Le Conteur/Préface

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Charpentier
Le Conteur, Texte établi par Abel HugoCharpentier (p. 7-16).
Préface.

L’avortement des révolutions, la fatigue des émotions de la place publique, le désenchantement des rêves politiques, ramènent à des idées de
paix et de recueillement. Après avoir

vu ce que valent les hommes et les choses, chacun fait un retour sur ses opinions passées, et reconnaît bientôt que le bien-être physique, la satisfaction intellectuelle gisent au sein des occupations domestiques, que le bonheur est caché dans la famille. Le dégoût de la politique fait renaître le goût de la littérature. On demande à l’esprit des amusemens et des consolations. Ce besoin de notre époque, généralement senti et promptement deviné, a déjà donné naissance à plusieurs ouvrages, destinés à récréer après le labeur de la journée, à occuper avec agrément les heures d’inaction qu’on a reconquises sur la vie des affaires. Quand le corps se délasse, la pensée aime à travailler ; et (Walter Scott l’a dit quelque part) « la plus grande jouissance que puisse éprouver un être intelligent ; c’est d’être assis auprès d’un bon feu, seul ou avec de gais amis ; et de lire ou d’écouter lire une œuvre d’imagination, amusante et attachante, un bon roman par exemple. » Mais, pour lire un roman, il faut un long loisir ; et, dans notre vie, telle qu’elle est faite, esclave de besoins matériels, agitée par des intérêts, troublée par des passions, nous n’avons que de courtes heures de repos. C’est pour offrir un emploi facile à ces briefs momens d’inoccupation, où la fatigue s’emparerait de l’esprit, si une lecture agréable ne venait le distraire ; c’est pour présenter aux lecteurs un de ces ouvrages qu’on prend avec plaisir, qu’on lit avec amusement, mais qu’on peut néanmoins interrompre aussi fréquemment que l’exigent des devoirs impérieux ou de capricieuses volontés, que ce Recueil de Contes est publié.

Le conte est de tous les temps et de tous les pays. L’Arabe du désert écoute encore avec une avide impatience les récits merveilleux qui, pendant mille et une nuits, firent oublier au sultan des Indes sa mésaventure conjugale et son féroce serment ; le pirate malais, terreur des insulaires de l’archipel asiatique, s’accroupit chaque soir au pied du mât de son navire, pour entendre conter les histoires fabuleuses des marins, ses ancêtres ; le contrebandier andaloux, dans sa course pénible à travers les roches brûlantes de Ronda et sur les cimes neigeuses de la Sierra Nevada, se repose de ses fatigues en écoutant les aventures de quelque chevalier bien brave, les amours de quelque dame mauresque bien brune et bien passionnée, les tours et les facéties de quelque bon montagnard bien rusé, dont les romances populaires, contes poétiques de l’ancienne Espagne, ont gardé le souvenir ; chez nous même, dans une de ces provinces, où la civilisation moderne n’a pas encore passé son triste niveau, le paysan breton ouvre sa porte au voyageur errant, et ne lui demande pour prix de sa cordiale hospitalité qu’un de ces contes nouveaux qui se disent à la ville. Et, dans des temps plus éloignés, ces jeunes citadins qui abandonnaient Florence et se retiraient dans un jardin solitaire, n’oubliaient-ils pas, en devisant d’historiettes et de contes que le génie de Boccace a recueillis, les ravages de la guerre civile et les horreurs de la peste ? Et, en France, Marguerite de Navarre, portée dans sa litière, entourée de ses dames, ne charmait-elle pas les ennuis de ses voyages en écoutant et en composant des contes ?

Le conte est la littérature des jeunes sociétés et des nations vieillies. Il a pour lui la brièveté et la diversité. Il embrasse tout. Il revêt toutes les formes : épopée, histoire, roman, drame, tragédie, satire, comédie, morale, philosophie. Sous la forme de parabole, il se prête même aux enseignemens de la religion. C’est, en quelque sorte, un résumé de tous les genres, et c’est un genre qui ne vieillit point. On sait quelle importance a le roman dans les compositions de notre littérature moderne : eh bien ! le conte est au roman ce que le vaudeville est à l’ancienne comédie en cinq actes. C’est la contraction d’un fait, la condensation d’une idée.

Consacré principalement aux œuvres des auteurs distingués de nos jours, ce livre accueillera aussi les compositions de ces jeunes talens si pleins de verve et d’avenir, qui, pour briller, n’attendent qu’un champ ouvert à leur imagination. Aux célébrités déjà reconnues se joindront des noms nouveaux.

La politique sera exclue de nos pages, sans que nous prétendions pour cela enchaîner par un silence absolu, les sentimens philosophiques et patriotiques des auteurs qui nous honoreront de leur coopération. Nous respectons les opinions consciencieuses, l’individualité de l’homme, l’originalité du talent, et nous savons que la conviction politique en est une notable partie. D’ailleurs, tous nos contes étant signés, la responsabilité ou la gloire de chaque œuvre appartiendra à son auteur.

D’autres recueils de ce genre ont été déjà publiés : mais ce qui distingue celui-ci entre tous, ce qui en fait une chose nouvelle en librairie ; c’est le bon marché auquel l’éditeur l’offre au public. Le besoin de distractions amusantes est assez répandu pour qu’on lui sache gré d’avoir pensé à mettre son livre à la portée du plus grand nombre des lecteurs.

Charpentier.