouvoit paroiſtre dans ſon procedé. Ce Prince qui avoit bien voulu entrer dans les détails de ſa paſſion, dés qu’elle avoit commencé, ſaiſit cette occaſion de lui rendre un office. Il alla voir Madame de Roye, & il l’engagea aiſement à rentrer dans ſes premieres liaiſons avec le Comte d’Amboiſe, qu’elle avoit toûjours plus eſtimé que tous les autres hommes. Elle dit à ſa fille que s’il eſtoit vray qu’elle eût de l’éloignement pour le Vicomte de Tavanes, elle n’iroit pas plus avant avec lui, & qu’elle reprendroit ſes premiers engagemens, avec Monſieur d’Amboiſe.

Mademoiſelle de Roye qui n’avoit ſongé d’abord qu’à n’épouſer pas Tavanes, vit qu’elle avoit, ſeulement changé de malheur ; celui-cy eſtoit moindre à la verité, mais il eſtoit aſſez grand pour la mettre au déſeſpoir. Enfin elle ſe l’étoit attiré, il n’y avoit pas moyen qu’elle l’évitât, & elle dit à ſa mere, qu’elle lui obéïroit ſans répugnance.

Madame de Roye fit naître des dificultez ſur le mariage du Vicomte de Tavanes, & comme elle ne lui avoit point encore donné de parole, elle le rompit ſans qu’il parût qu’elle en eût eu le deſſein.

Madame de Tournon qui eſtoit trop avant dans ſa confidence, pour ignorer ce qui ſe paſſoit, lui fit les propoſitions de Sanſac, lors qu’elle vit qu’il n’y avoit plus rien à eſperer pour lui, de ſorte qu’il fut une ſeconde fois refusé. Cette Comteſſe le lui apprit avec toute la malice dont elle eſtoit capable. Elle lui fit confidence des deſſeins de Tavanes & de leur progrez, en lui diſant enſuite que Mademoiſelle de Roye n’avoit pû ſoûtenir la pensée d’étre à un autre qu’à d’Amboiſe ; qu’une legere cauſe les ayant brouillez, leur raccommodement avoit eſté aisé, & qu’elle avoit engagé elle-même ſon Amant à faire parler à ſa mere. La choſe eſtoit vraye en apparence. Elle la conta de la même maniere à quelques perſonnes, afin qu’on le redît encore à Sanſac. Il entra dans un violent dépit contre Mademoiſelle de Roye ; il l’accuſa de l’avoir trompé par ſa fauſſe douceur. Il s’accuſa de s’être voulu tromper ſoi même. Il examina combien les choſes qui l’avoient flaté, eſtoient foibles. Enfin, il s’abandonna au déſeſpoir auſſi facilement qu’il s’étoit abandonné à l’eſperance, & il ceſſa de voir mademoiſelle de Roye.

Elle avoit pris une reſolution qu’elle avoit de la peine à ſoûtenir, ſa triſteſſe eſtoit extraordinaire, & d’Amboiſe n’eſtoit pas aſſez heureux pour ne la point penetrer. Les ſoupçons qu’il avoit eus de Sanſac, lui rentroient dans l’eſprit ; cependant la preference qu’elle lui avoit donnée ſur le Vicomte de Tavanes, & les choſes flateuſes qu’elle lui avoit dites à cette occaſion, venoient le ſoûtenir contre ſes defiances ; & ſi ces reflexions troubloient le bonheur qu’il attendoit, elles ne l’empêchoient pas de l’attendre.

Tout ſe diſpoſoit pour ſon mariage, Mademoiſelle de Roye avoit beaucoup d’égards pour lui ; mais quand elle eſtoit ſeule, elle en dédommageoit Sanſac par un torrent de larmes. Elle ſe regardoit elle-même comme la cauſe de ſes malheurs. Jamais elle ne s’étoit veuë ſi preſte d’entrer dans un engagement, contre lequel tout ſon cœur ſe revoltoit. Elle ne put ſoûtenir ces diverſes agitations, & elle tomba malade.

Quel déſeſpoir pour Monſieur d’Amboiſe ! Il ne pouvoit douter que ſa maladie ne fût l’effet du chagrin qu’elle avoit de l’épouſer. Il ſe ſentoit neanmoins entraîné à la voir tous les jours, & il la voyoit pleine d’honnêteté pour lui. Malgré les maux qu’elle lui cauſoit, il l’eſtimoit davantage, & il ne l’aimoit pas moins ; au contraire l’admiration & la pitié ſe joignant à ſes autres ſentimens rendoient ſa paſſion plus forte, mais en méme temps plus capable de raiſon. Le moyen de contraindre une perſonne qui ſe contraignoit elle-méme pour l’amour de lui ? Il vit qu’il devoit ſe dégager une ſeconde fois, mais en rendant Mademoiſelle de Roye à elle, il la mettoit entre les mains de ſon Rival. Cette pensée le faiſoit trembler, & il ne reſolluoit rien.

Cependant la maladie de Mademoiſelle de Roye augmentoit. Il ſentit alors qu’il l’aimoit aſſez pour ne la diſputer pas davantage aux dépens de ſa vie. Il vit qu’il faloit la ceder à ſon Rival, qu’elle ne pouvoit eſtre que malheureuſe avec un autre. Il crut qu’il eſtoit capable de cet effort. Il ſe flata méme qu’une action extraordinaire produiroit peut-eſtre un effet extraordinaire, & que s’il ne ramenoit pas Mademoiſelle de Roye vers lui, en faiſant pour elle une choſe dont un autre ne pouvoit eſtre capable, il rendoit du moins tous les autres hommes indignes d’en étre aimés. Enfin il ſe formoit du debris de toutes ſes eſperances, une nouvelle ſorte d’eſpoir. Toûjours il penſa qu’il empoiſonneroit le bonheur de ſon Rival, en lui donnant luy-méme ſa maîtreſſe. Mais aprés tout, ce n’eſtoiẽt que des idées. Son cœur ne goûtoit point ſes raiſons, & il lui auroit encore eſté plus aisé de faire la choſe, que de la reſoudre.

Il alla voir Mademoiſelle de Roye le lendemain. Il remarqua qu’elle pleuroit, quoiqu’elle eſſayaſt de cacher ſes larmes, & de montrer un viſage ouvert & tranquile. Il eſt dificile de ſe repreſenter l’état où il ſe trouva. L’effort qu’on ſe faiſoit pour lui, le portoit à celui qu’il ſe devoit faire. L’amour, la pitié, le deſeſpoir formoient mille combats dans ſon ame. Il demeura longtemps ſans parler ; mais enfin regardant Mademoiſelle de Roye avec des yeux baignez de larmes, Mademoiſelle, lui-dit-il, vous avez eu juſqu’ici plus de force que moy. Je tremble de mon projet, mais peut-eſtre je l’executeray. Vous me donnez l’exemple de mourir, s’il le faut en ſe contraignant. Eh bien, c’en eſt fait, il faut m’arracher à moy-méme ; ne me cachez point vos ſentimens pour Sanſac. Je veux tout entreprendre pour luy faire obtenir un bonheur dont vous le jugez plus digne que moy, auſſi-bien puis-je eſtre plus malheureux que je le ſuis. Je vous plairay du moins en vous donnant à mon Rival. Il remarquoit pendant ce diſcours une impreſſion de joye ſur le viſage de Mademoiſelle de Roye, qu’il ne lui avoit jamais veüe. Il ſe déſeſperoit de ce qu’il alloit faire, ſans neanmoins s’en repentir. Il eſt des momens où l’on ſemble agir par une force ſuperieure ; ce qu’il faiſoit tenoit plus du Heros que de l’Amant, & le rendoit digne en même temps de pitié & d’envie. Je pars, lui dit-il, Mademoiſelle, pour un deſſein qui ne s’achevera pas s’il ſe retarde, & toute la grace que je vous demande, c’eſt de n’oublier point en me voyant, que je ſuis le plus malheureux de tous les hommes pour l’amour de vous. Mademoiſelle de Roye ne put reſiſter à ces divers mouvemens, la ſurpriſe, la crainte, la honte agitoient ſon cœur. Sa fiévre en un inſtant redoubla ſi conſiderablement, qu’on jugea que ſa vie alloit eſtre dans un trés-grand danger. Il n’en faloit pas tant pour déterminer Monſieur d’Amboiſe. Il courut à l’appartement de Madame de Roye, il lui apprit le péril où eſtoit ſa fille, & la paſſion qu’elle avoit dans le cœur. Il la conjura de n’avoir plus d’égards pour luy, & de ne ſonger qu’à Mademoiſelle de Roye. Cette mere aimoit veritablement ſa fille. La maladie de cette jeune perſonne la mettoit dans une cruelle inquietude, & tout ce qui pouvoit contribuer à ſa gueriſon, lui paroiſſoit agreable. Elle marqua à Monſieur d’Amboiſe combien elle eſtoit touchée de ſa generoſité, & lui donna des louanges auſquelles il eſtoit peu ſenſible. Il vit qu’il réüſſiſſoit trop aisément dans ce qu’il entreprenoit. Il quitta Madame de Roye, & il alla ſe renfermer chez lui, où il s’abandonna à tout ce que le déſeſpoir a de plus affreux. Quand il ne ſe vit plus rien à faire, il penſa à ce qu’il avoit fait ; il enviſagea à loiſir le mariage de Madlle de Roye & du Marquis de Sanſac, auquel il n’y avoit plus d’obſtacles. Il vit qu’il l’avoit lui-même livrée à celui qu’il devoit le plus craindre qui ne la poſſedaſt, & il fut mille fois ſur le point de le punir de ce qu’il venoit de faire pour lui, & de l’empécher par ſa mort d’obtenir un bien qu’il venoit de lui abandonner. Enſuite il ſe repreſentoit l’état où il avoit vû Mademoiſelle de Roye. Cette idée le retenoit, mais il voyoit à quel excés la pitié l’avoit porté. Il revenoit comme d’un ſonge, & il avoit peine à croire ce qu’il avoit eſté capable d’executer. Il ſongea que Mademoiſelle de Roye perdroit le ſouvenir de ce qu’il avoit fait pour elle, & de ce qu’il lui en coûtoit, dans la joye qu’elle auroit d’eſtre à un homme qu’elle aimoit tendrement. Cette réflection lui rendoit tout inſupportable ; il penſoit haïr Mademoiſelle de Roye autant que Sanſac, & il croyoit ne pouvoit jamais voir l’un non plus que l’autre.

Madame de Roye employa un de ſes amis qui l’étoit auſſi du Marquis de Sanſac, pour lui faire ſçavoir que Monſieur d’Amboiſe eſtoit abſolument dégagé d’avec Mademoiſelle de Roye, & que s’il faiſoit quelques démarches pour l’obtenir, il n’y trouveroit plus d’obſtacles. Ce Marquis eſtoit trop amoureux pour ſonger aux refus qu’il avoit déja deux fois eſſuyés. L’avance que Madame de Roye lui faiſoit en eſtoit la réparation, mais il vouloit ſçavoir les ſentimens de ſa fille. Il alla chez cette Comteſſe ; il vit Mademoiſelle de Roye, à qui la joye redonnoit la ſanté, que le chagrin lui avoit ôtée. Il ne lui fut pas dificile de connoître qu’il eſtoit aimé ; il le comprit en partie par les choſes qu’elle laiſſoit échaper, & plus encore par celles qu’elle évitoit de lui dire.

Le Marquis de Sanſac apprit à ſon pere le changement favorable pour lui qui s’étoit fait dans l’eſprit de Madame de Roye, mais il ne le trouva plus dans les mêmes diſpoſitions pour ſon alliance. Le refus qu’elle avoit fait de ſon fils, l’avoit irrité au point de ne pouvoir jamais revenir de ſa colere ; mais d’autres raiſons ſe joignoient encore à celle-là. Le Comte de Sanſac eſtoit haï de Catherine de Medicis, parce qu’il avoit eſté Gouverneur de François II qu’elle n’avoit jamais aimé. Elle ſe plaignoit que ce Gouverneur l’avoit élevé dans une grande indépendance à ſon égard, & elle en avoit pris de l’éloignement pour ſon fils méme. Elle eut lieu de voir lorſqu’il mourut, combien ſes ſentimens eſtoient reſpectez de toute la Cour, excepté des Sanſacs. Le Corps du feu Roy fut porté à ſaint Denis ſans aucune pompe. Meſſieurs de Guiſe oncles de la Reine ſa femme, ne le ſuivirent meſme pas, & le Comte de Sanſac ſeul & ſon Fils, l’accompagnerent.

La Regente ne fut pas longtemps ſans marquer ſes reſſentimens au Comte de Sanſac en pluſieurs rencontres. Il n’eſtoit plus appuyé de perſonne, il vit qu’il avoit beſoin d’étre ſoutenu.

Mademoiſelle de Roye & meſme Madame de Roye qui ne s’occupoit que de ce qui convenoit à ſa fille, ayant toûjours eſté de la Cour de Marie Stuart, plus que de celle de Catherine de Medicis, n’eſtoient pas propres à le remettre en bonne poſture auprés d’elle. Il avoit d’autres veuës, & il dit à ſon Fils, qu’aprés le refus déſobligeant que Madame de Roye avoit fait de le recevoir pour gendre, il devoit eſtre honteux de ſonger encore à le devenir, & il lui déclara qu’il ne conſentiroit jamais à ce mariage. Cét Amant ſe jetta aux pieds de ſon pere ; il lui dit que tout le bonheur de ſa vie dépendoit d’épouſer Mademoiſelle de Roye, mais il ne le fit pas changer de deſſein.

Le Marquis de Sanſac ſe revolta par cette dureté. Sa mere lui avoit laiſſé de grands biens, & quoique ceux de ſon pere fuſſent conſiderables, ils les ſacrifioit ſans peine à ſon amour. Il mit deux de ſes oncles dans ſon party, qui qui firent tous les pas qu’il falloit faire auprés de Madame de Roye, & dont les propoſitions furent receuës, mais à condition que le Marquis de Sanſac ſe raccommoderoit avec ſon pere, avant qu’on achevaſt le mariage, & que leur traité ſeroit ſecret juſque-là.

Ce Marquis eut cependant la permiſſion de voir ſouvent Madlle de Roye dont la ſanté ſe rétabliſſoit chaque jour, & dont la beauté augmentoit encore depuis que ſon cœur étoit content. Elle ſentoit vivement ce qu’elle devoit au Comte d’Amboiſe. Elle auroit voulu lui marquer combien elle en eſtoit touchée, & le dédommager s’il ſe pouvoit par ſa reconnoiſſance des ſentimens qu’elle n’avoit pas pris pour lui ; mais elle ne le voyoit plus, parce qu’il prenoit ſoin de l’éviter. Il ſçavoit cependant que ſon mariage avec Sanſac, n’eſtoit pas preſt à s’achever ; mais ſi cette pensée adouciſſoit ſa douleur, elle ne la lui ôtoit pas.

Mademoiſelle de Sanſac revint à Paris, elle apprit avec plaiſir l’action de d’Amboiſe, & elle en parloit ſans ceſſe à Mademoiſelle de Roye. Un jour qu’elles ſe promenoient enſemble dans les jardins du Louvre, elles le rencontrerent qui eſtoit ſeul, & qui révoit ſi profondément, qu’il étoit proche de Mademoiſelle de Roye, ſans s’en appercevoir. Il continuoit à marcher, mais elle l’arréta. Vous voulez-bien, lui dit-elle, que je profite des occaſions que le hazard me donne de vous marquer mes ſentimens ; il y a longtemps que je les cherche en vain. Hé, Mademoiſelle, lui dit-il, il y auroit de la cruauté à vouloir me voir encore, je vous ſuis inutile. Il lui fit une profonde reverence, & il ſe retira ſans regarder Mademoiſelle de Sanſac. Elles furent ſurpriſes de cette fuite. Mademoiſelle de Sanſac eut de la colere de ce qu’il ne l’avoit pas ſeulement remarquée. Mademoiſelle de Roye connut par la triſteſſe du Comte, & par ſa promte retraite, combien ſa paſſion eſtoit encore vive, & combien ſa generoſité avoit eſté extraordinaire. Elle eut une très-ſenſible douleur d’avoir rendu un ſi honneſte homme malheureux.

Il eſtoit au déſeſpoir de l’avoir quitée ſi bruſquement. Il craignit de l’avoir offencée, & qu’elle ne vint à le haïr. Enfin il avoit encore ſenty du plaiſir à la voir. Il s’en eſtoit privé de peur de s’y trop abandonner, mais qu’il trouvoit que ſa raiſon lui avoit eſté cruelle, & que pouvoit-il lui arriver de plus triſte, que d’eſtre haï de Mademoiſelle de Roye, & de ne la voir jamais ? Cependant il ne vouloit plus aller chez elle, mais il ſentoit que ce lui ſeroit une douceur que de la rencontrer.

Sanſac trouvoit le retardement de ſon bonheur ſi inſupportable, qu’il n’eſtoit guere moins affligé que lors qu’il eſtoit incertain d’eſtre aimé. C’étoit en vain qu’il preſſoit Madame de Roye de conſentir qu’il épouſaſt ſa fille, malgré le chagrin du Comte de Sanſac, elle ne vouloit point lui laiſſer perdre une partie de ſa fortune par trop de précipitation. L’eſtime que cette Comteſſe avoit pour d’Amboiſe, lui faiſoit ſouhaiter qu’il fût toûjours de ſes amis. Cependant quoiqu’elle fût fâchée de n’avoir plus aucun commerce avec lui, elle n’oſoit lui en faire des reproches, mais comme elle eut beſoin de lui dans une affaire conſiderable, elle le lui fit ſçavoir, & il ne put ſe diſpenſer d’aller chez elle. Il y retourna avec quelque peine & avec quelque plaiſir. Il trouva d’abord Mademoiſelle de Roye ſeule dans la chambre de ſa mere, & il fut ſi frapé de cette veuë qu’il demeura cõme immobile.

Madame de Roye eſtoit dans ſon cabinet avec une perſonne de conſideration, lorſqu’il entra. Comme elles eſtoient occupées d’une affaire particuliere, elle vint au devant de lui le ſupplier de vouloir bien demeurer un momẽt dans ſa chambre avec ſa fille. Mademoiſelle de Roye fut d’abord embarraſſée de la preſence d’un homme à qui elle avoit des obligations infinies, & qu’elle jugeoit par ce qui s’étoit paſſé de puis peu, que ſa reconnoiſſance méme pouvoit chagriner. Le déſordre de Monſieur d’Amboiſe eſtoit extraordinaire, il ſe retrouvoit auprés d’une perſonne qu’il avoit eſté contraint d’abandonner, qu’il adoroit toûjours, à qui il ne vouloit plus le dire, encore qu’il ſouhaitaſt qu’elle le ſçeuſt, enfin avec une perſonne qui lui donnoit une cruelle jalouſie, & qui lui inſpiroit un reſpect extrême. Ils garderent quelque temps le ſilence l’un & l’autre, elle le rompit neanmoins la premiere. Je ne ſçaurois m’empêcher de me réjouir de vous voir, lui dit-elle, quoiqu’il me paroiſſe que vous ne ſoyez pas content d’eſtre ici. Mademoiſelle, lui dit-il, eſt-il poſſible que la preſence d’un malheureux que vous avez forcé de renoncer à vous, puiſſe ne vous pas eſtre deſagreable ? Je ne vous y ay point contraint, lui dit Mademoiſelle de Roye, vous m’avez fait un ſacrifice volontairement. Hé, reprit-il, Mademoiſelle, vous mouriez ſi je ne vous l’euſſe fait. Vous ne pouviez ſoûtenir la pensée d’eſtre à moy. Je vous oſtois à celui ſans lequel vous ne pouviez vivre. Vous en dites beaucoup, interrompit Mademoiſelle de Roye en rougiſſant. Hé, Mademoiſelle, lui dit-il, pourquoi cette retenuë & cette contrainte ? Auoüez moy que vous aimez mon Rival. Je le ſçais, je le vois malgré vous, & la reſerve dont vous uſez, eſt un rafinement de tendreſſe dont je ſuis plus jaloux que de toute celle que vous me marqueriez avoir pour lui. Mais que vous dis-je, reprit-il, pourquoi vous montrer cette bizarerie ? Je vous demande pardon. Je vous aime, je vous aimeray toute ma vie. Je n’ay pû eſtre le maiſtre de ne vous point parler une fois de Sanſac, mais je ne vous en parleray plus. Je vous reſpecte aſſez pour reſpecter méme voſtre paſſion. Je me contraindray ſans ceſſe & je ne vous entretiendray jamais de la mienne. Mais la ſeule grace que je vous demande, c’eſt que vous me regardiez comme quelque choſe de plus qu’un amy. Je vous regarde même, lui dit-elle, comme quelque choſe de plus qu’un Amant. Vous avez fait pour moy des choſes ſi peu ordinaires, que je ne puis avoir pour vous des ſentimens communs.

La conduite de ce Comte avoit eſté ſi digne d’admiration, & Mademoiſelle de Roye lui eſtoit ſi obligée, qu’elle crut lui devoir parler avec douceur, mais cependant d’une maniere qui ne flataſt point ſon amour ; auſſi ces paroles le firent ſoupirer. Madame de Roye entra comme elle les achevoit. Cette Comteſſe apprit à Monſieur d’Amboiſe en quoi il pouvoit lui eſtre utile, & il lui promit de lui obéir ponctuellement dans les choſes qu’elle ſouhaitoit. Elles avoient quelque rapport à Mademoiſelle de Roye, & il ſe trouva encore ſenſible au plaiſir de lui rendre un ſervice. Ses honneſtetez ou plûtoſt ſa veuë, avoient remis une ſorte de douceur dans ſon ame, quoiqu’elle ne lui euſt rien dit de favorable à ſa paſſion. C’eſtoit toûjours beaucoup qu’elle eût pour lui toute l’eſtime qu’il méritoit, & qu’elle la lui euſt marquée.

L’affaire dont Madame de Roye l’avoit chargé, l’obligea à retourner chez elle plus d’une fois. Il n’évitoit plus mademoiſelle de Roye, & il reprenoit l’habitude de lui parler. Peut-eſtre même retrouvoit-il dans ſon cœur quelque penchant à l’eſperance. Les obſtacles qui s’oppoſoient au mariage du Marquis de Sanſac, pouvoient durer longtemps. Il n’eſtoit pas impoſſible qu’une conduite ſoûmiſe & déſintereſſée, ne lui attiraſt une bien-veillance particuliere de mademoiſelle de Roye, & que ne lui parlant jamais de ſa paſſion, & lui faiſant neanmoins connoiſtre qu’elle n’eſtoit pas éteinte, il ne priſt à la fin quelque choſe ſur les ſentimens qu’elle avoit pour un Rival qui les méritoit moins que lui.

Madame de Tournon eſtoit au déſeſpoir de n’avoir pû empêcher la liaiſon de Sanſac & de Mademoiſelle de Roye ; elle cherchoit du moins à la rompre, & le Comte de Sancerre qui dans ce temps-là revint à Paris, lui parut propre à la ſervir dans ſes deſſeins. Il eſtoit ſon amy particulier, cependant il ne lui avoit point fait confidence autrefois de ſon inclination pour Mademoiſelle de Roye, & ce n’eſtoit que par l’application qu’elle avoit toûjours euë pour ce qui regardoit cette belle perſonne, qu’elle l’avoit découverte ; il avoit méme eu de la peine à lui avouër une paſſion dont il eſperoit ſi peu, qu’il l’avoit cachée à celle qui la cauſoit.

Le Comte de Sancerre eſtoit bien fait ; il eſtoit fin, adroit & ſpirituel. La Comteſſe avoit empéché autant qu’elle l’avoit pû, qu’il n’aimaſt Mademoiſelle de Roye, & elle avoit beaucoup contribué à lui faire entreprendre le voyage qu’il avoit fait en partie pour la fuir. Mais l’Amour la fit changer d’intereſts. Elle ſacrifia la jalouſie de beauté, à la tendreſſe qu’elle avoit pour Sanſac, & elle aſſûra le Comte de Sancerre qu’elle viendroit à bout de la lui faire épouſer, s’il vouloit ſuivre exactement la conduite qu’elle lui preſcriroit. Elle lui conſeilla de tâcher à s’inſinüer dans ſon eſprit ſous le nom d’amy, & de lui cacher ſes veritables ſentimens juſqu’au temps de les faire éclatter avec ſuccés. Sancerre goûta cét avis qui s’accordoit avec ſon humeur & avec ſon intereſt.

Mademoiſelle de Sanſac ne pouvoit ſouffrir l’indiference que d’Amboiſe avoit pour elle. Elle commença à le maltraiter, & à lui faire de petites incivilitez, qui de la part d’une perſonne raiſonnable, ne pouvoient eſtre que des marques de paſſion. Il connut avec chagrin des ſentimens auſquels il ne pouvoit répondre, & dont ſes propres malheurs le forçoient d’avoir pitié. Mademoiſelle de Roye s’appercevoit de l’etat où eſtoit le cœur de ſon amie, par les plaintes bizares qu’elle lui faiſoit ſans ceſſe de ce Comte. Elle craignoit tout de la diſpoſition de Monſieur d’Amboiſe ; quelquefois elle eſperoit que la tendreſſe de Mademoiſelle de Sanſac le toucheroit ; elle vouloit lui en parler, mais quand elle faiſoit reflection ſur l’indépendance des inclinations, ce qu’elle avoit dans le cœur la faiſoit trembler pour ſon amie.

Mademoiſelle de Sanſac demeuroit dans une mélancolie qui empéchoit le retour de ſa ſanté. Elle avoit demandé permiſſion à la Reine de ſe retirer de la Cour, & elle vivoit chez ſon pere dans une aſſez grande retraite. Mademoiſelle de Roye prenoit part à ſes maux, & elle eſtoit aſſez équitable pour lui en eſtre obligée. L’indifference que Mademoiſelle de Roye avoit pour d’Amboiſe, la flatoit, & l’empêchoit de la haïr. Elle tâchoit d’adoucir l’eſprit de ſon pere, ſur le mariage de Sanſac, & de Mademoiſelle de Roye, & elle ne deſeſperoit pas d’y réuſſir, mais il lui arriva de nouveaux chagrins qui l’empécherent d’executer ce qu’elle s’eſtoit proposé.

Un jour qu’elles eſtoient enſemble dans le Carroſſe de Mademoiſelle de Sanſac, elles virent d’Amboiſe dans le ſien entraîné par ſes Chevaux, avec tant de violence, que ſa vie étoit en danger. Mademoiſelle de Sanſac pâlit, & dit à ſes gens de mener ſon Carroſſe ſur leur paſſage, afin de les arreſter. Elle leur parloit d’une maniere ſi vive & ſi preſſante, que malgré le riſque qu’ils couroient à lui obéïr, ils executerent cét ordre ; cependant ce fut avec tant de bonheur, que les Chevaux dont la premiere fureur commençoit à ſe r’allentir, rencontrant les autres de front, ne paſſerent pas outre.

Comme il voulut aller rendre grace à ceux qui s’étoient mis en péril pour le ſauver, il apperçut les Livrées de Sanſac, il crut que c’eſtoit ſon Rival, & il fut au déſeſpoir de lui devoir la vie ; cependant pour ne lui point faire connoître une ingratitude qu’il n’avoit pas volontairement, il s’avança vers ce Carroſſe, mais il n’y vit que des femmes. Mademoiſelle de Roye ſe preſenta d’abord à ſes yeux. Mademoiſelle de Sanſac s’êtoit trouvée ſi mal de l’émotion que cette avanture lui avoit causée, qu’elle avoit eſté contrainte de s’appuyer ſur une de ſes mains. Il commençoit à remercier Mademoiſelle de Roye en des termes où ſa paſſion s’exprimoit malgré-luy, mais elle luy dit qu’il avoit toute l’obligation à Mademoiſelle de Sanſac, & quoiqu’il fût fâché de s’eſtre trompé à une choſe qui luy plaiſoit, il ne put ſe diſpenſer de la remercier avec beaucoup de reconnoiſſance ; il les quitta pour les laiſſer pourſuivre leur chemin.

Aprés qu’il les eut quittées, Mademoiſelle de Sanſac ſe trouvant ſeule avec Mademoiſelle de Roye, vous avez vû ma foibleſſe, luy dit-elle, il n’eſt plus temps que je vous la diſſimule. Je me ſuis toûjours refusé le ſoulagement de me plaindre avec vous, pour ne point entretenir une douleur que je condamne. Ayez pitié de moy & me donnez quelque conſolation. Vous n’eſtes point coupable, luy dit Mademoiſelle de Roye, perſonne n’eſt exempt des paſſions, il ſuffit de les combatre. Je voudrois que la confiance que vous me têmoignez, vous puſt eſtre utile. Elle l’embraſſa en diſant ces paroles. Mademoiſelle de Sanſac vit avec chagrin qu’elles étoient arrivées au lieu où on les attendoit. Cette converſation luy faiſoit plaiſir, & elle pria Mademoiſelle de Roye de venir, s’il ſe pouvoit, le lendemain ſe promener avec elle, dans un lieu agreable où ſon peu de ſanté l’obligeoit à aller prendre l’air tous les matins.

Mademoiſelle de Roye revit ce même jour le Comte d’Amboiſe chez Madame de Tournon. On y joüoit. Ils eſtoient les ſeuls qui ne joüoient pas. Mademoiſelle de Roye s’approcha de la fenêtre pour parler à ce Comte. Elle vouloit ſçavoir de quelle maniere il reconnoîtroit ce que Mademoiſelle de Sanſac avoit fait pour luy. J’avois du plaiſir à penſer que c’eſtoit à vous que je devois la vie, luy dit-il, Mademoiſelle, mais vous ne voulez pas ſeulement me ſouffrir une erreur qui me ſoit agréable. Que me dites vous, interrompit Mademoiſelle de Roye ? Je ſerois au déſeſpoir ſi vous aviez toûjours des ſentimens qui vous donnaſſent lieu de n’eſtre pas content de moi, & qui me donnaſſent auſſi lieu de n’eſtre pas contente de vous. Mademoiſelle luy répondit-il, je ne croyois pas vous importuner. Je ne vous demande point de paſſion, ajoûta-t-il malgré luy, laiſſez moy la mienne, c’eſt tout ce que je vous demande. Je n’y puis conſentir, luy dit-elle, la conſideration que j’ay pour vous s’y oppoſe, & ſi vous ſçaviez en quelle extrêmité on ſe trouve quand on eſt remplie d’eſtime, de reconnoiſſance, & ſi on l’oſe dire, de pitié, pour une perſonne qui mérireroit quelque choſe de plus, je ne vous paroîtrois peut-eſtre guére moins à plaindre que vous-méme. Ils garderent là-deſſus tous deux le ſilence ; puis Mademoiſelle de Roye ſe repreſentant vivement l’état où elle avoit vû ſon amie, ne put reſiſter à l’envie de luy en faire un mérite auprés du Comte ; elle voulut le rendre ſenſible à la douceur d’eſtre aimé d’une belle perſonne ; elle luy fit une peinture touchante des ſentimens de Mademoiſelle de Sanſac. Enfin, elle ſçavoit bien qu’elle ne riſquoit rien à luy faire une pareille confidence. La diſcretion du Comte étoit connuë, & l’on eſtoit ſeur que s’il ne ſe faiſoit point un plaiſir de ſa conqueſte, du moins il ne s’en feroit pas d’honneur. Il ne put répondre à ce qu’elle luy diſoit, parce que Madame de Roye qui avoit ceſſé de jouër, ſe leva pour ſortir, & emmena ſa fille, avant méme qu’elle eût achevé ce qu’elle avoit à dire, mais il ne penſa à rien qu’à l’empécher de croire qu’il y euſt fait la moindre reflexion.

Mademoiſelle de Roye ne vouloit point inſtruire Monſieur de Sanſac, que le Comte d’Amboiſe n’étoit pas encore indiferent, de peur de l’aigrir contre un homme à qui il avoit l’obligation de luy avoir cedé ſes droits. Elle devoit méme ce foible égard au Comte, en conſideration des choſes extraordinaires qu’il avoit faites pour celle. Ces ſentimens ne bleſſoient point ſa paſſion. Elle étoit bien éloignée d’en prendre d’autres pour Monſieur d’Amboiſe, que ceux de la pitié ; & ſi elle eſtoit partagée entre ces deux Amans, elle plaignoit l’un, & elle aimoit l’autre.

D’Amboiſe avoit trouvé un pretexte pour aller le lendemain matin chez Madame de Roye, mais il la rencontra à la porte du Louvre. Il lui dit qu’il avoit eu ce deſſein, & qu’ayant pluſieurs choſes à luy dire, il l’executeroit lors qu’elle ſeroit de retour. Il demanda à une des femmes qui l’accompagnoient, pourquoi Mademoiſelle de Roye n’étoit pas avec ſa mere. Cette femme luy dit qu’elle eſtoit allée ſe promener, & luy nomma le lieu, mais elle ne luy dit point que c’eſtoit avec Mademoiſelle de Sanſac, parce qu’elle ſuivoit Madame de Roye, & qu’elle n’en eut pas le loiſir.

Monſieur d’Amboiſe y courut ſans rien examiner. C’eſtoit à un de ces beaux lieux que les maîtres ſe font un honneur de laiſſer voir. On y venoit par deux côtez ; il entra dans le jardin, & il n’y trouva d’abord que Mademoiſelle de Sanſac. Mademoiſelle de Roye avoit eſté arrétée par la Comteſſe de Tournon, qui l’ayant rencontrée l’avoit voulu accompagner, de ſorte qu’elle avoit feint d’aller ailleurs, pour pouvoir eſtre ſeule avec ſon amie.

D’Amboiſe qui avoit eſté apperçû de Mademoiſelle de Sanſac, n’avoit pû éviter de lui parler. Elle lui avoit dit qu’elle attendoit Mademoiſelle de Roye, & qu’elle s’ennuïoit de l’attendre ; de ſorte qu’il n’avoit osé la quitter, que ſa compagnie ne fût venuë. Ils furent embaraſſez l’un & l’autre. Le Comte ſongeoit que Mademoiſelle de Roye en le voyant avec Mademoiſelle de Sanſac, jugeroit qu’il auroit fait reflexion à ce qui s’étoit dit le ſoir precedent, & il l’auroit quittée bruſquement, s’il n’avoit êté arreſté par l’envie de voir Mademoiſelle de Roye. Mademoiſelle de Sanſac n’eſtoit pas dans une peine moins grande. Elle n’auroit point eſté fâchée qu’il euſt connu une partie de ſes ſentimens, & elle auroit eſté au déſeſpoir de les lui faire connoître elle-même.

Fin de premier Livre.

LE
COMTE
D’AMBOISE.
NOUVELLE.
LIVRE SECOND.

À PARIS,

Chez Claude Barbin, au
Palais, fur le Second Perron de la
Sainte Chapelle.

M. DC. LXXXIX.

Avec Privilege du Roy.

LE
COMTE
D’AMBOISE


NOUVELLE.
LIVRE SECOND.

Mademoiselle de Roye vint enfin les joindre ; ils n’eſtoient pas loin de la porte du Jardin, & ils allerent au devant d’elle juſque-là : Elle felicita le Comte de ce qu’il eſtoit en ſi bonne Compagnie, & crut par là l’obliger à dire quelque choſe de flateur pour Mademoiſelle de Sanſac ; mais il affecta d’abord de juſtifier ſon intention d’une maniere qui fit craindre à Mademoiſelle de Roye, qu’il ne deſ-obligeaſt ſon Amie ; elle prit un pretexte pour retourner ſur le champ, & emmena Mademoiſelle de Sanſac. Je veux, dit-elle à Monſieur d’Amboiſe, vous l’enlever, pour vous punir de voſtre diſſimulation. En achevant ces parolles, elle monta en Carroſſe avec tant de precipitation, qu’il n’eut pas le loiſir de répondre.

Il eſtoit au deſeſpoir de voir l’opiniâtreté de Mademoiſelle de Roye, à ſe perſuader une choſe qu’il ſçavoit pourtant bien qui ne la fâcheroir pas ; ſoit qu’il apprehendaſt de luy donner le moindre ſentiment de jaloufie, ſoit qu’il apprehendaſt de ne luy en donner aucun, il ne pouvoit s’en conſoler, le chagrin, la joye, ou l’indifference de cette belle perſonne devenoient également cruels pour luy.

Il fut ſur le point de courir apres elle, & de ne le point quitter qu’il ne fût pleinement juſtifié ; mais le pretexte qu’elle avoit pris pour retourner, luy donnant lieu de croire qu’elle ne ſeroit pas ſi-toſt chez elle, il alla chez le Roy, & il laiſſa malgré luy ces deux Amies en liberté.

Lors qu’elles furent retournées au logis de Mademoiſelle de Roye, & entrées dans ſa Chambre, elle ſe trouva embaraſsée. Le peu de ſuccez qu’elle prévoyoit à la paſſion de Mademoiſelle de Sanſac, luy faiſoit apprehender de la mettre ſur ce ſujet ; cependant elle s’apperceut que ſon ſilence l’affligeoit encore davantage ; de ſorte qu’elle la fit parler pour luy laiſſer prendre quelque ſoulagement, ſi ce n’eſtoit plus pour la conſoler.

Si l’on oſoit, luy dit elle, vous demander par quelles manieres le Comte d’Amboiſe a pû s’attirer des ſentimens dont il eſt ſi peu digne… Je ſçay que j’ay tort, interrompit Mademoiſelle de Sanſac : mais je puis cependant m’excuſer ; je voyois inceſſamment le Comte d’Amboiſe avec vous ; je le trouvois aimable par l’ardeur avec laquelle il aimoit ; j’eſtois charmée de ſa delicateſſe. Vous ne l’aimiez pas ; & quoy que cette pensée me donnaſt un plaiſir ſecret, je blâmois voſtre injuſtice, & j’allay trop loin en voulant l’éviter. Quand je parlay à la Reine pour empeſcher voſtre Mariage avec luy, je croyois m’y engager pour l’amour de vous, ou pour l’amour de mon frere ; cependant j’ay connu depuis que c’eſtoit mon intereſt ſeul qui ne faiſoit agir ; Madame de Roye rendit tous mes projets inutiles, par ſa fermeté dans ſes premiers ſentimens pour le Comte ; j’eus du dépit d’avoir mal réüſſi. Vous retournaſtes à la Campagne, le Comte vous alloit voir ſouvent ; je ne le voyois preſque plus, cela me fit ſentir à quel point il m’eſtoit cher, je voulus m’oppoſer à mon penchant, mais ce fut inutilement, & meſme en cherchant à rappeller ma raiſon, je ſongeois ſans ceſſe à luy, & j’achevay de la perdre.

Elle ſe teut durant quelque temps ; puis elle pourſuivit, voyant que Mademoiſelle de Roye ne parloit pas. Je ſentis diſtinctement la jalouſie ; j’eus des remords d’avoir eſſayé de vous oſter au Comte, puiſqu’il n’en eſtoit pas plus à moy : mais je fus au deſeſpoir, quand il ſongea une ſeconde fois à vous épouſer, & je n’eus de repos que lors que par un excez d’amour extraordinaire, il vous eut cedée à ſon Rival. Cette action augmenta beaucoup mon eſtime, il me ſembla qu’elle authoriſoit ce que je ſentois pour luy, & meſme ce que j’avois fait contre luy ; quoy que cét exemple de generoſité me condamnaſt, je ne vis point la difference de ſon procedé & du mien ; je crûs que ma conduite eſtoit juſtifiée par ce deſintereſſement, & par voſtre indifference ; mais ce n’étoit en effet qu’un peu d’eſperance qui juſtifioit tout. Helas ! je ne fus pas longtemps dans cette ſituation ; ſi j’eus des momens moins deſ-agreables, ce ne furent que des momens, vous ſçavez ſi j’ay eu lieu de me flater.

Mademoiſelle de Sanſac ne pût continuer un tel diſcours, & jettant un torrent de larmes, elle contraignit Mademoiselle de Roye à luy parler. Je ſuis plus mal-heureuſe que vous, luy dit-elle, je ſens tous vos maux comme vous meſme, & j’ay encore le chagrin de vous les avoir cauſez ; c’eſt par moy que vous avez connu particulierement le Comte d’Amboiſe, c’est peut-eſtre pour l’amour de moy qu’il ne prend pas les ſentimens qui ſont deûs à voſtre merite ; enfin c’eſt mon indifference pour luy, qui a donné lieu à voſtre pitié ; tout vous devient un poiſon, je n’oſe rien entreprendre, & apres avoir fait tous vos chagrins, j’ay la douleur de ne pouvoir vous en tirer ; vous ne devez plus avoir d’amitié pour moy ; vous me regardez comme une Rivalle, peut-eſtre vous me haïſſez. Non, interrompit Mademoiſelle de Roye, c’eſt d’Amboiſe qu’il faut haïr, & ce n’eſt point vous ; mais je ne puis meſme avoir le ſoulagement de haïr l’un ou l’autre. Que m’a-t-il fait ? il ne m’a point trahie, puiſqu’il ne m’a jamais aimée ; helas ! faut-il que ce ſoit là ce qui m’oſte le droit de me plaindre ?

Ses pleurs qui redoublerent, l’obligerent une ſeconde fois au ſilence ; & Mademoiſelle de Roye voyant de l’alteration ſur ſon viſage, craignit qu’elle ne ſe portaſt mal, & l’obligea de ſe mettre ſur un lit ; Elle paſſa en ſuite dans ſon Cabinet pour parler à un de ſes Gens, on l’avertiſſoit de la part de Madame de Roye, que le Comte d’Amboiſe devoit venir, & qu’elle eût, à le recevoir s’il arrivoit avant ſon retour. Il vint en ce moment ; & n’ayant veu perſonne dans l’Antichambre, ny meſme dans la Chambre, parce que Mademoiſelle de Roye avait ordonné à ſes Femmes lors qu’elle eſtoit entrée avec Mademoiſelle de Sanſac, de paſſer dans ſon Cabinet, qui en eſtoit aſſez éloigné, afin qu’elles ne fuſſent pas témoins de leur converſation. Il alloit ſortir, mais Mademoiſelle de Sanſac s’oſtant tournée avec quelque bruit pour voir qui arrivoit, il s’approcha du lit dont les rideaux eſtoient à demy fermez. Il ne la reconnut point, elle avoit une partie de ſes coëffes ſur ſon viſage ; il crût que c’eſstoit Mademoiſelle de Roye qui ſe repoſoit ſur ſon lit ; de ſorte que l’eſprit encore tout remply de l’Avanture du Jardin, & craignant meſme de perdre l’occaſion de luy parler, Mademoiſelle, luy dit-il, je ne puis differer un moment à me juſtifier, auriez-vous bien la dureté de croire que je pourrois aimer Mademoiſelle de Sanſac ? je n’eus pas hier le loiſir de vous répondre ſur ce que vous me voulûtes faire penſer de ſes ſentimens, mais en eſtoit-il beſoin ? Si voſtre indifference ne m’a pas fait changer, toute la paſſion qu’on pourroit avoir pour moy ne le feroit pas davantage.

Mademoiſelle de Roye qui comprit que quelqu’un entroit, & que meſme on vint avertir par un autre coſté que c’eſtoit Monſieur d’Amboiſe, revint dans la Chambre, & luy dit à demy bas, qu’une Dame de ſes amies dormoit ſur ce lit, & qu’elle alloit le recevoir dans une autre chambre, mais elle ne ſçavoit pas qu’il en avoit déja trop dit.

Mademoiſelle de Sanſac en avoit eſté frapée comme d’un coup de foudre, & ce dernier malheur eſtoit ſi affreux, qu’il n’y avoit que la mort qui pût luy en oſter la honte & la douleur. Elle demeura ſur le lit de Mademoiſelle de Roye, accablée de mille penſées differentes, ſans prendre aucune reſolution.

Monſieur d’Amboiſe eſtoit avec Mademoiſelle de Roye ; il luy diſoit les meſmes choſes qu’il avoit crû luy dire, lors qu’il avoit parlé à Mademoiselle de Sanſac ; mais elle luy marqua, qu’elle prenoit peu de plaiſir à les entendre, & que ſi quelque choſe eſtoit capable de la toucher, ce ne ſeroit que les ſentimens qu’il prendroit pour ſon Amie. Il fut outré de cette indifference, & il demeura ſaiſi d’une ſi vive douleur, qu’il ceſſa de luy parler.

Madame de Roye revint pluſtot qu’elle n’avoit penſé, & Mademoiſelle de Roye alla retrouver Mademoiſelle de Sanſac, dont le deſeſpoir redoubla par ſa preſence. Elle fit un cry douleureux lors qu’elle la vit ! Ha ! vous m’avez trahie, luy dit-elle, j’eſperois du moins que le Comte ignoreroit ma foibleſſe ; mais il manquoit quelque choſe à voſtre victoire, vous avez trouvé de la gloire au ſacrifice qu’il vous a ſait de moy. Je vous demande pardon de vous ſoupçonner de cette penſée ; mais pourquoy luy dire que je l’aimois, puiſqu’il vous aime ? Elle n’eut pas la force de pourſuivre, ſes larmes couloient en abondance, & elle ne pouvoit que pleurer.

Mademoiſelle de Roye comprit une partie de ce qui s’eſtoit paſſé ; elle n’avoit rien à luy répondre, & il n’eſtoit pas temps de juſtifier ſon intention, quand elle eſtoit coupable par de ſi triſtes effets ; tout ce qu’elle pouvoit faire, eſtoit de l’aſſeurer qu’il ſeroit aisé de deſabuſer le Comte de la penſée d’eſtre aimé, mais le remede n’étoit point encore du gouſt de Mademoiſelle de Sanſac : Non, dit-elle, qu’il le ſçache, & je ne le verray jamais. Là-deſſus elle ſe leva de deſſus le lit où elle eſtoit, elle ſortit de chez Madame de Roye dans le deſſein de n’y revenir plus, & le lendemain elle alla à une maiſon de campagne que ſon Pere avoit auprés de Tours. La elle eſſaya d’oublier tout le monde, elle abandonna le deſſein de pourſuivre le mariage de ſon frere avec Mademoiſelle de Roye, quoy qu’il pût ſervir à la vanger de d’Amboiſe ; & tous ſes ſentimens cederent à ſa honte ; ainſi elle ne laiſſa à cette Amie que le chagrin d’avoir perdu une perſonne à qui elle confioit ſes ſentimens, & de conſerver toûjours un Amant mal-heureux.

La conſtance de Monſieur d’Amboiſe eſtoit ſi cruelle à Mademoiſelle de Roye, par les ſuites qu’elle avoit euës, qu’elle commença à luy en faire un crime ; elle ne luy parloit plus qu’avec une ſorte d’aigreur contre laquelle il n’eſtoit point preparé. Il n’avoit pas pensé qu’elle le traiteroit plus mal, parce qu’il ne pouvoit aimer qu’elle. Il entroit dans cette nouvelle rigueur une ſorte d’injuſtice & de mépris, qui ne luy parut pas ſupportable ; il penſa qu’il pourroit vivre ſans aimer une perſonne dont l’ingratitude meritoit ſa haine, ou pluſtoſt ſon oubly, & il recommença à l’éviter plus qu’il n’avoit jamais fait.

Sanſac fut au deſeſpoir de l’abſence de ſa Sœur ; il n’avoit plus perſonne auprés de ſon Pere qui parlaſt pour luy, de ſorte qu’aprés avoir écrit inutilement à Mademoiſelle de Sanſac, il alla la trouver au lieu où elle eſtoit. Il fit tous ſes efforts pour l’obliger à revenir, mais il n’obtint rien d’elle, & il ne la tira pas un moment de l’accablement mortel où elle eſtoit plongée.

Madame de Tournon qui le voyoit tres aſſligé, & qui méditoit les moyens de le retirer d’auprés Mademoiſelle de Roye, feignit une nouvelle chaleur pour ſes intereſts, elle luy dit qu’un de ſes amis qui pouvoit tout ſur l’eſprit du Comte, de Sanſac, ſeroit bien-toſt à Paris, & qu’elle employeroit tout le credit qu’elle avoit ſur cét Amy, pour faire réüſſir le deſſein du Marquis.

Sanſac ſçavoit qu’en effet celuy dont elle parloit, eſtoit fort conſideré de ſon Pere. Quel plaiſir d’enviſager un moyen de parvenir au bon heur qu’il attendoit depuis ſi long temps ! La force de ſes ſentimens luy redonna de l’amitié pour cette Comteſſe. Il luy promie une reconnoiſſance éternelle, & il retourna chez elle avec aſſiduité.

Elle avoit introduit le Comte de Sancerre chez Madame de Roye : il eſtoit d’un caractere d’eſprit à faire plaiſir à tous ceux qu’il voyoit ; il y alloit ſouvent, & ſon amour s’augmentoit tous les jours par la connoiſſance particuliere de l’eſprit de Mademoiſelle de Roye ; cette paſſion eſtoit meſme irritée par celle qu’il luy connoiſſoit pour le Marquis de Sanſac. Bien ſouvent un Rival fait valoir le merite d’une Maiſtreſſe, & quand il ne ſçauroit la faire haïr, il la fait infiniment aimer.

Quoy que Monſieur d’Amboiſe évitaſt Mademoiſelle de Roye, il n’étoit pas poſſible qu’il ne la rencontraſt jamais, & il y avoit un mois qu’il ne l’avoit veuë, lors qu’il ſe trouva auprés d’elle un jour que la Reine Regente recevoit des Ambaſſadeurs d’Eſpagne. D’abord qu’il apperceut Mademoiſelle de Roye, ſon premier mouvement fut de changer de place, mais elle le ſalüa d’une maniere, qui bien qu’aſſez indifferente, avoit un charme par lequel il ſe ſentit arreſté ; il n’oſa cependant luy parler, mais lors que la Ceremonie fut achevée, les Hommes donnerent la main aux Dames pour les remettre dans leur Carroſſe. Le Marquis de Sanſac fut obligé de prendre celle de Madame de Roye, & Monſieur d’Amboiſe dit à Mademoiſelle de Roye qu’il n’oſoit luy offrir la ſienne ; elle ne luy répondit rien, & luy tendit la main avec aſſez de civilité.

Jamais Mademoiſelle de Roye n’avoit eſté ſi parée ny ſi belle ; les applaudiſſemens qu’elle avoit receus, faiſoient paroiſtre ſur ſon viſage une joye modeſte, qui auroit excité de l’amour dans les cœurs les plus inſenſibles. Quoy que la paſſion de Sanſac fût au point de ne pouvoir augmenter, il avoit neantmoins ſenty un nouveau plaiſir à la regarder. D’Amboiſe ſe ſouvint des premieres fois qu’il l’avoit veue ; il fit un profond ſoupir, & il la regarda avec des yeux mouillez de larmes.

Comme il y avoit de grands Appartemens à traverſer, & que beaucoup de gens s’eſtoient mis entre Madame & Mademoiſelle de Roye, il eut le loiſir de luy parler. Je ſuis honteux Mademoiſelle, luy dit-il, de vous marquer que vos mépris & voſtre haine ne ſçauroient m’empeſcher de vous aimer ; quels remedes tenterez vous encores ? ils ſeront inutiles, il n’y a que ma mort qui puiſſe vous défaire de moy. Vous m’aviez promis, luy dit Mademoiſelle de Roye, que vous ne me tiendriez plus de pareils diſcours, que voulez-vous que je vous y réponde ? Rien, Mademoiſelle, luy dit-il d’un air indigné, je n’ay merité que voſtre indifference. Hé bien, adjoûta-t-il tout tranſporté, rendez-la moy, puiſque je ſuis aſſez malheureux pour croire que voſtre colere m’eſt encore un plus grand mal. Mais, luy dit Mademoiſelle de Roye, devez-vous eſtre ſurpris de mon reſſentiment ? vous eſtes cauſe que jay perdu mon Amie. Mademoiſelle, interrompit-il, de quoy pouvez-vous m’accuſer ? ai-je pris ſoin de toucher ſon cœur ? m’eſtoit-il poſſible d’aimer autre choſe que vous ? Non, Mademoiſelle, adjoûta-t-il comme hors de luy, vous ne me devez point de tendreſſe, je deteſte la mienne ; mais je vous aime, & je ſuis digne de voſtre pitié. Ne vous plaignez donc point, luy dit Mademoiſelle de Roye, je vous ay donné ce que j’ay pû vous donner, & hors l’amour vous avez eu tous mes autres ſentimens ; je vous en promets la continuation, & ne nous faiſons plus de reproches.

Le Comte n’avoit pas lieu d’eſtre content, mais il n’avoit pas droit de ſe plaindre. Il la remit au Carroſſe de ſa mere où Sanſac eſtoit qui l’attendoit. Ces deux Amans ſe ſalüerent avec un ſoûris, qui exprimoit tous les mouvemens de leur cœur. D’Amboiſe qui avoit feint de ne pas regarder Mademoiſelle de Roye, l’avoit cependant remarqué, & il en fut penetré d’une douleur mortelle ; alors ſon mal fut extrême, puiſqu’il reſolut de ſe guerir. Il ſentit qu’il ſeroit toûjours exposé à chercher Mademoiſelle de Roye, à la rencontrer, & à ſouffrir tout ce que l’amour deſeſperé & la jalouſie ont de plus affreux. De ſorte que voyant qu’il luy eſtoit neceſſaire de quitter Paris, il alla à une Terre qu’il avoit proche de Reims, & il ſe promit de ne plus revenir, qu’il n’eût éteint tous les reſtes de ſa mal-heureuſe paſſion ; ainſi Mademoiſelle de Roye fut délivrée pour quelque temps d’un Amant qui commençoit à l’importuner, parce qu’elle avoit des égards pour luy, & qu’elle n’oſoit le maltraiter.

Mais c’eſtoit le Comte de Sancerre & Madame de Tournon, dont elle n’avoit rien apprehendé, qui devoient cauſer tous les mal heurs de ſa vie. Sancerre vouloit l’engager avant que de ſe declarer ſon Amant ; de ſorte qu’il avoit commencé à entrer en liaiſon avec elle, en luy parlant ſouvent de Sanſac, & à la faveur de ce nom il ſe rendoit aimable ; elle le voyoit avec un plaiſir qui eſtoit meſme ſuſpect à Sanſac, il craignoit de trouver un Rival dans un homme qui luy paroiſſoit redoutable, & qui eſtoit aſſidu chez Mademoiſelle de Royes ; il luy avoüa ſes ſoupçons, mais elle l’aſſeura ſi fortement qu’il n’eſtoit qu’Amy, & elle en eſtoit ſi perſuadée, qu’elle ne fit meſme point de reflection aux inquietudes de Sanſac. Il avoit auſſi tant de raiſons de s’aſſeurer de l’inclination de Mademoiſelle de Roye, qu’il voulut bien d’abord luy ſoûmettre ſa jalouſie.

Madame de Tournon qui par les promeſſes qu’elle luy avoit faites de s’employer pour ſon Mariage, l’avoit engagé à luy rendre des ſoins, fit ſemer par le Comte de Sancerre que ce Marquis eſtoit devenu amoureux d’elle. Quoy que Mademoiſelle de Roye eût eſté avertie des raiſons qu’il avoit de la ménager, cette Comteſſe eſtoit encore aſſez aimable pour pouvoir donner des inquietudes à une Rivale.

Mademoiſelle de Roye apprit à Sanſac ce qu’on diſoit de luy ; il demeura dans une ſurpriſe qui parut naturelle ; il luy répondit d’une maniere ſi tendre, & il l’aimoit ſi veritablement, qu’il ne pouvoit manquer d’eſtre bien-toſt juſtifié. Il luy offrit de rompre avec Madame de Tournon, mais ils croyoient tous deux avoir le meſme intereſt à la conſerver pour Amie. Elle le pria à la fin de ne point changer de conduite, & elle l’aſſeura que jamais elle n’en auroit de chagrin.

Sa jalouſie parut ſi tendre à ſon Amant, que dans ce moment il perdit celle qu’il avoit euë de Sancerre ; il fut meſme ſi honteux d’avoir pû ſoupçonner d’infidelité un cœur ſi delicat, qu’il craignit de la faire ſouvenir des craintes qu’il luy avoit marquées ; mais cette paix ne dura pas long-temps, Madame de Tournon voulant qu’ils priſſent en meſme temps de l’ombrage, gagna celle des femmes de Mademoiſelle de Roye, en qui elle avoit le plus de confiance ; elle luy donna une Lettre qui s’adreſſoit à Mademoiſelle de Roye, mais elle la pria de ne la luy montrer pas, & de faire en ſorte que Sanſac la lût, ſans qu’il parût qu’on eût eu le deſſein de la luy laiſſer voir.

Le hazard favoriſa ſon intention peu de jours apres, & la choſe fut ponctuellement executée. Sanſac vint le ſoir chez Madame de Roye, elle n’y eſtoit pas ; ſes amis attendoient quelquefois ſon retour, mais ce jour-là elle devoit ſoupper avec ſa Fille chez Madame de Tournon ; cependant cette femme feignit de l’ignorer, elle dit à Sanſac qu’elles alloient revenir, & elle voulut le faire entrer dans l’Appartement de Madame de Roye, dont elle avoit exprés égaré la clef, pour avoir lieu de le mener dans celuy de Mademoiſelle de Roye. Elle venoit d’y porter promptement le Billet dont elle eſtoit chargée, il eſtoit ſur la table décacheté, & paroiſſoit y avoir eſté oublié. Elle y laiſſa le Marquis ſeul, il leut le billet qui eſtoit de la main du Comte de Sancerre, dont Sanſac connoiſſoit l’écriture. Sancerre par ce Billet, avoüoit à Mademoiſelle de Roye qu’il avoit crû long-temps n’eſtre que ſon Amy ; qu’en ſuite il luy avoit déguisé ſes veritables ſentimens à la faveur de ce nom, & qu’enfin il ne pouvoit plus s’empeſcher de les luy faire connoiſtre. Sanſac le leut avec le meſme chagrin, que ſi en apprenant l’amour du Comte il eût appris qu’il eſtoit aimé.

Cette femme rentra dans la Chambre, lors qu’elle jugea qu’il auroit lû le Billet, & elle luy dit que Madame de Roye venoit de renvoyer ſes gens, & qu’elle paſſoit le ſoir chez Madame de Tournon. Il y alla auſſi toſt, ſans douter que Sancerre ne s’y trouvaſt ; cependant ayant reconnu de loin ſes livrées à la porte, il fut frapé de cette veuë comme s’il ne s’y eſtoit pas attendu. Il entra chez Madame de Tournon, pour voir de quelle maniere Mademoiſelle de Roye ſe conduiroit avec ſon nouvel Amant ; mais comme elle n’avoit pas veu la Lettre qui pouvoit l’inſtruire des ſentimens de ce Comte, elle ne changeoit point de conduite avec luy.

Sanſac eſtoit au deſeſpoir de luy trouver ſa vivacité ordinaire ; la jalouſie luy faiſoit meſme croire qu’elle eſtoit encore augmentée ; jamais il n’avoit trouvé les choſes que Sancerre diſoit, ſi peu propres à plaire, & jamais il n’avoit tant craint qu’elles ne plûſſent, enfin il ſortit dans le plus furieux chagrin où il eut eſté de ſa vie. Le lendemain il ne put voir Mademoiſelle de Roye en particulier, & le jour ſuivant on partit pour aller à Reims au Sacre de Charles Neuf.

Un temps conſiderable s’eſtoit déja écoulé depuis la mort de François Second ; les plaiſirs renaiſſoient à la Cour, & meſme ils n’avoient preſque pas diſcontinué, parce que la Reine Regente qui vouloit eſtre abſoluë, entretenoit tout dans l’oisiveté & la moleſſe ; elle rendoit chaque jour celebre par quelque Feſte ; & eſtant toûjours ſuivie des plus belles Femmes qui faiſoient agir leurs Amans à ſon gré, elle regnoit avec une pleine authorité par le moyen de la galanterie.

Madame de Roye, qu’une legere indiſpoſition obligeoit à demeurer à Paris, voulut retenir ſa Fille auprés d’elle, mais la Reine la pria de ne les point priver d’une perſonne qui embelliſſoit ſa Cour ; de ſorte qu’elle la confia à Madame de Tournon qu’elle croyoit toûjours la plus ſincere de ſes Amies. Sa Fille ne luy avoit point dit les ſoupçons qu’elle avoit eus de cette Comteſſe, de peur qu’elle ne les eût trouvez trop peu raiſonnables.

Durant le Voyage, Madame de Tournon obſedoit Mademoiſelle de Roye, & ſur le pretexte d’amitié ne la quitta pas un moment ; comme la Lettre que Sanſac avoit veuë n’avoit eſté écrite qu’afin qu’il la vît, Mademoiſelle de Roye n’en avoit point entendu parler, Sancerre ſe gardoit bien de luy laiſſer ſoupçonner encore qu’il l’aimaſt. Il faloit que ſon Rival ſût détruit auparavant, & il ſe contentoit de travailler de concert avec Madame de Tournon à broüiller ces deux Amans, & à les empeſcher de s’éclaircir.

Madame de Tournon avoit dit à Sanſac, qu’encore qu’elle voulût bien le ſervir dans ſon Mariage auprés de ſon Pere, elle ne vouloit point entrer avec Mademoiſelle de Roye dans la confidence de ſon amour, & qu’il ne luy convenoit point de prendre ces ſortes de manieres avec une jeune perſonne. Il ne pouvoit la blaſmer de cette reſerve, & il en ſoupçonnoit d’autant moins qu’elle fût capable de prendre un autre intereſt en luy, que, celuy de l’amitié. Ce Marquis entretenoit toûjours ſa jalouſie dans ſon cœur. Il voyoit que Mademoiſelle de Roye ne rompoit point avec Sancerre, & il la trouvoit déja trop coupable pour meriter ſes reproches, mais il luy marquoit une froideur extraordinaire ; elle l’attribuoit à ſa nouvelle paſſion pour la Comteſſe, & elle en conſervoit un dépit qui ne parut auſſi d’abord que par la froideur, mais il eſtoit impoſſible qu’ils demeuraſſent longtemps dans cét eſtat. Ils avoient des ſoupçons mutuels qui devoient ſe tourner en certitude, ou il faloit qu’ils s’éclairciſſent de leurs doutes ; il leur arriva une Avanture qui acheva de les broüiller.

La Reine donna le Bal à Reims le ſoir du Sacre de Charles Neuſ ; comme c’eſtoit la Saiſon des Maſques, elle fit le plan d’une Maſcarade ; elle ordonna qu’une Troupe de Bohémiens & une Troupe de Bohémiennes, vinſſent ſeparément prédire la bonne fortune du jeune Roy ; qu’en ſuite chaque Bohémien prendroit une Bohémienne, & qu’ils danſeroient enſemble pour ſe réjoüir de s’eſtre rencontrez à dire des choſes agreables.

La Comteſſe de Tournon & Mademoiſelle de Roye eſtoient de la Maſcarade ; leur taille eſtoit à peu prés égale, leurs cheveux eſtoient d’un brun fort approchant, & dont le peu de difference ne ſe remarquoit point aux flambeaux ; l’habillement de ces Bohémiennes eſtoit meſme ordonné d’une maniere à ne laiſſer preſque pas diſtinguer celles qui avoient le moindre rapport ; de grandes robbes volantes leur couvroient toute la gorge, & deſcendoient juſqu’à terre, ſans que rien marquaſt la taille ; leurs cheveux qui retomboient ſur les épaules, eſtoient renoüez avec quantité de rubans, & les Dames faiſoient part à leurs Amans de ceux dont elles devoient porter le jour de la Feſte ; parce que la Reine qui vouloit entretenir tout dans la galanterie, l’avoit ainſi ſouhaité, afin que ceux qui avoient des Maiſtreſſes dançaſſent avec elles. Mademoiſelle de Roye ſe trouva embarraſsée dans cette conjoncture, la froideur qui eſtoit entre Sanſac & elle, luy donnoit de la repugnance à luy faire cette ſorte de faveur, cependant il luy eſtoit impoſſible de la faire à un autre, elle luy paroiſſoit peu conſiderable en ſoy, & c’eſtoit trouver une occaſion de ſe plaindre qu’elle ne put negliger ; elle luy envoya de ſes rubans, & elle luy écrivit avec tant de dépit, de douleur & de tendreſſe, que cette Lettre auroit neceſſairement produit un éclairciſſement entre-eux, ſi l’artifice de Madame de Tournon n’avoit prévalu.

Le Billet ayant paſſé par les mains de cette femme que Madame de Tournon avoit gagnée, il luy fut montré ; cette Comteſſe vit quelque ouverture à joüer un mauvais tour à ces deux Amans, elle garda les rubans de Mademoiſelle de Roye, & elle en envoya d’autres au nom de cette jeune perſonne, c’eſtoit de ceux dont elle-meſme devoit porter. Son intention eſtoit de tromper Sanſac, & de paſſer pour Mademoiſelle de Roye à la faveur du déguiſement, de mettre cette Amante dans la derniere colere contre luy, & de les empeſcher autant qu’elle pourroit de s’éclaircir, enfin de rejetter la méprife des rubans ſur les femmes qui les ſervoient, ſi l’on en venoit à l’éclairciſfement. Cependant elle trouvoit elle-mefme l’artifice groſſier, & elle en eſperoit peu de choſe ; mais elle avoit commencé à ſemer la meſintelligence entre eux, il faloit hazarder tout ce qui pouvoit l’augmenter ; & leurs cœurs eſtant déja prévenus de jalouſie, les moindres apparences pouvoient achever de les revolter.

Sanſac receut les rubans de Madame de Tournon, qu’on luy envoya de la part de Mademoiſelle de Roye, & il écrivit à celle-cy avec tant d’amour & tant de jalouſie, que Madame de Tournon à qui cette Lettre fut montrée, apprehenda & eſpera tout en meſme temps de cette diſpoſition ; elle pria cette femme qu’elle avoit gagnée de faire dire à Sanſac que Mademoiſelle de Roye luy parleroit le ſoir apres la Maſcarade, & elle avoit reſolu de luy dire ſous le Maſque des choſes qui le perſuaderoient que ſon Rival eſtoit aimé ; on ſupprima les Lettres qu’ils s’écrivoient de part & d’autre, & on dit ſeulement à Mademoiſelle de Roye que Sanſac luy eſtoit tres-obligé de ſes rubans ; ce mépris qu’elle avoit ſi peu merité, l’a mit dans une colere inconcevable. D’abord elle fut ſurpriſe de ce procedé, mais ſon eſprit eſtoit aigry de longue main par la froideur extraordinaire qu’on luy marquoit & tout paroiſt vray ſemblable à la jalouſie. Combien s’accuſa-t-elle de lâcheté, d’avoir pû faire une demarche ſi mal receuë ; ce qui luy avoit d’abord paru ſi leger, luy parut alors terrible ; & ſa douleur l’auroit empeſchée de ſe trouver à la Maſcarade, ſi elle n’avoit encore voulu voir de quelle maniere, il s’y conduiroit.

Les Maſques danſerent ; chaque Bohemienne avoit un Bohémien qui portoit ſa couleur, Mademoiſelle de Roye vit quelqu’un qui portoit la ſienne, & d’abord elle ne le reconnut pas pour eſtre le frere de Madame de Tournon qui devoit danſer avec cette Comteſſe, mais elle remarqua aisément que ce n’eſtoit point Sanſac qui dançoit avec elle.

Ce Marquis n’eſtoit pas fait d’une maniere pouvoir eſtre confondu avec les autres, il eſtoit plus grand que tous ceux qui eſtoient de la Maſcarade, de ſorte qu’elle l’apperceut avec les couleurs de Madame de Tournon, qu’elle ne pouvoit méconnoiſtre parce qu’elles s’eſtoient habillées enſemble. Sanſac qui la prenoit pour Mademoiſelle de Roye, trompé par les rubans qu’on luy avoit envoyez de ſa part, dança toûjours avec elle, & elle affecta ſi bien l’air de la danſe de celle qu’elle vouloit repreſenter, que le Marquis n’ayant aucun ſoupçon de l’artifice, s’y méprit abſolument.

Mademoiſelle de Roye ſentoit le plus violent dépit qu’elle eût eu de ſa vie, elle ne douta point que la Comteſſe n’eût auſſi envoyé de ſes rubans à Sanſac pour avoir le plaiſir de ſe voir preferer hautement ; dans la diſpoſition où elle eſtoit, il ne luy en faloit pas tant pour la convaincre que Sanſac & Madame de Tournon eſtoient dans une parfaite intelligence, & le trouble de ſon eſprit la fit danſer avec tant de deſordre, que perſonne ne ſoupçonna que ce fût elle.

Apres qu’elle eut fait une reveuë de tous les perſonnages de la Maſcarade, elle connut que c’eſtoit avec le frere de Madame de Tournon qu’elle avoit dansé, elle n’examina point ſi Sanſac avoit voulu la tromper en mettant quelqu’un à ſa place, ou s’il n’avoit ſongé qu’à ſe tirer d’affaire ; mais toûjours elle ſe croyoit traitée d’une maniere ſi fâcheuſe, que ſon amour propre eſtoit preſque auſſi bleſsé que ſa tendreſſe.

Si-toſt que la Maſcarade fut finie, elle ſe coula doucement vers la porte, & ſortit ſans eſtre remarquée que de Sancerre, qui avoit toûjours eu les yeux ſur elle, & qui la reconnoiſſoit aux rubans que Madame de Tournon avoit interceptez, & qu’elle luy avoit montrez. Il ſortit auſſi pour luy donner la main, & elle luy fut obligée de cette honneſteté ; elle luy dit qu’elle ne rentreroit pas, de ſorte qu’il la conduiſit juſque chez elle. Il avoit trop d’intereſt à ſçavoir ce qui ſe paſſoit dans ſon cœur à l’occaſion de Sanſac, pour ne luy en parler pas, & il faloit dans ce deſordre porter les derniers coups à ſon Rival ; il feignit d’un air miſterieux de n’eſtre point tout à fait ſurpris de ce qui eſtoit arrivé ; c’en eſtoit aſſez pour engager Mademoiſelle de Roye malgré elle à luy faire pluſieurs queſtions, auſquelles il répondit d’une maniere qui augmentoit infiniment ſa jalouſie & ſa douleur ; quoy qu’elle eut eu mille ſoupçons, elle s’accuſa en elle-meſme de s’eſtre aveuglée, & d’avoir conſervé trop de tranquillité dans le temps qu’on la trahiſſoit. Elle ne ſe laſſoit point de luy faire de nouvelles demandes, & il demeura plus long-temps avec elle qu’elle ne luy auroit permis d’y demeurer, ſi elle avoit eſté moins agitée.

Sanſac apres avoir dansé avec Madame de Tournon, qu’il prenoit toûjours pour Mademoiſelle de Roye, la mena en un coin de la Salle pour luy parler ; elle n’oſtoit point ſon Maſque qui tenoit à ſa coëfure, de ſorte qu’il ne ſe détrompoit point. Il luy dit qu’il eſtoit deſeſperé, qu’il ſçavoit que Sancerre luy avoit écrit, & avoit osé luy faire connoiſtre ſa paſſion, que cependant elle ne l’en avoit pas plus mal traité, qu’elle le voyoit avec plaiſir, & qu’enfin il ne pouvoit plus vivre ſi elle continuoit d’avoir le meſme procedé avec luy. Madame de Tournon feignant un ton embarraſsé, luy dit qu’il eſtoit difficile qu’elle rompît avec un amy de ſa Mere. Ha ! Mademoiſelle, luy dit-il, que me faites-vous envilager ? Pourquoy vous allarmer, luy dit-elle d’un ton encore plus embarraſsé qu’auparavant ? quand il ſeroit vray que Sancerre auroit d’autres ſentimens pour moy que ceux de l’eſtime & de l’amitié, vous ne devez point penſer que j’en aye d’autres pour luy. Quoy ? Mademoiſelle, reprit-il, eſt-il poſſible que vous ayez de l’eſtime & de l’amitié pour un homme qui ſe declare voſtre Amant ? je ſuis perdu ſi vous ne vous dédites de ces cruelles paroles. Je ne m’en dédiray point, luy dit Madame de Tournon, il y a de l’injuſtice à ce que vous demandez. C’en eſt trop, interrompit Sanſac, ou trompez-moy mieux, ou achevez de me détromper, je ne ſçaurois demeurer dans l’incertitude où je ſuis ; dites que vous aimez Sancerre, que vous ne ſçauriez rompre avec luy, & je ne vous importuneray plus de ma jalouſie, ny de mes reproches. Madame de Tournon ne luy répondit rien. Je vous entends, Mademoiſelle, luy dit Sanſac tranſporté de fureur, vous n’aurez plus à ſouffrir mes plaintes, mais ce ſeroit en vain que vous auriez attendu de moy de la moderation, & tant qu’il me reſtera de la vie, j’empeſcheray que mon Rival ne ſoit plus heureux que moy. Là-deſſus il la quitta bruſquement, & elle ne fit aucune démarche pour le retenir.

Madame de Tournon eſtoit dans une joye extraordinaire, jamais elle n’auroit osé eſperer un tel ſuccez, & tous ſes artifices eſtoient ſi heureux, qu’ils ne luy donnoient aucun remords. Quoy que la Maſcarade fût finie, le Bal continuoit ; Madame de Tournon apres avoir changé d’habits, rentra dans la Salle où l’on dançoit ; Sanſac y eſtoit allé pour chercher Sancerre, & pour l’obliger à ſe venir battre, mais il ne l’y trouva pas, & il entendit que Madame de Tournon diſoit que Mademoiſelle de Roye s’étoit retirée avec un grand mal de teſte. En effet, Mademoiſelle de Roye l’avoit fait dire, afin qu’on ne fût pas ſurpris de ce qu’elle ne venoit point au Bal. Comme ce Marquis ne voyoit point Sancerre, il penſa qu’il pouvoit l’avoir ſuivie, & il ne luy fut pas poſſible de ne point chercher à s’en éclaircir. Il alla chez Mademoiſelle de Roye, ſur le pretexte de demander des nouvelles de ſa ſanté ; & ayant ſçeu par les gens de Sancerre qu’il y eſtoit, il demanda à la voir, pour luy faire mal-gré ſa promeſſe tous les reproches qu’il croyoit qu’elle meritoit ; mais la colere où eſtoit Mademoiſelle de Roye l’empeſcha de le recevoir, elle luy envoya dire qu’elle ne pouvoit parler à cauſe de ſon mal de teſte, dans le meſme moment elle renvoya Sancerre ; mais comme il comprenoit que Sanſac avoit remarqué ſes gens, & qu’il jugea que peut-eſtre ce Rival auroit la curioſité de ſçavoir s’il ſeroit long-temps avec Mademoiſelle de Roye, il demeura dans l’Anti-chambre avec celle de ſes Femmes que Madame de Tournon avoit gagnée, ſans que Mademoiſelle de Roye ſçeût qu’il y eſtoit, & ſans qu’elle y ſongeaſt.

Sanſac l’attendoit ſur ſon paſſage, agité de tout ce que la rage a de plus affreux ; il vit venir le Comte d’Amboiſe, & dans le trouble où il eſtoit, il ne put ſe deffendre de luy parler. D’Amboiſe ayant eſté obligé de ſe trouver à Reims pour le Sacre de Charles Neuf, avoit entendu dire que Mademoiſelle de Roye ſe portoit mal, & s’eſtoit trouvé encore aſſez ſenſible à ce qui la regardoit pour venir avec empreſſement s’informer de ſa ſanté. Vous voyez un homme deſeſperé, luy dit Sanſac ſi-toſt qu’il l’apperceut, vous m’avez plongé dans l’abiſme où je ſuis, & vous vous en eſtes retiré ; vous m’avez cedé une perſonne qui fait tout le mal heur de mes jours, elle aime Sancerre, il eſt preſentement avec elle, & elle refuſe de me voir. Je n’ay rien à vous répondre, luy dit Monſieur d’Amboiſe, j’ay oublié Mademoiſelle de Roye en vous la cedant ; là-deſſus il vit ſortir le Comte de Sancerre de chez elle, & il quitta Sanſac bruſquement, de peur que ſon air ne démentît les paroles qu’il venoit de luy dire.

Dans quelle bizarre jalouſie ce Comte entra-t-il alors ? il luy ſembla que Mademoiſelle de Roye luy faiſoit une ſeconde infidelite, elle avoit eſté forcée par ſon inclination à aimer Sanſac ; d’Amboiſe commençoit à croire qu’elle aimeroit toûjours celuy qu’elle luy avoit d’abord preferé, & cela avoit en quelque ſorte aſſoupy la premiere ardeur de ſes ſentimens ; mais ce changement le réveilla, luy redonna des deſirs du dépit & de l’emportement. Il penſoit qu’elle pouvoit eſtre inconſtante, & il l’eſtimoit moins, mais il en avoit une nouvelle vivacité ; il ſe ſentoit preſt à ſe vanger de celuy qui luy enlevoit un bien qu’il avoit crû perdu pour luy, mais il trouvoit qu’il y avoit une ſorte d’amour à ſe vanger, qui ne convenoit point à un homme qui n’avoit jamais eſté aimé ; il avoit honte d’eſtre encore tourmenté par les démélez de Sanſac & de Sancerre, pour Mademoiſelle de Roye, & il retourna à la Campagne dés le meſme moment.

Sanſac ayant marqué à Sancerre que ſon deſſein eſtoit de ſe battre contre luy, ils allerent aſſez loin du lieu où ils ſe trouvoient, de peur d'eſtre détournez ils le battirent avec une égale impetuoſité, & ils auroient terminé leur querelle par la fin de leur vie, ſi leurs gens à qui ils avoient deffendu de les ſuivre, ne ſe fuſſent doutez de leur intention, & n’en euſſent averty quelques-uns de leurs amis qui les trouverent, & qui les ſeparerent.

Mademoiſelle de Roye fut quelques jours ſans ſortir de la chambre, ſur le pretexte de ſon mal de teſte, de ſorte qu’elle ne voyoit point Sanſac. Le combat de ce Marquis avec Sancerre faiſoit beaucoup de bruit à la Cour, mais on n’en diſoit point le ſujet ; Sancerre avoit de trop grandes raiſons de le cacher, tant qu’il ne ſeroit point étably auprés de Mademoiſelle de Roye. Madame de Tournon entra dans cette affaire avec Sanſac, & l’engagea au ſecret, luy diſant qu’il devoit des égards à une perſonne qu’il avoit ſi long-temps aimée, mais en effet, c’étoit pour empeſcher que Mademoiſelle de Roye n’approſondît ce démélé, ſi elle avoit ſçeu la part qu’elle y avoit. Sanſac ſuivit les conſeils de cette Comteſſe, quoy que ſa colere contre Mademoiſelle de Roye ne fût point diminuée. Cét Amant eſſayoit en vain d’étouffer ſa paſſion ; il haïſſoit Mademoiſelle de Roye, mais il ſongeoit inceſſamment à elle, & c’eſt l’oubly qui fait la guériſon.

Mademoiſelle de Roye ayant demandé à Sancerre le ſujet de ſon combat avec Sanſac, il luy dit que le Marquis l’avoit querellé ſur un pretexte aſſez leger, mais que la veritable cauſe de ſa haine pour luy, eſtoit qu’il l’avoit rencontré trop ſouvent à ſon gré chez Madame de Tournon, pour qui il ne pouvoit ſe perſuader qu’on n’eût qu’une ſimple amitié. Mademoiſelle de Roye avaloit ce poiſon ſans reſiſtance, rien ne deffendoit plus Sanſac dans ſon cœur contre ces ſortes de ſurpriſes, & elle avoit une facilité à croire toutes les choſes qu’on diſoit de luy au ſujet de Madame de Tournon, qui donnoit beaucoup d’eſperance à ſon Rival.

Madame de Tournon marquoit toûjours à Mademoiſelle de Roye la meſme amitié, mais on la recevoit avec une grande froideur ; ces deux Rivales ne ſe parloient plus du Marquis de Sanſac, & ce n’eſtoit que par leur affectation à éviter de prononcer ſon nom, qu’elles ſe faiſoient de la peine l’une à l’autre.

Le Comte de Sanſac, pere du Marquis, eſtoit Gouverneur de Touraine ; il eſtoit malade à Tours, & dans cét âge où l’on n’eſpere plus de guerir ; la ſurvivance de ſon Gouvernement fut en ce temps-là donnée à ſon fils, par le credit de Madame de Tournon ; comme il ignoroit qu’elle fût la cauſe de tous ſes déplaiſirs, il voulut bien luy avoir cette obligation ; neantmoins il falut qu’il s’éloignaſt ; il luy dit la neceſſité où il eſtoit de fuir Mademoiſelle de Roye, & cette Comteſſe ne s’oppoſa point au deſſein qu’il avoit d’aller à Tours, l’abſence devoit l’empeſcher de s’éclaircir avec Mademoiſelle de Roye, & le guérir de la paſſion.

Ce Marquis partit promptement de Reims, & peu de jours apres la Cour retourna à Paris. Madame de Tournon prit de grands ſoins de faire informer Mademoiſelle de Roye de la part qu’elle avoit euë à ce qu’on avoit fait pour Sanſac ; en eſſet, il avoit falu une perſonne qui eût du crédit ſur l’eſprit de la Reine pour l’engager à faire quelque grace à cette famille.

Mademoiſelle de Roye fut remiſe entre les mains de ſa mere, à qui elle apprit que Madame de Tournon eſtoit ſa Rivale, & l’avoit trahie. Madame de Roye eut du chagrin du changement de Sanſac ; l’engagement où beaucoup de gens ſçavoient qu’il eſtoit avec Mademoiſelle de Roye, avoit éloigné les partis & cette infidelité luy faiſoit quelque tort ; Mademoiſelle de Roye ſentoit vivement cet affront, & ne ſe conſoloit pas de n’avoir point aimé d’Amboiſe, qui avoit une ſi veritable paſſion pour elle, & dont les grandes qualitez & la conſtance devoient l’avoir arrachée à l’inclination qu’elle avoit pour Sanſac.

Le Comte de Sancerre qui eſtoit toûjours attaché à elle ſous le nom d’amy, crut que le temps eſtoit favorable pour avoüer ſa tendreſſe, mais il reſiſta à l’envie de ſe faire un mérite auprés d’elle de l’avoir toûjours cachée. Il craignit de ſe charger des chagrins qu’elle avoit eus contre Sanſac, s’il faiſoit voir qu’il avoit toûjours eſté ſon Rival, & de rendre ſuſpectes les choſes qu’il avoit dites de luy ; de ſorte qu’il feignit un commencement de paſſion, que l’occaſion de voir tous les jours une belle perſonne ſans engagement, faiſoit naiſtre.

Mademoiſelle de Roye s’eſtoit trop mal trouvée de l’amour, pour le ſuivre une ſeconde ſois ; & ſi ſon cœur pouvoit encore eſtre entraîné, ce n’eſtoit que par la reconnoiſſance du coſté de Monſieur d’Amboiſe ; elle répondit à Sancerre avec cette indifference, qu’un Amant trouve plus inſupportable que la colere. Auſſi comprit-il dés ce moment tout ce qu’il en devoit attendre ; cependant il ne ſe rebuta point, il luy parla plus d’une fois.

Son amour eſtoit las de ſe contraindre, il importunoit s’il ne pouvoit plaire ; de ſorte que Mademoiſelle de Roye fut obligée de luy marquer que s’il continuoit ces diſcours, elle ne le verroit jamais. Elle le luy dit d’un air ſi tranquille, qu’il ne douta point qu’elle n’executaſt la menace, & il en eut un ſi cruel dépit, qu’il ceſſa luy-meſme de la voir.

C’eſtoit en vain que le Comte d’Amboiſe cherchoit à la campagne un repos qu’il n’y avoit pas trouvé la premiere fois, une nouvelle raiſon de ſe guérir ne faiſoit qu’augmenter ſon mal ; le Comte de Sancerre, Mademoiſelle de Roye & Sanſac ſe preſentoient ſans ceſſe à ſon imagination, & le tourmentoient. Il retourna à Paris entraîné par ſon inquietude, & ſans ſçavoir ce qu’il y vouloit faire. D’abord il n’alla point chez Madame de Roye, & il eſtoit tout à fait reſolu à éviter la fille ; cependant s’eſtant inſormé de ce qu’elle faiſoit, il ſçeut que Sancerre avoit ceſsé de la voir, & on luy dit en meſme temps que c’étoit parce que ce Comte eſtoit devenu amoureux d’elle ; que ſa paſſion l’avoit importunée, & qu’enfin elle l’avoit en quelque ſorte banny. Comme on cache peu les choſes qui ſont indifferentes, Mademoiſelle de Roye avoit avoüé la verité à quelques amies qui luy avoient demandé pourquoy Sancerre ne la voyoit plus ; & d’Amboiſe qui cherchoit à le ſçavoir, ne pouvoit manquer d’en eſtre inſtruit ; il perdit par là toute ſorte d’ombrage du Comte de Sancerre, de l’idée duquel il avoit eſté plus importuné, que veritablement jaloux ; il penſa que Mademoiſelle de Roye avoit ſeulement voulu chagriner Sanſac, pluſtoſt que de le trahir lors qu’elle avoit refusé de le voir, apres la Maſcarade qui s’eſtoit faite à Reims, & qu’elle avoit receu Sancerre ; qu’enfin ce pourroit eſtre la ſuite de quelque querelle d’Amans qu’il n’avoit point ſçeuë, & il ne luy eſtoit que trop aisé de ramener toute ſa haine du coſté de Sanſac ; mais il apprit bien-toſt auſſi, que ce Marquis eſtoit devenu amoureux de Madame de Tournon, & cette nouvelle produiſit en luy pluſieurs mouvemens, entre leſquels il ne déméla d’abord que la curioſité de ſçavoir ce que penſoit Mademoiſelle de Roye ; il retourna chez elle avec empreſſement.

Madame de Roye le receut avec ſes honneſtetez ordinaires ; Mademoiſelle de Roye luy parut mélancolique, mais civile & pleine d’égards ; comme il y avoit du monde dans la chambre, il ne put entrer dans aucune converſation particuliere avec elle ce jourlà, mais elle ne laiſſa pas de remarquer qu’il l’aimoit encore, elle fit reflection ſur le procedé de ce Comte, & ſur celuy de Sanſac, elle oppoſoit la conſtance de l’un à la legereté de l’autre ; & quoy que des pensées ſi avantageuſes pour d’Amboiſe n’entraînaſſent point encore le cœur de Mademoiſelle de Roye, c’étoit cependant beaucoup qu’elle luy donnaſt une ſi entiere preference dans ſon eſprit.

La premiere fois qu’il la vit ſeule, il luy voulut parler de Sanſac, mais elle en évita d’abord le diſcours, par une confuſion ſecrette de luy paroître abandonnée d’un homme qu’elle luy avoit preferé ; cependant il luy fit connoiſtre qu’il n’ignoroit pas ce qu’on diſoit du changement de Sanſac, & ce fut d’une maniere qui en oſtoit en quelque façon la honte à Mademoiſelle de Roye ; elle eſtimoit aſſez ce Comte pour prendre le party de la ſincerité avec luy. Ayez le plaiſir de vous vanger de moy, luy dit-elle, je dois vous laiſſer joüir de ce triomphe ; hé bien ? il eſt vray que Sanſac me quitte pour Madame de Tournon. Eſt-il poſſible, Mademoiſelle, interrompit-il, cela peut-il eſtre ? quoy qu’on me l’ait dit, quoy que vous me le confirmiez, je connois trop l’impoſſibilité de ceſſer de vous aimer, pour le pouvoir croire. Rien n’eſt plus vray, luy dit Mademoiſelle de Roye ; mais qu’y a-t-il là qui ſoit incroyable ? on ne voit que des exemples d’inconſtance. Mademoiſelle, luy dit-il, n’en voyez-vous point d’autres ? ne connoiſſez-vous point un Amant méprisé, haï & conſtant ? Je ne le connois point méprisé ni haï, luy dit Mademoiſelle de Roye, d’un air qu’il ne luy avoit pas encore veu, je commence à faire la difference de luy au reſte des hommes ; j’étois deſtinée peut-eſtre à luy rendre juſtice un jour, & ce jour pourroit eſtre arrivé. Helas ! Mademoiſelle, luy dit-il, ne vous y trompez point, ce jour eſt encore de ceux que vous donnez à Sanſac, & c’en ſeroit le plus heureux, s’il ſçavoit goûter ſon bon-heur ; quand vous voudriez me faire ſervir à voſtre vengeance, ce ſeroit ſans ſonger à moy ; Sanſac vous eſt bien cher, puiſque ſon crime vous engage à dire des choſes flateuſes à ſon Rival. C’eſtoit ainſi que le Comte d’Amboiſe faiſoit connoiſtre à Mademoiſelle de Roye qu’elle avoit moins d’envie de luy marquer ſa reconnoiſſance, que de faire encore quelque déplaiſir à Sanſac ; neantmoins l’eſperance rentroit dans le cœur de ce Comte ; c’étoit déja un grand point, que de n’avoir plus à craindre la tendreſſe d’un Rival, & de n’avoir à combattre que celle de Mademoiſelle de Roye, qu’elle combatoit elle-meſme.

Madame de Tournon entretenoit un commerce de Lettres avec ce Marquis, inſenſiblement elle en eſtoit venuë juſqu’à luy faire comprendre, qu’elle auroit voulu le conſoler de l’infidelité de Mademoiſelle de Roye, il avoit ſaiſi cette occaſion de l’oublier, l’envie qu’il en avoit luy faiſoit quelquefois croire qu’il y avoit réüſſi, & donnoit un air d’ardeur à ſes Lettres, dont Madame de Tournon eſtoit contente. Il avoit cependant bien moins d’envie de la perſuader qu’il l’aimoit, que d’en perſuader Mademoiſelle de Roye, qu’il n’oſoit encore revoir.

La maladie du Comte de Sanſac ſon pere eſtoit une raiſon pour le retenir à Tours ; il écrivoit à ſes amis, qu’il eſtoit amoureux de cette Comteſſe, & ils ne luy parloient plus de Mademoiſelle de Roye, parce qu’il les en avoit priez ſans leur en dire la raiſon. Dans le temps que Sancerre eſtoit encore des amis de Mademoiſelle de Roye, Madame de Tournon luy avoit écrit qu’ils eſtoient dans une parfaite intelligence, & depuis perſonne ne l’en avoit deſabusé. Cette Comteſſe qui recevoit ſouvent des Lettres de Sanſac, parce qu’elle luy écrivoit tous les jours, faiſoit montrer à Mademoiſelle de Roye les plus tendres de celles qu’elle avoit de luy, comme ſi on les avoit ſurpriſes.

Mademoiſelle de Roye entroit dans une colere inconcevable lors qu’elle les voyoit, & l’inconſtance de Sanſac faiſoit plus auprés d’elle pour Monſieur d’Amboiſe, que tous les ſervices de cét Amant n’avoient pû faire. Le Comte de Sanſac mourut dans ce temps-là, & ſa mort mettoit ſon Fils en liberté d’achever ſon Mariage avec Mademoiſelle de Roye ; mais il n’en profita pas, Madame de Tournon qui n’y voyoit plus d’obſtacles que ceux qu’elle y apporteroit, redoubla ſes artifices ; elle fit dire ; par tout qu’elle épouſeroit ce Marquis ſi-toſt qu’il ſeroit de retour à Paris, où il devoit revenir dans peu pour prendre les ordres du Roy. Le deſſein de Madame de Tournon eſtoit d’engager avant cela Mademoiſelle de Roye à prendre un party. Madame de Roye ne pouvoit ſoûtenir l’affront qu’on faiſoit à ſa Fille, elle luy dit qu’il eſtoit de leur gloire de prévenir Sanſac. Mademoiſelle de Roye eſtoit encore plus irritée, & ne cherchoit qu'à ſe vanger. Le Mareſchal de Coſſé fit faire dans ce temps-là des propoſitions pour l'épouſer ; mais la diſproportion de leur âge faiſoit balancer Mademoiſelle de Roye malgré les avantages de cét eſtabliſſement. Le Comte d'Amboiſe avoit toûjours la meſme paſſion pour Mademoiſelle de Roye, mais il avoit plus d’une fois renoncé à elle. Il eſt vray que les raiſons qu’il en avoit euës ne ſubſiſtoient plus, rien ne convenoit mieux à cette belle perſonne qu’un Amant qui l’avoit toûjours tendrement aimée, & qu’elle eſtimoit plus que tous les autres hommes. Madame de Roye demanda conſeil à ce Comte comme à un amy, ſur les deſſeins du Mareſchal de Coſſé, il fut ſaiſi d’un trouble qui l’empeſcha de répondre. Je vois avec ſurpriſe, luy dit-elle, que ce qui regarde ma Fille ne vous eſt pas encore indiſſerent, cependant tout ce que vous avez déja fait me donnoit lieu de croire que vous la verriez ſans peine en épouſer un autre ; vous ſçavez que je vous l’avois deſtinée, & que je vous euſſe preferé à tous les hommes, ſi vous aviez voulu profiter de mes ſentimens. Je n’ay rien à vous répondre, Madame, luy dit-il, vous ne ſçauriez ignorer les diſpoſitions où je ſeray toute ma vie pour Mademoiſelle de Roye, je ne m’aſſeure point qu’il y ait moins d’obſtacles pour moy dans ſon cœur, mais je m’en flate, & il n’en ſaut pas tant pour rendre ma paſſion extraordinaire ; ſi vous y aviez quelque égard, vous ſouffririez que je conſultaſſe Mademoiſelle de Roye pour la derniere fois. Hé bien ! conſultez-la, luy dit cette Comteſſe, j’ay pour vous la meſme conſideration que j’ay toûjours euë.

La conjoncture eſtoit delicate pour le Comte d’Amboiſe, il s’eſtoit déja engagé deux fois avec Mademoiſelle de Roye, une troiſiéme devoit le faire trembler, mais la concurrence du Mareſchal de Coſſé le déterminoit à épouſer Mademoiſelle de Roye pour la luy oſter ; il alla ſe jetter aux pieds de cette belle perſonne. Mademoiſelle, luy dit-il, vous voyez le plus amoureux de tous les hommes, vous ſçavez que vos rigueurs ne m’ont point empeſché de l’eſtre, & que n’ont point fait vos honneſtetez ? j’aurois dû malgré elles eſtre ſeur que vous ne m’aimerez jamais, & cependant elles m’ont fait eſperer, ou elles m’ont tenu lieu de bon-heur, tant que vous n’avez eſté à perſonne ; mais vous ne ſçauriez plus éviter d’eſtre à quelqu’un, & je crains que vous n’en trembliez. Ce ne ſerõt point les engagemens qui me feront peur, luy dit Mademoiſelle de Roye, ce ne pourroient eſtre que les gens avec qui je ſerois obligée à m’engager. Hé ! Mademoiſelle, luy dit-il, eſtes-vous en eſtat de faire des differences ? j’apprehende que quelque fâcheux ſouvenir ne vous rende toûjours le choix d’un Mary deſ-agreable, ou du moins indifferent ; tout vous ſera égal. Mais, adjoûta-t-il, pourquoy vous preſſer de vous declarer ? vos bontez ne me donnent point aſſez de hardieſſe pour me faire croire que ſi vous eſtiez capables de diſtinctions elles fuſſent en ma faveur ; vous m’avez trop accoûtumé à eſtre mal-heureux, pour me laiſſer prendre des eſperances.

Vous m’offenſez, luy dit-elle, par ces ſouvenirs que vous voulez que j’aye, cependant je veux bien vous répondre precisément ſur le reſte ; vous avez d’ailleurs aſſez merité que je m’expliquaſſe avec vous ſans détour ; & puiſque je ne ſçaurois me diſpenſer d’entrer dans quelque liaiſon, je ſerois fâchée que ce ne fût pas avec vous. Quelles paroles pour Monſieur d’Amboiſe ? pouvoit-il faire des reflections contraires à ſon bon-heur ? Il pria Madame de Roye de le preferer au Mareſchal de Coſſé ; & comme elle y avoit beaucoup de penchant, ſon Mariage fut une troiſiéme fois reſolu. Il ſembla alors à cét Amant, qu’il n’avoit plus rien à redouter, & qu’il eſtoit au deſſus de tous ſes mal-heurs. Plus de Rival. Plus d’obſtacles. Il alloit eſtre uny pour jamais à une perſonne qu’il avoit long-temps aimée, & dont il croyoit enfin eſtre aimé. Son mal-heur avoit tant duré, qu’il ne vouloit plus retarder ſon bon-heur ; il ſupplia Madame de Roye de ne point faire differer la Ceremonie de ſes Nopces. Mademoiſelle de Roye, qui par eſtime pour Monſieur d’Amboiſe, & par un ſecret dépit contre Sanſac, s’eſtoit reſoluë à ce mariage, n’eut pas de peine à conſentir qu’il fût achevé promptement ; & il le fut à deux jours de là.

Quand il avoit eſté arreſté, les amis de Sanſac le luy avoient écrit, non pas comme une choſe qui l’interreſſaſt, mais comme une nouvelle. Quel coup de foudre pour luy ? & quels ſentimens ſe réveillerent dans ſon cœur ? Il ſentit que le dépit, le temps, & l’abſence, n’avoient fait que les aſſoupir, & qu’ils ne les avoient point affoiblis. Il ne concevoit pas qu’elle eût aimé Sancerre, & qu’elle épouſaſt ſi-toſt d’Amboiſe, & cette reflection le portoit inſenſiblement à douter qu’elle eût aimé ce premier ; cependant il penſoit qu’elle luy en avoit fait l’aveu par ſon ſilence ; il avoit veu ſortir Sancerre de chez elle, on luy en avoit refusé l’entrée ; & quoy que toutes ces circonſtances rappellées dans ſa memoire, le fiſſent encore fremir, il ſe diſoit que ce n’eſtoit point des certitudes, que peut-eſtre quelque choſe qu’il ignoroit avoit donné lieu à ces irregularitez ; il redonnoit du prix à Mademoiſelle de Roye dans ſon imagination, à meſure qu’il craignoit de la perdre ; tout ce qui pouvoit la juſtifier luy venoit dans la pensée, comme tout ce qui pouvoit la rendre coupable, s’y eſtoit autrefois preſenté ; la bizarrerie d’épouſer d’Amboiſe dans le temps qu’elle devoit épouſer Sancerre, ſi elle l’eût aimé, le mettoit hors de meſure, & luy faiſoit croire tout poſſible, juſqu’à n’avoir point eſté trahy. Il s’accuſoit déja d’avoir peut-eſtre donné trop toſt de la jalouſie à Mademoiſelle de Roye par Madame de Tournon. D’Amboiſe qu’il avoit toûjours veu ſi éloigné d’eſtre aimé de Mademoiſelle de Roye, ne luy paroiſſoit point avoir dû s’emparer avec tant de promptitude d’un cœur qui s’eſtoit toûjours reſusé à luy : cependant dans quelques momens il penſoit que la meſme inconſtance qui l’avoit portée à aimer Sancerre, pouvoit l’avoir portée auſſi à aimer d’Amboiſe, mais cette idée luy ſemblait ſi cruelle, qu’il la rejettoit d’abord ; enfin il ne déméloit plus rien, ſinon qu’il ne pouvoit ſouffrir que quelqu’un fût heureux en épouſant Mademoiſelle de Roye. Il ne croyoit point que ſon Mariage ſe deuſt faire avec tant de precipitation, & il eſpera d’y mettre encore des obſtacles, neantmoins il ne pouvoit retourner à Paris comme il l’auroit ſouhaité, parce que les Huguenots avec qui on avoit fait un Traité de Paix l’avoient rompu, & s’eſtoient emparés de pluſieurs Villes, ils avoient meſme des Troupes proche de Tours, de ſorte qu’il ne luy eſtoit pas poſſible de quitter ſon Gouvernement ; mais il ne voulut point differer de faire ſçavoir à Mademoiſelle de Roye l’eſtat où ſon Mariage l’alloit reduire, quoy qu’il ignoraſt les diſpoſitions où elle eſtoit pour luy. Il alla chez Mademoiſelle de Sanſac ſa ſœur, qui n’eſtoit qu’à deux lieuës de là, il luy apprit ce Mariage qu’il ſçavoit bien qui la devoit toucher autant que luy, il la conjura de partir ſur le champ, de donner à Mademoiſelle de Roye une Lettre qu’il luy écrivoit, & de mettre en uſage tout ce qui pouvoit l’empeſcher d’épouſer le Comte d’Amboiſe.

La paſſion de Mademoiſelle de Sanſac eſtoit de celles que rien ne peut guerir, elle fut ſaiſie d’étonnement & de douleur ; & quoy qu’elle eſſayaſt de cacher ces mouvemens, elle aſſeura ſon frere qu’il pouvoit ſe repoſer ſur elle du ſoin de cette affaire, dont elle viendroit infailliblement à bout ſi quelqu’un y pouvoit réüſſir, & qu’elle n’oublieroit rien pour le ſervir. Il retourna à Tours apres cette aſſeurance, & elle ne ſongea plus qu’aux moyens de luy tenir parole.

Elle ne balança point à choiſir les voyes les plus promptes, & qui luy parurent les plus-ſeures, il luy ſembla que ce ſeroit en vain que Mademoiſelle de Roye ſeroit perſuadée de la tendreſſe de Sanſac, & que quand elle rentreroit dans ſes premiers ſentimens pour luy, ils ſeroient inutiles, parce que ſa timidité l’emporteroit toûjours ſur ſon inclination, & qu’enfin il ſeroit plus aisé de jetter dans l’eſprit de d’Amboiſe des ſcrupules qui l’obligeaſſent à prendre le party qu’il avoit pris plus d’une fois, que d’entreprendre aucune autre choſe pour rompre ſon Mariage ; qu’apres tout, ce ne luy ſeroit pas un malheur de n’épouſer point une perſonne qui avoit eſté ſi long-temps prévenuë pour Sanſac ; qu’il n’y avoit preſque pas lieu de douter que ſa tendreſſe ne ſe réveillaſt, lors qu’elle le verroit revenir à elle.

Mademoiſelle de Sanſac écrivit à Monſieur d’Amboiſe, & elle luy envoya la Lettre que Sanſac écrivoit à Mademoiſelle de Roye ; elle déguiſa ſon écriture, afin qu’on ne ſçeût pas que ces Lettres vinſſent de ſa part, & elle partit quelques momens apres pour apprendre l’effet qu’elles auroient produit. D’Amboiſe les receut le lendemain de ſon Mariage, & lors qu’il croyoit que ſa felicité ne ſeroit jamais troublée ; il ouvrit celle de Mademoiſelle de Sanſac, dont il ne connut point le caractere, & qui eſtoit conceuë en ces termes.

LETTRE.

Ie n’ignore point votre delicateſſe ; puiſque vous épouſez Mademoiſelle de Roye, vous croyez eſtre Maître de ſon cœur ; je vous donne un moyen de vous en aſſeurer, voicy une Lettre que Sanſac luy écrit, puisqu’il l’aime encore, il peut en eſtre encore aimé, conſultez-la ſur cette Lettre ; ſi elle la reçoit avec indifference, vous n’en aurez que plus de repos dans voſtre Mariage ; & ſi vous vous appercevez que ſa paſſion ne ſoit pas éteinte, vous pourrez éviter un engagement qui ne feroit jamais voſtre bon-heur.

Il leut en ſuite celle de Sanſac dont il connoiſſoit l’écriture, & il y trouva ces paroles.

À MADEMOISELLE DE ROYE.

On m’apprend que vous allez épouſer Monſieur d’Amboise, & cette nouvelle fait une impreſſion ſi vive ſur moy, que je ne sçaurois m’empeſcher de vous écrire, mal-gré tous les ſujets que j’ay de me plaindre de vous. Ie ne ſuis pas en estat de vous faire des reproches ; je vous aime, & je vous perds, c’est à moy de me juſtifier, & de vous demander grace ; j’ay feint d’aimer Madame de Tournon ; j’ay voulu me guerir ou pluſtoſt me vanger, mais je n’ay fait qu’entretenir ma paßion par cette eſperance. Peut-eſtre außi que ma conduite vous a déplû. Peut-eſtre a-t elle precipité la reſolution que vous prenez. Helas ! je me flate, je ſerois encore trop heureux d’avoir part aux raiſons de voſtre Mariage, tout funeſte qu’il est pour moy. Non, vous aimez d’Amboiſe comme vous en avez aimé un autre. Ie vous demande pardon ſi je vous offenſe ; je ſouhaite de vous offenſer, faites ceſſer ce reproche s’il vous eſt trop ſenſibles ; faites revivre cette inclination dont vous m’aviez flaté, & qui devoit durer toujours. Quoy ? vous la portez à d’Amboiſe, apres que voſtre cœur m’avoit diſtingué de luy d’une maniere ſi obligeante ; je m’oppoſe à voſtre Mariage, par le droit que m’ont donné ſur vous vos premiers ſentimens ; & s’il vous en reſte quelque choſe, je vous aime aſſez, pour pouvoir pretendre de les rappeller tous. Vous croyiez autrefois que nous eſtions nez l’un pour l’autre ; pourquoy nous ſeparer, quand je vous aime encore ? Ha ! quittez la pensée d’entrer dans un nouvel engagement, ſinon, craignez la fureur d’un Amant qui perdra tout, pluſtoſt que de perdre un bien qu’il a merité par ſa tendreſſe & par la voſtre.

Quel effet produiſit la lecture de ces Lettres dans le cœur de Monſieur d’Amboiſe ? il ſe voyoit contraint de douter s’il eſtoit aimé, dans le temps qu’il eſtoit poſſeſſeur de la perſonne qu’il aimoit. Quelle horreur ſe preſentoit à ſon eſprit ? il demeuroit accablé de cette idée, & ſon Mariage eſtoit encore le plus funeſte de tous ſes maux. Tant qu’il n’avoit eſté qu’Amant, l’entiere aſſeurance de n’eſtre pas aimé luy avoit paru moins cruelle, que l’incertitude où il ſe voyoit alors reduit ; comme il n’avoit jamais aimé ſi vivement, jamais il n’avoit eſté ſi ſenſible aux atteintes de la jalouſie ; eſtre au comble de ſes vœux, & voir renverſer tout ſon bonheur par des pensées inſupportables, par des doutes dont il ne pouvoit s’éclaircir, ne pouvoir abandonner ny haïr la Comteſſe d’Amboiſe, ny l’aimer, eſtoit l’eſtat où il ſe trouvoit, & auquel il n’y avoit point de remede.

La Comteſſe d’Amboiſe s’apperceut de ſa froideur & de ſon chagrin ; elle luy en demanda la cauſe d’une maniere qui devoit le raſſeurer, mais ſes amitiez luy devenoient ſuſpectes, ou pluſtoſt il luy ſembloit qu’il n’en joüiſſoit que par ſurpriſe ; il fut pluſieurs fois ſur le point de luy montrer la Lettre de Sanſac, pour n’avoir plus à douter du mal-heur qu’il apprehendoit, & pour ſe faire s’il ſe pouvoit là-deſſus un triſte repos ; mais il ſe retint autant de fois, & il ſentit qu’il avoit encore à en craindre la certitude ; il ne répondit à cette Comteſſe que des choſes qui ne la ſatisfaiſoient pas, & qui la mettoient dans une inquietude extraordinaire.

Lors que Mademoiſelle de Sanſac fût arrivée à Paris, elle apprit que Mõſieur d’Amboiſe eſtoit marié avec Mademoiſelle de Roye ; elle comprit tout le deſordre que les Lettres qu’elle avoit envoyées avoient dû faire, & le chagrin de ſon imprudence joint à celuy qu’elle avoit de ce Mariage, luy fit prendre dés ce meſme jour le party de ſe mettre dans un Convent, tant pour éviter les reproches de ſon frere, que pour ſe faire une vertu capable de ſurmonter la paſſion qu’elle avoit dans le cœur ; elle écrivit cependant au Marquis de Sanſac avant que d’y entrer, elle luy apprenoit que Mademoiſelle de Roye eſtoit mariée ; elle luy avoüoit auſſi que croyant le ſervir, & ignorant que le Comte d’Amboiſe fût déja hors d’état de profiter des avis qu’on luy donnoit, elle luy avoit envoyé la Lettre qu’il écrivoit à Mademoiſelle de Roye, avec un Billet d’un caractere inconnu, qui pouvoit le porter à rompre encore luy-meſme ſon mariage ; enfin elle prioit ce Marquis de la laiſſer en repos, & de ne luy parler jamais de cette faute, qu’elle alloit expier toute ſa vie.

Sanſac ne receut point cette Lettre à Tours, parce que les Troupes du Prince de Condé qui avoient eu deſſein de ſurprendre la Ville, en ayant eſté empeſchées par la vigilance du Gouverneur, s’eſtoient jettées dans Orleans, & luy donnoient lieu de revenir à Paris. Il apprit en arrivant que Mademoiſelle de Roye eſtoit mariée, & il en eut autant de ſurpriſe que de douleur ; quoy qu’il eût craint ce Mariage, il n’avoit pû ſe perſuader qu’il ſe feroit ; meſme ſes reflections n’avoient fait qu’attendrir ſon cœur, & le rendre plus capable de ſentir cette perte ; bien loin de le preparer à la ſupporter, il s’abandonna à tout ce que le deſeſpoir a de plus affreux ; mais il ne fut pas long-temps dans cette peine, d’Amboiſe eſtoit deſtiné à mourir de chagrin au milieu de ſon bonheur, & on apprit bientoſt le peril ou eſtoit ce Comte.

Monſieur d’Amboiſe n’avoit pû ſoûtenir les diverſes agitations de ſon eſprit, la fiévre luy prit avec une violence ſi extraordinaire, que dés les premiers jours ſa vie fut en danger ; la Comteſſe d’Amboiſe eſtoit inceſſamment auprés de luy, fondant en larmes ; l’affliction qu’elle luy faiſoit paroiſtre, & les ſoins qu’elle prenoit pour ſa conſervation, le touchoient ſenſiblement, mais ils le deſeſperoient quand il ſongeoit qu’il n’oſoit les prendre pour des marques d’amour ; cependant il ne pouvoit ſe deffendre d’en avoir de la reconnoiſſance, il voyoit que Madame d’Amboiſe eſtoit digne d’une eſtime infinie, & que s’il n’avoit pû toucher ſon cœur, il faloit en mourir ſans ſe plaindre d’elle ; il ſentit qu’il n’avoit que peu de jours à vivre, & il reſolut de ne luy parler point des Lettres qui luy donnoient la mort, de peur de luy marquer de la jalouſie, & de luy oſter peut-eſtre par là la liberté de ſuivre ſon inclination quand il ne ſeroit plus. Cét effort de generoſité luy coûtoit neantmoins encore, ſes ſentimens n’étoient pas aſſez affoiblis pour ne point s’oppoſer à une reſolution qui leur eſtoit ſi contraire, & ſes delires découvroient quelquefois ce qu’il vouloit cacher.

Madame d’Amboiſe qui cherchoit à penetrer la cauſe de ſon affliction & de ſa maladie, déméla enfin que la jalouſie le tourmentoit. L’eſtime & l’amitié qu’elle avoit pour ſon Mary, ce qu’elle ſe devoit à elle meſme, ne luy permettoient pas de le laiſſer vivre ou mourir avec des pensées ſi deſavantageuſes pour elle ; elle ſe jetta plus d’une fois à ſes pieds, luy diſant que le mépris qu’il luy faiſoit paroiſtre en la privant de ſa confiance, luy eſtoit inſupportable. Madame, luy dit-il, que cherchez-vous à ſçavoir ? croyez que la tendreſſe que j’ay pour vous eſt la cauſe du ſecret que je vous fais. Vous ne ſçauriez m’entendre, adjoûta-t-il en ſoûpirant, & je perds tout le plaiſir que j’aurois à me faire un merite auprés de vous de ce dernier Sacrifice, mais c’eſt pour vous laiſſer plus de repos & de tranquillité.

Ces paroles augmentoient encore l’inquietude de Madame d’Amboiſe, & luy faiſoient redoubler ſes inſtances, tant qu’enfin la mort de ce Comte n’eſtant plus incertaine, & les Medecins l’ayant annoncée à ſa femme, la douleur extraordinaire qu’elle luy faiſoit paroiſtre juſques-là, & la maniere dont elle le preſſoit, eut le pouvoir de luy arracher ce qu’il avoit gardé juſques-là. On croit que voſtre mal redouble, luy dit-elle en l’embraſſant, ſans doute voſtre inquietude y contribuë. Je ne vous parle point de la mienne, vous m’avez découvert mal-gré vous, une partie de ce que vous pretendiez me cacher ; je ſçais que vous avez des pensées injuſtes de moy, vous ne voulez pas me donner lieu de me juſtifier & vous negligez d’eſtre content d’une perſonne que vous n’aimez plus ; j’ay avec la crainte de vous perdre, la certitude d’avoir déja perdu voſtre amitié ; mais je vous l’ay dit, je ne pretens point vous toucher par mes douleurs. Il ne s’agit icy que de vous-meſme, plaignez-vous de moy pour vous ſoulager, & vous éclairciſſez pour vous mettre plus en repos. Peut-eſtre ne me trouverez-vous pas coupable, ſi vous me faites parler. Hé bien ! Madame, luy dit Monſieur d’Amboiſe, puiſque mes reſveries ont commencé à me trahir, & vous ont chagrinée, il faut vous apprendre tout, & reparer ce qu’elles ont fait. Liſez ces Lettres, luy dit-il en luy preſentant celles qu’il avoit receuës, voila ce qui cauſe mes maux, je n’ay pû vivre & douter que je fuſſe aimé de vous, je meurs pour vous laiſſer à un autre qui ne vous aimera jamais comme moy, mais avec qui vous ſerez plus heureuſe, parce que vous l’aimerez davantage.

Madame d’Amboiſe trembla de l’imprudence ou de la malice de ceux qui avoient envoyé la Lettre d’avis à ſon Mary ; elle ne les devinoit point, & elle eſtoit ſi occupée de le voir mourant pour elle, que meſme dans ce moment la Lettre de Sanſac ne fit aucune impreſſion ſur ſon eſprit ; Monſieur d’Amboiſe qui eſtoit appliqué mal gré luy à examiner les mouvemens de ſon viſage, ne la vit point changer de couleur. Hé bien ! luy dit-elle, Monſieur, vous avez donc crû que je ne pourrois recevoir une Lettre de Sanſac, ſans reprendre pour luy des ſentimens qui vous fuſſent deſ-agreables ; je voudrois qu’on me l’eût donnée, je vous l’aurois remiſe entre les mains comme je l’y remets preſentement. Ha ! s’il eſt vray, Madame, luy dit-il avec un tranſport qui abregea encore ſes jours, faut-il mourir ? Quoy ! vous auriez oublié Sanſac, adjoûta-t-il avec des yeux où l’amour n’eſtoit pas éteint ? Je ſuis honteuſe, luy dit-elle, d’avoir à vous en donner de nouvelles aſſeurances, mais j’en ſeray contente ſi elles peuvent vous tirer de l’eſtat où vous eſtes. Non, Madame, luy dit-il, je meurs avec autant de ſatisfaction que de regret ; mais enfin vos premiers ſentimens ont eſté pour Sanſac, je ne ſuis point injuſte ny Tyran, c’eſt beaucoup pour moy que d’avoir pû les éteindre un moment durant ma vie, ils ſe rallumeront apres ma mort ; je n’en murmure pas, ne leur oppoſez point ma memoire, vous ſçavez que tant que je l’ay pû, j’ay preferé voſtre bonheur au mien, & j’enviſage avec quelque ſorte de joye que vous ſerez parfaitement heureuſe, ſans que j’en ſois malheureux. À peine eut-il achevé ces parolles, qu’il s’évanoüit ; on mena la Comteſſe d’Amboiſe hors de la chambre, mal-gré ſes pleurs & ſes cris. Madame de Roye qui n’étoit guére moins affligée de l’eſtat où elle voyoit ce Comte, taſchoit neantmoins à la conſoler autant qu’il luy eſtoit poſſible.

Monſieur d’Amboiſe revint de ſon évanoüiſſement, il fit prier ſa femme de ne plus entrer dans ſa chambre, afin qu’elle s’épargnaſt un ſpectacle affligeant, & parce que ſa veuë luy faiſoit quitter la vie avec trop de regret ; il mourut le lendemain.

Madame de Roye mena la Comteſſe d’Amboiſe dans un Convent, où elle demeura quinze jours, & en ſuite elles allerent enſemble à la campagne. L’affliction de cette veuve ne ſe moderoit point, il luy ſembla qu’elle ne conſoleroit jamais de la mort de ſon Mary ; elle connut tout le prix de l’affection qu’il luy avoit portée, & combien ſon cœur & ſon merite eſtoient au deſſus de celuy des autres hommes ; elle alloit juſqu’à l’admiration pour luy, & elle eſtoit bien éloignée de ſoupçonner qu’elle pût jamais avoir de ſentimens plus vifs pour quelqu’un ; elle ne croyoit meſme point en avoir eu d’auſſi vifs, elle évitoit de penſer à la Lettre du Marquis de Sanſac, il luy ſembloit que c’eſtoit par indifference, mais elle ſongeoit inceſſamment à la generoſité qu’avoit euë ſon Mary, de conſentir en mourant qu’elle l’épouſaſt, quoy qu’elle n’euſt pas deſſein d’en profiter.

Sanſac avoit repris des eſperances par la mort de Monſieur d’Amboiſe, mais il comprit qu’il ſeroit quelque temps ſans oſer voir la veuve, & il alla à Tours lors qu’elle partit pour la campagne, où elle demeura trois mois ſans recevoir perſonne ; cependant ſes affaires l’obligerent de retourner à Paris, & il y revint auſſi dés le moment qu’il le ſçeut ; quoy qu’il n’oſaſt aller chez elle, il cherchoit les promenades ſolitaires dans la veuë de l’y rencontrer. En effet, il ne fut pas long-temps ſans avoir ce plaiſir, ny meſme ſans ſe faire remarquer. La Comteſſe d’Amboiſe ſe ſentit émeuë la premiere fois qu’elle le revit, il luy ſembla que la preſence d’un homme qui l’avoit offensée pouvoit luy cauſer ce trouble ; comme elle eſtoit avec une Dame de ſes parentes à qui elle ne vouloit point faire connoiſtre qu’elle avoit remarqué Sanſac, elle fut contrainte de continuer ſon chemin. Sanſac la ſuivoit toûjours, & enfin elle retourna le pluſtoſt qu’il luy fut poſſible.

Lors qu’elle fut revenuë chez elle, elle entra dans ſon Cabinet, & elle ne pût s’empêcher de lire la Lettre que Monſieur d’Amboiſe luy avoit donnée de ce Marquis, & qu’elle avoit gardée ; elle la trouva pleine de paſſion, & elle la releut encore, en ſuite elle entra dans une profonde reſverie, dans laquelle elle ne vouloit point diſtinguer ſes propres pensées.

Quelques jours apres Monſieur de Sanſac ayant gagné quelques-uns de ſes gens, pour ſçavoir de quel coſté elle devoit ſe promener, la devança, parce qu’elle ne vint que tard ; & lors qu’il la rencontra, il la ſalüa d’une maniere triſte & reſpectueuſe, qui luy donna encore plus d’émotion que la premiere fois. Elle eſtoit deſcenduë de ſon Carroſſe pour prendre l’air ; mais apres avoir ſalüé ce Marquis, elle y remonta avec precipitation ; cependant à peine eut-elle fait quelques pas, que ſon Carroſſe rompit ; il eſtoit tard, elle eſtoit aſſez loin de Paris, & elle ſe trouva dans un tres-grand embarras.

Monſieur de Sanſac qui vit de loin le deſordre qui eſtoit arrivé à ſon équipage, s’approcha ; & n’oſant parler à Madame d’Amboiſe, il pria une des Femmes qui accompagnoient cette Comteſſe, de luy offrir de ſa part ſon Carroſſe pour la remener. Madame d’Amboiſe ne put ſe diſpenſer de répondre à cette honneſteté, elle le remercia, & elle luy dit qu’on alloit chercher des gens pour raccommoder ſon Carroſſe. En effet, elle y envoya à l’heure meſme ; il luy dit qu’il eſtoit bien mal-heureux d’eſtre refusé dans une occaſion où il eſtoit preſque impoſſible de ne pas accepter le party qu’il propoſoit ; que le Carroſſe de Madame d’Amboiſe ne pouvoit eſtre en eſtat d’aller que la nuit ne fût fort avancée ; qu’il alloit attendre le retour de ceux qu’elle envoyoit, & que peut-eſtre la neceſſité vaincroit la repugnance qu’elle avoit à luy faire une grace. Madame d’Amboiſe taſcha à luy répondre ſans incivilité, mais ſans luy promettre auſſi qu’elle ſe ſerviroit de ſon ſecours ; inſenſiblement ils entrerent en converſation, Monſieur de Sanſac trouva l’art de la faire durer, en diſant à Madame d’Amboiſe des choſes qui l’obligeoient à répondre ; les gens qu’on eſtoit allé querir pour raccommoder le Carroſſe arriverent, & dirent qu’il eſtoit impoſſible qu’on le menaſt à Paris ce jour-là.

Madame d’Amboiſe eſtoit dans une furieuſe inquietude, la nuit eſtoit commencée ; Sanſac offroit de luy donner ſon Carroſſe, & d’attendre en ce lieu qu’il fût de retour. Il y auroit eu de la mal-honneſteté à l’y laiſſer, elle avoit cependant de la peine à ſe reſoudre de ſe mettre dans le meſme Carroſſe, avec un homme qui l’avoit aimée, & qu’elle craignit qui ne luy fût pas encore indifferent. À la ſin la neceſſité l’obligea de le prier de la mener juſqu’aux premieres maiſons, en attendant qu’elle envoyaſt querir un Carroſſe à Paris. Comme ces maiſons eſtoient tres-éloignées, elle ne pouvoit avec bien-séance le laiſſer dans la campagne, & il trouvoit trop de plaisir à accompagner Madame d’Amboiſe pour s’en deffendre un moment ; de ſorte qu’il la mena avec deux de ſes femmes juſqu’au village prochain. Quel charme pour luy de ſe retrouver avec elle ? il n’oſoit luy dire que des choſes indifferentes, mais il luy parloit, il la voyoit, & il eſperoit que cette rencontre ne ſeroit pas ſans ſuites ; meſme l’air de miſtere qui ſe trouvoit par hazard dans cette avanture, luy donnoit beaucoup de plaiſir.

Les raiſons qui faiſoient la joye de cét Amant, allarmoient la ſeverité de Madame d’Amboiſe ; elle eſtoit ſi agitée de ſes pensées differentes, qu’elle ne parla qu’en deſordre. Ce Marquis qui s’en apperceut, n’en tiroit pas un méchant augure ; cependant il n’oſa luy demander la permiſſion de la voir plus long-temps, apres qu’il l’eût miſe où elle ſouhaitoit d’aller, mais il demeura aux environs de la maiſon juſqu’à ce qu’elle en fût partie.

Le lendemain il luy écrivit, pour luy demander une heure d’audience, avant qu’il allaſt à Chartres où le Roy l’envoyoit avec un renfort de quatre mille hommes, qui devoient ſe jetter dans la Ville, que les Huguenots avoient aſſiegée.

Cette Comteſſe fut embarraſſée de la conduite qu’elle devoit tenir dans cette occaſion ; toute la nuit elle avoit eſté occupée de la rencontre qu’elle avoit faite, Sanſac luy avoit paru plus amoureux que jamais, mais elle n’oſoit le trouver auſſi aimable ; cependant il eſtoit preſque juſtifié dans ſon eſprit, au ſujet de Madame de Tournon, par ſa Lettre qu’elle avoit releuë pluſieurs fois. Monſieur d’Amboiſe bien loin de craindre qu’elle ne l’épouſaſt, le luy avoit en quelque ſorte ordonné en mourant, touteſois il luy ſembloit que ce n’eſtoit point aſſez pour l’épouſer, mais que c’eſtoit aſſez pour le voir ſans ſcrupule ; qu’il faloit qu’elle luy parlaſt, & qu’elle ſçeût qui avoit envoyé à Monſieur d’Amboiſe les Lettres qui avoient causé tant de deſordres ; qu’enfin elle devoit apprendre à Sanſac la reſolution qu’elle avoit faite de demeurer veuve ; dans cette pensée elle luy fit dire qu’il pouvoit la voir.

Avec quelle joye revint-il chez elle, & ſe retrouva-t-il en liberté de luy parler de ſes ſentimens ? Il luy ſembla que ſa beauté eſtoit encore augmentée ; ſes habits de deüil, & l’émotion qui paroiſſoit ſur ſon viſage, luy donnoient mille charmes. Il ſe jetta à ſes pieds, ſans pouvoir prononcer une ſeule parolle, & ſans ſonger meſme à ce qu’il faiſoit.

Madame d’Amboiſe l’obligea de ſe relever, avec un ſerieux qui le glaça de crainte ; il prit un ſiege comme elle le luy ordonnoit, & il fut longtemps ſans oſer lever les yeux ſur elle ; ce reſpect la toucha plus que le tranſport de ſon amour n’avoit fait.

J’ay eu la hardieſſe de demander à vous voir, Madame, luy dit-il, ſans preſque la regarder, mais j’en ſuis aſſez puny, & voſtre air m’annonce des malheurs que j’avois évité de prévoir. Madame d’Amboiſe d’abord ne luy répondit point. Vous ne me dites rien, Madame, adjoûta-t-il ? parlez, deſeſperez-moy ; les duretez que vous me direz, me ſeront moins cruelles que voſtre ſilence. Je vous parleray auſſi, luy répondit-elle, je ne vous aurois pas laiſſé venir, ſi je n’avois eu beaucoup de choſes à vous dire, & je ſuis ſeulement embarraſſée par où je commenceray. Je croy que je ne dois point me réjoüir, Madame, luy dit-il, des choſes que vous avez à me dire, il m’eſt aisé de prévoir qu’elles ne me ſeront pas avantageuſes, & vous diminuez beaucoup la grace que vous me faites, qui auroit esté trop grande ſi vous n’aviez eu qu’à m’entendre. Je ne feray point de difficulté de vous avoüer, luy dit-elle, que j’ay veu la Lettre que vous m’avez écrite à l’occaſion de mon Mariage, & qui fut envoyée à Monſieur d’Amboiſe, il faut que je ſçache de vous à qui vous l’aviez donnée, & comment fut conduite une affaire ſi mal-heureuſe pour moy, par la mort de Monſieur d’Amboiſe.

Sanſac luy conta que luy eſtant impoſſible de revenir à Paris, parce qu’on craignoit une entrepriſe des Huguenots ſur Tours, il avoit confié ſa Lettre à ſa Sœur, qui luy promettoit de la luy remettre entre les mains ; que Mademoiſelle de Sanſac ignorant auſſi bien que luy que ſon Mariage fût déja fait, avoit crû que le plus ſeur moyen de l’empêcher, eſtoit d’envoyer ces Lettres à Monſieur d’Amboiſe : mais, Madame, adjoûta-t-il, je vois que leur méchant ſuccez m’eſt imputé, & que meſme quand ma Lettre n’auroit eſté veuë que de vous, je n’en devois attendre que voſtre colere. Sans doute, luy dit-elle, puiſque j’eſtois femme de Monſieur d’Amboiſe, mais j’avois eu lieu de croire que Madame de Tournon vous auroit conſolé de mon Mariage, ou pluſtoſt qu’il ne vous auroit point affligé. Madame de Tournon, s’écria-t-il ? Eſt-il poſſible, Madame, que vous croyez qu’elle ait pû me conſoler un moment de vous ! Madame d’Amboiſe ne pût s’empêcher de luy parler de la préference qu’il avoit donnée à cette Comteſſe le jour de la Maſcarade ; mais il luy proteſta avec tant d’ingenuité qu’il avoit crû danſer avec elle, & la converſation qu’il penſoit avoir euë avec elle auſſi, ſur le ſujet de Sancerre, les embarraſſant l’un & l’autre, ils démélerent enfin que Madame de Tournon les avoit joüez. La verité ſe montroit à eux à meſure qu’ils ſe parloient ; ils ſe retrouvoient innocens, une douce joye rentroit dans leurs cœurs, que de longtemps ils n’avoient ſentie.

Lors qu’ils n’eurent plus de plaintes à faire, ils ſe regarderent quelque temps. Mais, Madame, reprit le Marquis de Sanſac, que me ſert-il que vous n’ayez point aimé Sancerre, ſi je vous ſuis indifferent ? Du moins vous me le devez eſtre, interrompit Madame d’Amboiſe, j’avois épousé le Mary le plus digne d’eſtre aimé qui fut jamais. Ses dernieres parolles meritent que je ſois eternellement occupée de luy. J’eſtois reſoluë à vous en faire un ſecret, mais je me ſens engagée à vous les dire, pour vous marquer mieux l’obligation où je ſuis de l’aimer toûjours. Elle luy fit un recit de la converſation que Monſieur d’Amboiſe avoit euë avec elle ſur ſon ſujet, en adouciſſant neantmoins les termes qui pouvoient trop le flater ; mais cét Amant ne laiſſa pas d’eſtre charmé de cette confidence. Ha ! Madame, luy dit-il en ſe jettant encore une fois à ſes pieds, executez les dernieres volontez de Monſieur d’Amboiſe ; j’ay merité de luy ſucceder, puiſque je ſuis choiſi par luy, il n’y a que voſtre indifference qui puiſſe m’en rendre indigne ; Mais, adjoûta-t-il, pourquoy vous ſerois-je indifferent ? je n’ay pas ceſſé un moment d’eſtre le plus amoureux de tous les hommes ; je ſuis autorisé à vous le dire, & vous ne devez plus faire de ſcrupule que de ne m’aimer pas. Je vois que je vous en ay trop dit, interrompit-elle en rougiſſant, & en l’obligeant à ſe lever avec plus de douceur que la premiere fois, il n’eſt plus temps de déguiſer avec vous. Hé bien ! ſçachez que mon inclination n’eſt pas éteinte. Que n’ay-je pluſtoſt appris voſtre innocence ? je n’aurois point eſté à Monſieur d’Amboiſe, il ne ſeroit point mort, & rien ne m’auroit empeſchée d’eſtre à vous ; mais puiſque je l’ay épousé, ie luy dois un ſacrifice pour tous ceux qu’il m’a faits, j’ay par cette raiſon formé le deſſein de demeurer veuve ; & ſi j’avois aſſez de foibleſſe pour ne le pas executer, je ne ſerois point heureuſe en vous épouſant ; quelque amitié que j’euſſe pour vous, mes reflections m’empeſcheroient de joüir de la voſtre, & m’oſteroient peut-eſtre la mienne à la fin. Ah ! Madame, luy dit-il, avec le deſeſpoir dans l’ame, je vois que vous ne m’avez jamais aimé. Je voudrois qu’il fût vray, luy dit-elle en ſoûpirant. Hé ! Madame, s’il ne l’eſt pas, reprit-il, pourquoy me dire des choſes ſi cruelles, & pourquoy vouloir que je renonce à vous ? je ne ſçaurois le faire, il m’eſt plus aisé de mourir. Quoy ? interrompit-elle, vous ne ſçauriez faire un effort pour me laiſſer à moy-meſme, comme Monſieur d’Amboiſe en a fait pour me laiſſer à vous. Non, luy dit-il, Madame, ne me propoſez point d’exemples j’ay trop d’amour pour ſonger ſeulement à vous perdre ; & ſi vous m’ôtez l’eſperance, les perils où je vais eſtre exposé, & où je ne me ménageray point, vous délivreront d’un Amant trop paſſionné, pour vaincre ſes ſentimens, ou pour les cacher. Répondez moy encore une fois, Madame, ma vie ou ma mort ſont entre vos mains. Ha ! que me dites-vous, luy dit Madame d’Amboiſe avec des yeux groſſis de larmes, pourquoy voulez-vous que je me determine ? laiſſez moy du moins irreſoluë, puiſque vous ébranlez déja ma reſolution. Sanſac voulut l’engager à luy donner parolle poſitive de l’épouſer, mais elle en demeura à ce qu’elle venoit de dire. Il fut obligé de prendre congé d’elle, & il alla à Chartres avec les quatre mille hommes qu’il conduiſoit.

Lors qu’il fut party, Madame d’Amboiſe vit combien elle avoit déja fait de chemin ; que les ſoupçons que Sanſac avoit diſſipez, luy eſtoient devenus, pour ainſi dire, un merite auprés d’elle, & qu’elle avoit trouvé un grand ſujet de ſe loüer de luy, à n’avoir pas un grand ſujet de s’en plaindre ; elle crût qu’elle s’eſtoit démentie trop aisément & trop toſt ; & que lors qu’il feroit des retours ſur cette conduite, il auroit moins d’eſtime pour elle que d’amour cette pensée la chagrina, elle ſe dit meſme qu’un Mary comme celuy qu’elle avoit eu, meritoit une femme capable de grands ſentimens & de fermeté ; qu’enfin le plaiſir de penſer à luy, & d’eſtre contente d’elle, devoit l’occuper toûjours.

Mais elle fit bien-toſt apres d’autres reflections ; Monſieur de Sanſac fut tué devant Chartres, en faiſant une ſortie ſur les Huguenots, & elle en eut une douleur ſi cruelle, qu’elle jugea qu’il ne luy auroit pas eſté poſſible de vouloir meriter long-temps ſon eſtime aux dépens de la tendreſſe qu’elle avoit pour luy ; elle retourna à la campagne, où elle paſſa le reſte de ſes jours, remplie de ſes diverſes afflictions, & ſans oſer les déméler, de peur de reconnoiſtre la plus forte.

FIN.

Extrait du Privilege du Roy.

Par Grace & Privilege du Roy, donné à Verſailles le 17. jour de May 1688. Signé, NOBLET : Il eſt permis à Catherine Bernard de faire imprimer un Livre intitulé, Le Comte d’Amboiſe, Nouvelle, & ce pendant le temps de huit années conſecutives, à compter du jour qu’il ſera achevé d’imprimer pour la premiere fois ; Et deffenſes ſont faites à tous autres de l’imprimer, vendre ni diſtribuer, ſans le conſentement de l’Expoſante, ou de ſes ayans cauſe, à peine de confiſcation des Exemplaires, de tous dépens, dommages & intereſts, ainſi qu’il eſt plus au long porté par ledit Privilege.

Ladite Catherine Bernard a cedé & tranſporté ſon droit de Privilege à Claude Barbin, Marchand Libraire, ſuivant l’accord fait entre-eux.

Regiſtré ſur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, le 17. Septembre 1688. ſuivant l’Arreſt du Parlement du 8. Avril 1653. celuy du Conſeil Privé du Roy du 27. Février 1665. & l’Édit de Sa Majeſté donné à Verſailles au mois d’Aouſt 1685 : Le preſent Enregiſtrement fait à la charge que le debit dudit Livre ſe fera par un Imprimeur ou Libraire, ſuivant l’Edit, Statuts & Reglemens.

J.B. Coignard, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 4. Octobre 1688.


De l’Imprimerie de Jacques Langlois.