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Le Comte de la Mi-Carême (Verhaeren)

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Le Comte de la Mi-Carême (Verhaeren)
Poèmes légendaires de Flandre et de BrabantSociété littéraire de France (p. 189-193).

LE COMTE DE LA MI-CARÊME


Venant d’Espagne ou de Bohème,

Au trot de son lent cheval blanc,
Passe, dans les villes de Brabant

Le Comte de la Mi-Carême.

 

Il va, là-haut, de toit en toit,

L’oreille au trou des cheminées,
Surprendre, avec sa haquenée,
Ce qu’on entend et ce qu’on voit
Dans les maisons, où les mioches
Autour des foyers d’or, l’hiver,

S’instruisent en des livres clairs,
Comme des gens de la basoche.

 

On l’aperçoit, les soirs de vent,

Par la lucarne à tabatière,
Longer les étroites gouttières.
Il vient et va, pousse en avant,
S’arrête, et puis revient encore ;
Son cheval suit tous les chemins
Qu’il lui suggère avec la main,
Et quand parfois, au loin, s’essorent
Ses hauts galops silencieux,
La sueur blanche et son écume
S’entremêlent, comme des plumes

Aux nuages montant aux cieux.


Où ne va-t-il ? Dieu seul le guide,

Sur l’échiquier géant des tours
Et des pignons des carrefours,
Par les grand’routes translucides.
Ceux qui ne l’ont pas aperçu
Quand vers le soir sonnent les cloches,
C’est qu’ils eurent les yeux en poche.

Mais les enfants, eux tous, l’ont vu,
— Prince de rêve et de fortune —

Traversant l’air superbement
Avec sa bête en diamant

Et son manteau de clair de lune.


Son chef arbore un turban bleu

Comme le front d’un vieux roi-mage ;
C’est un géant sur les images
Qu’on vend dans les quartiers pouilleux
D’Hasselt, de Mol, d’Anvers, de Lierre ;
De sa main gauche, il tient des fouets
Et de sa droite, un lot de jouets
En bois léger, en carton-pierre.
Il en a plein trente paniers
Il en a plein vingt sacs de toile,
Et l’on prétend qu’en chaque étoile

Il en a plein trois cents greniers.


Jouets plus clairs que feux d’aurore,

Jouets naïfs, — dites combien !
Ce sont les bons anges gardiens
Qui les taillent et les décorent,

Peignant avec leurs menus doigts
L’or des manteaux, l’azur des robes ;

N’employant rien que couleurs probes,
Colle tenace et raide empois,
Et ciselant chaque clochette
Pour arlequins et pour pierrots
Et pour chevaux qui vont au trot,

Immobiles, sur des planchettes.


Ainsi lesté, ainsi chargé,

S’en va d’un pas toujours le même,
Par les chemins des soirs légers,
Le Comte de la Mi-Carême
Il va du Weert à Saint-Amand,
De Saint-Amand vers Rupelmonde,
Passe Tamise, passe Termonde,

Pour revenir vite en Brabant.

 

Et les jouets tombent comme grêle

Dans les foyers ouverts. Pourtant,
Nulle oreille ne les entend
Frôler les murs de leurs bruits frêles.
Mais ils sont là, au matin dit,

Comme tous ceux de l’autre année ;
Les vieux recoins des cheminées,

Superbement en sont garnis.
Dans le matin crépusculaire,
Les yeux aigus, les doigts errants,
On les recueille en adorant
On ne sait quoi de tutélaire ;
À moins que d’un regard furtif,
Dans l’ombre d’où elles émergent,
On ne découvre un lot de verges

Pour les enfants qui sont rétifs.


Et c’est beau temps. Le printemps pâle

Sur les maisons et les vergers
Va disperser ses ors légers
Et ses argents et ses opales ;
Et les petits s’en vont, là-bas,
Comme en cortège et en parade,
Montrer gaîment aux camarades
Les jouets nouveaux reçus par tas,
Tandis que les malins échangent
Tel faux pierrot, tel clown suspect
Sans tenir compte et sans respect

Du partage qu’ont fait les anges.