Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/01

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 1-13).


CHAPITRE PREMIER

GÉNÉRALITÉS



Le mot typographie a été formé par la réunion de deux noms grecs : tupos, empreinte, figure, caractère, en un mot type, et grapho, j’écris.

L’étude de la typographie embrasse l’ensemble des connaissances nécessaires pour écrire, ou plutôt pour imprimer correctement, au moyen de caractères ou de types.


I

ORIGINE DE L’IMPRIMERIE


L’origine de l’imprimerie est fort ancienne.

Quelques auteurs affirment que, dès les années qui précédèrent la naissance du Christ, la Chine pratiquait déjà cet « art merveilleux ».

Mais d’autres historiens, et particulièrement M. Aug. Rochas, font remonter jusqu’au-delà de trois cents ans avant notre ère le début des essais tentés pour la reproduction, par l’imprimerie, de la parole et de la pensée.

À cette époque lointaine, comme jusqu’au moyen âge, on se servit de textes gravés sur des planches de bois ou de caractères sculptés sur des tablettes.

Les Anciens connurent cependant les caractères mobiles : pour obtenir des empreintes et des marques de fabrique, pour composer des inscriptions, plusieurs catégories d’artisans, et parmi eux les potiers et les monnayeurs de l’Asie-Mineure et de la Phénicie, faisaient un usage fréquent de signes et de lettres alphabétiques gravés à l’extrémité de tiges de métal ou de bois. — Les ruines de Ninive, de Thèbes, de Persépolis ont fourni à cet égard des documents précieux d’une indiscutable autorité.

À leurs prédécesseurs étrangers, les artisans d’Athènes et de la Grèce, de Rome et de l’Italie empruntèrent les procédés de gravure en creux ou en relief qu’ils appliquèrent aux tuiles, aux briques et aux poteries.

Chez les Grecs et les Romains, au témoignage de Platon, de Quintilien, de Cicéron, de saint Jérôme, les enfants apprenaient à lire au moyen de lettres, d’abord isolées, puis assemblées, sculptées sur le buis ou l’ivoire.

Au xie siècle, en 1041, dit-on, on fit, en Chine, quelques essais d’impression sur des caractères mobiles ; mais les défectuosités de la méthode qu’on ne sut perfectionner, le peu de résistance du métal employé (probablement le plomb seul), pour lequel les premiers fondeurs ne purent composer un alliage convenable, ne permirent pas de réaliser quelques progrès dans cette voie.

On en revint bientôt à l’impression tabellaire, et il semble que l’on ne tarda pas à laisser tomber dans un oubli complet jusqu’au souvenir lui-même des tentatives infructueuses qui viennent d’être sommairement rappelées.

Vers le milieu du xve siècle (1440-1445), après quelques essais d’impression tabellaire, Gutenberg (de Mayence), qui n’avait eu, pense-t-on, aucune connaissance des recherches tentées plus de quatre cents ans auparavant, imagina, avec l’aide de Fust et surtout de Schœffer, de sculpter les lettres sur des tiges métalliques mobiles.

Grâce à son ingéniosité, Schœffer trouva le moyen, au cours des années 1453-1455, de fondre les lettres dans des moules munis de matrices frappées à l’aide de poinçons gravés en relief.

Les types obtenus ainsi ayant une égalité suffisante de corps et de hauteur, restait à leur donner la force de résister aux efforts de la presse : Gutenberg, Fust et Schœffer y parvinrent par des modifications successives de l’alliage métallique employé pour la fonte.

De cette époque date l’existence de la véritable typographie dont les productions, d’abord grossières et imparfaites parfois, ont acquis de nos jours un haut degré de perfection.


II

FABRICATION DU POINÇON ET DE LA MATRICE


Un correcteur doit posséder au moins quelques notions sommaires des opérations relatives à la fabrication ou à la fonte des caractères, opérations qui ressortissent également du domaine de la typographie.

Avant de fondre un caractère, il est nécessaire, s’il s’agit de la création d’un type nouveau, d’établir, au moyen de dessins soigneusement exécutés, les diverses proportions des lettres, courtes ou longues ; puis de tailler, de graver un poinçon et un contre-poinçon ; enfin de frapper une matrice.

Le poinçon est une tige d’acier doux, d’une hauteur d’environ 6 centimètres, dont la largeur et la longueur sont appropriées à l’œil de la lettre que l’ouvrier doit exécuter.

À une extrémité, dite supérieure, qu’il a polie avec un soin rigoureux, l’artiste décalque, soit avec un fumé, soit par l’intermédiaire d’une feuille de gélatine, ou encore, suivant ses préférences, à l’aide d’une pellicule photographique, le dessin de la lettre à graver : il est nécessaire de faire remarquer que ce report renverse de la tête au pied le signe qui sera taillé en relief.

Chaque lettre de l’alphabet, chaque chiffre, chaque ponctuation, chaque signe quel qu’il soit, susceptible d’être employé dans l’impression, a son poinçon particulier : l’ensemble d’une fonte comprend environ 150 signes divers.

À l’extrémité inférieure, et sur la face — c’est-à-dire sur le côté du poinçon que l’on a devant soi, en même temps que la tête de la lettre, — est gravée la marque distinctive du caractère.

Le travail terminé, le poinçon est fortement trempé.

Dans les gros caractères les accents sont gravés à part et n’appartiennent pas aux poinçons ; ces derniers portent une entaille où, lors de la frappe d’une matrice de lettre accentuée, le poinçon supplémentaire vient se loger.

Le contre-poinçon, gravé sur une tige d’acier doux, représente seulement les traits intérieurs de la lettre ; par la trempe, il acquiert une résistance suffisante pour être enfoncé à coups de marteau dans le poinçon. Cette empreinte détermine la profondeur d’œil, achevée parfois à l’aide du burin et variable avec le genre des caractères. Un contre-poinçon peut être utilisé pour plusieurs espèces de lettres ayant entre elles quelque analogie, par exemple b, d, p, q.

Mais l’emploi du contre-poinçon semble devoir tomber dans l’oubli : les parties creuses de la lettre sont aujourd’hui évidées à l’aide du foret et de la drille à main ; l’opération est terminée à l’aide de l’échoppe.

La nécessité de produire en quantité considérable les matrices indispensables aux machines à composer modernes ont, d’ailleurs, conduit les inventeurs à créer une machine à graver qui, se substituant à la main-d’œuvre humaine, produit à volonté des poinçons (gravure en relief) ou des matrices (gravure en creux). Mais la description de ce procédé nous entraînerait trop loin.

À l’aide du poinçon — autrefois avec une masse, de nos jours avec une presse à balancier — on frappe la matrice, petit bloc de cuivre ou même parfois d’argent, de 0m,08 d’épaisseur, de 0m,03 de longueur et de largeur appropriée aux dimensions du signe à frapper ; avant l’opération le bloc est dressé en forme de parallélipipède et soigneusement poli pour donner à l’empreinte du poinçon la plus grande netteté possible.

Sur la matrice, la lettre frappée se grave en creux et apparaît dans sa position normale. Comme sur le poinçon, la marque distinctive du caractère est indiquée au bas et sur la face du parallélipipède.

Lors de la frappe, la matrice, malgré certaines précautions, se déforme légèrement, et elle doit être équilibrée ou plutôt justifiée à nouveau. À l’aide d’une lime, ou par frottement sur une pierre d’émeri, le graveur fait d’abord disparaître la boursouflure occasionnée par la frappe, puis il donne à la matrice le fini qui lui permettra d’être placée dans le moule de la machine à fondre et logée exactement à la place exigée : c’est la « justification à registre arrêté », qui comporte un certain nombre d’opérations : régularisation de la profondeur, de la largeur, de la hauteur et de la surface de frappe. Les fonderies attachent une importance extrême à cette mise au point : du soin qu’on apporte à son exécution dépend la justesse de la fabrication.

Après la fonte, les lettres peuvent en effet présenter plusieurs défauts qui dérivent d’une mauvaise justification de la matrice :

a) L’approche n’est pas régulière : verticalement, les lettres n’ont pas entre elles une égalité proportionnelle de distance, comme on le voit dans l’exemple ci-dessous entre les deux s, b et l, cl et u, u et s :

cette distance est obtenue par le talus latéral réservé à droite et à gauche de l’œil et servant à isoler chaque lettre des autres lettres immédiatement voisines.

L’approche est plus ou moins large, suivant le genre des caractères et leur physionomie, comme le montrent les exemples ci-dessous, dans lesquels l’approche du premier exemple est plus serrée :

De manière générale, « pour les caractères romains ordinaires, l’approche est établie de façon qu’il y ait entre les lettres un peu moins de distance que les jambages des m n’en ont entre eux ; autrement, les mots ne paraîtraient pas assez liés entre eux[1] ». Pour établir l’approche d’un caractère les fondeurs se basent dès lors, lorsqu’il s’agit de lettres minuscules, sur la lettre m et sur la lettre o pour les parties tournantes qui tendent à élargir à l’œil le blanc d’approche ; en grandes et en petites capitales, sur les H, h, et sur les O, o.

Les lettres arrondies b, c, d, e, o, p, q, comportent entre elles et leurs voisines un plus faible écartement eu égard aux parties tournantes ; il en est de même des lettres v, x, w, y, dont les angles fuyants comportent un blanc presque suffisant déjà.

Par extension, on nomme approche verticale la distance que la hauteur d’œil établit entre chaque ligne d’un caractère composé plein, c’est-à-dire sans interlignes :

Cette distance est difficilement perceptible : elle ne peut s’apprécier que par la rencontre de deux lettres longues, à queues opposées.

Dans les caractères créés par toutes les fonderies pour imiter les types de lettres des machines à écrire, l’approche est fort diverse. En raison des nécessités de la construction, tous les signes d’une « typewriter » doivent être d’une épaisseur analogue : l’approche des lettres l, i, f, t, j, etc., est dès lors plus forte que celle des lettres b, c, m, etc.

Le souci un peu exagéré d’une reproduction parfaite a conduit les graveurs et, conséquemment, les fondeurs, à conserver dans leurs productions cette irrégularité d’approche un peu déplaisante à l’œil.

b) La ligne est défectueuse, si l’une par rapport à l’autre les lettres montent ou descendent :


l’œil de la lettre ne présente pas un alignement horizontal irréprochable.

La ligne, ou alignement, se règle sur le pied des lettres courtes, m, n, s, e.

c) La pente[2] est mauvaise, lorsque dans le romain la verticalité, ou dans l’italique l’inclinaison, donnée à l’œil de la lettre n’est pas exactement la même pour toutes les lettres :


on dit alors que la lettre penche à l’aigu ou au grave, suivant qu’elle penche à droite ou à gauche.

d) La hauteur est forte, si elle excède, en mesures anciennes, 10 lignes ½ géométriques, ou 23mm,6[3] :


à l’impression, le foulage produit une lettre noire, parfois encrassée, qui se détériore rapidement.

La hauteur est faible, au contraire, si elle est inférieure à 23mm,6 :


alors la lettre manque de foulage, et elle ne marque qu’imparfaitement au tirage. Malgré une mise en train soignée, l’imprimeur n’obtient qu’un travail défectueux.

e) L’aplomb donne à l’œil une surface parfaitement plane qui, au tirage, permet d’obtenir une impression absolument nette et égale de toutes ses parties :

Pour donner à la lettre un aplomb convenable, l’ouvrier doit, à l’aide d’une pointe dite à justifier, mettre le fond de l’œil de la matrice rigoureusement parallèle à la surface horizontale du bloc de cuivre.

f) Enfin, toutes les lettres doivent posséder une force de corps rigoureusement identique : composant dans un ordre régulier un certain nombre d’alphabets (lettres bas de casse, grandes capitales, petites capitales, chiffres, etc.) et les superposant, aucune lettre ne doit dépasser les autres, si la force de corps est exacte :


à l’impression, l’alignement horizontal ne laisse rien à désirer[4].


III

ALLIAGE MÉTALLIQUE DES CARACTÈRES


Cette étude préliminaire terminée, il est bon de dire un mot de la composition de l’alliage, de l’amalgame des divers métaux qui, après leur constitution en un corps nouveau, serviront à la fonte de la lettre.

L’alliage métallique employé pour la fonte varie légèrement suivant les fondeurs et le genre de caractères.

De manière générale, cependant, on peut indiquer la composition suivante :

Plomb 
 70 parties
Régule d’antimoine[5] 
 25xxxxx 
Étain 
 05xxxxx 

Parfois on ajoute, mais en petites quantités, du cuivre, du zinc et même du fer[6].

Fréquemment, on utilise aussi l’alliage suivant :

Plomb 
 60 parties
Régule d’antimoine 
 30xxxxx 
Étain 
 10xxxxx 

Les blancs, c’est-à-dire les espaces, les cadrats, les interlignes et les garnitures ont une composition de fonte différente, spécialement désignée sous le nom de fonte blanche.

Selon les modifications apportées à l’alliage, la fonte est dite : fonte (ou matière) faible, molle ; fonte forte, dure ; fonte extra-dure.

En dehors des indications générales données plus haut, le fondeur prépare en effet sa matière comme il l’entend et de manière à donner satisfaction aux désidérata exprimés par sa clientèle.

La qualité de l’alliage employé pour la fonte doit être, de la part de l’imprimeur, l’objet d’un sérieux examen : la durée d’un caractère, par conséquent son prix plus ou moins élevé, est en effet fonction directe de cette qualité.

On peut se rendre compte grosso modo de la qualité de la matière utilisée pour la fonte d’un caractère :

Si on brise quelques lettres, la rupture est nette, d’un grain brillant et très fin, lorsque la fonte est de bonne qualité. En appuyant les doigts, doucement, sur les extrémités de la lettre, afin de la faire faiblir sous la pression sans la casser, la matière a du corps, suivant l’expression employée en fonderie, si elle ploie seulement, sans se fausser. Lorsque le compositeur distribue une fonte neuve, une bonne matière doit, en tombant dans le cassetin, rendre un son métallique[7].

Au contraire, les fontes de qualité inférieure donnent un son mat, sourd. Entre les doigts, la lettre de ces fontes, se déformant, ploie à angle droit sans risque de rupture ; la lame d’un canif y pénètre grassement, et on détache facilement de longs copeaux sans que la matière fasse entendre le grincement métallique qui indique dans l’alliage la présence d’un corps dur.


IV

FONTE DU CARACTÈRE


Préparée, justifiée comme on l’a vu plus haut, la matrice est prête à être placée, dans la machine à fondre ou dans le creuset, devant le moule qui donnera le corps à la lettre.

Durant de longues années, depuis l’origine de l’imprimerie jusqu’au début du xixe siècle, la fonte des caractères se fit à l’aide du moule à main, que des modifications successives permirent de perfectionner au point de produire en une seule journée, suivant l’habileté de l’ouvrier, la fonte de 2.000 à 2.500 lettres environ.

Tenant à la main le moule dans lequel la matrice avait été convenablement placée, le fondeur, à l’aide d’un pochon[8], puisait dans un creuset la matière en fusion et la versait rapidement dans le moule. Aussitôt la matière figée, l’ouvrier ouvrait le moule et détachait la lettre, qui était ultérieurement reprise pour subir les opérations de la romprie ou séparation du jet de matière, de la frotterie destinée à faire disparaître les bavures en frottant la lettre sur une pierre de grès, du crantage, de la composition, de l’apprêt, etc.

De nos jours, l’emploi de la machine à fondre a modifié et simplifié ces diverses opérations.

Le problème à solutionner par les constructeurs était l’arrivée mécanique d’un jet de plomb dans un moule dont l’ouverture d’avant est fermée par une matrice.

Cette action a été réalisée à l’aide des pièces principales suivantes : Un creuset renfermant l’alliage que fait fondre un fourneau reposant sur un train ;

Un nez par où passe le jet de matière ;

Une plaque joignant le creuset et le moule : ce dernier est formé de parties mobiles : la plaque pour la face arrière, la matrice à l’avant ; les côtés latéraux sont fermés par la pièce du cran et la pièce du moule ; la lame constitue la face du dessous ; enfin le chassoir ferme le dessus.

Le moule est disposé de manière à recevoir, grâce à l’orifice ménagé dans le bloc de fonte appelé nez, le jet de matière en fusion amené du creuset par un piston ; entre le bloc de fonte et le moule, une plaque de fer établit la communication.

La matrice est placée à l’extrémité inférieure du moule et réglée de manière irréprochable, pour obtenir la ligne, la pente et l’approche, dont il a été question plus haut.

Les machines primitives donnaient une lettre qui, telle celle du moule à la main, devait être soumise à nombre d’opérations :

La lettre fondue et figée, le moule s’ouvrait automatiquement ; le jet ou suite, excédent de matière figé à l’orifice du moule, était rompu mécaniquement ; et les bavures, ou barbes, des angles enlevées. La lettre était composée par catégories, ou par sortes, et on la livrait à l’apprêteur pour lui donner la dernière façon : on enlevait les lettres mauvaises ou défectueuses, on pratiquait la gouttière sous le pied de la lettre, et on donnait à celle-ci sa hauteur exacte ; pour faire les talus, on abattait les angles de la face portant l’œil de la lettre ; on ajoutait au rabot les crans supplémentaires ; enfin on procédait à la mise en paquets prêts à être livrés à l’imprimeur.

Les perfectionnements apportés aux machines à fondre permettent à l’heure actuelle d’obtenir une lettre prête à être mise en paquets : la fondeuse exécute sans interruption, par l’intermédiaire de couteaux convenablement disposés, toutes les opérations pour lesquelles il était nécessaire de recourir à la main de l’ouvrier ; elles font ainsi en une fois :

a) La fonderie : sous la pression obtenue par le piston d’une pompe, le métal en fusion est projeté dans le moule à l’extrémité duquel a été placée la matrice ; pour les gros caractères, un deuxième corps de piston comprime énergiquement le métal, empêchant la production, à l’intérieur de la lettre, de trous ou soufflures. Après solidification, le porte-matrice quitte le moule et dégage l’œil de la lettre, en même temps que le chassoir recule, et, à l’aide d’une pince, va prendre le caractère que la lame fait monter. À ce moment le chassoir avance et conduit le caractère dans une filière où il subit les autres préparations ;

b) La romprie, ou rompure, qui détache du pied de la lettre figée le jet ou suite, appendice nécessaire pour la fonte, mais qui ne doit pas être, conservé ;

c) La frotterie, opération qui fait disparaître les barbes ou bavures adhérant après la fonte aux angles des lettres ;

d) La crénerie, ou crénage, destinée à évider la partie débordant le corps dans certaines lettres, tout en maintenant l’épaulement nécessaire au soutien de la fraction excédente :

f, É, Q, j.

e) Le cran, ou signature, ordinairement situé vers le tiers inférieur, est fixe, c’est-à-dire fondu, pour toutes les lettres d’un même caractère, à une place rigoureusement constante ; mais, au moyen de couteaux supplémentaires adaptés sur la machine, on peut obtenir la formation sur la lettre de tous autres crans : cran dessus, c’est-à-dire cran placé sur la face supportant la partie supérieure de la lettre ; cran dessous, exécuté sur la face portant la partie inférieure ; cran haut, situé au tiers supérieur de la tige ; cran bas, creusé à la partie inférieure ; et toutes autres combinaisons : deux crans hauts, un cran bas ; deux crans bas, un cran haut ; etc. ;

f) La gouttière en pied, pour faire disparaître les aspérités qui restent après la romprie et seraient, pour la hauteur, cause de variations regrettables rendant impropre à un travail convenable toute lettre présentant ce défaut ;

g) L’apprêt, travail ultime qui donne à la lettre la hauteur rigoureusement exigée ;

h) Enfin, la composition sur de longs composteurs en bois qui reçoivent la lettre au sortir de la machine, et sur lesquels la lettre est l’objet d’un examen sérieux.

Les sortes livrées par les Fonderies sont, de manière générale, vendues en paquets compacts, ou interlignés pour éviter la brisure des lettres accentuées. La justification des lignes est de 24 douzes de longueur, et le poids d’une ligne s’établit, en moyenne, de la façon suivante :

Corps 0
 040 grammes
Cpso 6 
 045 xxxxxx
Cpso 7 
 055 xxxxxx
Cpso 8 
 060 xxxxxx
Cpso 9 
 070 xxxxxx
Cps 10 
 075 xxxxxx
Cps 11 
 085 xxxxxx
Cps 12 
 090 xxxxxx
Cps 14 
 105 xxxxxx
Cps 16 
 120 xxxxxx

Sur cette même justification de 24 douzes, 1 kilogramme de caractère contient :

Corps 0
 26 lignes
Cpso 6 
 23 xxxx
Cpso 7 
 19 xxxx
Cpso 8 
 16 x1/2xx
Cpso 9 
 15 xxxx
Cps 10 
 13 xxxx
Cps 11 
 12 xxxx
Cps 12 
 11 x1/2xx
Cps 14 
  9 x1/2xx
Cps 16 
  8 xxxx

La hauteur des paquets varie, suivant la force de corps, de 43 à 46 douzes ; leur poids moyen est de 4 kilogrammes.

Au moyen de lames, de matrices rentrantes et de noyaux, les mêmes machines à fondre exécutent également les blancs, espaces ou cadrats pleins ou creux, complètement terminés.

Certaines machines, utilisant deux côtés d’une seule matrice portant des frappes d’œils différents, fournissent simultanément deux lettres de corps et d’œils différents. Toutefois, les constructeurs ont jusqu’ici borné leurs efforts de production intense et d’amélioration mécanique aux séries de corps 5 à 14 ; les caractères de forces au-dessus de ces corps continuent à être fondus sur les machines exigeant encore l’opération de l’apprêt.



  1. Fournier le Jeune.
  2. Remarquons ici que le mot « pente » semble avoir été choisi par antiphrase, car la lettre ne doit, au contraire, pencher ni d’un côté ni de l’autre.
  3. D’après les fondeurs : hauteur de Paris.
  4. Le Règlement du 8 février 1723 n’oubliait aucune des qualités à exiger d’une bonne fonte de caractères : « … Toutes les Lettres en particulier seront fondues droites et d’équerre en tous sens, d’une égale hauteur, bien en ligne ; sans penchement ni renversement, ni fortes en pied, ni fortes en tête ; coupées de manière que les deux extrémités du pied des Lettres contiennent ensemble la moitié du corps, bien ébarbées, douces au frotter et au ratisser, d’un cran apparent, bien marqué et à l’ordinaire, qu’on appelle cran dessous*. Elles seront aussi d’une égale distance pour l’épaisseur des corps ordinaires, en sorte que trois (i), ou trois (l), ou une (h) ou une (n) jointe à un (i) ou à une (l), fasse l’épaisseur d’une (m), et les autres Lettres à proportion ; le tout sous les peines portées par l’article précédent. »
  5. Le régule d’antimoine n’est pas autre chose que le métal antimoine dans son plus grand état de pureté commerciale.

    Lorsque les fondeurs n’emploient que du plomb doux ou pur et de l’antimoine de belle qualité, les caractères se couvrent plus ou moins vite d’une couche superficielle terne, noirâtre, qui est un oxyde d’antimoine ou de plomb et qui a pour effet de protéger les caractères d’une oxydation plus profonde.

    Ce phénomène est analogue à celui produit sur le zinc employé comme couverture de bâtiments : la première couche d’oxyde protège le métal contre toute oxydation nouvelle.

    Tout au contraire, l’oxydation, lorsqu’il s’agit du fer, de l’acier, de la fonte, pénètre de plus en plus et ronge le métal.

    Il arrive parfois qu’une oxydation analogue à celle du fer se remarque sur des caractères ; ceux-ci sont en fort peu de temps rongés et hors de service. Si on les regarde à la loupe ou au microscope, on voit qu’ils sont marqués d’une infinité de petits trous. D’où provient cette oxydation préjudiciable aux imprimeurs et dont ils doivent se préoccuper à juste titre ? Elle serait due à l’emploi de plomb arsénieux et d’antimoine impur.

    Les vieux plombs qui ont été longtemps exposés à l’humidité et aux intempéries ne renferment aucune trace d’arsenic ; aussi sont-ils d’un bien meilleur emploi pour les fondeurs et n’ont-ils jamais donné lieu à l’inconvénient de l’oxydation signalé ci-dessus.

    Le mélange, à l’alliage d’imprimerie, d’une petite quantité d’étain lui donne plus de coulée ; mais ce serait une erreur de croire que les caractères y gagnent en résistance ; la quantité qu’on emploie est du reste fort minime, ainsi que l’indiquent les tableaux de proportions rappelés ici.

  6. En l’année 1900, on fabriquait en Allemagne des caractères d’imprimerie en un alliage d’aluminium, ayant à la fois la dureté nécessaire pour supporter les efforts de la presse et une grande légèreté : ces caractères pèsent en effet cinq fois moins que l’alliage ordinaire et donnent des tirages plus nets. Une notable économie dans la fabrication des presses, ainsi que dans la dépense d’encre, devait résulter de l’emploi de cet alliage. Nous ignorons ce que sont devenus ces essais ; il ne nous semble pas qu’en France des recherches aient été entreprises dans cette voie.
  7. Le Règlement du 8 Février 1723, en son article LX, obligeait les fondeurs à fournir « de bonnes matières fortes et cassantes » : « Les Caractères d’Imprimerie, et tous les Ornemens de Fonte en dépendans, seront faits de bonnes matières fortes et cassantes. Les Fondeurs à qui les Imprimeurs fourniront de vieilles matières, seront tenus de les renforcer ensorte qu’elles soient de même fortes et cassantes. »
  8. Cuiller en fer de forme un peu spéciale, munie d’un manche en bois.