Le Comte de Sallenauve/Chapitre 39

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L. de Potter (Tome Vp. 279-319).


XXXIX

La question de la Plata.


En rentrant chez lui, Maxime fut assez étonné de trouver un billet de Rastignac l’engageant pour le lendemain matin à venir le voir au ministère.

Rastignac n’ayant plus besoin de lui, et ayant l’air de vouloir lui tenir sa promesse, cela parut presque incroyable à Maxime, qui connaissait l’homme. Cependant, le lendemain, assez intrigué de ce qu’on pouvait avoir à lui dire, il était de bonne heure dans le cabinet de l’homme d’État, et n’eut pas à attendre pour être introduit ; les solliciteurs ne font pas foule chez un ministre tombé.

— Eh bien ! dit Maxime en entrant, où en est la crise ?

— Oh ! c’est déjà très gai, dit Rastignac : hier au soir, à onze heures, il y avait un ministère de fait ; mais il est détraqué ce matin et nous en verrons bien d’autres.

— Alors, provisoirement, vous restez ?

— Oui, pour expédier les affaires ; et c’est de ce reste de pouvoir que je veux me servir, mon cher Maxime, pour vous arranger une position.

— Je reconnais là le procédé d’un vieil ami.

— Vous rappelez-vous, mon cher, qu’au mois de mars dernier vous me disiez : « Après mon mariage, nommez-moi chargé d’affaires près quelque méchante république d’Amérique ? »

— Parfaitement, dit Maxime, la diplomatie a toujours été la carrière que j’ai rêvée.

— Eh bien ! dit le petit ministre, si, changeant quelque chose à votre programme, je vous proposais avant votre mariage de partir immédiatement pour l’Amérique du Sud ?

Maxime le regarda et répondit :

— Vous trouviez l’autre jour si ridicule qu’on voulût aller chercher des auxiliaires dans ce pays !

— Oui, dit Rastignac ; mais j’ai réfléchi à cette découverte que vous avez faite d’une correspondance du sieur Bricheteau avec la capitale du Paraguay. Il est possible, en effet, qu’un homme de votre habileté trouve là les pieds d’argile de ce colosse tous les jours grandissant qu’on appelle M. de Sallenauve ; mais il y a un autre intérêt moins particulier qui m’a fait jeter sur vous les yeux. Vous n’avez pas suivi dans les journaux les développements de cette question que nous autres hommes d’État appelons la question de la Plata ?

— Ma foi ! non, dit Maxime, j’ai bien souvent vu qu’il était question de Buenos-Aires, de Montevideo, du dictateur Rosas, mais cela m’a paru si lointain et si embrouillé, que je ne me suis pas donné grand souci pour y comprendre quelque chose.

— Eh bien ! sans que vous et le public vous vous en doutiez, il y a une très grosse difficulté pour la France ; l’autre jour en conseil nous en avons parlé, et il a été décidé qu’un agent intelligent devait d’abord être envoyé à Montevideo sans caractère officiel, mais avec de grands pouvoirs et pas mal d’argent à répandre. J’avais aussitôt pensé à vous, et je devais, dans quelques jours, vous parler de cette mission. Aujourd’hui, si nous voulons en disposer encore, il n’y a pas un moment à perdre, il faut que votre commission secrète soit signée dans la journée par le ministre des affaires étrangères, qui, sur ma proposition, vous accepte, et chez lequel nous allons nous rendre. Vous avez la conception prompte, et, en deux heures, le chef de la division politique et le chef de la division commerciale vous auront mis au courant de la question.

— Je ferai de mon mieux, dit Maxime.

— Le côté fâcheux de ma proposition, reprit le ministre, c’est que dans deux fois vingt-quatre heures il faut être parti. Si un ministère était constitué avant ce temps, il ne tarderait probablement pas à mettre le nez dans cet intérêt, qui tourne à devenir assez pressant ; il faut donc qu’on puisse dire à nos successeurs : nous avons envoyé un agent, il est déjà en route. Voulussent-ils alors faire courir après vous et vous remplacer par un homme à eux, vous n’en seriez pas moins en possession des avantages pécuniaires qui vous auraient été alloués, parce que, sur le grand théâtre de la diplomatie, où l’on ne lésine jamais, même quand la représentation n’a pas lieu, on ne rend pas l’argent.

— Mais vous savez, mon excellent ministre, qu’après moi je vais laisser en souffrance le paiement d’une somme assez ronde…

— Très bien, dit Rastignac, j’ai fait entrer en ligne de compte ce souci dont vous m’aviez entretenu, et sur vos frais de voyage, sur les dépenses secrètes pour lesquelles un large crédit vous sera ouvert, vous pouvez facilement grappiller cette somme. Maintenant, c’est à vous de voir et de vous décider.

— Voilà, dit Maxime, ce qui me fait hésiter. Cette mission ne peut guère durer moins de six à huit mois !

— Évidemment, il en faut déjà compter six, à peu près, pour l’aller et le retour, ensuite le temps d’opérer.

— Oui enfin, c’est presque une année de délai apportée à mon mariage, et une femme qui vous donne en dot soixante mille francs de rente, ne se trouve pas tous les jours, même en revenant de Montevideo.

— Voyez, mon cher ; d’autre part, cette mission est une occasion unique.

— J’accepte, dit Maxime, après avoir un moment réfléchi ; d’abord l’auréole de cette nomination va faire une grande impression sur l’esprit de ma belle-mère, ensuite je lui donnerai à comprendre que sa profonde haine pour Sallenauve peut trouver là une pâture, et puis je sais une autre manière de la prendre. Oui ; je ne cours aucun risque ; ainsi mon cher ministre, je suis tout à fait à votre disposition.

— Eh bien ! partons, dit Rastignac, en sonnant pour qu’on fît avancer la voiture, qui était toujours attelée dans ses remises.

Nos lecteurs nous saurons gré de ne pas les conduire au ministère des affaires étrangères où ils seraient exposés à entendre dans ses plus minutieux développements l’exposé de cette terrible et interminable question de la Plata dont pendant des années le vaporeux fantôme n’a fait, dans les colonnes des journaux politiques, que de trop longues et de fréquentes apparitions.

Nous reprenons Maxime à cinq heures du soir, ayant déjà reçu ses instructions, étant déjà passé à la caisse du ministère des affaires et ayant écrit à madame Saint-Estève un billet assez sec pour l’engager à venir faire toucher chez lui le lendemain matin, sans faute, le montant du billet Halphertius.

Arrivé à l’hôtel Beauséant, il y trouva seule madame Beauvisage, ce qui le dispensa de lui demander un entretien particulier et entama avec elle ainsi :

— Ma chère belle-mère, vous me reprochiez hier, avec assez peu de justice, de n’avoir pas su tirer parti des bonnes dispositions de Rastignac. Les ministres souvent ne font les choses qu’in extremis ; il semble que la disgrâce leur redonne des entrailles. Ce matin, Rastignac m’a fait appeler et m’a offert un poste magnifique, que, pour vous être agréable, je me suis empressé d’accepter.

— En vérité ! dit vivement madame Beauvisage.

— Je dois me hâter d’ajouter, reprit Maxime, qu’à la médaille il y a son revers, car il s’agit d’un poste diplomatique et d’une mission secrète et lointaine qui, pendant près d’un an, va me tenir éloigné de la France et de toutes mes affections.

— Ah ! oui, fit Séverine, la diplomatie a l’inconvénient de faire voyager.

— Vous comprenez, continua M. de Trailles, que si, en me résignant à ce sacrifice, j’avais dû croire qu’il ne fût pas en fin de cause, couronné par la récompense que d’autres dévouements n’ont pas pu encore faire mûrir complètement pour moi, je n’en aurais peut-être pas eu le courage. Mais je pense qu’avec vous madame, et avec mademoiselle Cécile, il n’est pas vrai, comme le dit le proverbe, que les absents aient tort.

— Comment pourriez-vous croire, dit madame Beauvisage, qu’une chose aussi avancée puisse maintenant manquer ?

— De votre fait, ma chère belle-mère, je pars assez tranquille ; mais du fait de ma prétendue…

— D’abord, Cécile ne fera jamais que ce qui paraîtra convenable à moi et à son père. D’ailleurs, elle vous a accepté.

— Oui ; mais je ne sais si c’est de ma part cette susceptibilité de cœur que donne toujours un sentiment vrai, mais il me semble que, depuis votre arrivée à Paris, mademoiselle Cécile a quelque peu changé pour moi.

— Mais non ! je vous jure ; elle est toujours la même ; vous avez peut-être vu avec peine que, fidèle exécutrice des volontés de son grand-père, elle ait désiré que votre mariage fût ajourné jusqu’au moment où vous seriez arrivé à donner à votre existence une assiette désirable ; mais c’est de la piété filiale et vous devez plutôt voir une garantie dans son procédé, quand on est fille bonne et respectueuse on est ordinairement bonne femme.

— Enfin, madame, je remets avec confiance mes intérêts dans vos mains, et j’ajoute qu’en entreprenant l’immense voyage auquel je me prépare, je crois conquérir de nouveaux titres à la bienveillance de la famille Beauvisage, car c’est en vue d’elle, plus particulièrement, que je pars.

— Comment cela ? dit Séverine avec curiosité.

— Quelqu’un dans ce moment barre l’avenir parlementaire de M. Beauvisage, ce quelqu’un, à notre grand désespoir à tous, grandit tous les jours ; il fallait donc prendre contre lui les grands moyens.

— Vous voulez sans doute parler de Sallenauve ?

— Oui, madame, et si vous étiez plus versée dans la science géographique que ne le sont ordinairement les jolies femmes, en vous disant que je me rends à Montevideo, je vous ferais comprendre que je me rapproche beaucoup d’une contrée lointaine où pour nous peut être espérée la découverte des plus importants secrets.

— Je ne saisis pas bien, dit Séverine.

— La ville de l’Assomption, poursuivit Maxime, est la capitale du Paraguay, et le Paraguay est voisin du territoire de la république Argentine, auprès de laquelle je suis envoyé en mission.

Quoiqu’il soit assez singulier qu’en prononçant devant madame Beauvisage le nom d’une capitale aussi lointaine et aussi peu connue que celle du Paraguay, on pût étendre sur le visage de la chère dame un pied de rouge, cet effet n’en fut pas moins produit, et nos lecteurs se l’expliquent.

— Madame, reprit Maxime, j’ai vu l’autre jour M. de Chargebœuf, et il m’a parlé des grandes découvertes que vous aviez faites, et notamment de cette correspondance que Jacques Bricheteau paraît entretenir avec l’Amérique du Sud.

Cette phrase n’était pas faite pour éteindre la rougeur de madame Beauvisage, et son malaise devint si marqué, que Maxime, n’en eût-il pas su la cause, n’aurait pu s’empêcher de le remarquer.

— Ma chère belle-mère, dit alors M. de Traille, croyez que vous aurez toujours en moi le gendre le plus dévoué et le plus respectueux. Personne mieux que moi n’est payé pour comprendre les faiblesses humaines, car j’ai fait dans ma vie quelques folies assez éclatantes, et j’ajoute qu’il est de ces faiblesses qui ont un côté vraiment véniel et excusable ; seulement quand il m’arrivera une autre fois d’être franc sur le compte de mon beau-père, et de dire qu’il est un sot, parce que réellement c’est un sot, j’espère que vous ne relèverez plus si aigrement cette parole : il y a longtemps que je sais tout.

— Tout quoi ? demanda Séverine avec cet instinct de femme qui va à nier même l’évidence, quand on ne la lui fait pas grosse comme une montagne.

Maxime dut alors raconter la vilenie de madame Mollot, les soins qu’il avait été obligé de prendre pour en neutraliser les effets ; sa visite à Grévin, et enfin faire connaître à l’intéressée que, lorsqu’elle le croyait seulement au fait de quelques bavardages et vaguement informé, il était, au contraire, aussi pleinement renseigné que si elle lui eût fait elle-même sa confidence.

Ne pouvant plus rien nier, Séverine avait la ressource des larmes, et inutile de dire que son mouchoir fut aussitôt mis en jeu.

— Ce mariage maintenant est impossible, finit-elle par dire en sanglotant : un gendre qui n’aurait pour moi que le mépris le plus mérité ? non, quelque chose qui arrive, jamais je n’y consentirai.

Si les paroles de madame Beauvisage eussent été l’expression vraie de sa pensée, il y aurait eu de quoi faire repentir Maxime de la terrible habileté avec laquelle, au moment du départ, il ménageait la sécurité de son absence.

Mais il était trop habile homme pour ne pas comprendre que Séverine essayait d’échapper à la confusion par le désespoir ; s’approchant donc d’elle et lui prenant affectueusement la main :

— Moi ! s’écria-t-il, du mépris pour ma chère belle-mère ! dites donc, madame, une pitié immense, quand je viens à penser que sa jeunesse, son esprit, ses charmes, qui la destinaient aux plus nobles alliances, ont été indignement sacrifiés ; quand je pense que, depuis plus de vingt ans, enchaînée au plus insignifiant des hommes comme à un cadavre…

— Je vous en supplie, monsieur, s’écria théâtralement madame Beauvisage, ne dites pas de mal de mon pauvre mari !

— Lui, à plaindre ! répondit Maxime, mais c’est l’homme heureux par excellence, choyé, mijoté par vous, et par l’adorable fille que vous lui avez donnée, se doutera-t-il jamais de l’entraînement si naturel où vous a emporté votre veuvage de cœur ? Par une supposition impossible, demain nous nous brouillerions, chère belle-mère, et je voudrais ouvrir les yeux de Beauvisage, il n’est pas du tout prouvé pour moi, croyez-le bien, que je parvinsse à le convaincre.

— Oui, dit Séverine, il a en moi une grande confiance ; mais peut-être n’est-ce que plus mal à moi de le tromper.

— Mais vous ne le trompez pas, vous êtes seulement mariée en deux volumes ; est-ce votre faute, à vous, si l’on vous a forcée de vous dédoubler ?

— Vous avez bien de l’esprit, dit madame Beauvisage avec un sourire triste et en lui tendant la main ; mais, dites-moi encore, j’ai besoin de l’entendre encore, que vous n’avez pas pour moi de mépris !

— J’ai pour vous, chère belle-mère, toute l’affection et tout le respect que l’on doit à la mère de celle qu’on aime, et si mon mariage venait maintenant à manquer, ce ne serait pas seulement Cécile que je regretterais, ce serait aussi le bonheur de famille que j’ai toujours espéré trouver sous ce toit hospitalier. Ma fortune politique commence aujourd’hui ; mais croyez-vous que je n’aie pas un peu compté sur une femme de votre intelligence et de votre caractère plein de volonté et de décision pour pousser cette fortune aussi loin qu’elle peut aller ? Sallenauve une fois écarté, nous faisons nommer Beauvisage ; peu après, je le remplace à la Chambre, et alors nous avons un salon politique dont vous serez la vie et l’âme. Nous verrons alors auprès du nôtre, ce que sera celui de madame d’Espard. Oh ! Séverine, ajouta-t-il tendrement, permettez-moi de vous appeler aussi de ce doux nom ; il y a devant nous un bel avenir, et il serait bien fâcheux que le caprice d’une charmante enfant, mais qui n’est qu’une enfant, vînt en entraver le développement.

— Mais, partez donc en paix, dit madame Beauvisage, Cécile voudra toujours ce que je voudrai, même quand elle ne le voudrait pas déjà elle-même.

— Je le crois, dit Maxime, et c’est pour cela que je me recommande avec tant d’instance à vos bons offices. Aussi, je ne le vous cache pas, si mon espoir venait à être trompé de votre côté, je crois tant en vous ! mon désillusionnement serait immense, et, devenu pour lui un ennemi implacable, il me semble qu’il n’est pas de vengeances si atroces auxquelles je ne pusse être entraîné.

Madame Beauvisage sentit la pointe de menace qui était dans cette phrase.

— Monsieur, lui dit-elle, je n’ai pas besoin que vous me le rappeliez, je sais parfaitement que je suis entièrement à votre disposition, et c’est m’ôter le mérite de l’affection toute maternelle qui me décide à vous vouloir pour gendre.

— Mais non, mais non, dit Maxime, vous ne me comprenez pas, vous devez bien voir la discrétion dont j’ai usé jusqu’ici vis-à-vis du secret dont j’étais dépositaire ; mais, au moment de m’éloigner pour longtemps, pour toujours, peut-être (et le grand comédien eut soin de donner un peu d’altération à sa voix) ne pouvant plus être là pour vous protéger, j’ai dû vous faire comprendre la vérité de votre situation, vous dire quelles amies charitables vous aviez laissées à Arcis. Maintenant, tout entre nous est bien convenu et bien expliqué. Il me reste à vous rappeler que je suis chargé d’une mission essentiellement occulte, que je vous ai fait dépositaire d’un secret d’État, et que M. Beauvisage ni mademoiselle Cécile, ni même M. de Chargebœuf ne doivent savoir le lieu de mon exil. La plus petite indiscrétion pourrait avoir des conséquences graves, et je vous vois trop de dispositions à devenir une femme politique pour vous faire à ce sujet la moindre recommandation.

— Monsieur, dit madame Beauvisage avec une espèce d’embarras, en fait d’indiscrétions je vais peut-être en commettre une bien grosse ; mais vous me pardonnerez en faveur de l’intention. Au moment d’un départ, on a quelquefois de certains embarras ; nous sommes plus riches que vous, et si votre belle-mère osait mettre sa bourse à votre disposition ?

Maxime vit que, pour le coup, il pouvait partir tranquille. Il fallait qu’il eût bien terrifié Séverine pour l’avoir amenée à se départir de cette férocité d’économie qui est l’un des caractères les plus saillants de la vie provinciale.

— Merci, mille fois ! dit-il en baisant la main de madame Beauvisage et en faisant encore trembler sa voix, je suis plus touché que je ne saurais dire du souci si généreux que vous voulez bien prendre de moi, mais je n’ai absolument besoin de rien. Le gouvernement ne pourvoit pas sans doute très magnifiquement aux besoins de ses agents ; mais, ainsi que je l’ai fait à Arcis lors de la mission qui a été le point de départ de notre connaissance, je sais au besoin y mettre du mien, et mes épargnes personnelles, sans compter le crédit dont je jouis auprès de quelques amis, m’ont toujours laissé en mesure de pourvoir à tout.

— Mais, fit Séverine, c’était justement à titre d’amie…

— Encore une fois merci, dit Maxime, je reviendrai ce soir passer une heure ici, et faire mes adieux à votre mari et à mademoiselle Cécile, car je pars après-demain, et je ne sais comment la journée de demain pourra suffire à tout ce que j’ai à faire.

Cela dit, Maxime sortit et il alla dîner chez Rastignac avec lequel il voulait prendre langue relativement à la manière dont il lui ferait passer les renseignements qu’il pourrait recueillir au sujet de Sallenauve.

Il resta convenu que s’il découvrait quelque chose, il adresserait son rapport à Rastignac, sous le couvert de la maison Nucingen, qui à Montevideo ne pouvait manquer d’avoir des correspondants.

— Du reste, dit Maxime, en serrant la main de Rastignac, peut-être à mon retour vous retrouverai-je au pouvoir.

— Si même nous l’avons quitté, dit le petit ministre.

— Comment ! vraiment ? dit Maxime.

— Oui, ça se gâte de plus en plus ; il y a encore deux combinaisons avortées depuis ce matin. La Chambre en est aux regrets de son vote, et on parle d’une démarche du parti conservateur devant venir nous supplier de rester quand même aux affaires ; nous sommes si bons princes, que peut-être nous nous laisserons faire.

— Croyez, dit Maxime, que si j’ai le bonheur de travailler pour vous, cette fois, je vous apporterai un meilleur résultat que celui d’Arcis. Il est à croire qu’au-delà de la ligne, je ne trouverai pas de vieille Ursuline.

— Ah ! vous en voulez à cet ordre ! dit en riant Rastignac.

— Peut-être que non, dit M. de Trailles ; en toute chose il faut considérer la fin…

— Et pas trop les moyens, ajouta le petit ministre en vrai roué politique ; l’espoir de garder son portefeuille le rendait tout guilleret.

Nous faisons grâce à nos lecteurs d’une autre scène d’amour désespéré et hypocrite qu’en sortant du ministère Maxime alla faire à mademoiselle Beauvisage. L’idée d’un départ a elle-même quelque chose d’attendrissant, et quand Cécile apprit que, pour la mériter, son prétendu allait entreprendre un voyage de plusieurs milliers de lieues, comme il lui laissa ignorer le lieu de sa destination, cela parut à la jeune fille encore plus loin ; et M. de Trailles eut le plaisir de lui voir verser quelques larmes.

— Allons, mon gendre, dit Beauvisage, vous allez voir la mer. C’est aussi un plaisir que nous nous passerons au printemps prochain avec madame Beauvisage et Cécile.

Maxime s’arracha des bras de sa famille éplorée, et le lendemain, toutes ses affaires bien en règle, il se mit en route pour la Plata.

Une suite, qui plus tard sera donnée à ce récit, expliquera les résultats du voyage entrepris par Maxime et l’influence qu’ils ont sur l’avenir de Sallenauve, dont nous ne nous séparons pas sans espoir de revue.