Le Conseiller des femmes/06/Texte entier

La bibliothèque libre.
Le Conseiller des femmes/06
Le Conseiller des femmes6 (p. 81-96).
N° 6. — samedi, 7 décembre 1833. — 1re année.


LE CONSEILLER
DES FEMMES.

Séparateur



DES FEMMES EN GÉNÉRAL
et de leur véritable émancipation.
1er article.

Il est des vérités vainement contestées et qui se reproduisent sans cesse ; des vérités que ceux même qu’elles blessent doivent être des premiers à reconnaître et à proclamer hautement, seul moyen peut-être de soutenir les droits que leur donnent, dans le monde civilisé, les progrès de l’esprit humain.

Ainsi les femmes auraient tort de prétendre nier ce qui est de toute évidence, que la nature, autant que la société, crée des ilotes, et qu’elles ont été placées, par la nature et par la société, dans l’une de ces classes qui semblent destinées à un perpétuel esclavage.

L’homme tout fier de la supériorité que lui assurent et et sa force physique et ses deux ou trois onces de cervelle de plus, ne s’aperçoit pas qu’il fonde sa toute puissance sur son organisation seulement ; et il dédaigne de remarquer que la femme, avec des moyens physiques très-inférieurs aux siens, va plus loin que lui dans tout ce qui demande cette force morale, bien autrement grande et puissante que la force musculaire et que les facultés intellectuelles seules.

Il y aurait donc folie à vouloir lutter contre les conséquences inévitables d’une organisation différente ; il y aurait donc folie à prétendre que ces deux organisations si dissemblables doivent et peuvent produire les mêmes résultats. Laissons à l’homme la matière, animée par les dons plus ou moins heureux de l’intelligence ; notre part est assez belle pour que nous n’ayons rien à lui envier, puisqu’en dépit de la faiblesse de notre constitution, le monde moral nous appartient ; puisqu’avec un cerveau boiteux, nous concevons ce qui seul est la source de la vraie grandeur ; puisque nous y puisons, comme l’enfant puise la vie au sein de sa mère, sans avoir eu besoin de recourir d’abord aux lumières du savoir.

Ilotes par l’effet de l’organisation que nous donne la nature ; ilotes par l’effet des préjugés et des lois, nous aurions très-mauvaise grâce et fort mauvaise chance à nous révolter contre des êtres si supérieurs ; nous aurions mauvaise chance aussi et mauvaise grâce à prétendre les suivre dans le domaine de l’intelligence. Guidons seulement l’homme enfant dans celui du sens moral, et réjouissons-nous de voir quelques hommes faits devenir rois dans notre empire. Le nombre en sera toujours petit : car si les hautes conceptions intellectuelles sont au-dessus de notre portée, les sacrifices de tous les jours à la vertu ; le dévouement sans bornes au devoir ; l’abnégation complète de soi-même ; la patience dans le malheur ; le courage de la mère ; la générosité de l’épouse, l’amour filial de la fille, avec leurs immenses exigences, forment un petit cours de sciences morales, d’un abord très-difficile, et d’une étendue telle, que trois onces de cervelle de plus ne suffisent, en conscience, qu’à certains êtres privilégiés, pour arriver à le bien comprendre.

Mais, dira-t-on peut-être, il est étrange que le cerveau complet de l’homme, ne puisse atteindre au résultat auquel arrive si aisément le cerveau incomplet de la femme ?

Eh ! messieurs, c’est que l’ame n’est pas dans le cerveau. Je ne vous dirai pas où elle est, car je n’en sais rien ; apparemment elle a un trône chez nous, puisqu’elle y règne en souveraine ; et c’est à vous, qui savez tout et qui seuls pouvez tout savoir, à nous dire quel est son siège. Si vous le mettez dans les nerfs, eh bien ! les nerfs compensent chez nous, relativement à l’âme, ce que nous avons de moins que vous en matière à intelligence.

De tout ceci ressort encore une autre grande vérité ; c’est que si la supériorité de l’homme, sous le rapport intellectuel est incontestable, la supériorité de la femme, sous le rapport moral est de même incontestable ; d’où je conclus égalité. Oui, égalité : deux êtres, deux choses peuvent avoir un mérite égal, sans avoir le même genre de mérite ; cela s’est vu, se voit et se verra, tant que le monde sera monde.

Dans les temps anciens cette supériorité morale de la femme fut divinisée ; aujourd’hui, après bien des siècles de barbarie et d’erreurs, elle commence à être avouée dans les pays civilisés. Mais, soit à tort, soit à raison, l’homme la reconnaît sans inquiétude, sans jalousie ; ce n’est pour lui qu’une de ces supériorités secondaires, si l’on peut marier deux mots

L’un de l’autre étonnés,

que le plus fort laisse au plus faible, par condescendance et par indifférence surtout.

Il n’en est pas ainsi de ce que l’homme regarde comme sa propriété exclusive : l’instruction. Alarmé de la passion de savoir dont les ilotes lui paraissent enflammés, il leur prouve, physiologiquement parlant, que ce ne peut être pour eux qu’une passion malheureuse. Partout il croit voir des mains hardies s’élevant pour lui ravir son sceptre ; il croit sentir chanceler son trône ; il croit s’apercevoir que le feu de son auréole pâlit, et l’homme a peur de ces têtes sans cervelle qui veulent remplacer les fleurs et les rubans par la couronne d’épines du savant, par le bonnet carré du juge, de l’avocat, du docteur en médecine… Que sais-je !

Ce que c’est que le cauchemar !

Les femmes revendiquent seulement aujourd’hui le droit de dire avec tous ceux qui ont souffert, écrasés sous le poids d’une force brutale et sous celui non moins lourd des lois créées par le despotisme et des préjugés éclos de l’ignorance : « Nous faisons partie de cette race humaine dont les deux tiers au moins sont privés de l’instruction qu’on proclame en tout lieu, comme la source du bonheur des nations ; et dans les fondations nouvelles de la philanthropie partout on nous oublie ! Si quelques-unes d’entre nous sortent de la foule, l’homme se récrie ! Il voit déjà saper les bases de l’édifice social : les femmes ambitionner les honneurs et les richesses de la carrière administrative ? Usurper les pouvoirs des législateurs, oublier leurs devoirs et s’emparer, d’une main inhabile, des rênes de l’état, que tous dirigent avec une habilité si rare !.. Que l’homme se rassure ! La race des ilotes n’est pas prête de finir : mais ne peut-on faire pour les ilotes civilisés, ce que les philanthropes méditent de faire pour les nègres ! De l’esclavage et des dédains injustes naissent tous les vices ; d’une liberté sage et d’une sage instruction naissent toutes les vertus !… À nous aussi donnez donc la liberté ! »

Voilà ce que les femmes pourraient dire pour diminuer les frayeurs paniques de leurs seigneurs et maîtres, elles pourraient dire encore comment, pénétrées de la sainteté de ces devoirs, qu’on semble craindre qu’elles n’oublient, elles sont et veulent rester femmes avant tout ; comment, pour elles, l’instruction ne peut être un but, mais seulement un moyen de remplir leurs loisirs, de calmer une imagination trop ardente, d’embellir les jours d’un père, d’un époux, de se rendre plus capables de donner dans leurs fils, à la patrie, de vrais citoyens.

L’instruction n’est en effet, et ne peut être que cela pour la plupart des femmes. La liberté dont jouit le jeune homme, à qui nos mœurs, de même que la prévoyance de tendres parens, permettent de laisser l’entière disposition de son temps, dans l’âge où il est si bien rempli par l’étude, n’est jamais le partage de la femme. Lors même que tout concourrait à lui procurer de longs loisirs, elle trouverait, dans les bienséances, des obstacles invincibles à profiter des ressources sans nombre, qui sont offertes au jeune homme studieux. Le titre de femme, le plus beau de tous quand la femme sait être femme dans la noble acception du mot, est une barrière infranchissable qui l’entoure toute la vie, à tous âges, et la relient dans un cercle souvent étroit. Quelques-unes savent l’agrandir, ce cercle obscur où, si difficilement, l’homme laisse pénétrer les fugitifs rayons de la lumière parfois douteuse du savoir ; d’autres ont la hardiesse de franchir la limite posée par la nature… Demandez à celles-là si elles sont heureuses !

Ce qui distingue surtout la femme entre tous les êtres créés, c’est la passion du devoir ; aussi, j’ose le dire, c’est moins peut-être l’imperfection de l’organisation que cette passion du devoir qui s’oppose au développement de l’intelligence chez la femme. L’antiquité, le moyen-âge, le siècle dernier, et celui-ci encore, nous offrent d’assez nombreux exemples de ce que peut devenir cette intelligence lorsqu’elle est développée par l’étude. Il y a eu des femmes que les sciences abstraites avouent comme les dignes émules de l’homme ; il en est aujourd’hui dans lesquelles la science de l’économie politique trouve des interprètes. Je ne parlerai point des lettres : là les femmes règnent en souveraines ; chez elles seules brillent ce feu sacré, cette poésie du cœur tantôt fraîche et naïve, tantôt pénétrante et terrible, qui ne va point demander à la roue ou au gibet des émotions qu’elle sait trouver dans les tortures des passions, bien plus redoutables que la torture même. Mais, en littérature comme en savoir, malheur à celles qui, étant femmes, se font hommes ! « Elles ressemblent à Herminie revêtue des armes du combat. Les guerriers voient le casque, la lance, le panache étincelant ; ils croient rencontrer la force, ils attaquent avec violence, et dès les premiers coups ils atteignent le cœur[1]. » Et la méprise n’est pas toujours involontaire.

Oui, les femmes ont droit de se plaindre ; elles ont droit, comme toute l’espèce humaine, de vouloir éloigner la limite imposée trop long-temps à l’instruction ! mais qu’elles y prennent garde, que leur bon sens, ce sens commun si rare et qui ne manque jamais cependant à quiconque consulte sa raison, leur apprenne que l’instruction est bien peu de chose quand elle n’a pas pour appui l’éducation, ce fond précieux que nous voyons manquer trop souvent chez l’homme.

L’instruction est du domaine de l’intelligence, l’éducation est du domaine de l’âme ; l’organisation de l’homme le rend propre au savoir ; l’organisation de la femme la rend propre au développement du sens moral, c’est-à-dire de cet instinct si sûr qui fait distinguer le bien du mal, le juste de l’injuste, à la femme la plus ignorante.

Dans un prochain article je dirai de quelle importance il serait, pour la société, que l’instruction fût donnée aux jeunes filles par des femmes. Nous aussi nous demandons notre part de liberté ; mais par ce mot de liberté nous n’entendons point celle de commettre impunément les méfaits permis, d’un bout du globe à l’autre, aux rois de la nature.

Mlle S. Ulliac Dudrezène.
Séparateur


La vieille Madeleine[2]
3e partie.

Quatre ans se passèrent encore de la sorte : Louis était grand et fort pour son âge ; il commençait à gagner chez le charpentier, assez pour défrayer du moins de sa dépense personnelle, et ce soulagement venait à propos ; car Madeleine, doublement vieillie par la fatigue du travail forcé qu’elle s’était imposé, et par les années, était sinon infirme au moins dans un état de faiblesse et de décrépitude qui ne lui permettait plus le même genre d’existence. Elle filait encore, et le produit de cette occupation, joint à de légers secours que de tems en tems lui envoyaient ses anciens maîtres, l’empêchaient seuls d’endurer les privations et la misère dont elle avait préservé la vie d’un orphelin.

Vers la fin de l’été de la quatrième année, comme on allait entrer dans cette saison où la nature attristée semble se couvrir d’un voile de deuil, où la feuille jaunie se détache de la branche qui l’a nourrie et vient couvrir la terre ; où l’homme que le souffle de la mort menace depuis quelque tems, succombe comme la plante sous l’influence de cette époque où règne la destruction, vers le commencement de l’automne, dis-je, la bonne vieille se sentit plus affaiblie, plus souffrante encore que de coutume, et quelque chose lui annonçant sa fin prochaine, elle écrivit à ses maîtres : leur réponse ne se fit pas attendre ; la voici telle que Madeleine la lut à sa grande satisfaction.

« Vos désirs seront remplis, ma bonne et chère Madeleine ; l’œuvre que vous avez commencée avec tant de générosité, que vous avez continuée avec tant de persévérance et de courage, ne restera point inachevée et imparfaite. Le dernier sacrifice que vous vous imposez, pour le bonheur de votre enfant, met le comble à votre désintéressement, et doit vous acquérir à jamais des droits à sa profonde reconnaissance, comme à l’estime de tous les honnêtes gens. Il va vous quitter ; vous quitter bientôt ma pauvre Madeleine ; mais, selon vos désirs, ce sera pour commencer l’état auquel vous le destinez, et qui vous coûte depuis si long-temps de continuels sacrifices. Je viens de recevoir la promesse de l’un de mes amis, officier de la marine royale, d’admettre Louis à son bord comme pilotin, en attendant que sa bonne conduite et les connaissances qu’il continuera d’acquérir dans son état de charpentier, le fassent recevoir en qualité de maître.

Dans un mois Louis devra se rendre à Brest, où le navire est mouillé, et s’y embarquera pour une longue expédition d’où, j’espère, il reviendra avec de l’avancement. Puisse-t-il vous retrouver alors, et vous rendre une partie de ce qu’il vous doit. En attendant, ma bonne Madeleine, vous allez avoir besoin de tout votre courage pour vous séparer de votre cher enfant ; mais je sais que ce courage ne restera point au-dessous du sacrifice.

Afin que des embarras d’argent ne viennent point ajouter à vos peines, vous trouverez ici une somme destinée au voyage et à l’équipement de Louis.

Croyez ma chère Madeleine, que ma femme et moi nous sommes heureux d’être pour quelque chose dans votre bonne action, etc. »

— Et maintenant, dit Madeleine en joignant pieusement les mains sur son cœur, tandis que deux larmes de joie coulaient sur sa figure ; maintenant je puis mourir en paix, car ma tâche est remplie.

La vieille femme se hâta de se rendre à l’église, où s’agenouillant devant l’autel, elle remercia Dieu avec ferveur de ce dernier bienfait, puis rentra chez elle et ce fut sa dernière sortie. Soit que l’émotion qu’elle venait d’éprouver fût trop forte pour son corps usé, ou que son heure fût ainsi marquée, Madeleine en passant le seuil de sa porte, au retour de l’église, se sentit défaillir et se mit au lit, où elle souffrit peu et s’éteignit doucement. Quand elle se sentit près de sa fin, elle fit prier le notaire du lieu de la venir voir, afin de recueillir ses dernières volontés, et de l’aider dans les dispositions qu’elle voulait faire.

Elle donna à Louis sa maison et son jardin, seules choses qu’elle possédât, mentionnant son désir qu’il ne s’en défît qu’en cas d’absolue nécessité ; afin, dit-elle que mes dépouilles mortelles reposent auprès de la demeure future de mon fils adoptif ; car il viendra se reposer un jour de ses voyages, et chercher ici une compagne : si ses enfans amenés par lui, viennent quelquefois autour de ma tombe, mes os tressailleront de joie à leur approche, et ce me sera doux de m’entendre nommer par eux.

Le curé arriva après le départ du notaire ; il venait exhorter au courage, parler de l’espoir d’une vie de récompense… Mais le courage était inutile à Madeleine, comme il l’est au voyageur tout prêt d’entrer au port et d’échapper aux tempêtes qui pourraient gronder encore au loin. Puis quand il parla de la justice de Dieu, en exaltant, comme il le méritait en effet, le dévouement si noble de Madeleine, elle étendit sa main desséchée sur la main du pasteur, et lui dit de sa voix défaillante mais pleine de sécurité :

— Monsieur le curé : j’espère ; oui, j’espère une vie de repos et de bonheur, car Dieu est un bon père qui m’ouvrira sa demeure comme à ses autres enfans, qu’il aime d’un égal amour et qu’il jugera dans sa miséricorde. Moi, je n’ai point l’orgueil de croire mériter un plus haut prix que mes frères, pour avoir accompli une œuvre de charité. Je le devais ; nous nous devons tous mutuellement amour et protection ; mais elle m’a toujours semblé égoïste et fausse cette maxime : « Qu’un bienfait n’est jamais perdu » ou du moins j’ai toujours vu qu’on ne la comprenait pas sous son véritable sens, puisqu’elle semble promettre service pour service, prix pour prix. Est-ce donc l’intérêt personnel, qu’on doit mêler ainsi à la plus pure des vertus ? Est-ce l’égoïsme qui peut être la base du dévouement ? Non ; monsieur le curé, non, continua la digne femme exaltée par l’approche de la mort, le seul prix du bienfait c’est le bienfait lui-même ; cette récompense là, je l’ai déjà reçue et bien grande et bien belle, par le bonheur que j’ai goûté, par celui que j’ai donné et aussi, ajouta-t-elle avec plus d’émotion, en regardant Louis qui sombre et désolé se tenait debout près du lit, par l’affection de ce cher enfant pour moi. Que Dieu le bénisse comme je le bénis : je meurs heureuse, en paix et pleine de confiance en la bonté divine.

Deux jours après cet entretien, le soleil se levant pur et beau éclaira de sa teinte légèrement adoucie par l’approche de l’automne, la campagne des environs de la ville de C***. Un simple convoi descendait lentement la colline qui conduisait à l’église paroissiale. C’était celui de Madeleine, que suivait en sanglottant l’enfant qu’elle avait élevé, et qui maintenant restait seul au monde, mais préservé par elle des atteintes du besoin. Après Louis venaient un grand nombre de personnes habitantes de C*** et de ses environs ; car Madeleine avait mérité et obtenu l’estime et l’affection publiques. Son cercueil fut déposé dans la demeure qui nous attend tous ; mais où tous, nous ne descendons pas avec la même sécurité, le même bonheur que Madeleine. Un peu de terre la couvrit seulement, nulle pierre tumulaire n’apprit orgueilleusement sa vie aux étrangers, une croix de bois, portant son nom, indiqua seule la place de sa tombe, humble comme la vie de la digne femme.

Celui pour qui elle avait accompli tant de sacrifices, qu’elle avait entouré de tant d’amour n’en était point indigne. Toujours il rendit un culte de souvenir et d’affection à sa bienfaitrice. Quand il lui eut rendu les derniers devoirs, quand il entra dans cette cabane solitaire où ne devait plus l’accueillir un doux et maternel regard, un mouvement de désespoir saisit le cœur du pauvre enfant. Il se jeta sur cette couche qu’elle venait de quitter pour jamais, et y resta long-tems le visage collé, et la couvrant de baisers et de larmes ; mais sortant tout-à-coup de cet excès de douleur :

— Ce n’est point ainsi, pensa-t-il, que je dois honorer sa mémoire ; non, ce n’est point par ce désespoir qui m’anéantit, c’est par une vie active, honnête et surtout charitable. Allons où elle m’a tracé elle-même une voie, et puissé-je y rencontrer quelqu’un à qui je rende une partie du bien que j’ai reçu d’elle. Voilà comme elle veut que je m’en souvienne.

Telles furent, sinon les paroles, du moins les pensées de l’élève de Madeleine. Il saisit le petit paquet dès long-tems préparé par les soins de sa mère adoptive, prit le bâton qui avait appuyé les pas de la pauvre vieille marchande, et dont il jura de ne jamais se séparer ; ferma soigneusement la porte de la chaumière, après y avoir mis tout en ordre, et prenant le chemin du cimetière, il y fit la première station de son voyage à Brest, et quitta enfin le pays qui l’avait vu naître, l’ame remplie de douleur, de regrets ; mais fortifié par les leçons qu’il avait reçues, et par la ferme volonté de se rendre digne un jour, d’être nommé le fils de Madeleine.

Mme Aimée Harelle.

SALON LYONNAIS.
(3e article.)

M. DIDAY.

Les tableaux de M. Diday ont fait une sensation peu commune à notre exposition : on les portait aux nues ; on les louait à outrance ; pas le moindre défaut ; on ne pouvait se permettre la plus légère observation sans s’exposer à la réprobation des sectaires de l’école genevoise, dont le premier dogme était l’admiration pleine et entière pour M. Diday. — Pour les uns il n’était pas de Lyon, c’était suffisant, ils admiraient ; pour les autres l’enthousiasme ne laissait point de place à la réflexion. — Cependant lorsque cette première impression fut un peu calmée, on se hasarda à dire qu’il se pourrait bien que M. Diday eut beaucoup sacrifié à l’effet ; que ses compositions manquassent de pittoresque, et ces reproches s’adressaient spécialement à son chalet. — Qu’un pauvre jeune homme qui ne connaît de la Suisse que les jolies vignettes dont les Anglais remplissent leurs albums, fasse des chalets polis au blaireau, dont pas un brin d’herbe ou de mousse ; pas un éclat de bois, pas une pierre ne viennent déranger la simétrique architecture, nous le lui pardonnons ; mais M. Diday, habitant la terre classique des chalets, nous faire une jolie chaumière à la règle et au compas, comme ces maisons-joujoux dont tous les compartimens numérotés se joignent et se rapportent, c’est presque un crime ! — Le mal de ce malheureux chalet est d’autant plus désespérant, que les derniers plans de ce tableau sont délicieux ; l’air humide qui passe sur cette montagne couverte de sapins m’apporte l’odeur résineuse qu’on respire dans ces régions élevées… ; cette verdure noire est bien locale ; ce ciel fortement tinté s’accuse bien à travers ce brouillard… ; mais ce maudit chalet !!!

La vue du lac de Brienne est d’un bon effet, d’une touche large et facile ; ses eaux ne sont peut-être pas d’une couleur parfaite, mais elles sont d’un excellent mouvement. Coloriste énergique et chaleureux, M. Diday s’est laissé aller à un peu de crudité dans les teintes violacées qui colorent ses montagnes ; un peu moins de glacis à la laque jaune, et le ton local serait irréprochable. Nous le blâmerons aussi du maniéré de son premier plan ; ce défaut se retrouve encore plus prononcé dans l’Orage sur le lac de Genève. Cette plage parsemée de débris a le fini d’une mosaïque. — Je n’aime pas sa barque, elle est mal gréée ; sa voile ne prend pas le vent de manière à la déchirer, et ses matelots sont sans mouvement ; pour qui a vu en réalité un orage sur le lac de Genève, il y a lieu de s’étonner de l’admirable sans froid de ces braves gens. Nous nous montrons exigeantes peut-être envers M. Diday, mais nous savons qu’il peut satisfaire ces exigeances ; on doit demander beaucoup à un artiste de son mérite.

Les imperfections que nous venons de signaler (si elles existent), sont rachetées par des beautés de premier ordre. Les vagues qui viennent se briser sur le premier plan, sont touchées d’une manière admirable. Pleines de transparence et de mouvement, elles sont d’une vérité de couleur parfaite ; je ne sais que Gudin, pour faire de l’eau comme celle-là.

M. FONVILLE.

Il est une partie matérielle de l’art, sans laquelle un tableau est bien peu de chose, c’est le dessin. Certes un coloris chaud et vrai, une brosse vigoureuse et facile ne sont point des dons médiocres ; mais combien de fois ne les voyons nous pas servir à cacher l’absence de toute science linéaire ? — Il est encore une qualité non moins importante chez un peintre : c’est ce tact qui harmonise tous les détails d’une composition, qui met ensemble arbres, ciel, eaux, terrains, etc., etc. Ceci me semble manquer totalement dans le dernier tableau de M. Fonville. Tout en reconnaissant le pas immense qu’il a fait depuis sa première vue de la Pape, nous regrettons de trouver dans la dernière, des arbres (charmans comme étude) mal enracinés et ne tenant pas à la terre, un joli ciel, de bons détails pris séparément font honneur à M. Fonville, mais l’ensemble ne présente pas du tout le grandiose du modèle. Qui reconnaîtra le Rhône dans cette eau honteuse et mesquine ? Et ce village, qu’on aperçoit aux arrières plans, est-ce là la vue magnifique de Lyon en arrivant par la route de Genève ? Le défaut que nous reprochons à M. Fonville, ne lui est pas habituel, et je lui sais des pages où il faudrait être bien adroit pour trouver à reprendre. Il est probable que le soin extrême qu’il a apporté dans les détails de sa composition, lui en a fait négliger l’effet général ; du reste, vrai dans sa couleur, correct dans ses accessoires, l’exécution de ce morceau contribuera beaucoup à la réputation de l’auteur, placé déjà d’une manière fort honorable parmi nos jeunes peintres.

Mlle J. D.

ÉMISSION D’ACTIONS.

Nous avons annoncé que le Conseiller des Femmes se fondait par actions portant intérêt de 5 p. 100 l’an. Nous croyons devoir informer nos lectrices qu’à ce revenu sera ajouté un dividende à prélever sur les bénéfices.

Les personnes qui prendront une action auront droit à une insertion par trimestre. Celles qui en auront trois y auront un droit constant, et celles qui en auront dix jouiront non-seulement de l’avantage des annonces, mais recevront en outre gratuitement le journal. Les actions sont transmissibles et payables au porteur, à dater de l’an et jour de leur date.

Les coupons et demi-coupons sont envoyés sur la demande, qui en est faite à la directrice du journal, rue Royale, n° 14, à Lyon.


AVIS AUX ABONNÉS DU DEHORS.

Les personnes qui se trouveraient embarrassées pour faire parvenir le montant de leur abonnement, peuvent le verser entre les mains de MM. les directeurs de poste qui se chargeront de le faire parvenir à Mad. Eugénie Niboyet, directrice du Conseiller des Femmes.



Léon Boitel, gérant.

  1. Mad. de Stael.
  2. Nous regrettons de n’avoir pu insérer en deux numéros la nouvelle de Mad. Harelle ; l’intérêt qu’elle inspire nous eût fait un devoir de la donner en deux fois si le cadre de notre journal ne s’y fût opposé.