Le Conseiller des femmes/08

La bibliothèque libre.
Le Conseiller des femmes
Le Conseiller des femmes8 (p. 113-128).
N° 8. — samedi, 21 décembre 1833. — 1re année.


LE CONSEILLER
DES FEMMES.

Séparateur



ÉDUCATION
3e article.
PROJETS DE CRÉATION DE QUATRE SALLES D’ENSEIGNEMENT ET D’UN ATHÉNÉE DE FEMMES..

Le temps de la justice est arrivé, le

régna de Dieu approche.
(évang. selon S. Marc.)

Nous avons dit dans un précédent article, page 56, n° 4, « que lorsqu’on aurait su combiner par un heureux accord les forces physiques et les forces morales, lorsqu’on aurait gradué l’enseignement dans un ordre varié, on aurait trouvé la loi d’attraction émulative qui pousse au progrès, etc. »

En effet, n’est-il pas plus naturel de penser que la diversité des études attraira plus les enfans que les longues séances toujours répétées ? On doit bien se persuader que si l’on peut développer les facultés, on ne saurait les faire naître ; le plus sage est d’employer utile- ment les dispositions innées de chacun et de ne pas se conduire avec tous, par une règle unique.

En thèse générale, on fait lieu ce qu’on aime et nous n’en doutons pas, les arts et les sciences feraient beaucoup plus de progrès si chacun était placé dans sa spécialité de choix. Beaucoup pensent que les passions sont subversives de tout ordre social ; nous croyons, nous, qu’elles sont la condition de l’existence de tous et de chacun, et nous ne sachions pas qu’un être puisse exister sans passion. Chez l’un, c’est le besoin d’aimer ; chez l’autre, le besoin d’acquérir ; celui-ci veut de la gloire, à celui-là il faut des honneurs ; l’enfant se passionne pour un joujou, la mère pour son fils, le vieillard pour la vie qu’il est près de quitter ; vous c’est la science qui vous passionne, lui, ce sont les arts ; mais toujours et partout la passion commande et règne. Elle fit les martyrs et les héros ; les Néron et les Marc-Aurèle, et si l’on demandait au malheureux qui s’est livré au crime, quel démon l’y a poussé, il répondrait : la passion… passion de sang et de meurtre parce qu’elle n’a pas été dirigée, mais qui aurait dû tourner au profit de la société.

Dieu nous a créés bons et portés au bien, lorsque notre nature se vicie le tort n’en est pas à lui, mais à ceux qui nous ont élevés et qui, dès notre enfance, ont négligé de donner un but utile à notre activité, de réprimer nos mauvais penchans. En général, par qui sont commis les crimes ? par ceux qui sont placés au dernier rang dans la société ; êtres privés de tout, que la vue du luxe tente, que la misère entraîne, que l’ignorance perd ; enfans de Dieu, pourtant, que le monde repousse et qui expient dans des lieux de débauche, au pilori, sur l’échafaud, les torts de leur éducation !…

Vis-à-vis de tels faits, tous les jours répétés, quelle ame ne serait émue, quelle voix ne s’élèverait pour crier : assez de lieux de débauche, de pilori, d’échafaud, grâce et pitié pour le malheureux que la loi frappe, que la mort ne corrige pas, que l’avenir peut rendre sage ! Pitié pour l’homme flétri vers qui jamais peut-être une main protectrice ne se tendit, à qui une parole douce et religieuse ne fut pas prononcée !! Pour nous, remontant à la source du mal, nous avons gémi de ses désordres, et reconnu qu’en général il doit sa cause au peu de soin donné à l’éducation de la classe pauvre. Si nous admettons que la vie est une succession de passions, nous sentons aussi que pour détruire les mauvais penchans il faut les prendre en germe et les annihiler en leur substituant une louable émulation. L’homme n’arrive pas au crime sans avoir parcouru l’échelle des vices qui y conduisent ; si, dès son enfance, on l’eût repris avec prudence et bonté ; si au lieu de le voir froidement marcher à sa perte on lui eut fait connaître le prix de la vertu, si on n’eût pas jeté anathême sur lui, cet homme, nous devons le croire, eut racheté sa faute ; à se sentir estimé il eut voulu se montrer estimable, la société y eut gagné un homme, l’état un citoyen !! Si donc, nous qui voyons toutes ces choses nous désirons les changer, pourquoi d’autres femmes ne le voudraient-elles pas aussi ? Pourquoi dans notre grande et populeuse cité n’y aurait-il pas combinaison d’efforts pour arriver à réaliser immédiatement quelque chose dans l’intérêt des masses ?

L’éducation, source d’où découlent les biens et les maux, l’éducation bien entendue, sagement combinée, doit produire sur la génération en herbe les plus grands comme les plus heureux résultats. Tournons vers elle toutes nos espérances[1] ! Déjà des asiles ont été fondés pour la première enfance, mais ceci ne regarde guère que l’éducation physique et nous ne voyons pas que l’éducation morale trouve encore beaucoup de moyens pour se développer. De sept à quinze ans il y a une lacune qu’il faut remplir et avec d’autant plus de soin que l’enfant est mieux disposé à recevoir avec avidité toutes les impressions ; c’est à cet âge surtout qu’on travaille pour un temps qui est proche et que pas un seul jour ne doit être perdu.

Providence de leurs élèves, les instituteurs et les institutrices doivent étudier tous les caractères ; coordonner leurs observations dans un ordre gradué, afin d’amener l’éducation à des résultats certains qui ne permettent plus de la regarder seulement comme un art, mais comme une véritable science.

Les enfans ne se ressemblent pas plus de caractère que de physionomie, le talent consiste à savoir tirer parti de ces contrastes, pour les harmoniser de manière à ce que tous donnent de bons résultats.

La religion et la morale qui, comme le dit Mme Necker, s’appuient et se servent l’une à l’autre de moyen et de but ; la religion et la morale doivent être les deux grands axes de support de tout principe d’enseignement. L’enfant doit apprendre de Dieu, tout ce qu’il en peut comprendre, du monde, tout ce qu’il en doit pratiquer. Le trop et le trop peu sont, en éducation, les deux écueils de la prudence. Dites à l’enfant ce qu’il doit savoir, mais ne le trompez pas, ne lui mentez jamais de peur qu’il ne devienne menteur et ne souille ses lèvres.

Mais, dira-t-on, voilà bien des conseils, le difficile c’est de les mettre en pratique ?

Patience, qui veut la fin, veut les moyens.

En Angleterre, lorsqu’un délit politique frappe un citoyen dans sa liberté la nation, qui ne peut empêcher l’action de la loi, le venge en ouvrant à son profit une souscription qui, d’ordinaire, ne dépasse pas la modique somme d’un sou, mais qui, par le nombre de signatures dont elle est couverte, produit toujours beaucoup. Pourquoi donc en France ne ferions-nous pas, dans un autre but, comme les Anglais ? Pourquoi craindrions-nous d’imiter ceux qui nous ont si souvent imités ? Lyon est une ville immense, elle compte dans son sein plus de 170,000 habitans, il lui est donné de faire de grandes choses et elle le pourra quand elle le voudra. Supposons que sur 170,000 habitans, 100,000 seulement souscrivent la somme de quatre sols pour la fondation d’écoles gratuites, n’est-il pas vrai qu’on aura de suite un capital de 10,000 francs ? n’est-il pas vrai que si la ville ou les hospices veulent prêter quelques-unes des salles qu’ils ont de libres au centre de notre cité il n’y aura plus à s’occuper des frais de loyer ? Cette somme de 10,000 francs, dès-lors répartie entre quatre écoles (deux pour les garçons, deux pour les filles) laissera à chacune d’elles 2,500 francs. N’est-il pas vrai encore que les enfans envoyés dans ces écoles pourront être employés à de petits travaux dont on fera tourner le produit à leur profit afin de les encourager et de leur rendre leur tâche plus douce ? Par ce moyen aucun temps ne sera perdu, les travaux seront variés et l’éducation générale deviendra, par le fait, le premier degré de l’éducation professionnelle.

Les jeunes filles, attachées par leur travail, seront bientôt propres à tous les ouvrages de couture. On ne leur imposera pas une tâche, on la leur fera demander.

Chaque enfant admissible à sept ans, pourra continuer ses études jusqu’à douze. Il y a donc lieu d’espérer que ce terme venu, les enfans seront bien préparés à commencer une nouvelle vie.

Les objets faits à façon ou fabriqués et vendus dans les salles donneront à chacun sa juste rétribution et il n’y aura pas lieu de redouter la vue des haillons, quand chaque enfant pourra gagner de quoi se vêtir. Maintenant, nous le demandons, quelle est la mère qui ne donnera pas quatre sols par an pour voir élever son enfant ?

Qu’on ne s’y trompe pas, notre projet n’est pas un rêve inréalisable, c’est une œuvre de temps et de lieu, nous appelons notre cité à la fonder..!! En ce qui nous concerne, heureuse de prouver par des actes, notre amour de tous, nous offrons la voix de notre journal pour parler à ceux qui peuvent donner. Que les autorités s’y prêtent, qu’une commission se forme et nous recueillerons, pour les verser dans ses mains, les sommes qui seront déposées dans les nôtres. La presse de Lyon a de généreux organes, nous leur faisons appel, ils ne nous manqueront pas… Nous faisons appel aussi à tous les journaux de France, pour qu’ils se placent avec nous sur le terrain de la réalisation et, nous y comptons, ils auront de l’écho pour nos vœux, comme ils en ont pour tout ce qui est grand et progressif !!

Indépendamment de la création des écoles d’étude et de travail, notre pensée est simultanément fixée vers 119 un autre but. Parmi les femmes, les petites filles ne sont pas seules à élever et beaucoup d’entre nous ont encore à apprendre. Après avoir recueilli les voix des femmes les plus avancées, nous avons conçu le projet de fonder à Lyon, à dater des premiers jours de janvier, un Athénée spécial aux femmes et consacré à leur développement. Toutes ne seront pas appelées à être membres titulaires de ce corps , mais toutes pourront assister aux cours qui y seront professés. Ce sera une tribune morale et intellectuelle ouverte à toutes les femmes , et, nous ne doutons pas que les plus avancées, les plus con- sidérées, celles enfin dont Lyon s’honore, ne s’empressent de répondre à notre appel. Il sera fait à l’athénée des cours de morale à la portée des femmes auxquelles la nature et le sort ont fait petite part. Il y aura aussi de hauts enseignemens où toutes celles qui se sentent force et puissance sont appelées. Les dames membres de la société auront ensuite des réunions particulières, pour lire les travaux qui leur seront soumis ou discuter les questions qui leur seront adressées. Chaque sociétaire payera annuellement, et d’avance , aux mains de la trésorière, la somme de 20 fr. * L’Athénée recevra en outre tous les dons qui lui seront faits ; les sommes en provenant serviront à l’achat d'une bibliothèque et de livres à l’usage du peuple ; ces livres seront distribués gratis , en plus ou moins grand nombre, selon les ressources financières de la société.

  • Aucune somme ne sera reçue avant la nomination de la

trésorière ; jusque là le CONSEILLER DES FEMMES n’enregis- trera que les noms et qualités dos dames qui désirent faire partie de l’Athénée.

Il y aura deux fois par an un compte général rendu, des travaux de l’Athénée, en outre, le Conseiller des Femmes mentionnera succinctement les séances dont l’intérêt sera en raison directe des besoins sociaux.

Nous appelons à se porter, dès ce jour, membres sociétaires, les femmes qui, par leur influence ou leur capacité, doivent s’inscrire des premières sur la liste ouverte dans nos bureaux ; nous recevrons leurs noms jusqu’au 15 janvier, époque à laquelle il sera procédé à la nomination des présidente, vice-présidente, trésorière, archiviste, secrétaire, etc. etc. L’assemblée réunie décidera par vote si les hommes doivent être admis à professer certaines sciences encore bien ignorées des femmes. Il nous semble que de ce concours d’efforts naîtraient de plus grands et de plus rapides progrès, d’ailleurs la société pourrait conserver des enseignemens particuliers aussi long-temps que les femmes conserveraient leur timidité, mais nous espérons qu’elles arriveraient bientôt à ne plus craindre le jugement des hommes quand elles auraient acquis le sentiment de leur valeur réelle… Les hommes ont aussi besoin de morale, puisque nous pouvons en donner, pourquoi ne le voudrions nous pas ? Celles qui des premières répondront à notre appel auront bien mérité de tous et de chacun, elles seront grandes, elles seront aimées entre toutes les femmes, paix et bonheur leur seront dus, surtout si du degré le plus élevé de l’échelle sociale, elles se donnent en exemple et viennent parmi nous et avec nous, payer de leur personne au profit de la femme du peuple !

Encore une fois nous demanderons aux journaux leur appui, non pour une opinion, mais pour un but !! nous demanderons aux autorités administratives une Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/9 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/10 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/11 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/12 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/13 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/14 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/15 Page:Le conseiller des femmes, 8 - 1833.pdf/16

  1. Nous consacrerons un article aux salles d’asile et à toutes les institutions gratuites de notre ville.